JM-1606 |
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JD-2067 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
DRUMMOND |
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N° : |
405-17-000337-035 |
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DATE : |
Le 27 janvier 2005 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
JACQUES DUFRESNE, J.C.S. |
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VILLE DE DRUMMONDVILLE |
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Requérante |
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c. |
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Intimée |
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et |
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ME DIANE BEAUREGARD |
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et |
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LA COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL |
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Mises en cause |
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JUGEMENT |
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[1] La requérante, Ville de Drummondville (la Ville), présente une requête en révision judiciaire à l'égard de la décision rendue le 18 novembre 2003 par l'intimée, la Commission des lésions professionnelles (la CLP), sous la signature de la commissaire Me Diane Beauregard.
[2] Siégeant en révision de la décision rendue par son collègue André Gauthier de la CLP le 28 juin 2002, la commissaire Me Diane Beauregard a procédé à réviser cette décision en concluant à la présence d'un vice de fond de nature à invalider la décision du premier commissaire et en déclarant que l'employeur, Ville de Drummondville, doit être imputé des coûts rattachés à la lésion professionnelle subie par sa travailleuse, madame Floriane Paul - Descôteaux, le 14 décembre 2000.
LES FAITS
[3] La Ville embauche annuellement des brigadières scolaires qui, au moment de l'événement, recevaient un salaire hebdomadaire de 125 $ par semaine pour un maximum de 15 heures de travail par semaine et pour 43 semaines de travail par année.
[4] Le 14 décembre 2000, la brigadière, Floriane Paul‑Descôteaux (la travailleuse), salariée de la Ville, a subi une lésion professionnelle alors qu'elle a chuté et s'est fracturé le poignet droit.
[5] Le 21 mars 2001, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendait une décision ayant pour effet de déclarer que la travailleuse était capable d'exercer un emploi depuis le 12 mars 2001 et qu'elle n'avait plus droit, en conséquence, aux indemnités de remplacement du revenu qui lui avaient été accordées.
[6] La CSST a payé à la travailleuse des indemnités de remplacement du revenu, pour la période du 15 décembre 2000 au 11 mars 2001, qu'elle a calculées sur la base du salaire minimum comme si la travailleuse travaillait 40 heures par semaine, en se fondant sur l'article 65 de la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles[1] (la Loi).
[7] La Ville n'a pas contesté, en temps utile, la détermination de l'indemnité de remplacement de revenu accordée par la CSST à la travailleuse.
[8] La Ville a cependant contesté l'imputation des coûts en demandant à la CSST, le 27 avril 2001, que les coûts reliés à l'accident du 14 décembre 2000 soient partagés à 50 % à l'ensemble des employeurs et 50 % à son dossier financier, en faisant valoir que la travailleuse gagnait un revenu de 125 $ par semaine pour 43 semaines de travail par année, alors qu'elle avait reçu une indemnité de remplacement du revenu pour la période du 15 décembre 2000 au 11 mars 2001 basée sur le salaire minimum appliqué sur 40 heures par semaine.
[9] Le 10 mai 2001, la CSST rendait une décision refusant la demande de partage.
[10] La Ville a demandé la révision de la décision devant la CSST par lettre datée du 31 mai 2001.
[11] Le 9 novembre 2001, une formation de la CSST siégeant en révision administrative confirmait la décision de la CSST du 10 mai 2001 au motif que l'importance des montants en cause ne suffisait pas à établir que la Ville était obérée injustement.
[12] La décision en révision administrative de la CSST du 9 novembre 2001 fut l'objet de contestation par la Ville devant la CLP.
[13] Le 28 juin 2002, le commissaire André Gauthier de la CLP rend une décision infirmant la décision de la CSST du 9 novembre 2001 et déclarant que 50 % des coûts des prestations reçues par la travailleuse devaient être imputés à l'ensemble des employeurs et 50 % au dossier de la Ville, tandis que tous les autres frais reliés à la lésion professionnelle subie par la travailleuse le 14 décembre 2000 devaient être imputés à la Ville seulement.
[14] Le 19 août 2002, la CSST dépose devant la CLP une requête en révision administrative de la décision du 28 juin 2002.
[15] Le 18 novembre 2003, la commissaire mise en cause, Me Diane Beauregard, de la CLP accueille la requête de la CSST, révise la décision du 28 juin 2002 et déclare que la Ville doit être imputée des coûts rattachés à la lésion professionnelle.
[16] Cette décision de la CLP du 18 novembre 2003 fait l'objet de la présente requête en révision judiciaire.
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES
[17] Les articles suivants de la Loi sont d'intérêt pour disposer de la présente révision judiciaire.
[18] Les principales règles applicables à la détermination de l'indemnité de remplacement du revenu sont prévus aux articles suivants de la Loi :
6. Aux fins de la présente loi, la Commission détermine le salaire minimum d'un travailleur d'après celui auquel il peut avoir droit pour une semaine normale de travail en vertu de la Loi sur les normes du travail (chapitre N‑1.1) et ses règlements.
Lorsqu'il s'agit d'un travailleur qui n'occupe aucun emploi rémunéré ou pour lequel aucun salaire minimum n'est fixé par règlement, la Commission applique le salaire minimum prévu par l'article 3 du Règlement sur les normes du travail (R.R.Q., 1981, chapitre N‑1.1, r.3) et la semaine normale de travail mentionnée à l'article 52 de la Loi sur les normes du travail, tels qu'ils se lisent au jour où ils doivent être appliqués.
44. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.
Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.
45. L'indemnité de remplacement du revenu est égale à 90 % du revenu net retenu que le travailleur titre annuellement de son emploi.
65. Aux fins du calcul de l'indemnité de remplacement du revenu, le revenu brut annuel d'emploi ne peut être inférieur au revenu brut annuel déterminé sur la base du salaire minimum en vigueur lorsque se manifeste la lésion professionnelle ni supérieur au maximum annuel assurable en vigueur à ce moment.
67. Le revenu brut d'un travailleur est déterminé sur la base du revenu brut prévu par son contrat de travail et, lorsque le travailleur est visé à l'un des articles 42.11 et 1019.4 de la Loi sur les impôts (chapitre I‑3), sur la base de l'ensemble des pourboires que le travailleur aurait déclarés à son employeur en vertu de cet article 1019.4 ou que son employeur lui aurait attribués en vertu de cet article 42.11, sauf si le travailleur démontre à la Commission qu'il a tiré un revenu brut plus élevé de l'emploi pour l'employeur au service duquel il se trouvait lorsque s'est manifestée sa lésion professionnelle ou du même genre d'emploi pour des employeurs différents pendant les 12 mois précédant le début de son incapacité.
Pour établir un revenu brut plus élevé, le travailleur peut inclure les bonis, les primes, les pourboires, les commissions, les majorations pour heures supplémentaires, les vacances si leur valeur en espèces n'est pas incluse dans le salaire, les rémunérations participatoires, la valeur en espèces de l'utilisation à des fins personnelles d'une automobile ou d'un logement fournis par l'employeur lorsqu'il en a perdu la jouissance en raison de sa lésion professionnelle et les prestations en vertu de la Loi sur l'assurance‑emploi (Lois du Canada, 1996, chapitre 23).
68. Le revenu brut d'un travailleur saisonnier ou d'un travailleur sur appel est celui d'un travailleur de même catégorie occupant un emploi semblable dans la même région, sauf si ce travailleur démontre à la Commission qu'il a tiré un revenu brut plus élevé de tout emploi qu'il a exercé pendant les 12 mois précédant le début de son incapacité.
Le deuxième alinéa de l'article 67 s'applique aux fins d'établir un revenu brut plus élevé.
69. Le revenu brut d'un travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle est celui qu'il tirait de l'emploi par le fait ou à l'occasion duquel il a été victime de cette lésion, déterminé conformément à l'article 67.
Ce revenu brut est revalorisé au 1er janvier de chaque année depuis la date où le travailleur a cessé d'occuper cet emploi.
70. Le revenu brut d'un travailleur qui subit une récidive, une rechute ou une aggravation est le plus élevé de celui qu'il tire de l'emploi qu'il occupe lors de cette récidive, rechute ou aggravation et du revenu brut qui a servi de base au calcul de son indemnité précédente.
Aux fins de l'application du premier alinéa, si la récidive, la rechute ou l'aggravation survient plus d'un an après le début de l'incapacité du travailleur, le revenu brut qui a servi de base au calcul de son indemnité précédente est revalorisé.
71. Le revenu d'un travailleur qui occupe plus d'un emploi est celui qu'il tirerait de l'emploi le plus rémunérateur qu'il devient incapable d'exercer comme s'il exerçait cet emploi à plein temps.
S'il devient incapable d'exercer un seul de ses emplois, son revenu brut est celui qu'il tire de cet emploi et l'article 65 ne s'applique pas dans ce cas en ce qui concerne le revenu minimum d'emploi.
72. Le revenu brut d'un travailleur autonome visé dans l'article 9 est celui d'un travailleur de même catégorie occupant un emploi semblable dans la même région, sauf si ce travailleur démontre à la Commission qu'il a tiré un revenu brut plus élevé d'un travail visé dans l'article 9 pendant les 12 mois précédant le début de son incapacité.
73. Le revenu brut d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle alors qu'il reçoit une indemnité de remplacement du revenu est le plus élevé de celui, revalorisé, qui a servi de base au calcul de son indemnité initiale et de celui qu'il tire de son nouvel emploi.
L'indemnité de remplacement du revenu que reçoit ce travailleur alors qu'il est victime d'une lésion professionnelle cesse de lui être versée et sa nouvelle indemnité ne peut excéder celle qui est calculée sur la base du maximum annuel assurable en vigueur lorsque se manifeste sa nouvelle lésion professionnelle.
[19] L'imputation des coûts des prestations payées à un travailleur en raison d'un accident du travail est prévue à l'article 326 de la Loi qui se lit :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
[20] Le pouvoir de la CLP de réviser ses propres décisions est prévu à l'article 429.56 de la Loi, lequel se lit :
La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
[21] La commissaire Me Diane Beauregard était saisie d'une demande de révision en vertu du 3ième alinéa de l'article 429.56 de la Loi.
DÉCISIONS DE LA CSST
[22] Le 10 mai 2001, la CSST conclut que l'imputation des coûts déboursés par la CSST dans le dossier de la travailleuse n'a pas pour effet d'obérer injustement la Ville :
Effectivement, vous n'avez pas démontré que celle‑ci vous endette ou vous accable de dettes de façon substantielle ou de manière significative, et ce, injustement.
En conséquence, la décision de vous imputer la totalité du coût des prestations demeure inchangée.
[23] La Ville demande la révision administrative de cette décision, étant donné que l'imputation en cause représente le double du salaire annuel prévu au contrat de la travailleuse.
[24] Le 9 novembre 2001, la CSST confirme en révision administrative la décision de la CSST du 10 mai 2001 et conclut que la totalité des coûts demeure imputée au dossier de l'employeur et se déclare sans compétence pour statuer sur le salaire brut retenu aux fins de calcul de l'indemnité de remplacement de revenu. Cette décision est motivée ainsi :
Dans la politique de la CSST, il est indiqué que l'employeur doit démontrer lorsqu'il produit sa demande que l'imputation a pour effet de l'endetter ou de l'accabler de dettes de " façon substantielle " ou de " manière significative " et ce injustement. Le seul fait d'alléguer l'importance des montants en cause ne suffit pas à établir que l'employeur est obéré injustement. La révision administrative rappelle qu'elle est liée par les politiques de la CSST.
[25] La Ville conteste devant la CLP la décision en révision administrative du 9 novembre 2001 de la CSST.
DÉCISIONS DE LA CLP
[26] Le 28 juin 2002, le commissaire André Gauthier de la CLP infirme la décision de la CSST rendue en révision administrative le 9 novembre 2001 et déclare que 50 % du coût des prestations reçues par la travailleuse devra être imputé à l'ensemble des employeurs et 50 % au dossier de l'employeur, tandis que tous les autres frais reliés à la lésion professionnelle subie par la travailleuse, le 14 décembre 2000, devront être imputés à l'employeur.
[27] Le commissaire Gauthier réfère à la jurisprudence de la CLP concernant l'interprétation de la notion de « obérer injustement » de l'article 326 de la Loi. L'essentiel de ses motifs se résume ainsi :
… Ainsi la jurisprudence majoritaire est à l'effet que toute somme qui ne doit, pour une question de justice, être imputée à l'employeur, l'obère injustement tel que l'avait interprété la commissaire Cuddihy dans l'affaire C.S. Brooks Canada inc. (1998, CLP 1995, 87679-05-9704).
[22] Dans le présent cas, la preuve démontre que la travailleuse a été victime d'un accident du travail le 14 décembre 2000 lorsqu'elle a chuté et s'est fracturée le poignet droit.
[23] Celle‑ci était liée par contrat à l'employeur pour une prestation de travail de 15 heures par semaine pour un salaire de 125 $ par semaine pendant 43 semaines maximum par année et ceci depuis de très nombreuses années.
[24] Pour établir son montant d'indemnité de remplacement du revenu, la CSST a utilisé comme base salariale le salaire minimum calculé sur 40 heures par semaine et sur 52 semaines annuellement, ce qui a eu pour effet de doubler le salaire que la travailleuse recevait normalement et ainsi doubler l'imputation au dossier financier de l'employeur sans que celui‑ci ne puisse faire changer la CSST dans sa façon d'établir la base salariale pour calculer l'indemnité de remplacement du revenu.
[25] Considérant ces faits par rapport aux principes précédemment énoncés, la Commission des lésions professionnelles estime, qu'en fonction de la preuve dont elle dispose, que l'employeur est victime d'une injustice et qu'il est obéré injustement en fonction de l'interprétation adoptée par la CSST du deuxième alinéa de l'article 326 de la loi.
[26] La Commission des lésions professionnelles estime donc que, dans le présent cas, imputer totalement à l'employeur le coût des prestations que la travailleuse a reçues entre le 15 décembre et le 11 mars 2001 a pour effet de l'obérer injustement.
[28] La CSST demande à la CLP la révision administrative de la décision du commissaire André Gauthier du 28 juin 2002, au motif qu'elle est entachée d'un vice de fond de nature à l'invalider.
[29] La commissaire Beauregard partage, dans un premier temps, le point de vue du commissaire Gauthier qui a interprété de façon large et libérale la notion « d'obérer injustement » prévue à l'article 326 de la Loi, conformément à la jurisprudence de la CLP.
[30] Elle estime toutefois, dans un deuxième temps, que le commissaire a commis une erreur de droit manifeste et déterminante quand il conclut que les conséquences de l'application de l'article 65 de la Loi créent une injustice pour l'employeur et qu'il est, en conséquence, obéré injustement.
[31] La commissaire Beauregard écrit :
[19] En l'instance, le commissaire privilégie l'interprétation large et ce choix ne peut pas lui être reproché. De fait, comme il a été à maintes fois reconnu par nos tribunaux, l'existence de courants jurisprudentiels et le fait pour un commissaire d'adopter une approche plutôt qu'une autre ne saurait donner ouverture à la révision.
[20] Cela étant, la Commission des lésions professionnelles estime toutefois que le commissaire a commis une erreur de droit manifeste et déterminante quand il conclut que les conséquences de l'application d'une disposition législative, soit en l'instance l'article 65 de la loi, crée une injustice pour l'employeur et qu'il est, en ce sens, obéré injustement.
[21] Est-ce à dire qu'à chaque fois qu'un employeur assume des coûts qui dépassent ce pourquoi il rémunère son travailleur, il connaît une injustice?
[22] À la lecture de la décision attaquée, il semble en être ainsi. Cette décision n'est, par ailleurs, aucunement motivée sur la nature de l'injustice dont l'employeur dit connaître. Le tribunal comprend que la seule application de l'article 65 de la loi et ses conséquences crée (sic) l'injuste et donne droit, en l'instance, à un partage des coûts.
[23] La Commission des lésions professionnelles estime qu'une telle conclusion constitue une erreur manifeste en ce qu'elle remet en cause l'application et, par le fait même, la légalité d'une disposition législative.
[32] Plus loin, elle ajoute :
[30] Or, force est de constater que le législateur n'a pas prévu d'exception au principe général qui veut que l'employeur assume les coûts inhérents à la survenance d'un accident du travail lorsque la base salariale devant servir au calcul de l'indemnité est majorée selon les circonstances qu'il prescrit.
[31] Certes, le deuxième alinéa prévoit un transfert du coût des prestations à tous les employeurs lorsque l'employeur au dossier est obéré injustement. Or, de l'avis de la Commission des lésions professionnelles, cette exception peut trouver application après l'analyse de faits particuliers mais elle ne peut certainement pas trouver application lorsqu'il s'agit des conséquences dans l'application d'une disposition législative. Bref, elle est d'avis que l'application d'une disposition législative ne peut être interprétée comme obérant injustement l'employeur.
[32] Rappelons également que la CSST n'avait d'autre choix que de calculer l'indemnité comme elle l'a fait, soit en appliquant l'article 65 de la loi. La travailleuse y avait également droit. De l'avis de la Commission des lésions professionnelles, l'employeur ne pouvait prétendre devant le commissaire à une injustice.
[33] Enfin, elle conclut :
[38] Bref, la Commission des lésions professionnelles est d'avis que la décision du 28 juin 2002 comporte une erreur manifeste et déterminante en ce qu'elle remet en cause l'application et, par le fait même, la légalité d'une disposition législative. Ceci constitue un vice de fond de nature à l'invalider.
[39] La Commission des lésions professionnelles doit donc réviser cette décision et déterminer si la CSST était justifiée d'imputer l'employeur de la totalité du coût des prestations dues en raison de la lésion professionnelle subie par la travailleuse le 14 décembre 2000.
[40] La Commission des lésions professionnelles tient à souligner que l'injustice doit s'apprécier en regard de l'ensemble des activités normales de l'employeur. Ce dernier n'a pas fait la démonstration d'avoir été traité injustement.
[41] Aucune autre preuve n'ayant été présentée permettant de conclure qu'il est obéré injustement, la Commission des lésions professionnelles est d'avis qu'il doit être imputé des coûts inhérents à la lésion professionnelle subie par madame Floriane Paul‑Descôteaux le 14 décembre 2000.
[34] Pour ces motifs, la commissaire Beauregard révise la décision de son collègue André Gauthier du 28 juin 2002 et déclare que l'employeur, Ville de Drummondville, doit être imputé des coûts rattachés à la lésion professionnelle subie par la travailleuse le 14 décembre 2000.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
[35] La Ville soutient que la politique de la CSST et son interprétation de la Loi l'obèrent injustement. En conséquence, l'employée gagne plus pendant le congé résultant de la lésion professionnelle que durant le temps où celle‑ci travaille.
[36] Pour la Ville, l'employeur est obéré injustement s'il doit assumer plus qu'il ne rémunère son employé.
[37] La contestation de la Ville devant le commissaire André Gauthier de la CLP visait la décision de la CSST d'imputer à l'employeur la totalité de l'indemnité plutôt que d'imputer le coût des prestations dues en raison d'une lésion professionnelle aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités, comme elle l'avait fait valoir devant la CSST sans succès.
[38] Selon la Ville, il existe deux courants de jurisprudence à la CLP sur l'application de la loi à cet égard. Le commissaire Gauthier a suivi le courant minoritaire, alors que, selon la Ville, la commissaire Beauregard lui a préféré le courant majoritaire.
[39] Pour elle, l'article 326 de la Loi qui prévoit l'imputation du coût des prestations est indépendant de l'article 65 de la Loi qui prévoit le calcul de l'indemnité de remplacement du revenu. Si la CSST a mal appliqué l'article 65 de la Loi, la Ville est obérée injustement. Elle conclut qu'aucun motif ne donnait ouverture à la révision administrative de la décision du commissaire André Gauthier du 28 juin 2002, décision qui ne comprenait, selon elle, aucune erreur manifestement déraisonnable.
[40] La CSST fait valoir que si la Ville n'était pas d'accord avec l'application de l'article 65 de la Loi relativement au calcul de l'indemnité de remplacement du revenu, il lui aurait fallu contester la décision rendue à cet égard par la CSST, ce qu'elle n'a pas fait. Pour la CSST, le fait d'appliquer la Loi ne peut avoir pour effet de faire supporter injustement à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident de travail ou de l'obérer injustement.
[41] Le procureur de la CSST suggère que le Tribunal doit faire preuve d'une grande retenue judiciaire envers la décision en révision administrative de la commissaire Beauregard.
[42] Le procureur de la CLP soutient que la décision de la commissaire Beauregard, identifiant un vice de fond de nature à invalider la décision, n'est pas déraisonnable. Une fois l'identification d'un vice de fond de nature à invalider la décision, la commissaire se retrouvait dans la même situation que le premier commissaire pour décider si la Ville était ou non obérée injustement du fait de l'imputation des coûts. Lorsque la commissaire Beauregard, à la deuxième étape du processus de révision administrative, conclut que la Ville ne peut pas être obérée injustement par le seul fait de l'application de l'article 65 de la Loi, sa décision à cet égard n'est manifestement pas déraisonnable.
ANALYSE
[43] La décision de la CSST relativement au calcul de l'indemnité du remplacement du revenu de la travailleuse en vertu de l'article 65 de la Loi ne peut plus être contestée. Cette question ne pouvait être remise en cause devant la CLP. Il est aussi acquis que le Tribunal n'a pas à décider si la CSST a correctement calculé l'indemnité. Le Tribunal n'est tout simplement pas saisi de cette question, pas plus que ne l'était la CLP dans le présent dossier.
[44] L'objet du litige devant la CSST puis, subséquemment, devant le commissaire André Gauthier concernait strictement la contestation par la Ville de l'imputation du coût des prestations en vertu de l'article 326 de la Loi.
[45] La Ville considérait qu'elle était obérée injustement du fait que la travailleuse avait reçu une indemnité de remplacement du revenu supérieure au revenu qu'elle gagnait lorsqu'elle était au travail.
[46] Avant tout, il faut déterminer la norme de révision judiciaire applicable en l'espèce. Une analyse pragmatique et fonctionnelle permet d'établir la norme de contrôle applicable.
[47] Cette analyse comprend l'examen de quatre facteurs : la présence ou l'absence dans la Loi d'une clause privative ou d'un droit d'appel; l'expertise relative du tribunal par rapport à celle de la cour de révision sur le point en litige; l'objet de la Loi et de la disposition particulière en cause; et la nature de la question en litige.
[48] L'auto‑révision, aussi connue sous les vocables de révision interne ou révision administrative, par l'organisme administratif ou le tribunal quasi‑judiciaire qui a rendu une première décision s'opère généralement en deux temps, comme dans le cas de l'article 429.56 de la Loi. Il lui faut décider, dans un premier temps, s'il y a ouverture à révision de la décision rendue précédemment par la CLP pour l'une des trois causes prévues à l'article 429.56 de la Loi et, si la réponse à cette question est positive, alors, dans un deuxième temps, on procède à l'examen de la demande au fond.
[49] La question de savoir si une seule et même norme de contrôle judiciaire s'applique aux deux étapes du processus a déjà fait l'objet d'arrêts de la Cour d'appel.
[50] Le juge Pierre J. Dalphond de la Cour d'appel dans l'arrêt Batiscan[2] retient que l'arrêt Godin[3] représente l'état actuel du droit sur le contrôle judiciaire de la réponse du décideur spécialisé à la question « existe-t-il un vice de fond de nature à invalider la décision antérieure », en optant pour la norme intermédiaire, lorsque le décideur administratif exerce son pouvoir de révision interne[4].
[51] La révision judiciaire d'une décision en révision interne d'un organisme administratif ou tribunal quasi‑judiciaire s'opère, somme toute, en deux temps, en procédant à chaque étape à déterminer la norme applicable, d'abord, quant à décider s'il y a ouverture ou non à révision interne, puis, si la réponse est positive, quant à la décision au fond rendue par la formation siégeant en révision[5]. Il y a lieu d'appliquer en l'espèce ce modèle.
[52] Qu'en est‑il de la décision rendue par la commissaire Beauregard, lorsqu'elle conclut à l'existence d'un vice de fond de nature à invalider la décision initiale rendue par le commissaire André Gauthier le 28 juin 2002?
[53] La norme applicable à la première étape du processus d'auto‑révision par l'organisme administratif ou le tribunal quasi-judiciaire ayant rendu la première décision est celle de la décision raisonnable simpliciter ou, dit autrement, de l'erreur déraisonnable.
[54] Dans l'arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc.[6], le juge Iacobucci définit ainsi cette norme intermédiaire de révision judiciaire :
59 La norme de la décision raisonnable simpliciter se rapproche également de la norme que notre Cour a déclaré applicable pour le contrôle des conclusions de fait des juges de première instance. Dans Stein c.«Kathy K» (Le navire), [1976] 1 R.C.S. 802, à la p. 806, le juge Ritchie a décrit la norme dans les termes suivants:
. . . il est généralement admis qu'une cour d'appel doit se prononcer sur les conclusions tirées en première instance en recherchant si elles sont manifestement erronées et non si elles s'accordent avec l'opinion de la Cour d'appel sur la prépondérance des probabilités. [Je souligne.]
60 Même d'un point de vue sémantique, le rapport étroit entre le critère de la décision «manifestement erronée» et la norme de la décision raisonnable simpliciter est évident. Il est vrai que bien des choses erronées ne sont pas pour autant déraisonnables; mais quand le mot «manifestement» est accolé au mot «erroné», ce dernier mot prend un sens beaucoup plus proche de celui du mot «déraisonnable». Par conséquent, le critère de la décision manifestement erronée marque un déplacement, du critère de la décision correcte vers un critère exigeant l'application de retenue. Cependant, le critère de la décision manifestement erronée ne va pas aussi loin que la norme du caractère manifestement déraisonnable. Car s'il existe bien des choses qui sont erronées sans être déraisonnables, il y a également bien des choses qui sont manifestement erronées sans pour autant être manifestement déraisonnables. Il s'ensuit donc que le critère de la décision manifestement erronée, tout comme la norme de la décision raisonnable simpliciter, s'inscrit sur le continuum, entre la norme de la décision correcte et celle du caractère manifestement déraisonnable. Parce que le critère de la décision manifestement erronée est bien connu des juges au Canada, il peut leur servir de guide dans l'application de la norme de la décision raisonnable simpliciter.
[55] Appliquant ces principes, il faut se demander si la décision de la commissaire Beauregard était déraisonnable ou manifestement erronée lorsqu'elle retient que la décision de son collègue André Gauthier est entachée d'un vice de fond de nature à l'invalider et comporte une erreur manifeste et déterminante en ce que le commissaire Gauthier ne fait reposer sa conclusion que l'employeur est obéré injustement sur le seul effet de l'application de l'article 65 de la Loi, sans autre démonstration.
[56] La décision de révision interne rendue à cet égard par la commissaire Beauregard n'est pas déraisonnable.
[57] En effet, à sa lecture, la décision du commissaire Gauthier concluant que l'employeur est victime d'une injustice et est obéré injustement repose essentiellement, voire uniquement, sur le calcul de l'indemnité de remplacement du revenu payée à la travailleuse par la CSST qui a eu pour effet de doubler l'imputation au dossier financier de l'employeur « … sans que celui‑ci ne puisse faire changer la CSST dans sa façon d'établir la base salariale pour calculer l'indemnité de remplacement du revenu ».
[58] Comme la détermination de l'indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse n'a pas fait l'objet de contestation par la Ville, le seul effet du calcul de l'indemnité effectué en vertu de l'article 65 de la Loi ne peut permettre de conclure que l'employeur est obéré injustement, sans autre démonstration de sa part en quoi il l'est dans les faits.
[59] Malgré une simple référence générale à la preuve dont la CLP disposait, le premier commissaire ne mentionne aucun élément tiré de la preuve, autre que l'application de la Loi, qui démontrerait en quoi la Ville est obérée injustement. La partie qui croit être obérée injustement peut certes demander un partage de l'imputation du coût des prestations dues en raison d'un accident du travail, conformément à l'article 326, deuxième paragraphe, mais il doit en faire la démonstration.
[60] En cela, la décision de révision interne du 18 novembre 2003 de la commissaire Beauregard n'est pas déraisonnable, lorsqu'elle constate une erreur manifeste et déterminante dans la première décision, à savoir que l'employeur concerné avait été obéré injustement par le seul effet de l'article 65 de la Loi en vertu duquel la CSST avait calculé l'indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse, d'autant plus que cette détermination n'avait pas fait l'objet de contestation, en temps utile, par la Ville.
[61] Cela étant, voyons maintenant, quelle est la norme applicable à la deuxième étape du processus de révision interne.
[62] Les décisions de la CLP sont protégées par une clause privative complète[7] et sa décision est finale et sans appel[8].
[63] Le législateur a donné compétence à la CLP en matière de lésions professionnelles et elle jouit d'une expertise spécialisée. L'imputation du coût des prestations relève de la compétence exclusive de la CSST et de la CLP, lorsqu'un appel est porté devant celle‑ci d'une décision de la CSST à cet égard. La question en litige ‑ l'imputation du coût des prestations ‑ est au cœur de sa compétence[9].
[64] La norme de contrôle des décisions de la CLP qui agit à l'intérieur de sa compétence est celle de la décision manifestement déraisonnable.
[65] La Cour suprême du Canada a souvent eu l'occasion de préciser en quoi consiste une décision manifestement déraisonnable. Il s'agit d'une norme très sévère à laquelle il n'est pas facile de satisfaire[10].
[66] Parlant du caractère manifestement déraisonnable, le juge Binnie de la Cour suprême du Canada écrivait :
[164] Cependant, lorsqu'il applique la norme du caractère manifestement déraisonnable qui commande plus de déférence, le juge doit intervenir s'il est convaincu qu'il n'y a pas de place pour un désaccord raisonnable concernant l'omission du décideur de respecter l'intention du législateur. Dans un sens, une seule réponse est possible tant selon la norme de la décision correcte que selon celle du caractère manifestement déraisonnable. La méthode de la décision correcte signifie qu'il n'y a qu'une seule réponse appropriée. La méthode du caractère manifestement déraisonnable signifie que de nombreuse réponses appropriées étaient possibles, sauf celle donnée par le décideur.
[165] Une désignation manifestement déraisonnable est donc celle qui comporte un défaut « flagrant et évident » (Southam, précité, par. 57) et qui est à ce point viciée, pour ce qui est de mettre à exécution l'intention du législateur, qu'aucun degré de déférence ne peut justifier logiquement de la maintenir (Ryan, précité, par. 52)[11].
[67] Il doit s'agir d'une décision dont le raisonnement ou la conclusion est clairement irrationnelle[12]. Il doit s'agir d'une décision frôlant l'absurde[13].
[68] La décision assujettie à la norme de l'erreur manifestement déraisonnable laisse peu de place à l'intervention judiciaire. La déférence est la règle.
[69] Si la commissaire Beauregard n'a pas commis d'erreur déraisonnable en concluant à la présence d'un vice de fond donnant ouverture à révision administrative, la commissaire Beauregard pouvait alors opter pour l'une de plusieurs interprétations quant au fond du litige, en autant que sa décision ne soit pas manifestement déraisonnable.
[70] La décision rendue par la commissaire Me Diane Beauregard, quand elle se prononce sur le fond de l'appel devant la CLP, n'est pas manifestement déraisonnable. Il ne s'agit pas d'évaluer si la décision est bonne, mais seulement si, oui ou non, elle est manifestement déraisonnable. Il n'appartient pas non plus au Tribunal de substituer son opinion à celle du tribunal spécialisé.
[71] Le raisonnement de la commissaire et la conclusion à laquelle elle en arrive d'imputer à l'employeur les coûts rattachés à la lésion professionnelle de la travailleuse se défendent, lorsqu'elle retient que l'injustice ne peut survenir de la seule application de la Loi, mais doit s'apprécier en regard de l'ensemble des activités normales de l'employeur et que celui‑ci n'a pas fait en l'espèce la démonstration qu'il est obéré injustement.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
REJETTE la requête en révision judiciaire de Ville de Drummondville de la décision de la Commission d'appel en matière de lésion professionnelle rendue le 18 novembre 2003 par la commissaire Me Diane Beauregard;
LE TOUT, avec dépens.
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__________________________________ JACQUES DUFRESNE, J.C.S. |
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Me Josée Vendette |
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Proulx Dion Vendette |
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Avocate de la requérante |
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Me Jacques David |
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Levasseur Verge |
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Avocat de la CLP |
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Me Michel Côté |
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Panneton, Lessard |
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Avocat de la CSST |
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Date d’audience : |
Le 13 septembre 2004 |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Québec (Procureur Général) c. Forces motrices Batiscan Inc., [2004] R.J.Q. 40 (C.A.) (juges Rousseau‑Houle, Rochon et Dalphond).
[3] Tribunal administratif du Québec c. Godin [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.) (juges Fish, Rousseau‑Houle et Chamberland).
[4] Supra note 2, par. 55.
[5] Supra note 2, par. 62.
[6] [1997] 1 R.C.S. 748 , pp. 778-779.
[7] Article 429.59 de
[8] Id., note 7.
[9] Article 326 de
[10] Canada Safeway Ltd. SDGMR, Section locale 454,c. Syndicat des détaillants, grossistes et magasins à rayons, [1998] 1 R.C.S., 1079, 1107.
[11] S.C.F.P. c. Ministre du travail de l'Ontario, [2003] 1 R.C.S. 539 , par. 164‑165.
[12] Canada (procureur général) c. Alliance de
[13] Voice
Construction Ltd. c. Construction & General Workers'
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.