COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Trois-Rivières

Le 31 octobre 2005

 

Région :

Abitibi-Témiscamingue

 

Dossiers :

228039-08-0402      245760-08-0410

 

Dossiers CSST :

125234948   125678821

 

Commissaire :

Me Jean-François Clément

 

Membres :

Rodney Vallière, associations d’employeurs

 

Daniel Laperle, associations syndicales

Assesseur :

Dr Jean Tremblay

______________________________________________________________________

 

 

 

Richard Villeneuve

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Achille de la Chevrotière ltée,

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé et de la sécurité du travail - Abitibi/Témiscamingue 08

 

Partie intervenante

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

Dossier 228039-08-0402

[1]                Le 5 février 2004, monsieur Richard Villeneuve, le travailleur, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) le 3 févier 2004 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme celles qu’elle a initialement rendues les 1er et 4 décembre 2003, déclare que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le 16 octobre 2003, qu’il n’a pas droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la Loi)[1] et que la CSST est bien fondée de lui réclamer la somme de 911, 52 $ exigible lorsque la décision deviendra finale.

Dossier 245760-08-0410

[3]                Le 7 octobre 2004, le travailleur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) le 30 septembre 2004 à la suite d’une révision administrative.

[4]                Par cette décision, la CSST infirme celle qu’elle a initialement rendue le 23 avril 2004 et déclare que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le 6 avril 2004 le privant ainsi du droit aux prestations prévues à la Loi.

[5]                Une audience est tenue à Rouyn-Noranda les 18 janvier, 26 et 27 avril ainsi que le 9 juin 2005 en présence des parties et de leurs représentants. La CSST a avisé le tribunal, de son absence à l’audience.

[6]                Le tribunal a autorisé la production de certains documents par l’employeur après l’audience. Ces documents ayant été reçus par le commissaire soussigné le 27 juin 2005, c’est à cette date que le dossier a été pris en délibéré.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

Dossier 228039-08-0402

[7]                Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’il a subi un accident du travail le 16 octobre 2003.

Dossier 245760-08-0410

[8]                Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a subi un accident du travail le 6 avril 2004 en lien avec des diagnostics d’entorse au genou et de déchirure méniscale interne gauche.

LES FAITS

[9]                De l’ensemble du dossier et de la preuve, la Commission des lésions professionnelles retient principalement les éléments suivants.

 

Le dossier constitué 228039-08-0402

[10]           Dans une réclamation qu’il signe le 6 novembre 2003, le travailleur allègue la survenance d’un événement le 16 octobre 2003 dans les circonstances suivantes :

En soulevant des caisse des cigarettes

Douleur au coup et épaule plus capable de tourné la tête trop mal.  [sic]

 

 

[11]           À la lecture de ce document, on constate que le travailleur est retourné à son travail le 31 octobre 2003. On constate aussi que la description initiale mentionnait un événement survenu en soulevant une caisse de cigarettes mais que par la suite le mot « une » a été biffé et a été remplacé par le mot « des ».

[12]           Le 16 octobre 2003, un médecin du Centre hospitalier de Rouyn-Noranda émet un billet prescrivant un arrêt de travail de 10 jours au travailleur. Il ne s’agit pas d’un formulaire de rapport émanant de la CSST.

[13]           Le 17 octobre 2003, le travailleur signe une déclaration d’invalidité court terme sur un formulaire visant à obtenir des prestations d’assurance salaire. Il mentionne avoir subi un accident au travail le 16 octobre 2003.

[14]           Le 23 octobre 2003, la physiothérapeute Dolorès Cayouette transmet un rapport d’évaluation. Les douleurs sont situées en cervical moyen et en mid-dorsal. Elle note un spasme musculaire au niveau cervical gauche et en dorsal droit. Elle note une limitation des mouvements cervicaux.

[15]           Le 4 novembre 2003, la physiothérapeute Cayouette indique qu’à la suite du retour au travail du travailleur le 31 octobre 2003, il y a eu une certaine irritabilité de la condition cervicale. Les tensions et spasmes musculaires sont cependant moindres qu’auparavant.

[16]           Le 6 novembre 2003, le docteur Marcel Verville donne une opinion médicale à l’employeur. Il mentionne la présence d’un dérangement intervertébral mineur (DIM) cervico-dorsal gauche de longue date.

[17]           À cette même date, le docteur Verville inscrit les notes évolutives suivantes au dossier du travailleur :

Pt de 41 An

 

®    il y a 2 -3 sem   ®   cervicobrachialgie

 

                        A dû consulter urgence

 

                Debut de Sx ???  Ne peut préciser

 

                S’est levé le matin avec Douleur  ®

 

                Attendu 4-5 jr avant de consulter.

 

                Dit avoir fait déménagement chez lui, debut sx après

 

                […]

 

                [illisible]  avait déjà eu accident -    1999-2000

 

                ↓ Sx à la longue - tout était disparu -

 

[sic]

 

 

[18]           Le 6 novembre 2003, la docteure Catherine Falardeau remplit la déclaration fournie par la compagnie d’assurance fournissant le programme d’assurance salaire chez l’employeur. Elle mentionne que le problème est cervical avec irradiation dans le bras gauche. Des limitations de mouvements sont notées. À la question « Est-ce que la condition est due à une blessure au travail? », elle répond qu’elle ne le sait pas.

[19]           Le 11 novembre 2003, une agente de la CSST procède à une cueillette d’informations. Elle indique que le travailleur s’est fait mal en déménageant et non pas au travail de sorte que ce dernier bénéficie de prestations d’assurance salaire. C’est ce qu’il a déclaré à l’employeur initialement mais sur un autre rapport, il indique s’être fait mal au travail.

[20]           Le 19 novembre 2003, le travailleur a une conversation avec son agent d'indemnisation. Il y a lieu de reproduire la note évolutive inscrite à cette occasion :

Tél à t     t ns dit que 2- 3 jours avant ressentait dlre au cou.

 

®   le 1-  octobre 2003     t a fait un déménagement, au début t reliait ses dlres

 

avec le déménagement.  Mais le syndicat lui a dit que c’était relié au travail.

 

Le md. lui aurait dit que si c’était le déménagement   t aurait consulté avant.

 

T doit monter des caisses de cigarettes sur des tablettes qui sont au-dessus de sa tête.

 

Cette journée là T a eu environ une dizaine de caisses à placer sur ces tablettes.

 

t ns précise qu’il n’a pas eu à placer les 10 caisses les unes après les autres.

 

T n’a pas de RME  CSST  car il ne croyait pas que c’était en rapport avec le travail.

 

[sic

 

 

[21]           Le 19 novembre 2003, la Compagnie de gestion Assure-santé avise le travailleur que sa réclamation est acceptée pour la période du 17 octobre au 30 octobre 2003. Comme le travailleur a réintégré le travail le 31 octobre 2003, le dossier est fermé à cette date.

[22]           Le 24 novembre 2003, la physiothérapeute indique qu’une augmentation progressive des tâches est effectuée et que la condition du travailleur est de moins en moins irritable à la région cervicale.

[23]           Le 25 novembre 2003, la docteure Catherine Falardeau complète une attestation médicale initiale CSST en lien avec la visite du 16 octobre 2003. Elle mentionne la présence d’une cervicalgie. La note consignée au dossier du Centre hospitalier Rouyn-Noranda, à cette date du 16 octobre 2003, indique que la responsabilité du paiement revient au ministère des Affaires sociales. Le diagnostic final de cervicalgie est indiqué pour des douleurs apparues une semaine auparavant. Sur la demande de référence en physiothérapie, la docteure Falardeau mentionne le diagnostic d’entorse cervicale. Il est de plus indiqué que la compagnie d’assurance du travailleur paiera ses traitements de physiothérapie.

[24]           Le 25 novembre 2003, le docteur Marcel Verville, auquel le travailleur a été référé par l’employeur, mentionne que le travailleur lui a indiqué qu’il n’était survenu aucun événement précis le 16 octobre 2003 puisque les douleurs ont débuté progressivement pendant le travail sans fait accidentel. Cependant, le travailleur confirme qu’il a déménagé à cette période et que les symptômes ont débuté par la suite dans la semaine du 16 octobre 2003, progressivement.

[25]           Le 25 novembre 2003, la docteure Falardeau maintient le diagnostic de cervicalgie qu’elle transformera en entorse cervicale gauche le 9 décembre 2003.

[26]           Le 27 novembre 2003, le travailleur se rend à la CSST. Il fait une démonstration des mouvements effectués pour placer les caisses de cigarettes le 16 octobre 2003 au travail. Ces dernières sont sur un chariot et il doit les prendre une à la fois, la soulever au bout de ses bras pour la pousser sur une tablette. Ces mouvements ne sont pas faits de façon continue. D’autres caisses doivent être placées sur d’autres tablettes moins hautes. Il affirme que les douleurs sont apparues le mardi 14 octobre 2003 sans fait accidentel précis.

[27]           Le 8 janvier 2004, la docteure Falardeau diagnostique une cervicalgie gauche.

[28]           Le 2 février 2004, la docteure Falardeau diagnostique une entorse cervicale droite et gauche.

[29]           Le 12 février 2004, la docteure Falardeau diagnostique une entorse cervicale.

[30]           Le 9 mars 2004, le docteur Louis Bellemare, chirurgien orthopédiste, procède à une expertise médicale à la demande de l’employeur. Il indique que le travailleur a un passé assez lourd au niveau des antécédents de cervicobrachialgie. Il dresse la liste de ces nombreux antécédents, tous survenus dans le cadre du travail.

[31]           Le travailleur ajoute que vers le 1er octobre 2003, il a effectué un déménagement et il a dû manipuler plusieurs boîtes. Il a ressenti des douleurs cervicales à ce moment. Le 16 octobre 2003, il a dû manipuler plusieurs caisses de tabac au travail et a éprouvé une récidive des douleurs ressenties en 1998.

[32]           L’examen objectif du docteur Bellemare est essentiellement dans les limites de la normale. Il estime que l’entorse cervicale est résolue sans séquelle fonctionnelle. À cause des antécédents « chargés », il suggère des limitations à titre préventif pour éviter une autre récidive, rechute ou aggravation, et ce, pour une période de deux à trois mois. Dans ses commentaires médico-administratifs, il affirme que la cervicalgie avec irradiation au trapèze gauche est une lésion de nature personnelle. Il n’y a pas d’évidence d’une pathologie dégénérative préexistante. Il indique également ce qui suit :

1.  Relation entre le fait accident et la blessure ou entre la rechute et l’accident initial.

 

     L’histoire initiale chez ce travailleur est plus ou moins claire. Il y a une notion d’un déménagement en début octobre 2003, le travailleur alléguant aujourd’hui, qu’il s’agit d’une défaite pour bénéficier des prestations d’assurances. (nos soulignés)

 

 

[33]           Le 24 mars 2004, la docteure Falardeau diagnostique une entorse cervicale amenant une cervicalgie.

[34]           Le 5 mai 2004, la radiologue Caroline Giguère interprète une résonance magnétique à la colonne cervicale. Des signes de dégénérescence discale sont notés de C2 à C6. À C5-C6, il y a bombement du disque avec hernie discale centro-latérale gauche s’appuyant légèrement sur la moelle cervicale et sur les racines gauches adjacentes.

[35]           Le 15 mai 2004, la docteure Falardeau diagnostique une hernie discale C5-C6 en plus d’une entorse cervicale.

Le dossier constitué 245760-08-0410

[36]           Dans une réclamation signée le 22 avril 2004, le travailleur allègue la survenance d’un événement le 6 avril 2004, vers 10 heures, dans les circonstances suivantes :

En dessandant 3 marches de mon charriôt je me suis revirer le genou gauche cela craquer et ressenti une douleur intense.  [sic]

 

 

[37]           Le 8 avril 2004, le travailleur rapporte l’événement du 6 avril 2004 à son employeur. Il mentionne qu’en descendant les marches de sa table de travail, il s’est « viré » le genou gauche et il a ressenti un craquement. Le travailleur se dit incertain quant à l’endroit exact où l’événement est arrivé.

[38]           Toujours le 8 avril 2004, la docteure Falardeau mentionne la présence d’une entorse au genou gauche chez le travailleur. À la note médicale consignée au dossier hospitalier du travailleur, elle indique que ce dernier a effectué une torsion du genou en faisant une rotation deux jours auparavant. Elle souligne que le travailleur doit marcher beaucoup dans le cadre de son travail.

[39]           Le 15 avril 2004, la docteure Falardeau diagnostique une entorse au genou gauche.

[40]           Le 22 avril 2004, le docteur Verville mentionne que la relation est acceptable selon la description fournie par le travailleur. La note évolutive qu’il inscrit au dossier contient notamment ce qui suit :

[…]

 

A monter les 3 marches escaliers

Allait porte une caisse de la reserve  il l’a déposer en descendant

 

- A manque derniere marche -

son pied g a vire de travers

            (cheville)  ®   genou g a aussi viré  ®   avec craquement ® au niveau

du genou g ®   douleur sur le coup

 

- A plié.  Mais n’a pas chuté ® 

 

A continué à wer ®   + P Nait

 

+ il boitait   ®    activité N

 

Par la suite ®  a fait tout le quart  -  a eu sa ½ hre de diner

 

®  sensible boiterie  - a  pre reprit en PM

 

à pu terminer son quart

plus qu’il faisait de flexion  ®  Ө que c’était difficile

 

Þ   Personne  n a rien vu  -   rien sur le 06/04

 

le mercredi a reprit son quart en boitant   - -

               en PM  - a décide d aller faire rapport   ®  ® ‘’ René Drolet  ®  qui n’était par disponible

 

A termine son quart du 07/04

 

le 08/04 - a remplit rapport en comencant son quart -

 

chez lui le -  06/04  -  07/04 glace

 

Ø  Rx

 

Avait deja AINS  Naprosin ‘’ 500 ‘’ [illisible]

 

[sic]

 

 

[41]           Le 3 mai 2004, le travailleur a une conversation avec son agente d'indemnisation. Il confirme que l’événement est survenu le matin alors qu’il descendait une échelle de son chariot. En posant le pied par terre, le genou gauche lui a tourné par l’intérieur et il a entendu un craquement.

[42]           Le 17 mai 2004, la radiologue Marie-Claude Thériault interprète une résonance magnétique du genou gauche. Une déchirure en anse du ménisque interne avec déplacement en anse de seau des portions antérieures et moyennes est notée. Dans la portion antérieure du ménisque, il reste une déchirure oblique à communication supérieure. Il y a aussi blessure cartilagineuse sur la face médiale de la rotule.

 

La preuve documentaire

[43]           Les documents suivants ont été déposés dans le cadre de ce dossier :

Par le travailleur :

 

T-1       Documents médicaux en liasse.

 

On constate notamment que le travailleur a subi une méniscectomie le 31 juillet 2004 en lien avec sa déchirure méniscale interne gauche.

 

Une expertise de l’orthopédiste Luc-Antoine Dugas fait partie de cette liasse de documents. Le docteur Dugas est désigné par la CSST en vertu de l’article 204 de la Loi. Il rappelle l’événement du 6 avril 2004 survenu alors que le travailleur « descendait les escaliers ». Le genou du travailleur a bloqué alors quelques secondes. Il recommande des limitations fonctionnelles pour une période temporaire.

 

T-2      Décision du 26 août 2004 de la CSST concluant à l’existence d’une relation entre le diagnostic de déchirure en anse de seau du ménisque interne gauche et l’événement du 6 avril 2004. Cette décision n’a pas été contestée.

 

T-3      Désistement par Richard Villeneuve de sa plainte déposée en vertu de l’article 32 de la Loi le 21 janvier 2000 parce que l’employeur a consenti à reprendre le travailleur dans son emploi.

 

Une lettre du 12 janvier 2000 mentionne que l’employeur est en accord avec un grief déposé par le travailleur. On reconnaît que le travailleur travaille avec un gros « lift » pour couper les palettes et qu’il pourra ainsi respecter « ses limites ».

 

Une demande d’échange de postes entre quatre employés est également déposée sous cette cote.

 

T-4      Transaction en vertu de l’article 2631 du Code civil du Québec entre le travailleur et l’employeur. Les parties reconnaissent que la cervicobrachialgie gauche du travailleur, reconnue par une décision initiale du 6 juillet 1998, est consolidée sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles.

 

T-5      Expertise de l’orthopédiste Christian Loranger en date du 6 mai 2002 concernant une épicondylite au coude droit. Le travailleur explique que son poste de travail a été adapté. Une scie pour couper les caisses a été mise à sa disposition et un couteau avec une meilleure préhension ne nécessitant pas de force ni de pression prolongée avec l’index a été adapté à son poste de travail. Une table rotative a été mise en place pour éviter que le travailleur ne doive tourner les caisses qu’il doit couper.

 

T-6      Extrait du dossier du travailleur concernant une lésion du 12 novembre 2001 au genou droit.

 

Une arthroscopie du genou droit a été faite le 16 septembre 2002 avec débridement de la corne postéro-moyenne du ménisque interne droit. Une atteinte permanente de 4,4 % est octroyée au travailleur.

 

L’événement du 12 novembre 2001 est survenu alors que le travailleur soulevait une caisse, les genoux pliés.

 

La chirurgienne orthopédiste Nathalie Kouncar conclut que le travailleur est capable de faire ses activités normales et ses tâches au travail malgré la présence d’une atrophie du quadriceps. Il n’y a pas de limitations fonctionnelles selon elle.

 

T-7      Quatre photographies du chariot utilisé par le travailleur et de certaines tablettes où sont placés des produits. On voit que ce chariot a trois marches placées sur un genre d’échelle qui se relève légèrement pour que le chariot puisse circuler.

 

T-8       Document intitulé « Visionnement des caméras du 6 avril 2004 Richard Villeneuve » en date du 17 mai 2004. Il s’agit des notes de monsieur Savarie. On y décrit les activités du travailleur après 7 h 01 et 10 h 46.  À 9 h 18, l’inscription suivante est faite pour la caméra 1 : « Richard arrive sur le deck, place du stock et entre dans l’allée. À 9 h 18 min 30 s, il entre dans l’allée et semble monter sur son « buggy ».

 

T-9       CD-Rom préparé à l’aide des caméras dans la chambre à tabac le 6 avril.

 

 

Par l’employeur :

 

E-1      Historique des absences pour le travailleur démontrant 495 jours d’absence entre les 14 février 1988 et 3 septembre 2002. Toutes les absences sont liées à des lésions professionnelles, sauf une.

 

E-2      Document signé par René Drolet et le travailleur par lequel ce dernier rapporte l’événement du 6 avril 2004 en date du 8 avril 2004. L’événement est ainsi décrit « En descendant de l’escalier de ma table de travail roulante je me suis viré le genou gauche en descendant et cela a craqué. Le genou gauche a de la difficulté à plier ».

 

E-3      CD-Rom de la chambre à tabac le matin du 6 avril.

 

E-4      CD-Rom - séquence 6 avril 2004 en après-midi.

 

E-5      CD-Rom du 6 avril.

 

E-6      Plan de disposition des caméras dans la chambre à tabac. Elles sont au nombre de 12.

 

E-7      Affidavits du docteur Marcel Verville par lesquels il atteste être l’auteur des notes qui se trouvent aux pages 20, 21, 22, 23 et 24 du dossier 245760 et 68 à 74 du dossier 228039. Il atteste également que les retranscriptions des notes fournies aux dossiers sont authentiques.

E-8      Document du 3 mai 2004. Demande de vérification des caméras dans la chambre à tabac.

 

E-9      CD-Rom concernant la chambre à tabac le 8 avril 2004.

 

E-10    Document préparé par le docteur Marcel Verville pour remplacer son témoignage sous réserve du droit des autres parties d’exiger sa présence, ce qui n’a pas été fait.

 

Dans ce document, le docteur Verville fait part de ses compétences professionnelles. Après avoir visionné les caméras de surveillance pour la journée du 6 avril 2004, il affirme n’avoir vu aucun geste ou manœuvre ayant pu causer la lésion subie par le travailleur au genou gauche. Il ajoute que la nouvelle version du travailleur à l’effet que l’événement serait survenu à 9 h 18 en redescendant de la première marche de son chariot ne correspond pas à ce qui lui avait été dit le 22 avril 2004.

 

Au moment identifié par le travailleur sur la bande vidéo, soit 9 h 18 min 35 s, aucun mouvement susceptible de causer la lésion au genou gauche n’est visualisé. Si le geste décrit par le travailleur était effectivement survenu, on aurait dû noter un phénomène de boiterie qui aurait débuté dans les minutes ayant suivi la survenance du fait accidentel, ce qui n’est nullement visionné à la bande vidéo.

 

Un événement tel que celui décrit par le travailleur et qui est assez important pour entraîner la lésion en cause ne peut être passé inaperçu lors de sa survenance. Aucun des signes cliniques observables lors de l’expertise du 22 avril 2004 n’est visualisable sur le film pris par les caméras de surveillance les 6 et 7 avril 2004.

 

Il note de plus que plusieurs mouvements visibles sur la bande vidéo mettent en cause le membre inférieur gauche sans signe de souffrance. Notamment, le mouvement d’appui sur la batterie du chariot élévateur est incompatible avec la lésion alléguée et les conséquences immédiates de la survenance de cette lésion. Une telle flexion du genou gauche aurait été totalement impossible après quelques heures de la survenance du fait accidentel puisqu’il s’agit d’une flexion, réalisée en toute aisance, par le travailleur.

 

E-11    Extrait de deux conventions collectives chez l’employeur. On y indique que l’utilisation des caméras de surveillance de l’employeur ne peut servir de preuve contre un salarié que dans des situations de vol, de fraude, de sabotage, de méfait ou autres activités similaires.

 

E-12    Notes sténographiques.

Les admissions

Les parties ont fait les admissions suivantes :

 

1)                 Le CD-Rom E-3 représente bien les images dans la chambre à tabac le 6 avril 2004 en matinée.

 

2)                 Le travailleur est habillé d’un chandail gris et d’un pantalon foncé.

 

3)                 Dans la chambre à tabac, il n’y a qu’un seul chariot adapté et il est bleu.

 

4)                 À 8 h 34 min 30 s (9 h 34 min 30 s, heure réelle), le travailleur sort de la chambre à tabac.

 

5)                 Le travailleur prétend que son accident du travail impliquant son genou gauche est survenu le 6 avril 2004 à 9 h 18 min 35 s, soit 8 h 18 min 35 s à l’heure indiquée sur E-3. Aucun autre événement n’est survenu les 6, 7 ou 8 avril 2004 à la chambre à tabac.

 

6)                 Le travailleur a monté les trois marches de son chariot adapté à environ sept reprises les 7 et 8 avril 2004, sans se tordre le genou.

 

Les témoignages

[44]           Le premier témoin entendu est le travailleur. Il a été congédié le 28 avril 2004 et son grief est toujours pendant. Il travaillait chez l’employeur depuis 23 ans.

[45]           Lors des événements, il était préposé à la demi-caisse.

[46]           Ses premiers problèmes au cou sont survenus vers 1998 ou 1999. Le dossier s’est réglé par une entente entre le syndicat et l’employeur. L’employeur a mis en place un nouveau poste pour lui, soit celui de préposé à la demi-caisse dans la chambre à tabac.

[47]           Lorsqu’on lui demande si ce nouveau travail était plus difficile ou plus facile que celui qu’il occupait anciennement, il répond que « c’est plus lourd et plus léger en même temps ». L’explication donnée ensuite par le travailleur n’est pas des plus claires.

[48]           Le 20 octobre 2000, il a subi une nouvelle lésion professionnelle, soit une épicondylite au coude droit. Son appareil pour couper les caisses de vin et de tabac a alors été modifié.

[49]           Le 12 novembre 2001, il a subi une lésion au genou droit en se pliant pour placer des caisses. Il n’a pas arrêté de travailler sur le coup et il a consulté tardivement. Suite à la chirurgie de septembre 2002, il a cessé le travail pour trois mois. Son médecin a voulu décréter des limitations fonctionnelles mais le travailleur a refusé pour éviter de revivre les tracas subis en 1998 et 1999.

[50]           Il relate ensuite les circonstances de l’accident du 16 octobre 2003. Il tenait une boîte de cigarettes pesant environ 40 livres et son « lift » était devant lui. Il a ressenti une douleur lorsqu’il a placé la caisse sur une tablette alors qu’il avait les bras en élévation antérieure environ à 110 degrés avec les coudes en flexion. Son cou était en légère extension.

[51]           Il s’agissait pour lui d’un travail de remplacement.

[52]           Son cou a donc « barré » en manipulant des caisses ce jour-là. Il a quand même continué son travail de peine et de misère. Il a pris des anti-inflammatoires qu’il avait conservés d’une lésion antérieure.

[53]           Sur l’heure du dîner, il a rencontré René Drolet. Il était étourdi. Il n’avait jamais ressenti une douleur de ce genre auparavant. Il a mentionné à monsieur Drolet qu’il avait eu un accident, qu’il avait mal au cou et qu’il devait se rendre à l’hôpital.

[54]           Le 1er octobre, il avait déménagé et avait reçu l’aide d’amis. Il ne s’était pas occupé lui-même de la manipulation des « gros morceaux » parce qu’il avait déjà mal au cou. Il a transporté des boîtes et quelques petits meubles pendant environ quatre heures. Il a tout au plus manipulé trois ou quatre boîtes et deux petits meubles.

[55]           Lors du déménagement, il ressentait des douleurs « normales » au cou, sans augmentation ponctuelle.

[56]           Il ignorait initialement si sa lésion était due à son déménagement ou à son travail. Quelques jours plus tard, il a rencontré un représentant syndical. Il lui a mentionné qu’il éprouvait des douleurs au cou et qu’il n’avait pas fait de rapport à la CSST parce qu’il croyait que c’était dû à son déménagement. Il fut convenu que les douleurs n’étaient pas liées au déménagement mais bien au travail. Il n’y avait d’ailleurs pas eu d’arrêt de travail après le déménagement.

[57]           Son représentant syndical lui a alors dit « Fais un rapport d’accident car c’est arrivé ici ».

[58]           Il n’a pas déclaré immédiatement l’événement à son employeur à cause de ses lésions passées. Il avait peur que son employeur le prenne mal.

[59]           Le 16 octobre 2003, il a vu Bertrand Duchesne mais ne lui a rien rapporté parce qu’il pensait que ses problèmes étaient peut-être dus à son déménagement.

[60]           Il ne se souvient pas s’il est allé consulter le jour même à l’hôpital ou le lendemain de la survenance de sa lésion alléguée.

[61]           Plus tard, il a mentionné à Bertrand Duchesne qu’il croyait qu’il avait subi un accident du travail et ce denier lui a dit de le rapporter à l’employeur. Il avait fait une réclamation d’assurance salaire auparavant.

[62]           Lorsque la docteure Falardeau lui a demandé ce qui s’était passé lors de sa visite à l’urgence, il lui a répondu qu’il avait subi un accident du travail.

[63]           Il ajoute que le médecin s’est trompé lorsqu’elle mentionne que les douleurs étaient présentes depuis une semaine (page 15 du dossier).

[64]           À son souvenir, la docteure Falardeau lui a fait décrire de façon détaillée les gestes et mouvements faits à son travail et les circonstances de l’apparition des douleurs.

[65]           Il a remis à son employeur le billet médical contenu la page 11 du dossier sans aucune référence à une telle condition d’origine professionnelle.

[66]           Il n’a pas déclaré l’événement à René Drolet le 16 octobre 2003 parce qu’il n’a pu le trouver. Il avait mal et s’est rendu à l’hôpital.

[67]           Pendant la semaine du 16 octobre, il a dû travailler beaucoup. Il devait notamment remplacer quelqu’un, ce qui fait en sorte qu’il a dû manipuler des caisses pendant environ une semaine.

[68]           À sa deuxième visite chez son médecin, il a alors demandé une attestation « CSST» parce qu’il avait décidé de faire une réclamation à cet organisme. Cette deuxième visite est survenue environ 10 jours plus tard, selon lui. Le dossier indique plutôt que cette visite a eu lieu le 25 novembre 2003, soit cinq semaines plus tard.

[69]           Suite à la lésion du 16 octobre 2003, il a été assigné temporairement à des tâches puis est revenu au travail alors que sa réclamation à la CSST n’était toujours pas effectuée.

[70]           Il n’était pas présent lorsque la docteure Falardeau a rempli la déclaration du médecin traitant contenue à la page 29 du dossier.

[71]           Au début novembre 2003, il a rencontré le docteur Marcel Verville à la demande de l’employeur. Le docteur Verville lui a posé des questions. Il lui a mentionné qu’il avait subi un accident du travail mais qu’il y avait également possibilité que cela découle d’un déménagement. Le docteur Verville a décidé qu’il ne s’agissait pas d’un accident du travail.

[72]           Le travailleur se contredit cependant par la suite en mentionnant qu’il croit qu’il n’a pas mentionné au docteur Verville la possibilité d’un accident du travail mais seulement le fait qu’il avait déménagé.

[73]           Il traite ensuite du déménagement comme tel qu’il a effectué en octobre. Il mentionne que ce déménagement n’a entraîné aucune douleur chez lui, ni aggravation de douleurs préexistantes. Il n’a alors ressenti que « des douleurs normales ».

[74]           Il ajoute que s’il avait éprouvé des douleurs importantes le 1er octobre comme celles qu’il a ressenties le 16 octobre, il n’aurait pas pu travailler du 1er au 16 octobre.

[75]           On demande alors au travailleur pourquoi il a mentionné que son problème cervical était dû à son déménagement si ce n’était pas le cas. Il mentionne que c’est parce qu’il avait subi plusieurs accidents dans le passé et qu’il ne voulait pas en déclarer un autre. Il avait conservé des douleurs depuis la lésion survenue vers 1998 même si celle-ci a été consolidée sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles. Son cou n’a jamais été guéri à 100 %.

[76]           Il avait déjà été victime de lésions professionnelles dans le passé et connaissait bien le formulaire officiel en la matière. Il n’en a pas reçu à la première visite chez la docteure Falardeau.

[77]           Il a arrêté de travailler deux semaines en octobre 2003 et deux semaines en février 2004. Il a aussi effectué des travaux légers qui ne s’éloignaient pas tellement de son poste habituel. Seulement la manipulation des demi-caisses de vin lui était retirée par l’employeur.

[78]           À son poste régulier, il manipule des chariots sur roues. Il dépose les caisses sur ces chariots. Un de ces chariots a été conçu spécialement pour lui. Il est muni d’une table tournante et d’un escalier de trois marches. Cette modification a été faite pour tenir compte de lésions antérieures au cou et à un coude.

[79]           Lorsqu’il monte sur l’échelle, les pattes descendent au sol et immobilisent le chariot.

[80]           En décembre 2003, il a reçu une visite de François Leduc, directeur des ressources humaines qui lui a expliqué qu’il n’évoluait plus et qu’il ne progressait donc pas dans l’entreprise. Les accidents qu’il avait eus dans le passé ont été mentionnés. Monsieur Leduc lui a suggéré de se trouver un autre emploi.

[81]           Le mardi 6 avril 2004, il était toujours en assignation temporaire à raison de 40 heures par semaine. À un certain moment donné, il a monté les trois marches de son chariot pour aller déposer une caisse. En redescendant, alors qu’il était rendu sur la dernière marche avant de toucher le sol, son genou gauche a « reviré et craqué ». Une douleur et un pincement sont apparus. Il a continué son travail mais avec difficulté. Cette version sera contredite ultérieurement par le travailleur.

[82]           Quinze (15) à 20 minutes plus tard, il est descendu à la salle de bain pour vérifier son genou qui n’était pas enflé ni coloré. Il a alors dû descendre et remonter une vingtaine de marches.

[83]           Sa cheville a tourné vers l’extérieur et son genou aussi. Tout cela est survenu avant 10 heures le matin. À 10 h 00, il a pris une pause de 15 minutes.

[84]           Dans l’après-midi, il est descendu pour voir son contremaître Drolet mais il n’était pas là. Il a mentionné à son représentant syndical Bertrand Duchesne qu’il ressentait des douleurs et qu’il avait subi un autre accident. Il estimait qu’avec tous les accidents qu’il avait eus et à la lumière de la rencontre avec monsieur Leduc en décembre 2003, il valait mieux pour lui de ne pas réclamer à la CSST.

[85]           Son représentant syndical lui a dit qu’il n’avait pas le choix et qu’il devait aller voir le médecin. Il a répondu que « non » et qu’il continuerait son travail en espérant que les douleurs passeraient.

[86]           Il a terminé sa journée et s’est rendu chez lui. Il a parlé de l’événement à son épouse et a appliqué de la glace sur son genou. Elle lui a demandé s’il avait déclaré l’événement à son employeur.

[87]           Le 7 avril, le travailleur s’est levé et il ne boitait pas. Il ressentait cependant des douleurs. Il a fait sa journée de travail normalement.

[88]           Le contremaître n’étant toujours pas à son bureau à la fin du quart de travail, il s’en est retourné chez lui pour mettre encore de la glace. Il a dit à son épouse qu’il n’avait pas déclaré l’événement de peur de perdre son emploi. Il croyait que les douleurs passeraient.

[89]           Le 8 avril, son genou était très enflé. Il avait constaté une boiterie dans la nuit alors qu’il se rendait aux toilettes. Il s’est quand même rendu au travail.

[90]           À son arrivée il a rencontré le contremaître et lui a demandé de remplir un rapport d’accident pour l’événement survenu le 6 avril vers 10 h 00. Il lui a mentionné ne pas être allé déclarer l’événement dès le mardi puisqu’il ne l’avait pas trouvé sur les lieux du travail.

[91]           Le 8 avril vers 13 h 30, son représentant syndical lui a demandé pourquoi il n’était toujours pas parti pour l’hôpital. Le travailleur a alors quitté son travail pour aller consulter.

[92]           N’eut été de la présence d’oedème au genou, il n’aurait pas réclamé à la CSST.

[93]           Du 6 au 8 avril 2004, il n’a fait aucune activité autre que le travail.

[94]           Le médecin rencontré à l’urgence lui a demandé comment sa lésion était survenue et il lui a décrit l’événement comme il le fait à l’audience.

[95]           Il était au service de l’employeur depuis le 5 mars 1981.

[96]           Il connaît la politique qui est en usage chez l’employeur et qui oblige à déclarer immédiatement tout accident du travail qui survient. Il ne l’a pas respectée parce qu’il pensait que sa condition s’améliorerait. Il mentionne ensuite qu’il ignore si une politique existe chez l’employeur mais que de toute façon, il ne rapporte ses accidents que lorsqu’il est certain qu’ils « causent du trouble ».

[97]           Il connaît la différence entre le régime d’assurance salaire qui couvre les lésions survenues hors travail et le régime de la CSST qui couvre les lésions survenues au travail.

[98]           Il a rempli lui-même les documents d’assurance salaire mais ne se souvient pas si son employeur l’a aidé.

[99]           Après avoir parlé à MM. Drolet et Duchesne, il a décidé de demander des prestations d’assurance salaire en octobre 2003.

[100]       Depuis 1989, il a subi environ 10 accidents du travail chez l’employeur. Il ne se souvient pas s’il a alors rempli des documents d’assurance salaire ou non. Il se souvient d’un dossier vers 1999 alors que la CSST a cessé de lui verser des prestations. La compagnie d’assurance a pris ensuite charge de lui.

[101]       Il décrit ensuite l’événement d’avril 2004 à nouveau. Il se trouvait dans la chambre à tabac. Il se sert d’un chariot adapté pour vider les palettes contenant des caisses. Il se rend ensuite placer ces caisses sur des tablettes en utilisant l’échelle incorporée à son chariot s’il y a lieu.

[102]       Les tablettes sont réparties sur six étages. Il n’a pas besoin d’escaliers pour se rendre sur les cinq premières tablettes mais seulement pour placer une caisse sur la sixième tablette.

[103]       L’événement est donc survenu le 6 avril alors qu’il redescendait de son échelle et qu’il avait les mains vides. Il venait tout juste de placer une caisse. Il s’agissait de la première fois ce matin-là qu’il montait dans son échelle. Il ne croit pas qu’il soit remonté par la suite ce jour-là. Il ne se souvient pas s’il est monté le lendemain.

[104]       La pause-café est prise à 10 h 00 et l’événement est survenu avant cette pause. Il a quand même terminé son quart de travail du 6 avril et a fait celui du 7 avril tout en éprouvant des douleurs.

[105]       Il a ressenti des douleurs intenses au genou gauche lorsque ce dernier a tordu vers l’extérieur. Ça lui a fait « super mal sur le coup ». Il n’a pas tombé et n’a pas perdu l’équilibre. Les douleurs étaient surtout présentes lors des mouvements de flexion.

[106]       Il a continué son travail par la suite qui consiste à prendre des boîtes sur des palettes, à les mettre sur son chariot et à aller les placer sur des tablettes.

[107]       Il est ensuite parti pour la salle de bain où il a pris des anti-inflammatoires qu’il avait en sa possession pour sa lésion cervicale. Il est remontré dans l’entrepôt puis est allé à sa pause. Il n’a rien déclaré à personne malgré qu’il y avait entre 10 et 30 personnes présentes sur les lieux à ce moment-là.

[108]       Il a lui-même rédigé les documents E-2. Il mentionne sur ce document qu’il avait de la difficulté à plier son genou gauche et que des douleurs étaient présentes lors de ce mouvement. Les douleurs étaient cependant moins intenses que lors de la survenance même de l’événement. Malgré les douleurs, il devait plier son genou de temps en temps. Il était alors en assignation temporaire de sorte qu’il n’avait pas à manipuler les caisses de vin.

[109]       Ce travail nécessite beaucoup de marche parce que les allées sont longues. Il est toujours debout. Sa démarche était normale et il ne boitait pas.

[110]       Les premières boiteries sont apparues le 8 avril. Il en va de même de l’œdème.

[111]       À compter du 6 avril, il a décidé de couper les caisses avant de les mettre sur son chariot alors qu’auparavant il les coupait une fois rendues sur le chariot.

[112]       Dans le cadre de son travail, il doit manipuler des caisses dont le poids varie entre 3 et 40 livres.  Dans le cadre de son travail allégé, les manutentions sont limitées à un maximum de 20 livres.

[113]       Le 6 avril, un collègue était présent sur les lieux du travail, soit monsieur Serge Poisson. Il croit qu’il lui a parlé de son accident.

[114]       Le soir du 6 avril, il a mis de la glace sur son genou. Son épouse lui a demandé s’il avait déclaré cet événement et il a mentionné qu’il ne voulait pas arrêter de travailler et voulait plutôt vérifier si les douleurs passeraient.

[115]       Le 7 avril, son épouse lui a à nouveau demandé s’il avait fait une déclaration à l’employeur et il lui a répondu par la négative, expliquant qu’il avait peur.

[116]       Il avoue cependant qu’il a tenté de rejoindre René Drolet, le 6 avril, pour lui rapporter l’événement. Il affirme qu’il « tentait et ne tentait pas » de le rejoindre parce qu’il avait peur de perdre son emploi.

[117]       Il a tenté de voir René Drolet en après-midi le 6 avril. Il était absent. S’il avait été là il lui aurait déclaré l’accident du travail du matin. Il était cependant content qu’il ne soit pas là parce qu’il avait peur de lui déclarer l’accident. Il a parlé de son accident uniquement à son délégué syndical Bertrand Duchesne.

[118]       Dans les jours suivant le 6 avril, René Drolet est montré dans l’entrepôt pour prendre certaines mesures. Le travailleur ne lui a pas fait de déclaration selon l’article 265 de la Loi parce qu’il ne voulait pas que les tiers présents sur place ne fassent de « placotage ».

[119]       S’il avait trouvé monsieur Drolet à son bureau, il lui aurait déclaré l’événement mais il ne voulait pas le lui déclarer en plein entrepôt. Il n’a cependant pas tenté de se rendre au bureau de monsieur Drolet à la fin de la journée du 6 avril. Il n’est pas certain que monsieur Drolet soit venu dans la chambre à tabac le 6 avril même.

[120]       S’il avait croisé monsieur Drolet le 7 avril, il ne lui aurait pas déclaré l’événement parce qu’il avait peur de perdre son emploi. Il a changé d’idée le 8 avril parce que son genou était trop enflé, qu’il boitait et qu’il avait de la difficulté à faire son travail.

[121]       Il prend des anti-inflammatoires depuis 1998 pour son cou.

[122]       Il a eu de la difficulté à dormir dans la nuit du 6 au 7 et encore plus dans la nuit du 7 au 8 avril.

[123]       Il a vu plusieurs collègues de travail le 7 avril mais ne se souvient pas d’avoir déclaré son événement à quiconque.

[124]       Référant aux photos T-7, il rappelle que l’événement du 6 avril est survenu dans une rangée impaire, en début d’allée. Les photos B, C et D illustrent la position dans laquelle il se trouvait lors de l’événement.

[125]       Il a lui-même rempli la déclaration d’invalidité court terme contenue à la page 28 du dossier 228039. Il a aussi signé ce document et l’a remis à madame Line Prince qui devait le transmettre à la compagnie d’assurance. Son contremaître n’a pas vu ce document.

[126]       Ses douleurs cervicales sont présentes depuis 1998 et surtout après une journée de travail intense. Le 16 octobre 2003, les douleurs étaient situées au même endroit, avec irradiation à l’épaule gauche et au trapèze. Il a subi des nausées et des vertiges.

[127]       Le 8 avril, son genou ne pliait plus et il était enflé. Cet oedème n’était pas présent avant le 6 avril 2004 et il n’avait jamais éprouvé de problèmes au genou gauche avant cette date.

[128]       Monsieur Bertrand Duchesne est un représentant syndical mais il agit parfois comme contremaître remplaçant. C’est lui qui lui assigne des travaux légers lorsque requis et qui lui donne différentes explications.

[129]       Il est certain que l’événement du 6 avril est survenu dans une allée impaire alors qu’il était sur son chariot adapté.

[130]       Il n’a pas rempli de documents internes de déclaration d’accident concernant la lésion du 16 octobre 2003. Il affirme plutôt par la suite qu’il ignore s’il en a rempli un. Il admet que la règle est de remplir un tel document lorsqu’il survient quelque chose.

[131]       Le 6 avril, il a descendu les marches de son escalier comme à l’habitude et ce n’était pas glissant. Il croit qu’il a accroché une marche et qu’il a manqué la dernière marche avant d’arriver au sol. Son pied s’est tordu alors qu’il arrivait au sol.

[132]       Lors de son déménagement du début d’octobre 2003, sa conjointe était présente et quatre amis étaient là pour les aider.

[133]       Il ignore s’il avait déjà mentionné le fait qu’il avait manqué une marche pour expliquer sa lésion au genou du 6 avril 2004.

[134]       Le tribunal entend ensuite le témoignage de Christine Fortier, conjointe du travailleur. Elle le connaît depuis 27 ans.

[135]       Le 6 avril 2004, après sa journée de travail, le travailleur a mis de la glace sur son genou et il lui a mentionné qu’il s’était encore blessé au travail. Il lui a dit qu’il n’avait pas fait de rapport parce que René Drolet n’était pas sur les lieux de travail. Elle l’a alors traité de « tête dure ».

[136]       Le travailleur lui a dit que comme aucun contremaître n’était sur place, il ne pouvait faire un rapport d’accident.

[137]       Le 7 avril, elle lui a encore demandé s’il avait déposé un rapport. Elle lui a fait part de sa crainte qu’il ne perde son emploi s’il ne déclarait pas l’événement qu’il avait subi. Le travailleur s’est engagé à voir Bertrand Duchesne le lendemain.

[138]       Le 8 avril, son genou était plus enflé et les douleurs plus importantes.

[139]       Le travailleur n’avait jamais éprouvé de problèmes à son genou gauche dans le passé.

[140]       Elle était présente lors du déménagement du 1er octobre 2003 avec le travailleur. Ils ont reçu l’aide de deux à trois adolescents pour les « gros morceaux » en plus de leurs deux filles, de la sœur du témoin et d’une de ses amies.

[141]       En aucun temps le travailleur n’a levé d’objets pesants et ne s’est plaint de douleurs cervicales « pires par après ».

[142]       Le genou du travailleur n’était pas enflé le 6 avril et il ne boitait pas.

[143]       Le 6 avril, le travailleur a mentionné qu’il n’avait pas fait de rapport à René Drolet parce qu’il n’était pas là et il n’a pas été question de sa crainte de faire une déclaration. Le 7 avril, il lui a cependant mentionné qu’il avait peur de faire une déclaration.

[144]       Les douleurs au cou du travailleur sont continuelles depuis 1998 et elles rempirent à chaque fois.

[145]       L’audience se poursuit le 26 avril 2005.

[146]       Le représentant du travailleur affirme qu’il a visionné un CD-Rom sur grand écran montrant ce qu’ont capté les caméras de surveillance les 6, 7 et 8 avril 2004 sur les lieux du travail. Le travailleur prétend avoir subi son accident le 6 avril 2004 en matinée alors qu’il descend les marches de son chariot et qu’il se tord le genou. L’heure indiquée à l’écran est 8 h 18 min 30 s mais l’heure réelle est 9 h 18 min  35 s. En effet, l’heure indiquée à l’écran n’avait pas été changée.

[147]       Le tribunal visionne la disquette en présence de tous les témoins et de monsieur Sylvain Fink, technicien spécialiste en informatique chez l’employeur. Ce dernier travaille depuis cinq ans chez l’employeur et il a un DEC en informatique. Il travaille dans ce domaine depuis huit ans. Il s’occupe de la gestion du parc informatique chez l’employeur.

[148]       L’heure avancée de l’Est était entrée en vigueur la fin de semaine auparavant mais l’ajustement n’avait pas été fait sur la caméra. Il faut donc toujours ajouter une heure à ce qu’on peut voir sur l’écran pour obtenir le temps réel.

[149]       Le travailleur témoigne ensuite à nouveau.

[150]       Il décrit plus amplement le chariot dont il dispose et qui a été adapté suite à une lésion qu’il a subie dans le passé. Il y a une table tournante qui aide à tourner les caisses. Il y a aussi un escalier de trois marches qui s’enfonce dans le plancher si on monte dessus et qui tient le chariot en place.

[151]       Il mentionne ne pas avoir un souvenir exact de l’accident (qu’il avait pourtant décrit en long et en large le premier jour d’audience) mais en voyant la vidéo, il constate se souvenir il n’a pas monté toutes les marches.

[152]       Quant à l’événement du 6 avril 2004, il avait installé son chariot le long d’une étagère. Il a monté l’escalier les mains vides. Il a monté une marche, a replacé une caisse sur son chariot et non pas sur une étagère, puis est redescendu les mains vides. Bien que le chariot soit muni de trois marches, il n’en a monté qu’une seule cette fois-là.

[153]       Cette version contredit celle donnée antérieurement. Le travailleur lui-même reconnaît d’ailleurs qu’il contredit sa version initiale laquelle il a ajustée après avoir vu la vidéo.

[154]       Lors d’un visionnement survenu en mars, il a vu « l’événement » sur grand écran et a constaté quelque chose qu’il n’avait pas pu constater sur un petit écran auparavant.

[155]       L’événement n’est donc sûrement pas survenu ni le 7 ni le 8 avril. À la suite du visionnement de la disquette, c’est bel et bien le 6 avril qu’il s’est produit.

[156]       Monsieur Fink témoigne à nouveau. En visionnant la disquette, les représentants du syndicat ont mentionné que l’événement était arrivé à 8 h 18 min 35 s (heure réelle : 9 h 18 min 35 s) lorsque le travailleur avait le pied droit sur la première marche, puis le pied gauche dans le vide, pour finalement se poser au sol. Ils ont alors identifié ce qu’ils croient être un mouvement de torsion.

[157]       Le témoin a fait remarquer que le travailleur a ensuite continué son travail sans douleur apparente et sans problème au niveau de sa démarche. Il ne s’est aucunement frotté, ne s’est aucunement arrêté et n’a pas boité.

[158]       Le montage couvre toutes les fois où le travailleur a utilisé son chariot bleu les 6, 7 et 8 avril.

[159]       À 8 h 30 min 28 s (9 h 30 min 28 s, heure réelle), on voit le genou du travailleur qui plie et sa jambe gauche pousse une boîte située dans une rangée basse.

[160]       À 8 h 34 min 32 s (9 h 34 min 32 s, heure réelle), le travailleur quitte la chambre à tabac et revient environ six minutes plus tard.

[161]       À 8 h 43 min 29 s (9 h 43 min 29 s, heure réelle), on voit encore le travailleur effectuer une flexion et une torsion de son genou gauche.

[162]       À 9 h 14 min 52 s (10 h 14 min 52 s, heure réelle), on voit MM. René Drolet et Bertrand Duchesne sur les lieux de travail près du travailleur. Le travailleur avait pourtant témoigné sous serment à l’effet qu’il ne l’avait pas vu le matin du 6 avril.

[163]       À 12 h 09 min 33 s, (13 h 09 min 33 s, heure réelle), on voit le genou gauche du travailleur qui est en flexion quelques secondes.

[164]       Quelques minutes plus tard, on voit encore le genou gauche du travailleur plié alors qu’il met son pied gauche sur un moteur en présence de son collègue de travail Poisson.

[165]       Il est ensuite convenu qu’il n’est pas utile de visionner les CD-Rom des 7 et 8 avril puisque le travailleur et le syndicat affirment que l’événement est bel et bien survenu le 6 avril, le tout sous réserve du droit du syndicat d’en reproduire des extraits s’il y a lieu plus tard dans l’audience.

[166]       Le témoin mentionne cependant qu’on peut voir sur les enregistrements des 7 et 8 avril que le travailleur monte sur son chariot à six occasions.

[167]       Comme les caméras ne fonctionnent que lorsqu’il y a du mouvement, les CD-Rom représentent ni plus ni moins qu’un montage et non une action continue.

[168]       Le témoin réfère au plan E-6 qui démontre la disposition des caméras. Les images prises par ces caméras sont relayées dans un serveur situé au premier plancher dans une pièce barrée. Seulement trois personnes ont accès à cette salle, soit deux membres de la direction et un contremaître.

[169]       Il a sauvegardé les fichiers rapidement pour éviter qu’ils ne soient purgés et aucun autre enregistrement n’a été fait sur ces CD-Rom déposés en preuve.

[170]       Quant à la pièce E-3, elle montre des images en continu de toute la matinée du 6 avril en ce qui concerne le chariot bleu utilisé par le travailleur. Même si les mouvements sont saccadés, il est impossible de perdre un espace-temps de plus de 0,5 ou 1 seconde.

[171]       Le travailleur revient témoigner. Au moment précis de l’événement, il avait décidé d’arrêter quelques secondes pour replacer une caisse sur son chariot. Il a monté le pied droit sur la première marche, s’est étiré alors que son pied gauche était dans les airs. En descendant, son pied gauche a touché le sol avant le pied droit et aussitôt une douleur au genou gauche est apparue. Son poids était alors complètement sur sa jambe gauche et il a senti un craquement. Il n’a pas manqué de marches et il n’a pas glissé. Il n’y a pas eu de torsion de sa cheville gauche. Il ignore s’il a pu mettre le pied dans un trou.

[172]       Il ne se souvient pas si ses mains étaient appuyées sur son chariot ou non.

[173]       Après cet événement, il a continué son travail malgré la douleur et n’a pas arrêté de travailler.

[174]       C’est au lever le 8 avril qu’il a constaté une boiterie, un oedème et des douleurs plus importantes alors que les 6 et 7 avril, aucun indice ne pouvait laisser croire aux tiers qu’il y avait présence d’une lésion au genou gauche.

[175]       Quant à la présence d’œdème le 6 avril, il mentionne qu’il y en avait « un peu, s’il y en avait ». Il contredit ainsi sa version antérieure à l’effet qu’il n’y en avait absolument pas.

[176]       Il mentionne qu’il y avait un peu plus d’œdème le 7 avril contredisant encore une fois son témoignage antérieur. Selon lui, la blessure n’était pas apparente le 8 avril. Il y avait selon lui, par contre, une « bonne enflure ressentie en dedans ».

[177]       Le médecin qui l’a rencontré le 8 avril à l’urgence a pu observer l’œdème. Le tribunal constate toutefois que ce médecin n’a aucunement noté ce fait, ce qui contredit la version du travailleur.

[178]       Lorsqu’il s’est rendu à la salle de bain à 9 h 34 le matin du 6 avril, c’était pour aller examiner son genou.

[179]       Les images prises dans la chambre à tabac lui ont été montrées le 28 avril, à quatre jours de son congédiement. Il a revu le tout sur grand écran il y a un mois. Il est convaincu que, sur grand écran, on voit une torsion de son genou gauche lorsqu’il redescend de la première marche de son chariot. Il n’avait pas constaté ceci sur un écran normal. Il mentionne « la mémoire me revient ».

[180]       Lors d’un visionnement de la disquette, Bertrand Duchesne a mentionné que quelque chose était arrivé vers 8 h 18.

[181]       Il était très bien au courant que ses gestes étaient filmés le 6 avril 2004 puisque des caméras de surveillance sont installées dans la chambre à tabac afin d’éviter les vols.

[182]       Il mentionne qu’il a vu les images quatre fois, incluant le visionnement lors de l’audience.

[183]       Il s’est aperçu en mai 2004 qu’il n’avait pas donné la bonne version et qu’il n’avait monté et descendu que d’une marche. Pourtant, lors de son témoignage en janvier 2005, le travailleur maintenait toujours la version initiale d’être descendu de trois marches et de s’être tordu le genou sur la dernière marche et non au sol.

[184]       Il soutient qu’il a toujours expliqué son accident comme il le fait en ce moment, ce qui n’est manifestement pas exact.

[185]       Avant que monsieur Duchesne ne lui fasse remarquer le moment où était arrivé l’accident en visionnant la disquette, il ignorait comment son accident était exactement survenu. Il a vu « plus clair » lors de ce visionnement.

[186]       Référant à sa réclamation du 22 avril 2004, il mentionne qu’il a rempli l’intégralité du document et qu’il l’a remis à l’employeur avec copie à la CSST.

[187]       Quant au rapport d’enquête contenu à la page 9 du dossier 245760, il a été également rempli par le travailleur vers le 8 avril. Il en va de même du document E-2.

[188]       Lors de la rencontre précongédiement du 28 avril, il a donné les mêmes versions que celles contenues à ces trois documents. Il avait dit que l’accident était survenu vers 10 h 00 alors que c’est plutôt vers 9 h 18.

[189]       Monsieur Bertrand Duchesne témoigne ensuite. Il est gestionnaire des stocks et travaille chez l’employeur depuis 27 ans. Son horaire est de 6 h 00 à 15 h 00.

[190]       En 2003 et 2004, il s’occupait des travailleurs se trouvant en assignation temporaire. En avril 2004, le travailleur était en assignation temporaire et faisait son travail normal, excepté la manipulation des caisses de vin.

[191]       En 2003 et 2004, il était représentant syndical de jour, tâche qu’il a occupée jusqu’en 2005. Il lui arrivait parfois de remplacer le contremaître.

[192]       En avril 2004, le travailleur est allé le rencontrer sur ses lieux de travail pour lui mentionner qu’il s’était « encore blessé ». Cette fois-là, il s’était blessé au genou. Il lui a suggéré d’aller à l’urgence.

[193]       Le travailleur était inquiet parce qu’il ne s’agissait pas de la première fois qu’il se blessait au travail. Il ne lui a pas demandé comment c’était arrivé. Il n’a pas mentionné à monsieur Boutin qu’il avait reçu cette déclaration du travailleur. Il ne croyait pas que c’était important.

[194]       Plus tard le même jour, il a demandé au travailleur ce qu’il faisait encore sur les lieux du travail. Il ne se souvient pas de la date où ces conversations sont survenues. Il ignore si le travailleur s’est rendu à l’hôpital ce jour-là.

[195]       Les accidents du travail sont notés dans un registre tenu par les contremaîtres. Il lui est arrivé de le faire lui-même.

[196]       Lors de la rencontre précongédiement, le travailleur ne se souvenait pas où était survenu son accident du travail.

[197]       Reynald Boutin a dit au travailleur qu’il ne l’avait pas vu monter sur son échelle les 6, 7 et 8 avril. Le film indique que le travailleur a pourtant bel et bien monté les 7 et 8 avril. Cependant, le tribunal note que cet élément n’a aucune importance puisqu’il n’est aucunement question de la survenance d’un événement les 7 et 8 avril mais bien seulement et uniquement le 6 avril.

[198]       Toujours lors de cette rencontre, le travailleur avait peine à expliquer l’accident qui était survenu. Il ne se souvenait pas du lieu exact mais a mentionné que c’était « en montant son buggy ».

[199]       Deux ou trois semaines après cette première rencontre, une autre a été tenue dans la salle de conférence de l’établissement de l’employeur. La disquette a été visionnée une nouvelle fois et la seule fois où le travailleur montait et descendait de son chariot se situait le 6 avril à 9 h 18. À ce moment, personne n’a rien remarqué de particulier, aucun mouvement de torsion, aucun accident, etc.  Le fait demeurait cependant que le travailleur avait bien monté sur son chariot.

[200]       Il n’est pas possible de se donner des poussées tout en étant sur l’escalier du chariot puisque le poids de la personne fait en sorte que l’escalier est cloué au sol, bloquant ainsi le chariot.

[201]       Une troisième rencontre a eu lieu à l’Hôtel des Gouverneurs où la disquette a été visionnée sur grand écran. Il a alors constaté que le pied du travailleur « virait » lorsqu’il touchait le sol. Il estime qu’il était « de travers un peu ».

[202]       Le témoin se dit surpris des événements puisque le travailleur est un bon travaillant et son assiduité ne fait aucun doute. Il n’est pas le genre de personne à « inventer un accident ».

[203]       En contre-interrogatoire, il maintient que lors de la réunion précongédiement, monsieur Boutin a demandé au travailleur comment l’accident était arrivé et que ce dernier était incertain des faits, du lieu, etc.

[204]       Il affirme que la version donnée par le travailleur lors de la rencontre précongédiement était différente de celle donnée à l’audience. En effet, lors de la première rencontre avec l’employeur, avant d’avoir visionné les images, le travailleur a mentionné que l’accident était survenu alors qu’il descendait les marches de son chariot où il était monté pour mettre une caisse sur une tablette.

[205]       Cette version a changé après le visionnement de la disquette puisqu’il n’était plus question que d’une marche et de replacer une caisse sur son chariot et non sur une tablette.

[206]       Il n’a jamais recommandé au travailleur de ne pas parler ou d’être prudent dans ses réponses. Ceci contredit en tous points la version donnée par le travailleur plus tôt dans son témoignage.

[207]       Lors d’une rencontre, il visionnait la disquette et à un certain moment donné, il a dit « ça doit être là ». C’est comme ça que l’événement prétendu du 6 avril à 9 h 18 a été identifié. Le travailleur a aussitôt mentionné « c’est ça, tu as raison ».

[208]       La politique en vigueur chez l’employeur à l’effet de divulguer les accidents du travail dès leur survenance n’est pas écrite mais il s’agit de la simple logique.

[209]       Une difficulté réside dans le fait que l’employeur réfère habituellement les travailleurs à un chiropraticien plutôt qu’à un médecin, un médecin n’étant consulté qu’en cas de nécessité par la suite.

[210]       Lorsque monsieur René Drolet est absent de son bureau, ce qui est fréquent, il est habituellement dans l’usine et en possession de son cellulaire. Il y a aussi un interphone qui couvre l’établissement au complet. Il est donc facile de le rejoindre en tout temps.

[211]       Il affirme qu’il n’a jamais fait de demande écrite pour avoir accès aux CD-Rom. Confronté à la pièce E-8, il doit se contredire.

[212]       Le but du premier visionnement était de vérifier si le travailleur était ou non monté sur son chariot parce que l’employeur avait dit qu’il n’était pas monté. Ce n’est que lors d’un visionnement ultérieur qu’on s’est aperçu d’une prétendue torsion du genou.

[213]       Lors de la rencontre précongédiement du 28 avril, le travailleur a eu le loisir de s’expliquer pendant une heure ou deux. Les réponses n’ont cependant pas satisfait l’employeur et il a été congédié.

[214]       Le tribunal entend ensuite monsieur Thomas Savarie. Il est président syndical depuis cinq ans. Il travaille chez l’employeur depuis le 31 mai 1985. Il connaît le travailleur depuis 20 ans.

[215]       Quelques minutes avant la rencontre du 28 avril 2004, il a mentionné au travailleur qu’il était mieux de ne pas trop parler et d’être prudent.

[216]       Lorsque monsieur Boutin a demandé au travailleur ce qui s’était passé le 6 avril 2004, il ne s’en souvenait pas vraiment. Le travailleur a cependant affirmé qu’il était monté dans son chariot pour placer de la marchandise sur une tablette et qu’en redescendant, il avait ressenti une douleur au genou.

[217]       Deux à trois semaines plus tard, soit le 17 mai 2004, il a visionné les disquettes confectionnées à partir des enregistrements faits par les caméras de la chambre à tabac. Cette rencontre a eu lieu dans une salle de conférence chez l’employeur. Le document T-8 représente la retranscription des notes manuscrites qu’il a prises lors de cette rencontre.

[218]       Lors du visionnement du 9 mars 2005 à l’Hôtel des Gouverneurs, sur grand écran, Bertrand Duchesne a mentionné qu’il avait vu quelque chose qui serait survenu à 9 h 18. En revisionnant, le témoin a constaté que le travailleur descendait de son chariot en levant son pied gauche.

[219]       La politique qui prévaut chez l’employeur prévoit une visite chez le chiropraticien lorsqu’un travailleur déclare qu’il a ressenti des douleurs au travail. Suite à une assemblée syndicale, on a demandé à l’employeur de ne plus suivre cette pratique mais de référer plutôt à un médecin.

[220]       Depuis environ 2003, une politique existe chez l’employeur à l’effet qu’il faut déclarer un accident dès sa survenance au contremaître et l’inscrire dans le registre. Cette politique n’est pas toujours bien appliquée.

[221]       Il a de la difficulté à comprendre ce qui est arrivé au travailleur puisqu’il ne se plaint jamais, qu’il ne cause jamais de problèmes et qu’il fait bien son travail. Il s’agit d’un travailleur honnête.

[222]       Lors de la deuxième séance de visionnement, il ne se souvient pas que le travailleur ait exprimé son accord avec les propos de monsieur Duchesne à l’effet que c’était bien à ce moment qu’il avait subi son accident.

[223]       Monsieur Reynald Boutin témoigne ensuite. Il est directeur de la logistique des systèmes depuis deux ans chez l’employeur et est à l’emploi de l’entreprise depuis 25 ans. Il supervise les dossiers de santé et sécurité au travail et de ressources humaines. Il connaît le travailleur depuis 20 ans.

[224]       La chambre à tabac mesure 180 pieds par 40 pieds et les caméras y sont installées depuis juin 2002 à cause de vols qui étaient survenus auparavant. La présence de caméras est bien connue et prévue dans la convention collective.

[225]       Lorsque René Drolet est venu l’informer que le travailleur alléguait l’existence d’un accident prétendument survenu le 6 avril 2004 et qu’il déclarait cet événement en retard tout comme celui d’octobre 2003, il fut décidé d’examiner les enregistrements pris par les caméras de surveillance.

[226]       Après le visionnement, monsieur Drolet n’avait rien constaté qui pouvait accréditer la survenance d’un accident. Il fut décidé de rencontrer le travailleur et le syndicat pour obtenir leurs versions et donner une chance au coureur.

[227]       Cette rencontre a eu lieu le 28 avril. Le travailleur a ni plus ni moins que corroboré la version contenue au rapport initial d’accident. Il a bien mentionné que le tout était survenu alors qu’il venait de monter des caisses en empruntant l’escalier de son chariot pour les déposer sur une tablette. En redescendant, il a ressenti une douleur au genou gauche.

[228]       La rencontre a duré environ une heure et elle s’est déroulée en toute cordialité. En aucun moment Bertrand Duchesne n’a mentionné que le travailleur lui avait rapporté l’accident le 6, le 7 ou le 8 avril.

[229]       La décision de congédier n’était pas prise préalablement à la rencontre de façon définitive.

[230]       Lorsque le syndicat a mentionné qu’un événement était survenu à 9 h 18 et qu’il a visionné la disquette, il n’a constaté aucun accident et rien qui ne correspondait à la déclaration du travailleur.

[231]       Lors de la rencontre du 28 avril, il n’a pas mentionné au travailleur qu’il ne l’avait pas vu monter sur son chariot les 7 et 8 avril. Il a focusé son intervention sur le 6 avril qui était la date alléguée de la survenance de la lésion.

[232]       À cette date, le travailleur n’est jamais monté sur la troisième marche de son chariot et à 9 h 18, il a tout au plus mis un pied sur le chariot pour donner une poussée et avancer comme sur une « trottinette ».

[233]       C’est ensuite monsieur André Drolet qui témoigne. Il est contremaître chez l’employeur depuis 1988 et travaille à cet endroit depuis 1975. En octobre 2003, il était contremaître du travailleur.

[234]       En octobre 2003, le travailleur lui a rapporté une blessure sans mentionner qu’il s’agissait d’un accident du travail. Il lui a plutôt mentionné qu’elle était survenue en déménageant. Cette déclaration a été faite avant la mi-octobre 2003.

[235]       Le travailleur avait mentionné qu’il s’était fait mal en déménageant et qu’il voulait voir un chiropraticien. Il n’a pas enclenché le processus applicable en matière d’accidents du travail puisque le travailleur ne lui a pas mentionné qu’il s’agissait d’un accident du travail.

[236]       Environ un mois plus tard, le travailleur est revenu en mentionnant qu’on lui avait suggéré de rapporter sa lésion en accident du travail. Il ne lui avait pas dit initialement que sa douleur était apparue alors qu’il levait des caisses de cigarettes.

[237]       Il n’a pas appris la survenance de l’accident du 6 avril avant le 8 avril. La version qui lui a été donnée était que le travailleur était monté dans son chariot et qu’il avait ressenti un craquement en descendant.

[238]       Il ne comprend pas que le travailleur ait mentionné qu’il ne l’avait pas vu la journée du 6 avril puisqu’il le croise plusieurs fois chaque jour.

[239]       Dans le cadre de son enquête, il a rencontré Reynald Boutin et aussi Serge Poisson qui n’avaient rien vu de l’événement.

[240]       Lorsqu’il visionne la disquette du 6 avril vers 9 h 15, il voit le travailleur mettre un pied sur une marche de l’échelle de son chariot pour avancer comme sur une « trottinette ». Il est possible d’ailleurs de le faire.

[241]       Le document contenu à la page 7 du dossier a été signé par lui le 9 avril 2004. Le document E-2 et celui contenu à la page 9 du dossier ont été faits le 8 avril. Il se souvient précisément que pour remplir l’Avis de l’employeur et demande de remboursement du 9 avril 2004, lequel fut signé par le travailleur, ce dernier a bien spécifié qu’il était monté jusqu’à la troisième marche de son chariot.

[242]       Le témoin rappelle le fil des événements lors de la rencontre du 28 avril.

[243]       Monsieur Boutin a demandé au travailleur s’il s’était bien blessé après être monté sur la troisième marche de son chariot et en être redescendu. Le travailleur a répondu « oui ». Monsieur Boutin lui a demandé s’il en était bien certain. Le travailleur a répondu encore une fois par l’affirmative.

[244]       Monsieur Boutin lui a alors dit que cet événement n’apparaissait nullement sur la disquette confectionnée à l’aide des caméras de la chambre à tabac. Le travailleur était déstabilisé de cette affirmation.

[245]       Le travailleur a de plus affirmé que l’événement était survenu à 10 h 00 le 6 avril. Le travailleur n’a pas mentionné que l’accident était survenu vers 10 h 00 mais bien à 10 h 00. Or, le travailleur était en pause entre 10 h 00 et 10 h 15.

[246]       Il est vrai que sur le CD-Rom, on voit le travailleur quitter les lieux de travail quelques minutes avant la pause. Il peut tout simplement s’agir d’un arrêt pris par le travailleur pour aller se laver les mains.

[247]       Lorsqu’il a vu le travailleur le 8 avril, il n’a remarqué aucune boiterie ou démarche anormale. Le travailleur lui a montré la troisième marche de son chariot sur laquelle il a prétendu être monté pour placer une caisse en hauteur.

[248]       Le témoignage de monsieur François Leduc est ensuite entendu. Il est directeur des ressources humaines chez l’employeur depuis 1984 et il œuvre dans cette entreprise depuis 1978. Il a déjà été président syndical.

[249]       Il raconte tout ce qui a entouré la modification du poste du travailleur suite à une lésion professionnelle de 1998.

[250]       Lors de sa rencontre avec le travailleur en décembre 2003, il ne lui a pas donné d’ultimatum, ni mentionné qu’il avait une dernière chance de sauver son emploi. Il lui a plutôt mentionné qu’on avait déjà adapté son poste pour tenir compte de ses problèmes cervicaux antérieurs et qu’il n’y avait pas ou peu de postes qui ne nécessitaient aucun effort manuel chez l’employeur.

[251]       Il voulait ainsi sensibiliser le travailleur au fait qu’il risquait de perdre son emploi s’il n’était plus capable d’effectuer certaines tâches. Ce genre de démarche a été pratiqué avec d’autres travailleurs également dans le passé. Il espérait ainsi motiver le travailleur et lui permettre de s’en sortir. Cette rencontre a eu lieu sur un ton neutre et il ne se souvient pas que le travailleur lui ait mentionné « j’aurai mon bleu ».

[252]       La politique de déclaration des accidents du travail a été instaurée à la fin 2003, début 2004. Le travailleur était au courant de cette politique car il avait été victime de lésions professionnelles dans le passé.

[253]       Les rapports entre l’employeur et le syndicat étaient excellents en 2003 et 2004. Des échanges réguliers avaient lieu entre les deux organisations.

[254]       La politique développée par l’entreprise au niveau d’une référence à un chiropraticien s’est avérée efficace et a permis d’éviter à certains travailleurs de se rendre à l’urgence avec les délais que cela comporte. Les travailleurs n’ont jamais été obligés d’aller voir le chiropraticien, ils pouvaient voir un médecin s’ils le préféraient.

[255]       Il confirme que la décision de congédier le travailleur n’était pas définitivement prise lors de la rencontre du 28 avril et que le travailleur pouvait toujours sauver son emploi. Une lettre de congédiement avait déjà été préparée au cas où l’employeur ne serait pas satisfait des explications et pour respecter les délais prévus à la convention collective.

[256]       L’audience se poursuit ensuite le lendemain et débute au Centre des congrès de Rouyn-Noranda où le syndicat du travailleur a loué une salle pour procéder au visionnement du CD-Rom du 6 avril 2005 sur grand écran.

[257]       Le tribunal et les parties visionnent donc à nouveau la séquence prise le 6 avril 2005 vers 9 h 18 à l’heure réelle. On peut constater qu’une caisse posée sur le chariot du travailleur n’est pas droite et que le travailleur pose son pied droit sur la première marche du chariot et lève son pied gauche du sol pour pouvoir replacer la caisse. Il redépose ensuite son pied gauche au sol.

[258]       Il paraît excessivement clair aux trois membres du tribunal et à l’assesseur médical que ce mouvement est complètement physiologique, sans aucune torsion ou autre faux mouvement. On voit d’ailleurs par la suite à l’aide d’une autre caméra que le travailleur continue sa route dans l’allée où il se trouve sans aucun problème.

[259]       On visionne également un extrait du CD-Rom du 8 avril à 8 h18 à l’heure réelle. Il s’agit d’une rencontre entre messieurs Villeneuve et Drolet. Il s’agirait de la rencontre où monsieur Drolet a demandé au travailleur de lui expliquer la survenance de l’accident. On voit alors le travailleur monter assez haut sur les trois marches de son chariot, ce qui tend à confirmer la version initiale donnée par le travailleur et non celle donnée in extremis à l’audience le 26 avril. On voit le témoin Drolet pointer à l’aide de ses bras vers le haut des tablettes.

[260]       Une autre séquence prise le 8 avril à 10 h 03 en heure réelle, à l’aide de la caméra 2, montre la présence de Luc Hurtubise, contremaître de soir, René Drolet et Isabelle Roy, en train de faire enquête.

[261]       Un extrait filmé le 7 avril à 8 h 23 à l’heure réelle montre que le travailleur a atteint la deuxième marche de son chariot.

[262]       Un autre extrait du 6 avril démontre que la boîte qui était placée sur le chariot du travailleur vers 9 h 18 ne s’y trouve plus au retour.

[263]       Le tribunal procède ensuite à une visite des lieux de travail chez l’employeur.

[264]       Les marches du chariot du travailleur sont espacées d’environ 12 pouces chacune.

[265]       Une démonstration faite par le témoin Drolet indique qu’on peut « trottiner » avec le chariot bien que le fait que l’escalier entre en contact avec le sol ne facilite pas les choses. Même le soussigné a pu lui-même tenter l’expérience.

[266]       Le travailleur témoigne à nouveau.

[267]       Commentant les images prises le 8 avril à 8 h 18, heure réelle, il dit être en train d’expliquer à monsieur Drolet comment l’accident s’était déroulé. Ce dernier lui a demandé de monter les escaliers et c’est pourquoi il est alors monté jusqu’à la deuxième ou troisième marche. Il ne s’agissait pas pour lui de montrer jusqu’à quelle hauteur il était allé. Il est monté jusqu’à la troisième marche simplement parce que monsieur Drolet le lui avait demandé. Il lui a bien mentionné qu’il avait déposé une boîte sur son chariot et aucunement sur une tablette.

[268]       Le travailleur n’a aucun souvenir de la durée de la rencontre du 8 avril à 8 h 18. Il ne se souvient pas de ce que monsieur Drolet disait lorsqu’il montrait le haut des tablettes avec son bras, ni pourquoi il le faisait, il ne sait pas si le document E-2 a été signé à cette rencontre, etc.

[269]       Il reconnaît que la réclamation du travailleur signée par lui le 22 avril 2004 a aussi été écrite par lui et qu’elle indique bien que l’événement est survenu alors qu’il descendait les trois marches de son chariot vers 10 h 00 le 6 avril 2004. Il n’a ni plus ni moins que retranscrit ce qui avait été écrit à l’Avis de l’employeur et demande de remboursement qu’il avait signé le 9 avril 2004.

[270]       Lorsqu’on demande au travailleur pourquoi il n’a pas écrit la même version sur le document E-2 et sur sa réclamation, il mentionne que monsieur Drolet lui avait demandé de remplir sa réclamation comme l’employeur avait rempli l’avis de la page 7 du dossier. Cette version est complètement farfelue. Le tribunal estime que si le travailleur n’était pas d’accord avec la version écrite à l’avis de l’employeur, il n’avait qu’à retenir sa propre version. Pourquoi aurait-il écrit une fausseté à la demande de l’employeur?

[271]       Il mentionne qu’il est rare qu’il utilise la troisième marche de son chariot parce qu’il est en déséquilibre à cet endroit.

[272]       Lorsqu’on lui demande le nombre de fois qu’il peut être appelé à monter sur la troisième marche, il répond dans un premier temps qu’il est impensable de répondre à cette question. Il se contredit ensuite en répondant et en mentionnant que ce n’est pas de façon fréquente. Pourtant, le travailleur a admis, dans le cadre d’admissions formelles déjà notées plus avant dans la présente décision, qu’il a monté les trois marches de son chariot à sept reprises, les 7 et 8 avril 2004, sans cependant se tordre le genou!

[273]       Il tente de se racheter ensuite en mentionnant que l’expression « trois marches » est utilisée parce qu’il s’agit du nom de son chariot.

[274]       Le 6 avril à 9 h 18, il n’utilisait pas son chariot comme une « trottinette ». Il marchait plutôt normalement. Il ne « trottine » jamais avec son chariot puisqu’il estime que c’est « stupide » et que ça « ne se fait pas ».

[275]       L’avis contenu à la page 7 du dossier concernant la lésion du 6 avril n’a pas été écrit par lui mais il l’a cependant signé. Lorsqu’il a signé, la description de l’événement était inscrite et il l’a lue. Il a aussi probablement lu le document de la page 8.

[276]       Monsieur René Drolet témoigne ensuite à nouveau. Les images prises le 8 avril à 8 h 18 en temps réel montrent sa rencontre avec le travailleur dans le cadre de l’enquête d’accident qu’il faisait. Il a demandé au travailleur comment la lésion était arrivée. Le travailleur lui a bel et bien expliqué qu’il était monté dans son chariot pour aller déposer une caisse sur une étagère. Il a compris de cette conversation que c’est en descendant de la troisième marche que le tout était arrivé.

[277]       L’audience est ensuite terminée le 9 juin 2005 par les représentations des parties et le dépôt de nouveaux documents.

 

L’ARGUMENTATION DES PARTIES

[278]       Le représentant du travailleur estime que la preuve vidéo déposée par les parties enfreint la convention collective puisqu’elle ne respecte pas l’usage limité qui y est permis. Bien entendu une telle convention collective ne lie pas le tribunal. Le travailleur n’a soulevé aucune objection lorsque cette preuve a commencé à être utilisée.

[279]       Pour rejeter une telle preuve, on doit prouver une atteinte aux droits et libertés fondamentaux et le fait que l’utilisation de cette preuve déconsidère l’administration de la justice. Le lieu de travail est un lieu privé.

[280]       Quant à la confection d’une preuve vidéo ou son équivalent, l’identité de celui qui l’a confectionnée, l’authenticité des documents, le fait qu’ils sont intégraux, inaltérés et fiables et que les propos qu’ils contiennent sont audibles et intelligibles doivent être prouvés. Ici, le témoin Fink a fait un montage. Il est un salarié de l’employeur qui n’est pas impartial et qui ne donne pas des garanties suffisantes de fiabilité. Le tribunal n’aurait donc jamais dû voir les CD-Rom et cette preuve doit être rejetée.

[281]       Cette preuve ne devrait pas avoir pour effet de permettre au tribunal de décider qu’il n’est pas survenu un accident du travail le 6 avril. Le travailleur savait qu’il était filmé mais croyait que c’était pour prévenir le vol et la fraude et non pour servir de preuve devant la Commission des lésions professionnelles. Le fait que le travailleur ait utilisé cette preuve lui-même et qu’il n’ait pas soulevé d’objection ne change rien à la situation. C’est par erreur qu’une objection n’a pas été déposée. Comme le tribunal a soulevé cette question d’office, le fait que le travailleur ne se soit pas objecté, n’est pas important. Il ne peut y avoir de renonciation des parties en cette matière.

[282]       Quant à la lésion cervicale d’octobre 2003, la résonance magnétique montre la possibilité d’une hernie cervicale. Même si le travailleur n’avait pas gardé de limitations fonctionnelles ou d’atteinte permanente de sa lésion antérieure à la région cervicale, il conservait quand même certaines limites. Le travailleur était demeuré asymptomatique depuis que la lésion de 1998 était rentrée dans l’ordre et jusqu’à la lésion d’octobre 2003.

[283]       Le poste occupé le 16 octobre 2003 n’était pas son poste de travail mais un poste de remplacement. Il travaillait donc dans des conditions inhabituelles. Lors du déménagement du 1er octobre 2003, le travailleur n’a pas forcé beaucoup et a continué à travailler jusqu’au 16 octobre. Il a consulté un médecin le jour même sans réclamer à la CSST mais en déposant une réclamation d’assurance salaire parce qu’il croyait que la lésion était peut-être due à son déménagement.

[284]       Le travailleur a tout de même inscrit sur le formulaire que l’accident était arrivé au travail et c’est suite à un conseil de son syndicat qu’il a déclaré l’événement à l’employeur. Le poste de remplacement qu’il a effectué le 16 octobre 2003 était plus difficile parce que les poids à soulever étaient plus lourds et il ne bénéficiait pas de son chariot adapté. Il devait donc travailler à bout de bras.

[285]       Même le docteur Bellemare, mandaté par l’employeur, reconnaît que le travailleur était asymptomatique avant le 16 octobre 2003. Il s’agit donc de l’aggravation d’une condition personnelle. Il n’est aucunement ici question de prétendre à une rechute de l’événement survenu en 1998, en présence d’un événement précis survenu dans le cadre du travail.

[286]       En ce qui concerne la lésion au genou gauche du 6 avril 2004, il estime que la version du travailleur n’a pas été modifiée sauf sur la question du nombre de marches qu’il a montées le 6 avril. L’heure de survenance est restée la même, soit peu avant la pause. Il faut qu’il se soit passé quelque chose entre le 6 et le 8 avril pour qu’une entorse au genou gauche soit diagnostiquée à ce moment-là.

[287]       Le tableau douloureux s’est aggravé et est devenu invalidant au fil des jours. Il y a donc lieu d’appliquer la présomption prévue à l’article 28 de la Loi. Comme le travailleur avait déjà subi une lésion au genou droit, il se servait plus de son genou gauche. Lors de sa lésion au genou droit, il avait quand même continué à travailler du 12 novembre 2001 au 9 janvier 2002.

[288]       Il est facile de comprendre pourquoi le travailleur a voulu cacher ses accidents du travail suite à la rencontre qu’il a eue avec monsieur Leduc en décembre 2003 et où il a compris que son emploi était en jeu.

[289]       On voit bien sur la vidéo du 6 avril à 9 h 18 que le travailleur a le genou gauche « rentré par en dedans » alors que son genou droit est dans les airs.

[290]       La théorie du crâne fragile doit aussi s’appliquer au niveau cervical et la lésion est acceptable même si le travailleur a déjà eu des problèmes à ce niveau. L’employeur n’a aucunement prouvé quelle autre cause pourrait être à la source de la lésion subie par le travailleur le 6 avril 2004 à son genou gauche.

[291]        Le procureur de l’employeur prétend, quant à lui, que la preuve par CD-Rom est recevable. Il serait par ailleurs difficile pour le travailleur de faire sa preuve autrement puisque sa deuxième version est basée sur cette preuve et son souvenir est plus vague quant à sa première version. Lorsque le travailleur a été filmé, il était au travail et donc aucunement dans un lieu privé. Sa vie de travail fait partie de sa vie publique. Les images sont complètes et ont été mises à la disposition du travailleur afin qu’il puisse les regarder et en évaluer la portée.

[292]       De plus cette preuve est certainement pertinente et il n’y a pas lieu d’appliquer les dispositions de l’article 2858 du Code civil du Québec (C.C.Q.) en l’absence d’atteinte aux droits fondamentaux, de filature secrète, d’atteinte à la dignité ou à la réputation, etc.  Son utilisation ne déconsidère pas l’administration de la justice, mais au contraire, elle aide la justice à faire son travail puisqu’il s’agit d’un élément fondamental à la base de la réclamation du travailleur. Dans la recherche de la vérité, la Commission des lésions professionnelles doit se servir de la meilleure preuve possible.

[293]       En utilisant cette preuve lui-même et en ne s’objectant pas à l’utilisation faite par l’employeur, le travailleur a renoncé à toute objection qu’il aurait pu formuler.

[294]       Au niveau de l’événement d’octobre 2003, le travailleur n’a fait aucune réclamation avant plusieurs semaines alors qu’il connaît le régime de santé et sécurité du travail. Ce qu’il décrit comme étant survenu le 16 octobre 2003 n’est rien d’autre que l’exécution d’un travail de façon normale, sans événement imprévu et soudain. L’accident n’a pas été déclaré à l’employeur de façon rapide. Il y a des contradictions quant à l’apparition des douleurs. Le travailleur a rattaché à plusieurs reprises les douleurs qu’il ressentait à son déménagement. Le fait qu’il ait « barré » au niveau cervical n’est aucunement documenté et est apparu tardivement à l’audience.

[295]       Le témoignage rendu par le travailleur quant à son déménagement le discrédite totalement puisqu’il tente de diminuer son intervention en disant qu’il n’a pas manipulé de gros morceaux, etc.  Il a pourtant dit que des douleurs étaient apparues en déménageant et il est difficile de comprendre pourquoi il aurait relié ses douleurs au déménagement s’il n’avait pas pris part activement à ce dernier.

[296]       La présomption de l’article 28 ne peut trouver application sans compter que le travailleur a eu recours à l’assurance salaire plutôt qu’à la CSST.

[297]       L’événement d’avril 2004 a fait l’objet de deux versions complètement différentes puisqu’il y a eu ajustement suite au visionnement sur grand écran. Si la première version n’était pas la bonne, on doit conclure que le travailleur a menti jusqu’à ce qu’il donne la deuxième version. Il a notamment menti sous serment lors de la première journée d’audience. Le témoignage du travailleur doit être rejeté dans son intégralité parce qu’il est complètement non crédible.

[298]       De toute façon, même sur grand écran, il est clair qu’il ne s’est rien passé à 9 h 18 le 6 avril.

[299]       L’opinion du docteur Verville n’est pas contredite et elle indique que si le travailleur avait subi une rupture méniscale le 6 avril, on en aurait vu des signes dans les moments suivants, comme l’installation d’une boiterie, un œdème, etc.

[300]       En réplique, le représentant du travailleur confesse qu’il aurait dû soulever une objection en vertu de l’article 2858 du C.C.Q. dès le premier jour d’audience. Le tribunal devrait quand même écarter la preuve vidéo malgré cette omission.

[301]       Quant à la région cervicale, le seul document qu’on devrait retenir est celui contenu à la page 28 du dossier qui a été complété et signé par le travailleur. Les autres documents sont moins fiables. Le travailleur avait déjà mentionné qu’il avait « barré » au niveau cervical et il ne s’agit pas d’une nouvelle version amenée à l’audience. Le fait que le travailleur ait quitté son travail en plein milieu de la journée indique qu’il a subi un accident au travail.

[302]       Au niveau du genou, le travailleur a maintenu la même version depuis le début puisqu’il a toujours mentionné que sa lésion était survenue en descendant de son chariot. Le 6 avril à 9 h 18, la jambe gauche du travailleur n’était pas dans une position stable lorsqu’il a voulu la poser par terre. La présomption prévue à l’article 28 s’applique.

[303]       L’employeur termine en rappelant que la preuve par CD-Rom a été remise au travailleur et tenue à sa disposition en tout temps. Aucune objection n’avait été faite avant ce jour quant à la fiabilité de ces documents. Il était nécessaire de procéder à un montage pour n’amener devant le tribunal que les éléments pertinents.

 

 

L’AVIS DES MEMBRES

[304]       Les membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs partagent le même avis. La preuve par CD-Rom est admissible en présence d’une renonciation claire et nette du travailleur qui l’a lui-même utilisée à l’audience. Sa non-utilisation déconsidérerait l’administration de la justice.

[305]       Devant les nombreuses contradictions au dossier et dans le témoignage du travailleur, on doit considérer que sa crédibilité est nulle. En conséquence, il ne s’est pas déchargé de son fardeau de prouver l’application des articles 28 ou 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et ce, autant en ce qui concerne l’événement du 16 octobre 2003 que celui du 6 avril 2004. Il n’a donc pas subi de lésions professionnelles à ces dates.

 

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[306]       Pour rendre sa décision, la Commission des lésions professionnelles a pris connaissance de l’ensemble de la documentation au dossier, des nombreux témoignages rendus à l’audience, de l’argumentation des parties et a tenu compte de l’avis des membres. Elle rend en conséquence la décision suivante.

[307]       La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a subi une ou des lésions professionnelles les 16 octobre 2003 et 6 avril 2004. La notion de lésion professionnelle est ainsi définie à la Loi :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.

 

 

[308]       Il n’est ici aucunement question de l’existence de maladies professionnelles à ces dates et la preuve au dossier ne milite nullement en faveur de la reconnaissance de ce type de lésion.

[309]       Il n’est pas non plus prétendu que le travailleur a pu subir des récidives, rechutes ou aggravations à ces dates, et encore là, la preuve ne milite pas en faveur d’une telle reconnaissance. Aucune lésion professionnelle n’a été acceptée antérieurement au niveau du genou gauche, ce qui empêche la reconnaissance d’une récidive, rechute ou aggravation[2]. Quant à la région cervicale, la lésion antérieure a été consolidée sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles plusieurs années avant le 16 octobre 2003 et la plupart des paramètres applicables en la matière sont absents. De toute façon, le représentant du travailleur a mentionné clairement à l’audience qu’il n’avait aucune prétention à ce sujet.

[310]       Reste à savoir si le travailleur a subi des accidents du travail à ces dates tel que défini à l’article 2 de la Loi :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.

 

 

[311]       En cette matière, le législateur a prévu une présomption à l’article 28 de la Loi qui se lit comme suit :

28. Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 28.

 

 

[312]       L’audience dans le présent dossier a duré quatre jours. Le tribunal a entendu une foule de témoins et a pris connaissance de plusieurs documents et CD-Rom. Il a même visité le poste de travail. Pourtant, toute cette affaire pourrait se régler en quelques lignes puisque le tribunal, à l’unanimité, ne croit tout simplement pas le travailleur, ce qui amène à la conclusion de l’absence de preuve d’accident du travail les 16 octobre 2003 et 6 avril 2004.

[313]       Cependant, vu l’énergie déployée par les parties dans ce dossier, le tribunal entend tout de même faire le tour complet des questions en jeu.

[314]       Le tribunal traitera dans un premier temps des raisons qui l’incitent à rejeter complètement le témoignage du travailleur et ce sur quoi il s’appuie pour conclure à l’absence totale de crédibilité de son témoignage.

[315]       Le travailleur a témoigné à quelques reprises pendant l’audience. Le tribunal constate que son témoignage a été truffé de contradictions, que le travailleur a fait part d’une mémoire sélective et qui s’améliorait avec le temps, et que des invraisemblances ont affecté sa déposition.

[316]       Peu importe que les propos contradictoires et non crédibles du travailleur aient été tenus en lien avec l’événement d’octobre 2003 ou celui d’avril 2004, la crédibilité globale du travailleur est affectée.

[317]       En matière de crédibilité, il n’y a pas d’imperméabilité entre les dossiers et lorsque l’absence de crédibilité d’un travailleur est démontrée, elle devient contagieuse et doit être considérée comme telle dans l’ensemble des dossiers. On ne peut compartimenter ainsi la question de la crédibilité en concluant que le travailleur n’est pas crédible dans un mais que son témoignage est crédible dans un autre.

[318]       De toute façon, des contradictions et invraisemblances ont été constatées autant dans le dossier d’octobre 2003 que dans celui d’avril 2004.

[319]       De façon illustrative mais non limitative, qu’il suffise de mentionner les exemples suivants qui s’ajoutent à ceux déjà notés par le tribunal dans la présente décision :

·              La date d’apparition des douleurs relatives à la lésion cervicale varie. Les douleurs sont parfois apparues le mardi 14 octobre 2003 (page 4 du dossier), le 16 octobre 2003 (page 10 du dossier), et une semaine avant le 16 octobre, soit le 9 octobre 2003 (page 15 du dossier), parfois le 1er octobre date du déménagement alors qu’en d’autres moments, il est question qu’elles existent de façon intermittente depuis la lésion initiale de 1998. Le 6 novembre 2003, le travailleur mentionne que la douleur est apparue quatre ou cinq jours avant de consulter le 16 octobre, ce qui nous amène au 11 ou 12 octobre.

 

·              Le travailleur mentionne au docteur Bellemare le 9 mars 2004 qu’il a invoqué des douleurs survenues en déménageant pour pouvoir bénéficier des prestations d’assurance salaire. Si le travailleur est capable de faire de fausses déclarations pour bénéficier de l’assurance salaire, il ne faut pas se surprendre qu’il puisse faire de même pour obtenir des prestations de la CSST.

 

·              La description de l’événement du 6 octobre 2004 a passablement changé tout au long du dossier. Initialement, le travailleur mentionnait être monté dans l’escalier de son chariot jusqu’à la troisième marche pour déposer une boîte sur une tablette. À la fin de l’audience, le travailleur prétendait plutôt qu’il n’avait monté que sur la première marche de son chariot pour mieux replacer une boîte qui se trouvait sur ce dernier.

 

·              Le travailleur mentionne parfois que l’accident est survenu vers 10 h 00 alors qu’il mentionne à la fin de l’audience que c’est plutôt à 9 h 18. Il ne s’agit que d’une différence de 42 minutes mais, lorsqu’on sait que la pause-café est à 10 h 00, cela donne un point de repère au travailleur qui peut facilement dire si l’accident est réellement survenu autour de 10 h 00 ou s’il n’est pas plutôt survenu 45 minutes avant.

 

·              Le travailleur a fait défaut de déclarer les deux événements selon les prescriptions de l’article 265 de la Loi qui se lit comme suit :

 

265. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle ou, s'il est décédé ou empêché d'agir, son représentant, doit en aviser son supérieur immédiat, ou à défaut un autre représentant de l'employeur, avant de quitter l'établissement lorsqu'il en est capable, ou sinon dès que possible.

__________

1985, c. 6, a. 265; 1999, c. 40, a. 4.

 

 

·              Quant à l’absence de déclaration le jour même du 6 avril, le travailleur mentionne que René Drolet n’était pas à son bureau et qu’il ne l’avait pas vu de la journée, alors que le CD-Rom montre clairement que le travailleur a vu monsieur Drolet environ une heure après la survenance de la prétendue lésion. Il est complètement inexplicable que le travailleur n’ait pas déclaré l’événement à ce moment-là puisqu’il s’agissait d’une occasion idéale pour le faire. Les témoignages de messieurs Drolet et Villeneuve étaient donc contradictoires sur cette question. Toutefois, les images démontrent clairement que René Drolet a rencontré le travailleur environ une heure après l’événement du 6 avril. Cette preuve objective et indépendante permet de départager le vrai du faux et de constater que c’est René Drolet qui dit la vérité et non le travailleur.

 

·              Le travailleur mentionne qu’il n’a pas déclaré l’événement du 6 avril immédiatement à l’employeur parce qu’il craignait des représailles à cause de son dossier antérieur. Le travailleur affirme pourtant qu’il a bel et bien essayé de trouver monsieur Drolet ce jour-là et qu’il lui aurait mentionné l’événement s’il l’avait vu, ce qui est complètement contradictoire. Il est au surplus difficile de comprendre pourquoi le travailleur a déclaré l’événement le 8 avril et que ses craintes de représailles avaient tout à coup disparu.

 

·              Le travailleur mentionne que des motifs similaires ont justifié le fait qu’il n’ait pas déclaré immédiatement l’événement du 16 octobre 2003. Notamment, une rencontre « de la dernière chance » avec le témoin Leduc lui a fait craindre de perdre son emploi. Pourtant cette rencontre n’a été tenue qu’en décembre 2003, soit après l’événement du 16 octobre 2003! Il est difficile de comprendre comment une rencontre qui n’a toujours pas eu lieu peut avoir eu une influence sur la décision du travailleur de déclarer ou non la survenance d’un événement à son employeur.

 

·              Dans le rapport d’enquête et d’analyse d’accident qui se trouve à la page 9 du dossier constitué numéro 245760, le travailleur mentionne qu’il est incertain de l’endroit exact où est survenu l’accident alors qu’il en témoigne avec une précision chirurgicale à la fin de son témoignage.

 

·              Le travailleur mentionne au docteur Verville le 22 avril 2004 qu’après avoir monté les trois marches de son escalier pour déposer une caisse sur une tablette, il a manqué la dernière marche en redescendant, alors que dans la dernière version du travailleur, il n’est plus aucunement question d’avoir manqué une marche mais simplement d’avoir déposé son pied au sol.

 

·              Le travailleur mentionne au docteur Verville le 22 avril 2004 qu’il a « plié » mais qu’il n’a pas chuté, alors que sur la disquette il n’est aucunement démontré que le travailleur a effectivement « plié ».

 

·              Le 22 avril 2004, il mentionne au docteur Verville qu’il a continué à travailler après l’événement et que plus il travaillait, plus il boitait. Le travailleur change ensuite sa version pour mentionner qu’il ne boitait pas le 6 ni le 7 avril et on peut d’ailleurs constater sur les images qu’il ne boitait pas du tout le 6 avril.

 

·              Le travailleur mentionne sur le document E-2 que son genou gauche avait de la difficulté à plier suite à l’événement du 6 avril alors qu’on voit le contraire sur les séquences montrées à l’audience.

 

·              Dans certaines versions, le travailleur mentionne s’être tourné la cheville en plus du genou. Or, aucun signe d’une telle entorse n’apparaît dans les notes médicales consignées au dossier.

 

·              Quelques minutes après la survenance du prétendu événement du 6 avril 2004, le travailleur se rend à sa pause-café où il y a entre 10 et 30 collègues de travail. Il ne parle de l’événement qui viendrait de survenir à personne, ce qui est complètement farfelu.

 

·              La version donnée par le travailleur au docteur Luc-Antoine Dugas, à savoir que sa lésion est survenue alors qu’il a perdu pied en descendant les escaliers est contredite par la version ultérieure du travailleur.

 

·              Le travailleur mentionne aussi à ce médecin que son genou a alors bloqué pendant quelques secondes alors que la disquette démontre que le travailleur a plutôt continué à marcher normalement.

·              Quant à la déclaration faite à monsieur Bertrand Duchesne de la survenance d’un accident du travail, la date de cet échange n’est pas clairement établie. De plus ce n’est pas parce que le travailleur aurait mentionné la survenance de l’événement à monsieur Duchesne que cela veut dire qu’il est réellement survenu étant donné toutes les contractions dans la preuve. Le témoignage de monsieur Duchesne doit également être évalué avec prudence étant donné les failles notables dans sa mémoire.

 

·              Le travailleur mentionne qu’il a bien décrit l’événement du 6 avril au médecin consulté le 8 avril et pourtant cette dernière ne rapporte absolument rien dans la note médicale consignée au dossier hospitalier sinon la survenance d’une torsion du genou en faisant une rotation, sans mention du lieu et des circonstances de survenance.

 

·              Il en va de même pour la lésion du 16 octobre que le travailleur déclare avoir décrite au médecin rencontré ce jour-là. Or, ce médecin remplit une attestation d’absence sur un document ne relevant aucunement de la CSST, comme s’il s’agissait d’une lésion personnelle. Ce n’est que plus d’un mois plus tard qu’elle émet rétroactivement une attestation médicale en date du 25 novembre 2003. La note consignée au dossier hospitalier le 16 octobre 2003 mentionne la présence d’une douleur au cou depuis une semaine et aucunement d’un accident survenu au travail le jour même. La responsabilité du paiement est indiquée comme relevant du ministère des Affaires sociales. Aucune mention d’un événement survenu au travail n’est faite à ce moment.

 

·              Le travailleur ajoute qu’il n’a jamais dit à ce médecin que ses douleurs avaient débuté une semaine plus tôt alors que ce médecin l’a bel et bien écrit. Le tribunal ne peut comprendre pourquoi un médecin inventerait une telle chose.

 

·              Le travailleur mentionne que sa deuxième visite chez la docteure Falardeau a été faite environ 10 jours après le 16 octobre alors qu’elle est plutôt survenue le 5 novembre.

 

·              Si la lésion du 16 octobre est réellement survenue au travail, pourquoi le travailleur a-t-il demandé des prestations d’assurance salaire? En agissant de la sorte, il reconnaissait ni plus ni moins que sa lésion ne relevait pas de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

·              Pourquoi la docteure Falardeau aurait-elle écrit à la Déclaration du médecin traitant faite au bénéfice de la compagnie d’assurance du travailleur, qu’elle ne savait pas si la condition de son patient était due à une blessure au travail? Pourquoi aurait-elle écrit cela si le travailleur lui avait mentionné le contraire? Quel était son intérêt d’agir ainsi?  Il est vrai que le travailleur a mentionné la survenance d’un accident du travail dans la déclaration d’invalidité du 17 octobre 2003 mais ce simple geste ne peut suffire à prouver la survenance d’un tel événement devant toutes les autres contradictions au dossier.

 

·              Le travailleur mentionne qu’il n’a pas fait de réclamation tout de suite le 16 octobre 2003 parce qu’il avait peur des répercussions de son geste vis-à-vis son employeur, alors que parfois il dit que c’est parce qu’il ignorait si sa lésion était attribuable à son déménagement ou à son travail.

 

·              Il est difficile de comprendre pourquoi le travailleur a pu déjà croire que ses problèmes cervicaux étaient attribuables à son déménagement, alors qu’à l’audience, à l’écouter, il n’a presque rien fait. Ceci est contradictoire sans parler des contradictions qui existent entre le témoignage du travailleur et celui de sa conjointe quant au nombre de personnes qui aidaient au déménagement cette journée-là et quant à leurs liens de parenté avec le travailleur.

 

·              Lors de sa rencontre du 6 novembre avec le docteur Verville, le travailleur mentionne qu’il ne peut préciser la date du début des symptômes alors qu’à l’audience, il mentionne clairement que c’est en levant des caisses au travail.

 

·              Il mentionne au docteur Verville que les symptômes sont apparus après avoir fait un déménagement chez lui. Il ajoute le 25 novembre 2003 qu’il a déménagé le 1er octobre et qu’une raideur a été ressentie par la suite et que le 16 octobre 2003, une douleur est survenue sans traumatisme ni événement. Tout cela a été contredit par la suite.

 

·              Il mentionne au docteur Verville le 6 novembre 2003, que l’événement survenu vers 1999 avait été suivi d’une diminution de la symptomatologie à la longue et que tout était disparu avec seulement un très léger malaise espacé, non invalidant. Ce n’est pas ce que le travailleur a mentionné à l’audience.

 

·              Le travailleur mentionne à l’audience que lors de la rencontre du 6 novembre avec le docteur Verville, il lui a bel et bien mentionné la survenance d’un accident du travail. Pourquoi le docteur Verville ne l’aurait-il pas rapporté? Pourquoi aurait-il plutôt décidé que le tout était survenu en déménageant? Dans quel intérêt?

 

·              Comment expliquer que le travailleur, alors qu’il se serait tordu le genou le 6 avril à 9 h 18 entraînant ainsi un craquement et des douleurs et ultimement une déchirure méniscale, ait pu continuer à marcher de façon complètement normale immédiatement par la suite, n’ait aucunement arrêté pour se frotter ou se reposer, etc.?

 

·              La prétendue torsion du genou gauche survient parfois sur une marche et parfois au sol.

 

·              Le travailleur mentionne qu’il a finalement dû arrêter de travailler et consulter le 8 avril parce que son genou était enflé. Les notes médicales consignées ce jour-là au dossier hospitalier n’indiquent nullement la présence d’œdème. Le témoignage de la conjointe du travailleur à l’effet que son genou était « plus enflé » le 8 avril, implique qu’il était déjà enflé avant cette date, contredisant ainsi le témoignage du travailleur. Or, le travailleur a mentionné qu’il avait déclaré l’événement le 8 avril parce que son genou était enflé, sinon il ne l’aurait pas déclaré.

 

·              Le témoignage de la conjointe du travailleur a été présenté afin de corroborer le témoignage de ce dernier. Comme son témoignage est complètement rejeté et non crédible, un témoignage d’une autre personne, crédible ou non, ne peut pallier le manque de crédibilité du travailleur. Peu importe que le travailleur ait rapporté un événement à sa conjointe ou à son représentant syndical, la preuve ne démontre pas que cet événement est survenu.

 

·              L’ajustement de la version du travailleur le dessert totalement. Après avoir visionné les CD-Rom et constaté que sa version initiale ne pouvait être retenue, il a tenté de trouver un nouvel événement, ce qui le discrédite totalement.

 

·              Le travailleur a initialement donné une version claire et précise à l’effet qu’il était monté sur son échelle pour placer une boîte sur une tablette puis était redescendu jusqu’au sol et s’était tordu le genou. Le travailleur a complètement répudié cette version et en a donné une autre. Le tribunal doit donc conclure qu’il mentait ou disait n’importe quoi lorsqu’il a inventé cette première version. Pourquoi ne ferait-il pas de même quant à la nouvelle version alléguée?

 

·              Le visionnement des disquettes pour la journée du 6 avril, après l’événement allégué de 9 h 18, montre que le travailleur effectuait des mouvements normaux de son genou, qu’il marchait normalement, qu’il ne boitait nullement, qu’il poussait même une boîte avec son pied à un certain moment donné, etc.  Il ne s’agit là nullement du déroulement prévisible des événements qui ferait suite à une torsion du genou accompagnée de douleurs importantes. Comment une lésion, alors qu’elle vient tout juste d’arriver, passerait inaperçue alors qu’on prétend qu’un tel événement a été la source d’une déchirure méniscale et d’une entorse du genou?

·              Le travailleur mentionne qu’aucun indice de la survenance de sa blessure n’était visible par des tiers les 6 et 7 avril. Il s’agissait pourtant là de la phase contemporaine et initiale du traumatisme allégué par le travailleur. En pareil cas, il est largement reconnu que les problèmes les plus importants surviennent au départ ou très rapidement par la suite. Il est tout à fait difficile de comprendre comment un événement aurait pu passer inaperçu pendant deux jours pour ensuite devenir problématique jusqu’à nécessiter une chirurgie.

 

·              Lors de la rencontre du 28 avril, les témoins Savarie et Duchesne mentionnent que le travailleur ne se souvenait pas beaucoup de l’accident du travail, à savoir du lieu, de sa survenance, etc. Le tribunal constate que sa mémoire s’est améliorée avec le temps!

 

·              Le travailleur mentionne qu’il n’a pas vu monsieur Drolet à son bureau le 6 avril et qu’il n’a donc pas pu le rejoindre. Pourtant monsieur Drolet a un cellulaire sur lui en tout temps et il y a un interphone chez l’employeur pour appeler les gens qui se trouvent partout dans l’établissement.

 

·              Le travailleur mentionne qu’il a commencé à boiter le 8 avril mais monsieur Drolet n’a nullement constaté cette boiterie.

 

·              Il est évident en regardant le CD-Rom du 8 avril que la rencontre entre monsieur Drolet et le travailleur a permis à ce dernier de raconter ce qui s’était passé. Il est également évident que ce dernier lui donne alors sa première version, à savoir qu’il est monté dans son escalier pour aller mettre une boîte sur une tablette. Le travailleur nie tout cela à l’audience, ce qui mine encore sa crédibilité.

 

 

[320]       Le tribunal n’a aucune raison de ne pas retenir les témoignages des témoins produits par l’employeur qui sont corroborés par des documents et qui ont été rendus de façon claire, sereine et sans équivoque. On ne peut certes pas en dire autant du témoignage du travailleur.

[321]       Dans ces circonstances, la présomption prévue à l’article 28 ne peut pas s’appliquer, ni quant à la lésion du 16 octobre 2003, ni quant à celle du 6 avril 2004 puisque le travailleur n’a pas prouvé de façon prépondérante que ces lésions sont survenues sur les lieux du travail alors qu’il était à son travail. Devant les nombreuses imprécisions dans la preuve, il n’est pas possible de savoir ce qui s’est véritablement passé à ces dates de sorte que le travailleur ne s’est pas déchargé de son fardeau de prouver deux des éléments de la présomption, soit que les lésions sont survenues au travail alors qu’il était à son travail[3].

[322]       Dans l’affaire Purolator Courrier ltée et Michaud[4], la Commission des lésions professionnelles affirmait que la présomption prévue à l’article 28 ne peut bénéficier à un travailleur dont le niveau de crédibilité est faible en présence de versions contradictoires. Les mêmes principes sont retenus dans l’affaire Ambulance Demers Boucherville et Campeau[5].

[323]       Comme le travailleur était seul lors des deux événements rapportés et qu’aucun témoin indépendant n’était sur place à ces occasions, le tribunal ne peut donc que constater l’absence totale de preuve crédible de la survenance de lésions sur les lieux du travail alors que le travailleur était à son travail.

[324]       Le tribunal, pour les mêmes motifs, ne peut pas non plus conclure à la présence de deux accidents du travail en vertu des dispositions de l’article 2 de la Loi. Devant l’absence de crédibilité du travailleur et comme il a été le seul témoin des événements qu’il allègue, on doit conclure à l’absence totale de preuve de la survenance d’un événement imprévu et soudain à ces deux dates.

[325]       Il y a aussi absence totale de preuve d’une relation médicale entre les diagnostics et les événements. Il y a tout autant absence totale de preuve quant au fait que les lésions soient survenues par le fait ou à l’occasion du travail.

[326]       Quant à l’événement allégué du 16 octobre 2003, il est difficile de comprendre pourquoi le travailleur aurait eu recours à des soins de physiothérapie privés si son travail avait été à l’origine de ses problèmes.

[327]       Le travailleur a affirmé à l’audience qu’il a déposé une réclamation parce que son syndicat lui avait dit que sa lésion était bel et bien survenue au travail. Il est difficile de comprendre comment le syndicat du travailleur pourrait être en meilleure position que lui pour décider de ce genre de choses alors que le travailleur est le seul à avoir assisté aux événements en cause. Si un événement était survenu au travail le 16 octobre 2003, le travailleur en aurait parlé rapidement et il aurait déposé une réclamation à la CSST et non à sa compagnie d’assurance.

[328]       Dans l’affaire Lacasse et UAP inc.[6], la Commission des lésions professionnelles souligne que le fait pour un travailleur de présenter une réclamation à sa compagnie d’assurance permet de conclure qu’il considère lui-même sa maladie comme de nature personnelle. Les mêmes remarques ont été faites dans l’affaire Campeau et Expertech bâtisseurs réseaux inc.[7]

[329]       De toute façon, les premières déclarations spontanées faites à la CSST et au docteur Verville sont à l’effet que le travailleur s’est blessé en déménageant. Même si cela n’était pas le cas, rien n’indique qu’il se soit blessé au travail dans le cadre d’un événement imprévu et soudain le 16 octobre 2003 et au surplus les douleurs étaient présentes avant cette date.

[330]       Le tribunal note de plus que le travailleur mentionnait à sa réclamation qu’après l’événement du 16 octobre 2003, il n’était plus capable de tourner sa tête parce qu’il avait trop mal. Or, l’examen fait le 16 octobre par la docteure Falardeau ne démontre aucune limitation dans les mouvements cervicaux vers la gauche, mais seulement dans la flexion, la rotation et la flexion latérale droite. Il s’agit de plus d’une limitation partielle et non totale.

[331]       Lors de l’audience, le travailleur mentionne ne pas avoir éprouvé de douleurs le 1er octobre lors du déménagement hormis des douleurs normales et habituelles. Il mentionnait toutefois au docteur Bellemare, dans le cadre de l’expertise du 9 mars 2004, qu’il avait ressenti des douleurs cervicales au moment de son déménagement.

[332]       L’opinion du docteur Bellemare est d’ailleurs que cette cervicalgie du 16 octobre 2003 est de nature personnelle et cette opinion médicale n’a pas été contredite.

[333]       De plus, le travailleur est atteint de dégénérescence discale multiétagée qui peut expliquer la présence de douleurs cervicales.

[334]       En ce qui concerne la lésion au genou, il faut rappeler l’admission faite par les parties à l’effet que le travailleur prétend que son accident du travail est bel et bien survenu le 6 avril 2004 à 9 h 18 min 35 s et rien d’autre.

[335]       Or, même si on retenait la dernière version du travailleur, force est de constater que le CD-Rom ne démontre absolument rien de probant à cette date et à cette heure précise. Le tribunal a visionné le CD-Rom sur petit écran, moyen écran et grand écran, et ce à plusieurs reprises et, unanimement, il a constaté qu’il ne s’était absolument rien passé de significatif le 6 avril à 9 h 18.

[336]       Quant à la question de la recevabilité de la preuve par CD-Rom, elle sera traitée ultérieurement dans cette décision.

[337]       Au surplus, il est pour le moins particulier qu’encore une fois ce soit le représentant syndical qui apprend au travailleur qu’il a subi un accident le 6 avril à 9 h 18 min 35 s, et ce, après visionnement de la disquette. Le travailleur a simplement ensuite acquiescé à cette « trouvaille » de son représentant syndical.

[338]       De toute façon, et ceci dit avec respect pour l’opinion contraire, il est absolument clair qu’il ne s’est rien passé de spécial le 6 avril 2004 à 9 h 18 min 35 s et qu’il n’y a eu absolument aucun mouvement non physiologique du genou gauche du travailleur. Il s’agit là de la constatation unanime des membres du tribunal et de l’assesseur médical.

[339]       Cette unanimité mérite d’être soulignée. Même si les membres issus ne rendent pas la décision, ils peuvent exprimer leur avis sur les divers aspects du dossier et conseiller le commissaire tel que prévu aux articles 374 et 429.50 de la Loi :

374. Dans la division de la prévention et de l'indemnisation des lésions professionnelles, deux membres, l'un issu des associations d'employeurs et l'autre des associations syndicales, siègent auprès du commissaire et ont pour fonction de le conseiller.

 

Le membre issu des associations d'employeurs est nommé conformément au quatrième alinéa de l'article 385. Le membre issu des associations syndicales est nommé conformément au cinquième alinéa de cet article.

__________

1985, c. 6, a. 374; 1997, c. 27, a. 24.

 

 

429.50. Toute décision de la Commission des lésions professionnelles doit être écrite, motivée, signée et notifiée aux parties et à la Commission.

 

Dans la division de la prévention et de l'indemnisation des lésions professionnelles, le commissaire fait état dans la décision de l'avis exprimé par les membres visés à l'article 374 qui siègent auprès de lui ainsi que des motifs de cet avis.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[340]       L’assesseur médical peut aussi conseiller le commissaire tel que prévu à l’article 423 :

423. Le président nomme des assesseurs à temps plein, qui ont pour fonctions de siéger auprès d'un commissaire et de le conseiller sur toute question de nature médicale, professionnelle ou technique.

__________

1985, c. 6, a. 423; 1997, c. 27, a. 24.

 

 

[341]       Il est donc normal que l’assesseur fasse part au commissaire de son opinion quant à la relation médicale existant entre un geste visionné sur CD-Rom et un diagnostic donné pour ainsi le conseiller.

[342]       Bien entendu, le commissaire n’est pas lié par les avis des membres issus et par les conseils de l’assesseur. Cependant, une telle unanimité le conforte dans sa propre lecture du dossier.

[343]       L’absence de tout geste non physiologique est l’une des bases de l’avis du docteur Verville tel que détaillé à la pièce E - 10. Cet avis médical demeure non contredit et le tribunal n’a aucune raison pour le rejeter puisqu’il est basé sur les faits établis au dossier et qu’il repose donc sur de bonnes prémisses.

[344]       Cet avis est éloquent à l’effet qu’aucun geste ou manœuvre ayant pu causer la lésion au genou gauche du travailleur n’a été observé. Si le travailleur s’était réellement blessé le 6 avril à son travail, un phénomène de boiterie aurait débuté dans les minutes ayant suivi la survenance du fait accidentel, ce qui n’est nullement noté par les caméras de surveillance. Un événement susceptible de causer une lésion importante comme celle dont le travailleur est porteur au genou gauche ne peut passer inaperçu et le docteur Verville ne comprend pas pourquoi aucun des signes cliniques traditionnels n’apparaît sur les caméras de surveillance les 6 et 7 avril.

[345]       Il remarque de plus que, postérieurement à l’heure de la lésion, on voit que le travailleur effectue des mouvements normaux de son genou sans signe de souffrance. Notamment, si le travailleur avait réellement subi un accident vers 9 h 18 le 6 avril 2004, il n’aurait pu en début d’après-midi s’appuyer sur la batterie de son chariot élévateur, comme on peut le voir sur la disquette. Ce mouvement est totalement incompatible avec la lésion alléguée par le travailleur selon les propos du docteur Verville.

[346]       La déchirure méniscale en anse de seau du travailleur, de par sa nature, résulte habituellement d’un traumatisme important. Il est difficile de comprendre pourquoi un travailleur a pu changer sa version à ce niveau ou qu’il ait pu montrer des signes de mémoire défaillante. Ce genre de traumatisme n’est pas de nature telle à être oublié.

[347]       Le fait de visionner les images du 6 avril sur un écran d’ordinateur ou sur un écran de ciné-parc ne peut avoir pour effet de changer les faits qu’on peut y apercevoir. Il est clair, net et précis que le travailleur allègue la survenance d’une lésion à ce moment précis parce qu’il a dû adapter sa version première qui ne tenait plus. En effet, en visionnant les CD-Rom, il s’agit du seul moment (le matin du 6 avril) où il a monté une marche de son chariot de sorte qu’il n’a eu d’autre choix que de miser sur ce fait à tout prix pour tenter de convaincre le tribunal de l’existence d’un événement particulier. Il n’a cependant pas réussi.

[348]       Si une lésion significative comme celle dont le travailleur est porteur au genou gauche était survenue le 6 avril à 9 h 18, le travailleur se serait arrêté, se serait frotté le genou, se serait reposé, etc. Il n’aurait sûrement pas continué son travail de façon normale sans s’arrêter même une fraction de seconde. Tout cela est invraisemblable. Il n’y donc pas d’événement imprévu et soudain le 6 avril et aucune preuve d’une relation entre le mouvement allégué par le travailleur et sa lésion.

[349]       Il est également difficile de comprendre comment le travailleur aurait pu continuer son travail pendant deux jours complets sans aucun symptôme extérieur ou boiterie alors qu’il doit marcher constamment dans son travail.

[350]       Il est également plutôt particulier que le travailleur ait décidé de sortir de la chambre à tabac, de descendre 20 marches puis de les remonter pour aller vérifier s’il avait un problème au genou. On pourrait être tenté de croire que lorsqu’on a un problème au genou, on évite de circuler dans des escaliers.

[351]       Le tribunal tient également à souligner que le délai de consultation médicale et le délai de divulgation à l’employeur de l’événement du 6 avril 2004 sont des éléments défavorables au travailleur.

[352]       Par ailleurs, lorsque le docteur Verville mentionne le 22 avril 2004 que la relation entre la lésion au genou et l’événement relaté par le travailleur est acceptable, il se base alors sur la description faite par le travailleur. Comme cette description a été reniée et que la crédibilité du travailleur est en jeu, cette opinion basée sur de fausses prémisses doit être rejetée.

[353]       Le fait que le travailleur soit sorti de la chambre à tabac vers 9 h 40 le matin du 6 avril ne change rien. Chez un travailleur non crédible, cela n’accrédite aucunement le fait qu’un événement se soit passé et qu’il se soit rendu aux toilettes pour vérifier l’état de sa blessure. Si tel avait été le cas, pourquoi le travailleur ne serait-il pas parti vérifier cette blessure dans les minutes qui ont suivi sa survenance? Même s’il est clair que le travailleur est parti de la chambre à tabac, il a pu tout simplement aller se laver les mains avant la pause-café ou encore aller aux toilettes.

[354]       La thèse du complot de l’employeur visant à se débarrasser du travailleur est également complètement rejetée. De toute façon, le présent tribunal n’est pas un tribunal d’arbitrage et le grief faisant suite au congédiement du travailleur devra être décidé par un autre forum. Cependant, la preuve a plutôt démontré que l’employeur a, au cours des années, collaboré avec le travailleur pour tenter de le maintenir à l’emploi en changeant son poste, ses équipements, etc. Il ne s’agit pas là de l’attitude d’un employeur qui veut se débarrasser de quelqu’un. La rencontre tenue en décembre 2003 avec le travailleur n’avait pour but que le sensibiliser face à sa prestation de travail, ce qui fait partie du droit de gérance d’un employeur.

[355]       Le travailleur a mentionné que l’employeur n’avait trouvé aucune autre cause pour expliquer sa blessure au genou gauche. Il oublie cependant que l’employeur n’a pas ce fardeau. Le travailleur avait le fardeau de démontrer l’existence de deux lésions professionnelles, ce qu’il n’a pas fait. Bien qu’il puisse être utile pour un employeur de trouver une autre cause expliquant une lésion, il ne s’agit pas là d’un fardeau automatique et obligatoire[8].

[356]       Il est vrai qu’une décision du 26 août 2004 déposée sous la cote T-2 et non contestée par l’employeur indique que le diagnostic de déchirure méniscale est relié à l’événement du 6 avril 2004. Le tribunal n’est pas saisi d’une contestation de cette décision et il ne peut la renverser.

[357]       Toutefois, même si cette décision n’a pas été contestée, elle deviendra caduque à la suite de la présente décision. Il s’agit là d’une facette découlant du fait que les décisions de la Commission des lésions professionnelles sont finales et irrévocables. Comme le présent tribunal décide qu’il n’y a pas eu de lésion professionnelle le 6 avril 2004, la CSST devra poser l’acte administratif d’ajuster le dossier du travailleur en conformité avec cette décision. La CSST devra donc constater qu’il ne peut être question d’une relation entre une déchirure méniscale et un événement qui n’existe pas. La décision du 26 août 2004 deviendra donc ni plus ni moins que caduque.

[358]       Le tribunal émettra maintenant quelques commentaires quant à la preuve par CD-Rom faite à l’audience. Le tribunal a demandé aux parties d’argumenter, dans leur plaidoirie finale, sur l’application de l’article 2858 du C.C.Q. qui se lit comme suit :

2858.  Le tribunal doit, même d'office, rejeter tout élément de preuve obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux et dont l'utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

Il n'est pas tenu compte de ce dernier critère lorsqu'il s'agit d'une violation du droit au respect du secret professionnel.

1991, c. 64, a. 2858.

 

[359]       Le représentant du travailleur en a profité pour alléguer dans un premier temps que la preuve vidéo de l’employeur n’était pas recevable à cause de certains problèmes de confection et montage.

[360]       Cependant, comme aucune objection n’a été apportée en temps utile à l’audience et comme le travailleur s’est lui-même servi de cette preuve, il est forclos d’en demander le rejet sur cette base.

[361]       L’administration de la preuve est une question de droit privé et ce sont les parties elles-mêmes qui doivent effectuer des objections de cet ordre. Lorsqu’une partie ne s’objecte pas en temps utile ou utilise elle-même la preuve qu’on voudrait voir retirer du dossier, elle consent implicitement à sa production et est forclose de toute objection par la suite.

[362]       De toute façon, le tribunal estime que la preuve a démontré que les CD-Rom étaient fiables et recevables devant lui. Le témoignage du témoin Fink est retenu à cet effet. Même s’il y a eu certains montages, le travailleur a eu accès à tous les CD-Rom et a pu examiner la preuve comme il le souhaitait. Il est certain qu’il aurait été inutile et fastidieux pour le tribunal de visionner l’intégralité des images prises par les caméras de surveillance les 6, 7 et 8 avril. L’employeur a cerné ce qui était pertinent, il l’a montré au travailleur puis au tribunal et cette démarche était pleinement justifiée.

[363]       Reprenant les critères élaborés par la Cour d’appel dans l’affaire Cadieux et Service de gaz naturel Laval inc.[9], le tribunal estime que l’employeur a prouvé l’identité des personnes apparaissant sur les images (il y a même eu admission sur ce sujet), il y a également eu preuve que le document est authentique, inaltéré et fiable, et les images sont suffisamment visualisables. Même si le document n’est pas intégral et qu’il y a montage, le tribunal rappelle qu’il y avait nécessité d’agir ainsi et que de toute façon le syndicat a pu vérifier l’ensemble des CD-Rom et il n’a jamais soulevé un quelconque problème réel et pratique à cet effet.

[364]       Reste la question de la transgression éventuelle de l’article 2858 du C.C.Q. lequel s’applique aux litiges ayant cours devant la Commission des lésions professionnelles, cette dernière étant compétente pour l’appliquer[10].

[365]       L’article 2858 du C.C.Q. est une dérogation au principe général établi à l’article précédent à l’effet que la preuve de tout fait pertinent à un litige est recevable et peut être faite par tous les moyens. Pour que l’exception prévue à l’article 2858 du C.C.Q. s’applique, il faut que deux conditions soient rencontrées, à savoir l’obtention d’un élément de preuve dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux et le fait que l’utilisation de cette preuve soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. La Commission des lésions professionnelles a également mentionné qu’une étape additionnelle devait être franchie, soit la vérification de l’existence de limites à l’étendue et à l’exercice des droits et libertés fondamentaux dans une société libre et démocratique[11].

[366]       Le tribunal a de la difficulté dans un premier temps à identifier le droit ou la liberté fondamentale qui aurait été ici violée. Cette expression contenue à l’article 2858 du C.C.Q. réfère nécessairement aux droits contenus à la Charte des droits et libertés de la personne[12].

[367]       Le représentant du travailleur a soulevé le fait qu’il y aurait eu atteinte à la vie privée parce que le lieu de travail n’est pas un lieu public. Le tribunal croit que les lieux de travail ne sont ni purement publics ni purement privés.

[368]       En effet, s’ils constituaient des lieux publics, toute personne pourrait y avoir accès ce qui n’est généralement pas le cas. Le milieu de travail n’est pas non plus un lieu privé, comme une résidence, puisque le travailleur y partage son temps avec d’autres personnes, que ce lieu appartient à l’employeur pour y exercer un commerce de nature publique, etc.

[369]       Il est certain qu’un travailleur n’a pas la même expectative quant au degré d’intimité qu’il peut avoir au travail par rapport à celui qu’il a à sa résidence. Il est difficile également de croire que le travailleur avait une expectative raisonnable de vie privée au travail alors qu’il savait pertinemment que ses faits et gestes étaient filmés, et ce, avec l’accord de son syndicat. Comment peut-on croire à l’existence d’un droit à la vie privée dans de telles circonstances connues et acceptées des parties. Il ne s’agit pas là de filmer quelqu’un à son insu, bien au contraire.

[370]       Il est vrai que la convention collective de travail prévoit que l’utilisation de caméras par l’employeur ne peut servir de preuve contre un salarié, sauf dans des situations de vol, de fraude, de sabotage, de méfait ou autres activités similaires. Dans un premier temps, une telle convention collective ne lie pas le présent tribunal chargé d’appliquer une loi d’ordre public. L’article 4 de la Loi est clair à cet effet :

4. La présente loi est d'ordre public.

 

Cependant, une convention ou une entente ou un décret qui y donne effet peut prévoir pour un travailleur des dispositions plus avantageuses que celles que prévoit la présente loi.

__________

1985, c. 6, a. 4.

 

 

[371]       Deuxièmement, cette interdiction inscrite dans une convention collective de travail, soit un document de nature privée, ne vaut qu’entre les parties et peut faire l’objet d’une renonciation comme en l’espèce où le travailleur ne s’est nullement objecté au dépôt de la preuve de l’employeur et l’a même utilisée. De toute façon, cet article prévoit que l’employeur peut se servir de cette preuve dans des situations de fraude ou autres activités similaires. Le fait de présenter une réclamation non fondée à la CSST est certainement une activité similaire au sens de la convention collective.

[372]       Il n’est de toute façon pas utile de s’étendre outre mesure sur la question de l’existence d’un droit fondamental du travailleur qui aurait été bafoué puisque de toute façon, le deuxième critère prévu à l’article 2858 du C.C.Q. n’est pas rempli en l’espèce. En effet, ce n’est pas l’utilisation de la preuve par CD-Rom qui est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, mais plutôt le contraire.

[373]       Le tribunal a comme mandat de rechercher la vérité et d’indemniser les lésions qui méritent de l’être. Il est donc favorable à l’administration de la justice qu’une preuve telle que celle apportée à l’audience soit acceptée puisqu’elle démontre que les réclamations du travailleur ne sont pas fondées et que le témoignage de ce dernier n’est pas crédible.

[374]       Dans Lapointe et Services correctionnels du Canada[13], il fut souligné qu’en matière d’accidents du travail, le tribunal doit s’assurer de la juste indemnisation des victimes et d’éviter que les fonds publics ne soient détournés à des fins pour lesquelles ils ne sont pas constitués. Dès lors, ce serait l’exclusion de la preuve obtenue par écoute électronique dans cette affaire qui a été jugée comme étant davantage susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Il en va pareillement dans le présent cas, d’autant plus que le travailleur a été observé par des caméras non pas à son insu mais avec sa connaissance et avec l’accord de son syndicat.

[375]       Dans l’affaire Ead et Jenkins Canada Inc.[14], la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles rappelait une autre fois que c’est plutôt l’exclusion de la preuve qui serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice car, la vérité devant primer, il est dans l’intérêt de la justice que la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles ait tous les éléments en main pour déterminer si c’est à bon droit qu’un travailleur prétend avoir droit à une indemnisation. Encore une fois, la preuve vidéo dans cette affaire avait été faite sans la connaissance du travailleur et elle a été jugée recevable. Elle est d’autant plus recevable dans le présent dossier qu’elle a été faite au vu et au su du travailleur, et ce, sans faux prétexte.

[376]       Ces principes ont été repris dans l’arrêt Syndicat des travailleuses et travailleurs de Bridgetone Firestone de Joliette (CSN) c. Trudeau[15]. Le fardeau de démontrer que l’admission d’une preuve serait de nature à déconsidérer l’administration de la justice repose sur le fardeau de la partie qui réclame l’exclusion de cette preuve. Cette preuve n’a pas été faite en l’instance.

[377]       Dans l’affaire Fraser et Résidence Étienne Simard[16], la Commission des lésions professionnelles notait que le travailleur avait été filmé dans des lieux visibles du public et qu’il ne pouvait pas invoquer une violation de son intimité ou de sa vie privée. La commissaire décidait aussi que ce serait plutôt l’exclusion de la preuve qui serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice puisque la bande vidéo contenait des éléments de preuve pertinents pour décider de la question en litige à savoir la capacité de travail du travailleur. Ces principes s’appliquent parfaitement en l’espèce[17].

[378]       Dans Goyeche et General Motors du Canada ltée[18], une preuve vidéofut considérée comme admissible parce que permettant de mettre en lumière certains faits importants et pertinents afin d’apprécier la crédibilité d’un travailleur en regard de sa réclamation pour une lésion professionnelle. Il en va de même dans le présent dossier.

[379]       Dans l’affaire Canadel et Lessard[19], la commissaire en révision a décidé d’admettre une preuve vidéo qui avait été faite avec la collaboration du travailleur, collaboration acquise à la suite d’un faux prétexte. On avait en effet mentionné au travailleur que la bande vidéo servirait à améliorer l’ergonomie de son poste de travail alors qu’elle devait plutôt servir de preuve contre lui en audience. Malgré cela, la bande vidéo a été admise en preuve et il serait difficile de comprendre pourquoi les CD-Rom confectionnés dans le présent dossier devraient être rejetés alors qu’il n’y a eu aucun subterfuge de ce genre, que le travailleur savait qu’il était filmé et que la convention collective prévoit que les films peuvent servir de preuve en certains cas.

[380]       Dans l’affaire Kaval[20], la Commission des lésions professionnelles décidait de recevoir en preuve l’enregistrement d’une conversation téléphonique fait à l’insu d’une travailleuse qui se trouvait à son domicile. Le tribunal a quand même décidé que la preuve recueillie par cet enregistrement avait un caractère intéressant puisqu’il avait été fait au moment où les événements venaient de se dérouler. Dans le présent cas, c’est la reproduction même de ces événements qui a été captée, ce qui est encore plus « intéressant ». Jugeant que cette preuve pouvait permettre au tribunal de mieux évaluer ce qui avait pu se passer et tenant compte du fait que cette preuve pouvait être contredite par les parties, elle fut admise. Dans notre cas, non seulement le travailleur n’a pas contredit la preuve de l’employeur mais il s’en est servi. La commissaire termine sa décision en mentionnant que se priver de recevoir en preuve la bande magnétique déconsidérerait l’administration de la justice puisque le tribunal peut accepter toute preuve pertinente, ce qui était manifestement le cas.

[381]       Dans une décision rendue par un tribunal d’arbitrage[21], une caissière avait fait l’objet d’une surveillance par caméra sur les lieux de travail. La travailleuse fut congédiée. Le tribunal a jugé que la preuve obtenue par l’employeur l’avait été dans des conditions qui n’avaient jamais porté atteinte aux droits et libertés fondamentaux de la travailleuse. L’utilisation d’une caméra et l’enregistrement d’une cassette vidéo sur les lieux de travail ne pouvaient en effet porter atteinte à l’honneur, la dignité ou la réputation de la travailleuse, et ce, en l’absence de tout agissement illicite ou subterfuge. L’arbitre a jugé que l’employeur avait tout simplement exercé le contrôle que tout employeur a le droit d’exercer sur une employée qui est à son service et qui se trouve sur les lieux de travail.

[382]       Dans Lapointe c. Commission d'appel en matière de lésions professionnelles[22], la Cour d’appel du Québec s’exprime comme suit :

[…]   En second lieu, il faut garder à l’esprit que le recours de l’appelant est celui d’un employé qui cherche une indemnisation, d’un fonds public, ouvert à tout travailleur accidenté du travail sans égard à sa faute ou celle de son employeur et constitué des cotisations patronales et ouvrières. Il appartient donc au requérant de démontrer, selon une preuve civile, qu’il est un accidenté du travail et qu’il a droit au bénéfice réclamé. Le rôle du tribunal administratif chargé d’examiner cette preuve, au premier comme au second niveau, est de rechercher la vérité; il doit voir à ce que le salarié qui y a droit soit correctement indemnisé par ce fonds public et à ce que, par ailleurs, soit excluse toute réparation à celui qui ne rencontre pas les critères établis par le législateur. Outre que cette compétence soit celle conférée par la loi, elle est aussi, à mon avis, conforme aux attentes du public. En somme, en cette matière, il ne s’agit plus de protéger le droit d’un accusé à ne pas être conscrit contre lui-même par l’autorité publique, principe fondamental de notre droit pénal, mais d’assurer la juste indemnisation des victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle et d’éviter que les fonds publics ne soient détournés des fins pour lesquelles ils sont constitués.

 

Dès lors, en l’espèce, j’estime qu’en l’absence d’une solide démonstration, la justice serait plus déconsidérée par l’exclusion de la preuve découlant de l’interception de l’entretien entre l’appelant et le détenu Tremblay que par son admission. Je ne peux, en effet, me convaincre qu’il serait dans l’intérêt public qu’un individu bénéficie d’un régime d’indemnisation auquel il n’a pas droit parce que l’on exclurait une preuve, par ailleurs pertinente et convaincante, qui établit qu’il a manoeuvré, avec la complicité d’un tiers, pour obtenir illégalement une indemnisation. Ce serait faire injure à tous les travailleurs et employeurs qui contribuent à maintenir ce fonds à l’avantage et pour la protection des vraies victimes.

 

[…]  [sic]

 

[383]       Au surplus, le travailleur ne s’est aucunement objecté au dépôt de cette preuve au fur et à mesure où elle était déposée et il s’en est même servi activement, faisant presque reposer complètement son dossier sur le visionnement du CD-Rom du 6 avril 2004 à 9 h 18. Ce faisant, il a renoncé au respect de ses éventuels droits et libertés fondamentaux[23].

[384]       Il est vrai que le tribunal doit, en vertu de l’article 2858 du C.C.Q., soulever d’office la question de la recevabilité de la preuve lorsqu’il y a apparence d’atteinte aux droits et libertés fondamentaux. Le fait que le tribunal soulève cette question d’office ne veut pas dire que son idée est faite à ce sujet mais qu’il veut entendre les représentations des parties à ce niveau en présence d’une telle apparence.

[385]       Le pouvoir pour le tribunal de soulever cette question d’office pourrait peut-être, à la rigueur, et sans que le tribunal n’en décide dans la présente cause, faire en sorte que l’absence d’objection à une preuve ne puisse être reprochée à une partie. Toutefois, il y a beaucoup plus en l’espèce alors que le travailleur s’est lui-même servi très activement de la preuve dont il demande maintenant le rejet. De cette façon, il a clairement renoncé à l’application de l’article 2858 du Code civil. Même s’il s’agit d’une disposition d’ordre public, il est possible pour une personne de renoncer à une telle disposition en autant que son droit soit ouvert, né et actuel. Il n’est pas question de renoncer à pareil droit à l’avance. En l’espèce, le travailleur n’a pas renoncé à ce droit à l’avance mais bien à l’audience, alors qu’il n’a pas demandé l’exclusion de la preuve mais qu’il s’en est plutôt servi.

[386]       La renonciation ou la transaction faite par une personne face à un droit issu d’une loi d’ordre public se rencontre fréquemment, notamment au présent tribunal. En effet, si une personne ne pouvait aucunement renoncer à ses droits ou transiger sur ses droits même après qu’ils soient ouverts, aucune conciliation, ou à peu près, ne serait possible.

[387]       La jurisprudence a d’ailleurs reconnu à de nombreuses reprises la possibilité pour un travailleur de renoncer à un droit ou de transiger sur un droit à partir du moment où il est né et actuel et ce, même s’il découle d’une loi d’ordre public[24].

[388]       L’article 2858 et la possibilité de soulever d’office son application ne peuvent certainement pas faire en sorte d’empêcher une partie d’utiliser elle-même et selon son gré, une preuve obtenue dans des conditions qui porteraient atteinte à ses propres droits et libertés fondamentaux. Sinon, ce serait permettre à quelqu’un de soulever et d’invoquer sa propre turpitude.

[389]       Le tribunal estime donc que le travailleur a renoncé à son droit potentiel et hypothétique à soulever une objection selon l’article 2858 du Code civil. De toute façon, même si une telle objection avait été soulevée en temps utile, elle aurait été rejetée pour les motifs déjà élaborés.

[390]       De toute façon, toute cette question de l’admissibilité des CD-Rom devient plutôt académique puisque, même sans recourir à cette preuve, le tribunal en viendrait à la conclusion de l’absence de crédibilité du travailleur et donc de l’absence de lésion professionnelle.       

[391]       Pour tous ces motifs, le tribunal rejette les prétentions du travailleur.

 

 

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

 

Dossier 228039-08-0402

REJETTE la requête de Richard Villeneuve, le travailleur;

CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 3 février 2004 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le 16 octobre 2003;

DÉCLARE que le travailleur n’a pas droit aux bénéfices prévus par la Loi;

DÉCLARE que le travailleur doit rembourser à la CSST la somme de 911,52 $.

 

Dossier 245760-08-0410

REJETTE la requête déposée par Richard Villeneuve, le travailleur;

CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 30 septembre 2004 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le 6 avril 2004;

DÉCLARE que le travailleur n’a pas droit aux bénéfices prévus par la Loi.

 

 

 

 

 

 

 

__________________________________

 

Me Jean-François Clément

 

Commissaire

 

 

 

 

M. Robert Roussy

9069-6949 Québec inc. (R.D.D.S.)

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Louis-Charles Bélanger

BÉLANGER, BARRETTE ET ASSOCIÉS

Représentant de la partie intéressée

 

 

Me Louis Cossette

PANNETON  LESSARD

Représentant de la partie intervenante

 



[1]          L.R.Q., c. A-3001

[2]         Latoures et Saima Maçonnerie inc., C.A.L.P. 82334-64-9608, 17 octobre 1997, M. Duranceau

[3]          Canadawide Inc. et Khoury, C.L.P. 125531-72-9910, 15 juin 2000, L. Landriault, révision rejetée le 19 février 2001, C.-A. Ducharme

[4]          C.L.P. 111606-62-9902, 19 décembre 2000, S. Mathieu

[5]          C.L.P. 202086-62-0309, 17 septembre 2003, S. Mathieu (décision rectifiée le 22 septembre 2003)

[6]          C.L.P. 115550-61-9904, 3 février 2000, M. Duranceau

[7]          C.L.P. 123106-32-9909, 7 juin 2000, C. Lessard

[8]          Société canadienne des postes et Coulombe, [1988] C.A.L.P. 166 , requête en évocation rejetée, [1988] C.A.L.P. 146 , appel rejetée [1994] C.A.L.P. 927 (CA)

[9]          [1991] R.J.Q. 2490 (CA)

[10]         Ville de Mascouche c. Houle et autres, Cour d’appel, 500-09-005984-976, 28 juillet 1999; Kaval et Tricots Grace 1982 ltée, C.L.P. 109780-73-9902, 13 octobre 1999, D. Taillon

[11]         Lessard et Meubles Canadel inc., [2003] C.L.P. 1260

[12]         L.R.Q., c. C-12

[13]         [1991] C.A.L.P. 1185 , requête en évocation rejetée [1992] C.A.L.P 792 (CS), appel rejeté [1995] C.A.L.P. 1319 (CA)

[14]         [1995] C.A.L.P. 1070 , révision rejetée [1996] C.A.L.P. 235

[15]         [1999] R.J.Q. 2229 (CA)

[16]         C.L.P. 103822-32-9808, 15 avril 1999, G. Tardif

[17]         Voir aussi Eppelé c. C.L.P., [2000] C.L.P. 263 (CS), requête pour permission d’appeler rejetée, Cour d’appel de Montréal, 500-09-0009896-002, 3 août 2000; Lefebvre et Infirmières Plus enr., C.L.P. 109869-72-9902, 5 mars 2001, L. Crochetière; Formato et Coffrages CCC ltée, C.L.P. 94202-73-9801, 18 janvier 2000, Y. Ostiguy

[18]         C.L.P. 100911-64-9805, 13 février 2000, D. Martin, révision rejetée le 22 octobre 2001, P. Perron,

[19]         Déjà citée

[20]         Déjà citée

[21]         Union internationale des travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, Section locale 504 et Provigo Distribution inc., [1996] T.A. 38

[22]         Déjà citée

[23]         Barbotin et Filpac inc., C.L.P. 84151-63-9611, 3 novembre 1999, J.-L. Rivard

[24]         Robichaud et Rénovations Danar ltée, C.L.P. 158584-72-0102, 4 février 2002, P. Perron; Degré et Centre hospitalier Douglas, C.L.P. 147040-72-0009, 7 février 2002, M.-H. Côté; Charette et Sécur inc., C.L.P. 188066-08-0207, 3 mars 2005, P. Prégent; Lessard et Produits miniers Stewart inc., [1998] C.L.P. 269 , révision rejetée 88727-08-9705, 19 mars 1999, T. Giroux, requête en révision judiciaire rejetée [1999] C.L.P. 825 (CS)

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.