Décision

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Autorité des marchés financiers c. Langelier-Legault

2014 QCCS 6159

COUR SUPÉRIEURE

(Chambre civile)

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE QUÉBEC

 

 

 

N° :

200-17-017067-125

 

DATE :

16 DÉCEMBRE 2014

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

CLÉMENT SAMSON, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS, 2640, boulevard Laurier, Place de la Cité, Tour Cominar, 4e étage, Québec (Québec) G1V 5C1

Demanderesse

 

c.

SYLVAIN LANGELIER-LEGAULT, domicilié et résidant au […], Saint-Mathias-sur-Richelieu (Québec) […]

et

INVESTIA SERVICES FINANCIERS INC., 6700, boulevard Pierre-Bertrand, bureau 300, Québec (Québec) G2J 0B4

Défendeurs

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]          L’Autorité des marchés financiers, subrogée aux droits d’une consommatrice flouée, peut-elle faire valoir des droits contre le cabinet responsable du représentant en épargne qui a commis la fraude? La subrogation est-elle valide ? Voici quelques-unes des questions auxquelles le Tribunal doit répondre.

LE CONTEXTE

[2]          Pour assurer une bonne compréhension de ce jugement, le Tribunal estime approprié d'inclure ici la table des matières :

LE CONTEXTE............................................................................................................................. 2

Les parties................................................................................................................................. 2

Le sommaire des faits.............................................................................................................. 3

Les prétentions des parties..................................................................................................... 5

ANALYSE ET DISCUSSION....................................................................................................... 5

Le droit à l’indemnisation......................................................................................................... 6

L’opposabilité de la décision du Fonds d’indemnisation à Investia.................................... 7

La demande d’indemnisation de Madame Vigeant dans le délai prescrit......................... 9

La qualification des transactions supposément réalisées par Langelier-Legault en regard de son inscription au registre............................................................................................................. 14

A.         Le placement de 30 000 $ du 8 décembre 1999................................................. 15

B.         Le placement de 15 600$ du 10 septembre 2002............................................... 17

C.        Les placements de 25 000 $ du 19 novembre 2008 et de 10 000 $ du 10 mars 2009        17

D.        Le placement de 70 000 $ du 16 avril 2009.......................................................... 18

La responsabilité d’Investia en regard des actes posés par Langelier-Legault.............. 19

A.         Quelle est la portée de l’article 80 de la LDPSF eu égard à la responsabilité d’un cabinet en présence d’un représentant fraudeur ?............................................................................. 19

B.         L’article 80 de la LDPSF trouve-t-il application en l’espèce ?............................ 24

C.        Quels sont les moyens dont dispose Investia pour repousser cette présomption ?  25

La solidarité des défendeurs................................................................................................. 27

RÉSUMÉ..................................................................................................................................... 28

Les parties

[3]          La demanderesse l’Autorité des marchés financiers (AMF) voit notamment à la mise en place de programmes d'indemnisation des consommateurs de produits et services financiers et administre le Fonds d'indemnisation (Fonds) prévu à la loi[1].

[4]          La défenderesse Investia Services financiers inc. (Investia) est aux droits des cabinets financiers qui se sont ainsi succédés jusqu’à elle en regard d’opérations de cueillette d’épargne, savoir Courtage F.M.D. Inc., Investissements Courvie inc., Financière Partenaires Cartier ltée et Services financiers Dundee ltée. Cette succession d’entreprises possède notamment les inscriptions nécessaires pour agir à titre de courtier en épargne collective et en contrats d’investissements[2].

[5]          Le défendeur Sylvain Langelier-Legault (Langelier-Legault) jouit, aux fins de ce litige, d’un droit de pratique à titre de représentant de courtier en épargne collective et contrats d’investissements pour le compte d’Investia et, antérieurement, des cabinets dont Investia est aux droits.

Le sommaire des faits[3]

[6]          De 1999 à 2009, Madame Ginette Vigeant a hélas fait confiance au représentant en épargne Langelier-Legault. Alors que le mari de Madame Vigeant est au soir de sa vie atteint d’une maladie incurable, Langelier-Legault, introduit grâce à un lien de parenté qui l’unit à ce couple éploré, se voit par eux investi d’une confiance totale. Dès le décès de son mari, Madame Vigeant confie à Langelier-Legault la conduite de ses affaires financières.

[7]          Pendant ces années, des sommes sont confiées par Madame Vigeant à Langelier-Legault qui les investit adéquatement.

[8]          D’autres sont investies improprement, mais ne font pas l’objet de ce litige car l’AMF n’a pas à cet égard indemnisé Mme Vigeant.

[9]          Finalement, à titre d’objet du litige, à cinq moments particuliers, Madame Vigeant confie à Langelier-Legault des épargnes qui ne sont pas investies dans les véhicules de placement promis :

Ø  30 000 $ le 8 décembre 1999[4];

Ø  15 600 $ le 10 septembre 2002[5];

Ø  25 000 $ le 19 novembre 2008[6];

Ø  10 000 $ le 10 mars 2009[7];

Ø  70 000 $ le 16 avril 2009[8].

[10]       Pour maintenir la confiance de Madame Vigeant pendant toutes ces années, Langelier-Legault déclare avoir investi les deux premiers montants dans des véhicules de placement qui rapportent 8% par année pendant 10 ans. Il est représenté à Madame Vigeant qu’elle ne peut retirer ces sommes pendant ce temps, d’où le fait que le pot-aux-roses n’est découvert que bien plus tard.

[11]       De plus, Madame Vigeant reçoit des relevés de placements qui prennent la forme de rapports à première vue crédibles, mais qui sont de fait fabriqués de toutes pièces par Langelier-Legault.

[12]       Pendant ce temps, sans que personne n’en ait conscience, inspiré par Charles Ponzi, Langelier-Legault dépense ces sommes à ses fins personnelles ou rembourse d’autres créanciers floués lors de l’échéance de leurs faux placements.

[13]       Comme il le reconnaît devant le Tribunal, Langelier-Legault fraude 9 personnes de 1996 à 2009.

[14]       Invitée à compléter en mai 2000 un document d’ouverture de compte[9], Madame Vigeant déclare être propriétaire d’un salon de coiffure et n’avoir aucune connaissance dans le monde du placement[10]. D’ailleurs, la preuve révèle que son défunt mari était du couple celui qui prenait charge de ces questions.

[15]       À la fin de l’année 2009, Madame Vigeant attend en vain le fruit de son premier placement venu à échéance. Il ne viendra pas.

[16]       Au même moment, Investia demande des comptes à Langelier-Legault suite à une plainte reçue pour un placement réalisé avec un autre représentant avec qui il partage le fruit de son « travail ». Langelier-Legault évite alors tout contact avec le cabinet financier pour lequel il œuvre. Les choses se corsent et Langelier-Legault, vu l’imminence de l’échéancier auquel il doit faire face, se dénonce lui-même à l’AMF en janvier 2010.

[17]       Les officiers d’Investia entendus par le Tribunal témoignent de leur étonnement le plus complet car Langelier-Legault a été directeur de succursale et inspirait le respect par son souci du détail et de la critique. Personne n’a vu venir quoi que ce soit.

[18]       Le 18 mars 2010, Langelier-Legault est frappé d’une radiation temporaire de ses droits à titre d’intervenant financier. Et le 16 mars 2011[11], après avoir plaidé coupable à de nombreux chefs d’accusation portés contre lui auprès du comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière, c’en est fini pour de bon : il est radié de manière permanente.

[19]       Le 22 février 2010, Mme Vigeant dépose une demande d’indemnisation auprès de l’AMF[12].

 

 

[20]       Le 2 mai 2011, le Fonds dédommage Madame Vigeant pour une somme de 137 600 $[13]. Un document de subrogation signé par Madame Vigeant[14] le confirme.

Les prétentions des parties

[21]       Par son recours subrogatoire, l’AMF réclame de Langelier-Legault et d’Investia le remboursement de cette somme.

[22]       Lors de l’audition, Langelier-Legault s’en remet à la justice et Investia plaide que :

Ø  L’AMF ne devait pas indemniser Mme Vigeant parce que les conditions d’indemnisation n’étaient pas rencontrées;

Ø  Investia ne peut être tenue responsable car les gestes posés par Langelier-Legault ne le sont pas dans le cadre de «l’exécution de ses fonctions »;

Ø  Le recours de l’AMF est prescrit.

ANALYSE ET DISCUSSION

[23]       Pour les fins de cette analyse, il convient de discuter des sujets suivants :

Ø  Le droit à l’indemnisation;

Ø  L’opposabilité de la décision du Fonds à Investia;

Ø  La demande d’indemnisation de Madame Vigeant dans le délai prescrit;

Ø  La qualification des transactions supposément réalisées par Langelier-Legault en regard de son inscription au registre;

Ø  La prescription du recours de l’AMF;

Ø  La responsabilité d’Investia en regard des actes posés par Langelier-Legault;

Ø  La solidarité des défendeurs.

Le droit à l’indemnisation

[24]       La Loi sur la distribution de produits et services financiers[15] (LDPSF) constitue un régime de protection du consommateur de produits et services financiers; elle crée notamment un Fonds d’indemnisation duquel on puise des sommes pour rembourser les personnes qui, comme Madame Vigeant, ont été malheureusement flouées par des représentants en épargne malhonnêtes et sans scrupule.

[25]       L’encadrement de ce Fonds est fixé par l’article 258 de la LDPSF :

« 258. Est institué le «Fonds d'indemnisation des services financiers».

Ce fonds est affecté au paiement des indemnités payables aux victimes de fraude, de manœuvres dolosives ou de détournement de fonds dont est responsable un cabinet, un représentant autonome, une société autonome ou un courtier en épargne collective ou en plans de bourses d'études inscrit conformément au titre V de la Loi sur les valeurs mobilières (chapitre V-1.1). »

[26]       Ce Fonds est alimenté par des cotisations d’entreprises ou d’individus soumis aux autorités réglementaires, dont Investia. L’AMF a mission de gérer ce Fonds, d’admettre les réclamations et de les payer le cas échéant.

[27]       Après avoir indemnisé, le Fonds est subrogé dans les droits de la victime :

« 277. L'Autorité est subrogée dans tous les droits d’une victime qu’elle indemnise jusqu’à concurrence du montant de l’indemnité versée. Les sommes ainsi recouvrées sont versées au Fonds. »

[28]       Le Règlement sur l'admissibilité d'une réclamation au Fonds d'indemnisation des services financiers[16], la Loi et la jurisprudence, conjugués ensemble, ont défini les critères pour qu’une demande d’indemnisation soit accueillie :

Ø  La demande d’indemnisation doit être déposée dans l’année de la connaissance de la fraude, de la manœuvre dolosive ou du détournement de fonds;

Ø  Le réclamant doit avoir fait affaire avec un représentant autonome autorisé à agir dans l’une des cinq disciplines régies par la LDPSF, ou avec un représentant d’un courtier en épargne collective ou un courtier en plan de bourse d’études;

Ø  La faute alléguée doit être en lien avec un produit que l’entreprise et le représentant étaient autorisés à offrir en vertu de leurs inscriptions auprès de l’AMF;

Ø  Les actes reprochés doivent être qualifiés de fraude, manœuvre dolosive ou détournement de fonds.

[29]       Or, suivant Investia et Langelier-Legault, les critères du dépôt de la réclamation dans le délai d’un an et le fait que Langelier-Legault n’était pas autorisé à offrir de tels produits ne sont pas respectés.

L’opposabilité de la décision du Fonds d’indemnisation à Investia

[30]       L’AMF soutient qu’Investia ne peut remettre en cause les motifs de la décision du Fonds, cette décision n’ayant pas été contestée devant les tribunaux et étant passée en force de chose jugée.

[31]       Bien que ce soit une décision d’un juge seul de la Cour d’appel[17], Madame la Juge Marie-France Bich refuse l’appel d’un jugement rejetant une demande de révision judiciaire d’une décision du Fonds d’indemnisation de l’AMF. Elle est d’avis qu’une décision du Fonds n’est pas une décision de nature judiciaire, d’autant plus qu’elle n’est pas exécutoire et n’a pas l’effet de la chose jugée.

[32]       Le Tribunal insiste, à l’instar de Madame la juge Bich, sur le fait que pareille décision d’indemniser ne pourrait lier Investia car autrement ce serait une décision rendue en son absence, contrevenant à un principe de justice naturelle[18].

[33]       La décision du Fonds n’est donc pas une décision judiciaire, mais elle vaut toutefois comme acte juridique : elle prouve que le Fonds a accepté d’indemniser Madame Vigeant. À ce titre, Investia peut-elle remettre en cause le bien-fondé du Fonds d’indemniser Madame Vigeant ?

[34]       La subrogation du Fonds contre Investia et Langelier-Legault prend la forme d’un recours qui ressemblerait à une procédure directe de Madame Vigeant contre Investia et Langelier-Legault, auquel cas ces derniers peuvent, au sens du Code civil du Québec[19], opposer les mêmes moyens de défense que s’il s’agissait de Madame Vigeant.

[35]       Mais il y a plus. Puisque l’AMF a choisi d’indemniser, Investia peut-elle de plus faire valoir ses moyens de défense à l’encontre de la subrogation ?

[36]       Le Tribunal partage l’avis d’Investia pour les raisons suivantes.

[37]       Premièrement, la LDPSF s’appuie sur les règles de la subrogation que l’on retrouve dans le Code civil du Québec. L’article 1657 C.c.Q. prescrit expressément que le débiteur peut opposer au nouveau créancier les mêmes moyens qu’il pouvait opposer au créancier originaire. Et cet article n’est pas limitativement écrit en ce qui regarde les moyens de défense.

[38]       Pour sa part, l’article 1651 C.c.Q. prescrit que le nouveau créancier n’a pas plus de droits que le subrogeant. Il ne dit par ailleurs pas que le nouveau créancier pourrait se voir offrir en défense les vices de la subrogation.

[39]       Que faire en l’absence d’indications de la loi sur l’écart qui existe entre ces deux articles quant aux moyens de défense du débiteur portant sur la mécanique subrogatoire ?

[40]       Il appartient à celui qui veut faire valoir un droit d’en faire la preuve[20]. S’il en fait la preuve, pourquoi la partie adverse ne pourrait-elle pas en attaquer la validité ? Le Tribunal est d’avis que la subrogation, puisqu’elle est invoquée contre le débiteur, peut être contestée par celui-ci.

[41]       Deuxièmement, les articles 277 de la LDPSF et 2474 C.c.Q. peuvent se comparer, ce second article s’appliquant à l’assureur qui indemnise son assuré et s’y subroge contre la personne qui a causé le dommage. Dans les deux cas, le Fonds ou l’assureur se substituent à la victime ou à l’assuré par l’effet de la loi. Dans les deux cas, il n’est point besoin d’une convention de subrogation. D’ailleurs, les deux textes sont sensiblement écrits de la même façon :

277. L'Autorité est subrogée dans tous les droits d’une victime qu’elle indem-nise jusqu’à concurrence du montant de l’indemnité versée.

2474. L'assureur est subrogé dans les droits de l'assuré contre l'auteur du préjudice, jusqu'à concurrence des indemnités qu'il a payées.

[42]       Cela dit, contrairement à l’article 277, l’article 2474 C.c.Q. jouit d’une certaine interprétation jurisprudentielle. Dans l’arrêt ABB inc. c. Domtar inc.[21], la Cour suprême du Canada nous enseigne que le débiteur peut opposer au solvens les irrégularités de la subrogation qu’il invoque pour le poursuivre :

« 113 La Cour d’appel a aussi rejeté les scénarios de réparation présentés par C.E. au motif que Domtar avait besoin d’un équipement fiable. Cependant, elle a renversé la conclusion du juge de première instance sur la question de la subrogation. Selon la Cour d’appel, pour qu’un paiement subroge l’assureur dans les droits de l’assuré, il faut d’abord que ce paiement soit versé à l’assuré en raison d’une obligation qui découle du contrat d’assurance ou de la loi. En l’espèce, puisqu’une clause du contrat d’assurance entre Lloyd’s et Domtar excluait expressément les dommages subis par suite de bris ou de défectuosité de la chaudière de récupération, le paiement versé par Lloyd’s ne pouvait viser les dommages réclamés par Domtar. Par conséquent, Lloyd’s n’a pas été subrogée dans les droits de Domtar. Les motifs de la Cour d’appel sont bien fondés et il n’y a pas lieu d’intervenir. »

[43]       Troisièmement, le professeur Baudouin, dans son ouvrage sur Les obligations[22], est d’avis que les moyens de défense du débiteur incluent ceux qui ont trait à la validité de la subrogation :

« En outre, le subrogé ne peut avoir plus de droit que n'en avait le subrogeant (art. 1651, al. 2 C.c.Q.). Le débiteur peut donc opposer au subrogé les mêmes défenses et les mêmes exceptions que celles qu'il aurait pu opposer au subrogeant (art. 1657 C.c.Q.), telles la nullité ou la résolution du contrat qui crée l'obligation, la réduction de l'obligation corrélative, ou l'exception d'inexécution. Le débiteur peut aussi, le cas échéant, faire valoir l'extinction de la dette qui résulte d'une prise en paiement. Ces moyens s'ajoutent évidemment à ceux qui se rapportent à la validité du mécanisme subrogatoire employé par le subrogé. »

[44]       À la lumière de ces arguments, le Tribunal considère qu’Investia et Langelier-Legault peuvent faire valoir leurs moyens de défense quant à la validité de la subrogation et des moyens qui peuvent être opposés à Madame Vigeant. Rappelons ces conditions non respectées : le délai pris par Madame Vigeant pour déposer sa demande d’indemnisation et le fait que les produits offerts ne cadraient pas avec l’inscription de Langelier-Legault.

La demande d’indemnisation de Madame Vigeant dans le délai prescrit

[45]       Madame Vigeant avait un an pour formuler à l’AMF sa demande d’indemnisation[23]. De fait, elle l’a déposée le 22 février 2010[24]. Mais aurait-elle dû le faire bien avant ? C’est du moins ce que prétend Investia, auquel cas elle attaque la décision de l’AMF qui n’aurait pas dû indemniser Madame Vigeant.

[46]       Le Tribunal assimile ce délai à celui de la prescription. Le point de départ de la prescription ne peut débuter que lorsque celui contre qui la prescription est invoquée a connaissance des faits à partir desquels il peut agir[25], « en autant qu[e cette personne réclamante] se soit comportée de façon diligente »[26].

[47]       La Cour d’appel, dans l’arrêt Bazile c. Fonds d’indemnisation en assurance de personnes[27], précise la connaissance requise, eu égard à un article de loi sensiblement similaire à celui sous étude :

« La Loi permet à la personne fraudée par un intermédiaire de marché de présenter sa réclamation au Fonds. Elle doit le faire dans l'année de la connaissance acquise de la fraude, ce qui a été fait ici.

(…)

Le mot «connaissance» employé à l'article 101 du Règlement doit s'entendre d'une connaissance fondée dans la réalité, non de soupçons ou de crainte. »

(notre soulignement)

[48]       De plus, la confiance manifestée envers le représentant joue un rôle atténuateur dans la vigilance exigée d’un épargnant diligent et raisonnable :

« 54 J’ajouterais que le sentiment de confiance dont est empreint le contrat de mandat a aussi un effet appréciable sur l’état d’esprit du client, victime de la faute du gestionnaire. Cette confiance, en l’espèce, c’est la croyance acquise en la valeur professionnelle du gestionnaire qui fait que le client, surtout non averti, puisse être incapable ou du moins hésitant à croire à son incompétence. Tant la confiance que le désarroi suite à sa perte rendent alors d’autant plus difficile pour la victime la prise en main de la situation. L’éveil face à l’étendue du préjudice est plus lent. Il faut tenir compte de cette réalité, que le gestionnaire a lui-même créée en se présentant comme un professionnel digne de confiance, avant de reprocher à la victime un manque de diligence à minimiser les dommages, ceci d’autant plus que les mesures à prendre n’étaient pas évidentes et qu’il appartiendrait en premier lieu aux intimés à titre de courtiers et gestionnaires avertis de le faire ou les conseiller. » [28]

[49]       Des auteurs ont décrit avec justesse cette relation de confiance par l’expression « l’asymétrie d’information et de pouvoir »[29] qui sépare le client du représentant.

[50]       Le début de la prescription se produit lorsque le consommateur est conscient par des faits précis de la manœuvre frauduleuse dont il est victime. Il doit pour cela s’être préalablement comporté de manière diligente eu égard aux services qu’il a reçus. L’appréciation du comportement diligent de cette personne et de sa prise de conscience du fait fautif tient compte du niveau de confiance qui anime sa relation avec son professionnel de l’épargne, laquelle est justifiée par le caractère asymétrique de leurs connaissances respectives.

[51]       Voyons les faits à partir desquels Investia plaide prescription.

[52]       Madame Vigeant souscrit une soi-disant Obligation d’épargne du Canada de 30 000 $ en décembre 1999. En mai 2000, elle signe un véritable document d’ouverture de compte[30] avec Investia (alors appelé Courtage F.M.D.). Investia prétend que, ne l’ayant pas fait en décembre, Madame Vigeant aurait dû se demander pourquoi elle pose ce geste 5 mois plus tard.

[53]       Le Tribunal ne le voit pas du même œil; est-il obligatoire de faire une ouverture de compte pour une Obligation d’épargne du Canada ? Rien dans la preuve ne permet de l’affirmer. Et si oui, pour le consommateur moyen, un document d’ouverture de compte, n’est-ce pas une obligation qui peut survenir tôt ou tard ? Ce n’est pas un indice permettant de douter de la confiance envers Langelier-Legault.

[54]       Qui plus est. En mai 2000, on retrouve au dossier de la Cour un faux relevé présentant le placement de 30 000$ et on ne retrouve aucun véritable placement avant les instructions données en décembre 2000[31]. C’est dire que, en mai 2000, Langelier-Legault fait signer une ouverture de compte en bonne et due forme et remet à Madame Vigeant au même moment son relevé. L’ouverture de compte semble davantage en lien avec un plan de Langelier-Legault qui camouffle ses réelles intentions. Cette ouverture de compte calme davantage les esprits qui suscitent des questionnements.

[55]       Investia prétend que les véritables relevés de placement reçus par Madame Vigeant ne présentent pas les placements détournés par Langelier-Legault; Madame Vigeant aurait alors dû se douter.

[56]       D’entrée de jeu, rappelons que la confiance de Madame Vigeant est entière. Langelier-Legault est régulièrement invité chez Madame Vigeant à faire annuellement ses déclarations fiscales à compter de 2003 et à faire du « ménage » dans ses documents financiers. Ainsi, Langelier-Legault jette passablement de documents à telle enseigne que le dossier de la Cour est plutôt fragmentaire. Non seulement Madame Vigeant ne possède-t-elle pas beaucoup de documents, mais Investia n’a pas davantage été en mesure de reconstituer le dossier complet de Madame Vigeant.

[57]       Le premier relevé remonte au 1er mai 2000 où apparaît seul le placement de 30 000 $. Rien n’est inquiétant.

[58]       Le 28 octobre 2003, le relevé de compte confectionné par Langelier-Legault et transmis sur du papier de Partenaires Cartiers services financiers est précis et convaincant[32]. On y retrouve les deux fausses obligations du Canada ainsi que les 13 autres véritables placements de Madame Vigeant. Ce faux est à s’y méprendre.

 

[59]       Le premier vrai relevé dont dispose le Tribunal porte la date du 30 novembre 2007[33]. Il présente le portefeuille et aussi les transactions. Il est vrai que, dans le bilan, on n’y retrouve pas les faux placements. Il est vrai également que ce relevé contient la mention :

« Le présent relevé contient l’intégralité des transactions que vous avez passées chez Dundee. »

[60]       Toutefois, à cet égard, comme les transactions « passées » ont trait à celles du mois de novembre 2007 seulement et qu’aucune fausse transaction n’a eu lieu pendant le mois de nomvebre, Madame Vigeant n’avait pas raison de s’en plaindre.

[61]       Quant au portefeuille tel que présenté, le consommateur moyen pourrait se méprendre qu’il ne s’agit que des fonds communs de placement, ce qui n’inclut pas les Obligations d’épargne du Canada.

[62]       Au 31 décembre 2008, Langelier-Legault œuvre pour Services financiers Dundee ltée. Sur le papier de cette entreprise, il émet un faux relevé de placements à Madame Vigeant[34]. On y retrouve les vrais comme les faux placements. L’information semble à jour puisque même le premier placement de 30 000 $ de 1999 est présenté avec une valeur courante qui correspond au capital et aux intérêts composés, cumulés à cette date.

[63]       À cette même date, on retrouve au dossier un vrai relevé de Services financiers Dundee[35]. La comparaison entre le véritable et le faux relevé est intéressante. Les relevés présentent tous deux des renseignements à jour des placements. On retrouve même des informations exactes apparaissant dans le faux relevé que l’on ne retrouve même pas dans le véritable (Montant investi et montant retiré).

[64]       De même, le faux relevé du 10 mai 2009[36] et le véritable au 30 septembre 2009[37] contiennent des renseignements sur les véritables placements, lesquels concordent.

[65]       Compte tenu de la « qualité » des faux, Madame Vigeant n’avait pas raison de se méfier de Langelier-Legault.

 

 

 

[66]       Bien plus, d’autres véritables relevés de placements sont parfois transmis directement par les entreprises financières auprès de qui les investissements sont réalisés[38] par Investia. Ces relevés sont encore plus limités dans leurs informations. Et si donc il était normal pour Madame Vigeant de recevoir de vrais relevés de placement limités à un ou deux fonds mutuels, n’était-il pas raisonnable pour elle de recevoir d’Investia des relevés parfois aussi fragmentaires ?

[67]       La vraisemblance des relevés confectionnés par Langelier-Legault est à ce point convaincante que le Tribunal note une hésitation de Madame Nancy Lachance, chef de la conformité chez Investia, lors de son contre-interrogatoire. Avant de répondre, elle s’est adéquatement assurée que la pièce qui lui était présentée était alors un vrai.

[68]       Le Tribunal, considérant la parfaite relation de confiance client-professionnel et considérant le comportement de Madame Vigeant eu égard aux relevés reçus, estime que Madame Vigeant n’avait pas matière à se douter des gestes frauduleux de Langelier-Legault.

[69]       Investia fait reproche à Madame Vigeant de n’avoir que quelques relevés et plaide qu’elle aurait dû s’inquiéter de ne pas en avoir reçu davantage. La preuve démontre que Langelier-Legault en a lui-même jeté lors de ses passages chez Madame Vigeant. Bien plus, le Tribunal fait remarquer qu’Investia n’a pas davantage été en mesure de reconstituer son dossier[39] alors que c’est elle qui a l’obligation légale de conserver les traces documentaires de ses relations avec ses clients.

[70]       Investia plaide que l’un des placements de Madame Vigeant (25 000 $ en novembre 2003) n’est jamais apparu à ses relevés et que ce motif aurait dû susciter de la suspicion de sa part. Le Tribunal n’est pas saisi de ce placement pour lequel l’AMF ne l’a d’ailleurs pas indemnisée. Le Tribunal ne peut tirer de conclusion à partir d’informations incomplètes sur cet aspect précis[40].

[71]       Il ne fait pas de doute que, dès que Madame Vigeant, à la fin décembre 2009, n’a pas reçu le remboursement de son placement de dix ans qui venait à échéance, elle devait agir. Deux mois plus tard, elle a formulé sa demande d’indemnisation. Elle n’a pas tardé à faire valoir ses droits.

La qualification des transactions supposément réalisées par Langelier-Legault en regard de son inscription au registre

[72]       L’un des critères d’indemnisation est qu’il doit exister une relation vraisemblable entre les placements soi-disant réalisés et l’inscription dont jouit le représentant.

[73]       L’analyse que doit faire l’AMF lors de l’examen d’une demande d’indemnisation est de nature objective, donc sans égard aux perceptions finales retenues par la personne flouée :

« (8) De toute façon, même si elles avaient cru erronément que le placement proposé par Vadnais était un produit d'assurance ou cru que Vadnais agissait à titre de courtier ou d'agent en assurance de personnes, ce n'est pas cette perception subjective qui pourrait déterminer la recevabilité de leurs réclamations auprès de l'intimé. Comme l'écrit le juge Brossard dans Comité administratif de l'Ordre des comptables agréés du Québec c. Schwarz :

[26]    Il n'est pas contestable que les victimes ont été fraudées comme résultat de la confiance qu'ils [sic] avaient envers Reinharz et de l'appréciation de la qualité des services strictement comptables qu'il leur rendait. Mais telle n'est pas la vraie question que l'on doit se poser. La responsabilité du fonds ne saurait découler d'une simple perception subjective de la part des victimes. » [41]

[74]       Conséquemment, pour réaliser cette analyse, l’AMF impose qu’il existe au moins un document émis par le représentant qui justifie la supposée transaction.

[75]       Par exemple, fondé sur cette nécessité minimale d’une preuve écrite, un chèque de Madame Vigeant du 14 novembre 2003 au montant de 25 000 $[42] et remis à Langelier-Legault n’a pas été tenu compte par le Fonds[43] puisque le faux relevé émis par Langelier-Legault le 31 décembre 2008[44] l’omet.

[76]       Avant de passer en revue la preuve dont dispose le Tribunal pour chacune de ces transactions, rappelons le cadre général de la relation Vigeant/Langelier-Legault.

[77]       Au décès de son mari et après avoir connu une expérience insécurisante en possédant des fonds mutuels, Madame Vigeant désire des placements surs[45]. Langelier-Legault répond à ses besoins et la confiance s’installe car c’est « le neveu à Eugène »[46].

 

 

[78]       Aux yeux de Madame Vigeant, Langelier-Legault travaille dans un « beau bureau »[47]. Elle s’y rendra à deux reprises. Mais plus souvent, il va la visiter chez-elle comme cela est de mise dans cette industrie, en moyenne au moins une fois par année. Quand elle veut lui parler, elle l’appelle à son bureau chez Investia.

A.   Le placement de 30 000 $ du 8 décembre 1999

[79]       Le 8 décembre 1999, Madame Vigeant remet un chèque de 30 000 $ à Langelier-Legault, fait à l’ordre de Gestion Placement Avenir[48]. Cette somme est le fruit de l’assurance-vie de son défunt mari. Langelier-Legault quitte avec le chèque et ne remet aucun document à Madame Vigeant.

[80]       Gestion Placement Avenir a déjà été une société de Langelier-Legault. Au moment des faits pertinents, elle n’existe plus légalement[49]. Elle n’a par ailleurs jamais bénéficié d’une inscription de cabinet, de courtier ou de conseiller[50].

[81]       Madame Vigeant avait déjà discuté de ses objectifs de placement avec Langelier-Legault :

«Q.       Donc, ma question par rapport à vos objectifs, je vous la repose indépendamment du papier : est-ce que vous aviez communiqué à monsieur Langelier-Legault quels étaient vos objectifs par rapport au trente mille dollars (30 000 $) lorsque vous lui remettez le chèque en décembre quatre-vingt-dix-neuf (99)?

R.         Il savait mes objectifs, c'était que ça rapporte, tu sais, pas à risque dix (10) ans, là, il fallait que j'attende, là...

Q.         Alors, vous dites...

R.         ... tu sais, il m'est arrivé avec du papier sûr, là, tu sais, c'était fait. » [51]

(notre soulignement)

[82]       Au mois de mai 2012, Madame Vigeant signe en bonne et due forme un formulaire d’ouverture de compte auprès de Courtage F.M.D. inc. (société dont le portefeuille et la responsabilité incombent aujourd’hui à Investia). Cette société, comme Valeurs Mobilières Dubeau ltée, font partie du groupe financier Dubeau.

 

[83]       Le 1er mai 2000, sur du papier portant le logo de Valeurs Mobilières Dubeau ltée, Madame Vigeant reçoit ce qui constitue une confirmation d’achat[52]. Le produit est nommé : Obligations du Canada à 8%. On fait référence à l’achat d’un placement le 8 décembre 1999. L’échéance est au 8 décembre 2009 et la valeur déjà à cette date est alors de 31 605,99 $. Les conditions correspondent aux représentations faites et surtout à une manigance qui permet à Langelier-Legault d’être le plus possible à l’abri d’une tentative de Mme Vigeant de vouloir se faire rembourser : « Non rachetable; intérêts réinvestis annuellement; Ne peut servir de caution ou de garantie contre des emprunts; Rachetable par Gestion de Placement Avenir société détenant un droit de premier refus pour le rachat du Placement ». On rajoute également : « Le placement est garanti par le fonds canadien de protection des épargnants (FCPE). La couverture couvre jusqu’à cinq millions d’actif. »

[84]       La qualification de ce placement est contestée. Quoiqu’en ait pensé l’AMF à un certain moment[53] et pour laquelle qualification le Tribunal n’est pas lié, l’AMF prétend aujourd’hui qu’il s’agit d’une obligation d’épargne du Canada et Investia prétend qu’il s’agit d’une obligation du Canada. Si l’AMF a raison, Langelier-Legault, avec son permis de représentant en collecte d’épargne collective, avait alors le droit d’offrir ce produit financier. Si, d’autre part, Investia a raison, il s’agirait alors d’une valeur mobilière et Langelier-Legault n’aurait pas eu le droit de l’offrir. Et par conséquent, la subrogation de l’AMF ne serait pas valable pour ce produit.

[85]       Par le témoignage de Monsieur Jean Rochon, expert des produits financiers mis sur le marché par Investia, cette dernière prétend que, par cette affirmation « Obligations du Canada », l’on fait référence à des obligations du Canada et non à des obligations d’épargne du Canada. Le témoin présente ce produit : de la nature d’une valeur mobilière, utilisé par le gouvernement canadien pour financer son fonctionnement, lequel émet des titres de dettes sur le marché national et international. Pour supporter ses dires, il prend notamment appui sur le nom utilisé dans cette pièce et le taux d’intérêt de 8% alors que, pour des obligations d’épargne, le taux normal ne serait que de 4,6 %[54].

[86]       Il est vrai que le nom « Obligations du Canada » peut, dans l’esprit d’une personne avisée, faire référence aux titres nationaux et internationaux de dettes canadiennes. Mais la chef de la conformité d’Investia, Madame Nancy Lachance, spécialisée dans le monde des produits financiers depuis de nombreuses années, a eu besoin de rencontrer un expert pour se faire expliquer le titre auquel elle était confrontée.

 

 

[87]       Lors de son interrogatoire après défense, Langelier-Legault dit lui avoir offert des obligations du Canada, question de se disculper d’une condamnation possible, mais interrogé sur cette question par le Tribunal, il répond qu’il a offert à Madame Vigeant des obligations d’épargne du Canada.

[88]       Le consommateur moyen qui entend cette expression a une idée bien différente du produit auquel on réfère; seule l’obligation d’épargne du Canada vient à l’esprit du consommateur moyen.

[89]       La preuve permet d’établir que Langelier-Legault a donc simplement omis l’expression « d’épargne » dans son faux relevé pour lever la confusion qui, dans l’esprit des spécialistes, existe.

[90]       Compte tenu des attentes de Madame Vigeant, considérant l’admission de Langelier-Legault sur la qualification du produit et considérant que l’expression contenue au relevé du 1er mai 2000 correspond à des obligations d’épargne du Canada, le Tribunal retient qu’il s’agit bel et bien de ce produit que Langelier-Legault pouvait en toute légalité offrir à Madame Vigeant. À cet égard, l’indemnisation par le Fonds est justifiée et l’AMF est en droit d’en réclamer le remboursement.

B.   Le placement de 15 600$ du 10 septembre 2002

[91]       Avant que Langelier-Legault ne fasse un second faux placement, il fait signer à Madame Vigeant des documents en vue de véritables placements[55].

[92]       Le 10 septembre 2002, Madame Vigeant remet à Langelier-Legault un chèque de 15 600 $ fait à l’ordre de Gestion Placement Avenir[56].

[93]       Le 28 octobre 2003, on retrouve de cette preuve fragmentaire un premier relevé[57] contenant la mention qu’il s’agit d’une Obligation du Canada.

[94]       Pour les mêmes raisons que celles données pour le chèque de 30 000$ de décembre 1999, le Tribunal en vient à la même conclusion.

C.   Les placements de 25 000 $ du 19 novembre 2008 et de 10 000 $ du 10 mars 2009

[95]       Le 19 novembre 2008, Madame Vigeant remet à Langelier-Legault un chèque de 25 000 $ fait à l’ordre de Gestion Placement Avenir[58]. Ce placement est suivi par un relevé daté du 31 décembre 2008 qui indique que cette somme se retrouve dans une débenture convertible assortie d’un taux d’intérêt de 8 % l’an. Cette qualification à elle seule rend la transaction inadmissible puisque Langelier-Legault n’est pas autorisé à en offrir, mais il y a plus.

[96]       Le 10 mars 2009, Madame Vigeant remet à Langelier-Legault un chèque de 10 000 $ fait à l’ordre de Gestion Placement Avenir[59].

[97]       Le 16 avril 2009, Madame Vigeant reçoit une copie d’une convention de garantie sur placement[60] apparemment signée par elle le 8 décembre 2008. Ce document confirme que Madame Vigeant aurait investi 35 000 $ dans une société appelée Eco-Fusion. La seule manière de parvenir à cette somme de 35 000 $ est de combiner à cette époque le chèque de novembre 2008 et celui de mars 2009. Ce document, bien qu’apparemment signé avant le deuxième chèque, est nécessairement en lien avec ceux-ci. Langelier-Legault se porte personnellement caution de cette somme.

[98]       Ce document vicie l’obligation du Fonds d’indemniser.

[99]       En conclusion, le relevé du 31 décembre 2008 et ce contrat pour un placement privé sont deux arguments qui, chacun, démontrent que le placement réalisé n’est pas couvert par l’inscription de Langelier-Legault auprès de l’AMF.

D.   Le placement de 70 000 $ du 16 avril 2009

[100]    Alors que Langelier-Legault dit être repentant de ses fraudes et prétextant vouloir corriger ses erreurs à compter de 2009, il emprunte aux uns pour rembourser les autres. Conséquemment, le 16 avril 2009, Madame Vigeant remet à Langelier-Legault un chèque de 70 000 $ fait à l’ordre de Gestion Placement Avenir[61]. Cette somme servira à Langelier-Legault pour soulager sa conscience en remboursant un placement fait il y a un certain temps par un autre de ses clients…

[101]    L’AMF, dans une lettre transmise au procureur de Langelier-Legault le 14 janvier 2011[62], mentionne :

« Le 16 avril 2009, la réclamante remet un chèque de 70 000 $ au représentant, toujours pour être investi. Le chèque est fait à l’ordre de Gestion Placement Avenir. Le 10 mai 2009, il remet à la réclamante un relevé à l’entête de Services financiers Dundee Ltée, daté du 10 mai 2009[63]. Selon ce relevé, la réclamante a effectué un placement le 1er mai 2009 de 70 000 $ dans « titre à revenu fixe ». Selon ce relevé, l’ensemble des placements de la réclamante, provenant de Gestion Placement Avenir, a une valeur courante de 191 289 $. »

[102]    Un titre à revenu fixe est assimilable à un produit financier que Langelier-Legault est autorisé à offrir. Cette notion est assimilable aux placements sûrs exigés par Madame Vigeant.

[103]    L’AMF a eu raison d’indemniser Madame Vigeant pour ce placement.

[104]    Si l’on fait fi des arguments de prescription et de solidarité, Langelier-Legault doit au moins rembourser le Fonds pour les placements de 30 000 $, 15 600 $ et 70 000 $. Qu’en est-il de la responsabilité d’Investia ?

La responsabilité d’Investia en regard des actes posés par Langelier-Legault

[105]    Le principal débat qui oppose l’AMF à Investia a trait à la responsabilité d’un cabinet lorsque le représentant profite de ses fonctions pour commettre une fraude qui lui bénéficie seul.

[106]    Pour trancher ce débat, le Tribunal répond aux questions suivantes :

Ø  Quelle est la portée de l’article 80 de la LDPSF eu égard à la responsabilité d’un cabinet en présence d’un représentant fraudeur ?

Ø  L’article 80 de la LDPSF trouve-t-il application en l’espèce ?

Ø  Quels sont les moyens dont dispose Investia pour repousser cette présomption ?

A.   Quelle est la portée de l’article 80 de la LDPSF eu égard à la responsabilité d’un cabinet en présence d’un représentant fraudeur ?

[107]    L’article 80 de la LDPSF crée une présomption favorable à l’AMF lui permettant de réclamer du cabinet pour les gestes posés par le représentant. Mais quelle en est la réelle  portée?

[108]    Débutons par une analogie. L’article 80 de la LDPSF est la copie miroir presque parfaite de l’article 1463 du Code civil du Québec.

80. Un cabinet est responsable du préjudice causé à un client par toute faute commise par un de ses repré-sentants dans l’exécution de ses fonctions.

Il conserve néanmoins ses recours contre eux.

1463. Le commettant est tenu de réparer le préjudice causé par la faute de ses préposés dans l'exécution de leurs fonctions; il conserve, néanmoins, ses recours contre eux.

 

 

[109]    Puisqu’ils sont similaires, peut-on inférer de l’interprétation donnée au second article des principes que l’on peut appliquer au premier ? Oui dans une certaine mesure.

[110]    L’AMF prétend que l’article 80, à cause de sa similarité, doit au contraire recevoir une interprétation différente puisque, dans un cas, il s’agit d’une loi de nature générale et, dans l’autre, d’une loi spécifique. Il ne serait pas nécessaire de reproduire un article dans une loi spécifique qui se retrouve dans une loi générale. Pour l’AMF, il s’agit d’une autre façon d’affirmer que le législateur ne parle pas pour ne rien dire.

[111]    Le Tribunal ne partage pas cette vision et considère que l’article 80 a une utilité propre que n’a pas l’article 1463 C.c.Q. Et à cause de cette utilité particulière, on ne peut conclure à deux interprétations opposées. En clair, exception faite de cette utilité propre, les règles qui se dégagent du second peuvent servir au premier.

[112]    En effet, l’article 80 permet de retenir la responsabilité du cabinet même si le représentant n’en est pas un préposé. De fait, on peut concevoir que le représentant soit un entrepreneur indépendant d’où, en principe, le cabinet n’en serait pas res-ponsable. Cette présomption permet à l’AMF, lors de l’exercice d’un recours subrogatoire, d’éviter de faire face à un débat sur le lien entre le cabinet et le représentant entrepreneur : la présomption de l’article 80 crée une présomption du type « commettant-préposé » qui s’applique à la relation « cabinet-représentant », peu importe le statut de ce dernier.

[113]    Ce raccourci juridique créé par l’article 80 constitue d’une certaine façon le prolongement de la deuxième phrase de l’article 76[64], laquelle crée l’obligation pour le cabinet de s’assurer au niveau de sa responsabilité civile professionnelle pour un représentant qui n’est pas un de ses employés.

[114]    Même si le Tribunal conclut que l’article 80 a une utilité propre et que l’on peut se servir de l’interprétation de l’article 1463 C.c.Q. pour en calibrer la portée, il n’en demeure pas moins que l’on doit jeter un regard particulier qui tient compte du contexte propre de la LDPSF.

[115]    Premièrement, le Tribunal doit notamment donner une interprétation large et libérale aux dispositions de la LDPSF comme le rappelle la Cour d’appel dans l’arrêt Marston c. Autorité des marchés financiers[65] :

 

 

« [46] La LDPSF a été conçue pour protéger le public et, pour cette raison principalement, il y a lieu de privilégier une interprétation large et libérale de ses dispositions. À cet égard, je renvoie à l'arrêt Kerr c. Danier Leather Inc. dans lequel la Cour suprême écrit : « La Loi sur les valeurs mobilières est une mesure législative corrective et doit recevoir une interprétation large ». »

(référence omise)

[116]    Deuxièmement, les articles qui précèdent l’article 80 créent un régime de protection favorable au consommateur. Ils traitent des obligations menant à l’inscription d’un cabinet auprès de l’AMF. Le cabinet doit détenir un certificat d’inscription pour offrir des produits financiers spécifiques. Pour ce faire, le cabinet doit financièrement contribuer à alimenter le Fonds et souscrire une police d’assurance responsabilité pour les actes posés par lui et ses représentants.

[117]    Cela revient à se demander si l’article 80 ne doit s’appliquer que pour les cas de faute simple comme cela est anticipé à l’article 76, alors qu’est prescrite une assurance obligatoire pour le cabinet, ou si l’article 80 crée une présomption qui engage le cabinet lors de la fraude commise par son représentant.

[118]    Pour répondre à ce questionnement, voyons l’article 258 qui crée une obligation de garantie en cas de fraudes :

« Ce fonds est affecté au paiement des indemnités payables aux victimes de fraude, de manœuvres dolosives ou de détournement de fonds dont est responsable un cabinet, un représentant autonome[66], une société autonome ou un courtier en épargne collective ou en plans de bourses d'études inscrit conformément au titre V de la Loi sur les valeurs mobilières (chapitre V-1.1). »

[119]    Cet article ne traite pas des fraudes commises par les représentants des cabinets, mais bien de celles commises par les cabinets eux-mêmes. Or, il serait inconcevable que seules les fraudes « institutionnelles » des cabinets soient couvertes par cette disposition. C’est pourquoi l’article 80 crée un lien non pas seulement pour la responsabilité civile en cas de faute professionnelle d’un représentant, mais aussi pour la fraude qu’il pourrait commettre.

[120]    Comme l’ont reconnu les Tribunaux, la nature du Fonds ressemble à celle d’un assureur public contre les fraudes dont les consommateurs de services financiers seraient victimes[67].

 

 

[121]    Or, ne pas donner à l’article 80 un rôle à jouer lors de la commission d’une fraude par un représentant serait comme reconnaître un trou dans le filet de protection du consommateur. Cette absence de protection serait importante puisque la fraude individuelle par un représentant est souvent susceptible de se produire dans ce domaine. Au cours des dernières années, les exemples donnés, placés à l’avant-scène publique, ont fait la démonstration évidente de la nécessité de cette mesure.

[122]    Le Tribunal considère donc l’article 80 applicable aux cas de fraude provoqués par des représentants. Son interprétation doit, à cause du type de loi de protection de la LDPSF, être large et libérale.

[123]    D’ailleurs, l’article 1463 C.c.Q. a déjà permis de retenir la responsabilité d’un employeur d’une personne mal intentionnée au sein d’une institution financière.

[124]    L’arrêt Allan c. Boutin[68] de la Cour d’appel retient la responsabilité d’une caisse populaire qui emploie une personne qui, dans l’exécution de ses fonctions de directeur adjoint service conseil, reçoit des commissions frauduleuses et fait partie d’un groupe de promoteurs qui fraudent des investisseurs :

« [133] En effet, à compter du 18 août 1986, Boutin assistait aux réunions du groupe. Il était mis au courant de tous les projets. Les textes du prospectus étaient discutés lors de ces réunions. Il a eu connaissance des commissions cachées perçues par le groupe dont il faisait partie et a reçu, à même ces commissions cachées, des sommes considérables.

[134] Ses fonctions à la Caisse lui ont permis de faciliter l'émission des prêts. En présentant en lots, devant la Commission de crédit, d'excellents dossiers auxquels étaient joints certains dossiers plus faibles, il a obtenu plus facilement les approbations requises. Enfin, il a donné des directives à son personnel de taire tout commentaire sur les projets tout en créant une situation factuelle destinée à faire croire aux investisseurs qu'il existait une association entre le Groupe Émond et la Caisse et que celle-ci cautionnait en quelque sorte les investissements sollicités. Sa responsabilité est donc engagée même à l'égard des investisseurs qui n'ont pas emprunté à la Caisse vu qu'il a associé étroitement ses fonctions de directeur à la Caisse à son rôle de promoteur dans le Groupe Émond.

[135] Les actes fautifs de Boutin ont tous été commis alors qu'il était à l'emploi de la Caisse de juin 1984 à juillet 1987. Les circonstances sont telles qu'il paraît incontestable que ces actes fautifs ont été commis dans l'exécution de ses fonctions comme préposé de la Caisse et non simplement à l'occasion de ses fonctions.

[136] Dans l'arrêt Havre des femmes c. Dubé, le juge LeBel, alors membre de la Cour, détermine ainsi les conditions qui doivent être réunies pour créer une présomption irréfragable de responsabilité à l'égard du commettant en vertu de l'article 1054 al. 7 C.c.B.-C.[69]:

[…] Généralement, trois catégories de situations sont susceptibles de se présenter. La faute du préposé peut avoir été commise soit dans l'exercice normal de ses fonctions, soit alors qu'il abusait de celles-ci ou, enfin, lorsqu'il se trouvait tout simplement en dehors de l'exécution de ses fonctions ou à l'occasion de ces dernières. Dans le cas de faute dans l'exercice normal des fonctions ou d'abus de fonctions, mais commise à l'intérieur de celles-ci, la responsabilité est engagée. Par contre, un acte posé à l'occasion de l'exécution des fonctions est considéré comme hors de celles-ci et donc comme soustrait à l'application de l'article 1054 alinéa 7 C.C.

Les arrêts rendus par la Cour suprême du Canada, d'abord dans Curley c. Latreille, que confirmait plus tard Moreau c. Labelle, ont adopté un principe judiciaire d'application de l'article 1054 C.C., qui exige que le préposé ait commis une faute dans l'exécution des tâches pour lesquelles il avait été engagé, par son incompétence ou par une manœuvre exécutée dans l'exécution normale de ses fonctions. Elle peut même résulter d'un abus de fonctions, à condition que l'acte du préposé demeure dans le cadre établi par l'exercice de ses fonctions et que la faute ait été commise, au moins partiellement, pour le bénéfice du commettant. Le professeur C. Masse définit ainsi le concept d'abus de fonctions, dans une étude approfondie de la notion:

Par abus des fonctions, on doit entendre toute faute commise par le préposé alors qu'il exerce sa fonction d'une manière différente que celle qui lui a été assignée mais qui reste dans la poursuite d'une activité qui bénéficie à son commettant.

[137] Même lorsque l'acte fautif revêt un caractère criminel, la responsabilité du commettant demeure engagée si cet acte se situe dans le cadre de l'emploi et des tâches reliées à celui-ci.

[138] En l'espèce, Boutin avait la responsabilité de promouvoir les produits et les services financiers de la Caisse. Il était directement sous l'autorité du directeur général Breton et il a discuté avec ce dernier des services financiers offerts au Groupe Émond ainsi que des prêts disponibles aux investisseurs. Il a fait les présentations des demandes d'emprunts à la Commission de crédit et s'est chargé de mettre à la disposition des investisseurs, les locaux et le personnel de la Caisse.

[139] Il est manifeste que la Caisse a bénéficié des projets de vente d'immeubles en indivision puisque 600 prêts totalisant 8 000 000 $ ont été réalisés grâce à l'association avec Émond. Il y a eu une augmentation fulgurante du chiffre d'affaires de la Caisse.

 

[140] Même si la Caisse ne connaissait pas le paiement des commissions et les profits réalisés par Boutin, cela ne lui permet pas d'échapper à sa responsabilité sous l'article 1054 al. 7 C.c.B.-C. à condition que la prescription en matière délictuelle n'ait pas été acquise au moment où les actions des appelants ont été intentées. »

(références omises et nos soulignements)

[125]    Le Tribunal retient que la responsabilité du cabinet est engagée lorsque le représentant :

Ø  Transige, pour son intérêt personnel, avec un client alors que, pour établir et maintenir cette relation, il mise sur la réputation du cabinet auprès duquel il est représentant et utilise le cadre de travail qui lui est ainsi offert;

Ø  Abuse de ses fonctions à l’intérieur de celles-ci en transigeant en regard de produits qui font normalement partie des produits qu’il pourrait légalement offrir au client, s’il avait décidé de ne pas commettre de fraude;

Ø  Se sert de sa fonction au sein du cabinet pour mousser ses activités illicites auprès de clients potentiels;

Ø  Et que, dans le cadre de ses fonctions, tantôt il fait profiter le cabinet de sa relation de confiance avec le client, et tantôt, il en tire personnellement un avantage qui lui est exclusif.

B.   L’article 80 de la LDPSF trouve-t-il application en l’espèce ?

[126]    Dans le présent dossier, les activités de Langelier-Legault rencontrent l’ensemble des critères du paragraphe précédent.

[127]    Langelier-Legault engage la responsabilité du cabinet Investia car :

Ø  Il utilise d’abord le nom, la réputation, la crédibilité, son titre de directeur de succursale, le bureau, le téléphone, l’imprimante et le papier à lettres d'Investia pour mousser sa crédibilité auprès de Madame Vigeant;

Ø  Il offre des produits qu’il aurait pu tout aussi bien offrir s’il avait décidé de ne pas frauder Madame Vigeant et son cabinet;

Ø  L’offre de véritables produits d’Investia à Madame Vigeant appuie ses sombres desseins;

Ø  Ses actes frauduleux ont tout de même permis le développement de nouvelles affaires pour Investia avec Madame Vigeant;

Ø  Investia profite de la relation de confiance avec Madame Vigeant;

Ø  Il est impossible de départager quelle part de la confiance développée entre le représentant Langelier-Legault et Madame Vigeant sert l’intérêt du représentant et laquelle sert l’intérêt du cabinet.

C.   Quels sont les moyens dont dispose Investia pour repousser cette présomption ?

[128]    Comme le rappelle le juge LeBel dans l’arrêt Havre des femmes[70], la présomption de l’article 1463 est irréfragable, ce qui veut dire que, un article de loi de semblable facture, Investia ne peut la renverser. Investia ne dispose pas de la possibilité de soulever des moyens de défense.

[129]    La doctrine supporte le caractère irréfragable de cette disposition :

« La jurisprudence avait lu dans le dernier paragraphe de l’article 1054 C.c.B.-C., une présomption irréfragable. Le Code civil a maintenu celle-ci. En fait, il ne s’agit pas d’une simple règle de preuve, mais bien d’une règle de fond. Le Code ne laisse, en effet, aucun moyen d’exonération possible au commettant dès l’instant où toutes les conditions d’application du régime de responsabilité se trouvent réunies. »[71]

[130]    Et si tant est qu’Investia avait disposé de tels moyens de défense, le Tribunal considère que la preuve administrée devant lui n’est pas concluante pour renverser la présomption.

[131]    Les mesures mises en place par Investia et surtout les entreprises qui ont, au fil des ans, encadré Langelier-Legault se sont presque contentées de lui faire compléter un questionnaire alors que les cabinets ont, au sens de la Loi[72], l’obligation de faire les enquêtes. Les agences locales ont été autorisées à conserver les dossiers des clients plutôt que de centraliser les risques que cela présente. Personne ne s’est interrogé sur le fait que Langelier-Legault conservait ses dossiers de fraude dans un local mis à sa disposition et situé dans le même immeuble locatif que le bureau d’Investia. Personne n’a posé de questions sur les relevés de compte qu’il recevait mensuellement de la caisse populaire où il transigeait, aux bureaux d’Investia et qui étaient adressés à Gestion placement Avenir. Pendant dix ans, personne d’autre que Langelier-Legault n’est entré en contact avec Madame Vigeant.

[132]    Finalement, lors de l’audition, avant même que Langelier-Legault fasse un mea culpa auprès de l’AMF et que Madame Vigeant appelle pour obtenir remboursement de son placement, Investia enquête au sujet d’un autre représentant avec qui Langelier-Legault a travaillé et, étrangement, Madame Nancy Lachance consulte un de ses collègues dès la fin de 2009 avec un faux relevé au cœur de ce dossier. Comment se fait-il qu’en enquêtant, elle ait eu accès à un faux relevé émis par Langelier-Legault pour Madame Vigeant ? Chose certaine, en décembre 2009, Langelier-Legault n’en avait pas fourni de copie et Mme Vigeant n’était encore au courant de rien. C’est donc dire que ce document pouvait être retracé parmi les documents d’Investia avec un minimum de perspicacité. Ainsi, Monsieur Stéphane Blanchette, vice-président Finances d’Investia, témoigne à ce sujet et le Tribunal n’a pas de motif de douter de la solidité de ce témoignage:

 

 

« Me Rochette

Attendez, on va prendre le document en question, c'est la pièce P - 11. Alors, dans le fond je vous demandais à quel moment la relation s'est terminée, mais autrement dit, vous me répondez à quel moment vous avez découvert la fraude, c'est ça ?

SB

Bien, sa relation chez Investia s'est terminée lorsque...

Me Rochette

Vous avez découvert la fraude?

SB

... lorsqu'on a découvert ça, c'est-à-dire, que c'est pas - c'est inacceptable.

Tribunal

Vous souvenez-vous de la date?

SB

Fin 2009, fin 2009.

Me Rochette

Fin 2009?

SB

Fin 2009.

Me Rochette

Et vous dites que Madame Nancy Lachance vous montre un document. Je vous exhibe le document P-11...

SB

Oui.

Me Rochette

... est-ce que c'est le document que Madame Lachance vous a montré?

SB

C'est carrément, c'est carrément ça, (…)

 

Me Pettigrew

Quand vous dites « le document », c'est la pièce que nous vous avons montrée tantôt sous la pièce P-11?

SB

P-11, oui.

Me Pettigrew

C'est bien cela?

SB

Oui.

Me Pettigrew

Est-ce qu'il y a d'autres documents qui vous ont été montrés en même temps ou c'est l'unique document qui vous a été montré à ce moment-là?

SB

À cette époque-là, c'était l'unique document.

Me Pettigrew

O.K. Est-ce que vous avez été informé à ce moment-là qu'il y avait d'autres victimes que Madame Vigeant ou vous ne le saviez pas à ce moment-là?

SB

Aucune idée. »

 

 

[133]    Même si cela avait été légalement possible, la preuve ne permet pas de renverser la présomption ni de démontrer qu’Investia, et surtout les sociétés antérieures, ont fait ce qu’il fallait faire pour éviter pareille situation.

La solidarité des défendeurs

[134]    Langelier-Legault a commis une faute de nature extracontractuelle envers Madame Vigeant en se livrant à des gestes frauduleux[73].

[135]    En principe, le Code civil du Québec prescrit une responsabilité solidaire lors de la commission de tels gestes :

« 1526. L'obligation de réparer le préjudice causé à autrui par la faute de deux personnes ou plus est solidaire, lorsque cette obligation est extracontractuelle. »

[136]    La faute commise par Investia est d’avoir eu sous sa responsabilité de cabinet, au sens de l’article 80 de la Loi, un représentant ayant commis une fraude envers Madame Vigeant.

[137]    En pareil cas, le professeur Baudouin, dans son ouvrage La responsabilité civile, 8e édition[74], doute de la responsabilité parfaitement solidaire :

« Or, pour qu’il y ait solidarité, il faut, aux termes de l’article 1526 C.c. (1106 C.c.B.-C.), être en présence de la faute de deux personnes. Dans ce cas-ci, la responsabilité du commettant étant engagée en dehors de tout comportement fautif de sa part, on voit mal comment la solidarité passive pourrait donc s’appliquer, sauf cas de faute prouvée du commettant. Il pourrait cependant y avoir solidarité imparfaite. »

[138]    L’article 80 fait présumer de la responsabilité d’Investia à partir de celle de Langelier-Legault. Il crée une forme de solidarité imparfaite en ce qu’il prévoit la responsabilité d’Investia en pareil cas tout en prévoyant qu’Investia peut tenir ultimement responsable le représentant. 

[139]    L’AMF peut donc s’adresser indistinctement à l’un ou l’autre des défendeurs pour obtenir l’entier montant, quitte à ce que, par la suite, un défendeur réclame à l’autre la somme à laquelle il est personnellement tenu.

[140]    Sans la faute commise par Langelier-Legault, il n’y aurait tout simplement pas de responsabilité d’Investia. Langelier-Legault doit ultimement en porter seul la respon-sabilité. C’est pourquoi, dans l’esprit du dernier membre de phrase de l’article 80 de la Loi, bien qu’Investia soit condamnée solidairement à rembourser l’AMF, Investia bénéficie d’une conclusion lui permettant d’être subrogée et, éventuellement, de se faire rembourser par Langelier-Legault si l’AMF obtient d’Investia l’entier paiement.

RÉSUMÉ

[141]    Langelier-Legault a commis une fraude à l’encontre de Madame Vigeant.

[142]    L’AMF a indemnisé Madame Vigeant à hauteur de 137 600 $. Elle n’aurait toutefois pas dû le faire pour une somme de 35 000 $ puisque Langelier-Legault ne bénéficiait pas de l’inscription adéquate pour ce type de placements.

[143]    L’AMF exerce donc un recours subrogatoire valable contre Langelier-Legault pour une somme de 102 600 $. 

[144]    La règle de responsabilité du cabinet contenue à l’article 80 de la Loi entraîne Investia à rembourser l’AMF.

[145]    Investia et Langelier-Legault sont donc solidairement responsables de rembourser à l’AMF la somme de 102 600 $ et Investia bénéficie d’une conclusion contre Langelier-Legault afin de lui réclamer éventuellement l’entier montant.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[146]     CONDAMNE solidairement la défenderesse Investia Services financiers inc. et le défendeur Sylvain Langelier-Legault à verser à la demanderesse Autorité des marchés financiers la somme de 102 600 $ avec intérêt et l’indemnité additionnelle prescrits à l’article 1619 du Code civil du Québec depuis l’assignation;

[147]     DÉCLARE qu’entre les défendeurs, le défendeur Sylvain Langelier-Legault assume 100% de la responsabilité;

[148]     ORDONNE au défendeur Sylvain Langelier-Legault de tenir indemne la défenderesse Investia Services financiers inc. de tout montant en capital et intérêts que cette dernière paiera à la demanderesse Autorité des marchés financiers en vertu du présent jugement;

[149]     AVEC DÉPENS.

 

 

 

CLÉMENT SAMSON, j.c.s.

 

Contentieux des marchés financiers

Me Marie A. Pettigrew

Me Julie-Maude Perron

Tour Cominar

2640, boul. Laurier, 3e étage

Québec (Québec)  G1V 5C1

Procureurs des demandeurs

 

Monsieur Sylvain Langelier-Legault

[…] St-Mathias-sur-Richelieu (Québec) […]

Défendeur (se représente seul)

 

Beauvais Truchon, Casier # 65

Me Judith Rochette

Procureurs de la défenderesse

 

Date d’audience :

17 au 20 novembre 2014

 



[1]     RLRQ, c. A-3.2, art. 4.

[2]     Pièces P-4 et P-4 a).

[3]     Le sommaire des faits présente, comme le nom l’indique, quelques faits marquants pour saisir le déroulement des faits. Les faits sont plus amplement analysés dans la section Analyse et discussion.

[4]     Pièce P-10.

[5]     Pièce P-13.

[6]     Pièce P-18.

[7]     Pièce P-19.

[8]     Pièce P-21.

[9]     Pièce P-12.

[10]    Cette auto-appréciation des connaissances en placement par Madame Vigeant se retrouve de nouveau dans les mises à jour de son profil des 31 mars 2003 (pièce P-15) et 11 novembre 2008 (pièce P-17).

[11]    Pièce D-1.

[12]    Pièce D-24.

[13]    Pièce P-31.

[14]    Pièce P-32.

[15]    RLRQ, c. D-9.2.

[16]    RLRQ, c. D-9.2, r. 1.

[17]    André Lacelle c. Bureau des services financiers et als., EYB 2005-104311.

[18]    « 5. Il ne peut être prononcé sur une demande en justice sans que la partie contre laquelle elle est formée n'ait été entendue ou dûment appelée. » (Extrait du Code de procédure civile).

[19]    « 1657. La subrogation a effet contre le débiteur principal et ses garants, qui peuvent opposer au subrogé les moyens qu'ils avaient contre le créancier originaire. » (Extrait du Code civil du Québec).

[20]    2803 C.c.Q.

[21]    2007 CCS 50.

[22]    Jean-Louis BAUDOUIN et Pierre-Gabriel JOBIN, Les obligations, 7e édition, Les Éditions Yvon Blais, Cowansville, 2013, p. 1220.

[23]    Règlement sur l’admissibilité d’une réclamation au Fonds d’indemnisation des services financiers, RLRQ, c. D-9.2, r.1, art. 2.

[24]    Pièce P-9, page 6 et Pièce D-24, page 1.

[25]    Céline GERVAIS, La prescription, Éditions Yvon Blais, Cowansville, 2009, pp. 106-107.

[26]    Idem, p. 109.

[27]    QCCA, 17 novembre 1998 (200-09-000451-952).

[28]    Laflamme c. Prudentail-Bache, [2000] 1 R.C.S. 638.

[29]    CRÊTE, Raymonde, DUCLOS, Cynthia et BLOUIN, Frédéric, Les courtiers en épargne collective, leurs dirigeants et leurs représentants sont à l’abri de sanctions disciplinaires au Québec?, Revue générale de droit, Université d’Ottawa, Vol. 42, no 1, 2012, par. 26.

[30]    Pièce P-12.

[31]    Pièce D-4.

[32]    Pièce P-16.

[33]    Pièce D-20, pages 1 à 5.

[34]    Pièce P-19.

[35]    Pièce D-20, pages 6 à 10.

[36]    Pièce P-22.

[37]    Pièce P-24

[38]    Par exemple, voir Pièce P-29.

[39]    Les seuls relevés retrouvés par Investia vont de novembre 2007 à mai 2009, alors que les véritables relations avec Madame Vigeant remontent à 2000.

[40]    Langelier-Legault reconnaît qu’il peut exister d’autres relevés que ceux déposés au dossier (Pièce D-22, pages 22 à 24).

[41]    Brisson c. Fonds d'indemnisation des services financiers, 2006 QCCA 778.

[42]    Pièce D-15.

[43]    Pièce P-9.

[44]    Pièce P-19.

[45]    Pièce D-22, page 11.

[46]    Pièce D-21, page 36, ligne 15.

[47]    Pièce D-21, page 36 des notes sténographiques, ligne 8.

[48]    Pièce P-10.

[49]    Pièce P-7.

[50]    Pièce P-8.

[51]    Pièce D-21, pages 33-34.

[52]    Pièce P-11.

[53]    Langelier-Legault a été poursuivi par l’AMF pour avoir offert une valeur mobilière (voir le constat d’infraction Pièce D-3).

[54]    Pièce P-41 a).

[55]    Pièces D-4, D-5, D-6 et D-7. 

[56]    Pièce P-13.

[57]    Pièce P-16.

[58]    Pièce P-18.

[59]    Pièce P-20.

[60]    Pièce D-23.

[61]    Pièce P-21.

[62]    Pièce P-30.

[63]    Pièce P-22.

[64]    « Elle doit aussi démontrer que tout représentant qui agit pour son compte sans être un des employés est couvert par une assurance conforme aux exigences déterminées par règlement pour couvrir sa responsabilité. »

[65]    2009 QCCA 2178.

[66]    Cette notion de « représentant autonome » n’a pas d’application dans le présent dossier.

[67]    Lacelle, note 17, par. 6.

[68]    2002 CanLII 41163 (QCCA).

[69]    Cet article se lisait ainsi; « Les maîtres et commettants sont responsables du dommage causé par leurs domestiques et ouvriers, dans l’exécution des fonctions auxquelles ces derniers sont employés. ».

[70]    « Une fois ces conditions réunies, le Code civil du Québec établit une présomption irréfragable de responsabilité, que des auteurs fondent sur l'attribution du risque de l'activité du commettant (voir, par exemple, J.-L. Baudouin, op. cit., p. 348). »

[71]    Jean-Louis BAUDOUIN, Patrice DESLAURIERS et Benoît MOORE, La responsabilité civile, 8e  édition, Les Éditions Yvon Blais, Cowansville, 2014, p. 814.

[72]    « 85. Un cabinet et ses dirigeants veillent à la discipline de leurs représentants. Ils s’assurent que ceux-ci agissent conformément à la présente loi et à ses règlements. »

 

[73]    9022-1672 Québec inc. c. Chantal, 2009 QCCA 70.

[74]    Jean-Louis BAUDOUIN, Patrice DESLAURIERS et Benoît MOORE, La responsabilité civile, 8e  édition, Les Éditions Yvon Blais, Cowansville, 2014, p. 813.

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