Décision

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Dupuis c. Desjardins Sécurité financière, compagnie d'assurance-vie

2022 QCCS 4903

COUR SUPÉRIEURE

(Action collective)

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

No :

  200-06-000134-117

 

DATE :

 29 novembre 2022

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : L’HONORABLE bernard godbout, J.C.S.

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JEAN-PAUL DUPUIS

et

FRANCIS TREMBLAY

Demandeurs

c.

DESJARDINS SÉCURITÉ FINANCIÈRE, COMPAGNIE D’ASSURANCE-VIE

et

DESJARDINS GESTION INTERNATIONALE D’ACTIFS INC.

Défenderesses

 

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TRANSCRIPTION RÉVISÉE DES MOTIFS DE LA DÉCISION

quant aux modalités du processus de voir-dire

RENDUE SÉANCE TENANTE LE 21 novembre 2022

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[1]                Le 14 juin 2021, je prononçais un jugement sur des objections dans lequel il est écrit aux paragraphes 63 et 79 ce qui suit :

[63] Étant donné la nature des objections des défenderesses à communiquer certains documents sans qu’ils aient été caviardés, ces objections seront examinées lors d’un processus de voire-dire, tenu à huis clos et ex parte de la présence des demandeurs et de leurs avocats.

[79] ORDONNE que les objections des défenderesses à communiquer aux demandeurs certains documents sans qu’ils aient été caviardés pour les motifs énoncés ci-dessus, soient examinées lors d’un processus de voire-dire, tenu à huis clos et ex parte de la présence des demandeurs et de leurs avocats.

[2]                Le 12 mai 2022, la Cour d’appel écrit au sujet de cette conclusion :

[23] Les appelants plaident que cette conclusion est erronée et contrevient à la règle de la publicité des débats judiciaires. Par ailleurs, les intimées n’ont produit aucune preuve d’un risque réel et important qui menace gravement l’intérêt commercial ou un privilège. Selon les appelants, cette procédure à huis clos les empêche de valider les revendications de confidentialité ou de privilège et les prive d’être entendus.

[24] Les appelants ne démontrent pas que le juge de première instance a exercé sa discrétion judiciaire de manière déraisonnable. Le juge n’a prononcé aucune ordonnance de confidentialité qui aurait requis la pondération : (1) de l’impératif de publicité des débats judiciaires (2) de l’intérêt de maintenir la confidentialité d’informations commerciales ou privilégiées ; et (3) de préserver autant que possible l’application des principes de contradiction, de coopération et plus généralement l’équité des procédures pour toutes les parties .

[25] L’ordonnance du juge se situe en amont en ne faisant qu’établir un mécanisme par lequel il pourra consulter l’information contestée. Il réserve l’analyse du sort des demandes de caviardage à une date ultérieure.

[26] Le juge de première instance dispose de tous les pouvoirs nécessaires pour trancher les difficultés que peuvent soulever les interrogatoires préalables ou la divulgation de la preuve. Ces pouvoirs incluent celui de contrôler le processus de communication de la preuve, d’en établir les modalités et d’en fixer les limites.

[27] Afin de « prévenir la communication prématurée et superflue de renseignements confidentiels, la pratique judiciaire veut qu'avant de l'ordonner, le tribunal examine les documents pour déterminer dans un premier temps leur pertinence et la nécessité de leur communication et, le cas échéant, mette en place les mesures lui permettant d'être informé adéquatement et d'encadrer convenablement le débat judiciaire à leur sujet ». En d’autres termes, « la méthode recommandée en pareil cas consiste à soumettre la documentation en cause au juge afin que celui-ci statue ».

[28] Le juge de première instance ne fait qu’énoncer qu’il considérera les objections et les revendications de confidentialité ou de privilège lors d’un voir-dire à huis clos. Cette ordonnance, de nature générale, ne traite pas en détail de la manière par laquelle les revendications seront effectuées, non plus que des droits de participation auxquels auront droit les appelants, et ce, de manière à préserver le principe de contradiction et la transparence du processus judiciaire, tout en évitant une communication prématurée, indésirable ou préjudiciable d’informations confidentielles ou privilégiées.

[3]                Voilà comment la Cour d’appel a vu cette conclusion.

 

[4]                À la suite des représentations de part et d’autre de ce matin, il est acquis que les objections à la communication des passages ou extraits caviardés dans les documents déjà communiqués aux avocats des demandeurs ne concernent aucunement :

                des informations protégées par le secret professionnel; ou

                des informations protégées par le privilège relatif au litige.

[5]                Selon les avocats des défenderesses, il s’agit essentiellement d’informations commerciales :

                qui ne concernent pas le présent litige; et 

                qui ont un caractère confidentiel.

[6]                Selon eux, les demandeurs ont obtenu toute l’information pertinente au litige.

[7]                À cette étape-ci, c’est la partie qui s’objecte à la communication de l’information, en l’occurrence les passages caviardés, qui doit démontrer que cette exception à la publicité des débats est justifiée.

[8]                De part et d’autre, les parties reconnaissent que l’information demandée s’inscrit dans un contexte commercial.

[9]                Dans l’arrêt de la Cour suprême Sherman c. Donovan, 2021 CSC 25, le juge Kasirer, au nom de la Cour, écrit aux paragraphes 41 et 42 :

[41] La portée reconnue des intérêts qui pourraient justifier une exception discrétionnaire à la publicité des débats judiciaires s’est élargie au fil du temps. Dans l’arrêt Dagenais, le juge en chef Lamer a parlé de la nécessité d’un risque « que le procès soit inéquitable » (p. 878). Dans Mentuck, le juge Iacobucci a étendu cette condition à un risque « pour la bonne administration de la justice » (par. 32). Enfin, dans Sierra Club, le juge Iacobucci, s’exprimant encore une fois au nom de la Cour à l’unanimité, a reformulé le test de manière à englober tout risque sérieux pour un « intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d’un litige » (par. 53). Il a en même temps précisé que l’intérêt important doit être exprimé en tant qu’intérêt public. Par exemple, à la lumière des faits de cette affaire, le préjudice causé à un intérêt commercial particulier n’aurait pas été suffisant, mais « l’intérêt commercial général dans la protection des renseignements confidentiels » constituait un intérêt important en raison de son caractère public (par. 55). Cette conclusion est compatible avec le fait que ce test a été élaboré à l’égard de la jurisprudence relative à l’arrêt Oakes, laquelle met l’accent sur l’objectif « urgen[t] et rée[l] » d’un texte de loi d’application générale (Oakes, p. 138-139; voir également Mentuck, par. 31). L’expression « intérêt important » vise donc un large éventail d’objectifs d’intérêt public.

 

[42] Bien qu’il n’y ait aucune liste exhaustive des intérêts publics importants pour l’application de ce test, je partage l’opinion du juge Iacobucci, exprimée dans Sierra Club, selon laquelle les tribunaux doivent faire preuve de « prudence » et « avoir pleinement conscience de l’importance fondamentale de la règle de la publicité des débats judiciaires », même à la toute première étape lorsqu’ils constatent les intérêts publics importants (par. 56). Déterminer ce qu’est un intérêt public important peut se faire dans l’abstrait sur le plan des principes généraux qui vont au-delà des parties à un litige donné (par. 55). En revanche, la conclusion sur la question de savoir si un « risque sérieux » menace cet intérêt est une conclusion factuelle qui, pour le juge qui examine le caractère approprié d’une ordonnance, est nécessairement prise eu égard au contexte. En ce sens, le fait de constater, d’une part, un intérêt important et celui de constater, d’autre part, le caractère sérieux du risque auquel cet intérêt est exposé sont, en théorie du moins, des opérations séparées et qualitativement distinctes. Une ordonnance peut donc être refusée du simple fait qu’un intérêt public important valide n’est pas sérieusement menacé au vu des faits de l’affaire ou, à l’inverse, parce que les intérêts constatés, qu’ils soient ou non sérieusement menacés, ne présentent pas le caractère public important requis sur le plan des principes généraux.

[10]           Donc, on voit comment la Cour suprême aborde cette question.

[11]           Au sujet de l’expression « intérêt commercial important », le juge Iacobucci écrit au paragraphe 55 de l’arrêt Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2022 CSC 41 :

55 De plus, l’expression « intérêt commercial important » exige une clarification. Pour être qualifié d’« intérêt commercial important », l’intérêt en question ne doit pas se rapporter uniquement et spécifiquement à la partie qui demande l’ordonnance de confidentialité; il doit s’agir d’un intérêt qui peut se définir en termes d’intérêt public à la confidentialité. Par exemple, une entreprise privée ne pourrait simplement prétendre que l’existence d’un contrat donné ne devrait pas être divulguée parce que cela lui ferait perdre des occasions d’affaires, et que cela nuirait à ses intérêts commerciaux. Si toutefois, comme en l’espèce, la divulgation de renseignements doit entraîner un manquement à une entente de non-divulgation, on peut alors parler plus largement de l’intérêt commercial général dans la protection des renseignements confidentiels. Simplement, si aucun principe général n’entre en jeu, il ne peut y avoir d’« intérêt commercial important » pour les besoins de l’analyse. Ou, pour citer le juge Binnie dans F.N. (Re), [2000] 1 R.C.S. 880, 2000 CSC 35, par. 10, la règle de la publicité des débats judiciaires ne cède le pas que « dans les cas où le droit du public à la confidentialité l’emporte sur le droit du public à l’accessibilité ».

[12]           Nous sommes donc à l’étape de nous demander et d’examiner s’il y a un intérêt commercial important à protéger, autrement dit si les passages caviardés dans les documents communiqués à la demanderesse sont de la nature d’un « intérêt commercial important » c’est-à-dire que le « droit du public à la confidentialité l’emporte sur le droit du public à l’accessibilité ».

 

DANS CE CONTEXTE, la démarche proposée s’applique, à savoir :

Premièrement, lors d’une plénière, les parties vont faire leurs représentations sur la notion d’intérêt commercial important dans un contexte d’intérêt public et en fonction des principes de l’accessibilité et de la publicité des débats.

Dans un deuxième temps, je vais examiner les documents et entendre les représentations de la partie défenderesse, hors la présence des demandeurs et de leurs avocats, sur le caractère commercial important de l’information caviardée eu égard aux notions d’intérêt public en cause.

 

 

 

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BERNARD GODBOUT, J.C.S.

 

 

Avocats des demandeurs :

Me Philippe Hubert Trudel

Trudel Johnston & Lespérance

 

Me Guy Paquette

Me Annie Montplaisir

PAQUETTE GADLER INC.

 

Avocats des défenderesses :

Me Mason Poplaw

Me Isabelle Vendette

Me Amélie Boucher

Mc Carthy Tétrault

 

Me Esther Houle, avocate

Mouvement Desjardins

 

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