Procureure générale du Québec c. Deschesnes |
2020 QCCS 2423 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
TERREBONNE |
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N° : |
700-17-012968-169 |
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DATE : |
5 août 2020 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
CLAUDE CHAMPAGNE, J.C.S. |
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PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC |
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Demanderesse |
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c. |
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RICHARD DESCHESNES |
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-et- |
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DENIS FISET |
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Défendeurs |
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JUGEMENT |
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[1] Au mois de septembre 2008, Richard Deschesnes (Deschesnes) occupe le poste de directeur général de la Sûreté du Québec (SQ) et Denis Fiset (Fiset) est l’un des quatre directeurs généraux adjoints. Il s’agit là des deux plus hautes fonctions du premier corps policier de la province.
[2] Deschesnes annonce alors à Fiset qu’il ne fera plus partie de l’état-major de la SQ. Après plusieurs discussions et négociations, Fiset accepte de prendre sa retraite. La SQ lui versera alors son salaire pendant un an et il recevra un montant forfaitaire de 21 500 $ à titre de formation, perfectionnement et réorientation de carrière.
[3] Jugeant l’entente ci-dessus illégale, la Procureure générale du Québec (PGQ) réclame sept ans plus tard à Fiset et Deschesnes, le remboursement des sommes que le premier a perçues. Estimant que la réclamation de la demanderesse constitue une procédure abusive, les défendeurs contestent celle-ci et veulent en conséquence obtenir des dommages-intérêts.
[4] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que la demande de la PGQ est mal fondée en faits et en droit et qu’elle constitue une procédure abusive pour laquelle elle est redevable de dommages-intérêts à l’égard de Deschesnes et Fiset.
1.1 La PGQ
[5] C’est la PGQ qui exerce les recours pour le gouvernement du Québec. Conformément au Code de procédure civile, elle agit donc devant les tribunaux dans le cadre de ceux-ci.
[6] Ici, la PGQ agit pour la SQ, le plus important corps policier de la province. Au moment des faits pertinents dans cette cause, la SQ employait plus de 7 200 personnes et son budget annuel dépassait les 800 millions de dollars[1].
1.2 Fiset et Deschesnes
[7] Fiset et Deschesnes sont deux policiers de carrière. Le premier fut engagé par la SQ en 1980, il était alors patrouilleur. Il a par la suite gravi presque tous les échelons, devenant directeur général adjoint en 2003[2].
[8] Quant à lui, Deschenes est également devenu membre de la SQ en 1980. Il y a occupé plusieurs postes et fonctions au fil des ans. Nommé directeur général adjoint en même temps que Fiset, il devient directeur général de la SQ le 1er juillet 2008 pour un mandat de cinq ans[3].
[9] Étonnamment, Deschesnes apprendra le 9 octobre 2012 et alors qu’il reste encore neuf mois à son mandat de directeur général, qu’il sera remplacé dès le lendemain par un certain Mario Laprise (Laprise). On ne donnera à Deschesnes aucun motif pour ce « remplacement ».
[10] La PGQ allègue qu’à l’occasion d’une enquête ayant débuté au mois de décembre 2012 et portant sur l’utilisation de certains fonds du budget de la SQ, il a été établi que l’entente conclue entre la SQ et Fiset était illégale.
[11] Selon elle, il n’existe aucune loi, règlement, décret, arrêté en conseil, etc. autorisant ce genre d’entente. La PGQ prétend aussi que les conditions de travail de Fiset ne prévoyaient pas non plus une telle possibilité.
[12] Deschesnes et Fiset savaient ou devaient savoir ce qui précède. Ils doivent dans ce cas rembourser à la PGQ un montant total de 189 431 $, soit 167 931 $ équivalant à une année de salaire et 21 500 $ représentant des frais de formation, de perfectionnement et de réorientation de carrière.
[13] Fiset et Deschesnes contestent la demande. Ils soutiennent tous deux que le recours de la PGQ est prescrit puisqu’il a été intenté plus de sept ans après les faits. Il est aussi irrecevable parce que l’entente intervenue est bonne et valable.
[14] En conséquence, les défendeurs estiment que le recours dirigé contre eux est abusif. Ils réclament tous deux des dommages-intérêts qu’ils évaluent à un mininum de 150 000 $ pour Fiset et 225 000 $ dans le cas de Deschesnes.
[15] Le 18 décembre 2019, Deschesnes signifie aux autres parties et produit au dossier de la Cour une défense et demande reconventionnelle amendée.
[16] À cette date, l’audition de la preuve dans cette cause était terminée depuis le 18 novembre précédent. Ne restait plus au Tribunal qu’à entendre les plaidoiries des avocats.
[17] Le 23 décembre 2019, la PGQ notifie formellement son opposition. Elle allègue que Deschesnes a modifié sa procédure, ses allégations et sa preuve une fois celle-ci close de part et d’autre.
[18] Le Tribunal a pris sous réserve l’opposition en question lors des plaidoiries. Il décide de son sort maintenant. Il fait droit à celle-ci pour les raisons qui suivent.
[19] C’est l’article 206 C.p.c. qui régit la modification d’un acte de procédure. Il énonce que :
206. Les parties peuvent, avant le jugement, retirer un acte de procédure ou le modifier sans qu’il soit nécessaire d’obtenir une autorisation du tribunal. Elles peuvent le faire si cela ne retarde pas le déroulement de l’instance ou n’est pas contraire aux intérêts de la justice; cependant, s’agissant d’une modification, il ne doit pas en résulter une demande entièrement nouvelle sans rapport avec la demande initiale.
La modification peut notamment viser à remplacer, rectifier ou compléter les énonciations ou les conclusions d’un acte, à invoquer des faits nouveaux ou à faire valoir un droit échu depuis la notification de la demande en justice.
[20] Bien que la défense et demande reconventionnelle de Deschesnes ne constitue pas une demande entièrement nouvelle sans rapport avec la demande initiale, elle fait état et elle est accompagnée de pièces additionnelles dont la plupart étaient disponibles lors du procès. De plus, la facture des amendements constitue un argumentaire que l’avocat de Deschesnes a eu l’occasion de présenter à cette Cour lors de sa plaidoirie.
[21] Le Tribunal fait donc droit à l’opposition de la PGQ et il rejette la défense et demande reconventionnelle amendée de Deschesnes.
[22] Le procès dans cette cause a duré sept jours. Plusieurs personnes ont témoigné et de nombreux documents ont été mis en preuve. Pour établir le bien-fondé de sa demande, la PGQ a fait entendre Annette April (April), Stéphane Mercier (Mercier), le témoin X (X) et Régis Bonneau (Bonneau).
4.1 April, Mercier, X et Bonneau
[23] April a travaillé durant plusieurs années comme avocate au Secrétariat aux emplois supérieurs (SES). Elle a préparé de nombreux décrets de nomination de directeurs généraux adjoints à la SQ. À leur départ, elle affirme que ceux-ci n’ont pas droit à une allocation de fin d’emploi parce qu’ils bénéficient de la sécurité d’emploi.
[24] Seul le Conseil des ministres aurait pu autoriser le versement d’une indemnité, ce qu’il n’a pas fait en ce qui concerne Fiset.
[25] Également membre du personnel du SES, Mercier corrobore le témoignage d’April : les ententes comme celle qui semble avoir été conclue avec Fiset relèvent exclusivement du Conseil des ministres.
[26] Mercier ajoute qu’il connaît Denis Despelteau (Despelteau). Il a déjà discuté avec lui du modèle d’entente DD-7.
[27] X travaillait au service des finances de la SQ. En 2010, il avait en main un dossier concernant Fiset et qui contenait les pièces P-3 et P-4 produites par la demanderesse, des documents concernant le paiement d’une prime de départ à Fiset.
[28] Laprise, qui remplacera Deschesnes comme directeur général de la SQ, va demander à X en octobre ou novembre 2012 tous les documents qu’il peut avoir à propos d’ententes de départ d’officiers supérieurs. X lui remettra alors, entre autres, les pièces P-3 et P-4.
[29] Retraité de la Gendarmerie royale du Canada après 38 ans de service, Bonneau accepte au mois de décembre 2012 un poste de constable spécial au ministère de la Sécurité publique. Ce ministère veut faire la lumière sur les paiements faits à certains officiers supérieurs de la SQ lors de leur départ à la retraite.
[30] On lui demande d’enquêter sur certains hauts dirigeants de la SQ, notamment Steven Chabot, Alfred Tremblay et Despelteau. Son enquête porte aussi sur Fiset.
[31] Les documents que lui et son équipe d’enquêteurs doivent analyser avaient été mis sur une clé USB. Bonneau est peu précis sur la date à laquelle on aurait pris connaissance du contenu de cette clé USB, dont les pièces DD-1 à DD-9. Le témoin mentionne la date du 16 janvier 2013, mais il parle aussi des mois de février, mars et avril de la même année.
[32] Deschesnes et Fiset ont témoigné au soutien de leur défense et demande reconventionnelle. Ils ont aussi fait entendre Despelteau et Mario Proulx (Proulx).
4.2 Deschesnes, Despelteau, Fiset et Proulx
[33] Peu de temps après sa nomination au poste de directeur général de la SQ, Deschesnes apprend du ministre de la Sécurité publique qu’il ne voit plus Fiset comme directeur général adjoint. En d’autres mots, le ministre veut que Deschesnes écarte Fiset de l’état-major.
[34] Il semble que ce n’est pas la première fois et que ce ne sera pas non plus la dernière fois qu’un politicien fasse une telle demande. Deschesnes en a vu d’autres. Il fait partie de la SQ depuis près de 30 ans et il occupait un poste de directeur général adjoint juste avant sa nomination.
[35] Il rencontre ainsi Fiset et l’informe qu’il perdra son poste. Fiset n’en revient tout simplement pas. Il est abasourdi. Il considère qu’il a donné le meilleur de lui-même à la SQ et qu’il ne mérite pas un tel sort. Il avait d’ailleurs prévu de continuer à travailler à la SQ pendant encore cinq ans.
[36] Deschesnes lui dit qu’il n’a pas le choix et qu’il doit partir. Il le rassure toutefois : Fiset pourra quitter la SQ par la grande porte, dans l’honneur et la dignité.
[37] En effet, Deschesnes avise Fiset qu’il est disposé à faire le nécessaire afin que ce dernier puisse recevoir l’équivalent d’une année de salaire s’il accepte de quitter ses fonctions et d’abandonner les recours qu’il pourrait avoir. Deschesnes ajoute qu’il a mandaté Despelteau pour négocier une entente de départ avec Fiset.
[38] Ancien directeur général adjoint à la SQ, Despelteau a pris sa retraite et il est devenu depuis consultant en ressources humaines et en relations de travail. La SQ constitue son principal client. À l’évidence, il s’agit d’un personnage important : porte-parole, négociateur patronal nommé par le ministre de la Sécurité publique, membre du Comité paritaire et conjoint, conseiller auprès de l’état-major sur des questions de relations de travail, liens avec le Conseil du trésor, ainsi que conseiller et négociateur dans des dossiers problématiques[4].
[39] À la suite de la demande de Deschesnes qui veut qu’il conclue l’entente de départ de Fiset, Despelteau rencontrera celui-ci à trois ou quatre reprises. Ce sera difficile. Au cours de la première rencontre, Despelteau fait part à Fiset des options qui s’offrent à lui : versement d’une année de salaire, rétrogradation ou encore un nouvel emploi ailleurs. La pièce DD-4, un compte d’honoraires de Despelteau, contient six mentions concernant le départ anticipé d’un directeur général adjoint. Il s’agit de Fiset selon Despelteau qui ajoute que la mention au sujet de différentes rencontres avec le Conseil exécutif vise à faire part des négociations en cours avec Fiset. Ce témoignage n’est pas contredit.
[40] Dès la deuxième rencontre, Despelteau avise Fiset qu’il n’y a pas d’emploi pour lui ailleurs dans l’appareil gouvernemental. Fiset ne consent pas à être rétrogradé. Ne reste plus donc que le paiement d’une année de salaire. Fiset accepte cette option.
[41] Despelteau ajoute qu’au moins une autre rencontre avec Fiset a été nécessaire. En effet et à la demande de Deschesnes, celui-ci a consenti à reporter son départ de quelques mois en raison de l’élection provinciale que le gouvernement vient de déclencher. Despelteau rédigera alors une deuxième entente. Pour l’essentiel, celle-ci prévoit le versement à Fiset de l’équivalent d’une année de salaire, le paiement d’une allocation de transition ainsi que des vacances et congés accumulés par Fiset.
[42] Ce n’était pas la première fois que Despelteau négociait une entente de départ pour un haut gradé de la SQ. Il s’était occupé des ententes concernant André Dupré, Mario Choquette, Paul Quirion, Richard St-Denis et Proulx. Les quatre premiers détenaient le grade de directeur général adjoint alors que Proulx était le grand patron de la SQ. Despelteau recevait alors des conseils de la part du SES dont il rencontrait parfois les représentants. Ceux-ci lui disaient qu’il n’existait aucune règle dans de telles situations à la SQ et que c’était au directeur général de les régler. Despelteau affirme qu’il avisait toujours le SES des ententes qu’il négociait. Selon lui et puisque le directeur général de la SQ avait l’autorité de faire de telles ententes, il n’y avait pas lieu d’en transmettre copie au SES.
[43] Fiset confirme qu’il a bel et bien conclu deux ententes à la suite de l’annonce par Deschesnes qu’il perdait son poste de directeur général adjoint. La deuxième entente a été rendue nécessaire en raison du déclenchement d’élections provinciales. Deschesnes savait que le remplaçant de Fiset ne serait pas nommé avant la formation du nouveau gouvernement. Il ne pouvait fonctionner sans Fiset.
[44] La PGQ a fait état à quelques reprises que les ententes concernant Fiset n’avaient jamais été retrouvées, soulevant ainsi un doute sur leur existence. Le Tribunal retient à ce sujet les explications de Fiset voulant qu’il n’ait pas gardé copie de la première entente lorsqu’il a conclu la deuxième, puisqu’elle devenait alors inutile. Il le croit aussi lorsqu’il affirme qu’il a détruit l’autre lorsqu’il a emménagé beaucoup plus tard dans une plus petite maison. Le témoignage de Pierre Martel, un employé civil à la SQ qui a été pendant longtemps le bras droit du directeur général adjoint des ressources humaines, confirme qu’une entente écrite a effectivement été conclue avec Fiset[5]. La juge Josée Bélanger, de la Chambre criminelle et pénale de la Cour du Québec, en arrive à la même conclusion en analysant le témoignage de Martel : lorsque Deschesnes a quitté ses fonctions de directeur général de la SQ, il a demandé à Martel de remettre à son adjointe différentes ententes, dont celle de Fiset. L’adjointe en question a rangé ces ententes dans la voûte du directeur général[6].
[45] Stupéfait, ébranlé, estomaqué, sous le choc parce que Deschesnes vient de lui annoncer qu’il perd son poste, Fiset accepte de quitter la SQ moyennant les modalités mentionnées précédemment.
[46] Il s’agissait là de la seule option acceptable. Fiset refusait une rétrogradation. Il ne voulait pas non plus déménager à nouveau. Despelteau lui avait dit qu’il n’y avait pour lui aucun poste dans l’appareil gouvernemental à Montréal.
[47] Il importe de souligner ici que les montants payés à Fiset l’ont été en toute transparence puisqu’ils provenaient du budget général d’opérations de la SQ et non d’un budget occulte comme celui des dépenses spéciales d’opérations. De plus, l’année de salaire consenti à Fiset n’a pas fait l’objet d’un paiement forfaitaire puisque Fiset a alors bénéficié d’un congé avec traitement jusqu’au 31 mars 2010, date de sa retraite.
[48] Pour en revenir à Deschesnes, celui-ci a travaillé à plusieurs reprises et pendant longtemps avec Despelteau dans des dossiers de relations de travail.
[49] Ainsi, il a négocié avec Despelteau l’entente concernant le directeur général adjoint St-Denis[7]. Deschesnes a alors eu l’occasion de prendre connaissance des ententes intervenues dans les dossiers de Choquette et de Quirion.
[50] C’est aussi Deschesnes qui a négocié l’entente de son prédécesseur, Proulx[8].
[51] Deschesnes affirme, et son témoignage n’est pas contredit, que de telles ententes existent à sa connaissance depuis au moins la Commission Poitras en 1998. Cette commission avait reçu le mandat d’enquêter sur les pratiques à la SQ en matière d’enquêtes criminelles et d’enquêtes internes. Le défendeur fait état des ententes concernant Arseneault, Boudreault, Isabelle, Dupré, Quirion, Choquette et Charpentier.
[52] Lorsque Deschesnes sera évincé de son poste de directeur général, il voudra quitter la SQ la tête haute : il tentera donc d’obtenir de son successeur Laprise une entente semblable à toutes celles qu’il connaît. Au bout de quelques projets expédiés à Laprise, ce dernier informera Deschesnes qu’il ne pourra pas bénéficier d’une telle entente, Laprise affirmant qu’il n’a aucun pouvoir pour la conclure.
[53] Lors de son témoignage, Deschesnes dira plus d’une fois qu’il n’avait pas à obtenir d’autorisation afin de conclure ces ententes : à la tête du plus important corps de police au Québec et gérant un budget annuel de plus de 800 millions de dollars, il possédait un large pouvoir discrétionnaire.
[54] Au final, Deschesnes n’a rien obtenu de quelque manière que ce soit, financièrement, professionnellement ou encore personnellement de l’entente concernant Fiset. Dans le contexte qui existait depuis au moins 10 ans, cette entente a été conclue dans l’intérêt public de même que dans celui de la SQ.
[55] Proulx occupait le poste de directeur général de la SQ avant que Deschesnes le remplace. Il avait été nommé au mois de juin 2003 et une des premières tâches à laquelle il s’attela fut la formation de son état-major.
[56] À ce sujet, Proulx se rendra compte qu’il devra écarter trois directeurs généraux adjoints, Choquette, St-Denis et Quirion.
[57] Son agenda[9] contient des mentions de ce qui précède. Ainsi, Proulx discute le 23 juin avec le SES du départ de deux directeurs généraux adjoints. Le 27 juin, le ministre de la Sécurité publique lui demande de limoger Quirion. Proulx communique alors avec l’avocat Dominic Monet (Me Monet), un spécialiste du droit du travail qu’on lui a recommandé afin de préparer l’entente de Quirion. Il va rencontrer Me Monet à ce sujet le 2 juillet. Des comptes d’honoraires[10] de Me Monet font état de travaux à propos de la réorganisation de l’état-major et de directeurs généraux adjoints, corroborant ainsi le témoignage de Proulx.
[58] Proulx est catégorique : le SES (André Dicaire et Gérard Bibeau) lui a confirmé qu’il possède réellement le pouvoir de conclure ces ententes dont on ne veut même pas de copie! Au SES, Proulx a parlé six ou sept fois avec Bibeau, deux ou trois fois avec Dicaire et à une reprise avec Gilles Tremblay. Ces conversations avaient trait au départ et à la nomination de directeurs généraux adjoints.
[59] Les ententes de départ étaient à peu de choses près similaires : versement d’une année de salaire et paiement d’une allocation de transition. Elles étaient semblables à celles qui avaient cours aux emplois supérieurs et à d’autres qui avaient été conclues avec de hauts gradés de la SQ.
[60] D’ailleurs, le décret visant les emplois supérieurs s’applique bel et bien aux directeurs généraux adjoints de la SQ. C’est ce que lui a affirmé le ministre de la Sécurité publique, Chagnon.
[61] Lors de son propre départ du poste de directeur général de la SQ, Proulx conclura lui-même une entente qui sera négociée par Deschenes et Despelteau[11]. Il devait alors occuper une poste dans le projet « FRANCOPOL » qui ne semble jamais avoir réellement démarré. Ainsi, Proulx recevra les sommes mentionnées à l’entente sans véritable contrepartie.
[62] La poursuite de la PGQ contre Deschesnes n’a pas été sans effet à son endroit. Lorsque celle-ci lui est signifiée, il fait toujours partie de la SQ.
[63] En effet et lorsqu’on l’a limogé, Deschesnes a été rétrogradé à la fonction d’inspecteur-chef, mais il a été relevé de ses fonctions.
[64] Il ne travaille pas depuis le mois d’octobre 2012. Au début, il recevait sa pleine solde. Celle-ci a été réduite de moitié en 2014 quand des accusations de fraude, de vol à l’égard de la SQ et du gouvernement du Québec ainsi que d’abus de confiance ont été portées contre lui. Au moment du procès dans la présente cause, Deschesnes et ses coaccusés Steven Chabot et Alfred Tremblay venaient tout juste d’être acquittés[12].
[65] Puisque la poursuivante a fait appel du verdict d’acquittement, Deschesnes ne peut toujours pas recevoir sa pleine solde et l’État refuse de lui rembourser les honoraires professionnels qu’il a engagés pour se défendre, un montant de plus de 400 000 $.
[66] La réclamation de la PGQ contre lui a aggravé sa situation financière déjà précaire. Il a en effet déboursé 75 000 $ dans cette cause. Il n’a plus d’automobile et il a dû réhypothéquer sa maison.
[67] Deschesnes estime ainsi que cette réclamation en justice contre lui constitue de la diffamation de même qu’une atteinte à sa réputation. Il éprouve des problèmes de santé. Il se sent humilié. Il a une piètre estime de lui-même et sa confiance en lui est au plus bas.
[68] La situation de Fiset n’est guère plus reluisante. C’est par les journaux qu’il a appris la poursuite de la PGQ contre lui. On écrivait alors qu’il avait reçu une « juteuse prime de départ illégale ». Il était alors en vacances en Floride.
[69] Malgré les années qui ont passé, Fiset est toujours sous le choc. Il pense constamment à la réclamation de la PGQ. Il doit encore aujourd’hui répondre à des questions de son entourage à ce sujet. Il fait de l’insomnie, il souffre d’angoisse et il est dépressif. Il a déboursé jusqu’à maintenant plus de 80 000 $ pour se défendre dans cette cause.
[70] Le recours de la PGQ et les demandes reconventionnelles de Deschesnes et Fiset soulèvent principalement les questions suivantes :
· Le recours de la PGQ est-il prescrit?
· L’argent versé à Fiset lui a-t-il été illégalement octroyé?
· Deschesnes pouvait-il autoriser les paiements faits à Fiset?
· Deschesnes et Fiset doivent-ils rembourser les montants reçus par Fiset?
· La demande en justice de la PGQ constitue-t-elle un abus du droit d’ester en justice?
· Dans l’affirmative, quels sont les dommages subis par Fiset et Deschesnes en raison de la demande en justice abusive de la PGQ?
[71] La PGQ allègue que les montants d’argent versés à Fiset et autorisés par Deschesnes constituent des paiements illégaux. En d’autres termes, la demanderesse principale plaide la nullité de l’entente. En vertu des articles 2925 et 2927 du Code civil, le droit d’action de la PGQ se prescrit par trois ans et ce délai court à compter de la connaissance de la cause de nullité.
[72] Plusieurs éléments de preuve démontrent que le droit d’action de la PGQ était prescrit lorsque sa demande introductive d’instance a été émise le 19 février 2016. Le Tribunal retient ceux qui suivent.
[73] Depuis le rapport de la Commission Poitras, tout le monde sait à la SQ qu’il y a eu des ententes de conclues lorsque des officiers supérieurs partaient à la retraite. C’est ce que, entre autres, ont affirmé Martin Prud’homme (Prud’homme) et Laprise dans leurs interrogatoires hors cour ainsi que Despelteau, Proulx et Deschesnes devant le Tribunal.
[74] Il y a eu deux ententes dans le cas de Fiset. La première intervient au mois de septembre 2008, mais une autre la remplace au mois de janvier 2009.
[75] L’indemnité de départ de Fiset, l’équivalent d’une année de salaire, lui est versée au moyen de 26 chèques bihebdomadaires jusqu’au 31 mars 2010. L’argent provient du budget général de la SQ. Il n’y a donc rien de caché ici et tout est transparent, contrairement aux argents ayant servi à négocier le départ de Steven Chabot et Alfred Tremblay. Les sommes provenaient alors d’un fonds secret connu sous le nom de « dépenses spéciales d’opération[13] ».
[76] Dès le 26 octobre 2012, selon Laprise, ou le 5 novembre 2012 selon le témoin X, ce dernier informe le premier que l’ancien directeur général Deschesnes et les anciens directeurs généraux adjoints Falardeau et Charpentier voudront peut-être monnayer leur départ comme l’ont fait précédemment Chabot et Tremblay.
[77] Tel que déjà mentionné, il a alors en main les documents produits comme pièce PG-3 et PG-4 par la demanderesse.
[78] Lorsqu’il est démis de ses fonctions de directeur général, Deschesnes rencontre son successeur Laprise et le sous-ministre à la Sécurité publique Prud’homme le 16 novembre 2012. Deschesnes veut obtenir une entente de départ comme celle qu’ont obtenue par le passé d’autres membres de l’état-major de la SQ. Deschesnes fait alors état à ses interlocuteurs des ententes en question, dont celle de Fiset.
[79] Finalement, l’enquêteur Bonneau reçoit au mois de décembre 2012 une abondante documentation contenue dans une clé USB. L’équipe d’enquête qu’il dirige commence à prendre connaissance du contenu de cette clé USB au mois de janvier 2013. Parmi les documents répertoriés, il y a les comptes d’honoraires de Despelteau du 28 juillet et du 16 septembre 2008 faisant état, entre autres, du départ anticipé et d’une entente concernant Fiset.
[80] S’ajoute à ce qui précède le témoignage hors cour de l’ancien sous-ministre à la Sécurité publique, Girard, qui affirme qu’il savait en 2009 que le départ de Fiset avait été réglé.
[81] Le Tribunal conclut donc que le recours de la PGQ était prescrit lorsqu’il a été intenté le 19 février 2016 puisque les autorités gouvernementales avaient depuis plus de trois ans toutes les informations nécessaires pour prendre une décision dans ce dossier.
[82] Ceci justifie le rejet de la demande en justice de la PGQ. Toutefois, le Tribunal croit utile de répondre aux autres questions qui restent à décider.
[83] Pour les motifs qui suivent, il y a lieu de répondre à cette question par la négative :
· à la connaissance de la haute direction de la SQ, il y a des ententes concernant le départ d’officiers supérieurs;
· plusieurs témoignages devant le Tribunal et hors cour confirment ce qui précède, notamment ceux de Deschesnes, Despelteau, Girard, Martel et Lauzon;
· Fiset avait été nommé au poste de directeur général adjoint pour une durée indéterminée[14];
· à la suite d’une commande politique du ministre de la Sécurité publique, il a été « remplacé »;
· ce remplacement n’était pas autre chose qu’un limogeage, une destitution, un congédiement;
· Fiset fut alors informé (par Deschesnes, par Despelteau) qu’on examinerait avec lui les options disponibles pour la suite des choses;
· selon ce qui s’était passé dans des dossiers semblables antérieurement, trois options pouvaient exister, mais une seule était disponible;
· il s’agissait de verser une indemnité de départ à Fiset;
· c’est ce qui fut fait ici;
· l’indemnité en question équivalait à une année de salaire, un montant tout à fait acceptable dans les circonstances (âge de Fiset, nombre de ses années de service, importance de la fonction qu’il occupait, etc.);
· cette indemnité fut versée à Fiset sur une période d’une année au moyen de 26 versements;
· l’argent fut prélevé sur le budget général d’opération de la SQ;
· ces sommes ne provenaient donc pas d’un fonds secret comme ce fut le cas pour Chabot et Tremblay;
· à l’évidence, Deschesnes pour le compte de la SQ et Fiset n’entendaient rien dissimuler au sujet de l’entente;
· puisque la nomination de Fiset l’était pour une durée indéterminée et qu’il a été congédié, les articles 2091 et 2092 C.c.Q. s’appliquaient à lui;
· les sommes reçues par Fiset lui ont dès lors été légalement payées;
· la juge Bélanger de la Chambre criminelle et pénale de la Cour du Québec fait largement état de l’existence de telles ententes, de la connaissance qu’en ont les hauts gradés de la SQ et que malgré une apparente absence d’assise légale, plusieurs d’entres elles ont été conclues pour régler une situation non prévue par la loi :
o [530] Le Tribunal conclut aussi de l’examen de ces ententes que la S.Q., par ses D.G., les a conclues avec ses hauts gradés pour régler des situations précises. Les raisons qui ont donné lieu à ces ententes sont variées; qu’il suffise de mentionner le règlement d’un litige ou encore la terminaison d’emploi d’un D.G.A. qui ne fait plus partie des plans du D.G. de la S.Q.
o […]
o [532] Ce qui appert également de ces ententes, c’est que certaines ont une assise légale alors que d’autres semblent surtout avoir été conclues pour régler une situation, dont apparemment, aucune solution en mesure de satisfaire les parties, n’était prévue à la loi. La terminaison d’emploi d’un D.G. ou d’un D.G.A., qui ne fait plus partie des plans, illustre bien ce genre de situations.
o [...]
o [580] La Cour conclut du témoignage de Deschesnes que ce pouvoir de gestion, qu’il décrit, n’est pas balisé et que son exercice est gouverné par les meilleurs intérêts de la S.Q. et la légitimité des décisions.[15]
[84] Une seule conclusion s’impose ici : les sommes qu’a reçues Fiset lorsqu’on l’a évincé de son poste de directeur général adjoint lui ont été légalement octroyées.
[85] Comme le Tribunal l’a déjà mentionné précédemment, Deschesnes occupait, au moment des faits en litige, la plus haute fonction au sein de la SQ qui comptait alors plus de 7 200 employés et qui disposait d’un budget de 800 millions de dollars.
[86] D’ailleurs, Deschesnes connaissait bien l’existence et la mécanique des ententes que la SQ avait conclues au fil des ans avec plusieurs de ses hauts gradés. Il avait lui-même participé à la négociation de certaines d’entre elles, dont celle de son prédécesseur Proulx à la fonction de directeur général et celle de St-Denis.
[87] Lors de son remplacement par Laprise, des négociations ont été entamées par l’entremise de Despelteau afin qu’il puisse bénéficier lui-même d’une entente de départ. On connaît la suite des choses.
[88] Comme l’écrit le juge Thierry Nadon dans R. c. Audette :
4. Quelques conclusions factuelles au regard de l’ensemble de la preuve
· Le DG et les DGA possèdent un très large pouvoir discrétionnaire, ce qui est normal et essentiel considérant qu’ils gèrent le plus important corps policier au Québec en termes d’effectif;[16]
[89] La décision du juge Nadon n’a pas été portée en appel. Il s’agit donc d’un jugement définitif.
[90] Le Tribunal a référé précédemment à certains extraits du jugement de la juge Bélanger dans l’affaire R. c. Deschesnes[17] dans lesquels elle fait état d’ententes conclues par des directeurs généraux de la SQ avec de hauts gradés, les motifs de celles-ci et du pouvoir de gestion de Deschesnes. Cela confirme le pouvoir de ce dernier d’autoriser les paiements faits à Fiset.
[91] Ce qui précède amène donc le Tribunal à répondre par l’affirmative à la question et à conclure que Deschesnes avait certainement le pouvoir d’autoriser les paiements faits à Fiset.
[92] Cette Cour ayant conclu que le recours de la PGQ était prescrit, que l’argent versé à Fiset lui avait été légalement octroyé et que Deschesnes avait le pouvoir d’autoriser les paiements faits à ce dernier, il y a lieu en conséquence de répondre à par la négative à cette question : Fiset et Deschesnes n’ont rien à rembourser à la PGQ.
[93] Il reste à décider si la demande en justice de la PGQ constitue un abus du droit d’ester en justice. Si c’est le cas, cette Cour devra établir la valeur des dommages-intérêts réclamés par Deschesnes et Fiset.
[94] L’article 51 et suivants C.p.c. encadrent le pouvoir des tribunaux de sanctionner les abus de la procédure. L’article 51 C.p.c. prévoit plus particulièrement que :
51. Les tribunaux peuvent à tout moment, sur demande et même d’office, déclarer qu’une demande en justice ou un autre acte de procédure est abusif.
L’abus peut résulter, sans égard à l’intention, d’une demande en justice ou d’un autre acte de procédure manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire, ou d’un comportement vexatoire ou quérulent. Il peut aussi résulter de l’utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui ou encore du détournement des fins de la justice, entre autres si cela a pour effet de limiter la liberté d’expression d’autrui dans le contexte de débats publics.
[95] Selon le Tribunal, la demande en justice de la PGQ était à l’origine manifestement mal fondée et téméraire pour les raisons suivantes.
[96] Dans un premier temps et comme cette Cour l’a précédemment décidé, le recours de la demanderesse état prescrit. En effet, il a été intenté le 19 février 2016 alors que la SQ en connaissait tous les faits générateurs depuis au plus tard le 16 novembre 2012.
[97] D’ailleurs, Fiset et Deschesnes ont soulevé de façon on ne peut plus claire dans leur défense et demande reconventionnelle la prescription de la demande en justice de la PGQ. Cela n’a pas empêché la demanderesse de persister et de mener son dossier jusqu’au procès dans cette cause.
[98] La PGQ devait aussi savoir que Fiset avait droit, en vertu de l’article 2085 et suivants du Code civil du Québec, à une indemnité de fin d’emploi puisque Deschesnes l’avait congédié de son poste de directeur général adjoint.
[99] De plus et si Bonneau et son équipe d’enquêteurs avaient effectué une enquête le moindrement sérieuse, ils auraient facilement découvert que des ententes comme celle de Fiset existaient depuis plusieurs années à la SQ et que ce corps policier connaissait l’existence de celle de Fiset depuis très longtemps.
[100] Dans leur traité sur la responsabilité civile, les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore écrivent que :
« La mauvaise foi (l’intention de nuire) ou la témérité (l’absence de cause raisonnable et probable) constitue donc les critères permettant, selon la jurisprudence, d’établir un abus de droit en matière judiciaire. »[18]
[101] Plus loin, ils ajoutent :
« L’existence d’une cause raisonnable et probable reste dans chaque cas une question de faits appréciés à la lumière de la conduite du défendeur. L’absence de cette cause raisonnable et probable fait présumer sinon l’intention arrêtée de nuire ou la mauvaise foi, du moins la négligence ou la témérité. »[19]
[102] Dans Vandal c. Municipalité de Boileau[20], la Cour d’appel rappelle les règles contenues aux articles 51 et 54 C.p.c. et elle mentionne :
[8] Pour qu’un tel abus soit considéré comme une faute entraînant la responsabilité civile, il doit s’agir, en l’absence d’indices de mauvaise foi ou de témérité, d’une conduite objectivement fautive, comme l’écrit la Cour dans 2741-8854 Québec inc. c. Restaurant King Ouest inc., précité :
[21] […] En l’absence d’indices de mauvaise foi ou de témérité, une partie qui procède tout simplement à une « appréciation inexacte […] de ses droits » [Royal Lepage commercial inc. c. 109650 Canada Ltd., 2007 QCCA 915, paragr. 44] ne commet pas de ce seul fait une faute civile. Il peut toutefois en être autrement si « une [telle] appréciation inexacte […] de ses droits », même sans indices d’intention de nuire, constitue une conduite objectivement fautive, c’est-à-dire qu’« une personne raisonnable et prudente, placée dans les circonstances connues par la partie au moment où elle dépose la procédure ou l’argumente, conclurait à l’inexistence d’un fondement pour cette procédure » [Royal Lepage commercial inc. c. 109650 Canada Ltd., paragr. 46]. De même, l’abus du droit d’ester en justice peut également être source de responsabilité civile, en ce qu’il constitue, quant à lui, « une faute commise à l’occasion d’un recours judiciaire » [Viel c. Entreprises immobilières du terroir ltée, 2002 CanLII 41120 (QC CA), [2002] R.J.Q. 1262 (C.A.)].
[103] Les principes ci-dessus appliqués à l’espèce mènent à la conclusion qu’une personne raisonnable et prudente placée dans les mêmes circonstances jugerait que le recours de la PGQ n’a aucun fondement.
[104] Le premier paragraphe de l’article 54 C.p.c. fait état des remèdes que le Tribunal peut accorder lorsqu’il constate le caractère abusif d’une demande en justice :
54. Le tribunal peut, en se prononçant sur le caractère abusif d’une demande en justice ou d’un autre acte de procédure, incluant celui présenté sous la présente section, ordonner, le cas échéant, le remboursement de la provision versée pour les frais de l’instance, condamner une partie à payer, outre les frais de justice, des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par une autre partie, notamment pour compenser les honoraires et les débours que celle-ci a engagés ou, si les circonstances le justifient, attribuer des dommages-intérêts punitifs.
[105] Toutefois et contrairement à ce que Fiset et Deschesnes plaident, le Tribunal n’estime pas que le comportement de la PGQ dans ce dossier constitue une faute intentionnelle génératrice de dommages-intérêts punitifs. De plus, une lecture attentive de la demande introductive d’instance ne démontre pas les motifs obliques dénoncés par les défendeurs lorsqu’ils allèguent qu’on a voulu les inclure dans une espèce de cercle de complaisance de hauts gradés de la SQ et de les rendre coupables de tout et de rien par association.
[106] Il n’y a pas de preuve de diffamation ici.
[107] Le Tribunal n’accordera par conséquent aucun des montants réclamés pour atteinte à la réputation et dommages punitifs. Il en va autrement en ce qui concerne les dommages moraux et le remboursement des honoraires que réclament Fiset et Deschesnes dans le cadre d’une poursuite manifestement mal fondée à l’origine.
[108] Évaluer des dommages moraux constitue un exercice difficile pour un Tribunal qui possède un vaste pouvoir discrétionnaire à ce sujet. Cependant, le résultat de l’exercice de cette discrétion doit être raisonnable et équitable[21]. Les critères à utiliser sont la nature et la durée des dommages de même que les circonstances ayant entouré leur création[22].
[109] Chaque cas constitue un cas d’espèce. Ici, la preuve non contredite démontre que Fiset et Deschesnes ont subi de tels dommages : stress, angoisse, insomnie, perte d’estime de soi même, contraintes financières, etc. Fiset réclame ici 20 000 $ et Deschesnes 50 000 $.
[110] Dans le cas de Deschesnes, il est difficile de départager les dommages moraux qu’il subit dans cette cause par rapport à ceux découlant de la poursuite civile qu’il a intentée contre l’État pour son « congédiement » comme directeur général de la SQ et les accusations criminelles qu’on a portées contre lui.
[111] À défaut d’une meilleure preuve et usant de sa discrétion, cette Cour accorde 10 000 $ à chacun d’eux.
[112] En ce qui concerne le remboursement des honoraires que Fiset et Deschesnes ont dû engager pour se défendre dans cette cause, le montant de ceux-ci n’a pas été véritablement contesté par la PGQ. Ceci ne signifie pas qu’on doit les accorder les yeux fermés. Toutefois, cette Cour estime qu’il s’agit d’honoraires justes et raisonnables eu égard à toutes les circonstances de ce dossier dont :
· l’ampleur du dossier (nombreuses procédures de part et d’autre, interrogatoires hors cour, demandes incidentes, appel sur un jugement incident, multitude de pièces, etc.);
· durée de l’audience (sept jours);
· avocats chevronnés aux taux horaires justifiés.
[113] Il y a donc lieu d’accorder à Deschesnes et Fiset les montants qu’ils réclament à ce titre, soit 75 000 $ pour l’un et 84 761,37 $ pour l’autre.
[114] Dans les conclusions qu’il recherche, Deschesnes demande l’exécution provisoire du jugement à intervenir sur sa demande reconventionnelle. Le Tribunal a précédemment dans ce jugement déclaré abusive la demande en justice de la PGQ. Conformément à l’article 54 C.p.c., il a conclu que Fiset et Deschesnes avaient subi des dommages dont la PGQ était redevable.
[115] Une telle conclusion entraîne automatiquement l’exécution provisoire de la décision sans que le juge la justifie. En effet, le 10e alinéa de l’article 660 C.p.c. l’édicte clairement :
660. L’exécution provisoire a lieu de plein droit, lorsque le jugement :
[…]
10° se prononce sur un abus de procédure;
[…]
[116] Une jurisprudence constante confirme ce qui précède de même que l’intention claire du législateur à ce sujet. Ainsi et siégeant à titre de juge unique, le juge de la Cour d’appel Pierre Dalphond écrivait en 2013 :
[18] Or, il ressort du jugement attaqué que la condamnation au remboursement des honoraires découle de l’application des art. 54.1 et suivants C.p.c. En d’autres mots, il s’agit d’une sanction pour des abus de procédures par la requérante et ses avocats depuis le 15 août 2012.
[19] En pareille situation, l’article 547, al. 1 j) C.p.c. s’applique et les condamnations en remboursement des honoraires extrajudiciaires sont exécutoires nonobstant l’appel logé par la requérante.[23]
[117] On aura compris que l’article 547, al. 1 C.p.c. est devenu l’article 660 C.p.c. actuel! Plus récemment, le juge Mainville siégeant également comme juge unique, citait avec approbation le jugement ci-dessus. Dans l’affaire dont il était saisi, l’appelante avait été condamnée au paiement des frais extrajudiciaires encourus par l’intimé en raison de ce que la Cour supérieure avait qualifié d’un abus de procédure. Le juge Mainville rappelait que « cette condamnation est sujette à exécution provisoire de plein droit selon l’article 660, al. 1 du Code de procédure civile (« C.p.c.» ) »[24].
[118] Il va donc de soi que le présent jugement est exécutoire de plein droit.
[119] Le Tribunal tient à souligner qu’il a été favorablement impressionné par les témoignages de Deschesnes, Fiset, Despelteau et Proulx.
[120] Ils ont répondu avec clarté et précision aux questions qui leur furent posées. Ce qu’ils ont dit était souvent corroboré par une preuve documentaire.
[121] Compilant à eux quatre plus de 100 ans de travail à la SQ, ils savaient de quoi ils parlaient contrairement à April, Mercier et Bonneau qui n’ont jamais œuvré pour ce corps policier.
[122] Le fait que Despelteau ait plaidé coupable à des accusations en lien avec l’utilisation d’un fonds secret de la SQ n’a pas diminué la fiabilité et la crédibilité de son témoignage.
[123] Deschesnes a agi dans l’intérêt public. Le rôle qu’il a joué dans la négociation et la conclusion de chacune des ententes concernant Fiset ne lui a rien rapporté directement ou indirectement, financièrement, professionnellement ou personnellement. Il voulait permettre à Fiset, son directeur général adjoint, de quitter la SQ avec le sentiment du devoir accompli. Il agissait dans l’unique intérêt de la SQ et sa responsabilité personnelle ne pouvait être engagée dans les circonstances[25].
[124] Les joutes politiques et de pouvoir de même que les jeux de coulisses au sein du ministère de la Sécurité publique de même qu’à la haute direction de la SQ n’ont pas permis l’atteinte de cet objectif.
[125] Fiset et Deschesnes qui ont consacré leur vie professionnelle au service de l’État méritaient mieux, beaucoup mieux.
[126] REJETTE la demande de la PGQ;
[127] DÉCLARE abusif le recours en justice de la PGQ;
[128] CONDAMNE la PGQ à payer à Richard Deschesnes la somme de 85 000 $ avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la signification de la demande reconventionnelle;
[129] CONDAMNE à la PGQ de payer à Denis Fiset la somme de 94 761,37 $ avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la signification de la demande reconventionnelle;
[130] LE TOUT, AVEC FRAIS DE JUSTICE en faveur de Denis Fiset et Richard Deschesnes.
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__________________________________CLAUDE CHAMPAGNE, j.c.s. |
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Me Michel Déom |
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Me Ruth Arless-Frandsen |
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Ministère de la Justice (DGAJ) |
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Avocats de la demanderesse |
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Me François Garneau |
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Miller Thomson SENCRL / LLP |
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Avocats du défendeur Richard Deschesnes |
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Me Patrick de Niverville |
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Me Rachel Rioux-Risi |
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Les Avocats DNA inc |
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Avocats du défendeur Denis Fiset |
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Dates d’audience : |
11, 12, 13, 14, 15 et 18 novembre 2019 et 7 janvier 2020 |
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[1] Pièce DF-21.
[2] Pièce DF-1.
[3] Pièce DF-2.
[4] Voir à ce sujet R. c. Audette, 2018 QCCQ 370, par. 37.
[5] Voir pièce DD-42, p. 4.
[6] R. c. Deschenes, 2019 QCCQ 6429, par. 703 (jugement porté en appel, C.A., 2019-11-19, no 500-10-007217-191).
[7] Pièce DD-10.
[8] Pièce DD-34.
[9] Pièce DF-23.
[10] Pièce DF-25.
[11] Pièce DD-33.
[12] R. c. Deschenes, préc., note 6.
[13] Voir à ce sujet R. c. Audette, préc., note 4.
[14] Pièce DF-1.
[15] R. c. Deschesnes, préc., note 6.
[16] R. c. Audette, préc., note 4.
[17] R. c. Deschesnes, préc., note 6.
[18] Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, La responsabilité civile, Volume I - Principes généraux, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 8e éd., 2014, p. 222.
[19] Id., p. 225.
[20] 2020 QCCA 777.
[21] Roy c. Privé, 2017 QCCS 986.
[22] Ly c. Construction Sainte Gabrielle inc., 2018 QCCA 1438.
[23] Berthiaume c. Carignan, 2013 QCCA 1436.
[24] 9094-5353 Québec inc. c. Gestion MS 3000 inc., 2020 QCCA 787, par. 2.
[25] Article 2157 C.c.Q.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.