Rivière et Produits Kruger ltée |
2011 QCCLP 7478 |
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[1] Le 14 décembre 2009, monsieur Richard Rivière (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 8 décembre 2009, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle rendue le 23 octobre 2009 et déclare qu’elle était justifiée de reconsidérer sa décision initiale d’admissibilité, rendue le 10 septembre 2009, que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le 11 juin 2009 et qu’il n’a pas droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[3] Une audience est tenue à Joliette le 25 octobre 2011, en présence du travailleur. L’employeur, Produits Kruger ltée, est également représenté. Le dossier est mis en délibéré à cette date.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles (le tribunal) d’accueillir sa requête, d’infirmer la décision de la CSST du 8 décembre 2009 et de reconnaître qu’il a présenté une lésion professionnelle le 11 juin 2009, soit une sarcoïdose pulmonaire.
[5] Le représentant de l’employeur soumet un moyen préalable. Le travailleur a présenté une réclamation alléguant qu’il est porteur d’une maladie professionnelle pulmonaire. Il estime que la procédure d’évaluation médicale relative aux maladies pulmonaires prévue aux articles 226 et suivants de la loi n’a pas été respectée et que la CSST aurait dû acheminer le dossier à un comité des maladies professionnelles pulmonaires. Dans ce contexte, le tribunal n’a pas le pouvoir de se prononcer sur l’admissibilité de la lésion. Il demande que le dossier soit retourné à la CSST afin qu’elle entame la procédure prévue à la loi.
[6] Suite au consentement des parties, le tribunal a décidé de ne procéder que sur le moyen préliminaire et de rendre une décision écrite sur le sujet.
LA PREUVE
[7] À la lumière de l’ensemble des informations contenues au dossier et de la preuve produite à l’audience, le tribunal retient les éléments pertinents suivants.
[8] Le travailleur est électrotechnicien chez l’employeur depuis 1995. À partir du 23 mars 2009, et ce, jusqu’au 2 juillet 2009, il effectue des travaux électriques dans le sous-sol d’un chantier qui a été inondé et qui, semble-t-il, n’a pas été décontaminé pendant un certain temps.
[9] Lorsque les chaleurs de l’été arrivent, soit au mois de juin 2009, le travailleur présente de la toux et de la fièvre et souffre de gastroentérite.
[10] Le travailleur consulte le docteur Richard Lachance, pneumologue, le 7 juillet 2009 à la suite d’une référence par son médecin traitant. Le docteur Lachance note que le travailleur présente une toux persistante et sèche depuis le 11 juin précédent. Il prescrit différents examens, dont un scan thoracique, une radiographie, des tests respiratoires et une biopsie. Il signe une attestation médicale sur laquelle il mentionne que le travailleur présente des signes probables d’histoplasmose pulmonaire pour lesquels il est en investigation.
[11] Le 17 juillet suivant, le travailleur dépose à la CSST une réclamation sur laquelle il donne les détails suivants :
J’ai effectué des travaux électriques (démolition, installation, relevé et vérification pré-opérationnel) sur le chantier de la MP2. J’y ai travaillé du 23 mars au 2 juillet 2009. Ce chantier fût inondé et non décontaminé sur une période de 2 mois et demi. Il y avait de l’eau stagnante et aucune circulation d’air. Losque les chaleurs estivales ont commencés, il y a plusieurs travailleurs qui ont souffert de gastro, de fièvre, de courbature et de toux (incluant moi) et depuis j’ai reçu un diagnostique : hystoplasmose pulmonaire aigue par un pneumologue. [sic] [Notre soulignement]
[12] Le 3 août 2009, la radiographie des poumons est interprétée comme démontrant des adénopathies hilaires et médiastinales avec micronodules pulmonaires à prédominance aux deux lobes supérieurs. Une sarcoïdose est définitivement à considérer selon le radiologue.
[13] Le 12 août 2009, une biopsie est réalisée par le docteur Jean-Jacques Klopfenstein, chirurgien. Ce dernier estime que le travailleur présente probablement une sarcoïdose.
[14] Le 28 août 2009, le docteur Claude Morel, médecin-conseil de la CSST, donne son opinion quant à la relation causale possible entre le travail et le diagnostic d’histoplasmose pulmonaire. Le tribunal note qu’à ce moment, le docteur Morel n’a pas en main les résultats des examens mentionnés dans les paragraphes précédents. Son opinion est donc la suivante :
Opinion :
Il est plausible de reconnaître la relation entre l’histoplasmose pulmonaire aiguë et le travail fait dans un sous-sol inondé si l’on a pas d’histoire de contact avec un animal volant (mais l’eau inondé provient de sources multiples et est sujette à avoir été contaminée par ce type de germes) à cause de l’endroit malsain et sûrement contaminé, ainsi que le fait que plusieurs travailleurs ont présenté une symptomatologie analogue.
Le travailleur a subi une sérologie pour l’histoplasmose, soit deux prises de sang avec deux semaines d’intervalle environ. Il serait fort utile d’obtenir ces résultats lorsqu’ils seront disponibles afin de s’assurer que le travailleur présente ce type d’infection depuis peu et non de façon chronique (le travailleur aurait pu être contaminé ailleurs dans le passé). Si le diagnostic change à la suite de l’investigation, l’avis médical actuel devra être révisé.
[15] Le 10 septembre 2009, la CSST accepte la réclamation du travailleur et reconnaît le diagnostic d’histoplasmose pulmonaire à titre de lésion professionnelle.
[16] Le 21 septembre 2009, à la suite de l’analyse des différents résultats d’examens, le docteur Lachance signe un rapport médical. Il élimine le diagnostic d’histoplasmose pulmonaire. Il estime que le travailleur est plutôt porteur d’une sarcoïdose et d’une infection ganglionnaire à corynebactérium.
[17] Le 28 septembre 2009, l’employeur demande à la CSST une reconsidération de sa décision initiale d’admissibilité rendue le 10 septembre précédent, en application de l’article 365 de la loi. L’employeur allègue que les nouveaux diagnostics de sarcoïdose et d’infection ganglionnaire à corynebactérium étaient inconnus de la CSST lorsqu’elle a rendu sa décision et que le diagnostic initial d’histoplasmose pulmonaire a été éliminé depuis. Ces deux nouveaux diagnostics ne sont pas en lien avec le travail, justifiant ainsi une reconsidération de sa décision. Si la CSST refuse de reconsidérer sa décision initiale d’admissibilité, l’employeur précise qu’il en demande la révision.
[18] Le 21 octobre 2009, à la suite de la prise de connaissance de ces nouveaux diagnostics et du dossier médical du travailleur reçu par la CSST, le docteur Claude Morel révise son avis médical de cette manière :
[…] Le diagnostic d’histoplasmose est maintenant éliminé après l’investigation, donc l’avis médical rendu le 28 août 2009 n’est plus valable. Je peux affirmer que ce diagnostic n’est plus valide car le traitement de Prednisone (ou Cortisone) n’est vraiment pas recommandé pour traiter une mycose qui pourrait s’aggraver avec un tel traitement.
Le diagnostic de sarcoïdose n’a aucun lien avec un microbe quelconque, c’est une maladie auto-immune qui se déclenche dans le corps sans étiologie précise et est totalement personnelle sans relation avec le travail même dans un milieu malsain.
Le Corynebactérium retrouvé dans un ganglion n’est pas relié spécifiquement au travail. […]
[19] Le 23 octobre 2009, la CSST reconsidère sa décision initiale d’admissibilité du 10 septembre 2009 et refuse la réclamation du travailleur. Ce dernier demande la révision de cette décision le 13 novembre suivant.
[20] Dans une décision rendue le 8 décembre 2009, la CSST, en révision administrative, confirme qu’elle était justifiée de reconsidérer sa décision, puisque les délais prévus à l’article 365 de la loi sont respectés et que deux nouveaux diagnostics sont apparus le 21 septembre 2009, soit après que la décision d’admissibilité ait été rendue. En conséquence, elle déclare que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le 11 juin 2009. Cette décision est contestée par le travailleur, d’où le présent litige.
[21] À l’audience, l’employeur dépose, entre autres, les résultats d’un rapport anatomopathologique daté du 21 août 2009, lequel démontre que le travailleur présente une inflammation granulomateuse non nécrosante pouvant être compatible avec un diagnostic de sarcoïdose.
L’AVIS DES MEMBRES
[22] Le membre issu des associations d’employeurs et celui issu des associations syndicales sont tous deux d’avis de faire droit à la requête de l’employeur. Ils estiment que la CSST devait soumettre le dossier à un comité des maladies professionnelles pulmonaires puisque le travailleur allègue être porteur d’une telle maladie. Dans l’intervalle, le tribunal n’a pas le pouvoir de statuer sur l’admissibilité de la réclamation. Le dossier doit être retourné à la CSST afin qu’elle se conforme à la procédure d’évaluation médicale énoncée aux articles 226 et suivants de la loi.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[23] Le tribunal doit déterminer si la CSST devait se conformer à la procédure d’évaluation médicale spécifique aux maladies pulmonaires prévue aux articles 226 et suivants de la loi. Ces dispositions stipulent que lorsqu’un travailleur produit une réclamation alléguant qu’il est atteint d’une maladie professionnelle pulmonaire, la CSST doit le référer à un comité des maladies professionnelles pulmonaires :
226. Lorsqu'un travailleur produit une réclamation à la Commission alléguant qu'il est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire, la Commission le réfère, dans les 10 jours, à un comité des maladies professionnelles pulmonaires.
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1985, c. 6, a. 226.
[…]
230. Le Comité des maladies professionnelles pulmonaires à qui la Commission réfère un travailleur examine celui-ci dans les 20 jours de la demande de la Commission.
Il fait rapport par écrit à la Commission de son diagnostic dans les 20 jours de l'examen et, si son diagnostic est positif, il fait en outre état dans son rapport de ses constatations quant aux limitations fonctionnelles, au pourcentage d'atteinte à l'intégrité physique et à la tolérance du travailleur à un contaminant au sens de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1) qui a provoqué sa maladie ou qui risque de l'exposer à une récidive, une rechute ou une aggravation.
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1985, c. 6, a. 230.
231. Sur réception de ce rapport, la Commission soumet le dossier du travailleur à un comité spécial composé de trois personnes qu'elle désigne parmi les présidents des comités des maladies professionnelles pulmonaires, à l'exception du président du comité qui a fait le rapport faisant l'objet de l'examen par le comité spécial.
Le dossier du travailleur comprend le rapport du comité des maladies professionnelles pulmonaires et toutes les pièces qui ont servi à ce comité à établir son diagnostic et ses autres constatations.
Le comité spécial infirme ou confirme le diagnostic et les autres constatations du comité des maladies professionnelles pulmonaires faites en vertu du deuxième alinéa de l'article 230 et y substitue les siens, s'il y a lieu; il motive son avis et le transmet à la Commission dans les 20 jours de la date où la Commission lui a soumis le dossier.
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1985, c. 6, a. 231.
233. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi sur les droits du travailleur qui lui produit une réclamation alléguant qu'il est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire, la Commission est liée par le diagnostic et les autres constatations établis par le comité spécial en vertu du troisième alinéa de l'article 231 .
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1985, c. 6, a. 233.
[24] À la lecture de l’article 226 de la loi, on constate que le déclenchement du processus de référence à un comité des maladies professionnelles pulmonaires survient lorsque la réclamation du travailleur allègue l’existence d’une maladie professionnelle pulmonaire. Le législateur n’a pas exigé que la maladie soit prouvée avant le déclenchement du processus. Tout ce qu’il exige, c’est l’allégation de l’existence d’une maladie professionnelle pulmonaire.
[25] À cet égard, la jurisprudence[2] a reconnu que les dispositions prévues aux articles 226 et suivants de la loi ne constituent pas une simple question de procédure, mais bien une question de fond dans le cadre d’une loi d’ordre public. Il s’agit d’un processus impératif prévu par le législateur qui a voulu confier les questions relatives aux maladies pulmonaires à des spécialistes.
[26] Sur cette question, dans l’affaire Turcotte et CSST[3], le tribunal conclut sans équivoque :
[34] Or, en édictant des dispositions particulières aux maladies professionnelles pulmonaires, soit les articles 226 à 233 de la loi, le législateur a clairement voulu confier les questions relatives aux maladies pulmonaires à des spécialistes. Tel que le rappelait la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Espert et Centre de Jeunesse Bas St-Laurent, le fait de référer le travailleur à un comité des maladies professionnelles pulmonaires ne constitue pas une simple question de procédure, mais bien une question de fond dans le cadre d’une loi d’ordre public. Il s’agit d’une dérogation à la procédure d’évaluation médicale normale prévue aux articles 199 et suivants que le législateur a pris la peine de mettre sur pied parce qu’il jugeait que les questions ayant trait aux maladies pulmonaires nécessitaient une expertise particulière dans ce domaine.
[…]
[37] La Cour supérieure a décidé en ce sens dans l’affaire Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. C.A.L.P. alors qu’elle était saisie d’une question similaire à la nôtre. À l’origine, dans cette affaire, le travailleur a soumis des réclamations à la CSST pour faire reconnaître des récidives, rechutes ou aggravations d’une maladie professionnelle pulmonaire. La CSST a refusé les réclamations du travailleur au motif que ses problèmes étaient plutôt en relation avec une condition personnelle. Le Bureau de révision paritaire a infirmé cette décision et a déclaré que le travailleur était atteint d’une lésion professionnelle. L’employeur a contesté devant la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel). Il a soulevé l’irrégularité de la procédure suivie et demandé que le dossier soit retourné à la CSST afin qu’il soit acheminé au comité des maladies professionnelles pulmonaires, conformément à l’article 226 de la loi. La Commission d’appel a rejeté l’objection préliminaire de l’employeur et déclaré que la procédure retenue par la CSST était régulière.
[38] Or, la Cour supérieure a accueilli la requête en révocation de l’employeur. Elle rappelle que, face à une réclamation alléguant une maladie professionnelle pulmonaire, la CSST a l’obligation de référer le travailleur à un comité des maladies professionnelles pulmonaires. En reprenant des passages de la célèbre affaire Communauté Urbaine de Montréal c. C.A.L.P., elle rappelle, en somme, que l’article 400 de la loi (qui a été remplacé par l’actuel article 377 de la loi), qui permettait à la Commission d’appel de rendre la décision qui aurait dû être rendue, ne lui permettait pas de court-circuiter le processus mis en place par le législateur. Ainsi, conclut-elle, la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles ne doit pas se substituer aux fonctions des comités médicaux.
[Les références sont omises]
[27] Ainsi, il suffit qu’une maladie pulmonaire soit alléguée pour que les dispositions prévues aux articles 226 et suivants de la loi s’appliquent, et ce, même si un événement unique est à l’origine de la réclamation ou si celle-ci est reconnue à titre d’accident du travail[4].
[28] En outre, seules les constatations médicales du Comité spécial, à qui le rapport du comité des maladies professionnelles pulmonaires est soumis, peuvent lier la CSST aux fins de rendre une décision sur les droits du travailleur en vertu de la loi[5]. L’avis du Comité spécial ne lie cependant pas la CSST sur le caractère professionnel ou non de la maladie, même si ce comité peut émettre un avis à cet effet.
[29] En l’espèce, il appert du dossier que la CSST n’a, à aucun moment en cours de traitement du dossier, référé le travailleur à un comité des maladies professionnelles pulmonaires.
[30] Pourtant, pour le tribunal, il apparaît clairement au dossier que le travailleur allègue être atteint d’une maladie professionnelle pulmonaire dès le 15 juillet 2009. À ce moment, le travailleur complète un formulaire de Réclamation du travailleur et soumet à la CSST un premier rapport du docteur Lachance du 7 juillet 2009 à son soutien. Ces documents font clairement référence à une maladie pulmonaire.
[31] De même, il appert de l’opinion du docteur Morel, médecin-conseil de la CSST, qu’il considère que le travailleur est porteur d’une infection pulmonaire, laquelle est probablement liée à une exposition bactérienne sur les lieux du travail. C’est d’ailleurs sur cette base que la CSST reconnaît la lésion professionnelle du travailleur le 10 septembre 2009, sans référer le dossier à un comité des maladies pulmonaires.
[32] Il appert également du dossier que les différents examens réalisés en cours d’investigation ne laissent aucun doute sur la nature de la lésion recherchée. Un problème pulmonaire était manifestement en investigation, sur la base, entre autres, de symptômes physiques telle une toux sèche.
[33] Ces investigations amèneront le docteur Lachance à finalement éliminer le diagnostic d’histoplasmose pulmonaire pour retenir ceux de sarcoïdose et d’infection ganglionnaire à corynebactérium. C’est dans ce contexte que la CSST procède à une reconsidération de sa décision initiale d’admissibilité pour finalement refuser la réclamation du travailleur le 23 octobre 2009. Encore une fois, elle ne réfère pas le travailleur à un comité des maladies professionnelles pulmonaires.
[34] En l’espèce, le tribunal estime que la CSST avait l’obligation, dès le dépôt de la réclamation du travailleur, d’appliquer la procédure d’évaluation médicale propre aux maladies pulmonaires et de référer le travailleur à un comité des maladies professionnelles pulmonaires, et ce, dès le moment où il a déposé sa réclamation en juillet 2009. En effet, dès ce moment il y avait allégation de maladie pulmonaire par le travailleur avec, au soutien de sa réclamation, l’attestation médicale signée par le docteur Lachance le 7 juillet 2009. Ultérieurement, l’investigation menée par ce dernier ne laisse aucun doute sur la nature de la lésion recherchée. Les différents examens sont en effet principalement réalisés au niveau des poumons et un diagnostic de sarcoïdose est finalement retenu.
[35] Dans ce contexte, la décision en reconsidération rendue le 23 octobre 2009 par laquelle la CSST refuse la réclamation du travailleur est prématurée. Elle est irrégulière, nulle et sans effet, car elle a été rendue avant d’obtenir l’avis d’un comité des maladies professionnelles pulmonaires, en application de la procédure d’évaluation médicale spécifique à ces maladies.
[36] Il en est de même pour la décision initiale d’admissibilité rendue le 10 septembre 2009. À ce titre, rappelons que dans sa demande de reconsidération du 28 septembre 2009, l’employeur précise qu’à défaut d’une reconsidération de la part de la CSST, il conteste la décision initiale d’admissibilité du 10 septembre 2009. Dans ce contexte, bien qu’il ne soit saisi seulement que de la contestation du travailleur eu égard à la décision en reconsidération, le tribunal peut valablement se saisir de la première décision, bien que la révision administrative n’en ait pas traité. Ceci, conformément à l’article 377 de la loi qui stipule que le tribunal a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence. Il peut confirmer ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.
[37] Or, pour les mêmes motifs que ceux invoqués précédemment concernant la décision en reconsidération du 23 octobre 2009, la décision initiale d’admissibilité du 10 septembre 2009 est prématurée car elle a également été rendue sans que le dossier ne soit référé à un comité des maladies professionnelles pulmonaires, contrairement à la loi.
[38] Puisque le tribunal déclare nulles et sans effet les décisions de la CSST portant sur l’admissibilité de la réclamation du travailleur, il ne peut se prononcer sur cet aspect.
[39] En effet, selon l'article 369[6] de la loi, le tribunal statue, à l'exclusion de tout autre tribunal, sur les recours formés en vertu des articles 359, 359.1, 450 et 451 de la loi et des articles 37.3 et 193 de la Loi sur la santé et la sécurité au travail[7]. Ce n'est qu'une fois saisi d'un recours formé en vertu de ces articles que le tribunal peut exercer les pouvoirs prévus à l’article 377[8] de la loi. Cependant, le tribunal ne peut s'autoriser de ces pouvoirs pour altérer des dispositions de droit substantif, telles les dispositions qui établissent un processus d’évaluation médicale. De même, le tribunal doit vérifier si la CSST est elle-même habilitée par la loi à accueillir la requête du travailleur, car elle ne peut en effet imposer à la CSST moins d'obligations que la loi ne lui en impose.
[40] Dans l’affaire Turcotte et CSST[9], le tribunal, dans le cadre d’une requête en révision, estime que le premier juge administratif a commis une erreur manifeste en se prononçant sur l’admissibilité d’une lésion professionnelle pulmonaire alors que la CSST n’avait pas référé le travailleur à un comité des maladies professionnelles pulmonaires :
[33] Dans le présent dossier, après avoir disposé de la recevabilité de la contestation du travailleur et de sa réclamation, le premier juge administratif invoque l’article 377 de la loi afin de se prononcer sur le fond du litige. Cependant, même si cette disposition permet à la Commission des lésions professionnelles de rendre la décision qui aurait dû être rendue, elle ne lui permet pas de le faire en contournant l’application de la loi.
[Notre soulignement]
[41] En l’instance, la CSST se devait de référer le travailleur à un comité des maladies professionnelles pulmonaires, avant de rendre les décisions portant sur l’admissibilité rendues les 10 septembre et 23 octobre 2009.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE le moyen préalable soumis par Produits Kruger ltée, l’employeur;
DÉCLARE nulles et sans effet les décisions rendues par la Commission de la santé et de la sécurité du travail les 10 septembre 2009 et 23 octobre 2009;
DÉCLARE qu’en présence de l’allégation d’une maladie professionnelle pulmonaire, la Commission de la santé et de la sécurité du travail doit recourir aux dispositions des articles 226 et suivants de la loi avant de rendre une décision;
RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail afin qu’elle se conforme aux dispositions des articles 226 et suivants de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et qu’elle rende par la suite la décision qui s’impose en vertu de l’article 233 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Catherine A. Bergeron |
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Me Éric Thibodeau |
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Gowlings |
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Représentant de la partie intéressée |
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[2] Espert et Centre jeunesse Bas-St-Laurent, [2003] C.L.P., 764. Voir également : Rouleau et Métallurgie Frontenac, C.L.P. 110837-03B-9902, 29 juillet 1999, R. Jolicoeur; Cosimiro et Construction DJL inc., C.L.P. 136222-71-0004, 12 mars 2001, D. Gruffy.
[3] C.L.P., 317370-02-0705-R, 9 octobre 2009, M. Lamarre. Voir également : Audet et Gestion GDG s.n.c., C.L.P. 341709-01C-0803, 26 juin 2009, R. Arseneau.
[4] Espert et Centre jeunesse Bas-St-Laurent, précitée, note 2.
[5] Vincent et Aliments Carrière inc., C.L.P. 217024-62B-0309, 18 mai 2005, A. Vaillancourt; Carey et Centre d’accueil St-Margaret, 258435-62C-0503, 26 octobre 2006.
[6] 369. La Commission des lésions professionnelles statue, à l'exclusion de tout autre tribunal : 1° sur les recours formés en vertu des articles 359, 359.1, 450 et 451; 2° sur les recours formés en vertu des articles 37.3 et 193 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1).
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1985, c. 6, a. 369; 1997, c. 27, a. 24.
[7] L.R.Q., c. S-2.1.
[8] 377. La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.
Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.
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1985, c. 6, a. 377; 1997, c. 27, a. 24.
[9] Précitée, note 3.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.