LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES
MONTRÉAL, le 15 juillet 1998
RÉGION: DEVANT LE COMMISSAIRE : Me Michel Duranceau
Laval
ASSISTÉ DE L'ASSESSEUR : Guy Bouvier, médecin
DOSSIER:
82489-61-9609
DOSSIER CSST:
105679336 AUDITION TENUE LES : 10 mars 1998
DOSSIERS BR: 15 avril 1998
61952638 - 61983203
61986370
À: Montréal
__________________________________________________
INSTITUT ARMAND FRAPPIER
531, boul. des Prairies
Laval (Québec)
H7N 4Z3
PARTIE APPELANTE
et
YVES PONTBRIAND (SUCCESSION)
137, rue Ducrochet
Laval (Québec)
H7N 3Z5
PARTIE INTÉRESSÉE
D É C I S I O N
Le 3 septembre 1996, Institut Armand Frappier, l'employeur, dépose à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel) une déclaration d'appel à l'encontre d'une décision rendue le 30 juillet 1996 par le bureau de révision.
La décision confirme une décision rendue le 2 mai 1995 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) à l'effet de relever le travailleur de son défaut d'avoir respecté les délais prévus à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., chapitre A-3.001) (la loi) pour produire une réclamation.
Bien que l'appel de l'employeur ait été déposé à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel) et que l'audience a eu lieu devant la Commission d'appel, la présente décision est rendue par la Commission des lésions professionnelles conformément à l'article 52 de la Loi instituant la Commission des lésions professionnelles et modifiant diverses dispositions législatives[1]. En vertu de l'article 52 de cette loi, les affaires pendantes devant la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles sont continuées et décidées par la Commission des lésions professionnelles.
La présente décision est donc rendue par le soussigné en sa qualité de commissaire de la Commission des lésions professionnelles.
OBJET DU LITIGE
L'employeur demande à la Commission des lésions professionnelles d'infirmer la décision rendue et de reconnaître que le travailleur, ayant produit sa réclamation en dehors des délais prévus à la loi, n'a pas fait valoir aucun motif raisonnable pour être relevé de son défaut.
LES FAITS
Le travailleur a été à l'emploi de l'employeur à titre de technicien de laboratoire de recherche du mois d'août 1985 à l'automne 1986.
Au mois de mai 1991, à l'occasion d'un don de sang à la Croix-Rouge, il est informé que l'analyse de son sang avait révélé qu'il était séropositif. Du mois de mai 1991 au mois de novembre 1992, le travailleur a été soumis à plusieurs tests et ce n'est qu'au mois d'octobre 1992 que le virus de l'immuno-déficience acquise (VIH) a été identifié chez le travailleur.
C'est le 29 mars 1993 que le travailleur dépose une réclamation à la CSST.
L'employeur conteste la réclamation du travailleur et demande à la CSST de considérer le recours comme ayant été déposé hors des délais prévus à la loi.
Le 2 mai 1995, la CSST rend sa décision, reconnaissant la tardiveté du recours mais acceptant de prolonger le délai prévu à la loi pour produire une réclamation et acceptant par la même occasion le bien-fondé de la réclamation du travailleur.
L'employeur a contesté tant la décision de prolonger le délai qu'avait le travailleur pour produire sa réclamation que la recevabilité même de la réclamation.
Le travailleur est décédé des suites de sa maladie le 17 septembre 1994.
C'est le 30 juillet 1996 que le bureau de révision, dans une décision majoritaire, confirme la décision rendue par la CSST le 2 mai 1995, de considérer que le travailleur avait fait valoir un motif raisonnable pour produire sa réclamation hors des délais prévus à la loi.
C'est cette décision que l'employeur conteste devant la Commission des lésions professionnelles, la contestation visant d'abord l'absence de motif raisonnable pour expliquer la tardiveté du recours du travailleur puis le fondement même de la réclamation du travailleur.
Il y a au dossier un interrogatoire «ad futuram memoriam» du travailleur tenu le 19 août 1994 et qui rapporte le témoignage du travailleur.
À l'audience, la succession du travailleur fait témoigner le docteur Richard Morisset, médecin attaché à l'Hôtel-Dieu de Montréal et spécialisé en microbiologie et maladies infectieuses. Il s'est impliqué dans l'organisation des services de recherche et de soins sur le syndrome d'immuno-déficience.
Il s'occupe principalement de sidéens. C'est ainsi qu'il a été impliqué dans le dossier du travailleur au mois de juillet 1991, à la demande du docteur M. Brizard, médecin du travailleur. Le docteur Brizard avait par deux fois soumis le travailleur à des tests de dépistage et ces tests se sont avérés positifs. C'est devant ces résultats qu'il a référé le travailleur aux services de l'Hôtel-Dieu et particulièrement au docteur Morisset.
Le travailleur a eu une première rencontre avec un résident, le docteur Lavergne le 14 juillet 1991. Le premier diagnostic avait été posé en mai 1991 alors que les tests de dépistage du VIH s'étaient avérés positifs. Le travailleur n'avait aucun symptôme cependant. Il a alors été noté que le travailleur avait travaillé comme biochimiste à l'Institut Armand Frappier et avait eu à travailler sur le virus VIH désactivé.
À l'examen fait en juillet 1991, le travailleur ne montrait aucun symptôme sauf quelques ganglions (indolores au niveau cervical). Comme le cas du travailleur paraissait inusité, il a été soumis à différents tests car on croyait qu'il s'agissait peut-être chez lui d'une réaction immunitaire.
La seule explication de sa séropositivité était qu'il avait été exposé au virus VIH désactivé.
Une investigation de la formule sanguine du travailleur a confirmé une diminution des globules blancs, ce qui contredisait la bonne forme que semblait montrer le travailleur.
Les tests ont alors été repris et le 9 septembre 1991 le docteur Morisset a constaté que les résultats confirmaient une baisse importante des lymphocytes. Pendant ce temps le travailleur continuait à faire des exercices sans en être affecté.
Le 2 octobre 1991, le travailleur a été rencontré pour une entrevue qui a duré deux heures. Le travailleur n'avait toujours pas de symptômes. On savait à ce moment-là que le travailleur avait été en contact avec le virus du SIDA et l'entrevue a été l'occasion de soumettre le travailleur à un questionnaire sur ses activités passées. Le travailleur a toujours nié avoir eu des contacts sexuels avec quelqu'un d'autre que sa conjointe, avoir des relations homosexuelles ou avoir fait usage de drogues par voie intraveineuse.
Le travailleur a rencontré les docteurs Remis et Osborne pour être à nouveau questionné sur ses antécédents et en octobre 1991 le travailleur s'est fait dire que sa condition ne pouvait pas être d'origine sexuelle, drogue ou transfusion sanguine. L'aspect du travail en laboratoire et de contact avec le virus du SIDA revenait alors toujours comme explication possible de la condition du travailleur. Des médecins étaient consultés sur la possibilité de contamination par virus désactivé.
Le travailleur était au courant de ces discussions et consultations en groupe plus particulièrement parce qu'il connaissait personnellement ce domaine, de par sa profession et qu'il voulait avoir des réponses aux questions qu'il se posait.
Le docteur Morisset indique qu'à ce moment-là il ne pouvait pas dire si le travailleur était porteur du virus vivant du SIDA.
Il a revu le travailleur en janvier 1992 et celui-ci lui paraissait toujours être en bonne santé, travaillant toujours et continuant la pratique de sports. Aux dires du témoin, l'état du travailleur lui paraissait surprenant.
Le 8 janvier 1992, le travailleur a été soumis au questionnaire de santé publique et le docteur Morisset lui a suggéré de commencer à prendre des médicaments (AZT) ce que le travailleur a refusé parce qu'il ne se considérait pas malade.
Le docteur Morisset a revu le travailleur le 20 mai 1992 et sa condition était toujours semblable; il travaillait toujours, faisait des sports, paraissait bien, ne faisait pas de température, n'avait pas de frisson et n'avait pas de perte de poids. Le travailleur a alors été soumis à de nouveaux tests.
Il a revu le travailleur le 8 juillet 1992 et lui a fait part des résultats de ses tests les plus récents. Tout paraissait alors normal sauf pour les niveaux de T-4 et T-8 qui étaient très bas. Il n'a noté aucune manifestation clinique chez le travailleur surtout après avoir été exposé à la varicelle que son fils avait contractée. Cet état de faits laissait perplexe le docteur Morisset. Le travailleur a alors été rencontré par d'autres médecins et de nouveaux tests lui ont été faits.
C'est à cette époque que le travailleur a eu une dépression situationnelle et qu'un congé-maladie lui a été suggéré.
C'est le 28 octobre 1992 que le docteur Weinberg lui a verbalement confirmé qu'il avait le SIDA. La même recommandation de prendre de l'AZT lui a été faite mais il a refusé à nouveau. Le docteur Weinberg lui a confirmé cela par écrit tout en indiquant que l'origine du virus restait toujours à déterminer. Le travailleur a alors subi un choc important.
D'autres rencontres ont eu lieu entre le docteur Morisset et le travailleur les 6 et 29 juin 1993; de l'eczéma aux jambes et aux mains est alors noté. Le travailleur rapporte une toux sèche le matin et du muguet dans la bouche.
Le docteur Morisset indique que les premiers signes cliniques du SIDA sont donc apparus le 29 janvier 1993. Il a continué à voir le travailleur le 12 mars, 16 avril et 23 mai 1993.
Le docteur Morisset indique ne pas avoir recommandé de recours auprès de la CSST même au mois de novembre 1992 parce qu'il y avait encore trop de questions qui restaient en suspens.
Contre-interrogé, le docteur Morisset explique que c'est par élimination des causes à partir des représentations faites par le travailleur qu'on en était venu à parler de contamination possible en laboratoire. Tous les questionnaires soumis au travailleur orientaient les médecins sur cette idée de possible exposition au virus en laboratoire.
Il a toujours considéré le cas du travailleur comme un cas particulier, sortant de l'ordinaire, à cause de l'absence de signes ou de symptômes cliniques.
La contamination en milieu de travail s'est avérée être la seule source plausible dans le cas du travailleur.
D'après le témoin, les signes d'eczéma observés chez le travailleur, de même que la présence de ganglions n'étaient pas des signes d'anormalité.
Il reconnaît que le très fort déficit lymphocytaire noté en juillet 1991 était anormal mais le travailleur a été invité à se considérer comme malade qu'au moment où il a appris qu'il était porteur du virus vivant du SIDA. Le docteur Morisset est d'avis qu'un mauvais état de la peau peut permettre la contamination par simple exposition au virus.
L'employeur fait témoigner le docteur Normand Lapointe. Il a une maîtrise en microbiologie et en immunologie et est en charge du département d'immunologie à l'Hôpital Ste-Justine de Montréal du service spécialisé sur le SIDA.
Il explique le SIDA comme étant la condition qui survient quand un virus, introduit dans l'organisme, vient à détruire le système immunitaire de la personne.
Le témoin décrit le SIDA comme étant une maladie qui comporte plusieurs phases et qui se termine par la «victoire» du virus sur les cellules de défense, laissant ainsi l'individu sans aucune protection contre les infections. Pour lui, le travailleur a su à l'été 1991 qu'il était séropositif et que son niveau lymphocytaire était déjà extrêmement bas. Déjà le patient, en juillet 1991, présentait une condition de dommages très avancée à son système immunitaire.
Puis en septembre 1991, les résultats des tests ont montré encore plus de détérioration dans la condition du travailleur. Le docteur Lapointe estime que dès qu'il y a deux tests «ELISA» qui viennent confirmer qu'une personne est séropositive, l'existence de la maladie est confirmée.
L'examen clinique du travailleur en juillet 1991 avait confirmé qu'il était infecté au VIH vu la présence de ganglions. Le témoin indique que malgré tout, le travailleur pouvait sembler aller bien, ne pas paraître malade.
Pour le docteur Lapointe, la maladie commence quand la personne s'infecte, c'est là que le combat commence entre le virus et les cellules destinées à défendre l'organisme.
En juillet 1991, la destruction déjà fort avancée du système immunitaire du travailleur avait été confirmée et lui avait été expliquée.
Le témoin estime que la maladie commence dès que le virus du SIDA est entré dans le système d'une personne, c'est à partir de ce moment que le virus commence à causer des dommages sur une période de temps qui peut varier d'une personne à l'autre.
En contre-interrogatoire, le docteur Lapointe explique que le syndrome de l'immuno-déficience acquise résulte d'une infection qui se transmet par suite de relations hétérosexuelles ou homosexuelles, de contamination par drogues injectables ou de transfusion sanguine.
En 1990-1991, le mode de transmission le plus connu était par les relations sexuelles mais il y avait également toutes les pratiques impliquant l'usage d'aiguilles (i.e. tatouage, injection, transfusion) qui pouvaient favoriser la transmission du virus.
Le docteur Lapointe indique ne connaître qu'un seul cas d'infection survenue en laboratoire alors qu'une femme s'était piquée avec une aiguille infectée. Il reconnaît qu'il peut y avoir infection chez les infirmières et les médecins mais la preuve est difficile à faire.
Dans le cas du travailleur, il reconnaît que sa bonne condition physique pouvait être surprenante alors que son système immunitaire pouvait au même moment être très endommagé.
Le docteur Lapointe est d'avis qu'une personne ne peut s'infecter à partir d'un virus désactivé. Il estime qu'une personne séropositive peut être investiguée pour tenter de déterminer l'origine de cette condition mais il reste que l'atteinte est là et qu'une personne ainsi atteinte a une symptomatologie clinique à très haut risque et est très certainement handicapée dans sa capacité de résister à une attaque ou infection quelconque. Le docteur Lapointe répète qu'une personne infectée par le virus du SIDA est une personne qui est porteuse d'une maladie sévère.
Madame Liette Grégoire, conjointe du travailleur, ajoute à son témoignage qui fait déjà partie du dossier de la Commission des lésions professionnelles. Elle ajoute qu'elle a rencontré le docteur Morisset qui s'était montré très surpris de voir une personne si immuno-déficitaire tout en étant extérieurement si en forme et capable de faire des sports.
Les tests auxquels fut soumis le travailleur avaient pour but de déterminer si le travailleur pouvait développer ses propres anti-corps.
Madame Grégoire explique que le travailleur avait dû cesser de travailler pendant le mois de juillet 1992 parce qu'il était déprimé et stressé, sa vie ayant changé complètement.
Ce n'est qu'au mois de novembre 1992 qu'il a reçu la confirmation qu'il avait le SIDA, jusque-là il espérait recevoir la nouvelle qu'il développait ses propres anti-corps et que sa condition n'aurait pas de conséquences.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La Commission des lésions professionnelles n'a pas à se prononcer sur le fond de la réclamation du travailleur, le litige devant elle étant strictement limité à la question du délai de la réclamation du travailleur.
La Commission des lésions professionnelles doit décider si la réclamation du travailleur a été produite dans les délais prévus à la loi.
Et advenant qu'il y ait eu défaut de respecter les délais prévus à la loi, la Commission des lésions professionnelles doit alors décider si le travailleur a fait valoir un ou des motifs raisonnables pouvant permettre de le relever du défaut d'avoir respecté les délais prévus à la loi.
Le travailleur a préparé sa réclamation le 29 mars 1993 et l'a déposée le 1er avril 1993 à la CSST en même temps qu'une requête pour être relevé du défaut et prolongation de délai.
Le 2 mai 1995, la CSST rendait une décision qui reconnaissait que le travailleur n'avait pas respecté les délais prévus à la loi pour produire sa réclamation mais le relevait de son défaut en estimant qu'il avait montré des motifs suffisants pour être ainsi relevé de son défaut. La décision se lisait comme suit :
«La présente est pour faire suite à la réclamation que nous avons reçue en date du 1er avril 1993 pour une lésion professionnelle qui serait survenue en 1985 - 1986.
Nous vous avisons que nous acceptons de prolonger le délai pour produire la réclamation puisque les motifs invoqués pour expliquer ce délai nous semblent raisonnables.
De plus, l'étude de tous les éléments versés au dossier nous amène à la conclusion d'accepter cette réclamation. En effet, nous croyons que l'infection au virus de l'immuno-déficience acquise (VIH) est une maladie reliée directement au travail exercé par monsieur Pontbriand en 1985 - 1986, à titre de technicien de laboratoire, dans le cadre d'un projet de recherche sur le VIH mené à l'Institut Armand Frappier.»
La Commission des lésions professionnelles désire ici souligner qu'elle n'a pas à se prononcer sur cette acceptation de la réclamation du travailleur et sur les arguments qu'a pu ou pourrait faire valoir l'employeur dans les circonstances.
Dans sa décision du 30 juillet 1996, le bureau de révision confirmait la décision rendue par la CSST quant à la reconnaissance que le travailleur était hors délai pour réclamer mais qu'il avait fait valoir un ou des motifs raisonnables pour être relevé de ce défaut.
Il n'y a jamais eu de contestation de la part du travailleur de ces décisions de considérer sa réclamation comme ayant été déposée hors délai. D'ailleurs sa requête pour être relevé du défaut d'avoir respecté les délais prévus à la loi parle par elle-même.
D'après la loi, articles 271-272, le travailleur avait six (6) mois à partir de la connaissance acquise de sa maladie et de sa relation avec le travail pour présenter sa réclamation.
Les articles 271 et 272 se lisent comme suit :
271. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle qui ne le rend pas incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion ou celui à qui aucun employeur n'est tenu de verser un salaire en vertu de l'article 60, quelle que soit la durée de son incapacité, produit sa réclamation à la Commission, s'il y a lieu, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de sa lésion.
272. Le travailleur atteint d'une maladie professionnelle ou, s'il en décède, le bénéficiaire, produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la date où il est porté à la connaissance du travailleur ou du bénéficiaire que le travailleur est atteint d'une maladie professionnelle ou qu'il en est décédé, selon le cas.
Ce formulaire porte notamment sur les nom et adresse de chaque employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer sa maladie professionnelle.
La Commission transmet copie de ce formulaire à chacun des employeurs dont le nom y apparaît.
La loi, à son article 2, donne la définition suivante de ce qu'est une maladie professionnelle :
«maladie professionnelle»: une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur a su, le 2 mai 1991, qu'il était séropositif et c'est lui-même qui a éliminé toute possibilité autre que ses mois de travail chez l'employeur pour expliquer la survenance de cette condition. C'est également le 22 juillet 1991 que le travailleur a été mis au courant de son bilan lymphocytaire et a appris que son système immunitaire était gravement déficitaire pour ne pas dire qu'il était irrémédiablement rongé par la maladie.
La Commission des lésions professionnelles estime donc que dès le mois de juillet 1991, le travailleur savait qu'il était séropositif et déjà dans ses explications, il plaçait lui-même l'origine de cette situation dans le fait qu'il avait travaillé chez l'employeur en 1985 - 1986.
Dans sa décision du 30 juillet 1996, le bureau de révision s'exprimait ainsi :
«Le Bureau de révision considère que c'est bien le moment où un travailleur est informé qu'il est séropositif qui doit être retenu comme le début du délai de 6 mois pour présenter sa réclamation à la Commission. À ce sujet le Bureau de révision retient l'opinion émise durant la présente audition par le docteur Normand Lapointe à l'effet de conclure qu'un patient est considéré atteint du SIDA aussitôt qu'un deuxième test Élisa aura démontré la séropositivité.
Le Bureau de révision retient que la jurisprudence soumise par l'employeur indique que dès qu'une personne est reconnue séropositive, celle-ci doit être considérée comme porteuse d'une maladie, et ceci malgré le fait que cette personne puisse être tout à fait asymptomatique. Bien que ces jugements aient été rendus dans des contextes juridiques tout à fait différents, il en ressort qu'une infection au virus de l'immunodéficience acquise (VIH) progresse sans arrêt dès qu'il y a une infection par ce virus. Plusieurs étapes sont rapportées, mais il est clair que malgré une période asymptomatique pouvant être très longue, l'atteinte du système immunitaire en continu. Nous croyons que dès qu'une personne est reconnue séropositive, celle-ci doit être considérée comme atteinte d'une maladie. C'est donc au moment où elle apprend être séropositive, et qu'il y a possibilité d'un lien avec son travail, que le délai prescrit à la Loi doit débuter.»
La Commission des lésions professionnelles est en accord avec ce raisonnement et estime que c'est avec raison que la CSST puis le bureau de révision ont retenu que le travailleur a eu connaissance de sa maladie dès qu'il a su officiellement qu'il était séropositif et qu'il y avait une relation à faire avec son milieu de travail.
La preuve au dossier permet d'établir que dès le 22 mai 1991, le docteur Brizard, médecin traitant du travailleur, notait que la seule voie de contamination pour le travailleur était l'emploi qu'il avait occupé chez l'employeur.
Le travailleur lui-même, par ses représentations et ses connaissances scientifiques, avait exclu toutes les autres sources possibles de contamination pour ne ramener qu'à cet employeur précis, la seule possibilité de contamination.
D'ailleurs, en réponse à une question qui lui était posée par la CSST le 30 avril 1993, à savoir : «A quelle date avez-vous fait le lien entre votre état de santé et le travail que vous effectuiez à l'Institut Armand Frappier?
le travailleur répondait ceci :
«Après la nouvelle de la Croix-Rouge qui me disait que je devrais consulter mon médecin. La Croix-Rouge 21 mars 1991 et la réponse officielle du laboratoire de Santé Publique du Québec en date 91/05/02.»
Il ne fait aucun doute que le travailleur savait, dès le mois de juillet 1991, qu'il était séropositif et que son bilan lymphocytaire confirmait déjà une sérieuse atteinte à son système immunitaire. Lui-même a établi dès le début que tout cela ne pouvait venir que de son travail chez l'employeur.
Même si la maladie ne paraissait pas affecter le travailleur dans son travail et dans la pratique de sports, il reste que le travailleur, comme technicien en laboratoire, savait ou devait savoir qu'il était porteur d'une maladie sérieuse comportant un potentiel de complication.
La lecture de deux causes de jurisprudence, Hamel et Malakos[2] et Commission des droits de la personne et Ordre des dentistes du Québec[3] a permis à la Commission des lésions professionnelles de bien comprendre que le syndrome d'immuno-déficience acquise (SIDA) était une maladie qui pouvait avoir plusieurs phases de durée variable. De ces causes, il est possible d'affirmer que «le VIH et le SIDA font partie d'un même processus chronique évolutif». Il y a la maladie qui commence par l'infection (stade initial) puis qui passe par un stade asymptomatique, un stade symptomatique, et finalement atteint le dernier stade alors que le SIDA est déclaré.
Le travailleur a déposé une réclamation auprès de la CSST le 29 mars 1993 et la CSST en a reçu copie le 1er avril 1993. Le travailleur savait depuis le mois de mai 1991 qu'il était séropositif. Il apparaît évident que le travailleur a fait défaut de respecter le délai de six (6) mois prévu à la loi.
Le travailleur a-t-il fait valoir un motif raisonnable pour expliquer son défaut ?
Quand il y a ainsi défaut de respecter les délais prévus à la loi, une partie peut être relevée de son défaut si elle fait valoir un motif raisonnable pour expliquer son défaut.
Le travailleur a ainsi vu la CSST puis le bureau de révision reconnaître que le travailleur avait fait valoir un motif raisonnable de ne pas avoir déposé sa réclamation dans les délais prévus à la loi.
L'article 352 de la loi se lit comme suit :
352. La Commission prolonge un délai que la présente loi accorde pour l'exercice d'un droit ou relève une personne des conséquences de son défaut de le respecter, lorsque la personne démontre un motif raisonnable pour expliquer son retard.
C'est cet article qui a servi de base à la CSST pour relever le travailleur de son défaut d'avoir respecté les délais prévus à la loi puis pour par la suite déclarer admissible sa réclamation.
L'article 419 de la loi prévoit également la possibilité pour la Commission des lésions professionnelles de relever quelqu'un du défaut de respecter un délai prévu à la loi.
L'article 419 de la loi se lit comme suit :
419. La Commission d'appel peut, pour un motif raisonnable et aux conditions appropriées, prolonger un délai ou relever une partie des conséquences de son défaut de la respecter, si l'autre partie n'en subit aucun préjudice grave.
Dans une affaire de Vallier Roy et C.U.M. (1990 CALP 916), la Commission d'appel a eu l'occasion de se pencher sur la notion de motif raisonnable lui permettant de relever une partie des conséquences de son défaut de ne pas avoir respecté un délai prévu à la loi. La Commission d'appel s'exprimait alors ainsi:
«Le motif raisonnable est un critère vaste dont l'interprétation pourra varier dans le temps tout comme celle de la notion du bon père de famille, de l'homme prudent et diligent. Il va sans dire, cependant, qu'il doit y avoir motifs raisonnables et que le tribunal ne saurait sanctionner la négligence d'une partie.»
La partie appelante conteste justement la décision de la CSST et celle du bureau de révision au motif que le travailleur n'a fait valoir aucun motif raisonnable pour expliquer pourquoi il n'a réclamé que le 29 mai 1993 alors qu'il se savait atteint d'une maladie depuis le mois de mai 1991.
La preuve au dossier a permis d'établir que le travailleur, après avoir appris qu'il était séropositif le 2 mai 1991, a été référé aux soins du docteur Morisset, à l'Hôtel-Dieu de Montréal au mois de juillet 1991.
Les examens et tests subis par le travailleur ont permis d'établir que déjà en juillet 1991 le système immunitaire du travailleur était sévèrement atteint même si extérieurement il n'y paraissait pas et que le travailleur semblait être en bonne santé. Le travailleur a été vu, suivi et investigué par plusieurs médecins à l'Hôtel-Dieu de Montréal et le docteur Morisset lui a même conseillé les traitements à l'AZT au mois de janvier 1992 puis en mai 1992 pour aider le plus possible son système immunitaire très sérieusement atteint.
Le docteur Morisset a témoigné à l'effet que les nombreux tests passés par le travailleur ont finalement été complétés par un test mené par le docteur Weinberg, lequel confirmait verbalement au travailleur le 28 octobre 1992, qu'il avait bien le SIDA et à nouveau les traitements par l'AZT étaient recommandés au travailleur.
La Commission des lésions professionnelles retient donc de l'ensemble de la preuve que le travailleur, entre le 2 mai 1991 et le 28 octobre 1992, a appris d'abord qu'il était séropositif puis finalement qu'il était porteur du virus actif du SIDA.
Dans une cause de Tabak et Travail Canada[4], la Commission d'appel a refusé de reconnaître comme motif raisonnable la prétention d'un travailleur qui n'ignorait pas la relation entre sa maladie et son travail mais qui attendait de connaître le caractère permanent de sa maladie avant de déposer sa réclamation.
La Commission des lésions professionnelles, sans admettre que c'est là un motif raisonnable, peut comprendre que le travailleur ait pu s'interroger sur sa condition, sur son sort, pendant les nombreux mois qui ont suivi la confirmation qu'il était séropositif.
Les nombreux tests qu'il a passés ont permis de déterminer l'évolution de la maladie chez lui et ce n'est qu'en octobre 1992 qu'il s'est vu confirmer sa condition dans toute sa gravité.
Si le travailleur, qui déjà n'avait pas réclamé parce qu'il voulait être fixé sur son sort, fait valoir qu'il passait des tests entre juillet 1991 et octobre 1992 pour expliquer son défaut de réclamer, la Commission des lésions professionnelles constate cependant que le travailleur, officiellement mis au courant de sa condition le 28 octobre 1992, n'a fait valoir aucun motif pour expliquer pourquoi il n'a préparé sa réclamation que le 29 mars 1993, soit cinq (5) mois après avoir su qu'il était définitivement atteint du SIDA.
Sans admettre que le fait d'attendre les résultats de tests pour établir la gravité de sa maladie peut être considéré comme un motif raisonnable de prolongation des délais pour réclamer, il reste qu'un délai ne saurait être prolongé indéfiniment.
La période des tests entre le mois de mai 1991 et le mois d'octobre 1992 peut expliquer les retards du travailleur à réclamer mais rien dans toute la preuve apparaissant au dossier ne vient expliquer pourquoi le travailleur aurait pris un autre cinq (5) mois pour réclamer.
En l'absence de toute preuve expliquant cette longue attente du travailleur pour déposer sa réclamation, la Commission des lésions professionnelles ne peut accepter de reconnaître la recevabilité de la réclamation du travailleur.
Le travailleur était-il en dépression profonde au point de ne pas pouvoir prendre une décision rationnelle, était-il empêché de réclamer, ignorait-il quelque chose de fondamental pour l'exercice de ses droits ? Aucune preuve n'a été soumise à cet effet et aucun médecin n'est venu établir que le travailleur aurait été dans une période d'incapacité à agir entre la fin d'octobre 1992 et la fin de mars 1993.
Dans un jugement récent de la Cour supérieure dans la cause de Ville de Québec vs Roy, CALP et Yves Crête, (CSQ 200-05-008950-980) l'Honorable juge Jacques Dufour s'exprimait ainsi :
«J'ai lu et relu les notes sténographiques et la décision écrite du commissaire Roy produite comme pièce P-4. Pour fonder sa décision, ce dernier se réfère à la déposition du docteur Massac, médecin psychiatre. Le docteur Massac a affirmé au commissaire Roy durant l'audition de la réclamation qu'Yves Crête était incapable de produire une demande d'indemnisation à la CSST durant la période concernée, soit de 1992 à 1995.»
La Commission d'appel dans ce cas a relevé le travailleur de son défaut d'avoir réclamé dans les délais prévus à la loi parce qu'il a fait la preuve de son incapacité à le faire et la Cour supérieure a reconnu la validité de ce raisonnement.
Dans le présent dossier, la Commission des lésions professionnelles n'a eu aucune preuve à cet effet. Le docteur Morisset a certes rapporté des épisodes de dépression chez le travailleur et même une absence d'un mois du travail en juillet 1992 mais jamais la preuve ne permet de dire que le travailleur était incapable de produire une demande d'indemnisation à la CSST. Et même s'il avait été en période d'une telle incapacité, dans l'attente des résultats de ses tests, il reste que cette incapacité aurait dû cesser quand le travailleur a appris en octobre 1992 qu'il était définitivement porteur du virus vivant du SIDA. Aucune preuve d'incapacité de réclamer n'a été présentée pour la période entre la fin d'octobre 1992 et la fin de mars 1993.
Les interrogatoires du travailleur lui-même et de sa conjointe permettent même de constater que le travailleur a continué à travailler sur une base de quatre jours par semaine jusqu'au mois de décembre 1992. Même s'il pouvait être affecté, déprimé par les résultats de ces tests, il reste que la preuve nettement prépondérante était à l'effet que le travailleur avait conservé un bon contrôle sur lui-même et une bonne capacité de réaction devant ce qui lui arrivait. La preuve présentée n'est certainement pas à l'effet que le travailleur était incapable de produire une réclamation à partir de la fin d'octobre 1992.
Le pouvoir de relever quelqu'un de son défaut n'est pas un pouvoir qu'on peut exercer d'une façon purement discrétionnaire ou en ne se basant que sur la sympathie que peut inspirer un cas précis. Il est bien certain que le cas du travailleur inspire la sympathie mais là n'est pas le critère qui doit servir de base pour décider de prolonger un délai de réclamation. Les délais prévus à la loi pour réclamer sont des délais sérieux, qui doivent être respectés à moins d'avoir un motif sérieux pour expliquer que le délai n'a pu être respecté.
Aux notes évolutives de la CSST, il n'y a aucune explication, aucun motif pour expliquer la prolongation de délai reconnue au travailleur pour produire sa réclamation. On parle dans la décision de «motifs qui semblent raisonnables» mais on ne les mentionne pas.
Dans une cause de Bégin et Club de golf de Lévis[5], le bureau de révision, après avoir fait une analyse des décisions rendues par la Commission d'appel sur l'article 272 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, concluait ainsi :
«Suivant cette jurisprudence de la C.A.L.P., jusqu'ici citée, le Bureau de révision constate que l'article 272 reçoit une interprétation stricte. Le seul élément de départ, permettant de calculer le délai de six (6) mois, est la connaissance du travailleur d'être atteint d'une maladie professionnelle.
Le Bureau de révision estime donc, suivant cette ligne de pensée, que madame Bégin n'a pas respecté le délai de six (6) mois, inscrit à l'article 272 de la L.A.T.M.P., en présentant sa réclamation le 11 décembre 1991 alors qu'elle sait être atteinte d'une maladie professionnelle au mois de février 1991. Le motif voulant qu'elle n'ait pas eu d'intérêt à produire sa réclamation avant cette date ne peut être pris en considération à ce stade-ci.»
(nous soulignons)
(p. 298)
Quant aux motifs raisonnables expliquant le retard à produire une réclamation, après analyse de la jurisprudence, le Bureau de révision mentionne ce qui suit :
«Le Bureau de révision estime que cette jurisprudence démontre à quel point l'analyse des motifs, permettant la prolongation du délai pour l'exercice d'un droit, est rigoureuse. Tous les motifs invoqués, tels que l'ignorance de la loi, l'attente de la certitude d'être atteint d'une maladie professionnelle, la bonne foi, le fait d'avoir supposément été induit en erreur, ou encore l'intérêt de produire une réclamation, ne sont pas des motifs raisonnables lorsque ceux-ci sont pris isolément. Il faut, tel que nous l'enseignent l'affaire Gauvin et Ville de Montréal ou encore l'affaire Rodrigues et Rosann inc., un ensemble de raisons sérieuses qui, les unes mises avec les autres, justifient que le travailleur n'ait pas pu faire autrement que de produire sa réclamation en dehors du délai prescrit à l'article 272.».
Dans une cause de Lussier c. Godin[6], l'Honorable Juge Claude Benoit de la Cour supérieure s'exprimait ainsi :
«À défaut de préjudice, l'article 419 confère à la C.A.L.P. le pouvoir de prolonger ou non le délai pour un motif raisonnable. S'il n'existe pas de motif raisonnable, la C.A.L.P. doit refuser de prolonger le délai. C'est là son pouvoir discrétionnaire. Le caractère raisonnable du motif implique, contrairement à apprécier l'«impossibilité d'agir», l'exercice d'une discrétion par le commissaire (Cité de Pont Viau c. Gauthier Mfg.). Celui-ci possède, même s'il est d'avis qu'il y avait un motif raisonnable, le pouvoir discrétionnaire supplémentaire de refuser la prolongation en raison des autres circonstances.»
Il faut donc retenir de ce jugement qu'il doit y avoir d'abord preuve d'un motif raisonnable et alors la Commission des lésions professionnelles doit décider, selon sa discrétion, si le travailleur doit être relevé de son défaut si l'employeur n'en subit pas de préjudice.
Dans le cas sous étude, la Commission des lésions professionnelles estime que le travailleur n'a pas fait la preuve d'un motif raisonnable l'ayant empêché de réclamer dans les délais prévus à la loi. Et même si le fait d'attendre le résultat définitif de ses tests était considéré comme un motif raisonnable, la Commission des lésions professionnelles ne peut relever le travailleur de son défaut quand elle considère que le travailleur a pris plus de cinq (5) mois après avoir été pleinement informé des résultats de ses tests, pour déposer sa réclamation.
Dans une cause de Glarosa et Chemins de fer nationaux[7], la Commission d'appel a considéré que le délai pour produire une réclamation pour maladie professionnelle devait se computer à partir de la connaissance possible de la relation entre une maladie et le travail et ce, même s'il n'y avait pas d'arrêt de travail et que la maladie avait un caractère évolutif.
Pourquoi avoir attendu de la fin octobre 1992 à la fin de mars 1993 pour produire sa réclamation ?
C'est sur cette période de cinq (5) mois qu'il n'y a plus aucun motif raisonnable à faire valoir. Rien ne vient expliquer pourquoi il a fallu un autre cinq (5) mois au travailleur pour réclamer pour maladie professionnelle.
Dans une cause de Deslandes et Meubles Carrier Inc. (CALP 21791-62-9009, 8 octobre 1993), la Commission d'appel avait retenu ceci :
«La jurisprudence de la Commission d'appel est à l'effet que le délai prévu à l'article 359 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles est un délai de rigueur lequel, s'il n'est pas respecté, emporte la déchéance des droits de la partie qui ne l'a pas respecté, à moins que celle-ci n'établisse, conformément à l'article 419 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, l'existence de motifs raisonnables.
De l'avis de la Commission d'appel ce motif raisonnable doit cependant exister pendant toute la période où une partie a fait défaut de se conformer à un délai prévu à la loi.
La jurisprudence de la Commission d'appel, est en outre à l'effet que le tribunal ne saurait sanctionner la simple négligence d'une partie.
En l'espèce la preuve prépondérante est à l'effet que le travailleur en raison de ses déménagements, n'a pas eu en sa possession la décision du bureau de révision paritaire avant le 1er août 1990. De l'avis de la Commission d'appel, le travailleur a donc établi l'existence d'un motif raisonnable jusqu'au 1er août 1990. Cependant, la Commission d'appel estime que le travailleur ayant pris connaissance de la décision de la Commission et du délai de contestation qui y était mentionné, aurait dû par la suite, agir avec diligence et adresser sans délai sa déclaration d'appel puisque la période de contestation était déjà expirée. La Commission d'appel estime que vu les circonstances et le délai tardif, un délai additionnel d'une semaine, pour s'informer de ses droits de contestation aurait été raisonnable en l'espèce, pour que le travailleur formule sa déclaration d'appel. La preuve révèle cependant, que ce n'est que plusieurs semaines plus tard, soit le 29 août 1990, que le travailleur rédigera une déclaration d'appel en demandant d'être relevé de son défaut de ne pas avoir contesté dans le délai de soixante jours prévu par la loi. Bien qu'interrogé par la Commission d'appel sur d'éventuels motifs ou raisons ayant pu justifier ce délai additionnel de trois semaines, le travailleur a été incapable d'en préciser d'autres, outre le fait qu'il avait déménagé et qu'il désirait s'informer sur son droit de contestation. Comme mentionné précédemment la Commission d'appel estime qu'un délai d'une semaine après la réception de la décision de la Commission du 1er août 1990, aurait été suffisant en l'espèce, le travailleur étant déjà avaisé que le délai de soixante jours était expiré.
En conséquence, le travailleur n'ayant pas établi par une preuve prépondérante l'existence de motifs raisonnables, après la réception de la décision du bureau de révision paritaire le 1er août 1990, justifiant qu'il ait attendu jusqu'au 29 août 1990 pour en appeler de la décision du bureau de révision paritaire, la Commission d'appel en raison des dispositions prévues par la Loi n'a pas la possibilité d'exercer sa discrétion et ne peut relever le travailleur de son défaut de ne pas avoir déposé sa déclaration d'appel dans le délai de soixante jours prévu par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.»
Dans la cause de Gorden et Les Entreprises Ornementales N.V. Inc. (CALP 31740-62-9109, 15 mai 1992)[8], la Commission d'appel rejetait une requête en prolongation de délai du travailleur qui avait omis de consulter immédiatement un avocat dès qu'il a appris que son recours était en retard. La Commission d'appel avait alors considéré comme de la négligence, de l'insouciance ou du désintéressement de la part du travailleur, le fait de ne pas prendre des démarches immédiates dès qu'il a obtenu tous les renseignements nécessaires quant à un recours possible.
La Commission des lésions professionnelles estime que le travailleur, technicien en laboratoire, a su au mois de mai 1991 qu'il était séropositif et que cette condition ne pouvait originer que de l'emploi qu'il avait occupé chez l'employeur en 1985 ou 1986. Plutôt que de déposer immédiatement un recours, il a semble-t-il préféré être plus certain de son coup en se soumettant à toutes sortes de tests qui ont abouti en octobre 1992 à une conclusion définitive. Certain d'avoir le SIDA, le travailleur qui savait depuis le mois de mai 1991 que son emploi en 1985-1986 était la cause possible de tout cela, a omis de prendre action avant le toute fin du mois de mars 1993.
Il y a eu là certainement négligence, insouciance ou désintéressement de la part du travailleur, ce qui empêche de le relever de son défaut d'avoir déposé sa réclamation hors du délai prévu à la loi.
Dans ces circonstances, la Commission des lésions professionnelles se doit d'accueillir l'appel de l'employeur et de reconnaître que la démarche du travailleur, à la lumière des exigences de la loi et de la jurisprudence, doit être considérée comme tardive et irrecevable.
La Commission des lésions professionnelles désire ajouter que l'employeur n'a pas fait de preuve qu'il subissait un préjudice à cause du retard du travailleur à présenter sa réclamation. La seule indication sur ce point apparaissant au dossier est une confirmation d'une clinique médicale à l'effet qu'elle a détruit depuis 1992 les documents médicaux se rapportant au travailleur. Vu les conclusions auxquelles en arrive la Commission des lésions professionnelles, il n'est pas nécessaire de se prononcer sur le préjudice possible que pourrait subir l'employeur parce qu'il ne peut disposer de documents pertinents à l'état de santé du travailleur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE l'appel de l'Institut Armand Frappier;
INFIRME la décision rendue le 30 juillet 1996 par le bureau de révision ;
DÉCLARE irrecevable parce que hors délai la réclamation du travailleur du 1er avril 1993 auprès de la Commission de la santé et de la sécurité du travail.
__________________________
Michel Duranceau
Commissaire
MONETTE, BARAKETT & ASS.
(Me Anne-Marie Bertrand)
1010, de la Gauchetière Ouest, bureau 2100
Montréal (Québec)
H3B 2R8
Représentante de la partie appelante
MAYNARD & ZAOR
(Me Monica Ménard)
507, Place D'Armes, bureau 1101
Montréal (Québec)
H2Y 2W8
Représentante de la partie intéressée
[1] L.Q. 1997, c.27, entrée en vigueur le 1er avril 1998, Décret 334-98.
[2] 1994 R.J.Q. 173.
[3] 1995 R.J.Q. 1601.
[4] [1993], CALP 1206.
[5] 1993, B.R.P. 296.
[6] [1987] CALP 283;
Voir également Paquet et STRSM, CALP 05898-62-8801, 5 mars 1991.
[7] [1994] CALP 1688.
[8] Voir également : Stéphane Issa et Woodbridge Foam Corp., CALP 18749-64-9003, 6 novembre 1990;
Pierre Demaitre et Canadien Pacifique Ltée, CALP 49464-62-8303, 3 juin 1993.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.