Brazeau et Sonoco Flexible Packaging Canada Co. |
2011 QCCLP 8265 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 14 décembre 2010, monsieur Daniel Brazeau (le travailleur) dépose une requête en vertu de l'article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) à l'encontre d'une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles, le 17 novembre 2010.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles :
Dossier 323593-63-0707
REJETTE la requête déposée au tribunal par monsieur Daniel Brazeau, le travailleur, le 24 juillet 2007;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 17 juillet 2007, à la suite d’une révision administrative; et
DÉCLARE que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le 13 mars 2007 et qu’il n’a pas droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
Dossier 381220-63-0906
ACCUEILLE en partie la requête déposée par monsieur Daniel Brazeau, le travailleur, le 16 juin 2009;
DÉCLARE recevable la réclamation du travailleur visant à faire reconnaître le caractère professionnel d’un syndrome du canal carpien bilatéral; et
DÉCLARE qu’un tel syndrome ne constitue pas une lésion professionnelle au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
[3] Le travailleur est présent et accompagné de son représentant à l’audience sur la requête en révocation tenue le 23 septembre 2011, à Joliette. Sonoco Flexible Packaging Co (l’employeur) y est représenté et a, de plus, mandaté une procureure présente à l’audience également.
[4] Un délai a été accordé aux représentant et procureure des parties pour soumettre une argumentation écrite additionnelle ainsi qu’une réplique. Le dernier de ces documents a été déposé le 7 octobre 2011. L’affaire a été mise en délibéré à cette dernière date.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[5] À l’audience sur la requête en révocation, le représentant du travailleur a déposé, en plus de la transcription de l’enregistrement des audiences tenues les 6 mai 2009 et 3 mai 2010 devant le premier juge administratif, une argumentation écrite (portant la date du 22 septembre 2011) qui conclut à ce que la décision rendue le 17 novembre 2010 soit révoquée et les parties convoquées à nouveau pour une audience sur le fond :
En conclusion, nous demandons de valider nos prétentions, de révoquer la décision initiale du la Commission des lésions professionnelles et de déclarer que les parties soient convoqués à nouveau sur le fond du litige. [sic]
L’AVIS DES MEMBRES
[6] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis que la requête devrait être rejetée.
[7] Les allégations de manquements aux règles de justice naturelle (droit d’être entendu et droit à l’impartialité du décideur) n’ont pas été démontrées. La requête du travailleur ne peut être accueillie pour ces motifs.
[8] En définitive, le travailleur demande une réappréciation de la preuve présentée au premier juge administratif, un exercice que le recours en révision n’autorise pas. La révision n’étant pas un appel, la Commission des lésions professionnelles siégeant sur cette requête ne pourrait pas substituer son opinion à celle de la première juge administrative, advenant même qu’elle ne soit pas du même avis, ce qui n’est de toute façon pas le cas. Le travailleur n’a pas démontré que la décision rendue par la première juge administrative comporte une erreur grave, manifeste et déterminante.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[9] Référant à l’article 429.56 de la loi dans sa requête portant la date du 13 décembre 2010, le procureur allègue que « l’alinéa 2 et 3 trouve pleinement application » :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[10] Le représentant du travailleur réitère cette affirmation dans son argumentation écrite du 22 septembre 2011 : « nous somme d’avis que l’alinéa 2 et 3 trouve pleinement application, tel que déjà mentionné ».
[11] À la lecture de la requête du 13 décembre 2010 et de l’argumentation écrite du 22 septembre 2011, le soussigné constate que le travailleur y invoque deux types distincts de manquements.
[12] En effet, le travailleur allègue d’abord que « le Commissaire avait bâillonné les témoins du travailleur, nuisant ainsi au droit formel d’être entendu » et, aussi, que le premier juge administratif a fait preuve d’une « complicité avec la représentante de l’employeur, et nous remettons en cause son impartialité, en raison de son comportement à l’audience ». Le représentant du travailleur reproche aussi le comportement biaisé que le premier juge administratif aurait eu dans leurs échanges épistolaires.
[13] Dans un second temps, le travailleur allègue notamment que la décision rendue le 17 novembre 2010 comporte « des erreurs (…) qui sont flagrantes et déterminantes », en ce que le premier juge administratif « aurait écarté des éléments de preuve et omis de statuer sur des éléments pertinents », aurait mal interprété les articles 29 et 30 de la loi, aurait retenu à tort « un document de l’employeur en tant qu’étude ergonomique », n’aurait pas retenu l’évaluation faite par la seule ergonome au dossier, aurait mal interprété « l’espace dans le temps entre le début des manifestations et l’étude ergonomique », aurait « interprété inadéquatement le témoignage des témoins clés du travailleur » et aurait erré en faisant une « différence entre la tendinopathie et les lésions dégénératives au niveau des deux coiffes des rotateurs ».
[14] Assurément, la notion de « vice de fond » visée par le troisième paragraphe du premier alinéa de l’article 429.56 de la loi précité chapeaute les erreurs flagrantes et déterminantes, tel que la jurisprudence citée plus loin l’a déclaré.
[15] La situation est cependant moins claire, du moins au premier abord, en ce qui concerne les allégations de contravention au droit d’être entendu et à l’impartialité, deux principes fondamentaux qui forment ensemble ce qu’il est communément d’appeler les « règles de justice naturelle ».
[16] Dans la loi, le droit d’être entendu est consacré à l’article 429.13, alors que le droit à l’impartialité du décideur sous-tend les articles 412 et suivants de la loi, notamment :
429.13. Avant de rendre une décision, la Commission des lésions professionnelles permet aux parties de se faire entendre.
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1997, c. 27, a. 24.
412. Avant d'entrer en fonction, le commissaire prête serment comme suit : « Je (…) déclare sous serment que j'exercerai et accomplirai impartialement et honnêtement, au meilleur de ma capacité et de mes connaissances, les pouvoirs et les devoirs de ma charge. ».
Cette obligation est exécutée devant le président de la Commission des lésions professionnelles. Ce dernier doit prêter serment devant un juge de la Cour du Québec.
L'écrit constatant le serment est transmis au ministre.
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1985, c. 6, a. 412; 1997, c. 27, a. 24; 1999, c. 40, a. 4.
415. Un membre ne peut, sous peine de déchéance de sa charge, avoir un intérêt direct ou indirect dans une entreprise susceptible de mettre en conflit son intérêt personnel et les devoirs de sa charge, sauf si un tel intérêt lui échoit par succession ou donation pourvu qu'il y renonce ou en dispose avec diligence.
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1985, c. 6, a. 415; 1992, c. 11, a. 41; 1997, c. 27, a. 24.
416. Outre le respect des prescriptions relatives aux conflits d'intérêts ainsi que des règles de conduite et des devoirs imposés par le Code de déontologie pris en application de la présente loi, un membre ne peut poursuivre une activité ou se placer dans une situation incompatible, au sens de ce code, avec l'exercice de ses fonctions.
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1985, c. 6, a. 416; 1992, c. 11, a. 43; 1997, c. 27, a. 24.
[17] Le manquement allégué à l’une des règles de justice naturelle (en particulier, le droit à être entendu) a maintes fois été analysé à la lumière des dispositions du deuxième paragraphe du premier alinéa de l’article 429.56 de la loi précité[2].
[18] Cependant, dans d’autres cas, le même manquement a plutôt été analysé sous le couvert des dispositions du troisième paragraphe du premier alinéa du même article de la loi[3].
[19] Il a même été jugé qu’une contravention au droit d’être entendu était visée par l’un et l’autre des deuxième et troisième paragraphes du premier alinéa de l’article 429.56 de la loi[4].
[20] Dans le présent cas, le soussigné considère que les manquements aux règles de justice naturelle évoqués par le travailleur sont une situation visée par le troisième paragraphe du premier alinéa de l’article 429.56 de la loi, et ce, pour les motifs qui suivent.
[21] Les reproches adressés le sont à l’endroit du premier juge administratif personnellement, en raison des décisions qu’il a prises et qui auraient eu pour effet, selon les allégués de la requête, d’entraver l’administration de la preuve du travailleur, d’une part, et en raison de la partialité qu’il aurait manifestée par son comportement favorable à l’employeur et défavorable à la partie adverse, d’autre part.
[22] L’on se rappellera qu’à son deuxième alinéa, l’article 429.56 de la loi précité prévoit que « dans le cas visé au paragraphe 3º, la décision (…) ne peut être révisée ou révoquée par le commissaire qui l’a rendue ».
[23] Aux yeux du soussigné, il s’agit là d’une autre disposition législative consacrant le droit fondamental des parties à la complète impartialité du décideur. En effet, il apparaît clair que le législateur n’a pas voulu qu’un juge administratif soit appelé à statuer sur le bien-fondé de ses propres décisions non plus que sur la légitimité de son propre comportement. Ce faisant, le législateur a voulu préserver l’image d’une justice exempte de tout conflit apparent d’intérêts chez le juge administratif et ainsi maintenir la confiance de l’administré dans les institutions appelées à décider de son sort.
[24] Il serait inconvenant que dans un cas comme celui sous étude, le juge administratif concerné puisse, à toutes fins pratiques, se juger lui-même.
[25] C’est pourtant à un tel résultat qu’il serait possible d’arriver si l’on concluait que les allégations d’atteinte au droit d’être entendu du travailleur constituent une matière visée par le deuxième paragraphe du premier alinéa de l’article 429.56 de la loi. Car, de la sorte, le premier juge administratif pourrait très bien statuer lui-même sur le sort de la requête en révocation du travailleur.
[26] Avec respect pour l’opinion contraire, pareille issue irait à l’encontre de la volonté explicite du législateur.
[27] Ainsi dans les circonstances de l’espèce, la Commission des lésions professionnelles siégeant en révocation considère que tous les griefs formulés par le travailleur à l’encontre de la décision rendue le 17 novembre 2010 doivent être analysés en fonction des dispositions du troisième paragraphe du premier alinéa de l’article 429.56 de la loi, c’est-à-dire tant ceux invoquant une contravention aux règles de justice naturelle que ceux alléguant la présence, dans la décision, de vices de fond de nature à l’invalider.
[28] Interprétant le sens des mots « vice de fond (...) de nature à invalider la décision » dans les affaires Donohue et Franchellini[5], la Commission des lésions professionnelles a jugé qu’ils font référence à une erreur manifeste, de droit ou de faits, ayant un effet déterminant sur l’issue de la contestation. Ces décisions ont été suivies à maintes reprises dans la jurisprudence subséquente.
[29] Il a également été jugé que le recours en révision ne doit pas être un appel déguisé, compte tenu du caractère final des décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles, ainsi que le prévoit le troisième alinéa de l’article 429.49 de la loi :
429.49.
(…)
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[30] Siégeant en révision judiciaire de certaines décisions de la Commission des lésions professionnelles, les tribunaux supérieurs ont entériné, à plusieurs reprises, l’interprétation des textes législatifs pertinents que celle-ci retient.
[31] Ainsi, en 2003, dans l’affaire Bourassa, la Cour d’appel a, en outre, rappelé qu’« il [le recours en révision] ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation »[6].
[32] Dans l’arrêt Godin[7], l’honorable juge Fish précise qu’une décision ne peut être révisée pour le simple motif que la formation siégeant en révision ne partage pas l’opinion du premier juge administratif, que ce soit à l’égard de l’appréciation de la preuve, de l’interprétation de la règle de droit applicable ou même du résultat de l’analyse ; dans chaque cas, conclut-il, là où plus d’une issue raisonnable est possible, c’est celle retenue par le premier juge administratif qui doit prévaloir :
[51] Accordingly, the Tribunal commits a reviewable error when it revokes or reviews one of its earlier decisions merely because it disagrees with its findings of fact, its interpretation of a statute or regulation, its reasoning or even its conclusions. Where there is room on any of these matters for more than one reasonable opinion, it is the first not that last that prevails.
[33] Dans son arrêt Amar c. CSST[8], la Cour d’appel réitère qu’une divergence d’opinions quant à l’interprétation du droit ne constitue pas un motif de révision.
[34] Dans l’affaire CSST c. Fontaine[9], sous la plume de l’honorable juge Morissette, la Cour reprend avec approbation les propos du juge Fish et ajoute que le vice de fond de nature à invalider dont parle la loi réfère à une « faille » dans la première décision telle qu’elle dénote de la part de son auteur une « erreur manifeste, donc voisine d’une forme d’incompétence, ce dernier terme étant entendu ici dans son acception courante plutôt que dans son acception juridique ».
[35] La même règle fut répétée dans l’arrêt Touloumi[10] :
[5] Il ressort nettement de l’arrêt Fontaine qu’une décision attaquée pour motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision.
[36] Cette approche a toujours cours à la Commission des lésions professionnelles[11].
[37] Il ressort notamment de ce qui précède qu’une décision exhibant un « raisonnement parfaitement intelligible » n’est pas sujette à révision[12].
[38] Ainsi, dans le présent cas, la décision du 17 novembre 2010 fait autorité. Elle ne saurait être révisée pour le motif que le soussigné ne partagerait pas l’opinion du premier juge administratif quant à l’appréciation de la preuve ou l’interprétation du droit ou encore quant à l’issue du litige, à moins qu’à l’égard de l’un de ces sujets, le travailleur ne démontre qu’elle est entachée d’une erreur grave, évidente (manifeste) et déterminante.
[39] Le recours en révision n’est pas un appel.
[40] Qu’en est-il donc des motifs de révocation invoqués par le travailleur dans les présents dossiers ?
[41] Il s’agit d’une affaire où le travailleur, un opérateur de machine industrielle "Sheldahl" (un laminateur à colle) dans l’entreprise de fabrication d’emballage flexible exploitée par l’employeur, alléguait être atteint d’une maladie professionnelle, soit une « tendinopathie chronique sévère des deux (2) épaules et un tunnel carpien bilatéral »[13].
[42] Le soussigné analysera d’abord les contraventions alléguées aux règles de justice naturelle.
[43] Le premier reproche formulé par le travailleur a trait au « bâillon » que le premier juge administratif aurait imposé à ses témoins clés.
[44] En d’autres termes, le travailleur allègue que le premier juge administratif a porté atteinte à son droit fondamental d’être entendu.
[45] Il convient de situer ce grief dans le contexte de l’enquête et audition présidée par le premier juge administratif. À cette fin, le soussigné a procédé à l’écoute de l’enregistrement des deux journées de l’audience tenue les 6 mai 2009 et 3 mai 2010.
[46] Le premier jour d’enquête, le travailleur a choisi de faire entendre deux témoins appelés à sa demande.
[47] L’interrogatoire en chef du premier (monsieur Deschamps), par le représentant du travailleur, a duré un peu plus de 18 minutes. Son contre-interrogatoire, par la procureure de l’employeur, a duré presque six minutes et les questions du banc, à peine trois minutes.
[48] L’interrogatoire en chef du second (monsieur Girard) a duré 62 minutes, alors que le contre-interrogatoire en a duré environ dix.
[49] L’audience a dû être ajournée en raison du manque de temps pour compléter l’enquête et audition.
[50] Le deuxième jour d’enquête, presque un an plus tard, l’interrogatoire en chef du travailleur lui-même a duré 75 minutes, son contre-interrogatoire 31 minutes et son ré-interrogatoire une minute et demie.
[51] Le travailleur a ensuite fait entendre un quatrième témoin (monsieur Bédard Landry) dont l’interrogatoire en chef a duré un peu plus de neuf minutes et le contre-interrogatoire moins de quatre.
[52] L’employeur n’a pas présenté d’autre preuve. Les parties ont convenu de plaider par écrit ; un échéancier a été prévu à cette fin.
[53] Au total, le travailleur a fait entendre quatre témoins pendant 2 heures et 45 minutes ; ils ont répondu aux questions de la procureure de la partie adverse et des membres du banc pendant 54 minutes.
[54] À leur face même, ces données ne supportent pas la thèse du bâillon avancée par le travailleur.
[55] Dans son écoute de l’enregistrement d’audience, le soussigné a porté une attention particulière au ton employé par le premier juge administratif pour vérifier l’assertion du travailleur selon laquelle le « comportement à l’audience » de celui-ci aurait été reprochable.
[56] Toutes les interventions du premier juge administratif ont été pondérées, empreintes de courtoisie et exemptes de rebuffade. Le soussigné n’y a perçu aucune agressivité ni tentative d’intimider ou de museler qui que ce soit. Les rares interruptions survenues dans le cours de l’interrogatoire étaient nécessaires à la bonne compréhension par le premier juge administratif de la preuve offerte. Tel qu’il en sera fait mention plus loin, les remarques qu’il a formulées n’avaient pas pour but de limiter le travailleur dans sa preuve, mais au contraire de l’inciter à en présenter une qui soit pertinente et convaincante.
[57] D’ailleurs, le travailleur ne cite à la Commission des lésions professionnelles siégeant en révocation aucun extrait précis dans la transcription qui soit susceptible d’attester sa thèse voulant que le comportement du premier juge administratif à l’audience ait équivalu à l’imposition d’un soi-disant bâillon. Le soussigné n’a, pour sa part, rien constaté de tel.
[58] Dans son argumentation écrite, le représentant du travailleur fait état de « la colère et l’impatience du Commissaire, sans raison ».
[59] Le soussigné n’a décelé aucun signe de colère chez le premier juge administratif, que ce soit à la lecture de la transcription faite par une sténographe ou à l’écoute de l’enregistrement audio.
[60] Quant à l’impatience, le seul extrait précis de la transcription sténographique auquel le représentant du travailleur réfère la Commission des lésions professionnelles siégeant en révocation qui soit susceptible d’être interprété comme révélant des signes d’impatience de la part du premier juge administratif est le suivant :
Moi, je déplore, je trouve ça inacceptable de faire perdre le temps du Tribunal. Je vous ai précisé tantôt, là, c’était quoi la preuve en matière de tendinite. Jusqu’à date, là, vous n’avez pas fait grand-chose par rapport à ce qui est exigé par la Loi.
Puis, on va passer l’avant-midi là-dessus, puis on n’aura probablement pas fini, il va falloir revenir.
[61] Cet extrait s’inscrit cependant dans un contexte particulier qu’il convient de rappeler ici, soit :
- Le 6 mai 2009, la durée prévue de l’audience était d’une demi-journée, en avant-midi ;
- L’échange dont fait partie l’extrait précité s’est déroulé quelques minutes après 11 heures :
- L’extrait précité fait partie d’un échange entre le tribunal et les représentants des parties à la suite d’une objection à la preuve formulée par la procureure de l’employeur. Le représentant du travailleur avait demandé à un ancien collègue de travail du travailleur (monsieur Stéphane Girard) « quel est le pourcentage, selon vous, de tâches qui sont physiques, à être effectuées sur la machine ["Sheldahl"] ? ». Au soutien de son objection, la procureure de l’employeur a plaidé que le témoin n’avait pas la qualité requise pour répondre à cette question, puisqu’il n’avait pas procédé à une analyse de « temps et mouvements » de la tâche en cause ;
- D’ailleurs, une « analyse ergonomique » était déjà consignée au dossier ;
- Lors de l’interrogatoire du témoin précédent (monsieur Daniel Deschamps), le premier juge administratif avait fait droit à une autre objection du même genre, pour le motif que le témoin n’avait aucune compétence en ergonomie ;
- À l’occasion d’une autre objection (cette fois, à l’encontre d’une question demandant au même témoin pourquoi il trouvait trop difficile de travailler avec cette machine), le premier juge administratif avait rappelé la démonstration requise du travailleur quant aux mouvements accomplis dans le cadre de son travail :
Parce que la Loi prévoit qu’il faut faire la démonstration d’un travail impliquant des répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongées pour pouvoir être victime d’une tendinite d’origine professionnelle.
Jusqu’à maintenant, on n’a pas beaucoup de descriptions de mouvements exercés sur la machine, là. C’est qu’il y a toutes sortes de difficultés, là. Je peux vous parler de problèmes qu’on a ici, puis qu’on n’aime pas faire, puis qu’on devrait passer à d’autres. Je veux dire, ça n’avance pas beaucoup la preuve, là, par rapport aux mouvements répétitifs que monsieur Brazeau pouvait faire.
- Un peu plus loin dans le même interrogatoire, le représentant du travailleur demande au témoin « Mais, pourquoi c’est plus plaisant [de travailler sur la machine "Egan" que sur la "Sheldahl"] ? La procureure de l’employeur intervient à nouveau pour souligner ; il s’en suit l’échange suivant au cours duquel le premier juge administratif doit, encore une fois, rappeler au représentant du travailleur la preuve qu’il doit offrir au soutien de sa réclamation :
ME FRANCINE LEGAULT :
Monsieur le Commissaire …
MONSIEUR LE COMMISSAIRE :
Je ne comprends pas, monsieur …
ME FRANCINE LEGAULT :
Il est rendu midi moins vingt (11 h 40).
MONSIEUR LE COMMISSAIRE :
Tout la preuve que vous avez faite jusqu’à maintenant, là, ne démontre pas beaucoup de choses par rapport aux mouvements qui sont effectués par le travailleur sur la machine "Sheldahl".
La Loi dit que pour reconnaître une tendinite, puis là on est dans une tendinopathie, comme lésion professionnelle, il faut démontrer un travail impliquant des répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongées.
L’inconfort d’un milieu de travail, là, ou de poste de travail, ça ne démontre pas des mouvements répétitifs, des répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongées. À date, votre preuve, là, est …
M. ÉRIC MARSAN :
Monsieur le Commissaire, on a décrit les poids qu’il avait à manipuler. On a des palans …
MONSIEUR LE COMMISSAIRE :
Oui, oui, mais en quoi ça décrit ce que vous m’avez fait comme démonstration, là, des répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongées ?
[…]
MONSIEUR LE COMMISSAIRE :
Sauf qu’on n’a pas des descriptions des mouvements qui sont exercés.
[…]
MONSIEUR LE COMMISSAIRE :
En tout cas, continuez, là.
- De fait, après cet échange, le représentant du travailleur a continué son interrogatoire en chef jusqu’à 11 heures 50, soit pendant environ 45 minutes après que les remarques citées au paragraphe 60 des présentes aient été faites par le premier juge administratif ;
- La procureure de ‘employeur a ensuite contre-interrogé ce témoin pendant dix minutes environ ;
- À midi 14, le premier juge administratif s’apprêtait à clore l’audience. Le représentant du travailleur a alors demandé que le tribunal procède à une visite des lieux en usine. Après un nouvel échange dont il sera question plus loin, l’audience a finalement été déclarée close à midi 17 ;
- Lors de la deuxième journée d’enquête et audition, le 3 mai 2010, le représentant du travailleur a continué de présenter sa preuve pendant encore une heure et demie additionnelle ;
- Après une heure et 20 minutes de témoignage du travailleur au cours de cette deuxième journée du 3 mai 2010, le premier juge administratif a tenté, à nouveau, d’orienter le représentant du travailleur vers la présentation d’une preuve pertinente et probante :
MONSIEUR LE COMMISSAIRE :
Mais, monsieur, un instant, là. Écoutez, je ne comprends pas où vous allez, là, parce que …
M. ÉRIC MARSAN :
C’est juste parce que monsieur aborde les changements qui a eu lieu sur la "Sheldahl".
MONSIEUR LE COMMISSAIRE :
Oui, mais regardez, là, vous avez un rapport d’ergonome, là, qui est clair, qui nous indique, j’imagine que c’est ça, là. (…)
[…]
Je ne sais pas comment … vous ne pouvez pas contredire un rapport d’expert que vous avez produit, là, par le témoignage de monsieur Brazeau.
[…]
Parce que jusqu’à maintenant, là, écoutez, le témoignage de monsieur Brazeau, il a parlé … il a porté plus sur ce que qui ne marchait pas par rapport aux machines que par rapport aux gestes qu’il pouvait poser pour opérer les machines qu’il y avait dans l’entreprise.
En tout cas, ses descriptions, là, de ce qui ne fonctionnait pas, ça ne porte pas beaucoup sur l’utilisation des ses membres supérieurs, là, jusqu’à maintenant.
- Le représentant du travailleur a ensuite fait entendre un autre opérateur de laminateur, monsieur Sylvain Bédard Landry. À la 42e minute du témoignage de ce dernier, le représentant du travailleur lui demande si le travailleur lui a dit quelle était « la cause » des douleurs qu’il ressentait aux épaules. Cette question a suscité l’intervention suivante du premier juge administratif :
MONSIEUR LE COMMISSAIRE :
Écoutez, monsieur Marsan, là, vous allez un peu loin. Il y a des informations médicales que monsieur Bédard n’est pas en mesure …
M. ÉRIC MARSAN :
Bien, en étant collègue de travail …
MONSIEUR LE COMMISSAIRE :
… d’infirmer ou de confirmer.
M. ÉRIC MARSAN :
En étant un collègue de travail, il aurait pu préciser s’il avait dit une autre nature pour la cause des douleurs.
MONSIEUR LE COMMISSAIRE :
Ce n’est pas un témoignage pertinent et probant celui … On sait qu’il avait mal aux épaules depuis mil neuf cent quatre-vingt-dix (1990), monsieur Brazeau. Il a sûrement dû en parler à ses collègues de travail.
M. ÉRIC MARSAN :
Et, vous ne voulez pas savoir sur quelle cause qu’il a pu avoir mal, ce qu’il aurait pu en expliquer à ses confrères, en faisant quoi, qu’il peut avoir mal.
MONSIEUR LE COMMISSAIRE :
En tout cas, il y a de nombreuses causes probantes, là, dans les notes évolutives médicales qui ont été soumises au Tribunal et pour lesquelles on n’a pas eu de preuve sauf le dépôt des notes médicales qui à mon avis présentent une force probante parce qu’elles n’ont pas été infirmées.
M. ÉRIC MARSAN :
Je n’ai pas d’autres questions, monsieur Bédard.
- L’écoute de l’enregistrement audio du segment de l’audience pertinent permet de constater que le ton employé par le premier juge administratif pour faire le commentaire cité au paragraphe 60 des présentes était poli, modéré, respectueux, totalement dénué de colère et bien en-deçà de l’exaspération normalement associée à une manifestation d’impatience.
[62] À la lumière de ce qui précède, le soussigné constate que le soi-disant moment d’impatience du premier juge administratif, le 6 mai 2009, n’a pas empêché le travailleur d’administrer sa preuve, par la suite, pendant deux heures additionnelles.
[63] Le soussigné constate aussi qu’après chacune de ses interventions, le premier juge administratif invite le représentant du travailleur à poursuivre son interrogatoire, ce dont le représentant se prévaut ou déclare qu’il n’a plus de questions à poser.
[64] L’on ne saurait donc conclure que l’impatience du premier juge administratif a eu pour effet d’imposer le bâillon aux témoins du travailleur et de priver ce dernier de son droit à être entendu.
[65] La Commission des lésions professionnelles est un tribunal administratif, c’est-à-dire un organisme de l’ordre administratif qui exerce une fonction juridictionnelle.
[66] Le premier alinéa de l’article 1 de la Loi sur la justice administrative[14] rappelle les caractéristiques spécifiques de l’ordre administratif de la justice, dont notamment la célérité et l’accessibilité :
1. La présente loi a pour objet d'affirmer la spécificité de la justice administrative et d'en assurer la qualité, la célérité et l'accessibilité, de même que d'assurer le respect des droits fondamentaux des administrés.
Elle établit les règles générales de procédure applicables aux décisions individuelles prises à l'égard d'un administré. Ces règles de procédure diffèrent selon que les décisions sont prises dans l'exercice d'une fonction administrative ou d'une fonction juridictionnelle. Elles sont, s'il y a lieu, complétées par des règles particulières établies par la loi ou sous l'autorité de celle-ci.
La présente loi institue également le Tribunal administratif du Québec et le Conseil de la justice administrative.
1996, c. 54, a. 1.
[67] L’article 11 de la même loi prévoit que tout organisme de l’ordre administratif exerçant une fonction juridictionnelle doit mener les débats avec souplesse :
11. L'organisme est maître, dans le cadre de la loi, de la conduite de l'audience. Il doit mener les débats avec souplesse et de façon à faire apparaître le droit et à en assurer la sanction.
Il décide de la recevabilité des éléments et des moyens de preuve et il peut, à cette fin, suivre les règles ordinaires de la preuve en matière civile. Il doit toutefois, même d'office, rejeter tout élément de preuve obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux et dont l'utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. L'utilisation d'une preuve obtenue par la violation du droit au respect du secret professionnel est réputée déconsidérer l'administration de la justice.
1996, c. 54, a. 11.
[68] L’article 429.2 de la loi prévoit que les séances de la Commission des lésions professionnelles sont présidées par le commissaire :
429.2. Les séances de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions, sont présidées par le commissaire.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[69] L’article 378 de la loi investit les commissaires de la Commission des lésions professionnelles de tous les pouvoirs d’enquête « nécessaires à l’exercice de leurs fonctions » :
378. La Commission des lésions professionnelles et ses commissaires sont investis des pouvoirs et de l'immunité des commissaires nommés en vertu de la Loi sur les commissions d'enquête (chapitre C-37), sauf du pouvoir d'ordonner l'emprisonnement.
Ils ont en outre tous les pouvoirs nécessaires à l'exercice de leurs fonctions; ils peuvent notamment rendre toutes ordonnances qu'ils estiment propres à sauvegarder les droits des parties.
Ils ne peuvent être poursuivis en justice en raison d'un acte accompli de bonne foi dans l'exercice de leurs fonctions.
__________
1985, c. 6, a. 378; 1997, c. 27, a. 24.
[70] Le Règlement sur la preuve et la procédure de la Commission des lésions professionnelles[15] (le règlement sur la preuve) a pour objectif d’assurer un « traitement simple, souple et rapide des demandes soumises, notamment par la collaboration des parties et des représentants » :
1. Le présent règlement s'applique aux recours sur lesquels la Commission des lésions professionnelles statue en vertu de l'article 369 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001).
Il vise le traitement simple, souple et rapide des demandes soumises, notamment par la collaboration des parties et des représentants et par l'utilisation des nouvelles technologies de l'information et des communications, dans le respect des règles de justice naturelle et de l'égalité des parties.
D. 217-2000, a. 1.
[71] L’article 28 du règlement sur la preuve prévoit que le juge administratif peut refuser de recevoir une preuve qu’il considère non pertinente ou inutilement répétitive :
28. Le commissaire peut refuser de recevoir une preuve qui n'est pas pertinente, qui est inutilement répétitive ou qui n'est pas de nature à servir les intérêts de la justice.
D. 217-2000, a. 30; D. 618-2007, a. 25.
[72] Prises ensemble, les dispositions législatives et réglementaires précitées montrent que le juge administratif chargé de la gestion de l’audience est investi de pouvoirs étendus afin notamment de veiller, avec la collaboration des parties et de leurs représentants, à ce que le temps d’audience ne soit pas consacré à l’administration d’une preuve jugée non pertinente ou inutilement répétitive, le tout en vue d’assurer l’efficacité et la célérité spécifiques à la justice administrative.
[73] En montrant sa préoccupation à l’égard de l’utilisation des ressources - forcément limitées - du tribunal en matière de temps d’audience mis à la disposition des parties, le premier juge administratif a simplement joué son rôle de gestionnaire de l’audience. Le travailleur n’a pas démontré que, de ce fait, son droit à être entendu a été brimé.
[74] L’invitation, maintes fois répétée, par le premier juge administratif faite au représentant du travailleur de présenter une preuve démontrant que le travail exercé par son client impliquait des répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongées référait expressément au contenu de la preuve nécessaire, tel que notamment l’article 29 de la loi et à la section pertinente (IV) de l’annexe I l’identifient :
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
__________
1985, c. 6, a. 29.
ANNEXE I
MALADIES PROFESSIONNELLES
(Article 29)
SECTION IV
MALADIES CAUSÉES PAR DES AGENTS PHYSIQUES
MALADIES |
GENRES DE TRAVAIL |
|
|
1. (…) |
(…); |
2. Lésion musculo-squelettique se manifestant par des signes objectifs (bursite, tendinite, ténosynovite): |
un travail impliquant des répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongées; |
[…] |
[…] |
__________
1985, c. 6, annexe I.
[75] Le soussigné ne voit pas dans les commentaires du premier juge administratif une tentative d’empêcher le travailleur de faire sa preuve, mais « plutôt une certaine transparence dans la gestion de l'audience dans le but de permettre à une partie de bien faire sa preuve et de l'orienter vers les questions essentielles et percutantes »[16].
[76] Le représentant du travailleur adresse aussi le reproche suivant au premier juge administratif : « le Commissaire (...) s’objecte à notre demande de déplacer le tribunal sur les lieux du travail »
[77] La transcription par sténographe de l’enregistrement de l’audience fait voir comment ce sujet a été abordé, à la toute fin de la première journée d’audience, et comment le premier juge administratif en a disposé :
M. ÉRIC MARSAN :
Écoutez, Monsieur le Commissaire, peut-être pour éviter la redondance puis je vois qu’on a tous à peu près la même problématique de bien situer les actions, les descriptions, les efforts à appliquer autant sur la "Egan" que la "Sheldahl", peut-être qu’il serait pertinent de faire une visite du poste.
Je sais que c’avait déjà été abordé par maître Malo. C’est-tu ça, l’ancien représentant syndical ? J’ai eu une mention comme quoi c’avait été abordé avec les représentants de l’employeur, mais je n’ai pas eu de réponse.
MONSIEUR LE COMMISSAIRE :
Écoutez, je vais analyser la question, mais à date, là, ça ne me paraît pas pertinent, là, d’ordonner une visite des lieux. On a une description des tâches qui ont été faites, là, par une personne de l’entreprise, là.
Jusqu’à maintenant, cette description de tâches là semble assez fidèle à ce qui se passe au niveau des opérations. Il s’agira de vérifier auprès du travailleur quels sont les gestes qu’il pose à chacune de ces tâches-là.
Et, si la preuve est la même, là, jusqu’à maintenant, je vous réitère mon interrogation puis il faut faire la démonstration comme le prévoit la Loi de mouvements répétitifs sur des périodes …
M. ÉRIC MARSAN :
Prolongées.
MONSIEUR LE COMMISSAIRE :
C’est ça. Il n’y a pas d’autre façon d’attribuer une tendinite au travail. Alors, je ne crois pas que ça soit nécessaire d’aller faire une visite des lieux. C’est de l’énergie autant pour les parties que pour le Tribunal.
Et, je pense qu’on a suffisamment de description pour évaluer qu’est-ce qui se passe au travail dans cette entreprise-là pour ne pas aller voir de visu, là … pour aller voir de visu ce qui se passe réellement.
Alors je ne pense pas que je vais modifier la décision que je vous communique actuellement. Alors, on ajourne.
[78] Pareille demande de visite des lieux n’a pas été réitérée par la suite, notamment à la fin de la deuxième journée d’audience, un an plus tard, avant que le représentant du travailleur ne déclare sa preuve définitivement close.
[79] Ainsi, le premier juge administratif a répondu à la demande de visite des lieux de travail par la négative, parce que la preuve déjà disponible au dossier constitué et à l’enquête suffisait, selon lui.
[80] Comme le rapporte la décision rendue le 17 novembre 2010, plusieurs éléments démontrant et analysant en détails la tâche du travailleur faisaient déjà partie de la preuve au moment où le représentant du travailleur a présenté sa demande de visite des lieux de travail : la CSST avait déjà fait enquête auprès du travailleur et obtenu de sa part une description précise de son travail [paragraphes 17 et 18 de ladite décision], une analyse ergonomique des différentes tâches du travailleur avait été effectuée par l’employeur, en avril 2007 [paragraphes 20 et 21 de la décision].
[81] De plus, à la demande du représentant du travailleur, une ergothérapeute et ergonome a rédigé un rapport d’évaluation du poste du travailleur, en septembre 2009 [paragraphes 30 à 33 et 40 à 44 de la décision].
[82] Enfin, les témoignages présentés à l’audience ont permis au travailleur de fournir toute l’information additionnelle qu’il jugeait utile quant aux particularités et paramètres d’exécution de sa tâche.
[83] Ainsi, le tribunal a disposé de divers éléments de preuve amplement suffisants pour apprécier les gestes accomplis par le travailleur dans l’exécution de son travail et déterminer leur éventuelle relation avec la lésion diagnostiquée.
[84] Dans l’affaire Chellag et Usine de filières canadiennes ltée[17], la Commission des lésions professionnelles que la nécessité de procéder à un enregistrement vidéo du poste de travail devait être démontrée pour que le tribunal l’ordonne. Elle a de plus déclaré que « l'absence d'un tel moyen de preuve n'empêche pas le travailleur d'avoir droit à une audience juste et équitable, notamment par le dépôt d'une étude ergonomique ».
[85] Dans l’affaire Girard et CSST[18], il a été décidé que l’utilité et la pertinence d’une étude ergonomique de poste devaient être démontrées avant que le tribunal ne délivre une ordonnance en ce sens. De plus, il a été souligné qu’un « travailleur pourra, par son témoignage, décrire les positions adoptées et la preuve médicale devra démontrer le mécanisme de production de l’arthrose multi-étagée » et qu’en conséquence, « l’étude ergonomique du poste de travail n’est donc pas nécessaire ».
[86] Dans l’affaire Bélanger et Alimentation André Lalande[19], il a été décidé que « la travailleuse n’a pas démontré que l’observation de son poste de travail en situation réelle était justifiée, d’autant plus que le but visé pourra être atteint en effectuant une simulation sur les lieux du travail, principe qui est accepté par l’employeur, tout en permettant à la travailleuse d'apporter des précisions à son ergonome - la travailleuse pourra, lors de la simulation ou par la suite, apporter toutes les précisions et nuances nécessaires à l’ergonome en vue de préparer la preuve qu’elle entend soumettre au tribunal ».
[87] En l’espèce, le travailleur n’a pas démontré l’utilité et la pertinence d’une visite des lieux de travail ni en quoi son absence avait porté préjudice à son droit d’être entendu.
[88] De façon générale, le travailleur n’a pas démontré que le premier juge administratif a enfreint la règle de justice naturelle lui assurant d’être entendu.
[89] Qu’en est-il maintenant de l’allégation de partialité énoncée par le représentant du travailleur dans les termes suivants : « En effet, durant les pauses et à la fin de l’audience, le Commissaire a démontré des comportements vis-à-vis de la représentante de l’employeur qui mettaient en doute son impartialité - Il y avait une ambiance de franche camaraderie entre eux, et l’opposé pour le travailleur et son représentant » ?
[90] Devant la Commission des lésions professionnelles siégeant en révocation, le travailleur a choisi de ne présenter aucune preuve relativement à ce qui se serait passé « durant les pauses », pas même d’en témoigner lui-même.
[91] Or, évidemment, pendant les pauses prises lors des journées d’audience présidées par le premier juge administratif, les échanges entre celui-ci et les parties et/ou leurs représentants - si tant il est vrai qu’il y en eut - n’ont pas été enregistrés.
[92] L’allégation du travailleur à cet égard n’a donc pas été démontrée, d’aucune façon.
[93] Pour ce qui est de semblables échanges « à la fin de l’audience », le représentant du travailleur écrit ce qui suit : « nous dirigeons le tribunal à la fin de l’enregistrement audio de l’audience de la seconde journée ».
[94] Il y a donc lieu de citer ici les extraits pertinents de la transcription par sténographe de l’enregistrement de la fin de l’audience tenue le 3 mai 2010 :
MONSIEUR LE COMMISSAIRE :
Ça termine votre preuve ?
M. ÉRIC MARSAN :
Oui.
MONSIEUR LE COMMISSAIRE :
Preuve close. Du côté de l’employeur ?
- - PREUVE DE LA PARTIE REQUÉRANTE CLOSE - -
ME FRANCINE LEGAULT :
Nous, on n’a pas de preuve supplémentaire.
MONSIEUR LE COMMISSAIRE :
Alors, vous avez suffisamment de quarante minutes (0 :40) pour faire vos plaidoyers ?
ME FRANCINE LEGAULT :
Moi, je vais vous demander , si c’est possible, de faire une argumentation par écrit.
MONSIEUR LE COMMISSAIRE :
O.k.
ME FRANCINE LEGAULT :
Comme je vous le disais, j’ai malheureusement une contrainte à treize heures trente (13 h 30) à Longueuil. Alors, comme je comprenais que pour monsieur Marsan, ça lui convenait de faire des argumentations écrites …
M. ÉRIC MARSAN :
Oui, oui, il n’ya pas de problème. La seule chose …
ME FRANCINE LEGAULT :
Je vous demanderais si c’était possible de le faire.
[…]
M. ÉRIC MARSAN :
Parfait.
MONSIEUR LE COMMISSAIRE :
Alors, vous avez besoin de combien de temps pour produire votre argumentation, monsieur Marsan ?
M. ÉRIC MARSAN :
Deux (2) semaines.
MONSIEUR LE COMMISSAIRE :
Donc, on serait … là, on est le trois (3), donc le dix-sept (17) mai. Maître Legault ?
ME FRANCINE LEGAULT :
Je vais vous demander deux (2) semaines supplémentaires.
MONSIEUR LE COMMISSAIRE :
Donc, le premier (1er) juin ?
ME FRANCINE LEGAULT :
Ça me va.
MONSIEUR LE COMMISSAIRE :
Est-ce que vous avez besoin d’un délai pour réagir à la plaidoirie de … ?
M. ÉRIC MARSAN :
Non.
MONSIEUR LE COMMISSAIRE :
Non. Alors, preuve close et le dossier sera mis en délibéré à partir du moment où on aura reçu l’argumentation de chacune des parties.
ME FRANCINE LEGAULT :
Je vous remercie.
M. ÉRIC MARSAN :
Merci.
MONSIEUR LE COMMISSAIRE :
Merci. Bonne fin de journée !
ME FRANCINE LEGAULT :
Merci. À vous aussi.
MONSIEUR LE COMMISSAIRE :
Bon voyage à Longueuil …
- - PREUVE CLOSE GÉNÉRALEMENT - -
(PLAIDOIRIES ÉCRITES)
(DÉLIBÉRÉ)
- - À 11 H 55, L’AUDIENCE EST AJOURNÉE
[95] Le soussigné ne voit rien dans les extraits précités qui démontre une quelconque partialité chez le premier juge administratif. Il n’y a ni marque de préférence à l’endroit de la procureure de l’employeur ni manifestation de rejet envers le travailleur et son représentant.
[96] Le soussigné estime plutôt qu’un tel échange de remerciements et de salutations n’est qu’une marque de civilité de bon aloi à la fin d’une enquête et audition devant le tribunal. Au contraire de les déplorer, j’estime qu’elles doivent être encouragées.
[97] Souhaiter bonne route à une personne qui s’apprête à faire le trajet de Joliette à Longueuil sur l’heure du lunch pour satisfaire à un autre engagement n’est pas faire montre d’un quelconque biais favorable à son endroit ni défavorable à l’autre partie.
[98] L’allégation de partialité est dénuée de tout fondement.
[99] Au final et pour l’ensemble, les allégations de contravention aux règles de justice naturelle ne sont pas avérées par la preuve.
[100] Elles ne justifient donc pas la révocation de la décision rendue le 17 novembre 2010.
[101] Mais, il y a plus encore …
[102] La lettre que le représentant du travailleur a adressée au premier juge administratif, le 17 mai 2010, pour lui transmettre son argumentation écrite débute comme suit :
Malgré le fait que nous comprenons que le tribunal a déjà statué sur sa décision à rendre sur les présents dossiers lors de la fin de première journée d’audience et à la fin de la seconde, il nous semble de mise de rappeler les litiges et la preuve au dossier.
[103] Cette entrée en matière est injustifiée au vu de la transcription par sténographe de l’enregistrement des audiences. En effet, rien n’indique que le premier juge administratif ait préjugé de l’affaire avant que la preuve ne soit close et les arguments reçus.
[104] Il en va de même des commentaires suivants apparaissant sous la rubrique Commentaire face au Tribunal et conclusion qu’il convient de citer intégralement :
Cependant, il fut clair de vos propos, (…)[20], qu’il y aurait tant d’autres causes possible selon vous pour ces blessures, mais vous n’avez pas jugé bon de poser les questions pour éclaircir vos propres questions face à la requête du travailleur et qu’il nous aurait fallut deviner.
Il en fut de même pour l’analyse ergonomique démontrant les gestes fortement à risques de causer des blessures au travailleur, rapport réaliser par une ergothérapeute ayant également l’accréditation d’ergonome, mais vous avez plutôt démontré rejeter ses conclusions puisque l’ergonome n’aurait pas eu le dossier médical complet de toutes les consultations depuis plus de vingt ans (preuve T-l). Il est clair que ceci, bien qu’il en soit votre droit d’avoir cette réflexion, nous semble rien de moins qu’abusive et contraire aux critères de preuve exigés par les tribunaux pour traiter d’une réclamation.
Concernant T-l, les passages repris par Me Legault et vous-mêmes, démontre des consultations depuis 1990 ou le travaille aurait eu des consultations médicales en raison de son travail et de douleurs accentuées dans des faits anodins. Nous soulignons que les médecins mentionnent un travail exigeant physiquement avec engourdissement, et même l’ostéopathe Cadieux rapporte des douleurs de son patient causé par le travail. Mais il est vrai que l’on peut voir ce que l’on veut...
Nous avons souligné que le dossier CLP entier fut transmis à l’ergonome, mais sans les archives médicales du Dr Pouliot depuis 1990, et que nous sommes surpris que vous faites ce constat d’exigence particulière, plusieurs mois après le dépôt du rapport de l’ergonome et en vous mettant d’accord avec Me Legault à cet effet. Tout comme Me Legault qui aurait voulu questionné l’ergonome, mais son client qui ne collabore pas avec l’ergonome par courriel sur les rapports de productivité exagéré et d’écrit par l’employeur, ça, personne n’en parlera.
Il n’y aura également aucune discussion sur le fait que nous avions demandé que la deuxième journée d’audience soit pour une journée complète, mais que seulement une demi-journée fut réservée à la CLP.
Il nous semble clair également que le résultat de l’audience fut biaisé dès le départ, puisque dans la gestion de notre preuve, il nous fut impossible de faire témoigner nos témoins sur l’entièreté des questions susceptibles d’éclairer le tribunal sur les litiges et même votre lettre du 21 mai 2009 confirme que malgré l’ensemble de la preuve, vous sembliez ne pas voir l’application des pressions prolongées des membres supérieurs tant sur les palans, le nettoyage quotidien et autres tâches excessives réalisées sur des machines non ergonomiques, avec bris fréquents, qui exigeaient des efforts trop nombreux selon les témoins qui ont témoigné devant le Tribunal.
Il nous semble également clair que le Tribunal voulait s’assurer que le travailleur reçoive des indemnités d’invalidité de son assureur... mais ceci nous semblait une incongruité avec le litige de maladie professionnelle. Nous rappelons que le litige était des lésions en lien avec le travail. Donc peu importe la source de revenu du travailleur, le recours a des indemnités CSST ont toujours été le revenu se rapprochant le plus du salaire perdu.
Donc malgré l’impression de chose jugée dès la première heure, nous attendrons votre décision et la traiterons en conséquence.
Sincèrement,
[sic]
[105] Vu la référence faite, dans l’extrait précité, à une « lettre du 21 mai 2009 », il convient de souligner qu’elle a été expédiée par le premier juge administratif en réponse à une missive du représentant du travailleur portant la date du 13 mai précédent.
[106] Il convient de citer ici les extraits pertinents de ces deux lettres :
Lettre du représentant du travailleur au premier juge administratif, le 13 mai 2009 :
Suite au début d’audience du 6 mai 2009, vous avez clairement fait savoir que le tribunal ne retrouvait pas les répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongées dans les témoignages entendu ce jour là. De plus vous avez jugé adéquat d’admettre les documents en page 6 9 du dossier CLP comme étant une évaluation formelle ergonomique, sans signature du professionnel, sans reconnaissance professionnelle de formation et surtout sans analyse des mouvements physiques décrit dans le rapport1.
De ce fait, avant de poursuivre l’audience, nous vous demandons une décision formelle du tribunal pour déplacer les membres de la Commission sur les lieux du travail, afin de bien faire valoir les explications du travailleur ainsi que de ses témoins. La présente demande est faite dans le principe de la règle « audi alteram partem ». En effet, la preuve requiert cette visite de poste, à défaut de quoi, le travailleur devra solliciter un rapport ergonomique formel, ce qui engendrera des frais importants au travailleur pour démontrer l’application de l’article 29 de la LATMP.
Nous demandons donc une visite de poste d’une demie journée, pendant lequel l’employeur effectuera une production standard (emballage à café), et ensuite il y aura témoignage du travailleur et du dernier témoin. Ceci pourrait donc se faire dans une seule et même journée.
A défaut d’acquiescer à notre demande, nous demandons subsidiairement le consentement du tribunal et de l’employeur afin qu’un ergothérapeute ou d’un ergonome puisse valider un rapport formel des sollicitations musculaires des membres supérieures aux poste de la EGAN et de la SHELDHAL. [sic]
________________________
1 Nous n’avons aucunement donné notre accord à cette reconnaissance d’« expertise ».
Lettre du premier juge administratif au représentant du travailleur, le 21 mai 2009 :
Comme suite à votre correspondance du 13 mai courant aux termes de laquelle vous demander à la Commission des lésions professionnelles (le tribunal) de poursuivre l’audience sur les lieux de travail de monsieur Daniel Brazeau, le travailleur, je vous réitère la décision rendue sur la même question le 6 mai dernier: le tribunal n’estime pas nécessaire d’accéder à votre requête et ne voit pas en quoi une visite des lieux pourrait l’éclairer davantage.
Vous avez effectivement bien compris que la preuve que vous avez présentée lors de l’audience du 6 mai ne démontrait pas que monsieur Brazeau exerçait un travail impliquant des répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongées. Jusqu’à maintenant, et compte tenu de la preuve que vous avez présentée, le tribunal n’estime toujours pas approprié de procéder à une visite des lieux et vous rappelle qu’il vous appartient de faire la preuve de cette répétition de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongées.
Le refus du tribunal de procéder à la visite des lieux que vous sollicitez n’enfreint toutefois en rien la règle audi alteram partem. Le tribunal demeure ouvert à vous entendre et à vous permettre de présenter toute preuve pertinente que vous jugerez nécessaire aux fins de faire valoir les droits de monsieur Brazeau.
Vous me permettrez de corriger l’impression selon laquelle le tribunal a accepté la description d’emploi contenue aux pages 6 à 9 du dossier du tribunal comme étant une évaluation ergonomique. Ce document, réalisé par monsieur Yann Lamontagne intitulé «analyse ergonomique» et contenu au dossier constitué par la CSST à propos de la réclamation de monsieur Brazeau, fait partie de la preuve soumise au tribunal. Le tribunal n’a pas qualifié ce document ni cette preuve. Il a simplement accepté l’offre de M Francine Legault, la procureure de Corporation d’emballage Flexible Sonoco, de déposer le curriculum vitae de l’auteur de cette analyse. Par ailleurs, vous avez sans doute trouvé cette analyse fort utile puisqu’elle vous a permis d’ordonnancer le témoignage de vos témoins.
En ce qui a trait à l’étude ergonomique que vous entendez réaliser à propos des tâches exercées par le travailleur, je vous prie de communiquer avec la procureure de l’employeur afin de convenir, le cas échéant, d’une façon de procéder et de réaliser l’étude que vous estimez nécessaire.
[107] Le soussigné ne trouve rien dans cet échange de lettres (celles des 13 et 21 mai 2009) qui vienne supporter les allégations que le représentant du travailleur formule dans sa lettre du 17 mai 2010.
[108] En dépit du fait que lesdites allégations n’étaient pas fondées, le premier juge administratif n’en a pas moins répondu par une lettre offrant au représentant du travailleur de remédier aux soi-disant contraventions aux règles de justice naturelle en déposant une demande de réouverture d’enquête et/ou de récusation. Il convient de citer les extraits suivants de cette lettre expédiée au représentant le 21 mai 2010 :
L’argumentation que vous avez fait parvenir au soussigné dans l’affaire mentionnée en titre comporte, à la rubrique Commentaire face au Tribunal et conclusion, des allégations fort sérieuses quant au droit d’être entendu de monsieur Daniel Brazeau (le travailleur) et quant à l’impartialité du tribunal.
[…]
Quant à l’analyse ergonomique que vous avez produite, je tiens à vous souligner que l’ergonome qui l’a réalisée formule l’opinion qu’à l’observation des activités de monsieur Brazeau, elle ne constate pas de mouvements répétitifs pour les épaules. Elle ajoute que «les mouvements exécutés sont variés », que «les opérations ne sont pas répétées dans un cycle court » et il y a « des micropauses ».
C’est également le constat que le tribunal avait fait à la fin de la première demi- journée d’audience du 6 mai 2009. Ce constat ne visait qu’à vous donner l’opportunité de compléter votre preuve.
[…]
Alors, si vous jugez que vous n’avez pas été en mesure de présenter toute la preuve que vous souhaitiez faire, le tribunal apprécierait en être informé et pourrait, s’il le juge pertinent, procéder à une réouverture d’enquête afin de vous permettre de soumettre la preuve que vous n’auriez pu produire.
Vous reprochez en outre au soussigné d’avoir été biaisé dès le départ puisque la gestion de l’audience vous aurait empêché «de faire témoigner [vos] témoins sur I ‘entièreté des questions susceptibles d‘éclairer le tribunal sur les litiges » qui lui était soumis.
Les propos que vous tenez, tant sur le mode de gestion de l’audience qu’à l’endroit du soussigné, sont graves et m’obligent à suspendre le traitement de la requête du travailleur jusqu’à ce que vous décidiez, soit de demander une réouverture d’enquête en précisant clairement les motifs de votre demande et la nature de la preuve additionnelle que vous souhaitez soumettre, soit de demander la récusation du soussigné, en précisant également les motifs de cette dernière demande.
[109] Par sa lettre du 25 mai 2010, le représentant du travailleur a décliné l’offre de réouverture d’enquête et de demande de récusation que le premier juge administratif lui a faite dans les termes suivants :
Nous n’avons aucun motif justifiant une demande de réouverture d’enquête (puisque nous avions déjà justifié le témoignage des témoins, refusé par vous-même) ou une demande de récusation (celle-ci ne peut se faire sur des impressions).
[110] Il faut souligner que, tel qu’il appert de celles-ci, le travailleur a personnellement été mis en copie de toutes et de chacune des lettres échangées par son représentant et le premier juge administratif.
[111] Le soussigné en retient que le travailleur s’est vu offrir l’opportunité de présenter des demandes bien concrètes qui étaient aptes à corriger — si besoin était — la situation invoquée par son représentant ; il a décidé de ne pas s’en prévaloir.
[112] De deux choses l’une : ou bien les allégations faites étaient sans fondement et alors, comme le souligne la lettre du 25 mai 2010 fort à propos, le travailleur n’avait « aucun motif justifiant une demande de réouverture d’enquête ou une demande de récusation » ou bien, au contraire, celles-ci étaient justifiées et alors, le travailleur a choisi, en toute connaissance de cause, de renoncer à réclamer le respect des règles de justice naturelle, en temps utile.
[113] Dans l’affaire Audet et La chemise Perfection inc.[21], la Commission des lésions professionnelles a jugé que « bien que la règle audi alteram partem soit un principe de justice fondamental, une partie peut renoncer à son application explicitement, implicitement ou par sa négligence à l’invoquer ou à la faire valoir ». Le tribunal a, de plus, déclaré que « la négligence à faire valoir ses droits en temps utile est également considérée comme une renonciation au droit d’être entendu et ne donne pas ouverture au recours en révision ».
[114] Ces principes ont été maintes fois repris par la suite, notamment dans les affaires Reci et Industrie Maintenance Empire inc.[22] ainsi que Proulx et Transport Urbain AM Wesbell[23].
[115] Dans le présent cas, le soussigné juge que, même dans l’hypothèse où il serait considéré que les règles de justice naturelle ont été enfreintes - ce qui n’est nullement le cas, pour les raisons énoncées précédemment -, le travailleur a explicitement renoncé à faire valoir ses droits et que de tels manquements ne donnent pas ouverture au recours en révision ou révocation.
[116] Il ne reste plus qu’à analyser les autres motifs allégués au soutien de la requête, soit l’existence d’erreurs graves et déterminantes sur l’issue du litige équivalant à un vice de fond de nature à invalider la décision rendue le 17 novembre 2010.
[117] Le travailleur reproche d’abord l’« interprétation » que le premier juge administratif aurait faite « des articles 29 et 30 de la loi ».
[118] En réalité, c’est plutôt de l’appréciation de la preuve faite par le premier juge administratif que le travailleur se plaint, tel qu’il appert des extraits suivants de l’argumentation écrite du 22 septembre 2011 [le soussigné ne rapporte ici que certains extraits des quatre pages d’argumentation qui sont consacrées à ce motif] :
L’article 29 :
Dans ce contexte, pour qu’il y ait, d’une part, application de l’article 29, nous devions démontrer une répétition de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongés [sic].
Le Commissaire (…)[24] se devait donc, de joindre tous les mouvements décrits, voir les pires et les moins pires scénarios, pour valider les exigences des mouvements. Malgré l’absence du « même mouvement » répétitif identique, il pouvait y avoir répétitions de mouvements de l’épaule et donc y avoir application de la Loi.
Cependant, force est de constater que le Commissaire ne commente aucunement la répétition, mais uniquement le volet hautement répétitif s’il ya lieu.
[…]
Le commissaire s’est attardé à l’absence de gestes répétitifs, et à une journée normale où le travail physique est 50 % et le travail d’observation est de 50 %. (…)
[…]
Nous sommes d’avis que le Commissaire ne s’est attardé que sur l’absence de la haute répétitivité, sans regarder la fréquence réelle des mouvements des épaules du travailleur, ni de l’exigence accrue des mouvements en relation avec les poids et les efforts réels. Ceci fut éloquent de la décision, où le Commissaire ne souligne que l’absence de gestes répétitifs.
[…]
L’article 30 :
Concernant cet article, le seul et unique commentaire que nous pouvons faire, c’est qu’il y a absence d’analyse de l’application de cet article de loi.
[…]
Nous soulignons au tribunal que rien, dans l’ensemble de l’analyse du Commissaire (…)[25]. Ne démontre pourquoi il rejette l’interprétation du Dr Tremblay et de l’ergonome Mme Boucher. (…)
[…]
(…) Nous somme d’avis que la décision du Commissaire contourne l’analyse faite en détail des mouvements, des exigences de travail et des conclusions médicales sans justifier le motif de son refus.
[Soulignements dans le texte]
[119] Aucune de ces allégations ne s’avère exacte, en ce que la lecture des paragraphes 81 à 96 de la décision du 17 novembre 2010 permet de constater que le premier juge administratif a non seulement tenu compte de toute la preuve offerte, mais a aussi expliqué les choix qu’il a faits quant à la prépondérance de la preuve :
[81] Or, dans le présent dossier, la preuve prépondérante démontre que le travail de monsieur Brazeau ne comportait aucun mouvement répétitif pour les membres supérieurs. Les mouvements qu’il exécutait dans le cadre de son travail étaient variés. Il effectuait des opérations ne présentant aucun caractère répété dans un cycle court. Son travail comportait également des micropauses, c’est-à-dire, que ses membres supérieurs reprenaient la position neutre sur des périodes d’au moins 15 secondes à la fois. Cette observation est tirée du visionnement de la vidéo qui a servi à saisir les tâches exécutées par le travailleur au moment de la survenance de sa lésion et des opinions formulées par le docteur Renaud et madame Boucher, ergothérapeute et ergonome, qui a procédé à l’évaluation du poste de travail de monsieur Brazeau.
[82] Les témoignages du travailleur et de ses collègues corroborent les conclusions de madame Boucher quant à l’absence de mouvements répétitifs ou de pressions sur des périodes de temps prolongées pour les membres supérieurs. La cadence des cycles de production des pellicules de plastique permet en outre au travailleur de n’être actif physiquement que pendant environ 50 % du temps de son horaire de travail, lors de la mise en place des cycles de production, et d’être relativement inactif le reste du temps, soit 50 %, car il surveille le déroulement des opérations qui s’effectuent mécaniquement. Il s’agit essentiellement d’un travail de surveillance visuelle.
[83] Le travailleur n’a soumis aucune étude démontrant que ses maladies puissent être caractéristiques de son travail d’opérateur.
[84] Madame Boucher soumet toutefois que les tâches exercées par le travailleur comportent des facteurs de risque de contracter la tendinopathie bilatérale diagnostiquée. Comme facteurs de risque, elle identifie notamment les tâches suivantes : le déplacement des rouleaux de pellicule - dont la résistance est de 12 kg, soit 27 lb - que le travailleur peut effectuer entre 14 et 27 fois par quart de travail qui dure 720 minutes, soit un déplacement toutes les 51 minutes ou toutes les 26 minutes; la manipulation de rouleaux presseurs - dont la résistance, selon elle, dépasse les normes en vigueur - à deux reprises pendant un quart de travail; le déplacement de barils de 45 gallons à l’aide d’un diable en moyenne six fois par quart de travail; la manipulation de cylindres, l’insertion d’un mandrin de carton et son installation sur le bâti de la machine qui seraient des activités à risque en raison de la largeur et de l’ampleur de la charge qui dépassent les normes; et la manipulation de d’autres composantes lors des mises en place, composantes qu’elle n’a toutefois pu observer ni mesurer.
[85] Le tribunal estime que l’opinion de madame Boucher sur les facteurs de risque ne constitue qu’une hypothèse qui contredit l’opinion principale qu’elle a formulée à propos du travail exercé par monsieur Brazeau chez l’employeur. Comment peut-elle constater l’absence de mouvements répétitifs pour les épaules et observer que les mouvements exécutés par le travailleur sont variés, que les opérations ne sont pas répétées dans un cycle court et qu’elles comportent des micropauses, c’est-à-dire que les membres supérieurs reprennent une position neutre sur des périodes d’au moins 15 secondes à la fois, et conclure, par ailleurs, que ce même travail comporte des facteurs de risque de contracter une tendinopathie bilatérale.
[86] Quant au syndrome du canal carpien diagnostiqué chez le travailleur, madame Boucher n’en a pas discuté. Elle n’a donc pas cherché à mettre ce diagnostic en lien avec le travail de monsieur Brazeau. Seul ce dernier l’a relié à son travail, particulièrement à la tâche de manipulation des cylindres qui s’exécute au moyen d’un mouvement de préhension pleine main, tel que le démontrent les photographies qu’il a produites sous les cotes T-2 et T-3. Selon les auteurs14 le mouvement de préhension pleine main constitue un facteur de risque de développer un syndrome du canal carpien. Toutefois, selon ces mêmes auteurs, la manifestation du syndrome du canal carpien, dû à la compression du nerf médian, est liée à des contraintes biomécaniques de tension, de pression et de frictions dont la fréquence, la force et la durée peuvent engendrer une telle lésion. Le maintien prolongé de positions fixes de la région cervicoscapulaire de même que les bras en flexion ou en abduction augmentent la charge musculosquelettique et peuvent avoir le même effet15.
[87] La preuve prépondérante ne démontre toutefois pas que le syndrome du canal carpien bilatéral diagnostiqué chez le travailleur soit relié au travail qu’il a exercé chez l’employeur. Son travail d’opérateur ne comporte pas de contraintes biomécaniques de tension, de pression et de frictions dont la fréquence, la force et la durée peuvent lui avoir causé une telle maladie.
[88] Tel que discuté précédemment, les diagnostics en relation avec les réclamations soumises à la CSST par le travailleur sont ceux de tendinopathie chronique sévère aux deux épaules et de syndrome du canal carpien bilatéral.
[89] La preuve prépondérante démontre que le travailleur consulte ses médecins pour des malaises aux épaules depuis 1990. Ces consultations font toujours suite à des activités sportives ou autres de nature personnelle, tel le ski nautique, la pratique des poids et haltères presque quotidiennement, le déplacement de son siège de camion, etc.
[90] Le 20 juillet 2003, le médecin du travailleur note que ce dernier éprouve des douleurs à l’épaule droite depuis deux semaines et qu’il s’agit d’un autre « épisode répété » de tendinite à l’épaule droite. Certes, il n’a pas été question des activités physiques sportives du travailleur à l’audience. Toutefois, l’apparence physique du travailleur démontre de façon évidente qu’il a fait abondamment des poids et haltères. Il s’agit d’une activité qui comporte des contraintes biomécaniques de tension, de pression et de frictions dont la fréquence, la force et la durée peuvent engendrer le syndrome du canal carpien dont il est porteur.
[91] Le docteur Renaud qui avait alors observé chez le travailleur un syndrome d’accrochage aux deux épaules était d’avis qu’il n’y avait pas de relation entre ce diagnostic et son travail. Il fondait son opinion sur le fait que le travail de monsieur Brazeau « n’est pas un travail répétitif, car il n’effectue pas le même type de mouvements à une cadence élevée, aux 30 secondes ou plus rapidement, sur des périodes prolongées, sans période de repos ».
[92] Quant au docteur Tremblay, il est d’avis que le travailleur « présente des lésions dégénératives au niveau des deux coiffes des rotateurs ». Il n’attribue donc pas la tendinopathie bilatérale observée chez le travailleur au travail. (Notre soulignement)
[93] Il formule plutôt l’opinion que cette « pathologie dégénérative » a été aggravée par les activités de travail de monsieur Brazeau. Son opinion repose essentiellement sur la prémisse que ce dernier « fait un travail avec une bonne proportion du temps passé avec les bras au-dessus de la position horizontale ». Or, la preuve démontre le contraire. Ce n’est toutefois qu’occasionnellement que les membres supérieurs du travailleur se retrouvent dans la position évoquée par le docteur Tremblay. Rappelons que le travail exercé par monsieur Brazeau comportait approximativement 50 % d’activités physiques et 50 % de temps de surveillance.
[94] Le docteur Tremblay qualifie plutôt la « pathologie dégénérative » qu’il observe chez le travailleur de condition personnelle aggravée par le travail.
[95] Certes l’aggravation d’une condition peut constituer une lésion professionnelle. La jurisprudence enseigne toutefois que cette aggravation doit résulter d’un accident du travail ou des risques particuliers du travail16.
[96] Or, la preuve soumise dans le présent dossier ne démontre pas que le travailleur ait été victime d’un accident du travail qui aurait contribué à l’aggravation de cette « pathologie dégénérative » ni que son travail comportait des facteurs de risque ayant pu la rendre symptomatique.
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14 Louis PATRY, Michel ROSSIGNOL, Marie-Jeanne COSTA et Martine BAILLARGEON, Guide pour le diagnostic des lésions musculosquelettiques attribuables au travail répétitif, vol. 1, « Le syndrome du canal carpien », Sainte-Foy, Éditions Multimondes, Montréal, Institut de recherche en santé et en sécurité du travail du Québec, Québec, Régie régionale de la santé et des services sociaux, 1997, 33 p. L’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et sécurité du travail est un organisme de recherche scientifique reconnu pour l’expertise de son personnel et la qualité de ses travaux. Il s’agit d’un organisme privé sans but lucratif dont le conseil d’administration est composé à part égale de représentants des employeurs et des travailleurs, ce qui en fait un organisme paritaire.
15 Idem, p. 5.
16 PPG Canada inc. c. Commission d’appel en matière de lésions professionnelles et Grandmont et CSST, [2000] C.L.P. 1213 , paragr. [16].
[120] Ensuite, le travailleur reproche au premier juge administratif d’avoir retenu « une étude ergonomique réalisée par un ingénieur de l’employeur, en tant qu’étude ergonomique ».
[121] À cet égard, il convient de souligner ce qui suit :
- Dans sa lettre du 21 mai 2009, à l’avant-dernier alinéa de l’extrait cité au paragraphe 106 de la présente décision, le premier juge administratif rétablit les faits et précise n’avoir jamais lui-même qualifié cet élément de preuve d’« étude ergonomique » ni s’être prononcé sur sa force probante ;
- Aux paragraphes 20 et 21 de la décision rendue le 17 novembre 2010, soit dans la section intitulée LA PREUVE, le premier juge administratif réfère à ce document et relate ce que le représentant du travailleur en a fait dans le cadre de l’administration de sa propre preuve :
[20] Le 13 avril 2007, l’employeur procède à une analyse ergonomique des différentes tâches exercées à la machine Sheldahl opérée par le travailleur au moment de soumettre sa réclamation, soit celle de « changer le baril de colle vide pour un baril de colle plein »; celle d’« enlever la bobine de produit fini pour mettre un mandrin vide »; celle de « changer la bobine de matériel vide pour une bobine de matériel plein »; celle de « changer le rouleau presseur qui applique la colle »6.
[21] Au cours de l’audience, le représentant du travailleur s’est abondamment servi de ce document pour tenter de démontrer que le travailleur effectuait des tâches péjoratives pour ses épaules et que c’était, entre autres, à ces tâches qu’il fallait attribuer la tendinopathie chronique sévère des deux épaules. Après avoir utilisé ce document pour étayer sa preuve, il a ensuite demandé au tribunal de le retirer du dossier, ce qui lui a été refusé.
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6 Voir à cet égard le document apparaissant aux pages 6 et suivantes du dossier soumis à l’attention du tribunal.
- Aucune mention de ce document n’est faite dans la section intitulée LES MOTIFS DE LA DÉCISION.
[122] Le soussigné en conclut que cet élément de preuve n’a pas été considéré comme déterminant par le premier juge administratif et qu’il ne fait pas partie des motifs retenus au soutien de la décision rendue le 17 novembre 2010.
[123] Le travailleur reproche ensuite au premier juge administratif « de ne pas retenir uniquement l’évaluation de Mme Boucher, seule ergonome au dossier ».
[124] Le soussigné estime que le premier juge administratif s’explique amplement à l’égard du traitement qu’il a réservé à l’opinion de l’ergothérapeute et ergonome Boucher, aux paragraphes 81 à 86 de sa décision précités[26].
[125] Le travailleur reproche ensuite au premier juge administratif de ne pas avoir correctement tenu compte de « l’espace dans le temps entre le début des manifestations et l’étude ergonomique de Mme Boucher ».
[126] À l’évidence, il s’agit là d’une matière relative à l’appréciation de la preuve faite par le premier juge administratif.
[127] Enfin, le travailleur reproche au premier juge administratif d’avoir fait une « différence entre la tendinopathie et les lésions dégénératives au niveau des deux coiffes des rotateurs ».
[128] Les nuances que le premier juge administratif a faites à ce sujet tiennent expressément compte de la preuve soumise, tel qu’il appert des paragraphes 88 à 94 de la décision du 17 novembre 2010. Encore une fois, il s’agit là d’une question d’appréciation de la preuve propre à l’espèce.
[129] Le travailleur n’a pas démontré que la décision rendue le 17 novembre 2010 était entachée d’une erreur en rapport avec l’un quelconque des sujets mentionnés dans les paragraphes qui précèdent et, encore moins, d’une erreur grave, flagrante et déterminante.
[130] Toutes ces questions relèvent de l’appréciation de la preuve administrée devant lui qu’a faite le premier juge administratif.
[131] À défaut de la démonstration d’une erreur comportant les caractéristiques requises par la jurisprudence déjà abondamment citée[27], la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision ne doit pas intervenir dans ce domaine réservé au juge administratif qui entend les témoins et qui jauge chaque élément de la preuve offerte, sans quoi elle rendrait elle-même une décision révisable.
[132] Le raisonnement développé aux paragraphes 81 à 96 de la décision rendue le 17 novembre 2010 est clair et parfaitement intelligible.
[133] Contrairement à ce qui s’est passé dans l’affaire G.S.F. Sanibec inc. et Collard[28] à laquelle le représentant du travailleur réfère le soussigné, dans le présent cas, la lecture de la décision du 17 novembre 2010 permet de suivre aisément la démarche du premier juge administratif concernant les éléments de preuve pertinents. De plus, ici, aucune opinion de médecin n’est écartée sans justification suffisante.
[134] De même, la décision du 17 novembre 2010 se distingue de celle qui avait été rendue dans l’affaire Cuierrier et C.E.C.M.[29] en ce que, dans le présent cas, aucun élément de preuve important n’a été négligé.
[135] Enfin, la décision rendue dans l’affaire Société canadienne des postes et Bernier[30] à laquelle le représentant du travailleur réfère également illustre une situation où la présomption légale de maladie professionnelle en vertu de l’article 29 de la loi s’appliquait et où elle ne fut pas renversée. Dans le présent cas, pour les motifs adéquatement exposés dans la décision du 17 novembre 2010, telle présomption ne trouvait pas application.
[136] Tout compte fait, aucun des motifs invoqués au soutien de la requête n’a été démontré.
[137] Par sa procédure, le travailleur tente tout simplement d’en appeler d’une décision qui ne lui a pas donné gain de cause, dans l’espoir d’en obtenir une nouvelle qui, cette fois, lui serait favorable. Le recours en révision ou révocation ne peut pas être utilisé à de telles fins.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de monsieur Daniel Brazeau, le travailleur.
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Jean-François Martel |
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Monsieur Éric Marsan |
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Léger, Marsan, associés |
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Représentant du travailleur |
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Me Francine Legault |
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Heenan Blaikie |
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Procureure de l’employeur |
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[1] L.R.Q. c. A-3.001.
[2] Voir entre autres : Proulx et Transport Urbain AM Wesbell, C.L.P. 305073-62B-0612, 19 mars 2009, Alain Vaillancourt, requête en révision judiciaire pendante, C.S. Bedford, 460-17-001096-098 ; Société de gestion Cogir inc. et Martin, [2008] C.L.P. 244 , requête en révision judiciaire rejetée, C.S. St-Hyacinthe, 750-17-001459-092, 17 juillet 2010, j. Payette ; Reci et Industrie Maintenance Empire inc., C.L.P. 293341-71-0607, 13 février 2008, J.-F. Clément ; La Cie d'amarrage ltée et Gladu, C.L.P. 231862-04-0404, 4 mai 2007, M. Carignan ; Duchesneau et Trebor Canada inc., C.L.P. 191457-62B-0210, 12 avril 2005, L. Boucher, requête en révision judiciaire rejetée, C.S. St-Hyacinthe, 750-17-000758-056, 1er mai 2006, j. Casgrain ; Brière et Hôpital général du Lakeshore, [2002] C.L.P. 564 , requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Joliette, 705-17-000523-033, 14 mai 2003, j. Trahan, (03LP-45) ; Casino de Hull et Gascon, [2000] C.L.P. 671 ; Audet et La chemise Perfection inc., C.L.P. 113590-03B-9904, 1er novembre 2000, G. Tardif, (00LP-92) ; Gionet et Construction Ilario Giugovaz inc., [1999] C.L.P. 650 ; Pelletier et Groupe agro-forestier Restigouche, C.L.P. 93060-01B-9801, 30 septembre 1999, C. Bérubé.
[3] Voir entre autres : Grenier et Comptabilité JMR+, C.L.P. 350822-61-0806, 10 mai 2010, L. Boucher ; Hôpital Marie Clarac, C.L.P. 315548-61-0704, 9 juillet 2009, C. Racine, (09LP-62) ; A et Compagnie A, C.L.P. 346095-31-0804, 4 juin 2009, S. Sénéchal ; Rock of Ages Carrières Canada inc. et CSST, [2008] C.L.P. 1405 ; Mittal Canada inc. et Carrier, C.L.P. 290556-62A-0605, 7 octobre 2008, R. L. Beaudoin, (08LP-158) ; Sélection du Pâtissier inc. et Guimond, C.L.P. 286841-31-0604, 19 septembre 2008, G. Marquis ; Genfoot inc. et Gosselin, C.L.P. 245725-62-0410, 23 janvier 2008, L. Nadeau ; Piché et Goodyear Canada inc., C.L.P. 277840-62C-0512, 26 octobre 2007, B. Roy, (07LP-204) ; Savard et Les Pavages Dorval inc., C.L.P. 281107-71-0602, 31 janvier 2007, M. Zigby ; Imbeault c. CLP, C.S. Montréal, 500-17-023030-045, 7 avril 2006, j. Le Bel, (06LP-71) ; Hins et Frank Langevin (1990) inc., C.L.P. 254088-32-0502, 8 mars 2006, P. Simard ; Hamel et Sobey's Québec inc., [2004] C.L.P. 1791 ; Lebrasseur et Société de l'assurance-automobile, C.L.P. 208251-09-0305, 15 décembre 2004, D. Beauregard ; Proulx et Osram Sylvania ltée, C.L.P. 142547-04B-0007, 1er septembre 2004, L. Boudreault ; Robert et Emballages Consumers inc., C.L.P. 208448-71-0305, 10 mai 2004, C.-A. Ducharme, (04LP-83) ; Ahmed et Tricots Liesse 1983 inc., C.L.P. 166333-71-0108, 18 juillet 2003, N. Lacroix, (03LP-131) ; Valois et Service d'entretien Macco ltée, [2001] C.L.P. 823 .
[4] Brière et Hôpital général du Lakeshore, [2002] C.L.P. 564 , requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Joliette, 705-17-000523-033, 14 mai 2003, j. Trahan, (03LP-45).
[5] Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 .
[6] Bourassa c. Commission des lésions professionnelles, [2003] C.L.P. 601 (C.A.).
[7] Tribunal administratif du Québec c. Godin, [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.). Voir au même effet : I.M.P. Group ltd. (Innotech-Execaire Aviation Group) c. CLP, C.S. Montréal, 500-17-041658-082, 2 décembre 2008, j. Lebel, (08LP-172), requête pour autorisation d'appeler accueillie, C.A. Montréal, 500-09-019249-085.
[8] [2003] C.L.P. 606 (C.A.).
[9] [2005] C.L.P. 626 (C.A.).
[10] CSST c. Touloumi, [2005] C.L.P. 921 (C.A).
[11] Donohue : Victoria et 3131751 Canada inc., C.L.P. 166678-72-0108, 1er décembre 2005, B. Roy ; Louis-Seize et CLSC-CHSLD de la Petite-Nation, C.L.P. 214190-07-0308, 20 décembre 2005, L. Nadeau ; Ricard et Liquidation Choc, C.L.P. 217112-62C-0310, 10 février 2006, C.-A. Ducharme, (05LP-299) ; Coopérative forestière Hautes-Laurentides et Aubry, [2008] C.L.P. 763 .
[12] Commission scolaire des Phares c. CLP, C.S. Rimouski, 100-000616-062, 23 avril 2007, j. Blanchet, (07LP-14).
[13] Diagnostic non contesté.
[14] L.R.Q., c. J-3.
[15] R.R.Q., c. A-3.001, r. 12.
[16] Ballin inc. et Bouchard, C.L.P. 282624-63-0602, 17 février 2009, Anne Vaillancourt.
[17] C.L.P. 154158-71-0101, 27 janvier 2003, D. Gruffy, (02LP-212).
[18] C.L.P. 188030-02-0207, 18 novembre 2002, R. Deraiche, (02LP-145).
[19] C.L.P. 280810-63-0601, 9 août 2007, D. Besse, (07LP-112).
[20] Le nom du premier juge administratif est omis, car son identité n’est pas utile à la décision que la Commission des lésions professionnelles siégeant en révocation doit rendre dans la présente affaire.
[21] C.L.P. 113590-03B-9904, 1er novembre 2000, G. Tardif, (00LP-92).
[22] C.L.P. 293341-71-0607, 13 février 2008, J.-F. Clément.
[23] C.L.P. 305073-62B-0612, 19 mars 2009, Alain Vaillancourt, requête en révision judiciaire rejetée, 460-17-001096-098, 22 décembre 2010, j. François Thôt.
[24] Voir la note 20.
[25] Idem.
[26] Voir le texte cité au paragraphe 119 de la présente décision.
[27] Aux paragraphes 28 à 37 de la présente décision.
[28] C.A.L.P. 81714-62-9608, 26 mars 1998, B. Roy.
[29] C.A.L.P. 64367-63-9411, 19 mars 1998, T. Giroux.
[30] C.A.L.P. 08099-61-8712, 30 novembre 1994, É. Harvey.