R. c. Gravel |
2018 QCCA 1114 |
COUR D'APPEL
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
No : |
200-10-003470-189 |
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(200-01-184249-146) |
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PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE |
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DATE : |
15 juin 2018 |
CORAM : LES HONORABLES |
DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A. (JB1988) |
PARTIE REQUÉRANTE |
AVOCATE |
SA MAJESTÉ LA REINE
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Me SONIA LAPOINTE (AU9005) (Procureure aux poursuites criminelles et pénales)
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PARTIE INTIMÉE |
AVOCAT |
JESSY GRAVEL
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Me YVES SAVARD (AS9569) (Savard, Pigeon)
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En appel d'un jugement rendu le 4 décembre 2017 par l'honorable Carol St-Cyr de la Cour du Québec, district de Québec. |
NATURE DE L'APPEL : |
1. Requête pour permission d’appeler déférée à la formation2. Agression sexuelle |
Greffière : Nancy Savard (TS1190) |
Salle : 4.33 |
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AUDITION |
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9 h 35 |
La Cour s’adresse aux parties; |
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Observation de Me Lapointe; |
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Observations de la Cour; |
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Me Lapointe poursuit; |
9 h 51 |
Suspension; |
9 h 55 |
Reprise; |
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Observations de Me Savard; |
10 h 03 |
Suspension; |
10 h 13 |
Reprise; |
10 h 14 |
Arrêt, les motifs seront déposés au procès-verbal; |
10 h 16 |
Fin de l’audience. |
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(s) |
Greffière audiencière |
PAR LA COUR
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ARRÊT |
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[1] La requérante demande la permission de se pourvoir contre un jugement sur la peine prononcée le 4 décembre 2017 par l’honorable Carol St-Cyr de la Cour du Québec, district de Québec, qui absout conditionnellement l’intimé et lui impose une probation de deux ans, par laquelle il s’engage à garder la paix, maintenir une bonne conduite, ne pas communiquer avec la victime et effectuer 150 heures de travaux communautaires. De plus, une ordonnance de dédommagement de 2 000 $ est rendue au profit de la victime[1].
[2] Le 19 mai 2017, l’intimé est déclaré coupable d’avoir agressé sexuellement la plaignante, âgée de 29 ans, dans la nuit du 15 au 16 février 2014.
[3] La requérante soutient que le juge a commis une erreur déterminante en priorisant les facteurs atténuants, dont certains sont sans fondement véritable, au détriment des principes de dénonciation et de dissuasion générale. Selon elle, le juge a erronément considéré l’absence de violence ou d’acharnement auprès de la victime et son emploi stable comme facteurs atténuants. Elle ajoute que les objectifs de réparation et de réhabilitation ne peuvent primer sur ceux de dénonciation et de dissuasion.
[4] La requérante soutient de plus que le juge commet une erreur en considérant le prélèvement d’ADN et l’enregistrement au registre des délinquants sexuels dans l’évaluation de la protection du public, « alors que ce critère n’a rien à voir avec l’intérêt public ». Il commettrait aussi une erreur de principe en ordonnant un dédommagement de 2 000 $ à la victime alors qu’aucune des parties n’avait soulevé une telle possibilité. Il s’agirait là d’une manière de « bonifier » une peine trop clémente.
[5] La requérante demande à la Cour de substituer la peine imposée par un emprisonnement ferme de 18 à 24 mois moins un jour, suivie d’une période de probation de deux ans, assortie de certaines conditions.
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[6] Dans son jugement déférant la requête pour permission d’appeler à une formation de la Cour, le juge Claude C. Gagnon indiquait ce qui suit :
[1] Le crime perpétré est grave et la peine prononcée est clémente. Il y a lieu à mon avis qu’une formation de la Cour en examine le fondement.[2]
[7] Il est vrai que le crime est grave et que la peine est clémente. Il s’agit maintenant de déterminer si la requérante démontre l’existence d’une erreur permettant à la Cour d’intervenir dans cette affaire.
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[8] La détermination de la peine est « loin d’être une science exacte ou une procédure inflexiblement prédéterminée »[3]. Il s’agit plutôt d’un exercice délicat qui relève d’abord et avant tout du juge de première instance qui joue un rôle unique et crucial[4]. Une grande responsabilité lui est dévolue et un tribunal d’appel ne pourra intervenir que dans des situations très limitées. En effet, le juge de première instance jouit d’une grande discrétion pour prononcer la peine qu’il estime appropriée dans les limites déterminées par la loi[5].
[9] Traditionnellement, seuls quatre cas permettent d’intervenir en appel :
(1) une erreur de principe;
(2) l'omission de prendre en considération un facteur pertinent ou l'insistance trop grande sur les facteurs appropriés;
(3) une erreur manifeste dans l'appréciation de la preuve; et
(4) la peine se situe en dehors des limites acceptables et est nettement déraisonnable[6].
[10] Ainsi, un tribunal d’appel ne peut modifier une peine simplement parce qu’il aurait accordé un poids différent aux facteurs pertinents[7].
[11] D’ailleurs, il faut éviter de banaliser l’expression « erreur de principe »[8] afin de préserver la retenue judiciaire en cette matière[9]. Même si une telle erreur est présente, il est nécessaire qu’elle ait eu une incidence sur la détermination de la peine pour justifier l’intervention d’une cour d’appel[10].
[12] Bien que les cours d’appel puissent jouer un rôle important « en contrôlant et en réduisant au minimum la disparité entre les peines infligées à des contrevenants similaires, pour des infractions similaires commises dans les diverses régions du Canada »[11], elles doivent faire preuve d’une grande retenue envers le pouvoir discrétionnaire dévolu aux tribunaux de première instance.
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[13] Les peines imposées aux personnes reconnues coupables d’agression sexuelle varient considérablement, étant donné le large éventail de comportements qui peut conduire à l’infraction d’agression sexuelle[12].
[14] La grande majorité des agressions sexuelles simples sont poursuivies par acte criminel. Cette infraction se situe donc dans la partie médiane supérieure de l’échelle de gravité puisqu’elle est passible d’un emprisonnement maximal de 10 ans[13]. L’emprisonnement avec sursis n’est plus une peine possible.
[15] Quoique l’emprisonnement ferme soit la sanction privilégiée en matière d’agression sexuelle, cette règle d’application générale comporte des exceptions :
L’emprisonnement ferme est donc la sanction privilégiée en matière d’agression sexuelle, qu’il s’agisse de victimes mineures (les crimes d’agression sexuelle étant alors greffés de peines minimales d’emprisonnement) ou de victimes majeures. Évidemment, toute règle d’application générale comporte des exceptions et dans des circonstances appropriées, une peine plus clémente pourrait être envisagée[14].
[16] La question est de savoir si, dans notre affaire, le juge a commis une erreur de principe en envisageant une peine plus clémente.
[17] Le juge a rendu un jugement très étoffé qui résume bien l’affaire. Tout d’abord, le rapport présentenciel favorable indique que l’accusé, 30 ans et vivant en union de fait depuis deux ans, travaille comme technicien pour une entreprise de télécommunication. Il reconnaît entièrement son geste délictuel et le fait qu’il ait été négligent. Il accepte la décision du tribunal quant au verdict de culpabilité. Il a fait preuve d’une bonne remise en question et ne tente pas de rejeter le blâme sur la victime. Il regrette les gestes posés et ressent de la honte. Le juge l’estime sincère lorsqu’il exprime de l’empathie pour la jeune femme. La franchise est importante pour lui, de sorte qu’il a informé sa nouvelle conjointe et son réseau social de l’événement, et il reçoit le soutien nécessaire. L’accusé a fait preuve d’opportunisme, et selon l’agente de probation, il ne s’agit pas d’une prise de contrôle, mais plutôt d’un aveuglement volontaire. Il a commencé un suivi psychologique. Le juge reconnaît que le risque de récidive est faible.
[18] Avec raison, le juge identifie les facteurs aggravants suivants : l’opportunisme manifesté par l’accusé, l’état d’ébriété de la plaignante, l’aveuglement volontaire de l’accusé, les séquelles inhérentes reliées au crime d’agression sexuelle.
[19] Il ne se trompe pas lorsqu’il détermine, à titre de facteurs atténuants : l’âge de l’accusé, l’absence d’antécédents judiciaires, l’absence de préméditation, l’absence de violence ou d’acharnement auprès de la victime (outre la nature même du crime), les profonds remords exprimés, l’absence de risque de récidive, un travail stable, sa franchise, le réalisme du processus de réhabilitation et son suivi psychologique.
[20] Le juge est bien conscient que la peine doit éviter de banaliser le crime, particulièrement au niveau de l’agression sexuelle, mais qu’elle doit aussi être adaptée à l’individu qui la reçoit. Il considère que, bien que ne faisant pas partie de la peine, la prise d’un échantillon corporel pour fins de banque d’ADN et plus particulièrement l’inscription au registre des délinquants sexuels pour une période de 20 ans, constituent un fardeau pour l’accusé et assurent une protection adéquate pour le public.
[21] Ce faisant, le juge a-t-il commis une erreur déterminante, comme le prétend la requérante ? La Cour est d’avis qu’il faille répondre par la négative.
[22] Le juge constate qu’il possède la preuve que l’absence de casier judiciaire est une condition d’emploi de l’intimé et qu’il en va de l’intérêt véritable de l’accusé de bénéficier d’une absolution. Par ailleurs, la poursuite n’a pas produit de déclaration sur les conséquences du crime, quoique la plaignante ait eu la possibilité de la fournir.
[23] Le juge se dirige correctement en droit et passe en revue et de manière exhaustive les principes pénologiques appropriés, dont ceux applicables à l’absolution. Après avoir distingué la jurisprudence déposée par les parties, et trouvant appui sur quatre décisions[15] dont les faits s’apparentent à ceux de notre dossier, il estime pouvoir envisager une absolution.
[24] La requérante soutient que la gravité du crime commande de privilégier les principes de dénonciation et de dissuasion générale. Elle affirme que l’absolution conditionnelle est contraire à l’intérêt public puisqu’elle banalise des gestes graves. Selon elle, l’intérêt public commande d’aller au-delà de l’intérêt véritable de l’accusé pour satisfaire les objectifs pénaux à privilégier.
[25] La prétention de la requérante peut être comprise comme voulant dire que les principes de dénonciation et de dissuasion doivent toujours conduire à de l’emprisonnement ferme en cas d’agression sexuelle, peu importe les circonstances.
[26] Cette prétention enfreint l’idée que l’absolution prévue à l’article 730 C.cr. n’exclut aucun crime, sauf ceux passibles d’une peine minimale ou de quatorze ans ou plus. Le juge Vauclair exprime très bien l’idée que l’objectif de dissuasion générale en présence de crime plus sérieux ne constitue pas un obstacle dirimant à l’absolution :
[89] L’absolution conditionnelle comporte le même mécanisme [que celui prévu au paragraphe 732.2(5) C.cr.] par lequel le juge peut annuler l’absolution et infliger au contrevenant une peine pour l’infraction originale en plus de toute autre peine : art. 730(4) C.cr.
[90] J’accepte les propos du juge Dubin dans l’arrêt R. c. Meneses (1976), 25 C.C.C. (2d) 115 (C.A.O.) :
12 It is always to be borne in mind that a person who is granted a conditional discharge does not go scot-free after committing the offence. In this case the accused is subject to the terms of the probation order, and in the event that the terms of the probation order are met, she will have earned her discharge. If the terms are not met she may be brought back and sentenced for the offence, and a conviction will be recorded against her.
[91] L’absolution prévue à l’article 730 C.cr. n’exclut aucun crime sauf ceux qui sont passibles d’une peine minimale ou de quatorze ans ou plus d’emprisonnement et elle n’est pas, en définitive, une mesure exceptionnelle.
[92] La mesure est même possible lorsque le crime peut être qualifié de « fléau ». Je reprends volontiers les propos du juge Rothman dans l’arrêt R. c. Moreau, c’est-à-dire que même en présence d’un crime à forte prévalence dans la communauté, la dissuasion générale n’est qu’un facteur et chaque cas doit être évalué à son mérite.
[93] Autrement, les tribunaux créeraient des exclusions là où le législateur n’en prévoit pas tout en créant un danger réel que la peine devienne une réponse au crime uniquement plutôt qu’une peine juste et proportionnelle au crime et au délinquant.
[94] L’ordonnance d’absolution se prête moins comme réponse lorsque les crimes et les circonstances de leur perpétration sont sérieux.
[95] Cela dit, en appel, on a octroyé ou confirmé une peine d’absolution même dans des situations qui interpellent normalement l’objectif de dissuasion générale et de dénonciation, comme les agressions sexuelles sur un enfant mineur; les voies de fait causant lésions; ou encore le trafic d’influence par un sénateur.
[96] Sans surprise, ces cas sont plus rares dans la jurisprudence rapportée. Celle-ci démontre néanmoins que l’objectif de dissuasion générale en présence de crimes par nature plus sérieux, ne constitue pas un obstacle dirimant à l’absolution. Les circonstances entourant leur perpétration sont indissociables. Il revient au juge d’exercer sa discrétion, d’évaluer le tout, et d’imposer la peine qu’il estime juste et proportionnelle.
[97] S’il faut, à l’occasion de l’évaluation de l’intérêt public, être sensible à réaction de la personne raisonnable et bien renseignée, cette sensibilité ne peut amener le juge à refuser une peine si elle est adéquate.
[98] La personne raisonnable et bien renseignée convient des principes évoqués plus haut et que la réponse à une déclaration de culpabilité est variable.[16]
[Références omises; Soulignements ajoutés]
[27] Le juge ne commet pas d’erreur[17] lorsqu’il affirme que « [l]e principe de la parité tolère une certaine disparité concernant des peines infligées à des délinquants ayant commis la même infraction si, bien entendu, les circonstances de l’affaire s’y prêtent ».
[28] La requérante ne démontre pas d’erreur déterminante, ni d’erreur de principe qui entacherait la peine prononcée par le juge.
Ordonnance de dédommagement
[29] L’appelante a raison d’affirmer que le juge ne pouvait rendre une ordonnance de dédommagement de 2 000 $ en faveur de la plaignante. Rien ne permettait de justifier cette ordonnance.
[30] Comme l’intimé a déjà offert et déposé au greffe de la Cour une somme de 2 000 $, il y a lieu de modifier l’ordonnance afin que celui-ci soit condamné à verser une somme de 2 000 $ à l’organisme de charité suggéré par les parties à l’audience, soit au Centre d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC).
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[31] ACCUEILLE la requête pour permission d’appeler de la peine;
[32] ACCUEILLE l’appel à la seule fin de rayer l’ordonnance de dédommagement de 2 000 $ à l’acquis de la plaignante et d’y substituer une ordonnance de verser une somme de 2 000 $ à l’acquis du Centre d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC).
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DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A. |
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MANON SAVARD, J.C.A. |
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CLÉMENT SAMSON, J.C.A. (AD HOC) |
[1] R. c. Gravel (2017), AZ-51468564 (C.Q.).
[2] R. c. Gravel, 2018 QCCA 196.
[3] R. c. L.M., 2008 CSC 31, paragr. 17.
[4] R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, paragr. 91.
[5] R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, paragr. 39-40.
[6] Thibault c. R., 2016 QCCA 335, paragr. 29.
[7] R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, paragr. 46, citant avec approbation R. c. Mcknight (1999), 135 C.C.C. (3d) 41 (C.A. Ont.).
[8] R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, paragr. 43; R. c. Lévesque-Chaput, 2010 QCCA 640, paragr. 31.
[9] R. c. L.M., 2008 CSC 31, paragr. 14-15; R. c. Proulx, 2000 CSC 5, paragr. 123-126; R. c. McDonnell, [1997] 1 R.C.S. 948, paragr. 14-17.
[10] R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, paragr. 44, appliqué notamment dans R. c. Beaudoin, 2017 QCCA 1604, paragr. 3; St-Antoine c. R., 2017 QCCA 2043, paragr. 18-19. La Cour a même indiqué que cette incidence doit être certaine ou véritable (Maddaloni c. R., 2017 QCCA 106, paragr. 3; Caron Barrette c. R., 2018 QCCA 516, paragr. 37).
[11] R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, p. 566.
[12] Julie Desrosiers et Geneviève Beausoleil-Allard, L’agression sexuelle en droit canadien, 2e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2017, p. 268 et 277.
[13] Julie Desrosiers, L’agression sexuelle en droit canadien, 2e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2017, p. 277.
[14] Julie Desrosiers, L’agression sexuelle en droit canadien, 2e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2017, p. 272-273.
[15] R. c. Cyr, 1991, JQ numéro 1016 (CA); R. c. H.T.N., 2006 JQ numéro 12885; R. c. A.L., JQ, numéro 15115 et R. c. Pilon, 2012, JQ numéro 11307.
[16] Harbour c. R., 2017 QCCA 204, paragr. 89-98. Voir aussi R. c. Cyr, J.E. 91-1204 (C.A.), dans lequel la Cour précise que « [l]e juge de première instance n’avait donc pas à répudier l’absolution conditionnelle du seul fait que le crime en était un d’agression sexuelle ».
[17] Voir par analogie à l’égard de coaccusés : R. c. Brisson, 2014 QCCA 1655, paragr. 38.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.