Le 19 janvier 1999, madame Claire Rufiange (la travailleuse) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision rendue le 12 janvier 1999, après révision administrative, par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST).
Par cette décision, la CSST maintient une décision qu'elle a rendue le 9 juin 1998 par laquelle elle refuse la réclamation présentée par madame Rufiange pour une récidive, rechute ou aggravation survenue le 30 janvier 1998. La CSST considère que le diagnostic de triple hernie discale cervicale n'est pas relié à l'événement du 26 août 1996 et que cette lésion ne résulte pas d'un accident du travail mais qu'il s'agit plutôt d'une condition personnelle.
Madame Rufiange et sa représentante sont présentes à l'audience. L’employeur, Payge International inc., est également représenté par madame Sylvie Robert.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
Madame Rufiange demande à la Commission des lésions professionnelles de modifier la décision de la CSST et de déclarer qu'elle a subi, le 30 janvier 1998, une nouvelle lésion professionnelle en regard des hernies discales cervicales et une récidive, rechute ou aggravation de la lésion professionnelle à l'épaule gauche qu'elle a subie le 26 août 1996.
LES FAITS
L'employeur est une entreprise spécialisée dans la fabrication de diverses pièces de plastique comme des porte-clefs, des grattoirs, des plaques numérotées pour le bingo, des ustensiles de cuisine, etc.
En 1996, madame Rufiange est à l'emploi de cette entreprise depuis dix ans et elle occupe un poste d'opératrice d'une machine à souder.
Le 5 septembre 1996, elle consulte le docteur Bélanger pour une symptomatologie au membre supérieur gauche qui est présente depuis plus d'un mois. Il diagnostique une bursite à l'épaule et une épicondylite au coude et recommande un arrêt de travail. Elle présente à la CSST une réclamation pour une maladie professionnelle survenue le 26 août 1996 qu’elle relie aux mouvements répétitifs que comporte son travail à la soudure et à l’assemblage des pièces. Sa réclamation est dans un premier temps refusée par la CSST.
À partir du 9 septembre 1996, madame Rufiange est suivie par le docteur Luc Côté, orthopédiste. Ce médecin pose un diagnostic de tendinite à l'épaule et d'épicondylite au coude et prescrit des traitements de physiothérapie qui commencent le 30 septembre et se poursuivent jusqu'au 22 novembre 1996. Les rapports font état, en plus de la symptomatologie à l'épaule et au coude gauches, de la présence de douleur au niveau cervical qui se sont résorbées à la fin des traitements. Il demeure toutefois des douleurs au niveau de l'épaule et du coude gauches.
Le 5 décembre 1996, dans un rapport médical d'évolution, le docteur Côté fait état d'une bonne évolution de la condition et il recommande le retour au travail le 6 janvier 1997. Il indique en cochant les cases appropriées du rapport que la période de consolidation prévue est inférieure à 60 jours et qu'il ne prévoit aucune séquelle permanente, contrairement à ce qu’il indiquait dans son rapport antérieur du 14 novembre. Il ne revoit pas madame Rufiange par la suite.
Le 6 janvier 1997, madame Rufiange reprend son travail régulier à la machine à souder.
Le 5 février 1997, à la suite d'une étude ergonomique réalisée par une intervenante de la CSST, cette dernière reconsidère sa décision et accepte la réclamation de madame Rufiange comme maladie professionnelle pour une tendinite à l'épaule gauche et une épicondylite au coude gauche. Le 6 février 1997, elle décide qu'elle est capable d'exercer son emploi depuis le 6 janvier 1997.
Madame Rufiange continue son travail à la soudure environ jusqu’au mois de juin 1997 puis, en raison d'une modification du caractère plein temps de ce poste, elle est affectée en alternance à la soudure et à l’impression, travaillant plus de temps à ce dernier poste.
L'étude ergonomique de la CSST mentionnée précédemment a porté sur trois postes similaires d'opératrice à l'impression. Madame Francine Daoust qui a réalisé l’étude décrit ainsi les tâches qu’ils comportent :
« L’étape a) consiste à opérer la machine lors de la production (voir le vidéo). Dans les postes B) et C), la travailleuse est assise, saisit le matériel à produire de la main droite, le dépose sur la zone de travail, l’impression s’exécute. La travailleuse saisie (sic) la pièce de la main gauche et la dépose dans une boîte à sa droite. Pour le poste A) le travail est inversé. La travailleuse saisit le matériel de travail de la main gauche et dépose le produit fini de la main droite, à sa droite.
A l’étape b) lorsque la qualité de l’impression diminue, pendant la production, la travailleuse prend un chiffon imbibé de solvant et le passe sur le tampon à imprimer pour le nettoyer et la production reprend. Au bout d’un lot important ou au changement de la production d’un produit fini, la machine fait l’objet d’un nettoyage à fond décrit en d).
A l’étape c) à tous les vendredis, avant la fin du quart de travail, 15 minutes sont allouées pour nettoyer les postes de travail; ramasser ce qui traîne autour; nettoyer les machines; placer les commandes terminées au bon endroit…etc. Cette étape s’effectue en position debout.
A l’étape d), avant chaque production la machine est ajustée. La travailleuse se procure une plaquette, dans un rangement localisé à environ 10 pieds du poste. Elle exécute une combinaison appropriée de couleur d’encre, fait des essais d’impression en ajustant la machine jusqu’à ce que la qualité d’impression soit satisfaisante. La posture de travail durant l’ajustement est la même que lors de la production. À chaque changement de produit fini ou après la fabrication d’un lot important, la machine doit faire l’objet d’un nettoyage en profondeur. À environ 20 pieds du poste de travail se trouve le poste de nettoyage des plaquettes, muni d’aspiration à la source. Le nettoyage s’effectue en position debout. Ces opérations de nettoyage et d'ajustement lorsqu’exécutés par une personne d’expérience peut (sic) requérir 15 minutes, lorsque tout va bien et plus si des difficultés sont rencontrées au nettoyage, mais surtout à l’ajustement de la machine.
À l’étape e), quand les boîtes de produits finis sont pleines, elles sont fermées et adéquatement étiquettées (sic). Lors de la visite, le contremaître est venu chercher la production finie au poste C). Autrement, les travailleuses acheminent le produit à l’endroit approprié.
À l’étape f), les produits mal imprimés sont jetés à la poubelle.
À l’étape g), les plaquettes à l’impression sont nettoyées et rangées dans une armoire.
À l’étape h), les autres tâches comportent la fabrication ou la modification des plaquettes à imprimer pour être en mesure d’effectuer le travail. »
Le travail d’impression s’effectue assis devant une table de travail sur laquelle est disposée la machine à imprimer. La base de cette machine est à une hauteur d’environ 6 à 8 pouces de la surface de la table de travail.
Au terme de son étude, madame Daoust estime que l’élément positif de ce poste à l’impression est sans contredit l’absence de l’usage de la force dans l’exécution de la production. Elle identifie par contre quatre facteurs de risque qui sont le rythme de production qu’elle a évalué à 25 pièces en moyenne à la minute, l’invariabilité du poste de travail du fait que l'affectation des travailleuses est limitée à un poste afin d'obtenir un production maximale, la posture de travail qui peut causer des douleurs et l’usage d'un solvant qui est susceptible de créer des malaises au niveau de la gorge et des voies nasales ainsi que des intoxications.
En ce qui a trait à la posture de travail, elle écrit :
« Le poste de travail et la posture de travail tels que décrits, induit :
1) Une amplitude de mouvement de l’avant-bras d’environ 30 degrés à 60 degrés à la saisie des pièces à transformer génère un moment de force au niveau du coude exerçant une charge musculo-squelettique dynamique pouvant occasionner de la douleur.
2) Un dégagement du bras par rapport au corps d’un minimum de 30 degrés occasionne une combinaison de moments de force, provenant de l'avant-bras et du bras, créant une charge musculo-squelettique statique au niveau des épaules pouvant se traduire en douleur dans cette partie du corps.
3) L’angle au niveau du cou, d’environ 10 degrés à 20 degrés exerce un moment de force à la base du cou, créant une charge musculo-squelettique pouvant se traduire en douleur. »
Madame Daoust conclut son étude en retenant que, si un seul de ces facteurs n’est pas suffisant pour constituer un risque d’apparition de lésions attribuables aux mouvements répétitifs, la combinaison des risques expose les travailleuses à des risques sérieux de développement de lésions musculo-squelettiques.
Le 30 janvier 1998, madame Rufiange arrête de travailler et consulte le docteur George E. Deeb, orthopédiste. Ce dernier émet un rapport médical dans lequel il écrit ce qui suit :
« Douleur épaule et coude gche. Acceptée comme maladie professionnelle. Douleur persistante. Depuis 1 ½ mois augmentation de douleur et 2 épaules font mal avec irradiation au bras + engourdissement des doigts. Demandons bilan complet et MRI col. Cervicale et radio et revoir. »
Le même jour, madame Rufiange présente une réclamation pour faire reconnaître la survenance le 30 janvier 1998 d'une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle du 26 août 1996. Elle reprend, dans le formulaire qu’elle complète, la même description de l’événement que celle fournie lors de l’événement initial sans faire état des circonstances qui l’ont amené à consulter le docteur Deeb. Elle ne décrit pas davantage de circonstances particulières à l’agente d'indemnisation de la CSST lors d’une conversation téléphonique avec celle-ci le 2 avril 1998.
Les radiographies des deux épaules demandées par le docteur Deeb ne révèlent rien d’anormal. La radiographie de la colonne cervicale montre par contre des modifications dégénératives.
Le 12 février 1998, madame Rufiange est vue par le docteur Robert Lemay, neurologue, pour une étude électro-diagnostique et électro-myographique. Il rapporte la symptomatologie suivante :
« Patiente de 49 ans qui travaille comme soudeuse assembleuse, et que nous évaluons pour cervico-brachialgies et acro-paresthésies des 2 membres supérieurs. Celle-ci présente de nombreux problèmes dont des douleurs localisées à la face supéro-antérieure des 2 épaules, pour lesquelles elle a été traitée avec succès, de façon temporaire, par de la physiothérapie. Toutefois, à la reprise de son travail, les symptômes réapparaissent. Ceux-ci empêchent la patiente de dormir en décubitus latéral bilatéralement. Également, cervico-brachialgies bilatérales chroniques, d’apparition progressive, d’allure mécanique, augmentées par le travail et soulagées par le repos. Les brachialgies irradient à la face latérale des 2 bras et ne dépassent pas les coudes. Celles-ci sont intermittentes. Pas de symptômes duremériens ni de troubles de contrôle sphinctérien. Les mouvements des épaules sont plus douloureux que les mouvements du cou.
Depuis 1 an, apparition d’acro-paresthésies bilatérales au niveau des 3 premiers doigts, intermittentes et nocturnes. La patiente est éveillée à toutes les nuits et les symptômes persistent 1 heure après le réveil. Pas de paresthésies diurnes. L’accroissement des cervico-brachialgies n’augmente pas les acro-paresthésies. »
Le docteur Lemay conclut que son étude ne montre aucun signe de récidive d’un tunnel carpien pour lequel madame Rufiange a déjà été opérée ni de radiculopathie, mais il estime que les données cliniques suggèrent néanmoins la présence de tunnels carpiens et que la cervicalgie et les myalgies cervico-scapulaires diffuses sont secondaires et compensatoires aux pathologies des épaules.
Le 19 mars 1998, le docteur Deeb mentionne dans un rapport qu’au moment où il voit madame Rufiange, celle-ci a une périarthrite de l’épaule droite et qu'il lui prescrit des traitements de physiothérapie pour deux semaines, traitements qu'elle n'a pas reçus.
Le 17 avril 1998, une résonance magnétique révèle la présence de hernies discales aux niveaux C4-C5, C5-C6 et C6-C7 associées à une compression relativement importante de la moelle à C4-C5 et C5-C6 et une importante sténose du canal spinal à C5-C6. Le radiologiste soupçonne également un début d’ischémie.
Le 29 avril 1998, le docteur Deeb diagnostique une triple hernie discale cervicale avec compression de la moelle et sténose spinale et il réfère madame Rufiange au docteur Normand Poirier, neurochirurgien. Celle-ci n’a pas revu le docteur Deeb par la suite.
Le 21 mai 1998, le docteur Poirier informe le docteur Deeb qu’il a décidé d’opérer madame Rufiange. Il convient de citer le passage suivant de sa lettre:
« Cette dame travaille depuis plus d'une douzaine d’années dans une imprimerie et elle accomplit constamment des travaux manuels à répétition au niveau de son pivot vertical en flexion, extension et avec effort supplémentaire au niveau des deux membres supérieurs. Avec les années elle a développé cette cervicoalgie et elle nous informe qu’à la fin de la journée elle est complètement épuisée et sent des crépitements partout au niveau de sa ceinture scapulaire et de son pivot cervical.»
Le 25 mai 1998, à la demande de la CSST, le docteur Jacques Lachapelle, neurologue, complète un rapport d'expertise dans lequel il fait état comme diagnostics pré-évaluation, d'une tendinite à l'épaule et au coude gauches, d'une maladie dégénérative cervicale et radiculopathie aux deux membres supérieurs et d'un syndrome d'accrochage aux deux épaules. Son opinion ne porte que sur la lésion à la colonne cervicale. Il la formule dans les termes suivants:
«Depuis janvier 1998, cette travailleuse se plaint d'une douleur aux deux épaules augmentée par la mobilisation, d’une cervicalgie et d’engourdissement des deux mains. Le bilan d’électrophysiologie médicale n’a pas montré de dénervation pouvant indiquer une radiculopathie sous-jacente ou d’anomalie de la vitesse motrice ou sensitive pouvant suggérer une compression des nerfs médians au niveau du poignet mais le bilan radiologique a montré des hernies cervicales multi-étagées amenant une compression médullaire surtout marquée au niveau C5-C6. Cette myélopathie cervicale est cliniquement asymptomatique et ne s’accompagne pas de déficit clinique suggérant soit une myélopathie, soit une radiculopathie cervicale. Le déficit sensitif des deux mains retrouvé à l'examen et touchant l’appréciation des sensibilités tactile et douloureuse ne peut être expliqué par une atteinte radiculaire ou médullaire. De plus, la pathologie cervicale identifiée au bilan d’imagerie médicale ne peut être considérée comme une maladie professionnelle ou comme un accident du travail. Il s’agit strictement d'une condition personnelle.»
Le 9 juin 1998, la CSST refuse la réclamation de madame Rufiange au motif qu’il n’y avait pas de relation entre la triple hernie discale cervicale et l’événement du 26 août 1996 et que cette lésion ne résultait pas d'un accident du travail, mais qu’il s’agissait d’une condition personnelle. Madame Rufiange demande la révision de cette décision. Elle conteste l’opinion du docteur Lachapelle à l’effet qu’il s’agit d'une condition personnelle en expliquant qu’elle exerce un travail très dur pour une femme et qu’elle doit lever des boîtes très pesantes.
Le 1er octobre 1998, le docteur Poirier effectue une discoïdectomie cervicale antérieure aux niveaux C4-C5 et C5-C6 avec une greffe osseuse autogène, intervention qui a apporté une amélioration de la condition cervicale de madame Rufiange.
Le 12 janvier 1999, la CSST, après révision administrative, rejette sa demande de révision et conclut que madame Rufiange n’a pas subi le 30 janvier 1998 de récidive, rechute ou aggravation.
Le 14 janvier 1999, madame Rufiange conteste cette décision à la Commission des lésions professionnelles au motif que « le 26 août je me suis fait soigné pour l’épaule et le coude je n'avait pas mal dans le cou, le 30 janvier j’ai consulté parce que j’avais une douleur atroce dans le cou ce n'est pas une rechute parce que je n’ai pas été traité pour le cou le 26 août » (sic).
Le 23 avril 1999, à la demande de la représentante de madame Rufiange, le docteur Robert Lefrançois, neurochirurgien, complète un rapport d'expertise dans lequel il décrit ainsi l'état de la travailleuse:
« Depuis la chirurgie, elle n’a plus de problème au niveau des bras et des avant-bras. Elle doit revoir Dr Poirier parce qu’elle a encore de la raideur cervicale.
Comme analgésique, elle prend Tylenol au besoin.
Elle n’a pas fait de physiothérapie en post-opératoire parce que les traitements ont été refusés par la CSST.
On ne lui a pas offert un autre poste au travail. Elle me dit que la CSST a fait une enquête et que Dr Poirier était d’accord avec un changement de poste de travail mais l’employeur n’a pas de poste plus léger ou plus approprié à l’état de Mme Rufiange.
On sait que Mme Rufiange est gauchère et que ses douleurs dans l’épaule gauche et dans le bras sont survenues à la suite de mouvements répétitifs de son membre supérieur gauche. Il est certainement acceptable qu’il puisse y avoir une relation de cause à effet entre ses douleurs dans l’épaule gauche et son occupation de soudeur-assembleur. »
Au terme de son examen. il formule l'opinion suivante:
« Pour répondre d’abord aux questions de votre lettre du 14 avril 1999, quant à la relation entre la hernie discale cervicale et la position statique au travail, il est établi qu’une hernie discale ne peut pas être causée par une position statique, la situation inverse est plutôt vraie. On ne peut donc attribuer la triple hernie discale à une position statique. D’autre part, on sait que dans son travail, Mme Rufiange n'a pas toujours une position statiques (sic) et ses hernies discales peuvent avoir été causées par d’autres mouvements faits de façon inconsciente.
Mon opinion sur l’étiologie de ses hernies discales et (sic) que cette patiente doit lever au travail plusieurs fois dans une journée des boîtes de 50 livres, elle n'a pas d’aide pour les lever et je crois que ceci est beaucoup plus en relation avec ses hernies discales cervicales que la position de travail elle-même qui est longuement discutée dans le dossier. Elle doit lever des boîtes et faire des rotations avec les boîtes dans les mains et il est possible que des hernies puissent être déclenchées par ces manipulations de poids lourds.
Quant au problème au niveau de l’épaule gauche, il apparaît relié au travail répétitif et est apparu en 1996. Compte tenu du fait qu’elle est gauchère et qu’elle fait un travail répétitif, il y a une relation entre ses douleurs dans l’épaule gauche et le travail qu’elle fait dans l’industrie.
En réponse à votre deuxième question, donc, il ne s’agit pas ici d’une rechute, récidive, aggravation étant donné que la douleur est constante depuis 1996 mais il s’agit bien ici d'un problème relié au travail répétitif effectué. »
Au cours de son témoignage, madame Rufiange explique qu’elle a recommencé à travailler le 7 janvier 1997 parce que sa réclamation avait été refusée par la CSST et qu’elle avait besoin d’argent. Elle avait constamment des douleurs à l’épaule gauche. Elle prenait du Tylenol et se frottait l’épaule tous les soirs. Elle n’a pas consulté de médecin avant le 30 janvier 1998.
Elle déclare de plus que le 29 janvier 1998, alors qu’elle était à la machine à l’impression, vers la fin de son quart de travail, elle ressentit une vive douleur au cou en soulevant une plaque de la machine qui était difficile à déplacer parce qu’elle était prise dans la peinture. Une contremaîtresse l’a vue et lui a dit de consulter un médecin, ce qu’elle a fait le lendemain. Quand elle a vu le docteur Deeb, elle avait mal au cou et aux deux épaules. Il lui a prescrit une médication anti-inflammatoire qu'elle n'a pas pu prendre.
Elle n’a pas déclaré cet événement à la CSST parce qu’elle n'a pas compris les questions qu’on lui a posées et qu’on ne lui a demandé que de décrire ses tâches, mais elle en a parlé au docteur Deeb.
Finalement, elle explique que lorsqu’elle travaille à l’impression, elle doit aller chercher les boîtes d’articles à imprimer à sa droite, à une distance d’environ 8 à 10 pieds de la machine. Lorsqu’elle a terminé l’impression, elle va porter la boîte contenant les articles au département de l’expédition qui est à une vingtaine de pieds de la machine ou si la boîte n’est pas complétée, elle la place sur des tablettes situées à 4 ou 5 pieds derrière elle dont la plus haute est à environ à 5 pieds.
Elle évalue que les boîtes qu’elle manipule ainsi pèsent entre 20 et 50 livres. Au cours d’un même quart de travail, elle peut transporter 5 à 6 boîtes s’il s’agit de grosses commandes et jusqu'à une vingtaine, s’il s’agit de plus petites commandes. Lorsque les boîtes sont trop grosses, c’est un homme qui les transporte.
La représentante de l’employeur conteste ces chiffres en disant que le poids maximum des boîtes est de 35 à 40 livres et qu’en moyenne, elles pèsent 10 à 15 livres. Elle déclare de plus que, selon les rapports de production, le travail effectué par madame Rufiange au cours du mois de janvier 1998 comportait la manipulation de boîtes pesant de 10 à 15 livres.
Par ailleurs, toujours en référant aux rapports de production, elle explique que madame Rufiange ne travaillait pas à l’impression le 29 janvier 1998, mais à la soudure et que la dernière fois qu’elle a travaillé à l’impression, c’est le 28 janvier 1998, de 9 :05 à 9 :35 du matin.
L’ARGUMENTATION
La représentante de madame Rufiange prétend que celle-ci a subi, le 30 janvier 1998, deux lésions distinctes : une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion à l’épaule gauche et une nouvelle lésion à la colonne cervicale.
Elle reconnaît que la décision rendue par la CSST le 9 juin 1998 ne porte pas sur la récidive, rechute ou aggravation de la lésion à l’épaule gauche, mais soumet qu’il serait plus avantageux que la Commission des lésions professionnelles se prononce sur cette question plutôt que de retourner le dossier à la CSST pour qu’elle rende une décision.
Sa prétention à l’effet que madame Rufiange a subi une récidive, rechute ou aggravation de cette lésion le 30 janvier 1998 est basée sur le fait que le docteur Côté ne parlait que d'une bonne évolution et non d’une guérison et qu'en l'absence de rapport final émis par ce médecin, la date de consolidation de la lésion n'a pas été établie et il n'est pas possible de savoir si elle a entraîné une atteinte permanente à l’intégrité physique et des limitations fonctionnelles. De plus, la symptomatologie à l’épaule gauche a toujours été présente entre les mois de janvier 1997 et janvier 1998.
En ce qui concerne les hernies discales cervicales, elle soumet que cette lésion peut être examinée sous l’angle d'une maladie professionnelle dans la mesure où elle est reliée par le docteur Lefrançois à la manipulation de boîtes pesantes que comportait le travail de madame Rufiange.
Par ailleurs, elle soumet que l’événement survenu le 29 janvier 1998, tel que décrit par madame Rufiange à l’audience, permet l’application de la présomption de lésion professionnelle prévue par l’article 28 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q. c. A-3.001) (la loi).
L’AVIS DES MEMBRES
Les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales sont d’avis que la requête doit être rejetée parce que la preuve prépondérante ne démontre pas que madame Rufiange a subi une lésion professionnelle à la colonne cervicale le 30 janvier 1998 ni, à cette date, une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle à l’épaule gauche.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
La Commission des lésions professionnelles doit décider si le 30 janvier 1998, madame Rufiange a subi une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle à l'épaule gauche et une nouvelle lésion professionnelle à la colonne cervicale. Aucune demande n’ayant été formulée concernant l’épaule droite, la Commission des lésions professionnelles n’en pas à se prononcer sur cette question.
La demande de madame Rufiange concernant la reconnaissance d'une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle à l'épaule gauche apparaît pour le moins surprenante parce qu'en aucun temps avant l'audience de la Commission des lésions professionnelles, elle n'a eu de prétention en ce sens. En effet, non seulement elle n'a pas réagi au fait que la décision rendue par la CSST le 9 juin 1998 ne portait que sur la lésion à la colonne cervicale, mais dans ses contestations à l'instance de révision administrative de la CSST et à la Commission des lésions professionnelles, elle limite ses demandes à la reconnaissance d'une nouvelle lésion au niveau cervical.
Quoi qu'il en soit, même si la décision initiale de la CSST du 9 juin 1998 ne concerne pas l'hypothèse d'une récidive, rechute ou aggravation de la lésion professionnelle de l'épaule gauche, la Commission des lésions professionnelles entend disposer de cette question comme le lui demande la représentante de madame Rufiange. La Commission des lésions professionnelles estime avoir compétence pour ce faire, en vertu de l'article 377 de la loi[1] dans la mesure où la réclamation transmise à la CSST visait à faire reconnaître la survenance d'une récidive, rechute ou aggravation de la lésion professionnelle du 26 août 1996, que le premier rapport médical émis par le docteur Deeb le 30 janvier 1998 faisait état d'une augmentation de douleurs des épaules et que les autres médecins qui ont examiné madame Rufiange ont également rapporté une symptomatologie au niveau des épaules. Ces éléments auraient dû normalement amener la CSST à se prononcer sur la réclamation concernant l’épaule gauche et, en l’absence d’une telle décision, la Commission des lésions professionnelles est compétente pour rendre celle qui aurait du l’être.
Pour pouvoir conclure à la survenance d'une récidive, rechute ou aggravation d'une lésion professionnelle, la preuve prépondérante au dossier doit établir qu'il existe une relation entre la lésion initiale et celle diagnostiquée lors de récidive alléguée et que la condition médicale s'est significativement détériorée par rapport à ce qu'elle était lors de la consolidation de la lésion initiale.
Au départ, la Commission des lésions professionnelles ne peut souscrire à l'argument basé sur l'absence de rapport final émis par le docteur Côté. C'est l'article 203 de la loi qui prévoit l'obligation pour le médecin qui a charge d'un travailleur de transmettre à la CSST un rapport final. Cet article se lit comme suit:
203. Dans le cas du paragraphe 1° du premier alinéa de l'article 199, si le travailleur a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, et dans le cas du paragraphe 2° du premier alinéa de cet article, le médecin qui a charge du travailleur expédie à la Commission, dès que la lésion professionnelle de celui-ci est consolidée, un rapport final, sur un formulaire qu'elle prescrit à cette fin.
Ce rapport indique notamment la date de consolidation de la lésion et, le cas échéant:
1° le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des dommages corporels adopté par règlement;
2° la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;
3° l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion.
Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu du rapport.
Le docteur Côté n'avait pas l'obligation d'émettre de rapports médicaux ni un rapport final à partir du moment où la CSST avait refusé la réclamation de madame Rufiange. Or, le 5 décembre 1996, lorsqu'il prescrit le retour au travail, la réclamation n'avait pas encore été acceptée. La question qu'on doit se poser, c'est plutôt si la CSST devait demander à ce médecin de compléter un rapport final une fois qu'elle eût décidé que madame Rufiange avait subi une lésion professionnelle.
La Commission des
lésions professionnelles estime que, dans le contexte de la présente affaire,
la CSST n'avait pas cette obligation. En effet, d’une part, le rapport médical du 5 décembre 1996 du
docteur Côté comportait suffisamment d'indications pour qu'on comprenne à sa
lecture qu'il consolidait la lésion le 6 janvier 1997 et qu'il concluait à
l'absence d'atteinte permanente à l'intégrité physique et de limitations
fonctionnelles, répondant ainsi aux exigences de l'article 203 de la loi. Tel que décidé dans Savard et Industries FDS inc[2],ce n'est pas parce que le rapport final
n'est pas fait sur
le formulaire «rapport final» prescrit par la CSST qu'on doit le considérer
invalide au sens de l'article 203.
D’autre part, au moment où la CSST a accepté sa réclamation, madame Rufiange avait repris son travail régulier et l'exerçait depuis un mois sans avoir eu à consulter un médecin. Il n'y avait donc pas d'éléments qui infirmaient les conclusions du docteur Côté.
On doit par conséquent retenir pour l'examen de la récidive, rechute ou aggravation alléguée du 30 janvier 1998 que la lésion initiale du 26 août 1996 a été consolidée le 6 janvier 1997 sans atteinte permanente à l'intégrité physique ni limitations fonctionnelles, mais avec persistance d'une symptomatologie douloureuse comme en témoignent le dernier rapport de physiothérapie du 22 novembre 1996 et les déclarations de madame Rufiange à l'audience.
Ceci étant précisé, la Commission des lésions professionnelles estime que la preuve prépondérante ne démontre pas que la condition de l'épaule gauche de madame Rufiange se soit détériorée de façon suffisamment significative le 30 janvier 1998 pour constituer une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion initiale.
La Commission des lésions professionnelles base cette conclusion sur le fait que la symptomatologie était présente depuis un an et que, malgré que le docteur Deeb parle d'une aggravation de douleurs aux épaules dans son premier rapport, la raison pour laquelle madame Rufiange a arrêté de travailler et a consulté ce médecin le 30 janvier 1998 est bien davantage sa condition cervicale, comme le démontre l'évolution du dossier médical. De plus, le docteur Deeb n'a prescrit aucun traitement pour l'épaule gauche si ce n'est une médication anti-inflammatoire que madame Rufiange n'a pas pu prendre et les seuls traitements de physiothérapie qu'il a prescrits l'ont été pour l'épaule droite. Enfin, une fois que la pathologie cervicale a été identifiée, il a référé madame Rufiange au docteur Poirier et ne l'a pas revue par la suite pour l'épaule gauche.
La Commission des lésions professionnelles retient également au soutien de sa conclusion l'opinion du docteur Lefrançois à l'effet que madame Rufiange n'a pas subi au niveau de son épaule gauche une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle parce que la symptomatologie était constante depuis 1996.
En ce qui concerne la lésion à la colonne cervicale, deux hypothèses doivent être examinées: celle d'un accident du travail et celle d'une maladie professionnelle. Madame Rufiange ne prétendant aucunement que cette lésion constitue une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle du 26 août 1996, la Commission des lésions professionnelles n'entend pas traiter de cette hypothèse sinon que pour confirmer, en l'absence de toute preuve de relation, la décision de la CSST.
En ce qui concerne l'hypothèse de la survenance d'un accident du travail, l'article 2 de la loi définit l'accident du travail ainsi:
«accident du travail»: un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
L'article 28 prévoit une présomption de lésion professionnelle qui s'énonce comme suit:
28. Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.
La Commission des lésions professionnelles estime que madame Rufiange ne peut pas bénéficier de cette présomption parce qu'elle n'a pas démontré que les trois hernies discales cervicales constituent des blessures qui sont survenues dans l'exercice de son travail. Certes, au cours de son témoignage, elle a tenté de les relier à un événement survenu le 29 janvier 1998 alors qu'elle soulevait une plaque de la machine à imprimer. Cependant, mis à part le fait que la réalité de cet événement apparaît pour le moins douteuse, compte tenu que cette journée-là, elle n'a pas travaillé à cette machine et qu'elle fait part de cet événement pour la première fois à l'audience, la preuve au dossier établit clairement que ce n'est pas cet événement qui a causé ou rendu symptomatiques ces hernies cervicales parce que la symptomatologie était présente bien avant sa survenance, comme le rapportent notamment les docteurs Lemay et Poirier.
Pour les mêmes raisons, la Commission des lésions professionnelles ne peut conclure à la survenance d'un accident du travail au sens de l'article 2.
Il reste à examiner l'hypothèse d'une maladie professionnelle. Compte tenu que la présomption prévue par l'article 29 ne s'applique pas dans le cas d'une hernie discale, madame Rufiange devait démontrer que sa maladie répond aux critères de l'article 30 de la loi, lequel se lit comme suit:
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
Aucune preuve visant à établir qu'une hernie discale cervicale est caractéristique du travail d'opératrice effectué par madame Rufiange n'a été soumise en preuve et la Commission des lésions professionnelles considère que la preuve prépondérante au dossier ne démontre pas davantage que les hernies discales cervicales qu'elle a subies sont reliées directement aux risques particuliers de son travail.
En effet, on ne peut considérer comme preuve médicale de la relation entre les hernies discales cervicales et la position de travail de madame Rufiange la lettre du docteur Poirier au docteur Deeb parce qu'il ne fait que décrire le contexte dans lequel elle a développé une cervicalgie et qu'il ne formule pas d'opinion comme tel sur la relation.
Par ailleurs, l'hypothèse que les hernies discales cervicales puissent résulter de la position de flexion antérieure de la colonne cervicale qu'implique son travail d'opératrice à l'impression doit être écartée parce que, selon l'opinion de son propre médecin expert, le docteur Lefrançois, le maintien de cette position ne peut causer une telle lésion. L'autre hypothèse avancée par ce médecin voulant qu'elles aient été causées par d'autres mouvements faits inconsciemment n'est certainement pas, en l'absence de preuve de ces mouvements, suffisamment établie pour qu'on puisse la retenir et cela d'autant plus que ce n'est pas celle que privilégie le docteur Lefrançois.
Enfin, l’opinion du docteur Lefrançois voulant qu'elles sont reliées à la manipulation de boîtes pesant 50 livres plusieurs fois par jour ne peut davantage être retenue parce qu'elle s'appuie sur une donnée erronée, la preuve établissant que madame Rufiange ne soulève pas des boîtes d'un tel poids plusieurs fois par jour, mais généralement des boîtes pesant entre 10 et 15 livres quelques fois par jour. De plus, ce médecin n’explique pas comment le fait de soulever des boîtes de 50 livres en flexion du tronc, si tel était le cas, est susceptible de causer une pathologie discale à la région cervicale plutôt qu’à la région lombaire.
En l'absence d'une preuve médicale démontrant de manière prépondérante qu'il existe une relation entre les hernies discales cervicales et un risque particulier qu'implique le travail de madame Rufiange, la Commission des lésions professionnelles ne peut qu'en venir à la conclusion que celle-ci n'a pas contracté de maladie professionnelle.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de madame Claire Rufiange;
MODIFIE en partie la décision rendue le 12 janvier 1999, après révision administrative, par la Commission de la santé et de la sécurité du travail;
DÉCLARE que madame Rufiange n'a pas subi le 30 janvier 1998, en regard de la condition douloureuse de son épaule gauche, de récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle du 26 août 1996; et
DÉCLARE qu'elle n'a pas subi le 30 janvier 1998, en regard du diagnostic de triple hernie discale cervicale, de lésion professionnelle sous forme d'accident du travail, de maladie professionnelle ou de récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle du 26 août 1996.
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Commissaire |
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(Madame Marie-Anne Roiseux) 5100, rue Sherbrooke Est Bureau 800 Montréal (Québec) H1V 3R9 |
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Représentante de la partie requérante |
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[1] 377. La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l’exercice de sa compétence.
Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l’ordre ou l’ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.
[2] [1998] C.A.L.P. 1 .
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.