Décision

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Gabarit de jugement pour la cour d'appel

Centrale des syndicats du Québec c. Allen

2016 QCCA 1878

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

Nos :

200-09-009238-160; 200-09-009241-164; 200-09-009247-161

(200-06-000188-154)

 

DATE :

22 NOVEMBRE 2016

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A.

BENOÎT MORIN, J.C.A.

DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A.

 

No : 200-09-009238-160

LA CENTRALE DES SYNDICATS DU QUÉBEC

RÉQUÉRANTE - Défenderesse

c.

 

SOLANGE ALLEN, tant personnellement qu’en sa qualité d’héritière

INTIMÉE - Demanderesse

et

PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

CENTRE INTÉGRÉ UNIVERSITAIRE DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DE LA CAPITALE-NATIONALE et FRANÇOIS DESBIENS, ès qualités

MIS EN CAUSE - Défendeurs

 

No : 200-09-009241-164

CENTRE INTÉGRÉ UNIVERSITAIRE DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DE LA CAPITALE-NATIONALE et FRANÇOIS DESBIENS, ès qualités

REQUÉRANTE - Défendeurs

c.

SOLANGE ALLEN, tant personnellement qu'en sa qualité d'héritière

INTIMÉE - Demanderesse

et

PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

LA CENTRALE DES SYNDICATS DU QUÉBEC

MISES EN CAUSE - Défenderesses

 

No : 200-09-009247-161

PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

REQUÉRANTE - Défenderesse

c.

SOLANGE ALLEN, tant personnellement qu'en sa qualité d'héritière

INTIMÉE - Demanderesse

et

LA CENTRALE DES SYNDICATS DU QUÉBEC

CENTRE INTÉGRÉ UNIVERSITAIRE DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DE LA CAPITALE-NATIONALE et FRANÇOIS DESBIENS, ès qualités

MIS EN CAUSE - Défendeurs

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           Les requérants demandent, dans trois dossiers distincts, la permission de faire appel d’un jugement de la Cour supérieure du Québec, district de Québec (l’honorable Clément Samson), rendu le 24 février 2016, autorisant l’exercice d’une action collective contre eux en lien avec une éclosion de légionellose dans la région de Québec entre les mois de juillet et octobre 2012.

[2]           Pour les motifs du juge Chamberland, auxquels souscrivent les juges Morin et Bélanger, LA COUR :

[3]           REJETTE les trois requêtes, avec les frais de justice contre les requérants dans chaque cas.

 

 

 

 

JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A.

 

 

 

 

 

BENOÎT MORIN, J.C.A.

 

 

 

 

 

DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A.

 

Me David Ferland

Me Dominique E. Gagné

Stein, Monast

Pour la requérante  La Centrale des syndicats du Québec

 

Me Luc de la Sablonnière

Me Marie-Andrée Gagnon

Morency, société d’avocats

Pour les requérants Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale et François Desbiens, ès qualités

 

Me François Girard

Me Mélanie Robert

Lavoie, Rousseau

Pour la requérante Procureure générale du Québec

 

Me Jean-Pierre Ménard

Me Mathieu Vespa

Ménard, Martin

Pour l’intimée Solange Allen, tant personnellement qu’en sa qualité d’héritière

 

Date d’audience :

16 septembre 2016



 

 

MOTIFS DU JUGE CHAMBERLAND

 

 

[4]           Le 24 février 2016, la Cour supérieure du Québec (l’honorable Clément Samson), autorise l’exercice d’une action collective contre les requérants Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de la Capitale-Nationale, Dr François Desbiens (ès qualités de Directeur régional de la santé publique), Centrale des syndicats du Québec (CSQ) et la Procureure générale du Québec (ès qualités de représentante du ministre de la Santé et des services sociaux et du Directeur national de la santé publique) (PGQ) en lien avec une éclosion de légionellose dans la région de Québec entre les mois de juillet et octobre 2012.

[5]           La Cour est saisie de trois requêtes pour permission de faire appel de ce jugement présentées respectivement par la CSQ (200-09-009238-160), le CIUSSS de la Capitale-Nationale et le Dr François Desbiens (200-09-009241-164) et enfin, par la PGQ (200-09-009247-161).

[6]           Ces trois requêtes sont entendues en même temps que trois autres requêtes, deux formulées à la suite d’un jugement prononcé le 31 mars 2016 autorisant l’exercice d’une action collective en lien avec la présence et l’exploitation d’éoliennes dans le parc éolien des Moulins, Phase I (200-09-009270-163 et 200-09-009273-167) et une, à la suite d’un jugement prononcé le 12 avril 2016 autorisant l’exercice d’une action collective en lien avec des publicités et commentaires faits par DuProprio à propos des services offerts par les courtiers immobiliers et des frais qui sont associés à ces services (500-09-026070-169).

[7]           Toutes ces requêtes soulèvent les deux mêmes questions :

a)    La formulation du test applicable au droit de faire appel d’un jugement autorisant l’exercice d’une action collective prévu à l’article 578 n.C.p.c.;

b)    le sort des requêtes pour permission de faire appel.

Le test applicable à l’exercice du droit d’appel

[8]           Je retracerai tout d’abord l’historique législatif du droit d’appel d’un jugement autorisant l’exercice d’une action collective. Je rappellerai ensuite la nature du processus d’autorisation et qualifierai le jugement dont il s’agit ici, avant de passer aux différents tests proposés par les parties, puis de conclure.

L’historique législatif

[9]           Le recours collectif fait partie du droit québécois depuis l’adoption en 1978 de la Loi sur le recours collectif[1].

[10]        À cette époque, l’article 1010 a.C.p.c. prévoyait un droit d’appel du jugement sur la requête en autorisation d’exercer un recours collectif, tant en faveur du requérant que de l’intimé.

[11]        Il s’agissait d’un appel de plein droit.

[12]        En 1982[2], l’article 1010 a.C.p.c. était modifié pour retirer à l’intimé le droit de faire appel du jugement autorisant l’exercice du recours collectif[3], tout en maintenant le droit d’appel de plein droit du requérant à qui l’exercice d’un recours collectif était refusé. Et un droit d’appel « avec la permission d’un juge de la Cour d’appel » en faveur des membres du groupe pour le compte duquel la requête avait été présentée.

[13]        L’article 1010 a.C.p.c. ainsi modifié est demeuré inchangé jusqu’au 1er janvier 2016.

[14]        Depuis le 1er janvier 2016[4], le jugement autorisant l’exercice d’une action collective peut faire l’objet d’un appel sur permission d’un juge de la Cour d’appel, alors que le jugement refusant l’exercice de l’action collective demeure sujet à un appel de plein droit par le requérant (ou, avec la permission d’un juge de la Cour d’appel, par un membre du groupe).

La nature du processus d’autorisation

[15]        Pour déterminer le test applicable au droit de faire appel d’un jugement autorisant l’exercice d’une action collective, il faut évidement avoir en tête la nature du processus d’autorisation.

[16]        Ce sont les articles 574 et 575 n.C.p.c. qui en traitent[5] :

574. Une personne ne peut exercer l’action collective qu’avec l’autorisation préalable du tribunal.

 

La demande d’autorisation indique les faits qui y donnent ouverture et la nature de l’action et décrit le groupe pour le compte duquel la personne entend agir. Elle est signifiée, avec un avis d’au moins 30 jours de la date de sa présentation, à celui contre qui elle entend exercer l’action collective.

 

La demande d’autorisation ne peut être contestée qu’oralement et le tribunal peut permettre la présentation d’une preuve appropriée.

 

 

 

574. Prior authorization of the court is required for a person to institute a class action.

 

The application for authorization must state the facts on which it is based and the nature of the class action, and describe the class on whose behalf the person intends to act. It must be served on the person against whom the person intends to institute the class action, with at least 30 days’ notice of the presentation date.

 

An application for authorization may only be contested orally, and the court may allow relevant evidence to be submitted.

 

 

575. Le tribunal autorise l’exercice de l’action collective et attribue le statut de représentant au membre qu’il désigne s’il est d’avis que :

 

1°les demandes des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes;

 

2°les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées;

 

3°la composition du groupe rend difficile ou peu pratique l’application des règles sur le mandat d’ester en justice pour le compte d’autrui ou sur la jonction d’instance;

 

4°le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d’assurer une représentation adéquate des membres.

575. The court authorizes the class action and appoints the class member it designates as representative plaintiff if it is of the opinion that:

 

(1) the claims of the members of the class raise identical, similar or related issues of law or fact;

 

(2) the facts alleged appear to justify the conclusions sought;

 

(3) the composition of the class makes it difficult or impracticable to apply the rules for mandates to take part in judicial proceedings on behalf of others or for consolidation of proceedings; and

 

(4) the class member appointed as representative plaintiff is in a position to properly represent the class members.

 

[17]        Au moins deux considérations peuvent être avancées pour justifier la nécessité d’une autorisation pour exercer une action collective. D’une part, règle générale, nul ne peut plaider pour autrui[6]. D’autre part, l’action collective, en raison de sa nature, peut être complexe et engendrer des coûts importants, tant pour le système de justice que pour les parties elles-mêmes[7].

[18]        Les objectifs de la pré-instance en autorisation sont donc de vérifier que les membres du groupe seront adéquatement représentés (art. 575(4) n.C.p.c.), que la cause d’action est fondée (art. 575(2) n.C.p.c.) et que l’action collective est un véhicule procédural approprié à l’espèce (art. 575(1) et (3) n.C.p.c.).

[19]        L’action collective se veut un moyen de faciliter l’accès à la justice. La vérification qu’exige l’article 575 n.C.p.c. doit donc être souple et peu exigeante. À cette étape, il s’agit d’écarter « les demandes frivoles »[8], insoutenables ou manifestement mal fondées. Le seuil de preuve requis pour satisfaire aux critères de l’article 575 n.C.p.c. est « peu élevé »[9]. Le fardeau du requérant en est un « de démonstration et non de preuve »[10]; il lui suffit d’établir « une cause défendable » eu égard aux faits allégués et au droit applicable[11].

[20]        Le juge saisi d’une requête en vue d’autoriser une action collective jouit d’un vaste pouvoir discrétionnaire, d’une « vaste latitude »[12], dans l’appréciation des critères de l’article 575 n.C.p.c.

[21]        Le jugement autorisant l’exercice d’une action collective est constitutif de droits; il crée un droit qui n’existait pas avant et instaure une nouvelle situation juridique à compter du moment où il est rendu[13]. Il permet l’introduction d’une action collective dans le délai de trois mois prévu à l’article 583 n.C.p.c.

[22]        Il est impossible pour quiconque d’exercer une action collective sans l’autorisation d’un juge de la Cour supérieure.

[23]        L’instance proprement dite ne débute qu’une fois l’action collective autorisée et introduite[14].

[24]        Par ailleurs, la norme d’intervention en appel d’une décision autorisant, ou refusant, l’exercice d’une action collective est exigeante. Seule une erreur de droit ou une appréciation manifestement non fondée des critères d’autorisation justifiera l’intervention de la Cour d’appel[15] :

[33]      L’article 1003 C.p.c., qui établit les conditions d’autorisation d’un recours collectif, confère un pouvoir d’appréciation important au tribunal saisi d’une requête en autorisation. En effet, dans le texte introductif de cette disposition, les termes « s’il est d’avis que » précèdent l’énumération des critères à satisfaire :

1003. Le tribunal autorise l’exercice du recours collectif et attribue le statut de représentant au membre qu’il désigne s’il est d’avis que :

a) les recours des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes;

b) les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées;

c) la composition du groupe rend difficile ou peu pratique l’application des articles 59 ou 67; et que

d) le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d’assurer une représentation adéquate des membres.

[34]      Consciente de l’importance du pouvoir discrétionnaire reconnu au juge d’autorisation à l’égard des critères prévus à l’art. 1003 C.p.c., la Cour d’appel du Québec a affirmé à maintes reprises qu’elle ne détient qu’un pouvoir limité d’intervention en la matière et qu’elle doit faire preuve de déférence envers la décision du juge d’autorisation. Ainsi, elle n’interviendra en appel d’une décision sur une requête en autorisation d’exercer un recours collectif que si le juge d’autorisation a commis une erreur de droit ou si son appréciation des critères énoncés à l’art. 1003 C.p.c. est manifestement non fondée : Bouchard c. Agropur Coopérative, 2006 QCCA 1342, [2006] R.J.Q. 2349, par. 42; Union des consommateurs c. Bell Canada, 2012 QCCA 1287, [2012] R.J.Q. 1243, par. 45-46; Harmegnies c. Toyota Canada inc., 2008 QCCA 380 (CanLII), par. 25-26; Union des consommateurs c. Bell Canada, 2010 QCCA 351 (CanLII), par. 23.

Les différents tests possibles

[25]        Les parties s’en remettent tantôt aux tests prévus dans les dispositions générales relatives à l’appel (art. 30, 31 et 32 n.C.p.c.), tantôt à un test propre à l’appel du jugement autorisant l’exercice d’une action collective. Leurs arguments se recoupent souvent, tout en menant à des conclusions différentes.

[26]        J’exposerai maintenant les différents critères proposés et les principaux arguments avancés à leur soutien.

[27]        Du côté des requérants, la PGQ propose de considérer les critères du troisième alinéa de l’article 30 n.C.p.c. aux fins de dégager le test applicable à la permission de faire appel du jugement autorisant l’exercice d’une action collective. Elle rappelle que les tribunaux doivent prendre en considération le meilleur intérêt de la justice dans leurs décisions (art. 9 n.C.p.c.) et le principe de proportionnalité (art. 18 n.C.p.c.). La permission de faire appel ne doit être ni automatique, ni trop restreinte. La PGQ propose finalement un test articulé autour des trois critères suivants : l’utilité de l’appel, le sérieux de la question et l’intérêt de la justice.

[28]        Pour la CSQ, le CIUSSS et le Dr Desbiens, le test permettant l’application de l’article 578 n.C.p.c., ne doit pas s’inspirer des critères énoncés au troisième alinéa de l’article 30 n.C.p.c.; il faut plutôt tenir compte de la réalité particulière de l’action collective. Toutefois, en invoquant l’intention du législateur et les débats parlementaires, ils réfèrent aux trois mêmes critères que la PGQ. Ils proposent que la permission soit accordée lorsque l’appel soulève prima facie une erreur de droit ou si l’appréciation par le juge des critères d’autorisation est manifestement mal fondée, s’inspirant ainsi de la déférence observée par la Cour siégeant en appel d’un jugement refusant l’exercice d’une action collective. Ils soutiennent que la Cour de devrait pas restreindre indûment le droit d’appel sur permission prévu à l’article 578 n.C.p.c.

[29]        Dans le dossier du parc éolien des Moulins, les requérantes interprètent le silence du législateur comme l’expression de sa volonté de laisser à la Cour le soin d’établir un test propre au droit d’appel sur permission de l’article 578 n.C.p.c. Selon elles, la nature du jugement qui autorise l’exercice d’une action collective est étrangère à celle d’un jugement final ou d’un jugement rendu en cours d’instance. Ainsi, les critères de l’appel sur permission prévus aux articles 30 (troisième alinéa), 31 (deuxième alinéa) et 32 n.C.p.c. seraient inappropriés. Elles soutiennent que le jugement tranchant une demande en autorisation d’exercer une action collective, qu’il l’accueillie ou qu’il la rejette, devrait être appelable dans les mêmes circonstances. Elles proposent donc le texte suivant : il y aura lieu de permettre l’appel lorsque le jugement présente une erreur de droit ou une erreur d’appréciation manifeste de nature à infirmer l’un des critères d’autorisation de l’article 575 n.C.p.c. et que l’intérêt de la justice requiert d’accorder cette permission.

[30]        Dans le dossier DuProprio, la requérante rappelle que le législateur a clairement voulu modifier le droit antérieur en adoptant l’article 578 n.C.p.c. En référence aux articles 30, 31 et 32 n.C.p.c., elle souligne que les critères auxquels la permission de faire appel est assujettie sont calibrés en fonction du genre de jugement dont il s’agit et du rôle de la Cour (par exemple, énoncer le droit à l’article 30 n.C.p.c. et corriger les erreurs à l’article 31 n.C.p.c.). L’appel prévu à l’article 578 n.C.p.c. concernerait les deux aspects du rôle de la Cour, dire le droit et corriger les erreurs.

[31]        Ainsi, elle estime que la permission requise par l’article 578 n.C.p.c. n’a qu’une simple fonction de filtrage des appels, par opposition à celle d’identifier des questions nouvelles à soumettre à la Cour. En ce sens, la permission de l’article 578 n.C.p.c. s’apparenterait à celle de l’article 31 n.C.p.c. La requérante propose donc d’appliquer les critères généraux d’intérêt de la justice et de proportionnalité, à l’exclusion de l’exigence d’un préjudice irrémédiable.

[32]        De leur côté, et malgré les quelques différences que l’on observe à lire les exposés en parallèle, les intimées sont unanimes à proposer une approche restrictive, voire très restrictive, au droit d’appel sur permission prévue à l’article 578 n.C.p.c. Ils invoquent à tour de rôle l’histoire de l’action collective au Québec, la philosophie d’accessibilité à la justice qui l’anime et la vaste discrétion dont jouit le juge dans l’appréciation des critères de l’article 575 n.C.p.c. Ils rappellent que le législateur ne peut pas avoir assujetti l’appel d’un jugement autorisant l’exercice de l’action collective à une permission préalable simplement pour écarter les appels frivoles ou manifestement mal fondés à leur lecture même puisque l’article 365 n.C.p.c. est là pour cela. Les intimées proposent donc de limiter les appels à des cas exceptionnels de « carence manifeste et d’injustice grave dans le jugement entrepris[16] » ou d’erreur grossière.

L’appel sur permission aux termes des articles 30, 31 et 32 n.C.p.c.

[33]        L’article 30 n.C.p.c. et les jugements qui mettent fin à une instance. La règle générale veut que ces jugements fassent l’objet d’un appel de plein droit. Le second alinéa de l’article 30 n.C.p.c. prévoit cependant que certains de ces jugements ne pourront faire l’objet d’un appel que sur permission d’un juge de la Cour d’appel. On énumère ainsi huit jugements qui mettent fin à une instance et dont l’appel est tout de même assujetti à une permission, laquelle ne sera accordée que si le juge d’appel « considère que la question en jeu en est une qui doit être soumise à la Cour, notamment parce qu’il s’agit d’une question de principe, d’une question nouvelle ou d’une question de droit faisant l’objet d’une jurisprudence contradictoire ».

[34]        Le test de la question « qui doit être soumise à la Cour d’appel » est à première vue englobant, mais il l’est beaucoup moins lorsque l’on considère les quelques questions que le législateur a en vue : une question de principe, une question nouvelle ou une question de droit faisant l’objet d’une jurisprudence contradictoire. Il s’agit donc plutôt d’un test exigeant.

[35]        Le jugement autorisant l’exercice d’une action collective ne fait pas partie de la liste des jugements énumérés à l’article 30 n.C.p.c., pas plus que l’article 578 n.C.p.c. ne réfère au test prévu au troisième alinéa de cet article.

[36]        Dans ce contexte, il serait étonnant, à mon avis, que le législateur ait voulu que le test de l’article 30 n.C.p.c. s’applique à l’analyse de la permission de faire appel du jugement qui autorise l’exercice du recours collectif. Cela serait d’autant plus étonnant que le jugement autorisant l’exercice d’une action collective, loin de mettre fin à l’instance, en permet l’introduction dans les trois mois qui suivent.

[37]        Bref, les critères du troisième alinéa de l’article 30 n.C.p.c. visent des jugements dont la nature est trop différente de celle du jugement autorisant l’exercice d’une action collective pour qu’ils lui soient d’emblée applicables. La nature particulière de ce jugement rend moins pertinents les critères de permission énoncés au troisième alinéa de l’article 30 n.C.p.c. En effet, bien qu’il mette fin au processus d’autorisation, ce jugement ne partage pas réellement les caractéristiques propres aux jugements qui mettent fin à une instance. Il ne s’agit en effet que d’un jugement de nature procédurale qui détermine que l’action collective peut aller de l’avant. Il « ne préjuge en rien du débat sur le fond »[17]. En ce sens, à un stade aussi précoce du litige qui oppose les parties, la présence d’une question de principe, nouvelle ou faisant l’objet d’une jurisprudence contradictoire ne saurait rendre l’intervention de la Cour aussi opportune que dans le cas d’un jugement qui met véritablement fin à l’instance.

[38]        De plus, il me semble que la structure du nouveau Code de procédure civile s’oppose à pareille transposition. Le droit d’appel sur permission prévu au deuxième alinéa de l’article 30 n.C.p.c. constitue, en définitive, une restriction au droit d’appel de plein droit établi au premier alinéa du même article. Or, à supposer que le jugement qui rejette la demande en autorisation d’exercer une action collective en est un qui met fin à une instance au sens de l’article 30 n.C.p.c., son appel de plein droit est prévu à l’article 578 n.C.p.c. (comme il l’était à l’article 1010 de l’ancien Code de procédure civile). Puisque l’appel de plein droit est autonome et ne recourt pas au régime général de l’article 30 n.C.p.c., la cohérence veut qu’il en soit de même pour l’appel sur permission.

[39]        L’article 31 n.C.p.c. et les jugements rendus en cours d’instance. La règle générale veut que ces jugements fassent l’objet d’un appel sur permission d’un juge de la Cour d’appel. Par exception, ces jugements feront l’objet d’un appel de plein droit s’ils rejettent une objection à la preuve fondée sur le devoir de discrétion du fonctionnaire de l’État ou sur le respect du secret professionnel.

[40]        Aux termes du second alinéa de l’article 31 n.C.p.c., le juge d’appel accordera la permission de faire appel s’il estime « que ce jugement décide en partie du litige ou cause un préjudice irrémédiable à une partie, y compris s’il accueille une objection à la preuve », tout en tenant compte des principes directeurs de la procédure propres à cette demande présentée en cours d’instance.

[41]        Le jugement autorisant l’exercice d’une action collective n’est pas un jugement rendu en cours d’instance, mais bien avant l’instance. Il serait étonnant que le législateur ait voulu assujettir l’appel d’un tel jugement au test applicable aux jugements rendus en cours d’instance, sans pour autant y faire expressément référence dans l’article 31 n.C.p.c., ou y référer dans l’article 578 n.C.p.c., par renvoi ou autrement.

[42]        Il est difficile d’imaginer que le jugement autorisant l’exercice d’une action collective, sans pour autant décider du fond du litige de quelque manière que ce soit, puisse « [décider] en partie du litige » ou « [causer] un préjudice irrémédiable à une partie ».

[43]        L’article 32 n.C.p.c. et les mesures de gestion relatives au déroulement de l’instance et les décisions visant certains incidents de l’instance. En principe, ces décisions ne peuvent pas faire l’objet d’un appel. Par exception, un juge de la Cour d’appel peut cependant autoriser l’appel « si la mesure ou la décision parait déraisonnable au regard des principes directeurs de la procédure ».

[44]        Avec raison, aucune des parties ne propose l’application de ce critère.

[45]        Le jugement autorisant l’exercice d’une action collective n’est pas l’un des jugements, décisions ou mesures énumérés à l’article 32 n.C.p.c. Il serait étonnant, selon moi, que le législateur ait voulu assujettir l’appel d’un tel jugement, pour lequel il crée un droit d’appel spécifique à l’article 578 n.C.p.c., au test applicable à des mesures et décisions pour lesquelles il n’y a pas, en principe, d’appel. Si telle avait été son intention, il aurait sans doute ajouté le jugement autorisant l’exercice d’une action collective à la liste des décisions mentionnées à l’article 32 n.C.p.c., ou référé au test décrit dans cet article à l’article 578 n.C.p.c.

[46]        À mon avis, les appelants ont raison de dire que l’application des tests prévus aux articles 30 (troisième alinéa), 31 (deuxième alinéa) et 32 n.C.p.c. stériliserait en quelque sorte le droit d’appel prévu a l’article 578 n.C.p.c., avec pour conséquence que des jugements d’autorisation mal fondés ouvriraient la porte à des actions collectives qui n’auraient pas dû voir le jour.

[47]        Le test de la « question qui doit être soumise à la Cour » (article 30 n.C.p.c.) limiterait la possibilité d’un appel à des situations marginales, permettant ainsi à des jugements autrement mal fondés, mais ne présentant pas de questions de principe ou nouvelles, de cheminer vers un procès collectif.

[48]        Le test du « jugement qui décide en partie du litige ou cause un préjudice irrémédiable à une partie » (article 31 n.C.p.c.), applicable aux jugements rendus en cours d’instance, n’est tout simplement pas fait pour les jugements qui, loin d’être rendus en cours d’instance, permettent à l’instance collective de débuter.

[49]        Le test de la décision « déraisonnable au regard des principes directeurs de la procédure » (article 32 n.C.p.c.) est taillé sur mesure pour les mesures de gestion relatives au déroulement de l’instance et pour les décisions qui tranchent les incidents marquant le déroulement d’une instance, depuis son introduction jusqu’à l’instruction de l’affaire. Ici encore, le test n’est tout simplement pas fait pour le jugement qui autorise l’exercice d’une action collective.

[50]        Dans ce contexte, force est de conclure, selon moi, que la décision du législateur d’assujettir l’appel des jugements autorisant l’exercice d’une action collective à la permission d’un juge de la Cour d’appel, tout en prévoyant que le refus d’accorder l’autorisation demeure sujet à un appel de plein droit, commande l’aménagement d’un test qui lui est propre[18].

Le test

[51]        Quel doit être ce test?

[52]        La ministre de la Justice dit ceci de l’article 578 n.C.p.c[19] :

Cet article modifie le droit antérieur. Celui-ci ne permettait pas l’appel du jugement autorisant l’action mais permettait l’appel de celui la refusant. Cette règle antérieure avait pour but de favoriser la célérité dans l’exercice de l’action collective et d’éviter les appels dilatoires. Ce faisant, l’asymétrie de la règle entraînait un certain déséquilibre de droit entre les parties. Afin de rééquilibrer ces droits tout en maintenant un certain contrôle sur l’appel, celui-ci ne sera possible que sur permission d’un juge d’appel. L’appel portant sur l’autorisation ne devrait porter que sur les conditions pour l’accorder. Le refus d’accorder l’autorisation demeure, pour le demandeur, sujet à appel de plein droit.

[Soulignement ajouté]

[53]        Bien que l’asymétrie demeure - appel de plein droit pour l’un, appel sur permission pour l’autre -, l’objectif du législateur semble donc de rééquilibrer les droits des parties tout en maintenant un certain contrôle sur l’appel.

[54]        À mon avis, le test que le juge d’appel doit appliquer à une demande de permission de faire appel d’un jugement autorisant l’exercice d’une action collective ne doit pas être à ce point sévère qu’il stérilise le droit d’appel, ni à ce point souple qu’il place les deux parties à l’action collective à toutes fins utiles sur le même pied en ce qui a trait au droit d’appel et devienne une entrave à l’accès à la justice que l’action collective se veut un moyen de faciliter.

[55]        La vérification des critères énoncés à l’article 575 n.C.p.c. est souple et peu exigeante. Le seuil de preuve requis à ce stade est peu élevé; le fardeau du requérant en est un de démonstration sommaire et non de persuasion quant au bien-fondé du recours. Le juge saisi de la requête en autorisation d’exercice de l’action collective jouit d’une vaste latitude; en corollaire, la norme d’intervention en appel d’une décision autorisant, ou refusant, l’exercice de l’action collective est exigeante. Le jugement autorisant l’exercice de l’action collective ne met pas fin au litige et ne décide pas du fond de l’affaire. Le processus d’autorisation ne doit pas constituer un frein au bon déroulement de l’instance[20].

[56]        Ce sont là autant d’éléments à prendre en compte dans la formulation du test que le juge d’appel doit appliquer au moment de trancher une requête en autorisation de faire appel d’un jugement autorisant l’exercice d’une action collective.

[57]        À mon avis, les intimés ont donc raison de soutenir que le test relatif doit être exigeant.

[58]        L’appel doit être réservé à des cas somme toute exceptionnels.

[59]        Le juge accordera la permission de faire appel lorsque le jugement lui paraîtra comporter à sa face même une erreur déterminante concernant l’interprétation des conditions d’exercice de l’action collective ou l’appréciation des faits relatifs à ces conditions, ou encore, lorsqu’il s’agira d’un cas flagrant d’incompétence de la Cour supérieure.

[60]        Ce test est fidèle à l’ intention du législateur voulant que l’appel ne porte que sur les conditions d’exercice de l’action collective. Il est de nature à écarter les appels inutiles ou ne portant que sur des éléments accessoire, sans incidence sur l’autorisation d’exercer l’action collective. Il est respectueux de la discrétion du juge qui a autorisé l’action collective. Il n’est pas à ce point souple qu’il alourdirait indirectement le fardeau de ceux qui cherchent à exercer une action collective et à la mener à terme dans des délais raisonnables. Il permet aussi d’assurer qu’une action collective ne procède pas sur une base erronée, évitant ainsi aux parties d’être entrainées dans un débat judiciaire, long et coûteux.

[61]        D’aucuns auraient peut-être voulu que le test s’étende à d’autres situations, toutes de source prétorienne, dont la Cour a discuté à l’époque où l’article 1010 C.p.c. disait clairement, et sans ambiguïté, que le jugement autorisant l’exercice du recours était sans appel. Je pense ici à ces décisions qui, dans le contexte de décisions prononcées avant l’autorisation, ou à même le jugement autorisant un recours collectif, statuaient sur la compétence ratione materiae ou ratione loci de la Cour supérieure[21].

[62]        À la réflexion, il me semble toutefois préférable de limiter le test aux seuls cas flagrants d’incompétence de la Cour supérieure.

[63]        Déjà, dans Thompson c. Masson[22] le juge LeBel, tel qu’il  était alors, écrivait que le juge saisi d’un moyen déclinatoire présenté dans le cadre de la requête en autorisation «(…) ne possède pas toujours alors tous les éléments de fait qui peuvent être nécessaires pour disposer, en toute connaissance de cause, d’une contestation sur un sujet comme la compétence des tribunaux québécois. » (page 73). Et il ajoutait que le jugement rejetant la contestation de la compétence de la Cour supérieure à l’étape de l’autorisation  «(,,,) ne signifie pas pour autant que le débat sur la compétence territoriale des cours québécoises ne pourra pas être repris plus tard. Il se greffera, le cas échéant, à la contestation du recours collectif lui-même (…)» et «[un] jugement prononcé au stade de l’autorisation ne préjugera pas du résultat de cette autorisation» (p. 73).

[64]        Dans Infineon Technologies AG c. Option Consommateurs[23], la Cour suprême, sous la plume conjointe des juges LeBel et Wagner, avalise ce point de vue, au paragraphe 42 :

[42] Suivant une jurisprudence bien établie des tribunaux québécois, toute contestation de la compétence des tribunaux du Québec peut être soulevée et examinée à juste titre dès le début d’une instance en autorisation d’un recours collectif.  Le jugement rendu à cette étape déterminera, sur le fondement des allégations, s’il appert que le tribunal est dûment saisi de la question (voir Thompson c. Masson, 1992 CanLII 3662 (QCCA), [1993] R.J.Q. 69 (C.A.)).  Toutefois, cela ne signifie pas qu’un jugement rejetant la contestation de la compétence à l’étape de l’autorisation mettra fin au débat sur la compétence territoriale des tribunaux québécois.  En effet, cette question pourrait être soulevée de nouveau plus tard, car le jugement rendu à cette étape ne constitue qu’une décision interlocutoire (art. 1010 C.p.c.).  Le tribunal peut subséquemment réexaminer la question à la lumière de l’ensemble de la preuve, et décliner compétence lors du procès au fond (Thompson, p. 73).

[65]        Dans ce contexte, il me semble préférable de limiter les questions de compétence qui justifieraient d’accorder la permission de faire appel, aux seuls cas flagrants d’incompétence de la Cour supérieure.

[66]        Il reste maintenant à examiner chacune des requêtes pour permission de faire appel et à décider de leur sort à la lumière du test retenu et des circonstances propres à chacun des trois requérants.

La permission de faire appel

            La CSQ

[67]        La CSQ détient en copropriété avec la ville de Québec le complexe Place Jacques Cartier. La CSQ assure l’entretien de cet immeuble, dont les tours de refroidissement où la légionellose - une maladie infectieuse - se serait développée.

[68]        La CSQ plaide l’absence de normes d’entretien et ajoute avoir agi de manière appropriée en retenant les services d’une entreprise professionnelle pour entretenir les tours de refroidissement de son immeuble.

[69]        Le juge de première instance conclut que les moyens soulevés par la CSQ relèvent du fond du litige. Il estime que la demanderesse, Mme Allen, peut légitimement soulever la responsabilité du propriétaire de l’immeuble où la maladie s’est développée et à partir duquel elle s’est propagé, et ce, peu importe l’existence, ou non, de normes d’entretien des tours de refroidissement.

[70]        La CSQ plaide aujourd’hui que l’appréciation du deuxième critère énoncé à l’article 575 n.C.p.c., soit « les faits allégués paraissent justifier le conclusions recherchées », faite par le juge de première instance est manifestement non fondée en faits et en droit.

[71]        Avec égards, la requérante ne me convainc pas du bien-fondé de son argument. Le juge de première instance a raison d’affirmer que, à ce stade-ci de la procédure, la demanderesse peut légitimement soulever la commission d’une faute par la CSQ engageant sa responsabilité et que les moyens soulevés par celle-ci en défense relèvent du fond du litige.

Le CIUSSS de la Capitale-Nationale et le Dr François Desbiens

[72]        Le Dr François Desbiens est le Directeur de la santé publique de la Capitale-Nationale. Le CIUSSS, aux droits de l’Agence de la santé et des services sociaux de la Capitale-Nationale, serait responsable de son travail. Les deux auraient commis des fautes de gestion en santé publique, tant avant qu’après l’identification, en septembre 2012, de l’immeuble d’où provenait l’éclosion de légionellose.

[73]        Le juge de première instance conclut que le dossier présenté par la demanderesse, Mme Allen, contient suffisamment d’éléments pour qu’elle puisse légitimement soulever la responsabilité du Dr Desbiens et du Centre intégré.

[74]        Les requérants reprochent au juge de première instance de s’être mal dirigé en droit et d’avoir commis plusieurs erreurs manifestes dans son analyse de la preuve.

[75]        Avec égards, les requérants ne me convainquent pas du bien fondé de leur position. Après avoir lu et relu le jugement attaqué, je ne vois pas en quoi le juge de première instance se serait mal dirigé en droit. Quant à son analyse de la preuve, je n’y vois pas les erreurs manifestes que les requérants allèguent. Plus particulièrement, je ne vois pas en quoi le juge de première instance pourrait avoir eu manifestement tort de dire qu’« il y a du moins lieu d’interroger les moyens qu’ils ont mis en place avant l’éclosion pour sa prévention » (paragr. 76) et que « la demanderesse a légitiment le droit de plaider que ces défendeurs n’ont pas agi avec célérité, ce qui aurait évité autant de victimes » (paragr. 83).

La Procureure générale du Québec

[76]        La Procureure générale du Québec agit aux droits du ministre de la Santé et des services sociaux, du sous-ministre de la Santé et des services sociaux et du Directeur national de la santé publique. L’intimée lui reproche de ne pas avoir donné suite au rapport publié par le Centre de santé publique du Québec en 1997 après une contamination à la légionellose survenue à Québec, en 1996.

[77]        Ce rapport visait à prévenir une nouvelle éclosion de la maladie.

[78]        La PGQ plaide que ce qui est reproché au gouvernement relève d’un pouvoir de nature politique et, de ce fait, bénéficie d’une immunité.

[79]        Le juge de première instance reconnaît la valeur de ce moyen de défense, mais il estime qu’en l’espèce, seule « la preuve permettra de définir précisément s’il s’agit d’une question politique ou administrative » (paragr. 106). Il ajoute que le fait d’avoir produit un guide incomplet (selon ce que plaide la demanderesse) à l’intention des autorités régionales ne relève pas « à première vue » d’une question de politique justifiant de soulever « de prime abord » l’immunité de l’État (paragr. 108).

[80]        La PGQ plaide aujourd’hui que le juge a commis une erreur de droit ou de fait manifeste en refusant de qualifier l’action gouvernementale.

[81]        Avec égards, ce reproche est mal fondé. Il ne s’agit pas ici d’une immunité législative « claire et expresse », il s’agit d’une immunité découlant de la nature des gestes posés, ou non posés, par le gouvernement. Or, en cette matière, la prudence s’impose. Dans Tonnelier c. Québec (Procureur général), la Cour rappelle que « généralement, il revient plutôt au juge du fond de décider si le principe de l’immunité de l’État peut être opposé au requérant […] »[24]. Dans Carrier c. Québec (Procureur général), la Cour explique de nouveau que « règle générale l’analyse portant sur la valeur d’un moyen de défense basé sur l’immunité de l’État est davantage une question mixte de fait et de droit qu’une question de droit seulement »[25]. Elle conclut qu’il « convenait dans les circonstances de [cette] affaire, à la lumière des allégations de la requête, de réserver au juge du fond le soin de trancher cette question »[26].

[82]        Pour toutes ces raisons, je propose de rejeter les trois requêtes, avec les frais de justice contre les requérants.

 

 

 

JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A.

 



[1]     L.Q. 1978, c. 8.

[2]     Loi modifiant le Code du travail, le Code de procédure civile et d’autres dispositions législatives, L.Q. 1982, c. 37, art. 20.

[3]     « Le jugement qui accueille la requête et autorise l’exercice du recours est sans appel. »

[4]     Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, L.Q. 2014, c. 1 (n.C.p.c.).

[5]     Avant le 1er janvier 2016, les articles 1002 et 1003 a.C.p.c. Les articles 574 et 575 n.C.p.c. en reprennent le texte pratiquement mot par mot. On note seulement certaines modifications terminologiques et de présentation. Ainsi, « action collective » remplace « recours collectif » et « demande » remplace « recours ». Aussi, la condition relative à la composition du groupe énonce maintenant les « règles » auxquelles elle réfère plutôt que les articles qui les contiennent. Enfin, les paragraphes sont numérotés plutôt qu’alphabétisés. Voir Lambert (Gestion Peggy) c. Écolait ltée, 2016 QCCA 659, paragr. 54.

[6]     Denis Ferland et Benoît Emery (dir.), Précis de procédure civile du Québec, 5e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2015, paragr. 1-879 à 1-883.

[7]     Id., paragr. 2-1559; Jasmin c. Société des alcools du Québec, 2015 QCCA 36, paragr. 30.

[8]     Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59, [2013] 3 R.C.S. 600, paragr. 61.

[9]     Id., paragr. 59 et 66.

[10]    Id., paragr. 61.

[11]    Id., paragr. 67.

[12]    Corporation Sun Media c. Gesca ltée, 2012 QCCA 682, paragr. 8.

[13]    Par opposition aux jugements déclaratifs de droits, qui ont un effet rétroactif au moment de l’institution des procédures.

[14]    Société québécoise de gestion collective des droits de reproduction (Copibec) c. Université Laval, 2015 QCCS 1156, paragr. 28.

[15]    Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, 2014 CSC 1, [2014] 1 R.C.S. 3,.

[16]    Reprenant ainsi l’avis d’Yves Lauzon, « Article 578 », dans Luc Chamberland (dir.), Le grand collectif. Code de procédure civile : commentaires et annotations, vol. 2 « Articles 391 à 836 », Cowansville, Yvon Blais, 2015, 2309, p. 2312.

[17]    TD Auto Finance Services Inc./Services de financement auto TD inc. c. Belley, 2015 QCCA 1255, paragr. 16 (Bich, j.c.a.); Fortier c. Meubles Léon ltée, 2014 QCCA 195, paragr. 140.

[18]    Sur le même sujet, voir le texte de d’Yves Lauzon, « Article 578 », dans Luc Chamberland (dir.), Le grand collectif. Code de procédure civile : commentaires et annotations, vol. 2 « Articles 391 à 836 », Cowansville, Yvon Blais, 2015, 2309, p. 2309-2312.

[19]    Ministère de la Justice et SOQUIJ, Commentaires de la ministre de la Justice : Code de procédure civile, chapitre C-25.01, Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, art. 578.

[20]    À lire, au sujet du processus d’autorisation et du droit d’appel qui le coiffe, les commentaires de ma collègue la juge Bich dans l’arrêt récent de Charles c. Boiron Canada inc., 2016 QCCA 1716, paragr. 69-74.

[21]    Ridley c. Bernèche, 2006 QCCA 984 (j. unique); Société Asbestos ltée c. Lacroix, J.E. 2004-1808 (C.A.); Gauthier c. Société d’habitation du Québec, 2008 QCCA 948; Regroupement des citoyens contre la pollution c. Alex Couture inc., 2007 QCCA 565.

[22]    [1993] RJQ 69.

[23]    Supra, note 8.

[24]    2012 QCCA 1654, paragr. 63.

[25]    2011 QCCA 1231, paragr. 45.

[26]    Ibid.

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