Décision

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[Texte de la décision]

Section des affaires sociales

En matière de régime des rentes

 

 

Date : 16 mars 2016

Référence neutre : 2016 QCTAQ 03395

Dossier  : SAS-Q-208869-1505

Devant les juges administratifs :

JOSÉE CARON

SYLVAIN BOURASSA

 

S... T...

Partie requérante

c.

RETRAITE QUÉBEC

Partie intimée

 

 


DÉCISION



 


[1]              La requérante (madame) conteste une décision rendue en révision le 13 mars 2015 par Retraite Québec[1] portant sur un refus de la reconnaître invalide.

 

[2]              Le 14 novembre 2013, la requérante effectue une demande de prestations pour invalidité auprès de Retraite Québec. Elle a 46 ans.

[3]              La requérante écrit avoir cessé de travailler le 17 mars 2011 en raison de problèmes de santé. À cette époque, elle est préposée aux ventes chez Walmart.

[4]              La requérante a complété un secondaire V. Elle possède un permis de conduire. Elle a déjà suivi un cours de secourisme en milieu de travail.

[5]              Dr Julie Grenier, médecin de famille qui connaît madame depuis 2007, complète le 22 mars 2013 le rapport médical accompagnant la demande.

[6]              Une dépression majeure est diagnostiquée en mars 2011. La récupération s’avère difficile. En raison de ménorragies, la requérante subit le 19 septembre 2011 une intervention chirurgicale gynécologique[2] par Dr Nancy Thériault. Une complication infectieuse s’ensuit. Les traitements de la déhiscence de plaie infectée s’étalent jusqu’en février 2012. Une tentative de retour au travail s’avère un échec après trois demi-journées.

[7]              Une seconde chirurgie est effectuée le 7 juin 2012 pour traiter un hydrosalpinx bilatéral[3]. La plaie de laparoscopie s’infecte aussi.

[8]              En juillet 2012, la requérante est hospitalisée à nouveau en raison de l’apparition d’une céphalée. La neurologue Sophie Lapalme diagnostique des migraines avec un tableau neurologique accompagnateur atypique.

[9]              Le 15 décembre 2012, la requérante est hospitalisée en raison d’une complication infectieuse sévère à la mâchoire. Il s’agit d’une angine de Lugwig survenue dans le cadre d’une infection dentaire.

[10]           En 2012, la requérante présente un tableau douloureux progressif. Le diagnostic de fibromyalgie est posé par Dr Josée Fortier, physiatre, en février 2013. Cette dernière effectue le suivi de cette condition depuis son diagnostic.

[11]           Dans son rapport médical du 22 mars 2013, Dr Grenier retient les diagnostics de fibromyalgie dont elle estime le pronostic réservé. Quant aux autres diagnostics qu’elle retient, soit la dépression majeure, les migraines et la douleur pelvienne post-hystérectomie, elle estime leur pronostic de bon à modéré. Elle écrit qu’elle a conseillé à la requérante de cesser son travail au moment où la dépression a été diagnostiquée. Elle est d’avis que la requérante est inapte à occuper son travail ou tout autre travail en raison de la douleur secondaire à la fibromyalgie.

[12]           Dans un autre rapport médical à l’intimée, celui-ci complété par Dr Fortier le 10 décembre 2013, la physiatre écrit que les symptômes de fibromyalgie ont débuté en 2011. Un bilan complet a été effectué dans le but d’éliminer un problème d’origine inflammatoire. La requérante est traitée avec des médicaments que Dr Fortier énumère. Elle est d’avis que la requérante est inapte à occuper un emploi. Malgré la  médication et l’exercice, elle demeure avec de la douleur diffuse, des céphalées, de la fatigue, des troubles de concentration et des troubles du sommeil. Elle présente des limitations sévères secondairement à cette condition. La requérante n’a pas d’énergie et peine à accomplir ses activités de la vie quotidienne. Dr Fortier conclut que l’incapacité a débuté en 2013.

[13]           La requérante s’est soumise à deux expertises, à la demande de la Compagnie d’assurances Financière Manuvie.

[14]           Le 21 février 2012, elle rencontre Dr Richard Laliberté, psychiatre. Il conclut que la requérante ne présente aucune maladie psychiatrique, ni aucun trouble de la personnalité. Il n’y a pas de trouble de conversion. Au moment de l’évaluation, la requérante ne prend plus, depuis plusieurs mois, la médication antidépressive prescrite par Dr Grenier au printemps 2011.

[15]           La requérante rencontre Dr Marc Favreau, rhumatologue, le 2 mai 2013. Il diagnostique une fibromyalgie, qu’il décrit comme un désordre neurophysiologique. Il suggère diverses modalités de traitements, soit des médicaments, l’accès à une clinique de la douleur spécialisée pour des conseils, et la participation à un groupe de gestion de la douleur. Il ajoute que les traitements suggérés visent un meilleur contrôle de la douleur, mais qu’ils ne sont pas curatifs. La fatigue demeure un élément souvent réfractaire au traitement.

[16]            À la demande de la compagnie d’assurances de l’employeur, la requérante rencontre une équipe du Centre A le 21 août 2013. Le but de l’évaluation est de déterminer les besoins de la requérante et de proposer, s’il y a lieu, un programme d’intervention pour augmenter les capacités fonctionnelles et professionnelles pour son emploi de commis de plancher.

[17]           La requérante est évaluée par une physiothérapeute et par une ergothérapeute. Au terme de leur évaluation, elles identifient plusieurs problèmes. Le pronostic d’une réadaptation est faible et celui du retour au travail est très faible à court et à moyen terme. Les thérapeutes en réadaptation suggèrent de procéder à un suivi d’une heure, deux fois par semaine, pour une durée d’un mois et de réévaluer la situation.

[18]           La requérante a témoigné qu’une telle réadaptation n’a pas eu lieu, l’assureur ayant plutôt décidé de la reconnaître invalide. 

[19]           La requérante participe au programme A. Il est donné par une neuropsychologue et une physiothérapeute du Centre de réadaptation A. Madame complète un questionnaire le 19 septembre 2013 et est rencontrée pour statuer sur son admissibilité à ce programme. Elle est acceptée. Les neuf rencontres ont lieu du 1er octobre 2013 au 27 mai 2014. La requérante s’en dit satisfaite.

[20]           Retraite Québec rend une décision le 13 août 2014 par laquelle elle refuse de la déclarer invalide. Il est mentionné que le fait d’être reconnu invalide par une compagnie d’assurances ne donne pas droit automatiquement à la rente d’invalidité du Régime des rentes du Québec, les critères pouvant être différents. Retraite Québec ajoute qu’elle n’est pas reconnue invalide, car elle pourrait bénéficier d’autres mesures thérapeutiques.

[21]           La requérante demande une révision de cette décision. Elle écrit que, selon ses médecins, il n’y a rien qu’elle peut tenter de plus pour améliorer son état.

[22]           L’intimée demande à la requérante de se soumettre à une expertise. La requérante rencontre Dr Suzanne Lavoie, physiatre, le 12 janvier 2015. L’examen objectif démontre une diminution légère de l’amplitude articulaire au rachis et à la région scapulaire. La palpation est douloureuse, que ce soit à la pression légère ou modérée (point gâchette, selon Dr Lavoie) sur tout le corps, à l’exception de la tête et de l’abdomen.

[23]           L’expert conclut en un diagnostic de lombalgie mécanique et de déconditionnement important. Dans son résumé, elle écrit que le diagnostic de fibromyalgie pourrait être retenu[4].

[24]           S’exprimant sur la suffisance de traitements, Dr Lavoie indique qu’ils ne sont pas appropriés, ni suffisants. Un « programme dirigé » est suggéré avec une emphase pour la lombalgie. Dr Lavoie n'explique pas de quel type de programme il s'agit. Elle suggère une perte de poids, l’index de masse corporelle étant trop haut. Quant au traitement de la douleur, elle indique que Dr Fortier suit madame et ajuste sa médication.

[25]           Elle conclut que le pronostic de récupération fonctionnelle dans le cadre d’une thérapie optimale est « bon ».

[26]           Elle est d’opinion qu’il est trop tôt pour émettre des limitations fonctionnelles, la condition de la requérante n’étant pas stabilisée. Elle ajoute que ceci n’empêche pas la requérante d’occuper un emploi à temps plein.

[27]           Le 13 mars 2015, l’agente de révision de Retraite Québec maintient le refus de reconnaître la requérante invalide. Elle explique que la décision est basée sur l’ensemble du dossier. Celui-ci a été soumis à un médecin évaluateur de Retraite Québec et il a émis une opinion. Ce médecin reprend les conclusions de Dr Lavoie. Il écrit : « Considérant l’opinion de notre expert au dossier, nous devons conclure qu’il est trop tôt pour parler d’invalidité totale et permanente et la demande d’invalidité est refusée en révision ».

[28]           La requérante loge un recours devant le Tribunal, d’où le présent litige.

[29]           À l’audience, la requérante témoigne. Elle explique qu’au moment où elle a commencé à avoir des problèmes de santé, elle était sur le point d’obtenir une promotion au travail.

[30]           Elle explique les différentes démarches qu’elle a entreprises pour améliorer sa condition douloureuse.

[31]           Elle relate l’évaluation faite en réadaptation pour le compte de la Compagnie d’assurances Financière Manuvie et le programme A du Centre de réadaptation A.

[32]           Elle explique avoir suivi les recommandations de Dr Lavoie en ce qui concerne la perte de poids. Bien qu’elle ait maigri d’environ 70 à 75 livres et qu’elle a vu sa condition pulmonaire[5] s'améliorer, ceci n’a pas amené de changement significatif du côté de son syndrome douloureux.

[33]           En ce qui a trait aux « exercices de cardio », elle pense que ce n’est pas réaliste. Elle marche. Elle fait de la piscine chez elle et ceci l’aide un peu.

[34]           Elle tente de ne pas s’isoler. Elle rencontre une amie de longue date. Sa fille a 25 ans et demeure avec eux. Elle est préposée aux bénéficiaires. Sa fille doit parfois se charger de la laver, car elle ne s’en sent pas la force. La requérante est émotive tout au long de son témoignage et plus particulièrement au moment où elle relate ces faits.

[35]           La requérante raconte avoir présenté un problème de tunnel carpien aux deux mains. Elle a été opérée pour cette condition en 2015 à quelques mois d’intervalle. Les engourdissements et la sensation de brûlure à la paume ont disparu, mais le trouble de dextérité est resté.

[36]           La requérante ne rapporte pas de problème psychologique. Elle se sent bien de ce côté. Par ailleurs, elle est soulagée par la médication qu’elle utilise pour la migraine.

[37]           Le conjoint de madame témoigne. Il explique que leur vie de couple s’est perdue au fil du temps. Lorsqu’il revient de son travail, il trouve souvent madame dans un pauvre état. La nuit, il dort d’un sommeil léger. Il se sent impuissant devant sa condition.

[38]           Une amie de la requérante témoigne. Elles se connaissent depuis des années. Elle-même a des problèmes de santé et elle lui donne des conseils.

 

[39]           L’article 95 de la Loi sur le régime de rentes du Québec[6] s’énonce ainsi :

« 95. Une personne n'est considérée comme invalide que si Retraite Québec la déclare atteinte d'une invalidité physique ou mentale grave et prolongée.

Une invalidité n'est grave que si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

En outre, dans le cas d'une personne âgée de 60 ans ou plus, une invalidité est grave si elle rend cette personne régulièrement incapable d'exercer l'occupation habituelle rémunérée qu'elle détient au moment où elle cesse de travailler en raison de son invalidité.

Une invalidité n'est prolongée que si elle doit vraisemblablement entraîner le décès ou durer indéfiniment.

Retraite Québec publie périodiquement ses directives en matière d'évaluation médicale de l'invalidité. »

[40]           Pour se voir reconnaître invalide, la requérante doit se voir régulièrement incapable de détenir toute occupation véritablement rémunératrice.

[41]           Le procureur de l’intimée prétend que la condition physique de madame n’est pas grave, ni permanente. Des traitements sont encore possibles et n’ont pas été tentés. Il soumet que même si le Tribunal arrivait à la conclusion que la condition est grave, le critère de la permanence n’est pas respecté.

[42]           Les soussignés ont analysé la preuve documentaire et testimoniale. Cette preuve démontre que les médecins traitants, consultants et experts sont d’accord sur le fait que les conditions gynécologique, pulmonaire, dentaire, d’hypertension artérielle, que présente madame, sont sous contrôle et n’apportent pas de limitations à travailler. Il en est de même pour la condition psychologique de madame.

[43]           Seule la condition douloureuse attribuable à une fibromyalgie apporte des limitations fonctionnelles, incluant l’insomnie et la baisse d’énergie.

[44]           La jurisprudence du Tribunal a établi qu’il y a lieu d’examiner la condition d’une personne au plus tard à la date de la décision en révision pour établir son invalidité. L’évolution qui se produit postérieurement peut être utile pour déterminer s’il y a permanence ou pas de cette condition.

[45]           Le Tribunal écarte les conclusions de Dr Lavoie qui a rencontré madame en janvier 2015. La physiatre est d’avis que la requérante n’a pas épuisé toutes les alternatives thérapeutiques. Le Tribunal ne retient pas cette opinion, car elle n’a pas expliqué en quoi consiste un « programme dirigé ».

[46]           La requérante s’est vue évaluée par des thérapeutes spécialisées en réadaptation fonctionnelle dans le but de déterminer si un programme ciblé pourrait aider à la retourner au travail. Leur conclusion est que les chances de succès d’un tel programme, dans le cas de madame, sont qualifiées de faibles. Au point où même la compagnie d’assurances Financière Manuvie n’a pas jugé bon de l’inscrire à un tel programme. Il est difficile d’écarter une telle conclusion spécialisée sans motivation de la part d’un expert.

[47]           Il appert que la requérante a suivi les conseils de Dr Lavoie pour ce qui concerne son surplus de poids. Elle a beaucoup maigri et les notes de dossier de Dr Fortier en font foi. Malgré tout, la condition douloureuse de madame ne s’est pas vue améliorée.

[48]           L’intimée prétend que des mesures thérapeutiques existent encore, et que madame ne les a pas encore épuisées.

[49]           Le Tribunal rappelle que la seule mention par un médecin qu’il existe encore un traitement qui n’a pas été tenté, ou que tous les ajustements médicamenteux n’ont pas été essayés, n’est pas suffisante pour démontrer qu’une personne peut regagner une capacité à occuper un travail véritablement rémunérateur.

[50]           L’article 95 de la Loi établit deux critères pour reconnaître une invalidité. Le fait que certains traitements ou médicaments puissent améliorer la qualité de vie d’une personne ne doit pas être confondu avec la probabilité bien réelle[7] que ces traitements puissent l’amener à occuper un travail véritablement rémunérateur.

[51]           De l’avis du Tribunal, la condition de la requérante attribuable à la fibromyalgie ne lui permettait pas, en regard de la gravité, d’occuper un travail en date de la décision en révision.

[52]           Quant au critère de la permanence, dans une note médicale du 4 septembre 2013, Dr Fortier, médecin physiatre traitante de madame, écrit que madame est inapte à tout emploi. L’évolution de la condition de la requérante ne permet pas de conclure autrement.

[53]           Dr Fortier complète un rapport pour les Assurances Desjardins le 2 septembre 2014. Elle écrit que la requérante présente de la douleur diffuse, de la fatigue et une diminution de concentration. Elle décrit les limitations fonctionnelles comme une classe III et IV de l’IRSST. Elle conclut que madame est invalide de façon permanente.

[54]           Dans sa note du 9 septembre 2015, elle fait mention de la perte de poids importante. Rien ne permet de conclure que la requérante voit sa condition globale s’améliorer.

[55]           Le Tribunal est d’avis que la décision en révision n’est pas bien fondée en fait et en droit et qu’elle doit être infirmée.

 

POUR CES MOTIFS, le Tribunal :

-        ACCUEILLE le recours,

-        INFIRME  la décision en révision du 13 mars 2015, et

-        RECONNAÎT  la requérante invalide selon les critères de la Loi.


 

JOSÉE CARON, j.a.t.a.q.

 

 

SYLVAIN BOURASSA, j.a.t.a.q.


 

Arav, Robillard & Laniel

Me Michel Bélanger

Procureur de la partie intimée


 

/jj



[1] Depuis le 1er janvier 2016, la Régie des rentes du Québec a vu sa dénomination changée pour Retraite Québec.

[2] Une hystérectomie abdominale totale.

[3] On retire les ovaires et les trompes.

[4]  Elle écrit que le diagnostic de fibromyalgie est difficile à retenir considérant que la douleur est très répandue et variable au niveau de l’intensité et à des endroits plutôt inhabituels.

[5] La requérante a longtemps fumé la cigarette et souffre occasionnellement d’asthme. Depuis la perte de poids, elle se sent moins essoufflée.

[6] RLRQ, chapitre R-9

[7] Et non pas une simple possibilité.

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