DÉCISION
[1] Le 2 mars 2000, André Lemarbre (le travailleur) dépose une requête devant la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue le 20 août 1999 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d'une révision administrative. Par cette décision, la CSST confirme les décisions qu'elle a rendues le 19 avril 1999 et le 20 août 1999, à la suite d'une demande de reconsidération, et déclare que le travailleur n'a pas subi de lésion professionnelle le 9 mars 1999.
[2] À l'audience, le travailleur ainsi que Industries Mailhot (employeur) étaient présents et représentés. À la suite de l'audience, le travailleur a produit copie de notes de consultation médicale et les deux parties ont commenté ces documents. Le dossier a ensuite été pris en délibéré.
L'OBJET DE LA REQUÊTE
[3] Le travailleur demande de reconnaître que sa hernie discale cervicale à C6-C7 est le résultat d'un accident du travail survenu le 9 mars 1999. De façon explicite, il exclut l'hypothèse d'une maladie professionnelle.
[4] Par ailleurs, le travailleur demande au tribunal de ne plus tenir compte du diagnostic de bursite de l'épaule gauche qui a initialement été posé et qui apparaît maintenant erroné. Il ne conteste donc plus la décision de la CSST du 19 avril 1999, selon laquelle cette supposée bursite ne serait pas en relation avec l'incident du 9 mars 1999.
L'AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre
issu des associations d’employeurs est d'avis que la hernie discale cervicale
dont a souffert le travailleur n'est pas en relation avec l'incident qu'il a
rapporté le 16 mars 1999 et qui se serrait produit le 9 mars 1999. En effet, la
preuve démontre que le travailleur était déjà symptomatique au niveau de
l'omoplate et de l'épaule gauche avant que ne se produise l'incident qui, selon
la version initiale du travailleur, aurait éveillé une douleur à ce niveau pour
la première fois. Il réglerait la requête du travailleur.
[6] Le membre
issu des associations syndicales est d'avis que le travailleur demeure crédible
et qu'on doit tenir compte de l'avis du docteur Lefrançois selon lequel la
hernie discale cervicale est reliée à l'incident du 9 mars 1999. Il est d'avis
que la Commission devrait aussi tenir compte du fait que l'incident du 9 mars
1999 a possiblement aggravé une condition personnelle préexistante. Il
accueillerait la requête du travailleur.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] Le travailleur est âgé de 46 ans et il exerce le métier de soudeur pour le compte de l'employeur depuis 12 ans.
[8] Le 16 mars 1999, il a signé un formulaire de demande d'indemnisation dans laquelle il indique que, le 9 mars 1999, en voulant lancer une section de cylindre, il a ressenti une douleur à l'épaule gauche. Il ajoute qu'il a néanmoins continué de travailler. La douleur serait devenue intolérable deux jours plus tard et il a consulté le docteur A. Boudrias le 12 mars 1999.
[9] Le lendemain, le 13 mars 1999, il consulte le docteur Michel Therrien et les notes prises par ce dernier ont été remises à la Commission des lésions professionnelles après l'audience.
[10] On note que le travailleur aurait allégué avoir des douleurs à l'omoplate et au bras gauche depuis 2 mois. Il était apparemment suivi en chiropractie. Le 15 mars 1999, le docteur Boudrias prescrit un arrêt de travail et le 23 mars 1999, il pose le diagnostic de bursite à l'épaule gauche. Il fait allusion à une radiculopathie cervicale et à une possible hernie discale.
[11] Le 13 avril 1999, le docteur Lebouthillier vers qui le travailleur a été dirigé pose le diagnostic de hernie discale cervicale. Ce diagnostic est confirmé par une résonance magnétique et le patient est orienté en neurochirurgie, chez le docteur R. Lefrançois. Ce dernier parle de hernie discale à C6-C7 et il indique dans un rapport d'expertise médicale daté du 21 septembre 1999 qu'il faut éliminer l'hypothèse d'une bursite qui avait été évoqué initialement. Il ajoute dans son rapport que le travailleur lui a confié qu'il n'a pas eu de douleurs à l'épaule lors de l'incident du 9 mars 1999. Il aurait plutôt ressenti une douleur paracervicale gauche qui, par la suite, s'est irradiée dans le bras et l'avant-bras jusque dans la main. Il aurait aussi eu une douleur irradiée vis-à-vis l'omoplate gauche qui est, selon le médecin, typique d’une hernie cervicale à C6-C7.
[12] Enfin, le travailleur ne semble pas avoir mentionné au docteur Lefrançois le fait qu'il avait une symptomatologie douloureuse à l'épaule et à l'omoplate gauche avant le 9 mars 1999.
[13] À l'audience, le travailleur a décrit l'incident du 9 mars 1999. Il aurait saisi un cylindre de métal d'une longueur de 54 pouces et d'un poids de 30 à 40 livres qui était posé sur un établi. Il l'a soulevé par un bout seulement et la douleur est apparue à ce moment-là au niveau du cou et elle est descendue dans l'épaule et le bras. C'était le jeudi soir. Il précise qu'il ne fait cette manœuvre qu'une ou deux fois par mois. Croyant que la douleur s'en irait, il a continué à faire ce qu'il appelle de petites commandes. Lorsqu'il a dû arrêter de travailler, le lendemain soir, il a prévenu un compagnon de travail, M. Gariépy pour que celui-ci informe son employeur de son absence. Le samedi matin, en se levant, il dit qu'il a été obligé d'aller à l'hôpital où il a consulté le docteur Therrien.
[14] Avant cet incident, le travailleur n'aurait jamais eu de problème au bras gauche ou d'engourdissements au bras ou aux doigts, bien qu'il ait déjà eu des « picotements » depuis 1997 (Note : À cette époque, selon le dossier, le travailleur a également eu des problèmes vasculaires affectant ses membres inférieurs et une hernie discale lombaire non reliée au travail).
[15] Le docteur Lefrançois a également témoigné à l'audience. Il a ajouté à son rapport que selon le dossier et selon ses constatations lors de l'opération, il n'y avait pas de condition personnelle préexistante comme de l'arthrose. Il considère que soulever un cylindre comme l'a fait son patient est susceptible de causer une hernie discale cervicale. La dégénérescence discale qu'il a constatée ne se situait qu'à C6-C7 et elle était très peu avancée selon l'analyse des coupes histologiques.
[16] Le docteur F. Lebire a également témoigné. Il s'est fondé sur son rapport d'expertise médicale du 29 juin 2000 qu'il avait préparé à la demande de l'employeur. Il ne considère pas que le fait de soulever l'extrémité d'un cylindre de 30 ou 40 livres puisse être responsable de la hernie discale cervicale pour laquelle le travailleur a été opéré. En effet, dit-il, il n'a pas eu à supporter tout le poids du cylindre puisqu'il n'a saisi qu'une extrémité. De plus, ce geste est courant dans le travail effectué par le travailleur.
[17] Après l'audience, comme déjà mentionné, le travailleur a remis à la Commission des lésions professionnelles les notes de consultations du 13 mars 1999 qui montre qu'il souffrait de douleurs à l'épaule et à l'omoplate depuis deux mois, c'est-à-dire bien avant l'incident du 9 mars 1999. Le travailleur a soutenu que ces douleurs « ne font pas en sorte qu'il y a existence d'une hernie discale » avant le 9 mars 1999. Il fait remarquer qu'il n'a pas consulté avant l'événement en question et qu'il n'a pas souffert de cervico-brachialgie.
[18] La Commission des lésions professionnelles doit donc décider si le travailleur a subi une lésion professionnelle soit un accident du travail, le 9 mars 1999.
[19] En l'espèce, la présomption de lésion professionnelle de l'article 28 de la loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles ne s'applique pas puisque le tribunal en vient à la conclusion que la hernie discale cervicale à C6-C7, même si elle devait être considérée comme une blessure au sens de la loi, n'est pas survenue le 9 mars 1999 lorsque le travailleur était à son travail.
[20] Les notes de consultation médicale prises par le docteur Therrien le 13 mars 1999 et qui ont été déposées à la Commission des lésions professionnelles après l'audience montrent que le travailleur était déjà symptomatique depuis 2 mois lorsque l'incident du 9 mars 1999 s'est produit.
[21] Il est difficile de retenir la version que le travailleur a donnée dans sa réclamation et dans son témoignage selon laquelle l'accident du travail du 9 mars 1999 serait à l'origine de sa symptomatologie à l'épaule.
[22] Il faut noter aussi que le travailleur a confié au docteur Lefrançois que, contrairement à ce qu'il avait déjà dit, la douleur avait commencé au niveau cervical pour s'étendre ensuite à l'épaule et au bras. Il a maintenu cette version à l'audience mais ce n'est pas la déclaration qu'il avait faite de façon contemporaine lors de sa demande d'indemnisation et celle qui paraît dans l'avis de remboursement de l'employeur.
[23] La Commission des lésions professionnelles considère donc qu'il n'y a pas lieu de retenir l'affirmation du travailleur que ses premières douleurs sont apparues le 9 mars 1999. À cause de cela, on ne peut raisonnablement inférer que la hernie discale se serait produite à ce moment-là.
[24] Le fait que le travailleur ait ressenti des douleurs à l'omoplate et à l'épaule deux mois avant le 9 mars 1999 n'est pas le seul élément discordant qui empêche de relier la hernie discale à l'incident du mois de mars. En réalité, la découverte du tableau douloureux qui a été noté par le docteur Therrien et l'inconstance du travailleur ne permettent pas de prêter foi à sa version selon laquelle sa hernie se serait produite le 9 mars 1999, précisément. Puisque le travailleur était le seul à pouvoir témoigner de ses symptômes douloureux, il fallait que son témoignage demeure crédible. Or, force est de constater que ce n'est pas le cas.
[25] Ainsi, tel que déjà indiqué, la présomption de lésion professionnelle de l'article 28 ne s'applique pas puisque le tribunal estime qu'il ne lui a pas été démontré de façon probante que la blessure est arrivée sur les lieux du travail alors que le travailleur était à son travail.
[26] Pour les mêmes raisons, la Commission des lésions professionnelles considère que l'événement allégué du 9 mars 1999 n'a pas entraîné pour le travailleur une lésion professionnelle. Il n'a pas été établi avec vraisemblance que la hernie discale se serait produite le 9 mars 1999 et serait reliée à l'incident rapporté.
[27] Par ailleurs, même si la version du travailleur était plus probante, il serait difficile d'attribuer une hernie discale cervicale au fait de soulever par une extrémité un cylindre de 30 à 40 livres posé sur un établi. À ce sujet, l'opinion exprimée par le docteur Lebire qui a tenu compte de l'effet de levier s'oppose clairement à ce que l'on tire la conclusion qu'une lésion aussi importante ait pu résulter d'un effort relativement banal.
[28] Quant à l'hypothèse d'une maladie professionnelle, rappelons que le travailleur l'a lui-même écarté au début de l'audience. Il n'y a donc pas lieu d'en tenir compte.
[29] Le 7 avril 2001, le procureur de l'employeur a adressé à la Commission des lésions professionnelles une lettre par laquelle il présente une argumentation additionnelle. Le procureur du travailleur s'est objecté à ce que le tribunal tienne compte de ces nouvelles représentations puisque le dossier était en délibéré depuis plusieurs mois.
[30] Le tribunal n'entend pas tenir compte des représentations additionnelles produites par le procureur de l'employeur dans le cours du délibéré. Il n'y avait aucune justification pour cette lettre du 7 avril 2001 qui n'apporte rien de nouveau.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de monsieur André Lemarbre;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail;
DÉCLARE que monsieur Alain Lemarbre n'a pas été victime d'une lésion professionnelle le 9 mars 1999.
|
|
|
Me Bertrand Roy |
|
Commissaire |
|
|
Laporte &
Larouche |
|
(Me
André Laporte) |
|
|
|
Représentant
de la partie requérante |
|
|
|
|
|
Panneton
Lessard |
|
(Me
Josée Picard) |
|
|
|
Représentante
de la partie intervenante |
|
|
|
|
|
Sansetra inc. |
|
(Me
Claude Stringer) |
|
|
|
Représentant
de la partie intéressée |
|
|
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.