Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Aly c. Gagnon

2023 QCCQ 1812

COUR DU QUÉBEC

« Division administrative et d’appel »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

GATINEAU

LOCALITÉ DE

GATINEAU

« Chambre civile »

 :

550-80-005307-216

 

 

 

DATE :

20 avril 2023

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

STÉPHANE D. TREMBLAY, J.C.Q.

 

 

______________________________________________________________________

 

 

JOLIE ALY

Partie Appelante

c.

RICHARD GAGNON

Partie Intimée

 

-et-

 

Tribunal administratif du logement

Mise en cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

1.     L’introduction

[1]   Le 8 juillet 2021, le Tribunal administratif du logement  TAL ») rejette la demande de reprise de logement présentée par Mme Jolie Aly (« Locatrice »). Insatisfaite de cette décision[1], Mme Aly se pourvoi en appel.

[2]   Selon la Locatrice, la décision du TAL est entachée d’une erreur de droit en ce qu’après avoir conclu de sa bonne foi, c’est-à-dire qu’elle entendait réellement reprendre le logement pour les fins annoncées dans l’avis de reprise de possession, le décideur a rejeté sa demande d’autorisation de reprendre le logement en ajoutant des critères non prévus à la loi, à savoir que les raisons qui motivent la reprise du logement se maintiendront. C’est-à-dire, que la reprise du logement devrait atteindre un certain niveau de permanence et d’irréversibilité.

[3]   Le raisonnement attaqué du TAL se retrouve aux paragraphes 30 à 39 de la décision. Pour faciliter la compréhension, il convient de citer ces paragraphes :

[30] En matière de reprise de logement, le locateur a le fardeau de démontrer que le projet peut se réaliser, qu’il est certain et permanent et qu'il ne soit pas uniquement hypothétique. En conséquence, il ne doit y avoir aucun doute dans l'esprit du Tribunal. Advenant un tel doute, il doit rejeter la demande de reprise.

[31] Le Tribunal a fréquemment analysé la question et il a été reconnu que la reprise doit avoir une certaine stabilité et faisabilité.

[32] En espèce, la locatrice fait part de son projet d’utiliser le logement du locataire uniquement comme un sous-sol, le tout sans rénovation et sans l’unir à son logement. Dans les faits, ce logement restera toujours le « B ». Elle avance ne pas requérir de permis de la municipalité parce qu’il n’y aura pas de travaux de modifications. Donc, aux dossiers de la Ville, l’immeuble comptera toujours trois (3) unités.

[33] Elle soumet au Tribunal un plan d’aménagement et des annonces de meubles ou d’articles qu’elle allègue vouloir se procurer pour le logement.

[34] Les raisons invoquées par la locatrice ne peuvent convaincre le Tribunal, entre autres de la durabilité et la stabilité du projet. En effet, la seule et unique raison prétextée est parce que le conjoint de la locatrice travaille de nuit et veut dormir tranquille le jour. Rien ne convainc le Tribunal que cette situation ne changera pas dans quelques mois et que le logement ne sera pas remis en location, d’autant plus qu’il ne subira aucune modification et reste comme telle aux dossiers de la Ville.

[35] Évidemment, le Tribunal ne peut présumer de l’avenir, mais en cas de reprise de logement, il doit être convaincu de manière prépondérante de la durabilité, de la stabilité et faisabilité du projet, ce qui n’est pas le cas en espèce.

[36] De surcroît, la locatrice et son conjoint sont propriétaires d’une maison située à quelques mètres de l’immeuble concerné. La locatrice mentionne que c’est sa mère qui y réside et que cette dernière pourrait retourner dans le logement « C ». Ainsi, le Tribunal s’interroge à savoir si cette résidence, une maison, ne comblerait pas les besoins de la locatrice et de son conjoint sans nécessiter l’éviction du locataire. Ce questionnement reste malheureusement en suspens.

[37]   Le Tribunal fait siens les commentaires de Me Marilyne Trudeau, juge administrative qui s’exprime comme suit :

« Il appartenait aux locateurs d'établir le besoin et la capacité de loger au logement à long terme au moment de la reprise. En l'instance, le projet décrit est trop embryonnaire et repose sur des aspects trop incertains pour permettre la reprise. »

[38] Le Tribunal applique cette analyse au présent cas. Le projet de la locatrice tel qu’expliquer lors de l’audience ne permet pas de retirer le droit au maintien dans les lieux du locataire.

[39] Le projet de la locatrice et sa bonne foi ne sont aucunement remis en doute, mais la reprise ne peut être accordée dans les circonstances exposées précédemment. La locatrice n’ayant pas réussi à convaincre le Tribunal et ainsi à remplir son fardeau imposé par la loi.

[4]   Monsieur le juge Guénard J.C.Q. a accueilli la demande de permission d’appel et autorisé la question suivante[2]:

Le Tribunal administratif du logement commet-il une erreur révisable en concluant au rejet de la demande de reprise du logement, et ce, tout en ayant conclu que le projet de la locatrice et sa bonne foi n’étaient aucunement remis en doute?

[5]                Le présent jugement disposera donc de l’appel en tranchant cette question.

2.     L’analyse

2.1        Les principaux principes applicables à la demande de reprise

[6]   L’article 1957 C.c.Q. prévoit que le locateur propriétaire d’un logement peut le reprendre pour l’habiter lui-même ou y loger ses parents ou ses enfants ou tout autre parent ou allié dont il est le principal soutien. Si le locataire refuse de quitter le logement, le locateur doit alors obtenir l’autorisation du TAL avant de le reprendre.

[7]   Pour obtenir cette autorisation, le locateur doit démontrer qu’il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l’avis de reprise de possession remise au locataire et qu’il ne s’agit pas de prétexte pour atteindre d’autres fins[3].

[8]   En somme, le locateur doit prouver sa bonne foi. À ce titre, je me permets de citer le jugement de Monsieur le Juge Guénard J.C.Q. :

[22] Dans le cadre d’un tel recours, il revient au locateur de démontrer, par l’entremise d’une preuve convaincante, sa bonne foi.  Le locateur doit établir que la reprise du logement est véritablement effectuée pour le motif allégué. 

[23] Ledit motif ne doit pas s’agir d’un prétexte visant à camoufler l’objectif véritable, oblique, soit celui d’évincer un locataire.[4]

[9]   Si le locateur parvient à établir qu’il exerce son droit de reprendre le logement en raison des motifs allégués à l’avis de reprise de possession, sa demande doit être considérée légitime et le TAL doit alors l’autoriser à reprendre le logement.

2.2        Application à l’espèce

[10]           La Locatrice est parvenue à convaincre le TAL qu’elle entendait reprendre le logement pour les motifs annoncés au Locataire. Malgré tout, le TAL refuse de l’autoriser à reprendre le logement, se disant non convaincu que la situation qui motive la reprise du logement ne changera pas dans quelques mois et que le logement ne sera pas remis en location[5].

[11]           Avec égard, le Tribunal estime que le TAL commet une erreur de droit en rejetant la demande malgré qu’il ait été convaincu de la bonne foi de la Locatrice et que son projet ne constituait pas un prétexte pour atteindre une autre fin que celles annoncées dans l’Avis de reprise de possession. C’est tout ce que la loi prévoit. Ayant démontré qu’elle exerçait légitimement son droit à la reprise du logement conféré par la loi, le TAL devait autoriser sa demande.

[12]           Certes, le TAL pouvait prendre en considération le caractère de permanence des aménagements envisagés par la Locatrice afin de déterminer si les motifs de reprise du logement sont vraisemblables ou pour reprendre le libellé de l’article 1963 C.c.Q. qu’il ne s’agit pas d’un prétexte pour atteindre d’autres fins. La stabilité et la durabilité du projet peuvent être des éléments pertinents dans le cadre de cette analyse. En revanche, ce ne sont pas des critères qui sont prévus à la loi.

[13]           Bref, ayant rempli le fardeau que la loi lui impose, le TAL ne pouvait refuser d’autoriser la reprise du logement parce qu’il n’est pas convaincu que la situation invoquée par la Locatrice ne changera pas dans quelques mois et que le logement ne sera pas remis en location.

[14]           De fait, si le TAL craint que la reprise du logement puisse s’avérer temporaire, ou encore pour une courte période, l’article 1970 C.c.Q. répond à cette préoccupation puisque si la Locatrice souhaite louer à nouveau le logement, elle devra alors obtenir l’autorisation du TAL.

[15]           L’appel est donc accueilli.

3.     L’indemnité de l’Article 1967 C.c.Q.

[16]           Reste à déterminer l’indemnité à verser au locataire.

[17]           La locatrice plaide que l’indemnité devrait correspondre aux frais de déménagement qui, selon les estimations obtenues[6], sont estimés à 1 000 $.

[18]           De son côté, le Locataire soumet que l’article 1967 C.c.Q. octroie au Tribunal la discrétion d’imposer le paiement d’une indemnité qui excède les coûts de déménagement. Il souhaiterait donc obtenir une indemnité équivalente à trois à cinq mois de loyer[7]. Il reconnaît toutefois que l’estimation des coûts de déménagement fourni par la Locatrice est raisonnable.

[19]           Il convient de souligner que l’indemnité prévue à l’article 1967 C.c.Q. n’est pas de la nature de dommages-intérêts. Cette indemnité vise à compenser adéquatement le locataire, sans pénaliser le locateur qui, rappelons-le, exerce un droit légitime prévu par la loi.

[20]           Ainsi, bien que le Tribunal ne soit pas nécessairement d’accord avec la position avancée par le Locataire selon laquelle le Tribunal devrait fixer une indemnité qui excède le coût du déménagement, à l’audience la Locatrice s’est montrée disposée à verser une indemnité de 2 000 $, ce qui correspond à environ trois mois de loyer.

[21]           Dans les circonstances, le Tribunal estime qu’il s’agit d’une indemnité juste et raisonnable et amplement suffisante pour couvrir les coûts afférents du déménagement.

[22]           La reprise du logement sera donc assujettie au paiement d’une indemnité de 2 000 $.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[23]           ACCUEILLE l’Appel;

[24]           AUTORISE Jolie Aly à reprendre le logement du [...], Gatineau, et ce, à compter du 31 mai 2023;

[25]           ASSUJETTIT la reprise du logement au paiement d’une indemnité de 2 000 $ au locataire Richard Gagnon;

[26]           AVEC FRAIS DE JUSTICE en faveur de l’appelante.

 

 

 

__________________________________

STÉPHANE D. TREMBLAY, J.C.Q.

 

Date d’audience :

14 octobre 2022

 


[1]  Aly c. Gagnon, 2021 QCTAL 17296.

[2]  Aly c. Gagnon, 2022 QCCQ 1778.

[3]  Art. 1963 C.c.Q.

[4]  Aly c. Gagnon, précitée note 1.

[5]  Par. 34 de la Décision du TAL.

[6]  Pièce P-10.

[7]  Le loyer mensuel est de 675 $.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.