Décision

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Gabarit EDJ

Kohn c. Tidan inc.

2013 QCCS 693

JD-1879

 
COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-061236-108

 

 

 

 

 

DATE :

Le 12 février 2013

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

WILBROD CLAUDE DÉCARIE, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

DR. THOMAS KOHN

et

CTC HAIR TRANSPLANTATION CLINIC INTERNATIONAL INC.

et

DR. THOMAS KOHN MEDICAL SERVICES INC.

Demandeurs

c.

TIDAN INC.

Défenderesse

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JUGEMENT

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[1]           Les demandeurs louent de Tidan Inc. un local commercial à l’angle des rues Sherbrooke et Guy, côté sud-ouest. Dans ce local, le Dr. Thomas Kohn exerce sa pratique de chirurgien dermatologue et exploite une clinique de greffe de cheveux par le biais de la société CTC Hair Transplantation Clinic International Inc. Ils réclament à Tidan 616 547 $[1]. Ce montant représente les dommages qu’ils prétendent avoir subis à la suite d’une multitude d’infiltrations d’eau dans la clinique au fil des ans.

[2]           Tidan admet sa responsabilité. Elle conteste certains aspects des dommages réclamés. Selon elle, certaines périodes d’interruption des activités n’ont causé aucun dommage aux demandeurs puisqu’elles ont été planifiées en fonction des activités du Dr. Kohn.

    I.          CONTEXTE

[3]           Le Dr. Kohn est un éminent dermatologue pratiquant au centre-ville de Montréal. Il se spécialise en chirurgie micrographique selon la technique développée par le Dr. Frédéric E. Mohs dans les années 40. L'on peut compter sur les doigts de la main les spécialistes dans ce domaine au Québec. Outre sa pratique médicale, il est également seul actionnaire de CTC.

[4]           En 2006, après avoir exercé sa profession pendant 25 ans au Medical Arts Center, au coin sud-est des rues Sherbrooke et Guy, il décide de déménager de l'autre côté de la rue, dans un édifice qui appartient à l’un de ses patients. Ce changement lui permet d'avoir une plus grande surface de plancher ainsi qu'une plus grande visibilité de la rue.

[5]           Avant de prendre possession des lieux, Dr. Kohn investit 250 000 $ pour les aménager. Il construit une salle d'attente, une salle de réception, un bureau, un laboratoire, trois salles d'opération et trois salles de chirurgie au laser.

[6]           Depuis qu'il occupe les lieux, il a dû subir pas moins de 80 épisodes d'infiltrations d'eau dans les lieux loués, lesquels sont répertoriés à la pièce P-2. Comme le montre le tableau de la page 25 de ce document, la plupart de ces fuites touchent la salle d'opération # 2. L'humidité causée par ces infiltrations a bien sûr amené des problèmes de moisissures. Comble de malheur, lors de travaux de réparation l’on découvre également la présence d'amiante à deux reprises. Une décontamination des lieux est donc nécessaire.

[7]           Tous ces problèmes ont fait en sorte que Dr. Kohn a dû débourser et avoir recours à HSST Conseils inc., une société qui se spécialise en hygiène industrielle, pour le conseiller. Au cours de la période comprise entre 2008 et 2012, il a versé à HSST 97 938 $ en honoraires professionnelles. Cette portion de sa réclamation n'est pas contestée. Il en va de même pour le montant de 3 913 $ payé pour la location ou la réparation d'équipements.

[8]           Au cours de la même période, Dr. Kohn doit fermer sa clinique à 78 reprises pour que les inspections et les travaux requis soient effectués. Il réclame donc 517 683 $ pour perte de revenus d’entreprise.

   II.          QUESTION EN LITIGE

[9]           Tidan ne conteste pas la perte de revenus quotidienne calculée par le comptable du Dr. Kohn. La seule question en litige est de déterminer si effectivement le Dr. Kohn a subi un dommage à chaque occasion (78 fois) où il a dû fermer sa clinique?

    III.       DISCUSSION

[10]        La méthode de calcul des dommages proposée par le Dr. Kohn a le mérite d'être simple à comprendre mais elle est purement théorique et ne tient pas compte de la réalité.

[11]        Le Dr. Kohn témoigne qu'il exerce une spécialité qui est très recherchée où l'expertise se fait rare. Il pourrait travailler 365 jours par année s'il en avait la force. Le travail ne manque pas.

[12]        Il mentionne également qu’en plus des fins de semaine, il ne se présente pas à la clinique douze semaines par année. Il prend une semaine de vacances, six semaines avec son fils, deux semaines de congés statutaires et trois semaines pour assister à des séminaires de formation (activités non professionnelles). Comme il n’est pas au travail 164 jours, il exerce donc des activités professionnelles 201 jours par année. C'est ce chiffre qui sert de pierre d’assise à sa réclamation. Partant de cette donnée, il soustrait de ce chiffre le nombre de jours où la clinique a été fermée durant l'année, à la suite d’infiltrations d’eau ou pour cause de rénovation, et ensuite multiplie le résultat obtenu par son revenu quotidien estimé pour cette année-là.

[13]        À titre d'exemple, pour l'année 2008, la clinique ayant été fermée 35 jours, il réclame 237 195 $ de pertes de revenus (35 X 6 777$).

[14]        En défense, l'expert comptable explique que cette réclamation n'est pas justifiée d'un point de vue comptable. Son analyse des revenus du Dr. Kohn, provenant de la RAMQ et de CTC, ne montre pas, selon lui, de perte de revenus.

[15]        À titre d’exemple, les honoraires provenant de la RAMQ perçus par le Dr. Kohn aux mois de septembre et octobre 2007 s’élèvent à 33 061 $. En comparaison, les revenus générés pour la même période en 2008 s'élèvent à 51 836 $ (Voir annexe D de la pièce D-5). Pourtant, durant cette période, la clinique a été fermée 21 jours soit du 24 septembre au 22 octobre.

[16]        Il en va de même pour ce qui est des revenus de CTC. Pour les mois de septembre, octobre et novembre 2007, les revenus s'élèvent à 175 081 $ alors qu'ils sont de 184 988 $ pour la même période en 2008.

[17]        De l’avis du Tribunal, si la clinique est fermée de façon impromptue pendant 21 jours, il est impensable que cet arrêt temporaire n’ait pas de répercussion sur les revenus. Si les revenus de 2007 et de 2008 se comparent, l’on peut facilement imaginer qu’ils auraient été beaucoup plus élevés en 2008 qu’en 2007 si la clinique n’avait pas eu à fermer ses portes durant 21 jours.

[18]        Si les revenus du Dr. Kohn pour cette période sont similaires en 2007 et 2008 c’est peut-être parce que celui-ci a fermé sa clinique en 2007 pour une période équivalente à celle de 2008 pour vaquer à des occupations non professionnelles.

[19]        De l'avis du Tribunal, la solution du présent litige passe par l'obligation du demandeur de démontrer, selon la balance des probabilités, la perte subie ainsi que par son obligation de mitiger ses dommages.

[20]        Le Tribunal est d'accord avec les prétentions du Dr. Kohn à l'effet qu'il doit être compensé pour toute fermeture d'urgence de sa clinique. Tidan est également d'accord avec ce principe et c'est pourquoi elle accepte de compenser le Dr. Kohn pour les fermetures survenues les 24 et 25 janvier, le 8 février 2008, les 5 et 6 janvier, les 12 et 13 février, les 18 et 19 mars, le 9 avril 2009, les 13 et 14 janvier, 29 et 30 avril 2010 et les 13 et 14 janvier 2011.

[21]        Par contre, pour ce qui est des autres périodes d’interruption des affaires, Tidan soumet qu’il ne s’agit pas de fermeture d’urgence, mais bien d’arrêts temporaires planifiés à l’avance par le Dr. Kohn afin de faire coïncider ces interruptions avec des activités non professionnelles. À tout le moins, il avait l’obligation d’agir ainsi afin de minimiser ses dommages.

[22]        C’est au Dr. Kohn que revient l’obligation de prouver la perte des revenus qu’il réclame. De l’avis du Tribunal, il devait démontrer, pour chacune des périodes concernées, que la fermeture de la clinique s’est faite à contretemps. Il ne peut se contenter de dire, comme il le fait, je prends douze semaines par année pour mes activités non professionnelles et aucune de ces semaines ne peut coïncider avec la fermeture de la clinique pour fin de réparation.

[23]        On ne peut avoir le beurre et l’argent du beurre.

[24]        Le Tribunal estime que le Dr. Kohn avait l'obligation, lorsque cela était possible, de planifier la fermeture de sa clinique pour l'exécution des travaux en fonction de ses activités non professionnelles dans le but de minimiser ses dommages. Agir autrement a pour effet de maximiser ses dommages, ce qui va à l'encontre de son obligation.

[25]        Le Dr. Kohn affirme que toutes les interruptions d’affaires résultent d’une situation urgente puisqu’il est inacceptable de tolérer des moisissures dans une clinique médicale. Pourtant la preuve démontre que la clinique ne fermait pas automatiquement ses portes lorsque l'on découvrait des moisissures. Elle pouvait continuer à opérer à l'aide de filtres spécialisés.

[26]        À la lumière de cette obligation de minimiser ses dommages, examinons chacune des périodes contestées pour déterminer s’il y avait urgence ou pas.

[27]        Durant la période comprise entre le 11 et le 15 février 2008, comme pour toutes les autres d’ailleurs, on ne sait pas ce que le Dr. Kohn a fait. Il se contente d’une affirmation vague à l’effet qu’il était disponible pour l’Hôpital Mont-Sinaï et l’Hôpital Général Juif. De plus, le Dr. Kohn n’a pas produit l’horaire de ses activités non professionnelles pour les années visées. Cela aurait permis au Tribunal de constater que lors des fermetures le Dr. Kohn ne prenait pas une semaine de vacances avec son fils ou n’assistait pas à un séminaire de formation.

[28]        Comme il n’y a pas de fuites d’eau entre le 25 janvier et le 11 février, l’on ne peut conclure à la présence d’une situation d’urgence qui nécessitait la fermeture de la clinique le 11 février. Elle a donc fort probablement été planifiée par le Dr. Kohn afin de minimiser son impact sur ses revenus.

[29]        À cet égard, le Tribunal retient les témoignages d'Anna Sicoli et de Carmello Mazzu qui ont affirmé que toutes les fermetures prolongées ont été planifiées à l'avance avec le Dr Kohn. La clinique fermait aux dates qu'ils choisissaient.

[30]        Il est intéressant de noter que cette période de l’année, la mi-février, semble être l'une des périodes qu'affectionne particulièrement le Dr. Kohn puisqu'il a fermé sa clinique également du 15 au 23 février 2007, du 11 au 15 février 2008 et du 14 au 19 février 2011.

[31]        Le Tribunal considère que le Dr. Kohn n'a pas réussi à démontrer qu'il a subi une perte de revenus durant cette période et ce n'est pas l'exercice hautement mathématique et théorique de son comptable qui permet de faire cette démonstration.

[32]        Pour la période de trois jours des 12, 13 et 14 mars, encore une fois le Dr. Kohn n'a pas démontré que la clinique a été fermée d'urgence et sans planification. En effet, il n'y a eu aucune infiltration d’eau entre le 15 février et le 12 mars.

[33]        Pour ce qui est de la fermeture de 21 jours, du 24 septembre au 22 octobre, elle a été en partie planifiée. En effet, les parties s'étaient entendues, le 22 juillet (P-6), pour débuter les travaux le 22 septembre pour une durée d'une semaine.

[34]        Lors de l'exécution des travaux l'on découvre de l'amiante et des travaux de décontamination sont entrepris. La découverte de l'amiante était imprévisible et la clinique a dû être fermée plus longtemps que ce qui avait été prévu. Le Tribunal estime que le Dr. Kohn a démontré que cette interruption d’affaires, plus longue que prévue à l’origine, lui a occasionné des pertes de revenus et le Tribunal comptabilisera 16 jours et non 21.

[35]        Pour ce qui est de la fermeture de la clinique les 5, 6 et 7 novembre pour évaluer la quantité de particules d'amiante dans l'air, Tidan se contente de plaider que l'on ne ferme pas une clinique pour effectuer des tests sur la qualité de l'air. Le Tribunal n'est pas du même avis surtout si les tests s'échelonnent sur une période de trois jours. Par contre, rien ne permet de conclure qu'il y avait une situation d'urgence qui obligeait le Dr. Kohn à fermer sa clinique à ces dates précises. Il faut donc présumer que, comme toute personne raisonnable l’aurait fait dans les mêmes circonstances, il a planifié cette fermeture afin qu’elle coïncide avec des activités non professionnelles.

[36]        Pour ce qui est de la période du 14 au 25 septembre 2009, encore là, il s'agit de travaux planifiés par le Dr. Kohn et non d'une situation d'urgence. Il est aussi intéressant de noter qu'il choisit encore une fois le début du mois de septembre pour effectuer les travaux. Comme il s'agit de travaux planifiés à l'avance, il n'y a pas lieu d'accorder quelque montant que ce soit étant donné, faut-il le répéter, son obligation de mitiger ses dommages.

[37]        Pour ce qui est de la période comprise entre le 20 et le 24 décembre, l'on ne peut la considérer car la pièce P-2 ne mentionne pas que la clinique ait été fermée durant cette période.

[38]        Pour ce qui est de la période du 1er, 2 et 3 septembre 2010, le Tribunal est d'avis que les travaux ont dû être exécutés d’urgence à la suite des fuites d'eau des 23 et 26 août. Le Tribunal accorde donc trois jours de perte de revenus.

[39]        Pour ce qui est de la période du 14 au 19 février 2011, pour les mêmes raisons que celles énoncées pour la période du 11 au 15 février 2008, le Tribunal est d'avis qu'il s'agissait d'une fermeture planifiée par le Dr. Kohn et que l'on doit présumer qu'il a choisi une période qui ne lui causait pas de dommages conformément à ses obligations de minimiser ses dommages.

[40]        Finalement, pour ce qui est des réclamations pour les fermetures des 20 et 21 octobre et du 2 novembre, la pièce P-2 ne fait aucune mention d'une fermeture de la clinique à ces dates.

[41]        La position adoptée par le Dr. Kohn ressemble quelque peu à celle d'un individu qui sait, au mois de mai, qu'il doit effectuer des travaux de réparation d'une durée d'un mois dans sa clinique. Comme il prend toujours les mois de juillet et août de vacances, il choisit de ne rien changer à ses habitudes. Il planifie les travaux pour le mois de septembre et prend ses vacances estivales. Pourrait-il alors réclamer à son propriétaire la perte des revenus pour tout le mois de septembre? Le Tribunal ne le croit pas. Son obligation de mitiger ses dommages lui impose l’obligation de faire exécuter les travaux en juillet ou août alors qu'il n'est pas là. C'est ce que devait faire le Dr. Kohn pour tous les travaux qu'il pouvait planifier.

[42]        En conclusion, avec les sommes admises par Tidan, le Dr. Kohn a droit aux compensations suivantes :

a)     remboursement des honoraires payés à HSST : 97 938 $;

b)     remboursement de frais de location 3 913 $;

c)      19 jours de perte de revenus pour l'année 2008 à raison de 6 777 $ par jour : 128 763 $;

d)     7 jours de perte de revenus pour l'année 2009 à raison de 6 385 $ par jour : 44 695 $;

e)     7 jours de perte de revenus pour l'année 2010 à raison de 6 697 $ par jour : 46 879 $;

f)       2 jours de perte de revenus pour l'année 2011, à raison de 6 637 $ par jour : 13 274 $.

POUR CES RAISONS, LE TRIBUNAL :

[43]        ACCUEILLE pour partie la requête introductive d'instance amendée;

[44]        CONDAMNE la défenderesse à payer aux demandeurs la somme de 335 462 $, le tout avec intérêt au taux légal et l'indemnité additionnelle depuis l'assignation;

[45]        LE TOUT avec dépens.

 

 

__________________________________

            Wilbrod Claude Décarie, j.c.s.

 

Michael Earl Heller

HELLER & ASSOCIÉS

Procureur des demandeurs

 

Me Jean-François Lamoureux

Me Safa Zawahreh

ROBINSON SHEPPARD SHAPIRO

Procureurs de la défenderesse

 

Date d’audience :

Du 24 au 28 janvier 2013

 



[1] Pièce P-16 A.

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