Décision

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Gabarit de jugement pour la cour d'appel

Syndicat de l'enseignement de Champlain c. Commission scolaire Marie-Victorin

2020 QCCA 135

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-027596-188

(505-17-009850-175)

 

DATE :

 29 janvier 2020

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

JULIE DUTIL, J.C.A.

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.

BENOÎT MOORE, J.C.A.

 

 

SYNDICAT DE L’ENSEIGNEMENT DE CHAMPLAIN

APPELANT - mis en cause

c.

 

COMMISSION SCOLAIRE MARIE-VICTORIN

INTIMÉE - demanderesse

et

ANDRÉE ST-GEORGES, en sa qualité d’arbitre de griefs

MISE EN CAUSE - défenderesse

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L’appelant, le Syndicat de l’enseignement de Champlain (« le Syndicat ») interjette appel d’un jugement du 17 mai 2018 de la Cour supérieure, district de Longueuil (l’honorable Pierre Nollet) qui accueille le pourvoi en contrôle judiciaire de l’intimée, la Commission scolaire Marie-Victorin (« l’Employeur ») et conclut qu’il était déraisonnable pour un arbitre de juger que des suppléantes occasionnelles demeurent des salariées durant la période comprise entre deux remplacements aux fins du droit à une indemnité pour jours fériés.

[2]           Pour les motifs du juge Moore, auxquels souscrivent les juges Dutil et Hamilton, LA COUR :

[3]           accueille l’appel;

[4]           infirme le jugement rendu le 17 mai 2018 par l’honorable Pierre Nollet de la Cour supérieure dans le dossier 505-17-009850-175;

[5]           RÉTABLIT la décision arbitrale rendue le 4 mai 2017 par la mise en cause concernant les griefs portant les numéros 2015-0004440-5110; 2015-0004442-5110; 2015-0004753-5110; 2015-0005101-5110; 2015-0005158-5110; 2015-0005371-5110; 2015-0005581-5110; 2015-0005809-5110; 2015-0005965-5110; 2020-0000040-5110; 2020-0000243-5110; 2020-0000364-5110;

[6]           RETOURNE le dossier à l’arbitre mise en cause afin qu’elle identifie les salariées visées par les griefs, les sommes dues à chacune d’elles et qu’elle statue sur certaines erreurs matérielles, dont les parties conviennent, quant aux indemnités dues aux salariées visées par le présent appel;

[7]           LE TOUT avec frais de justice dans toutes les cours.

 

 

 

 

JULIE DUTIL, J.C.A.

 

 

 

 

 

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.

 

 

 

 

 

BENOÎT MOORE, J.C.A.

 

Me Sylvain Seney

MELANÇON, MARCEAU, GRENIER & SCIORTINO

Pour l’appelante

 

Me Jean-Claude Girard et Me Geneviève Dechêne

MORENCY SOCIÉTÉ D’AVOCATS

Pour l’intimée

 

Date d’audience :

2 octobre 2019


 

 

 

MOTIFS DU JUGE MOORE

 

 

[8]           Le Syndicat interjette appel d’un jugement du 17 mai 2018 de la Cour supérieure, district de Longueuil (l’honorable Pierre Nollet)[1] qui accueille le pourvoi en contrôle judiciaire de l’Employeur et conclut qu’il était déraisonnable pour un arbitre de juger que des suppléantes occasionnelles demeurent des salariées[2] durant la période comprise entre deux remplacements aux fins du droit à une indemnité pour jours fériés.

[9]           En application de la norme de la décision raisonnable et du nouveau cadre d’analyse établi par la Cour suprême[3], je suis d’avis que l’arbitre pouvait conclure au maintien du statut de salariée et qu’en conséquence, le juge de première instance n’aurait pas dû intervenir.

CONTEXTE

[10]        Entre le 10 avril 2015 et le 4 novembre 2016, le Syndicat dépose 12 griefs réclamant de l’Employeur le versement d’indemnités légales pour jours fériés aux enseignantes suppléantes occasionnelles.

[11]        Les parties s’entendent pour soumettre à l’arbitre deux cas types et réserver la compétence de cette dernière, le cas échéant, afin de déterminer la liste des enseignantes suppléantes occasionnelles visées par les griefs ainsi que les indemnités dues.

[12]        Le litige qui oppose les parties porte sur la notion de salariée et le droit à recevoir une indemnité pour jours fériés qui en découle, en vertu de la Loi sur les normes du travail (« LNT »)[4] et de la Loi sur la fête nationale (« LFN »)[5].

[13]        Essentiellement, pour l’Employeur, une enseignante suppléante occasionnelle qui, lors d’un jour férié, est entre deux remplacements, ne se qualifie pas de salariée au motif qu’elle n’est pas, à ce moment précis, liée par un contrat de travail avec la Commission scolaire. Au surplus, la suppléante occasionnelle n’est vraisemblablement pas en mesure de respecter l’exigence de la LNT de ne pas s’être absentée du travail le jour ouvrable qui précède ou qui suit le jour férié.

[14]         Le Syndicat, quant à lui, soutient que la position de l’Employeur repose sur la notion de service continu, laquelle n’est plus requise par la LNT aux fins de l’indemnité pour jours fériés. Selon lui, dès qu’une suppléante occasionnelle effectue du travail rémunéré dans les 20 jours précédant le jour férié, elle se qualifie pour une indemnité calculée en proportion du temps travaillé, et ce, même si le remplacement s’est terminé avant le jour férié[6]. Quant à la condition liée à l’absence non motivée le jour ouvrable précédant ou suivant le jour férié, elle doit être appliquée en fonction de l’horaire spécifique de la salariée.

[15]        Dans une décision du 4 mai 2017, l’arbitre donne raison au Syndicat et conclut que les suppléantes occasionnelles ont droit aux indemnités pour jours fériés en vertu de la LNT et de la LFN, même lorsque celles-ci sont entre deux remplacements au moment du jour férié.

[16]        Le juge de première instance donne plutôt raison à l’Employeur, accueille le pourvoi en contrôle judiciaire et conclut que les suppléantes occasionnelles ne peuvent bénéficier de l’indemnité pour jours fériés lorsque celui-ci a lieu alors qu’elles sont entre deux remplacements puisqu’elles ne bénéficient pas à ce moment-là d’un contrat de travail et ne sont donc pas salariées. C’est cette décision qui est l’objet du présent appel.

[17]        Puisque le litige repose, pour beaucoup, sur l’interprétation de textes législatifs qui ont évolué, il convient de les reproduire :

LNT (version actuelle) :

1. Dans la présente loi, à moins que le contexte n’indique un sens différent, on entend par:

[…]

10°  «salarié» : une personne qui travaille pour un employeur et qui a droit à un salaire; ce mot comprend en outre le travailleur partie à un contrat en vertu duquel:

i.  il s’oblige envers une personne à exécuter un travail déterminé dans le cadre et selon les méthodes et les moyens que cette personne détermine;

ii.  il s’oblige à fournir, pour l’exécution du contrat, le matériel, l’équipement, les matières premières ou la marchandise choisis par cette personne, et à les utiliser de la façon qu’elle indique;

iii.  il conserve, à titre de rémunération, le montant qui lui reste de la somme reçue conformément au contrat, après déduction des frais d’exécution de ce contrat;

[…]

12°  «service continu» : la durée ininterrompue pendant laquelle le salarié est lié à l’employeur par un contrat de travail, même si l’exécution du travail a été interrompue sans qu’il y ait résiliation du contrat, et la période pendant laquelle se succèdent des contrats à durée déterminée sans une interruption qui, dans les circonstances, permette de conclure à un non-renouvellement de contrat. […]

62. Pour chaque jour férié et chômé, l’employeur doit verser au salarié une indemnité égale à 1/20 du salaire gagné au cours des quatre semaines complètes de paie précédant la semaine du congé, sans tenir compte des heures supplémentaires. Toutefois, l’indemnité du salarié rémunéré en tout ou en partie à commission doit être égale à 1/60 du salaire gagné au cours des 12 semaines complètes de paie précédant la semaine du congé.

65. Pour bénéficier d’un jour férié et chômé, un salarié ne doit pas s’être absenté du travail, sans l’autorisation de l’employeur ou sans une raison valable, le jour ouvrable qui précède ou qui suit ce jour.

LNT (version avant 2003) :

62.  Lorsqu'un jour férié coïncide avec un jour ouvrable pour un salarié, l'employeur doit lui verser une indemnité égale à la moyenne de son salaire journalier des jours travaillés au cours de la période complète de paie précédant ce jour férié, sans tenir compte de ses heures supplémentaires. 

Malgré le premier alinéa, l'indemnité du salarié rémunéré principalement à commission doit être égale à la moyenne de son salaire journalier établie à partir des périodes complètes de paie comprises dans les trois mois précédant ce jour férié. 

65.  Pour bénéficier d'un jour férié visé dans l'article 60, un salarié doit justifier de 60 jours de service continu dans l'entreprise et ne pas s'être absenté du travail, sans l'autorisation de l'employeur ou sans une raison valable, la veille ou le lendemain de ce jour. 

Le premier alinéa n'a pas pour effet de conférer un avantage à un salarié qui n'aurait eu droit à aucune rémunération le jour visé dans l'article 60, sauf dans la mesure où l'article 64 s'applique.

[soulignements ajoutés]

LFN :

2. Le 24 juin est un jour férié et chômé.

Toutefois, lorsque cette date tombe un dimanche, le 25 juin est, à l’égard du salarié pour qui le dimanche n’est pas normalement un jour ouvrable, un jour chômé pour l’application des articles 4 à 6, lesquels doivent alors se lire en substituant ce jour au 24 juin.

4. L’employeur doit verser au salarié une indemnité égale à 1/20 du salaire gagné au cours des quatre semaines complètes de paie précédant la semaine du 24 juin, sans tenir compte des heures supplémentaires. Toutefois, l’indemnité du salarié rémunéré en tout ou en partie à commission doit être égale à 1/60 du salaire gagné au cours des 12 semaines complètes de paie précédant la semaine du 24 juin.

Toutefois, dans le cas d’un salarié qui est visé à l’un des articles 42.11 et 1019.4 de la Loi sur les impôts (chapitre I3), cette indemnité se calcule sur le salaire augmenté des pourboires attribués en vertu de cet article 42.11 ou déclarés en vertu de cet article 1019.4.

[18]        Voyons les décisions rendues.

DÉCISION DE L’ARBITRE

[19]        L’arbitre rappelle que la LNT et la LFN sont des lois sociales d’ordre public visant la protection des salariés. Puis, elle décrit les suppléantes occasionnelles comme « […] des enseignants faisant partie d’une liste à laquelle l’employeur peut recourir pour combler des remplacements au jour le jour, sans obligations réciproques »[7]. C’est cette instabilité de leurs prestations qui soulève la question de savoir si elles demeurent des salariées aux fins des indemnités pour jours fériés lorsque ceux-ci ont lieu alors qu’elles sont entre deux remplacements[8].

 

[20]        Pour l’arbitre, la réponse négative que propose l’Employeur se fonde sur la notion de service continu et l’interprétation qu’en a donnée notamment la Cour[9]. Or, cette notion qui constituait l’une des conditions de l’ancien article 65 LNT pour l’admissibilité à une indemnité pour jours fériés n’est plus requise. L’arbitre écrit :

[49]      Il est à noter que ce concept faisait partie des conditions requises par l’ancien article 65 pour bénéficier des congés fériés de la LNT. Jusqu’à son amendement le 1er mai 2003, il fallait en effet que le salarié justifie de 60 jours de service continu pour se qualifier. Cette condition a complètement disparu. On voit donc mal comment elle saurait être maintenue par l’intermédiaire de la seule exigence d’être maintenant un salarié.

[50]        Le SO, comme l’ensemble des enseignants, n’est forcément pas au travail le jour même de l’un ou l’autre des congés en cause puisque les écoles sont fermées. À cette date, s’il se situe entre deux remplacements, perd-il pour autant son statut de salarié à ce moment précis, comme le soutient l’employeur? La réponse est non : il continue de faire partie de la liste des SO, d’être susceptible de rappel et de se voir requis de travailler à tout moment. Ainsi en font foi justement les deux cas-types illustrés par mesdames Duguay et Noiseux, relatés plus haut, où se dessine une régularité de travail significative tant avant qu’après le jour férié réclamé.

[21]        Quant à la condition de ne pas s’être absentée le jour ouvrable qui précède ou qui suit le jour férié, condition existant uniquement dans la version actuelle de l’article 65 LNT, après avoir pris en compte l’évolution des textes, l’arbitre conclut :

[57]        À notre avis, cette même logique prévaut toujours pour définir « le jour ouvrable qui précède ou qui suit » le congé au sens de l’article 65 LNT : le salarié n’a pas à travailler la veille ou le lendemain du congé, comme l’exigeait strictement l’ancien article 65 LNT. Il doit plutôt, comme le prévoit le nouvel article 65, ne pas s’être absenté du travail le jour ouvrable qui précède ou qui suit le congé, en fonction de ce que prévoit son propre horaire. Cet ajout du qualificatif « ouvrable » à l’ancienne version de l’article 65 ne s’explique pas autrement. Sinon, il faudrait conclure que sont exclus du bénéfice des jours fériés de la LNT les salariés occasionnels, les surnuméraires, ceux sur appel voire même à temps partiel, à moins d’un heureux hasard de calendrier, et rien ne dit que les SO concernés par les griefs n’auraient pas été susceptibles de rappel le jour du férié réclamé si tant est qu’il ait été ouvrable dans les établissements scolaires.

[22]        En conséquence, l’arbitre conclut que les suppléantes occasionnelles des deux cas types soumis demeurent salariées entre deux remplacements aux fins des indemnités pour jours fériés. Elle en fixe donc le montant[10].

[23]        L’Employeur se pourvoit en contrôle judiciaire de cette décision.

JUGEMENT ENTREPRIS

[24]        Le juge détermine d’abord que c’est à la norme de la décision raisonnable qu’il doit soumettre son intervention[11], puis procède à l’application de celle-ci. Il résume ainsi les faits déterminants :

[32]        La preuve devant l’arbitre fut essentiellement documentaire doublée de certaines admissions.

[33]        Il est acquis que la CSMV n’a aucune obligation continue envers l’enseignante SO. Cette dernière fait partie d’une liste de rappel. La CSMV n’a aucune obligation de la rappeler au travail. Elle ne bénéficie pas d’ancienneté. Elle n’a aucune obligation de se présenter si on lui offre du travail.

[34]        Il n’y a aucune preuve que la CSMV termine systématiquement la relation employeur-employée à chaque fin de suppléance, en remettant, à titre d’exemple, une fiche de cessation d’emploi.

[25]        Se fondant sur l’arrêt Commission des écoles catholiques[12], qu’il reproche à l’arbitre de ne pas avoir appliqué, le juge de première instance conclut que cette dernière a erré dans le choix des critères afin de déterminer si les suppléantes occasionnelles bénéficient ou non du statut de salariées entre deux remplacements. Il écrit :

[38]        En effet, dans Commission des normes du travail c. Commission des écoles catholiques de Québec, si les suppléantes occasionnelles étaient demeurées salariées entre les contrats, elles auraient bénéficié de la notion de service continu. L’arrêt de la Cour d’appel ne porte donc pas tant sur le service continu que sur la définition de salariée.

[39]        La Cour d’appel établit quatre critères à examiner pour déterminer si l’employée est salariée. Il faut: a) examiner le caractère provisoire ou non du contrat entre la Commission scolaire et la SO, b) constater l’absence de renouvellement automatique ou l’absence de reconduction tacite, c) examiner si la liste de rappel confère des droits (obligation de fournir du travail, droit de rappel, priorité à l’intérieur de la liste) et d) déterminer si, entre le moment où le contrat arrive à terme et le moment où les parties sont de nouveau liées par contrat, il existe un intervalle de temps suffisant pour permettre l'occupation du poste par une autre personne.

[40]        L’arbitre ne fait pas cette analyse. Pour déterminer si les employées sont des salariées au sens des Lois, elle applique plutôt les critères suivants : l’employée continue de faire partie de la liste des SO, d’être susceptible de rappel et de se voir requise de travailler à tout moment. Elle ajoute le critère du statut unique, c’est-à-dire qu’une salariée en vertu de la convention collective ne peut qu’être une salariée au sens des Lois.

[26]        Il ajoute que « [p]our être salariée en vertu des Lois, une SO doit détenir un contrat de travail »[13]. Il réfère alors à l’article 2085 C.c.Q. et conclut :

[48]        C’est l’offre d’effectuer un remplacement, lorsqu’elle est acceptée, qui forme le contrat de travail. Une offre de remplacement non acceptée ne forme pas un contrat de travail. En l’absence d’offre, la réponse est encore plus évidente. Si lors du jour férié la SO n’a pas d’offre de remplacement en cours, elle ne bénéficie pas du jour férié.

[27]        Enfin, il précise que cette conclusion est conforme aux enseignements de la Cour suprême dans l’affaire Dionne c. Commission scolaire des Patriotes[14] à laquelle l’arbitre ne fait pas référence. Dans cet arrêt, la Cour suprême décide que les suppléantes occasionnelles n’avaient droit à la protection de la Loi sur la santé et sécurité du travail (« LSST »)[15] qu’à compter du moment où elles avaient reçu et accepté une offre de remplacement.

[28]        Pour ces motifs, le juge conclut que la solution retenue par l’arbitre, ne pouvant « faire partie des issues acceptables au regard des faits et du droit »[16], est  déraisonnable. Il annule la décision et renvoie le dossier au tribunal d’arbitrage.

MOYENS D’APPEL

[29]        Le Syndicat ne remet pas en cause le choix de la norme de la décision raisonnable, position qui était aussi la sienne en première instance. Il soutient toutefois que le juge, quoiqu’il ait identifié la bonne norme, ne l’applique pas et, dans les faits, substitue sa propre interprétation à celle de l’arbitre, alors que les amendements apportés à la LNT en 2003 et leurs objectifs soutiennent raisonnablement les conclusions de cette dernière. Selon l’appelant, en l’absence de preuve d’une rupture du lien d’emploi entre chaque remplacement, celui-ci demeure et les suppléantes occasionnelles ont droit aux indemnités pour jours fériés.

[30]        L’Employeur, quant à lui, fait valoir que le juge applique adéquatement la norme de contrôle tant en vertu du droit civil que de la jurisprudence. Pour lui, la décision de l’arbitre est incohérente en ce que ses conclusions ont pour effet de conférer le statut de salariées à des suppléantes occasionnelles entre deux remplacements, alors qu’elles ne cumulent pourtant pas de service continu. Puisqu’elles ne sont pas obligées à une prestation de travail, ce sur quoi le Syndicat et l’Employeur s’entendent, elles ne peuvent être qualifiées de salariées selon l’article 1(10) LNT et ne le redeviennent qu’à chaque nouveau contrat de remplacement. De plus, les suppléantes occasionnelles ne peuvent satisfaire, lorsqu’elles sont entre deux remplacements, à la condition de l’article 65 LNT selon laquelle elles ne doivent pas s’être absentées le jour ouvrable précédant ou suivant le jour férié. Le juge réviseur se devait donc d’intervenir.

ANALYSE

[31]        Il convient avant tout de spécifier que, durant le délibéré de ce dossier, la Cour suprême a rendu les arrêts Vavilov[17], Bell Canada[18] et Société canadienne des postes[19] par lesquels elle pose le nouveau cadre d’analyse relatif au contrôle judiciaire. Les présents motifs étant rendus conformément à celui-ci, le raisonnement suivi diverge nécessairement de celui du juge de première instance ou de l’argumentation présentée par le Syndicat et l’Employeur à l’audition. La Cour n’a toutefois pas cru nécessaire de demander à ces derniers des observations supplémentaires en l’espèce[20].

[32]        En ce qui concerne d’abord le choix de la norme, le Syndicat et l’Employeur font valoir que le juge de première instance ne commet pas d’erreur en retenant celle de la décision raisonnable. L’arbitre bénéficie de la clause privative prévue à l’article 139 du Code du travail et, en interprétant la convention collective et les lois qu’elle est régulièrement appelée à interpréter[21], elle agit au cœur même de sa mission pour laquelle on lui reconnait une expertise spécialisée. Je souscris entièrement à ce raisonnement et à cette conclusion en application des principes établis dans Dunsmuir[22] et la jurisprudence subséquente.

[33]        Les juges majoritaires de la Cour suprême modifient, dans l’arrêt Vavilov, la méthode à suivre afin de déterminer la norme de révision applicable. Ils écartent entièrement l’analyse contextuelle[23] et consacrent, par respect de la volonté du législateur de déléguer un pouvoir décisionnel, une présomption générale en faveur de la norme de la décision raisonnable. Ils écrivent :

[25]      […] À notre avis, il y a maintenant lieu d’affirmer que chaque fois qu’une cour examine une décision administrative, elle doit partir de la présomption que la norme de contrôle applicable à l’égard de tous les aspects de cette décision est celle de la décision raisonnable. Si cette présomption vise l’interprétation de sa loi habilitante par le décideur administratif, elle s’applique aussi de façon plus générale aux autres aspects de sa décision.

[34]        La majorité précise ensuite cinq exceptions où doit s’appliquer la norme de la décision correcte[24]. Les deux premières découlent de la volonté législative. Ce sont : 1) les normes de contrôle établies par voie législative et 2) les mécanismes d’appel prévus par la loi. Les trois autres s’imposent au nom de la primauté du droit et reprennent des catégories déjà connues : 3) les questions constitutionnelles; 4) les questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et 5) les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs. La catégorie de la véritable question de compétence est donc écartée. Les juges précisent que, bien qu’ils estiment « […] que les présents motifs couvrent l’ensemble des situations dans lesquelles il convient que la cour de révision déroge à la présomption de contrôle selon la norme de la décision raisonnable »[25], ils ne « […] ferm[ent] pas définitivement la porte à la possibilité qu’une autre catégorie puisse ultérieurement être reconnue »[26].

[35]        Selon moi, ce nouveau cadre d’analyse mène ici au même résultat que l’ancien. Aucune des situations permettant d’écarter la présomption ne trouvant application, le juge réviseur avait raison d’opter pour la norme de la décision raisonnable.

[36]        Quant à la norme que doit maintenant appliquer la Cour face à la décision du juge de première instance, c’est celle de l’erreur de droit puisque le Syndicat invoque que, bien que le juge ait correctement identifié la norme de la décision raisonnable, il applique celle de la décision correcte. Je rappelle les propos de la Cour suprême, citant avec approbation ceux de la Cour d’appel fédérale[27] :

[45]      La première question en litige dans le présent pourvoi porte sur la norme de contrôle applicable à la décision du ministre.  Avant d’aborder la norme de contrôle applicable, il convient de revoir une fois de plus l’interaction (1) des normes de contrôle applicables en appel, soit celle de la décision correcte et celle de l’erreur manifeste et dominante, et (2) les normes de contrôle applicables en droit administratif, soit la décision correcte et la décision raisonnable.  Il ne faut pas confondre ces normes lorsqu’il s’agit d’un appel formé contre un jugement d’une cour supérieure saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision administrative.  L’approche à adopter à l’égard de cette question a été énoncée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Agence du revenu du Canada c. Telfer, 2009 CAF 23 (CanLII), paragr. 18 :

Bien qu’il y ait eu confusion dans le passé, la jurisprudence actuelle permet d’affirmer que lorsqu’une décision en matière de contrôle judiciaire est portée en appel, le rôle de la juridiction d’appel consiste simplement à décider si la juridiction inférieure a employé la norme de contrôle appropriée et si elle l’a appliquée correctement.  Le rôle de la juridiction d’appel ne se limite pas à se demander si la juridiction inférieure a commis une erreur manifeste et dominante en appliquant la norme de contrôle appropriée.

[37]        Une fois la norme correctement déterminée, il convient d’établir si le juge a eu raison d’intervenir. Il va sans dire que celui-ci justifie son jugement à l’aide des enseignements de la Cour suprême issus de l’arrêt Dunsmuir. J’évaluerai, quant à moi, sa conclusion à l’aide du cadre établi dans Vavilov, où les juges majoritaires définissent la notion de décision raisonnable comme suit :

[85]      […] une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. La norme de la décision raisonnable exige de la cour de justice qu’elle fasse preuve de déférence envers une telle décision.

[38]        Il revient à celui qui conteste la décision du décideur administratif d’en démontrer le caractère déraisonnable[28], lequel se déduit tant du résultat de la décision que du processus justificatif[29]. Lorsqu’il applique la norme de la décision raisonnable, le juge réviseur « […] ne se demande donc pas quelle décision [il] aurait rendue à la place du décideur administratif, ne tente pas de prendre en compte l’« éventail » des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution « correcte » au problème »[30].

 

 

[39]        Selon les juges majoritaires, il y a, sur un plan conceptuel, deux catégories de lacunes fondamentales caractérisant une décision déraisonnable. C’est d’abord la décision marquée par un manque de logique interne, fondée sur un raisonnement irrationnel. Une décision raisonnable est une décision qui « se tient »[31].

[40]        C’est ensuite la décision « […] indéfendable sous certains rapports compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision »[32]. Quant à cette deuxième catégorie, les juges énumèrent sept facteurs contextuels, évidemment non exhaustifs, pouvant généralement être utiles pour déterminer le caractère raisonnable d’une décision. Ils écrivent[33] :

[106]    […] Il s’agit notamment du régime législatif applicable et de tout autre principe législatif ou principe de common law pertinent, des principes d’interprétation des lois, de la preuve portée à la connaissance du décideur et des faits dont le décideur peut prendre connaissance d’office, des observations des parties, des pratiques et décisions antérieures de l’organisme administratif et, enfin, de l’impact potentiel de la décision sur l’individu qui en fait l’objet. Ces éléments ne doivent pas servir de liste de vérification pour l’exercice du contrôle selon la norme de la décision raisonnable et leur importance peut varier selon le contexte. L’objectif est simplement d’insister sur certains éléments du contexte pouvant amener la cour de révision à perdre confiance dans le résultat obtenu.

[41]        À l’aide de ce cadre d’analyse, je suis d’avis, qu’en l’espèce, le juge a excédé son rôle et qu’il a, en fait, substitué sa propre interprétation à celle de l’arbitre, appliquant ainsi, erronément, la norme de la décision correcte. On le voit, notamment, lorsqu’il conclut que l’interprétation qu’il retient est « […] tout à fait compatible avec l’article 65 LNT […] alors que, poussée à la limite, l’interprétation de l’arbitre rend l’article 65 LNT sans objet »[34]. Plutôt que de se demander si l’interprétation que donne l’arbitre aux dispositions de la loi est raisonnable, le juge procède à une interprétation de novo des dispositions législatives visant ainsi à retenir le sens qu’il privilégie. Cette démarche ne participe pas de l’application de la norme de la décision raisonnable[35].

[42]        L’Employeur ne me convainc pas du caractère déraisonnable de la décision de l’arbitre, celle-ci se fondant à mon avis sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et se justifiant au regard des contraintes juridiques et factuelles.

[43]        Voici pourquoi.

[44]        Je note d’abord que l’interprétation que retient l’arbitre trouve appui dans l’esprit de la réforme de la LNT adoptée en 2003, laquelle entendait élargir la protection de la loi et l’adapter aux mutations du marché du travail, notamment la prolifération des horaires atypiques[36]. Je rappelle ce qu’écrivait la Cour à ce sujet[37] :

[32]        À la lecture des discussions qui ont été tenues en Commission parlementaire, il ressort que l’objectif du législateur était d’élargir la couverture minimale offerte aux employés les plus vulnérables. La modification leur garantit une indemnité pour les jours fériés peu importe que ces jours tombent ou non sur « un jour ouvrable pour [le] salarié ». On prend ainsi acte des nouvelles réalités du travail faisant en sorte que de plus en plus de travailleurs ont désormais des horaires atypiques. Quant à l’abolition de l’exigence de « justifier de 60 jours de service continu dans l'entreprise » pour avoir droit à une indemnisation, celle-ci est indissociable de la modification du mode d’indemnisation qui est passé de la moyenne de la dernière paie au « 1/20 du salaire gagné au cours des quatre semaines complètes de paie » ayant précédé la semaine du congé. Cette nouvelle formule de calcul offre plus d’équité envers les différents types d’emplois vulnérables.

[45]        Comme le mentionne la Cour, cette volonté de protéger les employés les plus vulnérables et de prendre en compte les nouvelles réalités du travail se retrouve notamment dans les modifications apportées aux articles 62 et 65 LNT, lesquels concernent l’indemnité pour jours fériés[38].

[46]        C’est ainsi que le nouvel article 62 LNT n’exige plus que le jour férié coïncide avec un jour ouvrable du salarié pour que celui-ci puisse recevoir une indemnité. Dorénavant, le système repose plutôt sur un calcul où le salarié reçoit une indemnité équivalent à 1/20 du salaire reçu durant les 20 jours précédant le jour férié. Cela permet donc à un salarié qui aurait travaillé, si ce n’est qu’une seule journée durant cette période, de recevoir une part proportionnelle de l’indemnité. Cela, aussi, évince l’idée que l’indemnité pour jours fériés n’est due qu’à celui qui aurait travaillé ce jour-là et serait donc privé, sans cette indemnité, d’un revenu.

[47]        De même, le nouvel article 65 LNT n’exige plus que le salarié justifie de 60 jours de service continu et qu’il ne se soit pas absenté sans l’autorisation de l’employeur ou sans une raison valable la veille ou le lendemain du jour férié. Il suffit maintenant que le salarié ne se soit pas absenté sans l’autorisation de l’employeur ou sans une raison valable le jour ouvrable qui précède ou qui le suit. Je reviendrai sur la conclusion de l’arbitre selon laquelle cette condition doit être interprétée selon l’horaire de chaque salarié, mais je signale immédiatement que ces modifications manifestent de la volonté du législateur de voir dans l’indemnité pour jours fériés une mesure d’équité salariale à tout le moins autant qu’un bénéfice rattaché à la stabilité d’emploi ou au remplacement d’un jour réellement chômé.

[48]        Cette prise en compte de l’intention législative dans la décision de l’arbitre[39] est en adéquation avec la théorie moderne de l’interprétation législative et constitue un premier indice de son caractère raisonnable selon les enseignements de l’arrêt Vavilov [40].

[49]        Examinons ensuite l’élément principal du raisonnement de l’arbitre, lequel est au centre de la critique du juge réviseur. Bien que l’arbitre retienne l’inexistence d’obligations réciproques entre deux remplacements, elle conclut au maintien du statut de salariée au motif que les suppléantes occasionnelles « […] continue[nt] de faire partie de la liste des SO, d’être susceptible[s] de rappel et de se voir requis de travailler à tout moment. Ainsi en font foi justement les deux cas-types illustrés par mesdames Duguay et Noiseux, relatés plus haut, où se dessine une régularité de travail significative tant avant qu’après le congé férié réclamé »[41].

[50]        Si l’on replace les reproches de l’Employeur et du juge de première instance dans le cadre d’analyse de l’arrêt Vavilov, cette conclusion de l’arbitre contrarierait les deux attributs d’une décision raisonnable. D’abord, l’arbitre se contredirait lorsqu’elle affirme que les suppléantes occasionnelles peuvent être « requis[es] de travailler », alors qu’elle a pourtant déterminé qu’il n’y avait pas d’obligation pour elles d’accepter une offre de remplacement. L’analyse serait donc ici intrinsèquement incohérente, première catégorie de décision déraisonnable[42].

[51]        Ensuite, le maintien du statut de salariées, entre deux remplacements, ne se conformerait pas aux exigences de la loi non plus qu’aux conditions requises par la Cour dans l’arrêt Commission des écoles catholiques[43] ou aux enseignements de la Cour suprême dans l’affaire Dionne[44]. L’arbitre aurait ainsi rendu une décision ne pouvant pas se justifier en regard des contraintes juridiques et factuelles du dossier.

 

[52]        Je ne suis pas d’accord.

[53]        La LNT définit la notion de salarié comme celui qui «  travaille pour un employeur et qui a droit à un salaire »[45]. Personne ne conteste que les suppléantes occasionnelles remplissent ces conditions, d’autant que la convention collective leur reconnait un statut[46]. La question se limite de savoir si elles perdent ce statut de salariées à la fin de chaque remplacement. Après une analyse des circonstances de l’espèce[47], l’arbitre répond à cette question par la négative. Pour cela, elle prend en compte le maintien sur la liste de rappel et la régularité des remplacements avant et après le jour férié rendant les suppléantes occasionnelles susceptibles d’être rappelées. Cela suffit pour l’arbitre, eu égard à l’évolution des textes et à la volonté du législateur de s’adapter aux réalités du travail, afin d’assurer le maintien du statut de salarié. Je suis d’avis que cette décision respecte les contraintes factuelles et juridiques qui encadraient sa décision et que les arrêts invoqués par l’intimée n’y font pas obstacle.

[54]        D’abord, quant à l’arrêt Commission des écoles catholiques, rendu il y a plus de 20 ans, celui-ci porte sur la notion de service continu, laquelle n’est plus pertinente, comme le mentionne d’ailleurs l’arbitre[48], dans la détermination du droit à une indemnité pour jours fériés. Ce premier élément, à lui seul, relativise déjà l’autorité de cet arrêt. Mais plus encore, même si l’on tenait pour acquis que cet arrêt s’appliquait en l’espèce, celui-ci n’empêche pas l’arbitre de conclure que, selon les circonstances, des suppléantes occasionnelles maintiennent leur statut de salariées entre deux remplacements pour les fins de l’indemnité de jours fériés.

[55]        C’est ainsi que notre Cour, antérieurement à l’arrêt Commission des écoles catholiques, avait conclu que le lien d’emploi d’une remplaçante occasionnelle s’était maintenu même entre ses remplacements. Dans cet arrêt, la Cour écrit : « […] qu’au-delà de la durée déterminée des affectations […], il s’était établi entre [l’employée et le Syndicat] un lien d’emploi en vertu duquel la première offrait et l’autre comptait sur une disponibilité continue pour combler des besoins particuliers et, d’autre part, que ce vécu d’emploi justifiait l’employée de s’attendre à être rappelée au travail à échéance plus ou moins longue »[49]. Or, cet arrêt n’est pas écarté par notre Cour dans Commission des écoles catholiques, il y est simplement distingué. Depuis, plusieurs autres décisions[50] ont pu conclure qu’une succession de contrats à durée déterminée pouvait constituer un contrat à durée indéterminée, toujours selon les circonstances de chaque espèce.

[56]        L’on ne peut donc pas voir dans l’arrêt Commission des écoles catholiques un principe absolu et automatique selon lequel des suppléantes occasionnelles ou autres remplaçantes ne peuvent maintenir le statut de salariée entre deux contrats de remplacement. Il convient plutôt d’évaluer, selon les circonstances de chaque espèce, s’il y a maintien d’un lien d’emploi. Il ne s’agit donc pas pour moi d’un cas où l’arbitre « […] n’applique ou n’interprète pas une disposition législative en conformité avec un précédent contraignant »[51] puisque, pour l’arbitre, il n’y avait pas ici, contrairement à l’arrêt Commission des écoles catholiques, de rupture du lien d’emploi[52]. Dès lors, le juge réviseur se devait de faire preuve de déférence à l’égard de la conclusion de l’arbitre et de n’intervenir que « […] si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte »[53]. Je ne suis pas convaincu que c’est le cas en l’espèce, la seule critique quant aux critères retenus ne suffisant pas quant à moi.

[57]        Il n’y a pas, non plus, d’incompatibilité entre la décision de l’arbitre et les conclusions de la Cour suprême dans l’arrêt Dionne[54]. Dans cette affaire, celle-ci conclut qu’une enseignante suppléante peut bénéficier, dès la formation d’un contrat de remplacement, du retrait préventif en raison de sa grossesse aux termes de la LSST. Il n’était pas contesté dans cette affaire qu’il fallait un contrat de travail pour avoir droit au retrait. La question en litige devant la Cour suprême était plutôt « […] de savoir si un danger sur le lieu de travail fait obstacle à la formation du contrat au départ »[55].

[58]        Rien dans cet arrêt n’indique donc, qu’en l’espèce, l’arbitre ne pouvait pas arriver à la conclusion, eu égard aux textes législatifs et aux circonstances, que les suppléantes occasionnelles demeurent des salariées entre deux remplacements. En fait, non seulement l’arrêt Dionne ne s’oppose-t-il pas à la décision de l’arbitre, il peut même, en un certain sens, la conforter.

 

[59]        En effet, constatant que la LSST élargit la notion de contrat de travail en écartant la condition de rémunération prévue au Code civil du Québec, la Cour suprême note que le législateur « […] avait l’intention de rejoindre un ensemble de travailleurs beaucoup plus large que celui qui est visé par la notion « d’employé » dans le Code civil »[56]. Pour la Cour suprême, cela cadre parfaitement avec l’objectif de la LSST et son caractère d’ordre public en plus de se conformer avec l’esprit de la disposition préliminaire du C.c.Q. Ce raisonnement peut tout aussi bien s’appliquer ici et justifier la démarche adoptée par l’arbitre dans la détermination de l’existence d’un lien d’emploi aux fins des indemnités pour jours fériés.

[60]        Si les contraintes juridiques n’empêchaient pas la conclusion de l’arbitre, il en va de même des contraintes factuelles. Il ressort en effet du dossier que celle-ci pouvait raisonnablement conclure au maintien du statut de salariée. Les suppléantes occasionnelles faisant l’objet du grief sont toujours sur la liste de rappel lors d’un jour férié. Tant la convention collective nationale[57] que la convention collective locale[58] reconnaissent un statut concernant, notamment, le calcul de l’ancienneté ou le mode d’assignation[59]. De même, je le rappelle, il n’y avait pas de preuve au dossier, contrairement d’ailleurs à l’arrêt Commission Catholique[60], d’une rupture du lien d’emploi par la remise, par exemple, d’une fiche de cessation d’emploi[61].

[61]        Mais surtout, l’arbitre prend en compte « la régularité significative » des remplacements des SO faisant l’objet du grief et infère de ce fait que celles-ci sont susceptibles d’être rappelées[62]. Une telle démarche  peut se justifier dans l’optique d’une reconnaissance de la morphologie plurielle du lien d’emploi. Celui-ci ne peut pas toujours se résumer à une seule analyse formelle, mais peut faire appel à la réalité des faits[63].

[62]        Il découle de tout cela que la conclusion de l’arbitre quant au maintien du statut de salariée, parait raisonnable en l’espèce et que le juge réviseur ne pouvait l’écarter.

[63]        Reste la condition prévue à l’article 65 LNT, laquelle soumet le droit à l’indemnité pour jours fériés au fait que la salariée ne se soit pas absentée du travail « […] sans l’autorisation de l’employeur ou sans une raison valable, le jour ouvrable qui précède ou qui suit ce jour »[64]Rappelons que l’arbitre conclut, à propos de cette condition, que la notion de « jour ouvrable » doit s’interpréter en fonction de l’horaire de chaque salariée sans quoi le droit à l’indemnité relèverait pour partie du hasard du calendrier et exclurait de ce bénéfice « […] les salariés occasionnels, les surnuméraires, ceux sur appel voire même à temps partiel […] »[65], ce que voulait précisément éviter la réforme de 2003.

[64]        L’Employeur insiste beaucoup sur cet article en faisant valoir que l’interprétation retenue par l’arbitre neutralise pratiquement la condition qui y est prévue, la salariée pouvant n’avoir travaillé qu’à une reprise, 20 jours avant le jour férié, et ne plus jamais être rappelée ou être appelée que très tardivement par la suite et être tout de même admissible à une indemnité. C’est cet argument que retient d’ailleurs le juge de première instance lorsqu’il conclut, tel que déjà vu, que l’interprétation qu’il confère à la notion de salariée est plus conforme à l’article 65 LNT que celle de l’arbitre[66].

[65]        En écartant l’interprétation de l’arbitre, le juge réviseur recherche la solution correcte plutôt que de simplement s’assurer du caractère raisonnable de la décision. Bien qu’il soit permis de ne pas partager l’interprétation retenue par l’arbitre et bien que celle-ci puisse, dans certaines circonstances, soulever des difficultés d’application, elle n’est pas pour autant déraisonnable. À l’inverse, l’interprétation proposée par l’Employeur mène aussi à des résultats parfois contestables ou, à tout le moins, en porte à faux avec l’intention derrière la réforme de 2003, ce qui est un facteur pertinent, tel que déjà vu, dans la détermination du caractère raisonnable de la décision[67]. Ainsi, en retenant celle-ci, une suppléante occasionnelle qui aurait quotidiennement travaillé pendant la période des 20 jours précédant le jour férié, à l’exception de la veille de celui-ci et aurait recommencé le surlendemain, ne recevrait aucune indemnité. Ce résultat ne parait pas plus équitable ou raisonnable.

[66]        Il est vrai que, dans certains cas, le fait qu’une suppléante occasionnelle ait cessé ses remplacements antérieurement au jour férié et qu’elle n’ait plus été rappelée par la suite manifeste de la rupture complète et réelle du lien d’emploi et, de ce fait, de la perte du statut de salariée au moment du jour férié. Il n’est toutefois pas impossible d’identifier une telle hypothèse au moment du jour férié par une évaluation des circonstances, comme ce que fait en l’espèce l’arbitre.

[67]        Enfin, il importe de ne pas perdre de vue les conséquences pratiques de l’interprétation retenue par l’arbitre et les ramener, comme il se doit, à ce qu’elles sont réellement[68]. L’indemnité payable se calcule en fonction du travail effectué durant les 20 jours précédant le jour férié à raison de 1/20 par jour travaillé. La suppléante occasionnelle qui n’a travaillé qu’une journée, dans la mesure où l’on juge que son lien de travail n’est pas définitivement rompu, n’aurait par conséquent que 1/20 de son salaire du jour travaillé comme indemnité du jour férié.

CONCLUSIONS

[68]        Pour tous ces motifs, je suis d’avis que la décision est raisonnable en ce qu’elle est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et qu’elle est justifiée en regard des contraintes juridiques et factuelles du dossier. Le juge de première instance n’aurait donc pas dû intervenir et je propose d’accueillir l’appel avec les frais de justice. Toutefois, le Syndicat et l’Employeur conviennent que l’arbitre a commis des erreurs matérielles dans la détermination des indemnités dues et s’entendent pour que celles-ci lui soient déférées afin qu’elle amène les rectificatifs requis.

 

 

 

BENOÎT MOORE, J.C.A.

 



[1]     Commission scolaire Marie-Victorin c. St-Georges, 2018 QCCS 2107 [jugement entrepris].

[2]     Par souci de concision, j’utilise le féminin pour désigner les employés et employées de même que les salariés et les salariées puisque, dans le présent contexte, les cas choisis aux fins du grief sont ceux de deux femmes.

[3]     Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65; Bell Canada et Canada (Procureur général), 2019 CSC 66.

[4]     RLRQ, c. N-1.1.

[5]     RLRQ, c. F-1.1.

[6]     Les griefs ne visent pas les suppléantes qui font un remplacement de 20 jours consécutifs ou plus puisque celles-ci bénéficient des jours fériés prévus dans la convention collective selon l’article 6-7.03 D) de celle-ci.

[7]     Décision, paragr. 44.

[8]     Décision, paragr. 46 et s.

[9]     Commission des normes du travail c. Commission des écoles catholiques de Québec, J.E. 95-1527 (C.A.), D.T.E. 95T-887.

[10]    Décision, paragr. 61 et s.

[11]    Jugement entrepris, paragr. 28 à 31.

[12]    Commission des écoles catholiques, supra, note 9.

[13]    Jugement entrepris, paragr. 47.

[14]    2014 CSC 33.

[15]    RLRQ, c. S-2.1.

[16]    Jugement entrepris, paragr. 54.

[17]    Vavilov, supra, note 3.

[18]    Bell Canada, supra, note 3.

[19]    Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67.

[20]    Sur cette question, voir les commentaires des juges majoritaires dans Vavilov, supra, note 3, paragr. 144 et Société canadienne des postes, id., paragr. 24.

[21]    Voir notamment: Nor-Man Regional Health Authority Inc. c. Manitoba Association of Health Care Professionals, 2011 CSC 59, paragr. 31; Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29.

[22]    Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9.

[23]    Vavilov, supra, note 3, paragr. 17.

[24]    Vavilov, supra, note 3, paragr. 23 et s.

[25]    Vavilov, supra, note 3, paragr. 69.

[26]    Vavilov, supra, note 3, paragr. 70.

[27]    Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, paragr. 45.

[28]    Vavilov, supra, note 3, paragr. 100.

[29]    Vavilov, supra, note 3, paragr. 87; Société canadienne des postes, supra, note 19, paragr. 26 et 29.

[30]    Vavilov, supra, note 3, paragr. 83.

[31]    Vavilov, supra, note 3, paragr. 104.

[32]    Vavilov, supra, note 3, paragr. 101.

[33]    Vavilov, supra, note 3.

[34]    Jugement entrepris, paragr. 49.

[35]    Société canadienne des postes, supra, note 19, paragr. 140.

[36]    Décision arbitrale, paragr. 57.

[37]    Syndicat des chauffeures et chauffeurs de la Société de transport de Sherbrooke, section locale 3434 du SCFP c. Société de transport de Sherbrooke, 2010 QCCA 1599.

[38]    Les travaux parlementaires ayant mené à la réforme réfèrent à plusieurs reprises à cette volonté législative. Voir, par exemple, ces propos du ministre du Travail de l’époque : « Je voudrais aussi souligner que, pour corriger les disparités, si on s'en tient à ce qu'est le contenu de la Loi des normes du travail, les normes minimales actuellement, il y en avait un élément où vraiment il y avait une disparité qu'on corrige, c'est celle des jours fériés chômés et payés. Là, je pense qu'on peut dire au moins que l'ensemble des normes du travail va être applicable à tout le monde indépendamment [de] leur statut. » : Québec, Assemblée nationale, Commission de l’économie et du travail, « Consultations particulières sur le projet de loi no 143 - Loi modifiant la Loi sur les normes du travail et d’autres dispositions législatives » dans Journal des débats de la Commission de l’économie et du travail, 36e législature, 2e session, vol. 37, no 66, 5 décembre 2002, 16 h 00. [soulignement ajouté]

[39]    Décision arbitrale, paragr. 57.

[40]    Vavilov, supra, note 3, paragr. 115 et s.

[41]    Décision arbitrale, paragr. 50.

[42]    Vavilov, supra, note 3, paragr. 102.

[43]    Commission des écoles catholiques, supra, note 9.

[44]    Dionne c. Commission scolaire des Patriotes, 2014 CSC 33.

[45]    Article 1(10) LNT.

[46]    L’article 2-1.03 de la convention collective prévoit que s’appliquent à elles « les seules clauses où elles sont expressément désignées de même que la procédure de règlement des griefs pour ces clauses ».

[47]    Décision arbitrale, paragr. 50, « une régularité de travail significative » rendait les suppléantes occasionnelles susceptibles de rappel.

[48]    Décision arbitrale, paragr. 47-49.

[49]    Société d'électrolyse et de chimie Alcan ltée c. Commission des normes du travail, 1995 CanLII 5389 (QC CA).

[50]    Commission des normes du travail c. IEC Holden inc., 2014 QCCA 1538; Atwater Badminton and Squash Club Inc. c. Morgan, 2014 QCCA 998, paragr. 6 et suiv.; Perron c. Tribunal administratif du travail, 2019 QCCS 1265 [dans cette décision, qui n’a pas été portée en appel, le juge conclut qu’il était déraisonnable de conclure à la disparition du contrat de travail entre deux remplacements].

[51]    Vavilov, supra, note 3, paragr. 112.

[52]    Le juge de première instance note lui-même qu’il n’y a pas de preuve de rupture du lien de travail par la remise, par exemple, d’une fiche de cessation d’emploi : jugement entrepris, paragr. 34.

[53]    Vavilov, supra, note 3, paragr. 126.

[54]    Dionne, supra, note 44.

[55]    Dionne, supra, note 44, paragr. 35 [soulignement ajouté].

[56]    Dionne, supra, note 44, paragr. 37; Perron, supra, note 50.

[57]    Art. 5-2.04 sur le calcul de l’ancienneté.

[58]    Art. 5-1.14.05(a) sur l’évaluation; 8-7.11 l’assignation des occasionnels.

[59]    L’arbitre y réfère aux paragr. 6 à 10 de sa décision.

[60]    Commission des écoles catholiques, supra, note 9, p. 3 (L’employeur remettait un relevé d’emploi après chaque remplacement).

[61]    Jugement entrepris, paragr. 34.

[62]    Voir la décision arbitrale, paragr. 50 et 59.

[63]    Voir également : Michel Coutu, «Le non-renouvellement du contrat de travail à durée déterminée: évolution comparée du droit français et de la jurisprudence québécoise récente», (1986) 46 R. du B. 57.

[64]    Cette condition n’existe pas dans la LFN. Voir la décision arbitrale, paragr. 58.

[65]    Décision arbitrale, paragr. 57.

[66]    Jugement entrepris, paragr. 49.

[67]    Vavilov, supra, note 3, paragr. 115 et s.

[68]    Sur l’importance de ce facteur dans le cadre de la révision judiciaire, voir : Société canadienne des postes, supra, note 19, paragr. 55.

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