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Décision

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PROJET DE JUGEMENT (10 MAI 2018)

Racicot c. Procureure générale du Québec

2020 QCCA 656

COUR D'APPEL

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

MONTRÉAL

 

No : 

500-09-700001-209

        (750-17-003744-202)

 

 

PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE

 

 

 

DATE : Le 20 mai 2020

 

 

 

FORMATION : LES HONORABLES

JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A.

 

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

 

JULIE DUTIL, J.C.A.

 

PARTIE APPELANTE

 

 

Jean-Félix Racicot

 

Non représenté

Par visioconférence

 

PARTIES INTIMÉES

AVOCATS

 

PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

Ministre de la santé et des services sociaux

Directeur national de la santé publique

 

 

Me Mario Normandin

Me MAnuel klein

(Bernard, Roy (Justice-Québec))

Par visioconférence

 

 

En appel d’un jugement rendu le 24 avril 2020 par l’honorable Louis-Paul Cullen de la Cour supérieure, district de Saint-Hyacinthe.

 

NATURE DE L’APPEL :

Jugement déclarant que la demande introduite en Cour supérieure est une demande de pourvoi en contrôle judiciaire et non une demande d'habeas corpus - Requête pour permission d’appeler de bene esse.

 

Greffière-audiencière : Mélanie Camiré

Salle : Louis-H.-Lafontaine

AUDITION

9 h 33

Identification du dossier et des avocats.

Les juges Chamberland et Morissette sont présents en salle d’audience et la Juge Dutil est présente par visioconférence.

Remarques préliminaires par le Juge Chamberland.

9 h 34

Commentaires de Me Normandin.

9 h 35

À l’invitation de la Cour, argumentation de Me Racicot sur la validité de la formation de l’appel.

9 h 38

Argumentation de Me Normandin.

9 h 44

Réplique de Me Racicot.

9 h 46

Suspension de l’audience.

9 h 55

Reprise de l’audience.

 

PAR LA COUR :

Le 11 mai 2020, par lettre, la Cour avisait les parties qu’elle souhaitait les entendre sur la façon dont l’appel devait être formé. De plein droit ou sur permission? La Cour conclut que le jugement entrepris était appelable de plein droit. En déclarant que le recours constitue véritablement un pourvoi en contrôle judiciaire et non une demande en habeas corpus, le jugement met fin au second tout en permettant la poursuite du premier. La situation est ici assimilable à une irrecevabilité portant sur une cause d’action distincte, en l’occurrence une prétendue privation de liberté en lien avec un habeas corpus. Le jugement était donc appelable de plein droit selon le premier alinéa de l’article 30 C.p.c. La requête de bene esse pour permission de faire appel étant désormais inutile, elle est REJETÉE, sans frais de justice.

 

 

JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A.

 

 

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

 

 

JULIE DUTIL, J.C.A.

9 h 56

Argumentation de Me Racicot.

10 h 22

Argumentation de Me Normandin.

10 h 41

Réplique de Me Racicot.

10 h 49

Me Normandin s’adresse à la Cour quant à l’octroi des dépens si l’appel devait être rejeté.

10 h 51

Suspension de l’audience.

11 h 08

Reprise de l’audience.

 

PAR LA COUR : Jugement unanime - voir page 4.

11 h 12

Fin de l’audience.

 

 

 

 

Mélanie Camiré, Greffière-audiencière

 


 

ARRÊT

 

 

[1]           L’appel soulève fondamentalement la question de savoir si le juge de première instance a erré en déclarant que le recours de l’appelant n’était pas un habeas corpus, mais plutôt un pourvoi en contrôle judiciaire.

[2]           L’appel ne porte que sur cette question et non sur celle de la légalité ou du caractère raisonnable des décrets et arrêtés ministériels adoptés par le gouvernement du Québec depuis le 13 mars 2020 dans le contexte de sa lutte contre la pandémie de la COVID-19.

[3]           Pour bien comprendre la portée du jugement dont appel[1], il convient de revenir brièvement sur la demande que l’appelant a déposée en première instance, ainsi que sur les conclusions de celle-ci.

[4]           Sa demande initiale, datée du 20 avril, était intitulée « demande en habeas corpus (art. 44 & 398 et ss. C.p.c.) et pour déclaration de nullité de décrets gou­vernementaux et d’arrêtés ministériels (art. 529 C.p.c.». Ses conclusions pertinentes au pourvoi en cours énonçaient ce qui suit :

ACCUEILLIR la présente demande;

[…]

DÉCLARER NULS LES DÉCRETS ET ARRÊTÉS SUIVANTS

a)            Décrets : 177-2020, 220-2020, 388-2020, 394-2020, 418-2020, 460-2020,

b)            Arrêtés de la ministre de la Santé : 2020-04, 2020-05, 2020-09, 2020-11, 2020-12, 2020-13, 2020-14, 2020-15, 2020-16, 2020-17, 2020-18, 2020-20, 2020-21, 2020-22,

c)            Arrêtés [sic] de la ministre de la Sécurité publique : 0004-2020

[5]           Lors d’une conférence de gestion tenue le 21 avril, le juge de première instance informa les parties que la seule question sur laquelle porterait l’audience du 24 avril serait celle de la qualification juridique de la demande du 20 avril. Il le confirmera d’ailleurs dans son jugement en soulignant au paragraphe [19] de ses motifs qu’à ce stade, il s’agissait uniquement de savoir « si la demande introductive d’instance constitue réellement une demande d’habeas corpus plutôt qu’une demande coiffée de ce titre, mais dont la véritable nature est autre ».

[6]           Nul doute en réaction à cette conférence de gestion, l’appelant a fait parvenir au juge le 24 avril au matin, à 6 h 15, une demande modifiée dans son titre et dans ses conclusions. Elle avait maintenant un titre écourté : « demande modifiée en habeas corpus (art. 44 & 398 et ss. C.p.c.) » et comportait désormais les conclusions suivantes, reproduites ici dans leur partie pertinente au pourvoi en cours :

ACCUEILLIR la présente demande en habeas corpus;

[…]

ET COMME MESURE CORRECTIVE AUX FINS DE L’HABEAS CORPUS POUR FAIRE CESSER LES ATTEINTES DES [sic] DROITS ET LIBERTÉS DU DEMANDEUR :

DÉCLARER NULS LES DÉCRETS ET ARRÊTÉS SUIVANTS

a)            Décrets : 177-2020, 220-2020, 388-2020, 394-2020, 418-2020, 460-2020,

b)            Arrêtés de la ministre de la Santé : 2020-04, 2020-05, 2020-09, 2020-11, 2020-12, 2020-13, 2020-14, 2020-15, 2020-16, 2020-17, 2020-18, 2020-20, 2020-21, 2020-22,

c)            Arrêtés [sic] de la ministre de la Sécurité publique : 0004-2020

[7]           Il ressort du jugement entrepris que, derrière ce jeu d’écritures apparent que le juge de première instance qualifie de « cosmétique », se profilait pourtant une question de fond sérieuse sur le choix des recours ouverts à la partie qui conteste une action gouvernementale. On aura compris par ailleurs que les conclusions du recours de l’appelant attaquent la plupart sinon la totalité des décrets et arrêtés qui concernent la pandémie de la COVID-19. Tous s’inscrivent dans le sillage du décret 177-2020 du 13 mars 2020 par lequel le gouvernement déclarait un état d’urgence sanitaire sur tout le territoire québécois.

[8]           Statuant, donc, sur la demande de l’appelant et sur la question de fond en quelque sorte préalable, mais potentiellement décisive, qu’il avait identifiée lors de la conférence de gestion du 21 avril, le juge de première instance l’analyse aux paragraphes [20] à [42] de ses motifs. Il prononce alors le jugement dont le dispositif est ainsi rédigé :


 

POUR CES MOTIFS LE TRIBUNAL :

[47]      DÉCLARE que la demande introductive ne constitue pas une demande d’habeas corpus, mais plutôt une demande de pourvoi en contrôle judiciaire;

[47]      FIXE le dossier pour gestion par le juge coordonnateur du district de Saint-Hyacinthe le 27 avril 2020 à une heure qui sera déterminée à cette date avec son adjointe;

*   *   *   *   *

[9]           Le recours en habeas corpus, précise l’article 398 C.p.c., peut être exercé par « [t]oute personne privée de sa liberté » (en anglais, deprived of liberty), ou par un tiers qui agit pour elle, afin qu’il soit statué sur la légalité de sa détention et que sa libération soit ordonnée si la détention est illégale » [nous soulignons]. On sait par les commentaires de la ministre de la Justice que la réforme de 2014 a simplifié la procédure antérieure : « La procédure en deux étapes est donc condensée en une seule : l’assignation, accompagnée d’un avis de présentation, enjoint à la personne qui exerce la garde de se présenter devant le tribunal à la date indiquée dans cet avis afin d’expliquer la cause de la privation de liberté. » [Nous soulignons]

[10]        Trois raisons distinctes convergent pour imposer la conclusion que le recours exercé par l’appelant ne constitue pas une demande d’habeas corpus.

[11]        Premièrement, comme le soulignent les intimés, les décrets et arrêtés dont l’appelant prétend contester la validité demeurent des actes normatifs de portée générale et impersonnelle. La nature de ces actes les assujettit à l’article 529 al. 1 (1) C.p.c., ce qu’a relevé, à juste titre, le juge de première instance. Ils se situent dans une catégorie particulière des actes d’un gouvernement. C’est ce qui justifie notamment qu’il existe un appel de plein droit d’un contrôle judiciaire en vertu de cette dernière disposition, et ce, malgré l’article 30 al. 1 (5) C.p.c.[2]. L’ampleur des enjeux potentiels l’explique. Par nature, ces actes ont une portée infiniment plus vaste que celle d’une décision restreignant, à bon droit ou non, les droits d’un individu, fut-ce son droit à la liberté. Et d’ailleurs, si l’on devait identifier le centre de gravité du recours dont l’appelant a pris l’initiative, en d’autres termes son enjeu véritable, il faudrait conclure, en raison de la « mesure corrective », qu’il recherche dans les conclusions comme simple accessoire de sa « demande modifiée en habeas corpus », que des millions de personnes seraient directement et éminemment affectées par une issue favorable à sa demande, qu’elles aient souhaité ou non la levée des mesures sanitaires actuellement en vigueur. C’est du reste ce qu’il fait valoir lorsqu’il soutient dans son exposé que « la nullité de la disposition d’application générale est le remède approprié » : tous ces décrets et arrêtés s’effondreraient par le moyen d’une procédure instruite d’urgence et visant à lui rendre, dans son cas à lui, ce qu’il considère être la liberté dont il est privé. Il y a ici un problème d’échelles.

[12]        Deuxièmement, la notion de « privation de liberté », fondement historique de la procédure en habeas corpus, n’est pas extensible à volonté et au gré des inconvénients qu’impose à tous la vie en société. L’appelant semble postuler comme prémisse que toute restriction au libre arbitre d’une personne équivaut en soi à une privation de liberté aux fins de cette procédure. Comme le remarque le juge de première instance, il faut se garder de confondre le tout avec chacune de toutes les parties du tout. Le juge écrit :

[9]        Le demandeur allègue, en substance, que les décrets et arrêtés qu’il conteste briment des droits et libertés fondamentaux, dont la liberté de se réunir, la liberté de culte et de conscience, la liberté de jouir de ses biens et de les faire fructifier par le fruit de son travail, le droit à l’éducation de ses enfants, la liberté de se déplacer, la liberté de travailler, certaines « libertés juridiques », les libertés démocratiques liées à la suspension des travaux de l’Assemblée nationale et la suspension des mesures de contrôle direct des électeurs auprès des municipalités et, enfin, le droit à une presse indépendante.

[13]        Il est bien clair qu’une limitation, même inconstitutionnelle ou illégale, de la liberté de culte ou de la liberté de conscience d’une personne, de sa liberté de parole, de sa liberté d’association ou de sa liberté d’exercer ses droits démocratiques, n’est pas ce que vise le recours, et le remède, de l’habeas corpus. On a peine à imaginer qu’un citoyen préjudicié par ce qu’il considère être une limite inconstitutionnelle à sa liberté d’expression, limite qui résulterait d’un acte de gouvernement normatif et de portée générale ainsi qu’impersonnelle, la contesterait par une demande d’habeas corpus.

[14]        En outre, même la « liberté » au sens de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés n’a pas la portée que lui donne l’appelant. Un auteur écrit à ce sujet[3] :

            The word “liberty” means many different things in legal and political discourse. Under section 7 of the Charter, the liberty interest is engaged by deprivations of liberty by state action. Yet even in this context, the word “liberty” might mean many things. In its narrowest sense, “liberty” under section 7 would mean freedom from the state-imposed or state-authorized imprisonment or detention; in its widest sense, “liberty” under section 7 would mean freedom from any state-imposed or state-authorized constraint on action. On the narrow reading, the liberty interest would be engaged only by state action that might result in imprisonment or another form of detention. On the widest reading, the liberty would always be engaged because the law always limits someone’s freedom of action. […] So if “liberty” under section 7 was given its widest meaning, section 7 would be engaged by a very wide range of laws indeed; not only by laws that could lead to a person being detained, and not only by direct prohibitions, but also by any law that resulted in imposing any obligation on anyone. Moreover, some very basic civil liberties are guaranteed in other sections of the Charter. For example, the liberty to believe and follow the teachings of a particular religion is protected under section 2(a); the liberty to associate with like-minded individuals is protected under section 2(d); and fundamental political liberties are protected under sections 2, 3, and 6. So to construe liberty in the widest sense might make the rest of the Charter redundant.[4]

            For these reasons, the Supreme Court of Canada was quick to reject the widest possible reading of “liberty”. In R v Edward Books and Art Ltd [[1986] 2 R.C.S. 713], various businesses challenged a Sunday closing law on Charter grounds. One of the Charter applicants argued that the law infringed his liberty simply because it prevented him from doing something. The majority, per Dickson CJC, rejected this claim, because “liberty’s in section 7 of the Charter is not synonymous with unconstrained freedom.” […]

[15]        D’une part, comme le soulignent les intimés dans leur exposé, la situation de l’appelant, pour contraignante qu’elle soit à plus d’un égard, demeure loin de ce que l’on associe habituellement au recours en habeas corpus. Certes, il doit se déplacer le moins possible, rester chez lui dans toute la mesure du possible, et maintenir une distance de deux mètres entre lui et les personnes qui ne font pas déjà partie de son entourage immédiat, ou plus exactement des proches qui cohabitent avec lui. Mais il demeure libre d’user à volonté de ce qu’il a sous la main dans son cadre de vie habituel. Il peut exercer beaucoup de ses activités usuelles, ce qui comprend pratiquer à son domicile avec ceux qui l’occupent les activités qu’il veut, quand il le veut. Il peut notamment poursuivre ses activités professionnelles puisqu’il est avocat et que ses services sont considérés prioritaires[5]. Toute forme de télétravail est laissée à son entière discrétion. Il peut, insistent les intimés, « au moment de son choix, et sans être tenu d’obtenir la permission de qui que ce soit, ni d’informer qui que ce soit à l’avance, quitter son domicile et utiliser sa voiture pour faire des achats notamment à l’épicerie, à la quincaillerie ou à la pharmacie ». Il peut s’exercer à l’extérieur, faire des promenades, de la course à pied ou du vélo à sa convenance et pour la durée qui lui convient. Peut-on véritablement parler, dans ces conditions, d’une privation de liberté, malgré ces nombreux aménagements des mesures de confinement sanitaire? La Cour ne le croit pas.

[16]        En fait d’atteintes à la liberté de mouvement, la « privation de liberté », aux fins d’une procédure en habeas corpus, exige plus que presque toutes les contraintes d’ordre sanitaire dont il est question ici. Il faut que, toute question de santé publique mise à part, cette personne soit substantiellement privée de cette liberté[6], qu’elle ne puisse plus se déplacer, ni aller là où elle souhaite être quand elle le souhaite, qu’elle soit séquestrée sans droit ou mise sous garde contre son gré, ou encore que des conditions de détention préexistantes qui lui avaient été légalement imposées soient aggravées au point qu’elle subisse un grave déficit de la liberté résiduelle dont elle jouissait auparavant. On peut concevoir que, sous la contrainte d’un isolement forcé pour raisons sanitaires (autrement dit, d’une assignation ferme à résidence), une personne s’adresse aux tribunaux et conteste la légalité du sort qui lui est fait. C’est d’ailleurs ce qu’arrête la ministre de la Santé et des Services sociaux dans le tout dernier paragraphe de son arrêté 2020-015 du 4 avril 2020, portant sur la compétence de la Cour du Québec et des cours municipales de Montréal, Laval ou Québec. Et il tombe sous le sens que cela vaut également pour la compétence exclusive et, pour l’heure, constitutionnellement irréductible, de la Cour supérieure en matière d’habeas corpus.

[17]        D’autre part, mais dans le même ordre d’idées, la jurisprudence actuelle sur la notion de privation de liberté conforte les observations qui précèdent. Il est légitime de citer la Cour suprême du Canada dans le récent et important arrêt Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Chhina[7], mais il faut garder à l’esprit que cet arrêt portait spécifiquement sur la suffisance d’une procédure de révision judiciaire en Cour fédérale face à ce que pouvait procurer à l’intéressé une procédure d’habeas corpus devant une cour supérieure provinciale, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta. Cela, sur la question à trancher, n’a strictement rien à voir avec ce qui est en cause ici. Et rappelons au passage que l’intéressé Chhina, un immigrant qui avait obtenu le statut de réfugié sous de fausses représentations, se plaignait d’une détention dans des conditions de sécurité maximale (22½ heures quotidiennes en cellule) pendant 13 mois, détention fort longue en tant que telle et qui, par surcroît, était de durée indéterminée. Entre cela et ce dont se plaint l’appelant, il y a loin de la coupe aux lèvres.

[18]        Il en va de même de tous les arrêts que cite l’appelant, tous portant sur des conditions de détention que l’on pourrait qualifier sans exagération de « dures », en milieu carcéral ou dans un contexte d’immigration, d’extradition, de déportation ou de déclaration de délinquant à contrôler. En bref, il n’y a pas de commune mesure entre la situation de l’appelant et la jurisprudence qu’il appelle en renfort, soit les arrêts ou jugements Beals c. Anctil[8], R. c. Miller[9], May c. Établissement Ferndale[10], Établissement de Mission c. Khela[11], Idziak c. Canada (Ministre de la Justice)[12], R. c. Pearson[13], Toure v. Canada (Public Safety & Emergency Preparedness)[14], R. c. Bird[15], Lesiewicz c. Procureur général du Canada[16], Wang v. Canada[17] ou R. c. Gamble[18].

[19]        On cherche en vain, tant en jurisprudence qu’en doctrine, un cas qui s’apparenterait, même de loin, à celui de l’appelant[19]. Toute analogie avec les jugements antérieurs doit tenir compte, et souvent s’en inspirer, du socle de faits à partir duquel la jurisprudence s’est construite. Tirer de la jurisprudence des propositions générales en omettant le contexte précis dans lequel elles ont été formulées induit souvent en erreur.

[20]        On peut accepter qu’entre la situation à un extrême de l’appelant Chhina, dans l’arrêt précité, et à l’autre extrême celle d’une personne qui perd un attribut de son libre arbitre, par exemple sa faculté de participer à un rassemblement de quelques individus parce que cela est désormais interdit pour des raisons de santé publique, il y a un continuum, celui de la liberté que, peu à peu ou graduellement, un sujet de droit risque d’être privé d’exercer en pleine souveraineté. Les mesures de santé publique actuellement imposées par les intimés sont indéniablement fort sévères, du jamais vu, sans doute. Peut-être s’approchent-elles, sous certains aspects, de la limite acceptable aux yeux d’une cour de justice. D’où, par exemple, le paragraphe final de l’arrêté ministériel 2020-015 du 4 avril 2020 mentionné plus haut et qui, avec raison, laisse le dernier mot aux tribunaux là où cela s’impose.

[21]        Un isolement forcé sous la contrainte des autorités de la Santé publique est en effet assimilable à une assignation à résidence et comporte, de ce fait, une privation de liberté. D’où aussi la possibilité d’exercer le recours, inextinguible, de l’article 398 C.p.c. Mais ce dont se plaint ici l’appelant ne saurait constituer, sous cet angle, une « privation de liberté » justiciable d’un recours en habeas corpus. L’appelant veut remettre en cause par ce moyen, à l’aune de ses préférences personnelles mais à l’occasion d’un risque sanitaire collectif perçu (à tort ou à raison) par les autorités comme grave, l’ensemble de l’action gouvernementale en santé publique. Sa position implique qu’à quelques exceptions près, l’ensemble de la population québécoise est « privé de liberté » au sens de l’article 398 C.p.c. depuis la mise en place des mesures de confinement. Une telle proposition ne résiste pas à l’analyse.

[22]        Enfin, et troisièmement, les conclusions de la demande modifiée de l’appelant démontrent que nous ne sommes pas ici dans le domaine de l’habeas corpus. Les intimés signalent avec raison que, dans cette demande, « l’appelant […] ne sollicite pas une ordonnance de libération ni une ordonnance de mettre fin à des conditions de détention »[20]. Ils ont raison et, à elle seule, cette caractéristique de sa procédure, mineure peut-être mais très parlante malgré tout, démontre que sa demande est mal conçue, au point de pleinement justifier les conclusions du juge de première instance.

[23]        L’appel sera donc rejeté, avec les frais de justice.

*   *   *   *   *

[24]        Dans leur mémoire, les intimés demandent à la Cour de rejeter également la demande modifiée de l’appelant, désormais qualifiée de pourvoi en contrôle judiciaire, toujours pendante en Cour supérieure

[25]        Les intimés soulignent à cet égard que, dans son exposé (paragr. 32), l’appelant plaide que le juge ne pouvait pas, en qualifiant son recours de pourvoi en contrôle judiciaire plutôt qu’habeas corpus, le forcer « à débattre d’une demande qu’il ne fait pas ».

[26]        Dans un courriel transmis à la cour le 11 mai 2020, l’appelant affirmait déjà ne pas avoir « l’intention de procéder autrement que par demande en habeas corpus ».

[27]        Bref, l’appelant n’entend pas poursuivre son recours suivant la procédure du pourvoi en contrôle judiciaire, ce qu’il confirme à nouveau lorsque questionné à ce sujet à l’audience.

[28]        Aux fins de l’arrêt, la Cour considère que la demande des intimés constitue un appel incident. La demande est fondée sur une information que le juge de première instance n’avait pas. Il s’agit d’une demande légitime qui a pour but d’éviter le retour inutile du dossier à la Cour supérieure. L’utilisation raisonnée des ressources judiciaires commande d’y faire droit.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[29]        REJETTE l’appel avec les frais de justice; et quant à l’appel incident,

[30]        PREND ACTE de la volonté de l’appelant de ne pas poursuivre son recours suivant la procédure de pourvoi en contrôle judiciaire;

[31]        ACCUEILLE l’appel incident, sans les frais de justice; et

[32]        REJETTE le pourvoi en contrôle judiciaire, toujours pendant en Cour supérieure, avec les frais de justice.

 

 

JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A.

 

 

 

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

 

 

 

JULIE DUTIL, J.C.A.

 



[1]     2020 QCCS 1322.

[2]     Voir à ce sujet Fraternité des policiers de Châteauguay c. Ville de Mercier, 2017 QCCA 1251.

[3]     Hamish Stewart, Fundamental Justice: Section 7 of the Canadian Charter of Rights and Freedoms, 2e éd., Toronto, Irwin Law, 2019, p. 72 et 74. Voir aussi, dans le même sens, Robert J. Sharpe et Kent Roach, The Charter of Rights and Freedoms, 6e éd., Toronto, Irwin Law, 2017, p. 245.

[4]     Voir aussi Peter Hogg, Constitutional Law of Canada, Vol. 2, Toronto, Thomson Reuters, 2007 (feuilles mobiles, mise à jour no 1, 2018), p. 47-12 : « Liberty does not include freedom of conscience and religion, freedom of expression, freedom of assembly, freedom of association, right to vote and be candidate for election, or the right to travel. These rights are all guaranteed elsewhere in the Charter of Rights, and should be excluded from s. 7. »

[5]     Selon le Décret 223-2020 du 24 mars 2020.

[6]     « Substantiellement » serait évidemment le cas du détenu qui purge une peine d’incarcération et qui, s’exerçant quelques heures par jour dans la cour fermée d’un établissement de détention, conserve néanmoins la « liberté de mouvement » de s’exercer de la sorte. Il ne faut pas confondre « privation de liberté », ce qui est le cas d’un tel détenu, et « restrictions à la liberté de mouvement », ce qui est le cas d’une personne qui se voit interdire pour un temps d’aller à tel ou tel endroit, mais qui autrement est libre de circuler à son gré. Cette dernière situation n’est pas la même que celle d’une personne tenue de résider dans un centre d’hébergement et qui, de ce fait, « n’a pas sa liberté de mouvement … ne peut pas choisir elle-même le lieu de sa résidence et elle ne peut pas non plus quitter sa résidence pour sorties, comme elle l’entend » : voir les motifs du juge Robert dans Alloi-Lussier c. Centre d’hébergement Champlain, [1997] R.J.Q. 807 (C.A.), p. 813.

[7]     2019 CSC 29.

[8]     2018 QCCA 2000.

[9]     [1985] 2 R.C.S. 613.

[10]    2005 CSC 82.

[11]    2014 CSC 24.

[12]    [1992] 3 R.C.S. 631.

[13]    [1992] 3 R.C.S. 665.

[14]    2018 ONCA 681.

[15]    2019 CSC 7.

[16]    2019 QCCS 4210.

[17]    2018 ONCA 798.

[18]    [1988] 2 R.C.S. 595.

[19]    On peut ainsi consulter William Schabas, Habeas Corpus, coll. Aide-Mémoire, Montréal, Wilson & Lafleur, 1990, p. 3 et 4; D.A. Cameron Harvey, The Law of Habeas Corpus in Canada, Toronto, Butterworth & Co., 1974, p. 20 et s.; Gover, Victor V. Ramraj, The Criminal Lawyers’ Guide to Extraordinary Remedies, Aurora, Canada Law Book, 2000, p. 83; Martin Vauclair, Tristan Desjardins, Traité de preuve et de procédure pénales, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2018, p. 1469 et s.; Denis Ferland, Benoît Emery, Précis de procédure civile du Québec, vol. 2, Montréal, Éditions Yvon Blais, p. 137-139 (paragr. 2-371.12); Simon Tremblay et Caroline Larouche, « Habeas corpus », dans Pierre-Claude Lafond (dir.), JurisClasseur Québec, coll. « Droit civil », vol. « Procédure civile II », fasc. 25, Montréal, LexisNexis, mise à jour 20 janvier 2014, p. 25 / 10 et s.; Edward Koroway, « Habeas Corpus in Ontario », (1975) 13:1 Osgoode Hall L.J., 149, p. 182 et s.

[20]    Non seulement ne sollicite-t-il rien de tel, mais il se présente en personne le 24 avril 2020 pour plaider, sans restriction de qui que ce soit, sa demande en habeas corpus. Cela semble inhabituel, pour user d’un euphémisme, en matière d’habeas corpus.

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