Archambault et Constructions Lachapelle inc. (F) |
2019 QCTAT 330 |
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APERÇU
[1] Richard Archambault, le travailleur, est opérateur-menuisier pour le compte de Les Constructions Lachapelle inc. (F), l’employeur.
[2] Le 13 juin 2011, le travailleur subit une lésion professionnelle alors qu’il manipule une fenêtre lourde afin de la placer dans un cadrage. Des diagnostics d’entorse cervicale et lombaire, de hernie discale L5-S1 gauche et de tendinopathie de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche sont reconnus en relation avec cette lésion, laquelle est consolidée le 14 mai 2012, avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.
[3] À la suite de cette lésion, le travailleur subit plusieurs récidives, rechutes ou aggravations, dont la dernière est survenue le 18 janvier 2016.
[4] Le 18 avril 2017, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, la Commission, rend une décision par laquelle elle reconnait qu’à la suite de la récidive, rechute ou aggravation du 18 janvier 2016, le travailleur est atteint d’une invalidité au sens de l’article 93 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1], la Loi. Elle informe également le travailleur de la procédure à suivre afin qu’elle se prononce sur l’application de l’article 116 de la Loi. Cette décision n’a pas été contestée et est devenue finale.
[5] Le 14 juillet 2017, la Commission rend une décision par laquelle elle déclare que le travailleur ne peut bénéficier de l’application de l’article 116 de la Loi.
[6] Cette décision est confirmée par la Commission à la suite d’une révision administrative le 20 mars 2018 puisqu’elle considère que comme le travailleur n’a pas cumulé d’heures au sein de la Commission de la construction du Québec dans les 12 mois précédant l’événement du 18 janvier 2016, la Commission ne peut assumer la part des cotisations exigibles au régime de retraite offert dans l’industrie de la construction à la place de l’employeur.
[7] Le travailleur conteste celle-ci devant le Tribunal administratif du travail, le Tribunal.
[8] Le travailleur prétend que par sa décision du 14 juillet 2017, la Commission a illégalement reconsidéré la décision finale rendue le 18 avril 2017 et qu’elle doit être annulée. Subsidiairement, il argumente que les motifs justifiant le refus d’appliquer l’article 116 de la Loi ne sont pas conformes au Règlement sur les régimes complémentaires d’avantages sociaux dans l’industrie de la construction[2] lequel ne prévoit pas que le travailleur doit avoir cumulé des heures dans les 12 mois précédant l’événement l’ayant rendu invalide au sens de l’article 93 de la Loi. Il demande au Tribunal d’appliquer l’article 116 de la Loi.
[9] Le Tribunal est d’avis qu’il ne peut faire droit à la contestation du travailleur.
ANALYSE
La décision rendue par la Commission est-elle une reconsidération de la décision du 18 avril 2017 ?
[10] Le Tribunal est d’avis que la décision rendue par la Commission n’est pas une reconsidération de la décision rendue le 18 avril 2017.
[11] Par cette décision, la Commission statue sur l’existence d’une « invalidité grave et prolongée » au sens de l’article 93 de la Loi.
[12] Elle informe également le travailleur des modalités administratives à suivre afin que la Commission soit en mesure de vérifier si le travailleur peut bénéficier de l’application de l’article 116 de la Loi.
[13] Dans cette décision, la Commission ne statue pas sur le droit du travailleur à bénéficier de l’application de l’article 116 de la Loi.
[14] La seconde décision quant à elle statue sur le droit du travailleur de bénéficier de l’article 116 de la Loi et ne remet pas en cause la question de « l’invalidité grave et prolongée » au sens de l’article 93 de la Loi.
[15] Ces deux décisions statuent donc sur des questions différentes et en conséquence on ne peut conclure que la seconde constitue une reconsidération de la première.
La Commission a-t-elle à assumer la part de cotisation de l’employeur au régime de retraite du travailleur ?
[16] Le Tribunal est d’avis que la Commission n’a pas à assumer la part de cotisation de l’employeur au régime de retraite du travailleur, tel que prévu à l’article 116 de la Loi.
[17] L’article 116 de la Loi prévoit :
116. Le travailleur qui, en raison d’une lésion professionnelle, est atteint d’une invalidité visée dans l’article 93 a droit de continuer à participer au régime de retraite offert dans l’établissement où il travaillait au moment de sa lésion.
Dans ce cas, ce travailleur paie sa part des cotisations exigibles, s’il y a lieu, et la Commission assume celle de l’employeur, sauf pendant la période où ce dernier est tenu d’assumer sa part en vertu du paragraphe 2° du premier alinéa de l’article 235.
[18] Dans un premier temps, le Tribunal constate que pour bénéficier de l’application de l’article 116 de la Loi, la preuve doit démontrer que le travailleur participait à un régime de retraite, puisque le législateur a choisi d’utiliser les mots « continuer à participer ». Or une telle preuve n’a pas été faite en l’espèce.
[19] Dans l’affaire Plante et Tafisa Canada inc., le Tribunal a décidé que l’article 116 de la Loi «accorde le droit de continuer à participer au régime de retraite offert dans l’établissement au moment d’une lésion professionnelle, il ne permet pas de réactiver la participation à un tel régime lorsque celle-ci a été interrompue en raison d’une cessation d’emploi»[3].
[20] Cependant, même si une telle preuve avait été faite, le Tribunal est d’avis que cet article ne s’applique pas aux travailleurs de la construction, comme le travailleur, notamment en raison du terme « établissement » prévu à cet article.
[21] Puisque l’article 2 de la Loi réfère spécifiquement à la Loi sur la santé et la sécurité du travail [4]», la LSST, afin de définir ce qui constitue un « établissement » et un « chantier de construction », il y a lieu de se référer aux définitions contenues à l’article 1 de cette loi. Le Tribunal ne retient donc pas l’argument selon lequel la référence à la LSST est une erreur dans le cas présent.
[22] La LSST définit ces notions comme suit :
« établissement » : l’ensemble des installations et de l’équipement groupés sur un même site et organisés sous l’autorité d’une même personne ou de personnes liées, en vue de la production ou de la distribution de biens ou de services, à l’exception d’un chantier de construction ; ce mot comprend notamment une école, une entreprise de construction ainsi que les locaux mis par l’employeur à la disposition du travailleur à des fins d’hébergement, d’alimentation ou de loisirs, à l’exception cependant des locaux privés à usage d’habitation.
« chantier de construction » : un lieu où s’effectuent des travaux de fondation, d’érection, d’entretien, de rénovation, de réparation, de modification ou de démolition de bâtiments ou d’ouvrages de génie civil exécutés sur les lieux mêmes du chantier et à pied d’œuvre, y compris les travaux préalables d’aménagement du sol, les autres travaux déterminés par règlement et les locaux mis par l’employeur à la disposition des travailleurs de la construction à des fins d’hébergement, d’alimentation ou de loisirs ;
[23] Les chantiers de construction sont donc expressément exclus de la notion d’établissement.
[24] Le législateur, en précisant que cet article vise la participation « au régime de retraite offert dans l’établissement où il travaillait au moment de sa lésion » a donc choisi d’exclure les travailleurs exécutant leur travail sur des chantiers de construction.
[25] À ce sujet, dans l’affaire Y.L. et Compagnie A[5], le Tribunal écrit :
[95] Il est admis par le travailleur que ce dernier est un travailleur de la construction. Aucune preuve n’est soumise au tribunal démontrant que le travailleur participait à un régime de retraite. Ainsi, s’il ne participait pas déjà à un régime de retraite, comment pourrait-il continuer à participer au régime de retraite dont il est question à l’article 116 de la loi ?
[96] Mais, même si le travailleur avait fait cette preuve, il fait face à une difficulté encore plus sérieuse. En effet, l’article 116 de la loi réfère à la notion d’établissement. Or, la définition retenue par le législateur de ce terme réfère à celle inscrite dans la LSST.
[…]
[106] Le tribunal est d’avis qu’il doit nécessairement s’en tenir au choix du législateur de retenir les mêmes définitions des termes établissement et chantier de construction pour la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la loi) ou pour la loi sur la santé et la sécurité du travail (la LSST).
[107] Or, la notion d’établissement dans la LSST écarte spécifiquement celle de chantier de construction. En retenant les mêmes définitions, le tribunal voit dans le choix du législateur une volonté de distinguer le travailleur de la construction du travailleur en général.
[26] Le second alinéa de l’article 116 fait par ailleurs référence à l’article 235 de la Loi.
[27] Or l’article 235 de la Loi est situé dans la section I du chapitre IV de la Loi, qui conformément au deuxième alinéa de l’article 234 ne s’applique pas aux travailleurs de la construction.
[28] Ceci est une autre indication permettant d’appuyer la conclusion selon laquelle l’article 116 ne s’applique pas aux travailleurs de la construction.
[29] À ce sujet, le Tribunal après une analyse des dispositions pertinentes conclut dans l’affaire Ouellet et Constructeur GPC inc. (Syndic de)[6] :
[39] Or, le second alinéa de l’article 116 ajoute que, pendant la période où l’employeur est tenu d’assumer sa part en vertu du second paragraphe du premier alinéa de l’article 235, la CSST sera dispensée de ce paiement.
[40] Il en ressort donc que l’article 116 se trouve à être le prolongement des droits prévus à l’article 235 paragraphe 2° de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
[…]
[73] Il résulte donc de ces définitions que le législateur a spécifiquement exclu les chantiers de construction et, qu’en conséquence, à l’intérieur même de l’article 116, le législateur réitère, par ce biais, la distinction spécifiquement énoncée à l’article 234.
[74] Dès lors, force nous est de conclure que les travailleurs de construction ne peuvent bénéficier des dispositions des articles 235 paragraphe 2 et 116 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
[30] Le Tribunal est donc d’avis que puisque le travailleur est un travailleur de la construction, il ne peut bénéficier de l’application de l’article 116 de la Loi.
[31] La Commission, dans la décision rendue à la suite d’une révision administrative, indique que l’analyse du droit à la participation à un régime de retraite dans le secteur de la construction se fait en fonction de l’article 8 du Règlement sur les régimes complémentaires d’avantages sociaux dans l’industrie de la construction[7]. Selon son interprétation de cet article, puisque le travailleur ne participait plus à son régime de retraite dans les douze mois précédant l’événement du 18 janvier 2016, duquel a résulté son invalidité grave et prolongée, il n’est pas considéré comme un salarié au sens de ce règlement. En conséquence, la Commission statue qu’elle ne peut assumer la part de l’employeur des cotisations du régime de retraite puisque pour « participer au régime de retraite de la CCQ, le travailleur doit être un salarié invalide au sens de ce règlement pour lui permettre de continuer à participer au régime de retraite ».
[32] Les questions d’admissibilité d’un travailleur de la construction à contribuer, ou de continuer de contribuer, à son régime de retraite sont des questions qui relèvent de la Loi sur les relations de travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans le domaine de la construction[8], la Loi R-20, et du Règlement sur les régimes complémentaires d’avantages sociaux dans l’industrie de la construction[9]. Ces questions relèvent donc de la Commission de la construction du Québec, la CCQ.
[33] La preuve ne fait état d’aucune démarche de la part du travailleur auprès de la CCQ afin de pouvoir continuer de participer à son régime de retraite, tel que l’article 8 du Règlement sur les régimes complémentaires d’avantages sociaux dans l’industrie de la construction[10] le permet, et en cas de désaccord avec la CCQ, d’avoir exercé les recours qui lui sont ouverts en vertu de l’article 93 de la Loi R-20[11].
[34] La Commission n’a donc pas à assumer la part de cotisation de l’employeur, tel que le recherche le travailleur.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
REJETTE la requête de Richard Archambault, le travailleur ;
CONFIRME la décision rendue par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative le 20 mars 2018 ;
DÉCLARE que le travailleur ne peut bénéficier des dispositions prévues à l’article 116 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;
DÉCLARE que la Commission n’a pas à assumer la part de l’employeur des cotisations au régime de retraite offert dans l’industrie de la construction.
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Marie-Eve Legault |
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Me Antoine Berthelot |
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F.T.Q. (local 9) |
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Pour la partie demanderesse |
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Date de l’audience : 7 novembre 2018 |
[1] RLRQ, c. A-3 001.
[2] Chapitre R-20, r.10.
[3] 2017 QCTAT 515. Voir également Y.L. et Compagnie A, 2010 QCCLP 4408; Turcotte et CHUS- Hôpital Fleurimont, 2013 QCCLP1547.
[4] RLRQ, c. S -2.1.
[5] Précitée note 3 ; Voir également Vallée et Construction & rénovation M. Dubeau inc,, 2016 QCTAT 4375 ; Vallée et Construction & rénovation M. Dubeau inc,, 2017 QCTAT 2907.
[6] C.L.P. 117232-02-9905, 2000-09-20, P. Simard. ; Voir également Y.L. et Compagnie A, précitée note 4.
[7] Chapitre R-20, r.10.
[8] L.R.Q, c. R -20.
[9] Précitée note 7.
[10] Précitée note 7.
[11] L’article 93 de la Loi R-20 qui prévoit que « toute personne qui se croit lésée par une décision de la CCQ quant à son admissibilité à un régime d’avantages sociaux peut demander le réexamen à la CCQ... », et ultimement, en appeler au Tribunal administratif du Travail, division de la construction et de la qualification professionnelle, tel que prévu à l’article 8 de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail (RLRQ, c. T-15.1.).
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