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RECTIFICATION D’UNE DÉCISION
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[1] La Commission des lésions professionnelles a rendu le 8 mars 2011, une décision dans le présent dossier;
[2]
Cette décision contient une erreur matérielle qu’il y a lieu de
rectifier en vertu de l’article
[3] Aux paragraphes [31] et [32], à la jurisprudence inscrite aux notes de bas de page numéros 4 et 5, nous lisons :
4 Nettoyeurs Pellican inc.,
C.L.P.
5 Précitée,
note 3; 2M Ressources inc.,
[4] Alors que nous aurions dû lire à ces notes de bas de page numéros 4 et 5 :
4 Nettoyeurs Pellican inc.,
C.L.P.
5 Précitée, note 3; C.L.P.
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Claire Burdett |
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Me Éric Latulippe |
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Langlois Kronström Desjardins |
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Représentant de la partie requérante |
Rôtisserie St-Hubert (10520 Lajeunesse) |
2011 QCCLP 1741 |
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Saint-Jean-sur-Richelieu |
8 mars 2011 |
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Région : |
Montréal |
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Dossier CSST : |
135450849 |
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Commissaire : |
Claire Burdett, juge administratif |
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Rôtisserie St-Hubert (10520 Lajeunesse) |
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Partie requérante |
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[1] Le 21 juillet 2010, Rôtisserie St-Hubert (10520 Lajeunesse) (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 29 juin 2010 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 23 avril 2010 et déclare que le coût des prestations versées à monsieur Alain Breton (le travailleur) à la suite de sa lésion professionnelle du 16 août 2009 doit être imputé au dossier de l’employeur.
[3] Une audience était prévue devant la Commission des lésions professionnelles le 7 février 2011. L’employeur y a renoncé préférant soumettre une argumentation écrite. Un délai a été accordé à l’employeur de sorte que le dossier est mis en délibéré en date du 21 février 2011, date à laquelle le tribunal a reçu l’argumentation écrite de l’employeur.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande au tribunal de déclarer qu’il doit être imputé uniquement de la partie de l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur en fonction du salaire brut annuel qu’il gagnait le 16 août 2009, soit de 9 470,79 $, le tout conformément aux informations soumises à la CSST à l’« Avis de l’employeur et demande de remboursement ».
[5]
L’employeur soutient qu’il est inéquitable que la CSST lui impute la partie additionnelle de l’indemnité de remplacement du revenu versée au
travailleur en tenant compte de l’indemnité de remplacement du revenu réduite
qu’il reçoit en raison des conséquences d’une lésion professionnelle survenue
chez un employeur antérieur, allant ainsi à l’encontre de l’article
LES FAITS
[6] Le travailleur, âgé de 51 ans, occupe un emploi de livreur à temps partiel chez l’employeur depuis le mois d’octobre 2008 à la suite de la détermination d’un emploi convenable découlant d’une lésion professionnelle antérieure subie chez un autre employeur.
[7] Le 16 août 2009, le travailleur chute dans un escalier et subit une contusion au bassin.
[8] La CSST accepte la réclamation du travailleur.
[9] Le 22 octobre 2009, la CSST procède au calcul de la base salariale du travailleur et retient les montants suivants : 29 985,42 $ (correspondant à l’indemnité réduite reçue dans le cadre de la lésion professionnelle survenue chez un employeur précédent) et 9 410,19 $ (correspondant au salaire reçu chez l’employeur au cours des 12 derniers mois).
[10] Suivant les informations à l’« Avis de l’employeur et demande de remboursement », c’est plutôt un salaire de 9 470,79 $ qui correspond au salaire reçu chez l’employeur au dossier au cours des 12 derniers mois. Il y a donc une minime erreur dans les montants retenus initialement par la CSST.
[11] Le 27 octobre 2009, la CSST informe le travailleur que celui-ci ne peut être payé dans deux dossiers en même temps et par conséquent, la CSST crée un surpayé.
[12] Le 30 octobre 2009, il ressort des notes évolutives au dossier que la CSST procède à la reconsidération de la base salariale du travailleur pour tenir compte du dossier CSST antérieur impliquant une indemnité de remplacement du revenu réduite et en tenant compte de la base salariale retenue de 60 844,96 $, concernant ce dossier antérieur, appliquant ainsi l’article 73 de la loi.
[13] Suivant l’application de cette disposition, la CSST rend une décision dans laquelle elle reconsidère que le salaire annuel brut revalorisé est de 60 844,96 $ par année.
[14] Le 29 mars 2010, l’employeur demande à la CSST le transfert de l’imputation en application de l’article 326 de la loi.
[15] Le 23 avril 2010, la CSST refuse la demande de transfert de l’imputation de l’employeur. L’employeur demande la révision de cette décision, laquelle est confirmée par la révision administrative le 29 juin 2010, d’où l’objet du présent litige.
[16] Dans ces motifs, la révision administrative retient, entre autres, le raisonnement suivant :
Conformément à la règle générale d’imputation, le coût des prestations attribuables à un accident du travail est imputé au dossier de l’employeur au service duquel le travailleur occupait son emploi au moment de l’événement.
Cependant, l’employeur peut bénéficier d’un transfert d’imputation en vertu de certaines règles particulières d’imputation qui sont prévues dans la loi. Lorsque l’employeur est obéré injustement, le coût des prestations peut être imputé aux employeurs d’une, de plusieurs ou de toutes les unités.
Pour se prévaloir de cette exception, l’employeur doit démontrer des situations précises correspondant aux deux critères suivants : soit une situation d’injustice, c’est-à-dire une situation étrangère aux risques que l’employeur doit supporter et que la proportion des coûts attribuable à cette situation d’injustice est significative par rapport aux coûts découlant de l’accident en cause.
L’employeur allègue que le salaire annuel retenu aux fins du calcul des indemnités de remplacement du revenu reliées à l’événement du 16 août 2009 est supérieur à celui réellement versé au travailleur par l’employeur. Des éléments au dossier, la révision administrative constate que la Commission a effectivement tenu compte d’une indemnité de remplacement du revenu réduite versée au travailleur afin de déterminer sa nouvelle indemnité pour l’événement du 16 août 2009, et ce, conformément à la loi. À cet effet, la révision administrative rappelle qu’au moment de l’imputation des coûts, la Commission ne peut qu’appliquer les dispositions de la loi et porter au compte de l’employeur le coût des prestations reliées à l’accident du travail. En ce sens, l’application de la loi ne peut permettre de conclure que l’employeur est obéré injustement.
Par conséquence, bien que la révision administrative constate que l’accident du travail subi par le travailleur puisse causer un certain impact sur le dossier de l’employeur, ce dernier n’a pas démontré être obéré injustement par l’imputation du coût des prestations liées à l’accident du travail subi par le travailleur.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[17] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la partie de l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur, correspondant au salaire que celui-ci gagnait chez un autre employeur, doit être imputé au dossier financier de l’employeur au présent dossier en application de l’article 326 de la loi.
[18] Dans les faits, le travailleur a subi une lésion professionnelle chez un autre employeur pour lequel il a eu droit à la réadaptation et à la détermination d’un emploi convenable ainsi qu’une indemnité de remplacement du revenu réduite en conformité avec l’article 49 de la loi, lequel prévoit :
49. Lorsqu'un travailleur incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle devient capable d'exercer à plein temps un emploi convenable, son indemnité de remplacement du revenu est réduite du revenu net retenu qu'il pourrait tirer de cet emploi convenable.
Cependant, si cet emploi convenable n'est pas disponible, ce travailleur a droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 jusqu'à ce qu'il occupe cet emploi ou jusqu'à ce qu'il le refuse sans raison valable, mais pendant au plus un an à compter de la date où il devient capable de l'exercer.
L'indemnité prévue par le deuxième alinéa est réduite de tout montant versé au travailleur, en raison de sa cessation d'emploi, en vertu d'une loi du Québec ou d'ailleurs, autre que la présente loi.
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1985, c. 6, a. 49.
[19] Cette indemnité de remplacement du revenu est ensuite révisée ou revalorisée périodiquement en application des articles 54 et 55 de la loi :
54. Deux ans après la date où un travailleur est devenu capable d'exercer à plein temps un emploi convenable, la Commission révise son indemnité de remplacement du revenu si elle constate que le revenu brut annuel que le travailleur tire de l'emploi qu'il occupe est supérieur à celui, revalorisé, qu'elle a évalué en vertu du premier alinéa de l'article 50 .
Lorsqu'elle effectue cette révision, la Commission réduit l'indemnité de remplacement du revenu du travailleur à un montant égal à la différence entre l'indemnité de remplacement du revenu à laquelle il aurait droit s'il n'était pas devenu capable d'exercer à plein temps un emploi convenable et le revenu net retenu qu'il tire de l'emploi qu'il occupe.
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1985, c. 6, a. 54.
55. Trois ans après la date de cette révision et à tous les cinq ans par la suite, la Commission révise, à la même condition et de la même façon, l'indemnité de remplacement du revenu d'un travailleur jusqu'à ce que ce travailleur tire de l'emploi qu'il occupe un revenu brut annuel égal ou supérieur à celui qui sert de base, à la date de la révision, au calcul de son indemnité de remplacement du revenu ou jusqu'à son soixante-cinquième anniversaire de naissance, selon la première échéance.
__________
1985, c. 6, a. 55.
[20] L’indemnité de remplacement du revenu réduite est ensuite imputée au dossier financier de l’employeur au service duquel se trouvait le travailleur au moment de sa lésion professionnelle, le tout, en application de l’article 326 de la loi :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[21] En l’espèce, il est reconnu que la loi n’impose aucun délai à l’employeur pour soumettre une demande en vertu du principe général d’imputation prévu à l’alinéa 1 de l’article 326 de la loi[2].
[22] Dans le présent dossier, le travailleur est embauché par le présent employeur à titre de livreur à temps partiel pour un revenu annuel brut de 9 470,79 $ à compter de 2008.
[23] C’est dans le cadre de cet emploi que le travailleur subit une lésion professionnelle le 16 août 2009.
[24] La CSST procède au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu en appliquant l’article 73 de la loi qui prévoit ce qui suit :
73. Le revenu brut d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle alors qu'il reçoit une indemnité de remplacement du revenu est le plus élevé de celui, revalorisé, qui a servi de base au calcul de son indemnité initiale et de celui qu'il tire de son nouvel emploi.
L'indemnité de remplacement du revenu que reçoit ce travailleur alors qu'il est victime d'une lésion professionnelle cesse de lui être versée et sa nouvelle indemnité ne peut excéder celle qui est calculée sur la base du maximum annuel assurable en vigueur lorsque se manifeste sa nouvelle lésion professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 73.
[25] Cette façon de calculer vise à permettre au travailleur de recevoir une seule indemnité de remplacement du revenu qui tient cependant compte des conséquences de la lésion professionnelle survenue chez l’employeur précédent dont fait partie l’indemnité de remplacement du revenu réduite.
[26] Cette disposition vise également à protéger le travailleur en lui permettant d’avoir droit à une indemnité de remplacement du revenu supérieure s’il occupe un emploi plus rémunérateur au moment de sa lésion[3] ou de protéger le droit à l’indemnité de remplacement du revenu lorsque survient un nouvel événement pour l’intégrer dans la nouvelle base salariale.
[27] Le montant de 60 844,96 $ correspond à la base du salaire brut revalorisé qui a servi au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu réduite du travailleur à la suite de sa lésion professionnelle survenue chez son employeur précédent.
[28] L’employeur ne pouvait pas contester cette décision puisqu’elle est rendue en application de l’article 73 de la loi et que le cas du travailleur rencontre les conditions qui y sont prévues.
[29] L’employeur soumet plutôt que la CSST doit imputer à son dossier financier, uniquement la portion de l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur qui correspond à 9 470,79 $, soit son salaire brut gagné au cours des 12 derniers mois.
[30] Il est inéquitable, selon l’employeur, de lui imputer des sommes attribuables à un accident du travail dont un autre employeur est responsable.
[31] La Commission des lésions professionnelles s’est prononcée sur cette question à maintes reprises. Selon le courant majoritaire, il n’y a pas lieu de soustraire la portion du coût des prestations du dossier financier de l’employeur dans les circonstances semblables puisque le fait que le travailleur reçoive une indemnité de remplacement du revenu plus élevée que le revenu brut gagné au moment de la survenance de la lésion professionnelle résulte des effets de l’application de l’article 73 de la loi[4].
[32] Cependant, la Commission des lésions professionnelles s’écarte de ce courant majoritaire dans l’affaire J.M. Bouchard et Fils[5].
[33] Dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles estime qu’il y a lieu d’interpréter l’article 326 de la loi et le droit à l’indemnité de remplacement du revenu dans son contexte global afin d’y dégager l’intention du législateur. Selon la Commission des lésions professionnelles, il faut pousser l’analyse en ne se limitant pas à une analyse grammaticale. À cet égard, la Commission des lésions professionnelles s’exprime en ces termes :
[47] En tout respect, le soussigné n’est pas d’accord avec cette interprétation qui est le résultat d’une analyse essentiellement grammaticale des dispositions applicables.
[48] L’article
41.1. Les dispositions d'une loi s'interprètent les unes par les autres en donnant à chacune le sens qui résulte de l'ensemble et qui lui donne effet.
1992, c. 57, a. 603.
[49] L’interprétation retenue jusqu’ici ignore un principe fondamental en matière d’imputation des coûts, celui voulant qu’un employeur doit supporter ceux qui lui sont attribuables. Le législateur a créé des mécanismes particuliers très détaillés qui ont précisément cet objectif.
[50] Quand un travailleur souffre d’une maladie professionnelle, l’article 328 oblige la CSST à imputer le coût des prestations à tous les employeurs pour qui ce travailleur a exercé un travail de nature à engendrer sa maladie. L’article 328 prévoit même les critères qui doivent être utilisés pour refléter le plus fidèlement possible de la responsabilité de chaque employeur :
328. Dans le cas d'une maladie professionnelle, la Commission impute le coût des prestations à l'employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer cette maladie.
Si le travailleur a exercé un tel travail pour plus d'un employeur, la Commission impute le coût des prestations à tous les employeurs pour qui le travailleur a exercé ce travail, proportionnellement à la durée de ce travail pour chacun de ces employeurs et à l'importance du danger que présentait ce travail chez chacun de ces employeurs par rapport à la maladie professionnelle du travailleur.
Lorsque l'imputation à un employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer sa maladie professionnelle n'est pas possible en raison de la disparition de cet employeur ou lorsque cette imputation aurait pour effet d'obérer injustement cet employeur, la Commission impute le coût des prestations imputable à cet employeur aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités ou à la réserve prévue par le paragraphe 2° de l'article 312.
1985, c. 6, a. 328.
[51] L’article 329 permet à un employeur d’obtenir un allègement de son pourcentage d’imputation lorsqu’une lésion professionnelle a été facilitée ou aggravée au niveau de ses conséquences en raison d’un handicap préexistant :
329. (…)
[52] Avec l’article 327, le législateur veut s’assurer qu’un employeur ne supporte pas les coûts de lésions survenues dans des situations qui échappent à son contrôle, ce qui est le cas lorsqu’une lésion résulte de soins reçus pour une lésion professionnelle ou de l'omission de tels soins. Il en va de même d’une lésion qui survient dans le cadre de traitements médicaux ou d’un plan individualisé de réadaptation :
327. La Commission impute aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations:
1° dues en raison d'une lésion professionnelle visée dans l'article 31;
2° d'assistance médicale dues en raison d'une lésion professionnelle qui ne rend pas le travailleur incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion.
1985, c. 6, a. 327.
31. Est considérée une lésion professionnelle, une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion:
1° des soins qu'un travailleur reçoit pour une lésion professionnelle ou de l'omission de tels soins;
2° d'une activité prescrite au travailleur dans le cadre des traitements médicaux qu'il reçoit pour une lésion professionnelle ou dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation.
Cependant, le premier alinéa ne s'applique pas si la blessure ou la maladie donne lieu à une indemnisation en vertu de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A-25), de la Loi visant à favoriser le civisme (chapitre C-20) ou de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (chapitre I-6).
[53] Enfin, l’article 326 permet à l’employeur d’être exonéré des coûts d’un accident du travail attribuable à un tiers ou dont l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de l’obérer injustement :
326. (…)
[54] Ces dispositions démontrent l’objectif clair et compréhensif du législateur de s’assurer que la CSST impute les coûts en fonction du critère de l’imputabilité réelle. Elles ont aussi pour objectif d'assurer l'équité entre les employeurs.
[55] Dans le présent dossier, ces principes ne sont pas respectés et l’employeur est justifié de prétendre que l’imputation retenue par la CSST lui fait supporter des coûts qui ne découlent pas d’une lésion survenue à son service.
[56] N’eut été de l’accident du travail survenu chez un autre employeur le 14 février 2000, l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur aurait été calculée en fonction du salaire réellement gagné au moment du deuxième accident du travail le 24 octobre 2005, soit 15 850,56 $.
[57] Si le travailleur a droit à une indemnité plus importante, c’est parce que la méthode de calcul de sa nouvelle indemnité tient compte de l’indemnité réduite dont il bénéficiait en conséquence de l’accident du travail survenu le 14 février 2000.
[58] Quand le législateur précise au 2e alinéa de l’article 73 que l’'indemnité de remplacement du revenu que reçoit déjà un travailleur cesse de lui être versée, ce n’est pas parce qu’il perd le droit à celle-ci, mais plutôt parce qu’elle est incluse dans la méthode de calcul prévue au 1er alinéa.
[59] L’employeur a donc raison de prétendre qu’on impute à son dossier financier des coûts qui résultent directement d'un accident du travail survenu alors que le travailleur était à l’emploi d’un autre employeur. Cette décision ne respecte donc pas la règle générale édictée au 1er paragraphe de l’article 326.
[60] La politique d’imputation de la CSST ne constitue ni plus ni moins qu’un transfert d’imputation d’un employeur à un autre, et ce, sans aucune justification rationnelle. Selon le soussigné, il faudrait une disposition spécifique pour permettre une telle entorse à la règle générale de l’article 326.
[61] Le tribunal a déjà reconnu qu’il est possible d’accorder un transfert d’imputation partiel en se basant sur le premier alinéa de l’article 326 lorsque la preuve démontre que certaines prestations ne sont pas attribuables à un accident du travail survenu chez l’employeur9. Dans la décision Les Systèmes Erin ltée et CSST10 , notre collègue, madame Louise Desbois, écrit ce qui suit :
[31] Il importe cependant de préciser qu’il est possible, en application de l’article 326 (mais alinéa 1), de ne pas imputer à l’employeur une partie du coût des prestations versées au travailleur, pour autant que cette partie du coût ne soit pas due en raison de l’accident du travail. Un bon exemple de cette situation est la survenance d’une maladie personnelle intercurrente (par exemple, le travailleur fait un infarctus, ce qui retarde la consolidation ou la réadaptation liée à la lésion professionnelle) : les prestations sont alors versées par la CSST, mais comme elles ne sont pas directement attribuables à l’accident du travail elles ne doivent, par conséquent, pas être imputées à l’employeur. L’article 326, 1er alinéa prévoit en effet que c’est le coût des prestations dues en raison de l’accident du travail qui est imputé à l’employeur.
[62] Le soussigné est en désaccord avec la position majoritaire pour un autre motif : l’interprétation retenue est susceptible d’entraîner des conséquences défavorables à l’égard des travailleurs réadaptés.
[63] La réadaptation professionnelle occupe une place de première importance dans la loi. Les travailleurs qui y ont droit sont ceux qui, malheureusement, sont victimes des lésions professionnelles les plus graves. En effet, ce qui donne droit à la réadaptation professionnelle, c’est l’existence d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles qui empêchent un travailleur de reprendre son emploi habituel. Est-il nécessaire de décrire l’effet traumatisant que peut avoir cette situation pour un travailleur? Non seulement il est atteint dans son intégrité physique mais, en plus, il perd l’emploi et, même souvent, le métier qu’il connaissait jusqu’à maintenant.
[64] C’est pour pallier à cette situation très difficile et en atténuer les conséquences que le législateur a adopté une multitude de mesures pour aider les travailleurs à se réadapter et à se trouver éventuellement un autre emploi :
167. Un programme de réadaptation professionnelle peut comprendre notamment:
1° un programme de recyclage;
2° des services d'évaluation des possibilités professionnelles;
3° un programme de formation professionnelle;
4° des services de support en recherche d'emploi;
5° le paiement de subventions à un employeur pour favoriser l'embauche du travailleur qui a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique;
6° l'adaptation d'un poste de travail;
7° le paiement de frais pour explorer un marché d'emplois ou pour déménager près d'un nouveau lieu de travail;
8° le paiement de subventions au travailleur.
1985, c. 6, a. 167.
[65] Nous avons déjà expliqué de quelle façon la politique d’imputation de la CSST dans les situations visées par l’article 73 entraîne un fardeau financier supplémentaire pour l’employeur qui utilise les services d’un travailleur ayant droit à une indemnité réduite.
[66] Quel employeur, sachant ou apprenant qu’il va devoir assumer ce fardeau additionnel advenant une lésion professionnelle, acceptera, en toute connaissance de cause, d’embaucher ou de conserver à son emploi un travailleur bénéficiant d’une indemnité réduite ?
[67] L’employeur qui apprend, suite à une lésion professionnelle, qu’il doit assumer le fardeau additionnel de l’indemnité réduite ne sera-t-il pas tenté de mettre fin à l’emploi du travailleur ?
[68] Poser ces questions, c’est aussi y répondre. L’employabilité d’un travailleur réadapté est déjà défavorisée du fait qu’il présente des limitations fonctionnelles. Le soussigné ne peut concevoir que le législateur ait voulu qu’on ajoute à ce désavantage celui d’un fardeau financier supplémentaire aux éventuels employeurs.
9 Service D’entretien Empro inc., C.L.P.
10 C.L.P. 195814-01-0211, 29 décembre 2005.
[69] Il faut ajouter que le fardeau additionnel que représente l’indemnité réduite peut, dans certains cas, être excessivement lourd. Ce sera le cas si, au moment de la lésion initiale, le travailleur gagnait le salaire maximum annuel assurable (qui est de 62 500 $ en 201011) et que, au moment de la nouvelle lésion professionnelle, il gagne un salaire se rapprochant du salaire minimum (ce qui donne un salaire annuel inférieur à 20 000 $). De tels cas existent.
[70] La loi prévoit des mesures particulières pour inciter les employeurs à embaucher des travailleurs réadaptés. L’article 175 permet notamment d’octroyer des subventions.
175. (…)
[71] L’article 176 permet aussi à la CSST de rembourser les frais d’adaptation d’un poste de travail lorsqu’un employeur embauche un travailleur réadapté :
176. (…)
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11 Règlement sur la table des indemnités de remplacement du revenu payables en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et des indemnités payables en vertu de la Loi sur les accidents du travail pour l'année 2010, c. A-3.001, r.3.
12 Ordre des chimistes du Québec c. Chimitec Ltée, C.A, 200-10-000993-001, 9 février 2001, A. Brossard, T. Rousseau-Houle, F. Thibault.
[72] Il est difficile de concevoir que le législateur veuille d’une part favoriser l’embauche d’un travailleur réadapté en octroyant des avantages financiers à un employeur, et qu’il soit d’accord avec une politique d’imputation dont l’effet est de le pénaliser financièrement dans l’éventualité où ce même travailleur subit une lésion professionnelle.
[73] Il y a là une incohérence manifeste qui s’accorde mal avec la présomption selon laquelle le législateur est censé être rationnel et cohérent dans sa législation12. Le législateur est en effet présumé être logique avec lui-même et vouloir que les dispositions d’une loi s’harmonisent entre elles et non qu’elles se heurtent.
[74] Dans son ouvrage intitulé Interprétation des lois13, Pierre-André Côté écrit ce qui suit :
Comme la méthode littérale est fondée sur la présomption de l’aptitude du législateur à transmettre correctement sa pensée par le truchement de la formule légale, la méthode systématique et logique s’appuie sur l’idée que le l’auteur de la loi est un être rationnel : la loi qui manifeste la pensée du législateur rationnel, est donc réputée refléter une pensée cohérente et logique et l’interprète doit préférer le sens d’une disposition qui confirme le postulat de la rationalité du législateur plutôt que celui qui crée des incohérences, des illogismes ou des antinomies dans le loi.
[75] Selon le soussigné, l’approche retenue jusqu’ici par le tribunal est certes défendable sur le plan de l’analyse grammaticale. Elle ne l’est pas, pour les raisons déjà expliquées, lorsqu’on la soumet à la méthode d’interprétation contextuelle préconisée par les plus hautes juridictions.
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12 Ordre des chimistes du Québec c. Chimitec Ltée, C.A, 200-10-000993-001, 9 février 2001, A. Brossard, T. Rousseau-Houle, F. Thibault.
13 Les Éditions Yvon Blais inc., Cowansville, 1982, p. 256.
[nos soulignements]
[34] Le présent tribunal souscrit entièrement à ce raisonnement et juge pertinent d’ajouter que cette analyse est en tous points conforme à ce qui se dégage des nombreuses dispositions concernant le régime de financement, notamment aux dispositions suivantes :
283. La Commission tient des comptes distincts pour chaque employeur, mais l'actif du Fonds est indivisible pour le paiement des prestations.
__________
1985, c. 6, a. 283; 1996, c. 70, a. 8; 2002, c. 76, a. 30.
284. La Commission choisit son mode de financement d'après la méthode qu'elle estime appropriée pour lui permettre de faire face à ses dépenses au fur et à mesure de leur échéance et d'éviter que les employeurs soient injustement obérés par la suite à cause des paiements à faire pour des lésions professionnelles survenues auparavant.
__________
1985, c. 6, a. 284; 1988, c. 34, a. 1.
285. La Commission évalue à la fin de chaque année le montant de la réserve actuarielle requise compte tenu du mode de financement qu'elle a choisi.
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1985, c. 6, a. 285.
286. L'évaluation de la réserve actuarielle et les expertises actuarielles visées aux articles 304, 314 et 454 sont faites par un actuaire membre de l'Institut canadien des actuaires qui a le titre de « fellow » ou un statut que cet institut reconnaît comme équivalent.
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1985, c. 6, a. 286; 1989, c. 74, a. 1.
[nos soulignements]
[35] Il appert de ces dispositions que le législateur fait clairement une différence entre les lésions imputables à l’employeur et les lésions antérieures imputables aux autres employeurs. Il est donc tout à fait injuste de faire supporter au présent employeur le coût des prestations déjà imputées à un autre employeur, pour lesquelles la CSST a déjà facturé à cet employeur avec des provisions actuarielles nécessaires au paiement des prestations versées.
[36] Les dispositions ayant trait au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu font partie d’un objectif distinct de la loi visant la réparation des conséquences d’une lésion professionnelle. Les dispositions quant au financement visent plutôt à imputer les prestations qui sont attribuables aux lésions professionnelles au dossier de l’employeur responsable.
[37] À l’instar de la décision dans l’affaire J.M. Bouchard et Fils[6], le présent tribunal se distingue également de la thèse majoritaire en ce qu’une telle interprétation ne tient pas compte du contexte global des dispositions relativement au financement du régime dans son interprétation de la notion de prestations à l’alinéa 1 de l’article 326 de la loi.
[38] Au surplus, une telle interprétation entraîne un effet pervers allant à l’encontre de l’objectif de réadaptation prévu à la loi. En effet, il est déjà difficile pour un travailleur de se trouver un emploi convenable lorsqu’il a des limitations fonctionnelles. Si on impose un possible fardeau financier à un employeur subséquent en lui imputant les indemnités de remplacement du revenu réduites résultant d’un accident du travail dont il n’est pas responsable, on ne facilitera pas la tâche du travailleur dans la recherche d’un emploi sur le marché du travail.
[39] Cette façon de faire peut entraîner des craintes chez un employeur éventuel qu’elles soient expressément manifestées ou non.
[40] À cet égard, la Commission des lésions professionnelles a déjà soulevé dans l’affaire Groupe Morrisette autos inc.[7], certains propos qui soutiennent le raisonnement du présent tribunal, et ce, bien que la question en litige dans ce dossier diffère. Le tribunal estime pertinent d’en citer quelques extraits :
[51] En effet, la CSST cotise chaque année les employeurs pour couvrir les dépenses qu’elle encourra dans l’avenir, au regard des lésions professionnelles survenant dans l’année de cotisation.
(…)
[53] La tenue de comptes distincts et la juste imputation des coûts au dossier des employeurs, dans le respect des règles instaurées, sont des éléments fondamentaux pour garantir l’équité entre les employeurs cotisant au régime d’assurance.
[54] En effet, tel que le prévoit l’article 284 de la loi, la CSST doit faire face à ses dépenses au fur et à mesure de leur échéance pour éviter que les employeurs soient injustement obérés par la suite à cause des paiements à faire pour des lésions professionnelles survenues auparavant.
(…)
[55] Ainsi, chaque génération d’employeurs ne doit supporter que les coûts qui lui sont propres. Le législateur a mis en place diverses règles pour atteindre cet objectif. À cet effet, il a notamment prévu qu’un employeur bénéficie d’un délai limité de trois ans pour présenter une demande d’imputation des coûts d’une lésion professionnelle, en vertu de l’article 329 de la loi.
[41] Le tribunal ne croit donc pas que la notion de prestations prévue à l’article 326 de la loi alinéa 1, inclut les prestations versées pour une lésion professionnelle qui n’est pas attribuable au présent employeur. Au surplus, la situation précise du présent dossier entraîne une situation d’injustice, c’est-à-dire une situation étrangère aux risques que l’employeur doit supporter étant donné que la majeure partie de la portion des indemnités de remplacement du revenu qui lui sont imputées relève d’une lésion professionnelle antérieure chez un autre employeur. Cette proportion des coûts est attribuable à cette situation d’injustice et est significative par rapport aux coûts découlant de l’indemnité de remplacement du revenu versée dans l’accident en cause.
[42] Par ailleurs, la CSST a déjà facturé l’employeur précédent et effectué les provisions actuarielles nécessaires en tenant compte des dispositions de la loi.
[43] Ainsi, compte tenu de ce qui précède, le tribunal conclut que la CSST doit imputer au dossier financier de l’employeur les indemnités de remplacement du revenu calculées sur une base salariale de 9 470,79 $ pour la lésion professionnelle du 16 août 2009.
[44] Cependant, compte tenu de ce qui précède, le tribunal n’a pas à trancher à qui imputer les coûts afférents à l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur au-delà de ceux que l’employeur assume déjà et qui font l’objet du présent dossier. Il revient donc à la CSST de décider si elle imputera la différence entre l’indemnité de remplacement du revenu réduite afférente à la lésion professionnelle survenue chez l’employeur précédent et la portion d’indemnité de remplacement du revenu versée correspondant au salaire gagné chez le présent employeur au moment de la lésion professionnelle du 16 août 2009, soit aux employeurs, d’une, de plusieurs ou de toutes les unités.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de Rôtisserie St-Hubert (10520 Lajeunesse), l’employeur;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 29 juin 2010 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail doit imputer au dossier financier de Rôtisserie St-Hubert (10520 Lajeunesse) la partie de l’indemnité de remplacement du revenu versée à monsieur Alain Breton, le travailleur, qui correspond au salaire que celui-ci gagnait lorsqu’il a subi un accident du travail à son service le 16 août 2009, c’est-à-dire 9 470,79 $.
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Claire Burdett |
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Me Éric Latulippe |
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Langlois Kronström Desjardins |
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Représentant de la partie requérante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Service d’entretien Empro inc., C.L.P.
[3] J.M. Bouchard et Fils inc., C.L.P.
[4] Nettoyeurs Pellican inc., C.L.P.
[5] Précitée,
note 3; 2M Ressources inc.,
[6] Précitée, note 3.
[7] 2011 QCCLP 768 .
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