Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

RÉGION :

Montréal

Montréal, le 11 juillet 2002.

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER :

144603-71-0008-R

DEVANT LE COMMISSAIRE :

Claude-André Ducharme

 

 

 

 

 

 

 

ASSISTÉ DES MEMBRES :

Michel R. Giroux

 

 

 

Associations d’employeurs

 

 

 

 

 

 

 

Marielle Trempe

 

 

 

Associations syndicales

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER CSST :

118551282

AUDIENCE TENUE LE :

26 juin 2002

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À :

Montréal

 

 

 

 

 

 

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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE PRÉSENTÉE EN VERTU DE L'ARTICLE 429.5 6 DE LA LOI SUR LES ACCIDENTS DU TRAVAIL ET LES MALADIES PROFESSIONNELLES (L.R.Q., chapitre A-3.001)

 

 

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CANADIEN PACIFIQUE - REINE ELIZABETH HÔTEL

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE REQUÉRANTE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

et

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CARY GIRARD

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE INTÉRESSÉE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

DÉCISION

 

 

[1]               Le 4 janvier 2002, l'employeur, Canadien Pacifique-Reine Élizabeth hôtel, dépose une requête par laquelle il demande la révision d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 26 novembre 2001.

[2]               Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles infirme une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 10 août 2000 à la suite d’une révision administrative et déclare que la travailleuse, madame Cary Girard, a subi une lésion professionnelle le 14 avril 2000.

[3]               L'employeur est représenté à l'audience.  Madame Girard et son représentant sont également présents.

L'OBJET DE LA REQUÊTE

[4]               L'employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser sa décision rendue le 26 novembre 2001 et de déclarer que madame Girard n'a pas subi une lésion professionnelle le 14 avril 2000.

LES FAITS

[5]               Pour les fins de la présente décision, la Commission des lésions professionnelles retient les éléments suivants des documents contenus au dossier et de la transcription écrite de l'enregistrement de l'audience tenue le 23 avril 2001.

[6]               Madame Girard occupe un emploi de préposée aux chambres chez l'employeur depuis dix ans.  Elle est droitière.  Le 24 avril 2000, elle présente une réclamation à la CSST pour faire reconnaître la survenance d'une lésion professionnelle le 14 avril 2000 en raison des circonstances suivantes:

J'avais mal à l'épaule depuis l'automne 99 et le mal s'est empiré à point tel que j'avais de la misère à soulever mon bras avec douleur au dos et bras et épaule. (sic)

 

 

[7]               Elle est alors âgée de 61 ans.

[8]               Sa réclamation est fondée sur une attestation médicale émise le 14 avril 2000 par le docteur K.Q. Diec dans laquelle ce médecin pose le diagnostic de tendinite à l'épaule droite par mouvements répétitifs.  Le 17 avril, une radiographie effectuée à la demande de ce médecin est interprétée comme suit:

Pas d'évidence de lésion osseuse ou articulaire.  Pas de calcification dans les tissus mous.

 

 

[9]               Le 26 avril 2000, madame Girard est examinée par le docteur Luc Racine, orthopédiste, à la demande de l'employeur.  Ce médecin décrit les circonstances dans lesquelles la symptomatologie s'est manifestée de la façon suivante:

Madame Girard, après son retour de vacances, en août 1999, et au cours du mois de septembre, ressent des malaises à l'épaule droite.  Ses malaises se situent au moignon de l'épaule au mouvement d'abduction autour de 90 degrés et sont soulagés par la chaleur locale.  Au début intermittente, la douleur progresse et devient persistante, particulièrement lorsqu'elle pousse des chariots ou manipule des couvre-lits.  Elle survient sans aucune modification de technique au travail ni d'événement particulier.

 

 

[10]           Au terme de son examen, il formule les conclusions suivantes:

Madame Girard a ressenti des malaises au niveau de son épaule droite depuis septembre 1999.  Ces malaises sont apparus quelque temps après un retour de vacances, période où elle n'a pas eu à faire de mouvements répétitifs.  De plus, ces malaises sont apparus sans aucun événement soudain, imprévu et sans changement de technique au travail.

 

L'examen objectif actuel démontre la présence d'une légère tendinite de la coiffe des rotateurs, une maladie personnelle sans relation avec ses activités répétitives.  La description faite par Madame à son travail n'implique pas de mouvement répétitif avec un rythme accéléré en position vicieuse, contraignante ou sans répit, son travail lui permettant un repos de l'épaule à volonté.

 

En conséquence, la tendinite de la coiffe des rotateurs est nullement reliée à son travail, elle est une condition personnelle.

 

 

[11]           Le 27 avril 2000, madame Girard est prise en charge par le docteur Denis Raymond, physiatre.  Il diagnostique une tendinite de la coiffe des rotateurs de l'épaule droite et prescrit de la physiothérapie.  Le 20 juillet 2000, il consolide la lésion sans atteinte permanente à l'intégrité physique ni de limitations permanentes.  Madame Girard reprend son travail par la suite.

[12]           Dans l'annexe à la réclamation qu'elle a complétée, madame Girard décrit ses tâches et indique que la plus difficile à accomplir est celle qui consiste à pousser le chariot plein de linge.  Elle fait mention également de la manipulation des couvre-lits «king size».

[13]           Le 19 juin 2000, la CSST refuse sa réclamation pour la raison qu'il ne s'agit pas d'une maladie professionnelle ni d'un accident du travail.  Cette décision est confirmée le 10 août 2000 à la suite d'une révision administrative, d'où l'appel de madame Girard à la Commission des lésions professionnelles.

[14]           La commissaire qui rend la décision du 26 novembre 2001 résume le témoignage rendu par madame Girard lors de l'audience tenue le 23 avril 2001 comme suit:

[13]      À l’audience, la travailleuse témoigne.  Elle précise que la douleur à l’épaule gauche est apparue vers le mois de septembre 1999.  Depuis 10 ans qu’elle travaille à titre de préposée aux chambres, elle n’avait jamais réclamé pour des douleurs aux épaules avant le 14 avril 2000.

 

[14]      Antérieurement, elle a eu un accident de travail le 21 mai 1999 où elle est tombée dans le bain par en avant un peu sur le côté droit.  Elle a ressenti une douleur au dos.  Elle a été absente du travail du 22 au 30 mai 1999. 

 

[15]      Elle a eu un deuxième accident de travail le 2 juin 1999 où elle s’est prise le bras dans l’ascenseur.  Elle a eu des ecchymoses et une contusion au coude droit.  Elle a été absente du 4 au 8 juin 1999.  Elle n’a jamais eu mal à l’épaule droite lors de ces accidents du travail.  Elle n’avait jamais eu d’autres accidents de travail avant ça.

 

[16]      Elle mentionne que la douleur à l’épaule est apparue graduellement à l’automne 1999 et elle a augmenté au point qu’elle avait de la difficulté à lever son bras.  Elle ressentait une douleur au dos et à l’épaule droite.  Elle était de retour de vacances en septembre 1999, lorsqu’elle a commencé à avoir ces douleurs.  Elle n’a pas consulté immédiatement parce qu’elle pouvait tolérer la douleur.  Au mois d’avril, elle n’était plus capable de se servir de son bras droit à cause de l’intensité de la douleur c’est pour cette raison qu’elle a consulté un médecin.

 

[17]      Elle décrit les tâches journalières qu’elle devait effectuer à titre de préposés aux chambres chez l’employeur.  Ses principales tâches, décrites par l’employeur sont :

 

·          Faite les lits (minimum de 15 par jour) les draps sont changés à tous les jours sans exception

·          Époussetage de tous les meubles ainsi que les cadres

·          Laver les miroirs

·          Laver les lavabos

·          Nettoyer les têtes de douches

·          Laver les toilettes

·          Laver les planchers de salle de bain à genoux

·          Changer les rideaux de douches au besoin

·          Préparer les chariots

·          Se pencher pour vider les poubelles des chambres (3 par chambre)

·          Nettoyer les cendriers où applicable

·          Remplacer les serviettes et laver les tablettes de vitres

·          Passer l’aspirateur dans toutes les chambres à tous les jours sans exception (15 chambres)

·          Nettoyer les ampoules ainsi que les abats-jours

·          Entretenir la balayeuse (changer le sac si nécessaire)

·          Faire et défaire les sofas-lits dans les chambres ainsi que dans les suites

·          Se pencher et vérifier les dessous de lits

·          Doit pousser un chariot d’un minimum de 59 kilos et le déplacer d’étage si nécessaire

·          Laver les bas des murs (sur une base occasionnelle)

·          Et tout autres tâches requises par la gouvernante générale.

 

[18]      La travailleuse précise que lorsqu’elle est assignée à un étage, elle ne fait pas toujours les mêmes chambres.  Dans les périodes moins occupées, elle peut faire des chambres dans des corridors différents.  Elle a entre 20 et 22 minutes pour faire une chambre.  Elle peut aussi travailler sur des étages différents, habituellement à l’automne et à l’hiver où la clientèle est réduite.

 

[19]      Pour faire son travail, elle utilise un chariot.  Au début de sa journée, elle remplit le chariot de tout le matériel nécessaire dont elle aura besoin au cours de la journée.  Elle transporte toujours le chariot avec elle.  Il arrive quelque fois que les roues du chariot sont mal alignées et il est plus difficile à pousser.  Lorsqu’elle commence sa journée, le poids du chariot peut être d’environ 100 livres.

[20]      La travailleuse dépose en preuve des photos d’un chariot qu’elle utilisait pour son travail, photos prises à différentes étapes de la journée en novembre 2000.  Elle précise que c’est le même genre de chariot qu’elle utilisait à l’automne 99 et au printemps 2000.

 

[21]      La travailleuse mentionne qu’elle mesure 5 pieds et 1 pouce.  Elle déposait dans le sac attaché au chariot la lingerie utilisée.  Après 6 ou 7 chambres, il était plein et plus elle avançait plus le sac débordait.  Sur les photos on aperçoit de la lingerie qui déborde du sac.  La hauteur peut atteindre la même hauteur qu’une porte de chambre.

 

[22]      L’employeur a déposé à l’audience les mesures qu’il a prises du chariot.  Il évalue le poids du chariot lorsque le sac est rempli au bord à 116 livres.  La hauteur du chariot est de 51 pouces.  La largeur est de 18 pouces ½ et la longueur de 60 pouces.  Les cerceaux qui retiennent les sacs sont à 45 pouces ½ du sol.

 

[23]      Normalement, à la mi-journée, les équipiers devaient vider le chariot.  Cependant, il était difficile de les rejoindre où ils tardaient à venir.  Elle ne pouvait les attendre car elle aurait pris du retard dans son travail.  Elle s’est plainte à quelques reprises à son coordonateur, monsieur Richard Lavallé qui l’a référé à madame Matte.

 

[24]      Plus la journée avançait et plus le chariot était difficile à pousser parce qu’il était plus lourd et qu’elle devait se pencher de côté pour voir.  À la fin de la journée, le chariot pouvait peser facilement 150 livres.

 

[25]      Aussi, entre l’automne 99 et le printemps 2000, il y a eu des problèmes avec l’ascenseur.  Il arrivait fréquemment que l’ascenseur n’arrêtait pas au niveau de l’étage.  Il y avait une dénivellation.  Il y avait des fois où elle devait pousser plus fort le chariot pour le dégager.  Il lui arrivait aussi d’être obligée de tenir la porte pour faire entrer le chariot dans l’ascenseur.

 

[26]      La travailleuse mentionne aussi qu’il lui est arrivé d’avoir de 9 à 10 lits « King Size » à changer dans une journée.  Ces lits sont plus difficiles à manier et les matelas plus difficiles à soulever lorsqu’elle installe les draps.

 

[27]      La travailleuse soutient aussi que, compte tenu de sa grandeur, elle doit souvent travailler à bout de bras, notamment en lavant les miroirs, en nettoyant les têtes de douches, en changeant les rideaux de douche, en lavant les planchers des salles de bain.

 

 

[15]           À la lecture de la transcription de son témoignage, il ressort que madame Girard insiste pour dire qu'elle effectue un travail physiquement exigeant et elle croit que c'est en tirant des couvre-pieds et des couvertes de laine que ses douleurs se sont manifestées.  Elle explique de plus que les tâches qui lui causaient le plus de souffrance étaient le fait de pousser les chariots remplis de linge et de manipuler les couvertures pour refaire les lits.  Elle reconnaît toutefois qu'elle n'avait pas à soulever complètement les matelas ni d'autres objets lourds.

[16]           Sa représentante a déposé en preuve des extraits de Dupuis-Leclaire portant sur les tendinites et les bursites de l'épaule en attirant l'attention du tribunal sur certains passages tel le suivant:

Les tendinites de l'épaule représentent la condition douloureuse non traumatique de l'épaule la plus fréquente.  Elles sont la conséquence de sollicitations habituellement répétées, mais pas nécessairement exhaustives, sur un tendon présentant un certain degré de dégénérescence. (p. 488)

 

 

[17]           L'employeur a fait témoigner monsieur Richard Lavallée, madame Jasmine Cozier et le docteur Luc Racine.  Madame Cozier a déposé les fiches de travail de madame Girard pour les mois de septembre 1999 à avril 2000.  La commissaire y fait référence au paragraphe 32 de la décision.  Elle résume les témoignages de monsieur Lavallée et du docteur Racine comme suit:

[28]      Monsieur Richard Lavallée, coordonnateur en santé-sécurité chez l’employeur, témoigne.

 

[29]      Il explique qu’il est exact que lorsque la travailleuse a eu des difficultés à faire vider les chariots, il lui a dit de contacter madame Matte à ce sujet.

 

[30]      Il rapporte le nombre de préposée aux chambres qu’il y avait chez l’employeur entre 1995 et 2000.  Selon lui, il n’y a jamais eu de réclamation pour tendinite à l’épaule, mais il ne sait pas s’il y a eu des réclamations à ce sujet en assurance-salaire.

 

[31]      À une question posée sur les photos prises du chariot par la travailleuse, il répond qu’il est possible que le poids d’un chariot rempli de cette façon puisse peser autour de 148 livres.

 

[32]      Il admet aussi qu’il arrive que les ascenseurs soient « débalancés ».  L’employeur dépose à l’audience les horaires de travail et les assignations de la travailleuse entre septembre 1999 et avril 2000.

 

[33]      Le docteur Luc Racine, chirurgien orthopédiste, témoigne à la demande de l’employeur.

 

[34]      Il reprend le dossier médical de la travailleuse et il explique les données de son expertise.

 

[35]      Il soutient que la manipulation d’un chariot de 116 livres ne demande aucune sollicitation de la coiffe des rotateurs.

 

[36]      Selon lui, la travailleuse a une condition personnelle de dégénérescence de la coiffe des rotateurs.  Il mentionne qu’il est normal de constater qu’une personne au-delà de 40 à 50 ans puisse avoir une tendinopathie dégénérative.  Il peut aussi y avoir une calcification qui rend l’épaule plus sensible et la circulation est moins bonne.

 

[37]      Selon lui, le fait qu’il n’y a pas de calcification ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de dégénérescence, ni que la tendinite soit d’origine personnelle.

 

 

[18]           À la lecture de la transcription de son témoignage, il ressort que le docteur Racine explique de plus que ce sont des mouvements de flexion antérieure et surtout d'abduction à plus de 90° qui sont susceptibles de causer une tendinite de la coiffe des rotateurs.  Il estime que le fait de pousser le chariot ne sollicite pas la coiffe parce que les muscles impliqués sont les pectoraux et le biceps.  De plus, selon ce médecin, le fait de tirer les draps met en action le biceps, les fléchisseurs des avant-bras et des mains davantage que la coiffe.  Il reconnaît toutefois que laver les douches, les miroirs, les pommes de douche, les carreaux des salles de bains impliquent la coiffe des rotateurs, mais il estime que ces tâches ne prennent que quelques minutes par chambre.

[19]           En argumentation, la représentante de madame Girard a plaidé que la tendinite de la coiffe des rotateurs constitue une maladie professionnelle au sens de l'article 30 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1](la loi) parce qu'elle est reliée aux risques particuliers de son travail.  Elle soumet que madame Girard n'avait aucun problème auparavant et rappelle les différentes tâches qu'elle devait accomplir en soulignant leur caractère difficile et le fait qu'elles impliquent une surutilisation du bras droit.

[20]           Pour sa part, le représentant de l'employeur estime qu'il n'y a pas de preuve de surutilisation du bras droit et que la sollicitation de ce bras n'implique pas des mouvements en haut des épaules.  En référant notamment au témoignage du docteur Racine, il soumet que la preuve ne démontre pas que le travail de madame Girard comporte des risques particuliers susceptibles de causer une tendinite et qu'il y a une relation directe entre la lésion qu'elle a subie et le travail qu'elle exerce.

[21]           La commissaire en vient à la conclusion que madame Girard a subi une lésion professionnelle pour les motifs suivants:

[44]      L’article 30 permet d’appliquer la présomption de maladie professionnelle s’il s’agit d’une maladie caractéristique du travail exercé ou d’une maladie reliée aux risques particuliers de ce travail.

 

[45]      Aucune preuve ne permet de conclure que la tendinite de l’épaule droite soit caractéristique du travail de préposée aux chambres.

 

[46]      La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la tendinite de l’épaule droite peut être reliée aux risques particuliers du travail de la préposée aux chambres.

 

[47]      La preuve est à l’effet que la travailleuse occupe ce poste depuis 10 ans.  Elle n’a jamais eu de problèmes aux épaules auparavant.  Ses problèmes à l’épaule droite ont commencé à l’automne 1999 et se sont accentués jusqu’au 14 avril 2000 où elle a dû consulter parce que la douleur était intolérable.  Cette période coïncide avec le fait que les ascenseurs étaient défectueux.  En effet, à plusieurs reprises lorsqu’elle poussait le chariot celui-ci se frappait sur l’ascenseur compte tenu de la dénivellation entre le plancher de l’étage et le plancher de l’ascenseur.

 

[48]      La travailleuse, compte tenu de sa grandeur et de la hauteur du chariot, devait travailler souvent les bras en abduction et en flexion tout en forçant pour dégager le chariot.  C’est aussi à cette même période qu’elle avait des difficultés avec les équipiers pour faire vider le chariot.  Elle devait donc exercer une force inhabituelle pour pousser le chariot qui, lorsqu’il était plein, devenait plus difficile à contrôler.

 

[49]      Il est évident que le poste de préposée aux chambres comporte des tâches physiques exigeantes qui de l’automne 1999 au printemps 2000, ont parfois été exécutées dans des conditions difficiles.

 

[50]      En ce qui concerne la condition personnelle de dégénérescence soulevée par le docteur Racine, la Commission des lésions professionnelles constate qu’aucun test spécifique n’a été fait pour démontrer la véracité de cette hypothèse.  En effet, la radiographie, passée le 17 avril 2000, démontre aucune calcification dans les tissus mous et ne fait état d’aucune condition personnelle de dégénérescence.

 

[51]      La Commission des lésions professionnelles ne peut retenir cette hypothèse d’autant plus que la travailleuse n’a eu aucun problème aux épaules avant l’événement du 4 avril 2000 et depuis son retour au travail, celle-ci continue d’accomplir ses tâches comme avant.

 

[52]      La Commission des lésions professionnelles conclut que la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 14 avril 2000.

 

 

[22]           Au soutien de la requête en révision, le représentant de l'employeur invoque que la décision comporte les vices de fond suivants:

10.      Sans restreindre ni limiter la généralité du paragraphe 6, la décision de la Commission des lésions professionnelles est entachée d'un vice de fond de nature à l'invalider lorsque la Commission a retenu que:

 

«44.           L'article 30 permet d'appliquer la présomption de maladie professionnelle s'il s'agit d'une maladie caractéristique du travail exercé ou d'une maladie reliée aux risques particuliers de ce travail

 

           alors que l'article 30 n'établit pas de présomption de maladie professionnelle;

 

11.      La décision est aussi entachée d'un vice de fond de nature à l'invalider lorsqu'elle conclut à la survenance d'une lésion professionnelle :

 

a)        en l'absence de toute preuve quant à l'existence de risques particuliers de lésion à l'épaule;

 

b)        en l'absence de toute preuve d'une relation directe entre ces risques particuliers, s'ils existaient, et la tendinite diagnostiquée pour la première fois le 14 avril 2000;

 

12.      La décision est enfin entachée d'un vice de fond de nature à l'invalider lorsqu'elle écarte, sans motif valable, le seul témoignage rendu par un expert qualifié qui tendait à confirmer l'origine personnelle de la lésion pour présumer, en l'absence de toute preuve à cet effet, d'un lien entre celle-ci et les circonstances entourant l'exécution de tâches à des moments indéterminés mais survenus entre le mois de septembre 1999 et le mois d'avril 2000;

 

 

[23]           Lors de l'audience, le représentant de l'employeur reprend ces arguments en les développant.  Le représentant de madame Girard reconnaît pour sa part que la commissaire a commis une erreur en considérant que l'article 30 comportait une présomption de maladie professionnelle.  Il soumet toutefois que cette erreur n'est pas déterminante puisque la décision à laquelle en vient la commissaire n'est pas fondée sur l'application d'une telle présomption, mais sur l'existence de risques particuliers du travail de madame Girard.  Il estime que par sa requête, l'employeur cherche à obtenir une nouvelle appréciation de la preuve.

[24]           Les représentants des parties ont déposé de la jurisprudence au soutien de leurs prétentions.

L'AVIS DES MEMBRES

[25]           Le membre issu des associations d'employeurs est d'avis que la requête doit être accueillie.  Il estime que le fait que la commissaire a considéré que l'article 30 de la loi comporte une présomption de maladie professionnelle constitue une erreur de droit manifeste et déterminante puisque cela a eu pour effet de faire porter le fardeau de preuve à l'employeur et de soustraire la travailleuse à son obligation de faire une preuve complète.  Il estime de plus que la décision comporte une erreur manifeste d'appréciation de la preuve dans la mesure où la commissaire n'a pas tenu compte de la seule opinion médicale qui était en preuve, soit celle du docteur Racine, selon lequel une dégénérescence au niveau de la coiffe des rotateurs ne se voit pas nécessairement à la radiographie et le fait de pousser un chariot ne sollicite pas la coiffe des rotateurs.  Il considère que la décision doit être révisée parce qu'il n'y a pas de preuve établissant l'existence d'une relation entre la maladie contractée par la travailleuse et son travail et il conclut qu'elle n'a pas subi de lésion professionnelle.

[26]           La membre issue des associations syndicales est d'avis que la requête doit être rejetée.  Elle considère que l'erreur concernant la portée de l'article 30 n'est pas déterminante et que la conclusion à laquelle en vient la commissaire sur l'existence d'une maladie professionnelle est fondée sur la preuve au dossier et résulte de l'appréciation qu'elle en a faite, laquelle ne comporte pas d'erreur manifeste.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[27]           La Commission des lésions professionnelles doit décider s'il y a lieu de réviser la décision rendue le 26 novembre 2001.

[28]           Le pouvoir de la Commission des lésions professionnelles de réviser ou révoquer une décision qu'elle a rendue lui est conféré par l'article 429.56 de la loi lequel se lit comme suit:

429.56 La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:

 

1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

 

 

[29]           Cet article apporte une dérogation au principe général énoncé par l'article 429.49 de la loi voulant qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles soit finale et sans appel de telle sorte qu’on doit considérer que la révision ou la révocation d'une décision n'est possible que pour les motifs prévus à l'article 429.56.

[30]           L'employeur fonde sa requête sur le fait que la décision comporte des vices de fond qui sont de nature à l'invalider. 

[31]           La jurisprudence assimile la notion de «vice de fond» à une erreur manifeste de fait ou de droit qui a un effet déterminant sur le sort du litige[2] et pose la règle qu'il ne peut s'agir d'une simple question d'appréciation de la preuve ou des règles de droit en cause parce que le recours en révision ou en révocation n'est pas un second appel[3]

[32]           La première erreur que l'employeur reproche à la commissaire concerne son interprétation de l'article 30 de la loi voulant que cette disposition comporte une présomption de maladie professionnelle.

[33]           La maladie professionnelle est définie à l'article 2 de la loi de la façon suivante:

« maladie professionnelle » :une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail ;

 

 

[34]           Les articles 29 et 30 qui établissent les conditions de reconnaissance d'une maladie professionnelle se lisent comme suit:

29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.

 

Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.

 

30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

 

 

[35]           À la lecture de ces dispositions, on comprend que l'article 29 crée une présomption de maladie professionnelle lorsque le travailleur établit que la maladie qu'il a contractée est visée dans l'annexe I de la loi et qu'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.  Dans ce cas, par le jeu de la présomption, il est dispensé de faire la preuve que sa maladie est caractéristique de son travail ou qu'elle est directement reliée aux risques particuliers de son travail.  Ce n'est pas le cas de l'article 30.  Pour avoir gain de cause, le travailleur doit démontrer par une preuve prépondérante que sa maladie est caractéristique de son travail ou qu'elle est directement reliée aux risques particuliers qu'il comporte et il ne bénéficie d'aucune présomption pour ce faire.

[36]           Dans cette perspective, le fait pour la commissaire d'avoir considéré que l'article 30 comporte une présomption de maladie professionnelle constitue une erreur de droit manifeste.  Le représentant de madame Girard en convient d'ailleurs.  La Commission des lésions professionnelles ne croit pas toutefois que cette erreur est déterminante puisque la conclusion à laquelle en vient la commissaire n'est pas fondée sur l'application d'une présomption, mais plutôt sur son appréciation de la relation entre les risques particuliers que comporte le travail de madame Girard et sa maladie.  Ce premier argument de l'employeur ne justifie donc pas la révision de la décision.

[37]           Les autres erreurs que l'employeur reproche à la commissaire concernent son appréciation de la preuve.  Il soumet qu'elle a conclu à l'existence d'une maladie professionnelle en l'absence de toute preuve que le travail de madame Girard comporte des risques particuliers de lésion à l'épaule et qu'il existe une relation directe entre de tels risques et la tendinite qu'elle a contractée.  Il lui reproche également d'avoir écarté l'opinion du docteur Racine sans raison valable.

[38]           Il convient de rappeler que le recours en révision ne peut servir à obtenir une nouvelle appréciation de la preuve puisque, tel que mentionné précédemment, il ne s'agit pas d'un appel.  Dans Thériault et Commission scolaire des Portages de l'Outaouais[4], la Commission des lésions professionnelless'exprime comme suit sur cette question:

Il est toujours possible - ce sur quoi le présent tribunal ne se prononcera pas puisque ce serait agir dans le cadre d'un droit d'appel que n'est pas le recours en révision - que la décision du 14 mai 1998 soit mal fondée.  Cependant, une mauvaise appréciation des faits et du droit ne saurait permettre la révision, à moins qu'elle n'ait pour conséquence d'engendrer une injustice grave qui doit être démontrée par la preuve du fait que la Commission des lésions professionnelles aurait statué sans preuve, aurait négligé un élément de preuve important ou aurait adopté une grille d'analyse qui crée une injustice certaine.

 

 

[39]           Dans la présente affaire, on doit convenir que la conclusion à laquelle en vient la commissaire n'est pas très motivée, mais le tribunal ne peut retenir qu'elle a ignoré un élément de preuve important au point de justifier la révision de la décision.

[40]           En effet, la commissaire fait état de tous les éléments pertinents de la preuve dans son résumé des faits et des témoignages.  Elle n'ignore pas l'opinion du docteur Racine voulant que la tendinite contractée par madame Girard soit d'origine dégénérative, mais de toute évidence, elle elle ne lui accorde pas de valeur probante en considérant que l'imagerie radiologique n'a pas révélé de dégénérescence et que la travailleuse n'avait jamais eu de problème aux épaules antérieurement.  Ces considérations ne sont pas dénuées de fondement puisque même s'il est vraisemblable de penser que madame Girard présentait un certain degré de dégénérescence à l'épaule droite en raison de son âge, cette dégénérescence n'apparaît pas très importante puisqu'elle n'a pas été révélée par la radiographie qui a été effectuée.

[41]           Par ailleurs, il est vrai que la commissaire semble mettre de l'emphase sur le problème rencontré par madame Girard avec les ascenseurs même si cette situation n'était pas très fréquente selon la preuve documentaire déposée ou encore qu'elle fait état de la difficulté de la travailleuse à pousser le chariot alors que selon les explications du docteur Racine, cette tâche ne sollicitait pas la coiffe des rotateurs. 

[42]           Cependant, il ne s'agit pas des seuls éléments qui sont pris en compte par la commissaire et on comprend qu'elle fonde surtout sa conclusion sur le fait que madame Girard exerce un travail qui comporte des tâches physiques exigeantes qui l'amènent à travailler souvent le bras droit en abduction et en élévation antérieure et cela d'autant plus, comme le note la commissaire, qu'elle n'est pas très grande. 

[43]           Ces considérations ne sont pas manifestement erronées puisqu'au cours de son témoignage, le docteur Racine identifie certaines tâches qui sollicitent la coiffe des rotateurs que madame Girard doit accomplir dans chaque chambre et qui peuvent avoir ainsi jouer un rôle dans la manifestation de la lésion.  De plus, la commissaire prend en considération pour justifier sa conclusion le fait que madame Girard n'a jamais connu antérieurement de problème à l'épaule droite.

[44]           Dans ce contexte, la Commission des lésions professionnelles ne peut donc retenir, comme le prétend l'employeur, que la décision est rendue en l'absence de toute preuve et bien qu'elle aurait gagnée à être mieux motivée, le tribunal estime que la conclusion à laquelle en vient la commissaire résulte plutôt de l'appréciation qu'elle a faite de la preuve, ce qui relevait de sa compétence.  Il est possible qu'un autre commissaire ait apprécié la preuve différemment, mais il ne s'agit pas d'un motif de révision.

[45]           Après considération des argumentations présentées et de la jurisprudence soumise, la Commission des lésions professionnelles en vient donc à la conclusion que l'employeur n'a pas démontré que la décision rendue le 26 novembre 2001 comporte un vice de fond qui soit de nature à l'invalider et sa requête doit être rejetée.

 

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de l'employeur, Canadien Pacifique - Reine Élizabeth hôtel.

 

 

 

 

Claude-André Ducharme

 

Commissaire

 

 

 

 

 

[Me Claude Martin]

Heenan, Blaikie

 

Représentant de la partie requérante

 

 

 

[Me Fernand Daigneault]

C.S.N.

 

Représentant de la partie intéressée

 

 

 



[1]          L.R.Q. c. A-3.001

[2]          Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 .

[3]          Sivaco et C.A.L.P. [1998] C.L.P. 180 ; Charrette et Jeno Neuman & fils inc., C.L.P. 87190-71-9703, 1999-03-26, c. N. Lacroix.

[4]          C.L.P. 91038-07-9708, 1999-03-30, B. Lemay

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