Laval Construction inc. et Québec (Ville de) |
2009 QCCLP 6592 |
______________________________________________________________________
______________________________________________________________________
[1] Le 20 février 2009, Laval Construction inc. (l’employeur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste la décision rendue en révision administrative par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 27 janvier 2009.
[2] Par cette décision, la CSST rejette la demande de révision de l’employeur, confirme sa décision initiale et détermine qu’il n’y a pas lieu de transférer les coûts reliés à la lésion professionnelle subie par monsieur André Devost (le travailleur) le 18 août 2006.
[3] L’audience s’est tenue à Québec le 18 septembre 2009 en présence de la représentante de l’employeur, du procureur de l’employeur, de la représentante de la Ville de Québec et du procureur de la Ville de Québec.
[4] La cause a été mise en délibéré le 18 septembre 2009.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de transférer les coûts liés à la lésion professionnelle du 18 août 2006 à l’unité à laquelle la Ville de Québec appartient ou, de manière subsidiaire, à l’ensemble des unités.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la décision contestée est bien fondée.
[7] L’employeur prend appui sur l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001.) (la loi) qui se lit comme suit :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
__________
1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[8] La demande de transfert d’imputation a été présentée dans le délai imparti.
[9] Pour une meilleure compréhension du litige, il convient d’abord de faire état des circonstances entourant le décès du travailleur survenu le 18 août 2006.
[10] Le travailleur est cimentier-applicateur. Il a 30 ans d’expérience dans ce métier. Il travaille depuis 15 ans chez l’employeur qui opère une entreprise d’érection ou de réfection de routes, de bordures et de trottoirs.
[11] En 2006, l’employeur présente une soumission à la Ville de Québec en réponse à son appel d’offres pour procéder à la réfection de trottoirs et de bordures situés dans l’arrondissement de Charlesbourg.
[12] Selon l’admission des parties à l’audience, la Ville de Québec exige un espacement maximal de 3 mm entre deux bordures préfabriquées, c’est-à-dire non coulées en place.
[13] Au moment de l’accident mortel, le travailleur opère une scie à béton munie d’une lame dont le diamètre est de 35,6 cm et l’épaisseur de 3 mm. Il fait partie des tâches courantes du travailleur d’utiliser un tel outil.
[14] Les travaux d’installation des nouvelles bordures en sont alors arrivés au stade où il ne reste qu’un seul bloc à mettre en place. Le travailleur mesure l’espace à combler et procède à la coupe sur le bloc qui repose sur le pavé. Le bloc est ensuite soulevé à l’aide d’un appareil de levage pour être installé.
[15] Le travailleur constate que le bloc ne s’insère pas correctement dans l’espace qui lui est destiné : il est serré entre les blocs déjà installés, mais il ne repose pas sur les briques qui servent d’appui de nivellement. L’imperfection de la coupe est sans doute minime.
[16] Le travailleur décide alors de procéder à une nouvelle coupe du bloc en le laissant dans la position où il se trouve. Alors qu’il procède à la coupe, la lame de la scie est coincée, la scie se cabre et le travailleur est blessé mortellement.
[17] La CSST a procédé à une enquête soignée et sérieuse quant aux circonstances de l’accident. Elle a en plus recouru aux services de deux experts, messieurs Luc Lafrenière et Jean Ruel, ingénieurs. Les rapports produits par ces deux experts sont joints en annexe au rapport d’intervention des inspecteurs de la CSST.
[18] Les constatations et conclusions des inspecteurs de la CSST ne sont pas contestées. Seule leur application à la question en litige est débattue par les parties.
[19] Ainsi, la preuve démontre que la méthode de travail utilisée par le travailleur, soit l’usage de la partie frontale de la lame, a permis son coincement et le cabrage subséquent de l’outil. Selon les données disponibles, la violence de cabrage est telle qu’il est impossible de retenir l’outil.
[20] Le fabricant de l’outil n’offre aucun moyen technique permettant l’arrêt du mouvement de la lame ou protégeant l’accès à la lame en cas de cabrage de l’outil. Il prévient les utilisateurs du danger de mort associé à l’usage du corps supérieur (la partie frontale) de la lame. Sa mise en garde est on ne peut plus explicite :
« Toujours s'attendre à ce que, par suite d’un déplacement de l’objet à découper ou pour une autre raison quelconque, la coupe se resserre et coince le disque. Fixer solidement l’objet à découper ou le caler de telle sorte que la coupe reste bien ouverte au cours du travail et à la fin du découpage. »
[21] Selon la lettre de madame Anne-Marie Gravel, représentante de l’employeur, le travailleur ne pouvait qu’utiliser le corps supérieur de la lame, compte tenu du dégagement de la lame qui n’est que de quatre pouces et de la hauteur de la bordure à découper qui atteint 300 mm (ou 12 pouces). Cette allégation n’est pas contredite.
[22] Monsieur Lafrenière, ingénieur, conclut que le phénomène de cabrage a été causé par un glissement inattendu du bloc placé en serre entre les blocs adjacents. Le tribunal n’a aucune raison de mettre en doute la valeur et la justesse de cette conclusion.
[23] Par ailleurs, il est en preuve que l’employeur était confronté pour la première fois à l’exigence d’un espacement maximal de 3 mm entre les bordures préfabriquées. Selon la preuve non contredite, d’autres donneurs d’ouvrage tolèrent un espacement maximal de 10 mm.
[24] Selon le témoignage de monsieur Simon Gravel, il est possible de pré-scier de manière sécuritaire chacun des blocs à installer lorsque l’espacement permis est de 10 mm. Lorsque l’espacement toléré est réduit à 3 mm, il affirme qu’il faut nécessairement scier la dernière bordure en place, après l’avoir installée à la serre entre les autres blocs déjà installés. Le témoignage de monsieur Gravel n’est pas contredit.
[25] Le tribunal comprend que les bordures préfabriquées peuvent généralement être coupées de façon sécuritaire, c'est-à-dire en les déposant sur une surface plane et en les calant de manière à ce qu’elles ne risquent pas de se déplacer, que l’espacement soit de 10 mm ou de 3 mm.
[26] Les erreurs de mesurage ou de coupe sont sans conséquence jusqu’au moment où il faut installer la toute dernière bordure. À cette étape, il n’est plus possible de récupérer une erreur au moment de l’installation. Dans ce contexte, l’espacement toléré fait toute la différence quant à la sécurité de la méthode de travail susceptible d’être utilisée.
[27] Lorsque l’espacement toléré est de 10 mm au maximum, la marge d’erreur disponible permet de scier de façon sécuritaire et d’insérer le dernier bloc en place. Lorsque l’espacement maximal permis est de 3 mm, la marge d’erreur est nulle vu l’épaisseur de la lame.
[28] On ne peut réalistement s’attendre à ce qu’il n’y ait aucune erreur, la plus infime soit-elle, dans le mesurage ou la pré-coupe de la dernière bordure, compte tenu des matériaux en cause et des outils utilisés pour les tailler. L’exigence d’une extrême précision, sans marge d’erreur utile, relève de l’utopie. On ne peut pas davantage s’attendre à ce qu’une deuxième coupe, faite sur le pavé, soit précise au point de respecter l’espacement exigé. En rectifiant la coupe sur la bordure en place, le travailleur escomptait probablement que le trait de scie correctement dirigé correspondrait exactement, vu l’épaisseur de la lame, à l’espacement maximal toléré. Il pouvait difficilement y arriver autrement, sous peine de recommencer le travail. Selon la preuve non contredite en effet, les surveillants vérifiaient la conformité des travaux en insérant une feuille de papier dans l’espacement et la Ville de Québec refusait de payer les travaux au moindre manquement.
[29] À la suite de l’enquête, la CSST interdit à l’employeur de procéder à la coupe en place des bordures préfabriquées.
[30] Le 13 octobre 2006, la CSST ordonne à la Ville de Québec de procéder à des modifications à ses devis, de manière à ce que l’espacement toléré entre les bordures soit de 10 mm. Le tribunal ne retient pas la prétention du procureur de la Ville de Québec selon laquelle il ne s'agit que d’une recommandation.
[31] Le titre du document est « Avis de correction ». Il enjoint explicitement la Ville de Québec à apporter des corrections à ses pratiques et il fait état de dérogations à la Loi sur la santé et la sécurité du travail (L.R.Q., c. S-2.1) (la LSST). Le document possède tous les attributs de l’avis de correction visé à l’article 182 de la LSST :
182. L'inspecteur peut, s'il l'estime opportun, émettre un avis de correction enjoignant une personne de se conformer à la présente loi ou aux règlements et fixer un délai pour y parvenir.
__________
1979, c. 63, a. 182.
[32] Ni l’employeur ni la Ville de Québec n’ont contesté l’avis de correction que la CSST leur a adressé.
[33] Le procureur de la Ville de Québec argumente que l’employeur était libre de choisir ses méthodes de travail et qu’il avait la responsabilité de veiller à la sécurité de ses travailleurs.
[34] De l’avis du tribunal, cet argument est théorique, puisqu’il s’avère qu’en réalité, l’employeur n’avait aucun choix de la méthode de travail s’il voulait satisfaire aux exigences de la Ville de Québec.
[35] Le procureur de la Ville de Québec rétorque que si les travaux paraissaient impossibles à réaliser de façon sécuritaire, l'employeur n’avait qu’à s’opposer au devis ou à ne pas déposer sa soumission.
[36] Le tribunal ne retient pas cet argument. Selon la preuve, un espacement de 10 mm satisfait d’autres donneurs d’ouvrages semblables. De plus, l’exigence de la Ville de Québec conduit en pratique à imposer le recours à une méthode de travail dangereuse. Et finalement, aucune tentative de justification de l’exigence d’un espacement maximal de 3 mm n’a été présentée. Dans le contexte, la Ville de Québec ne peut se délester de la responsabilité qui lui incombe d’avoir imposé cette exigence. Il est bien connu que les contrats de travaux publics sont des contrats d’adhésion. La possibilité qu’aurait eue l’employeur de s’opposer aux devis n’est que théorique.
[37] Ce qui nous amène à la deuxième portion de l’argument, soit que l’employeur n’avait qu’à ne pas déposer une soumission pour les travaux. De l’avis du tribunal, on ne peut reprocher en principe à une entreprise de faire le nécessaire pour continuer d’être en affaires et générer des revenus. De plus, comme il s’agissait pour l’employeur d’une première expérience de réalisation de travaux comportant pareille exigence, le tribunal ne peut conclure, en l’absence de la moindre preuve à cet effet, que l’employeur a déposé sa soumission en sachant à l’avance qu’il lui faudrait exposer ses travailleurs à une méthode de travail dangereuse.
[38] Il s’avère que les travaux ont été réalisés sans incident jusqu’au moment où, par suite d’un pré-sciage imparfait, le dernier bloc de bordure n’a pu être inséré jusqu’au fond de l’emplacement qui lui était destiné, ce qui a entraîné la nécessité d’effectuer un autre trait de scie en place, avec les conséquences que l’on connaît.
[39] En somme, la soussignée retient que :
- la causa causans de l’accident du travail est le contact entre la lame de la scie à béton et le corps du travailleur;
- les causa proxima de l’accident sont que le travailleur a dû utiliser la partie frontale de la lame et que le bloc s’est déplacé pendant la coupe, ce qui a provoqué le cabrage subséquent de l’outil;
- la causa sine qua non de l'accident est l’exigence non justifiée de la Ville de Québec quant à l’espacement maximal de 3 mm entre les bordures préfabriquées. Si la Ville de Québec n’avait pas eu cette exigence, tous les blocs auraient pu être sciés de façon sécuritaire, c'est-à-dire sur le pavé et correctement calés.
[40] C’est à la lumière des faits retenus précédemment qu’il convient de déterminer si, en vertu de l’article 326 paragraphe 2 de la loi, il y a lieu de transférer les coûts reliés à la lésion professionnelle aux employeurs d’une, de plusieurs ou de toutes les unités.
[41] Dans l’affaire ministère des Transports et CSST[1], une formation de 3 commissaires a revu l’ensemble de la jurisprudence développée sur la question et retenu les principes suivants :
Ø Il appartient à celui qui réclame le bénéfice de l’article 326 alinéa 2 de la loi de faire la preuve des faits lui donnant ouverture (paragraphe [231]) soit :
ê Qu’il y a eu accident de travail (paragraphe [233]);
ê Que l’accident est attribuable à un tiers, ce qui ne signifie pas que l’employeur soit exempt de la moindre contribution à son arrivée. L’accident doit être jugé attribuable à la personne dont les agissements ou les omissions s’avèrent être, parmi toutes les causes identifiables de l’accident, ceux qui ont contribué non seulement de façon significative, mais plutôt de façon majoritaire à sa survenue, c’est-à-dire dans une proportion supérieure à 50 %. Rien ne s’objecte à ce que les apports combinés de plusieurs personnes équivalent à celui d’une seule, dans la mesure où ensemble ceux-ci on fait en sorte que l’accident se produise. (paragraphes [240], [241] et [243]);
Un « tiers » au sens de l’article 326 de la loi est toute personne autre que le travailleur lésé, son employeur et les autres travailleurs exécutant un travail pour ce dernier (paragraphe [271]);
ê Que l’imputation à l’employeur est injuste. Plusieurs facteurs peuvent être considérés en vue de déterminer si tel est le cas, soit :
o les risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur, les premiers s’appréciant en regard du risque assuré alors que les secondes doivent être considérées, en autres, à la lumière de la description de l’unité de classification à laquelle il appartient;
o les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, par exemple, les cas de guet-apens, de pièges, d’actes criminels ou autres contraventions à une règle législative, réglementaire ou de l’art;
o les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi (paragraphe [339]);
Selon l’espèce, un seul ou plusieurs de ces critères seront applicables. Les faits particuliers à chaque cas détermineront la pertinence ainsi que l’importance relative de chacun (paragraphes [339] et [340].
[42] En l’espèce, le travailleur est décédé à la suite d’un accident du travail. Le premier élément permettant le transfert des coûts est établi.
[43] Par ailleurs, la Ville de Québec est un tiers au sens de l’article 326 de la loi, puisqu’elle n’est ni le travailleur décédé, ni son employeur, ni un travailleur exécutant un travail pour l’employeur.
[44] Sur la question de savoir si l’accident est attribuable au tiers, l’analyse suivante est proposée dans l'affaire ministère des Transports[2] précitée :
« […]
[235] Le choix du mot « attribuable » atteste de la volonté législative arrêtée de s’écarter des principes de droit civil auxquels l’usage du terme « responsable » aurait immanquablement renvoyé, pour ne s’en tenir qu’aux événements comme tels - plutôt qu’à des règles de droit - ce qui constitue un concept plus idoine à cette loi où « les droits conférés le sont sans égard à la responsabilité de quiconque » (article 25).
[236] Dans l’arrêt Béliveau St-Jacques186, la Cour Suprême du Canada a en effet reconnu dans cet « abandon de la faute civile » l’un des principes fondamentaux de la loi.
[237] C’est donc à la lumière du contexte factuel particulier de l’accident en cause qu’il convient de déterminer à qui ou à quoi il est « attribuable », à qui ou à quoi il est dû187.
[238] Il arrive fréquemment qu’un accident ne relève pas d’une cause unique et qu’il soit en réalité le fruit d’une conjoncture à laquelle plusieurs facteurs, sinon plusieurs intervenants, ont participé. Il se peut même que l’employeur ait contribué à l’accident. Cela le priverait-il automatiquement du droit à réclamer le remède que le deuxième alinéa de l’article 326 prévoit ?
[239] La jurisprudence élaborée par la Commission des lésions professionnelles répond par la négative.
[240] Ce que l’article 326 de la loi exige en effet, c’est que l’accident soit attribuable à un tiers188, non pas que l’employeur soit exempt de la moindre contribution à son arrivée.
[241] D’où la règle voulant que l’accident est attribuable à la personne dont les agissements ou les omissions s’avèrent être, parmi toutes les causes identifiables de l’accident, celles qui ont contribué non seulement de façon significative, mais plutôt de façon « majoritaire »189 à sa survenue, c’est-à-dire dans une proportion supérieure à 50 %190. Les soussignés endossent cette interprétation retenue de longue date par la CALP et la Commission des lésions professionnelles.
[242] En somme, l’accident est attribuable à quiconque s’en trouve être le principal auteur191 pour avoir joué un rôle déterminant dans les circonstances qui l’ont provoqué.
[243] Rien ne s’objecte à ce que pour les fins de l’application de la règle, les apports combinés de plusieurs personnes équivaillent à celui d’une seule, dans la mesure où ensemble ceux-ci ont fait en sorte que l’accident se produise.
[244] Rien, non plus, n’interdit de conclure que l’accident est attribuable à une ou plusieurs personnes dont l’identité n’a pu être établie192, en autant que le prochain élément de la condition préalable soit démontré, c’est-à-dire qu’il s’agit bel et bien de tiers.
[…] »
________
186 Louisette Béliveau-St-Jacques c. La Fédération des employées et employés de services publics inc. (CSM), [1996] 2 RCS 345
187 Provigo (Division Maxi Nouveau Concept), [2000] C.L.P. 321 ; Liquidation Choc, 122642 -04B -9908, 16 mars 2000, C. Racine; PLM électrique inc. et Ville de Lachine, 182618 -71-0204, 21novembre 2002, L. Couture
188 Restaurant Chez Trudeau inc. et Foyer Général inc., 192626-62B-0210, 7 avril 2003, M. -D. Lampron, (03LP-15)
189 Équipement Germain inc. et Excavations Bourgoin & Dickner inc., 36997-03-9203, 30 septembre 1994, J.-G. Roy, (J6-21-05); Protection Incendie Viking ltée et Prairie, 51128-60-9305, 2 février 1995, J.-C. Danis, révision rejetée, 15 novembre 1995, N. Lacroix; General Motors du Canada ltée et CSST, [1996] C.A.L.P. 866 , révision rejetée, 50690-60-9304, 20 mars 1997, É. Harvey; Northern Telecom Canada ltée et CSST, [1996] C.A.L.P. 1239 ; A. Lamothe 1991 inc. et Macameau, [1998] C.L.P. 487 ; Agence de personnel L. Paquin inc. et Santragest inc., 126248 -62A-9911, 1er mai 2000, N. Lacroix; Sécurité Kolossal inc. et Agence métropolitaine de transport, 100174-72-9804, 26 mai 2000, Marie Lamarre; Société immobilière du Québec et Centre jeunesse Montréal, 134526-71-0003, 23 octobre 2000, C. Racine ; Hôpital Sacré-Coeur de Montréal et CSST, 134249-61-0003, 29 novembre 2000, G. Morin
190 CSST et Les Industries Davie inc., 95042-03B-9803, 18 février 1999, P. Brazeau ; Hydro-Québec et CSST, 118465-01A-9906, 14 avril 2000, Y. Vigneault
191 Société immobilière du Québec et Centre Jeunesse de Montréal, [2000] C.L.P. 582 ; Les Coffrages CCC inc. et Terramex inc., 294890-63-0607, 19 mars 2007, M. Juteau
192 Laiterie Dallaire et Zavodnik, 35021-08-9112 et autres, 10 novembre 1992, L. McCutcheon; Centre jeunesse de Montréal et CSST, 218751-63-0310, 16 décembre 2004, F. Dion-Drapeau ; Paul-Henri Truchon & Fils inc., 288532-64-0605, 7 septembre 2006, J.-F. Martel ; Services Ultramar inc., [2007] QCCLP 344 ; Centre d'hébergement Champlain-Limoilou, 289124-31-0605, 23 mars 2007, J.-L. Rivard, révision rejetée, 12 octobre 2007, A. Suicco
(Nos soulignements)
[45] Pour évaluer ainsi qu’il se doit la participation des différentes causes identifiables à la survenance de l’accident et pour évaluer si l’accident du travail est majoritairement attribuable à un tiers selon les termes de l’article 326 de la loi, la soussignée a recouru à certains concepts utilisés en matière de responsabilité civile.
[46] Cette analyse et cet exercice ne visent qu’à statuer sur l’application de l’article 326 de la loi et non pas à déterminer si la responsabilité civile de l’un ou l’autre des acteurs est engagée.
[47] En l’espèce, bien que la scie soit la causa causans de l’accident du travail, l’accident du travail ne peut être considéré comme majoritairement attribuable au manufacturier de l’outil. Selon la preuve non contredite, l’outil n’était aucunement défectueux et les mises en garde contre les dangers de l’outil étaient suffisantes.
[48] La cause plus éloignée de l’accident est le fait que le travailleur et l’employeur ont recouru à une méthode dangereuse. De l’avis de la soussignée, il ne s’agit cependant pas de la cause majoritaire de la survenance de l’accident du travail. En effet, la méthode de travail dangereuse n’a pas été utilisée tant et aussi longtemps qu’il a été possible de faire autrement pour rencontrer les exigences de la Ville de Québec à propos de l’espacement entre deux bordures préfabriquées. Au moment de l’installation de la toute dernière bordure entre les bordures existantes, ni le travailleur ni l’employeur ne pouvaient plus recourir à une méthode de travail sécuritaire sans risquer de devoir recommencer les travaux.
[49] De l’avis de la soussignée, la cause majoritaire de la survenance de l’accident du travail est l’exigence imposée par le tiers. Le fait que la CSST ait émis un avis de correction contre la Ville de Québec et qu’elle ne l’ait pas contesté atteste de la participation des agissements de la Ville de Québec à la survenance de l’accident du travail. De plus, la preuve non contredite révèle que sans cette exigence non justifiée, il n’aurait jamais été nécessaire de recourir à une méthode de travail non sécuritaire.
[50] L’employeur plaide qu’il est injuste que les coûts reliés à la lésion professionnelle lui soient imputés. La Ville de Québec prétend que l’accident fait partie des risques inhérents aux activités de l’employeur.
[51] À nouveau, il convient de référer à l’analyse faite par une formation de 3 commissaires dans l’affaire ministère des Transports[3] :
« […]
[322] La notion de risque inhérent doit cependant être comprise selon sa définition courante, à savoir un risque lié d’une manière étroite et nécessaire aux activités de l’employeur ou qui appartient essentiellement à pareilles activités, en étant inséparable (essentiel, intrinsèque…)215. On ne doit donc pas comprendre cette notion comme englobant tous les risques susceptibles de se matérialiser au travail, ce qui reviendrait en pratique à stériliser le deuxième alinéa de l’article 326 de la loi.
[…]
[325] En effet, lorsqu’une lésion professionnelle survient dans des circonstances inhabituelles, exceptionnelles ou anormales, la stricte application du critère des risques inhérents aux activités de l’employeur est inadéquate et même injuste.
[…]
[331] Ainsi, dans les cas où l’accident est dû à des circonstances extraordinaires, exceptionnelles ou inusitées, l’imputation suivant la règle générale établie au premier alinéa de l’article 326 s’avère injuste pour l’employeur217 parce que, bien qu’elle soit reliée au travail, la perte subie ne fait pas partie de son risque assuré et que l’inclusion des coûts de prestations en découlant au dossier de l’employeur vient fausser son expérience.
[332] Si le législateur n’avait pas voulu qu’il soit remédié à de telles situations, il n’aurait tout simplement pas prévu l’exception énoncée au deuxième alinéa de l’article 326.
[333] D’autres critères, en sus de celui tenant compte du risque inhérent à l’ensemble de ses activités, sont donc nécessaires pour apprécier correctement l’effet juste ou injuste de l’imputation à l’employeur.
[334] Le caractère exceptionnel ou inusité des circonstances à l’origine d’un accident du travail doit s’apprécier in concreto, c’est-à-dire à la lumière du contexte particulier qui les encadre218. Ce qui, dans un secteur d’activités donné, est monnaie courante deviendra, en d’autres occasions, un véritable piège, voire un guet-apens.
[335] En effet, les mêmes circonstances ne revêtiront pas toujours le même caractère d’exception, selon le genre d’activités exercées par l’employeur, la description de l’unité de classification à laquelle il appartient, la tâche accomplie par le travailleur, les lieux du travail, la qualité, le statut et le comportement des diverses personnes (dont le tiers) impliquées dans l’accident, les conditions d’exercice de l’emploi, la structure de l’entreprise, l’encadrement du travail, l’éventuelle contravention à des règles (législatives, réglementaires ou de l’art) applicables en semblables matières, la soudaineté de l’événement, son degré de prévisibilité, etc.
_______
215 À ce sujet, voir Petit Larousse illustré, éditions Larousse, Paris, 207, p. 582; le nouveau Petit Robert, éditions Le Robert, Paris, 2008, p. 1332.
217 Plusieurs décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles arrivent à cette conclusion. Voir, à titre d’exemple : STCUM et CSST, [1997] C.A.L.P. 1757 ; Commission scolaire de la Pointe-De-L'Île, [2001] C.L.P. 175 ; Centre hospitalier de St-Eustache, 145943 -64 -0009, 15 février 2001, M. Montplaisir ; Les Entreprises Éric Dostie inc. et Constructions Marco Lecours, 181190-05-0203, 5 décembre 2002, M. Allard ; S.M. Transport, [2007] QCCLP 164 ; Centre de la Réadaptation de la Gaspésie, [2007] QCCLP 5068 ; Pharmacie Ayotte & Veillette, 302526-04-0611, 21 février 2007, J.-F. Clément ; S.A.A.Q. - Dir. Serv. Au Personnel et CSST, 285881-62B-0604 et autres, 30 avril 2007, N. Lacroix.
218 Corps Canadien des commissionnaires, 212709-71-0307, 5 avril 2004, L. Couture ; Pharmacie Ayotte & Veillette, C.L.P. 302526-04-0611, 21 février 2007, J.-F. Clément.
[…] »
(Nos soulignements)
[52] En l’espèce, la Ville de Québec a imposé une exigence contraire aux règles de l’art en la matière et qui s’avère également contraire à la Loi sur la santé et la sécurité du travail (L.R.Q., c. S-2.1). En se faisant, elle a généré la réalisation de circonstances extraordinaires qui ont directement causé l’accident du travail.
[53] Dans les circonstances extraordinaires et inusitées mises en preuve, il serait injuste que l’employeur soit imputé des coûts.
[54] C’est pourquoi, comme dans l’affaire ministère des Transports[4] précitée, la commissaire soussignée en vient à la conclusion que, compte tenu des circonstances inusitées et exceptionnelles attribuables aux agissements du tiers, et bien que l’accident subi par le travailleur fasse partie des risques inhérents à l’ensemble des activités de l'employeur, il serait injuste que l’employeur soit imputé.
[55] Puisqu’un seul tiers est véritablement à la source de l’accident du travail, il est équitable d’imputer les coûts de l’accident du travail aux employeurs de l’unité dont il fait partie[5].
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de Laval Construction inc., l’employeur;
INFIRME la décision rendue en révision administrative par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 27 janvier 2009;
DÉCLARE qu’il y a lieu de transférer les coûts reliés à la lésion professionnelle subie le 18 août 2006 par monsieur André Devost, le travailleur, aux employeurs de l’unité à laquelle la Ville de Québec appartient à ce moment.
|
|
|
Guylaine Tardif |
|
|
Me Claude Rochon |
|
STEIN MONAST |
|
Procureur de la partie requérante |
|
|
|
Me Simon-Pascal Chatigny |
|
GIASSON ASS. |
|
Procureur de la partie intéressée |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.