Décision

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Compagnie d'assurances American Home c

Compagnie d'assurances American Home c. Groupe Ohmega inc.

2008 QCCS 5849

 

JP1124

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

N° :

200-17-008918-070

 

 

 

DATE :

27 novembre 2008

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

RAYMOND W. PRONOVOST, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

COMPAGNIE D'ASSURANCES AMERICAN

HOME, personne morale, légalement constituée,

ayant une place d'affaires située au 2000, Mc Gill College,

Suite 1200, Montréal (Québec) H3A 3H3

et

ZURICH CANADA, personne morale, légalement constituée,

ayant une place d'affaires au 400, University Avenue, 25e étage,

Toronto (Ontario) M5G 1S7

Demanderesses

c.

GROUPE OHMEGA INC., personne morale légalement constituée,

ayant son siège social au 3, rue Des Cerisiers, Gaspé, (Québec)

G4X 2M1

Défenderesse requérante

et

LOMBARD CANADA,

Défenderesse intimée

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]                Il s'agit d'une requête présentée par la défenderesse visant à obliger l'assureur, Lombard Canada[1], à assurer sa défense. Dans le cours normal de ses activités, la défenderesse fabrique et vend notamment des tours anémométriques sur lesquelles sont installés divers instruments permettant l'étude des conditions météorologiques.

[2]                La défenderesse a vendu à l'École de Technologie Supérieure[2] trois de ses tours et a procédé à leur installation au courant de l'année 2003 sur un terrain situé à Rivière-aux-Renards en Gaspésie. Lesdites tours se sont affaissées le ou vers le 18 janvier 2006.

[3]                À la suite de ces affaissements, les parties demanderesses, qui sont les assureurs de ETS, lui ont payé une indemnité de 122 679,46 $. C'est ce montant qu'elles réclament de la défenderesse.

[4]                Les demanderesses reprochent à la défenderesse d'avoir conçu des tours ne pouvant résister à des vents atteignant 180 km/heure, d'avoir utilisé des câbles ayant une résistance maximale de 3 700 livres alors qu'une résistance de 12 000 livres était nécessaire pour rencontrer les spécifications demandées.

[5]                La défenderesse était assurée auprès de Lombard en vertu d'une police d'assurance garantissant notamment les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile incombé à la défenderesse. Lombard refuse de prendre la défense de la défenderesse en se basant sur deux exclusions de la police qui se lisent comme suit :

« l)  la privation de jouissance, la détérioration ou la destruction de vos produits survenant du fait de tout ou partie de ceux-ci;

j)    la privation de jouissance, la détérioration ou la destruction de la partie de vos travaux, exécutés par vous et incluse dans le risque produit/après travaux, lorsque les dommages surviennent du fait de tout ou partie de ceux-ci;»

(mis en gras dans l'original)

[6]                La défenderesse allègue dans sa défense que les tours étaient conformes aux normes canadiennes qui prévoient que les tours doivent pouvoir résister à une vitesse de vent sans glace de 120 km/heure. Elle dépose à l'appui de ses prétentions, deux expertises R-5 et R-6.

[7]                La défenderesse plaide que c'est l'accumulation des glaces sur les tours et les vents violents qui ont causé la chute des tours soit donc un cas de force majeure.  Les travaux étaient en tout point conformes aux spécifications de ETS et la défenderesse  conclut ainsi au paragraphe 42 de sa défense :

« 42) En conclusion, les tours appartenant à l'École de Technologie Supérieure, tout comme d'autres tours dans le secteur, ont tout simplement été victimes de conditions météorologiques exceptionnelles et ont dû affronter des conditions dépassant les normes pour lesquelles elles ont été construites;»

[8]                La défenderesse demande que Lombard prenne en charge les frais liés à la défense dans le présent dossier, et que le cabinet Greenspoon, Perreault soit désigné pour assurer la défense de la défenderesse.

[9]                La défenderesse demande aussi d'ordonner à Lombard de rembourser aux procureurs de la partie défenderesse requérante les déboursés, frais d'expertises, honoraires de défense antérieurs aux présentes et d'assumer les frais jusqu'à jugement à être rendu dans le présent dossier.

Position de la partie défenderesse

[10]            Le procureur de la défenderesse admet que si le Tribunal s'appuie uniquement sur les allégués de la requête et les pièces produites à son appui, les dommages réclamés par les demanderesses sont exclus du contrat d'assurance R-3.

[11]            Par contre, le Tribunal se doit de tenir compte de la défense de la défenderesse et de ses expertises. Il doit vérifier dans un premier temps qu'il ne s'agit pas d'une défense qui est frivole. Par la suite, il doit prendre en considération cette preuve extrinsèque amenée par la défense et les expertises de la défenderesse.

[12]            De plus, en ce qui concerne les procureurs, comme la décision de ne pas assurer la défense de la défenderesse a été prise par Lombard, celle-ci se trouve en conflit d'intérêts et le Tribunal se doit de nommer les procureurs de la défenderesse pour continuer à assurer sa défense.

Position de la partie défenderesse intimée, Lombard Canada

[13]            Selon la jurisprudence, c'est uniquement les procédures introductives d'instance et les pièces qui doivent être utilisées pour décider s'il s'agit d'une inclusion ou d'une exclusion à la police d'assurance. Comme la défenderesse admet qu'en vertu de la requête introductive d'instance et de ses pièces, il s'agit d'une exclusion mentionnée dans la police d'assurance, la requête doit être rejetée.

Décision

[14]            Le procureur de la défenderesse admet que d'une façon ou d'une autre, Lombard n'aura pas à payer un montant d'indemnité. En effet, si la demanderesse a gain de cause, les pertes sont exclues de la police d'assurance et si la défenderesse a gain de cause, la réclamation sera rejetée.

[15]            La position de Lombard est simple, pour décider de la présente requête, le Tribunal n'a qu'à prendre en considération la procédure des demanderesses et ses expertises. Comme il y a admission de la part de la défenderesse, en se basant uniquement sur ces procédures, il n'y a pas de couverture d'assurance. C'est sa seule position.

[16]            Il n'est pas nécessaire de refaire toute l'étude entre l'obligation de défense et l'obligation d'indemniser, les parties s'entendent sur ce point. Lombard ne nie pas l'obligation de défense lorsqu'il y a couverture d'assurance, mais ici il n'y a pas couverture d'assurance, donc il n'y a pas d'obligation de défense.

[17]            Dans un premier temps, le Tribunal doit donc décider s'il peut utiliser la défense et les pièces de la défenderesse ou s'il doit se limiter exclusivement à la procédure et aux pièces de la demanderesse.

[18]            À l'appui de ses prétentions, le procureur de la défenderesse soumet un arrêt de la Cour suprême[3] :

« [31]  Lorsque les actes de procédures ne sont pas assez précis pour que l'on puisse décider si les réclamations sont visées par une police, l'obligation de défendre de l'assureur s'applique si une interprétation raisonnable des actes de procédures permet de déduire l'existence d'une réclamation visée par la garantie. Ce principe est conforme aux préceptes plus généraux qui sous-tendent l'interprétation des contrats d'assurance, à savoir la règle contra proferentem et le principe selon lequel les dispositions concernant la garantie doivent recevoir une interprétation large et les clauses d'exclusion d'interprétation restrictive […].

[32]  Comme l'écrit G. Hiliker dans son ouvrage Liability Insurance Law (3e édition, 2001), page 72, certains tribunaux ont considéré que le passage précédent signifie que l'assureur doit opposer une défense s'il y a la moindre possibilité que la réclamation relève de la garantie. Cependant, Hiliker prétend également que les tribunaux ne doivent pas se livrer à une interprétation fantaisiste de la déclaration dans le seul but d'obliger l'assureur à opposer une défense.

[35]  Compte tenu de ce courant jurisprudentiel, il s'en suit que, pour déterminer si une obligation de défendre existe dans une situation donnée, il faut évaluer les actes de procédures pour déterminer le contenu et la nature véritable des réclamations.  Plus particulièrement, il faut examiner intégralement les allégations factuelles contenues dans les actes de procédures pour déterminer si elles peuvent étayer les prétentions juridiques du demandeur.»

[19]            Dans toutes les jurisprudences soumises par le procureur de la défenderesse, tant la Cour suprême que la Cour d'appel conviennent qu'une preuve extrinsèque peut être prise en considération. Mais en aucun temps, cette preuve extrinsèque était la défense ou des expertises en défense.

[20]            Il s'agissait toujours d'actes de procédures et de pièces produites par la partie demanderesse. Si dans ces jugements, on enseigne qu'il faut tenir compte de la preuve extrinsèque du dossier, pourquoi comme dans le présent cas, le Tribunal ne pourrait tenir compte de la défense et des expertises?

[21]            Il n'y a pas de raison de limiter l'analyse à la preuve soumise par la partie demanderesse. La jurisprudence ayant bien démontré la différence entre l'obligation de défense et l'obligation d'indemniser, il y a lieu pour le Tribunal de regarder tant la demande et ses expertises que la défense et ses expertises pour décider de la question.

[22]            Dans un premier temps, la lecture de cette défense et des expertises qui l'accompagnent, nous démontre qu'elle n'est pas frivole. Au contraire, cette défense est bien appuyée par des expertises sérieuses. Comme la jurisprudence nous l'enseigne, dès que les procédures nous démontrent qu'il y a une possibilité que la réclamation soit couverte ou, comme ici, que la réclamation ne fait pas partie des exclusions comme allégué en défense, il faut que l'obligation de défense prenne tout son sens.

[23]            Sinon, à quoi servirait une assurance qui ne couvre pas cette obligation de défense par le seul fait qu'en demande, on expose des faits qui font partie d'une exclusion, même si en défense on invoque un moyen, tel que dans le présent cas de force majeure, qui exclut la responsabilité de la défenderesse. Il y a donc lieu d'obliger Lombard à défendre la défenderesse.

[24]            Maintenant, la défenderesse demande que ce soit ses procureurs qui continuent à la défendre et que les frais soient payés par Lombard. À l'appui de cette prétention, le procureur de la défenderesse cite le juge Marc Beauregard[4] qui s'exprime ainsi :

« Lorsque, par une injonction interlocutoire, le tribunal oblige l'assureur à mettre à la disposition de l'assuré un avocat, celui-ci, plus souvent qu'autrement, se verra dans une situation de conflits d'intérêts. Pour éviter cela, il me semble que, lorsqu'il paraît que l'assuré a droit à la protection de la police, la solution est d'ordonner à l'assureur de payer les honoraires de l'avocat choisi par l'assuré et de laisser le contrôle du montant de ces honoraires au tribunal, comme on le fait en matière de provisions pour frais dans les causes de divorce. Puisqu'il prétend que son assuré n'a pas droit à la protection de sa police, l'assureur ne saurait invoquer que le choix de l'avocat lui appartient.»

[25]            Le juge Jacques[5] va dans le même sens en obligeant La Personnelle à rembourser au procureur choisi par le défendeur, de payer les déboursés et les frais d'expertises et d'honoraires de défense jusqu'à jugement final, sous réserve toujours des droits de la compagnie d'assurances lorsque le jugement final sera rendu.

[26]            Ici, Lombard s'est placée en conflit d'intérêts en plaidant que la réclamation est exclue puisqu'il s'agit de vices de conception ou de construction, comme le prévoit la police d'assurance, alors que la défenderesse prétend qu'il s'agit d'un cas de force majeur. Laisser à Lombard le choix des avocats et la manière d'assumer la défense pourrait porter préjudice à la défenderesse. En effet, il est plus intéressant pour Lombard que la demanderesse ait raison que d'être obligée de payer les frais de défense de la défenderesse pour que celle-ci ait gain de cause.

[27]            Et comme le dit le juge Jacques :

« [31] En effet, comme l'explique la Cour d'appel dans l'arrêt Géodex inc. & al c. Zurich compagnie d'assurances[6], l'obligation de défendre perdure tant et aussi longtemps qu'existe une possibilité que la réclamation soit couverte par la police; la découverte subséquente de faits entraînant l'exclusion de la couverture peut mettre fin à l'obligation de défendre. »

[28]            CONSIDÉRANT que la jurisprudence à l'effet qu'il faut considérer la preuve extrinsèque pour décider de l'obligation de défense ou non;

[29]            CONSIDÉRANT que dans le présent dossier, les parties s'entendent sur la différence entre l'obligation de défense et l'obligation d'indemniser;

[30]            CONSIDÉRANT que la défense est loin d'être frivole;

[31]            CONSIDÉRANT les expertises à l'appui de cette défense;

[32]            CONSIDÉRANT le conflit d'intérêts dans lequel Lombard s'est placée;

PAR CES MOTIFS LE TRIBUNAL

[33]            ACCUEILLE la requête de la défenderesse;

[34]            ORDONNE à Lombard Canada d'assumer la défense de la défenderesse et de prendre en charge les frais liés à la défense relativement à la réclamation pour dommages et intérêts;

[35]            ORDONNE à Lombard Canada de rembourser au procureur de la défenderesse, les déboursés, frais d'expertises et honoraires de défense que ce dernier a commencé à assumer et devra assumer jusqu'à jugement à être rendu dans le présent litige sous réserve de la présentation d'une requête par Lombard Canada pour être relevée de son obligation d'assumer la défense, le cas échéant;

[36]            DÉSIGNE le cabinet Greenspoon, Perreault, pour assurer la défense de la partie défenderesse;

[37]            CONDAMNE Lombard Canada aux dépens de la présente requête.

 

 

__________________________________

RAYMOND W. PRONOVOST, J.C.S.

 

Me Thomas Cliche

Greenspoon, Perreault, avocats

Procureurs de la défenderesse requérante Groupe Ohméga inc.

 

Me Marc Choquette (casier 4)

Tremblay, Bois, Mignault, avocats

Procureurs de la défenderesse intimée Lombard Canada

 

Date d’audience :

27 octobre 2008

 



[1]     Ci-après appelée «Lombard».

[2]     Ci-après appelée «ETS».

[3]     Monenco Ltd c. Commonwealth Insurance Co., [2001] 2 R.C.S. 699 .

[4]     Axa Assurances inc. c. Les Habitations Claude Bouchard inc. & al., C.A. Montréal, no. 500-09-010616-019, 3 octobre 2001, jj. Beauregard, Deschamps & Biron (Ad Hoc).

[5]     Alain Mathieu c. Jacques Gagnon et La Personnelle, C.S. [2008] QCCS 1093 .

[6]     Géodex inc. al c. Zurich Compagnie d'assurances, C.S. Montréal, no 500-09-015202-047, 21 avril 2006, jj. Pelletier, Dalphond et Hilton; V. aussi Compagnie d'assurances Wellington c. M.E.C., Technologie inc. al, C.A. Québec, no 200-09-001957-981,, 19 février 1999, jj. Dussault, Otis et Pidgeon.

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