Nuozzi c. Blainville Chrysler Jeep Dodge | 2023 QCCQ 1124 |
COUR DU QUÉBEC | |||
« Division des petites créances » | |||
CANADA | |||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||
DISTRICT DE LOCALITÉ DE | TERREBONNE ST-JÉRÔME | ||
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« Chambre civile » | |||
N° : | 700-32-703266-195 | ||
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DATE : | 27 février 2023 | ||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE JEAN-FRANÇOIS MALLETTE, J.C.Q. | |||
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Anthony Nuozzi | |||
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Partie demanderesse | |||
c. | |||
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Blainville Chrysler Jeep Dodge | |||
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Partie défenderesse | |||
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JUGEMENT | |||
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Aperçu
[1] En mars 2018, Monsieur Nuozzi achète un véhicule Dodge Ram 2015 (le Véhicule) de Blainville Chrysler Jeep Dodge (le Concessionnaire) pour une somme totale de 40 712,88 $ incluant les taxes et frais de crédit pour la durée du contrat.[1]
[2] Au moment de la vente, l’odomètre indique 61 404 km au compteur.
[3] Monsieur Nuozzi souscrit également à une proposition de garantie supplémentaire (la Garantie supplémentaire).[2] La Garantie supplémentaire prévoit une couverture pour le moteur et ses composantes.[3] Toutefois, le total de chaque réclamation payable est limité à 6 841,01 $.[4]
[4] En août 2019, à la suite d’un bris mécanique, alors que l’odomètre affiche 108 000 km, le Concessionnaire informe Monsieur Nuozzi que le moteur doit être remplacé. Le coût total des pièces et travaux s’élèvent à 18 333,16 $. La Garantie supplémentaire couvre 6 841,01 $. En décembre 2019, Monsieur Nuozzi vend le Véhicule à un tiers.
[5] Monsieur Nuozzi réclame 12 696,07 $ pour les frais de réparation et d’achat de nouveau moteur (11 492,15 $) et le remboursement de paiements du Véhicule et des frais d’assurance (1 203,92 $).
[6] Le Concessionnaire conteste la réclamation.
[7] D’une part, le Concessionnaire reproche à Monsieur Nuozzi d’avoir choisi une formule de garantie supplémentaire qui ne couvrait pas convenablement le Véhicule. D’autre part, il reproche à Monsieur Nuozzi un entretien déficient du Véhicule qui serait la cause des dommages.
Questions en litige
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Analyse
[8] Bien que Monsieur Nuozzi ne soit plus propriétaire du Véhicule, il dispose quand même de l’intérêt juridique pour intenter son recours.[5]
[9] En effet, la Cour d’appel du Québec a notamment statué sur cette question en s’exprimant en ces termes :
« Le recours en garantie contre un vendeur antérieur pour vices cachés est-il perdu par suite de la revente de l’immeuble affecté?
Il est clair que le premier acheteur de l’immeuble a un recours contre son vendeur, s’il subit de ce fait une perte ou un dommage. Qu’il revende ou non l’immeuble me paraît immatériel […] puisque cet acheteur demeure toujours lui-même exposé à une telle action de la part de son acheteur.
Le droit à des dommages pour vices cachés est un droit personnel qui ne passe pas avec la vente et qui ne se perd pas du fait de la revente.[6] »
[10] Plus récemment l’auteur Jobin[7] expose en ces termes l’état du droit sur cette question :
« 176 - Recours du propriétaire ayant revendu le bien - Enfin, quand l'acheteur a revendu le bien, perd-il la qualité et l'intérêt pour exercer contre son propre vendeur un recours fondé sur la garantie de qualité ? Certaines autorités, s'inspirant du raisonne- ment suivi dans la décision Kravitz, ont été d'avis que oui, au motif que la seconde vente aurait transmis au sous-acquéreur tous les droits du premier acquéreur à la garantie.[8] À notre avis, une distinction s'impose.
En ce qui concerne la réduction de prix et les dommages-intérêts, normalement l'acheteur conserve, malgré la revente, la qualité et l'intérêt requis (que ce soit par action directe ou par appel en garantie[9]). Il en est ainsi notamment quand il a dû consentir à un rabais sur le prix en raison justement du vice, quand il est poursuivi en réduction du prix ou en dommages-intérêts par le sous-acquéreur, ou encore quand il a lui-même subi un préjudice qui n'est toujours pas compensé (coût de réparations qu'il a effectuées avant la revente, perte d'usage).[10]
Par ailleurs, en ce qui concerne la résolution, a priori l'acheteur n'a plus la qualité puisqu'il a revendu le bien.[11] D'après nous, toute- fois, il faut lui reconnaître la qualité pour appeler son vendeur, en garantie lorsqu'il est lui-même poursuivi en résolution par le sous- acquéreur;[12] car, autrement, chaque fois que le sous-acquéreur choisirait de poursuivre en résolution son propre vendeur plutôt que le premier vendeur responsable du vice, le dernier vendeur, pourtant innocent, devrait supporter le coût de ce vice. »
[11] Bref, le recours pour vices cachés est un droit personnel qui ne se perd pas lors de la revente du Véhicule.[13]
[12] Le contrat d’achat entre Monsieur Nuozzi et le Concessionnaire est un contrat de consommation soumis aux articles
[13] Ainsi, le régime particulier de la LPC allège le fardeau de preuve de Monsieur Nuozzi. En effet, à partir du moment où il est démontré que le Véhicule ne peut servir à un usage normal pendant une durée raisonnable, on présume qu’il est affecté d’un vice. La durée raisonnable de fonctionnement d’un bien est tributaire des attentes raisonnables. Ces attentes sont évaluées en utilisant le critère du consommateur moyen.[17]
[14] Lorsque ces conditions sont remplies, la LPC crée une présomption absolue de préjudice.[18]
[15] Or, en l’espèce, le Concessionnaire allègue que la garantie conventionnelle de base du fabricant ne s’applique plus puisque le Véhicule compte plus de 100 000 km au moment de l’incident et que Monsieur Nuozzi a refusé l’indemnité proposée en vertu de la Garantie additionnelle. Enfin, le Concessionnaire soutient que Monsieur Nuozzi doit supporter seul les conséquences du choix de la Garantie additionnelle qui s’avère insuffisante.
[16] Le Tribunal ne peut retenir la position du Concessionnaire. En effet, même si le Véhicule n’est couvert par aucune garantie conventionnelle, il doit quand même servir à un usage normal pendant une durée raisonnable.
[17] Tel n’est pas le cas en l’espèce.
[18] Au moment de l’incident, Monsieur Nuozzi est propriétaire du Véhicule depuis moins de 15 mois. L’odomètre indique 108 000 km, soit une utilisation d’environ 47 000 km pendant cette période. De l’aveu du Concessionnaire, bien qu’il s’agisse d’un usage supérieur à la moyenne canadienne, il ne s’agit pas d’une utilisation excessive du Véhicule. Par ailleurs, le Concessionnaire reconnaît que Monsieur Nuozzi a effectué deux changements d’huile pendant cette période. Le Concessionnaire soutient toutefois, sans qu’une preuve prépondérante ne soit présentée, que certains entretiens prévus par le fabricant n’ont pas été effectués. Cet argument n’est pas convaincant. D’ailleurs, le Concessionnaire reconnaît qu’il est particulièrement inhabituel qu’un tel camion subisse de tels dommages après à peine 4 années et 108 000 km d’utilisation.
[19] Or, à partir du moment où Monsieur Nuozzi démontre que le Véhicule ne peut servir à un usage normal pendant une durée raisonnable, on présume que le bien est affecté d’un vice.[19] Il ressort de ce qui précède que le Concessionnaire n’a pas renversé cette présomption.
[20] Le Tribunal conclut donc que Monsieur Nuozzi a établi que le Véhicule est affecté de vices qui font en sorte qu’il ne peut servir à un usage normal pour une durée raisonnable.
[21] Monsieur Nuozzi réclame 12 696,07 $ pour les frais de réparation et d’installation d’un nouveau moteur (11 492,15 $) et 2 203,92 $ en remboursement des mensualités pour le Véhicule et les frais d’assurance payés.
[22] Malgré un interventionnisme plus présent qu’en division régulière et le caractère particulier d’une audience devant la Division des petites créances, le Tribunal ne doit pas faire la preuve des parties.[20]
[23] En effet, la preuve présentée à la Division des petites créances doit répondre aux règles habituelles de preuve. Ainsi, Monsieur Nuozzi doit l'établir de façon prépondérante au moyen d'éléments factuels pertinents en droit et en faits. [21]
[24] La preuve doit donc être soumise lors du procès.[22] En effet, bien que le Tribunal puisse signaler aux parties certaines lacunes et les autoriser à les combler,[23] il ne peut se substituer à eux.[24] Il n’a pas le pouvoir de suppléer à la carence de la preuve.[25]
[25] Or, au procès, bien qu’informé de cette lacune par le Tribunal, Monsieur Nuozzi ne présente aucune preuve de paiement des mensualités qu’il réclame, aucune facture pour les frais d’assurance, ni aucun autre élément matériel de preuve suffisant.
[26] Cet aspect de sa réclamation pécuniaire doit donc être rejeté.
[27] Après avoir constaté les dommages, le Concessionnaire a préparé une soumission.[26] Il évalue à 18 333,16 $ les honoraires et déboursés nécessaires pour remplacer le moteur. Monsieur Nuozzi soustrait de cette somme le montant de 6 841,01$ qui aurait dû être assumé par la Garantie supplémentaire.
[28] Considérant ce qui précède, la réclamation de 11 492,15 $ (18 333,16 $ - 6 841,01 $) de Monsieur Nuozzi est bien fondée.
Pour ces motifs, le Tribunal :
Accueille en partie la Demande ;
Condamne Blainville Chrysler Jeep Dodge à payer à Anthony Nuozzi la somme de 11 492,15 $ plus les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article
Condamne Blainville Chrysler Jeep Dodge à payer à Anthony Nuozzi les frais de justice de 205,00 $.
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__________________________________ Jean-François Mallette, j.c.q. | |
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Date d’audience : | 22 février 2023 |
[1] Pièce P-1.
[2] Pièce P-3.
[3] Paragraphe 7.1 de la Garantie supplémentaire P-3.
[4] Paragraphe 9 de la Garantie supplémentaire P-3.
[5] Clément c. Demers,
[6] Lasalle c. Perreault, 1987 CanLII 547 (QCCA).
[7] Pierre-Gabriel JOBIN,
[8] Fournier c. Bégin, 1981 CanLII 2559 (QCCQ),
[9] Il s'agit d'une action en garantie et non d'une action récursoire : Audet c. Larochelle,
[10] Lasalle c. Perreault, 1987 CanLII 547 (QCCA),
[11] Voir, dans ce sens, Caron c. Centre Routier Inc., 1989 CanLII 1178 (QCCA),
[12] Labrecque c. Roy, 1998 CanLII 11891 (QCCS),
[13] Dorion c. Lehouillier, 1989 CanLII 873 (QCCA),
[14] Loi sur la protection du consommateur, RLRQ c P-40.1, article 37 et 38.
[15] Lebel c. 9325-5438 Québec inc.,
[16] Article
[17] Fortin c. Mazda Canada inc., 2016 QCCA 31.
[18] Lebel c. 9325-5438 Québec inc.,
[19] Fortin c. Mazda Canada inc., 2016 QCCA 31, par, par. 64.
[20] Mouradian c. Syndicat de copropriétaires du 3825 Lévesque Ouest,
[22] 9113-9063 Québec inc. (Toitures Lamontagne) c. Cajelais,
[23] Article
[24] Major c. Cie d'assurances provinces unies,
[25] Technologie Labtronix inc. c. Technologie Micro Contrôle, 1998 CanLII 13050 (QCCA). Voir les par. 41 à 51.
[26] Pièce P-5.
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