Mauger et Location Brossard inc. |
2012 QCCLP 6989 |
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[1] Le 13 décembre 2011, monsieur Charles Mauger (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 7 novembre 2011, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 1er août 2011 refusant sa demande de remboursement pour le remplacement ou la réparation de ses lunettes parce que celles-ci n’ont pas été endommagées involontairement en raison d’un événement imprévu et soudain.
[3] À l’audience tenue à Québec le 29 octobre 2012, le travailleur était présent et représenté par Me Martin Savoie. Location Brossard inc. (l’employeur), bien que dûment convoqué, était absent. La cause est mise en délibéré le même jour.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de lui rembourser le montant pour le remplacement des lunettes endommagées par le fait de son travail dans le cadre de l’article 113 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis que le travailleur a droit au remboursement de l’indemnité maximale payable pour ses lunettes qui ont été endommagées par le fait de son travail en vertu de l’article 113 de la loi.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] Le tribunal doit décider si le travailleur a droit à l’indemnité maximale pour le remboursement du coût de ses lunettes endommagées dans le cadre de son travail conformément à l’article 113 de la loi qui se lit comme suit :
113. Un travailleur a droit, sur production de pièces justificatives, à une indemnité pour la réparation ou le remplacement d'une prothèse ou d'une orthèse au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes et des tissus et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2) endommagée involontairement lors d'un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant par le fait de son travail, dans la mesure où il n'a pas droit à une telle indemnité en vertu d'un autre régime.
L'indemnité maximale payable pour une monture de lunettes est de 125 $ et elle est de 60 $ pour chaque lentille cornéenne; dans le cas d'une autre prothèse ou orthèse, elle ne peut excéder le montant déterminé en vertu de l'article 198.1 .
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1985, c. 6, a. 113; 1992, c. 11, a. 5; 2001, c. 60, a. 166; 2009, c. 30, a. 58.
[7] L’article 113 de la loi ne nécessite pas que le travailleur subisse une lésion professionnelle pour avoir droit à l’indemnité qui y est prévue. En fait cet article vise à indemniser un travailleur qui, sans subir de lésion professionnelle, endommage une prothèse ou une orthèse. Cette disposition exige seulement que le dommage ait été causé involontairement lors d’un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause survenant par le fait du travail exercé par le travailleur.
[8] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que les circonstances décrites par le travailleur dans le présent dossier permettent de conclure que ses lunettes ont été endommagées involontairement lors d’un événement imprévu et soudain.
[9] Le travailleur exerce les fonctions de mécanicien-soudeur pour une entreprise de location de camions et de remorques.
[10] Il exerce ses fonctions pour son employeur depuis environ 13 ans.
[11] Le travailleur dépose, le 19 juillet 2011, une réclamation à la CSST visant le remplacement ou la réparation de ses lunettes pour le motif que celles-ci ont été endommagées en raison de divers travaux de soudure.
[12] Le travailleur porte des lunettes spécialement ajustées à sa vue. Dans ce contexte, il ne peut aucunement utiliser les lunettes de protection fournies par son employeur puisque celles-ci ne sont pas ajustées en fonction de son déficit de vision. Seuls les employés qui n’ont pas de problème de vision peuvent utiliser les lunettes de protection fournies par l’employeur. Quand ces lunettes de protection sont usées ou brisées, il suffit alors à un employé d’en utiliser une autre paire fournie gratuitement par son employeur.
[13] Dans le cas du travailleur, ce dernier doit obligatoirement porter ses lunettes personnelles spécialement ajustées à sa vue.
[14] Pour effectuer la soudure, il porte un casque de soudeur, mais cette protection ne suffit pas à empêcher des particules de métal en fusion et d’autres éclats de métal d’être propulsés sous le casque et atteindre ainsi les verres de ses lunettes.
[15] Lors de l’impact des particules et des pièces de métal en fusion, les lunettes sont irrémédiablement brisées et comportent des traces d’impact de brûlure et des sillons endommageant la qualité du verre.
[16] D’ailleurs, le travailleur a présenté en preuve des lunettes utilisées antérieurement dans son travail et qui comportent manifestement des éclats de soudure et d’autres particules qui les ont endommagées de façon évidente.
[17] Le tribunal souligne également que le travailleur a déjà présenté une réclamation similaire pour le remboursement de lunettes endommagées durant l’année 2007. La CSST a rendu une décision le 17 mai 2007 acceptant le remboursement de sa demande en raison d’un bris de lunette. Le travailleur alléguait dans sa réclamation que les verres des lunettes avaient été brisés et égratignés par l’action de la soudure et du meulage dans le cadre de son travail accompli d’ailleurs chez le même employeur.
[18] Le tribunal est d’avis que les lunettes du travailleur ont été endommagées involontairement au sens de l’article 113 de la loi lors d’une série d’événements imprévus et soudains attribuables à toute cause. Les particules de soudure et projectiles envoyés par l’action du meulage constituent ici un événement imprévu et soudain ayant causé des dommages à ses lunettes.
[19] D’ailleurs dans une affaire très similaire, St-Cyr et A.L.B. Industries ltée[2], le tribunal avait accordé le remboursement des lunettes dans le cadre de l’article 113 de la loi en écrivant :
[8] Il appert de la preuve documentaire que le travailleur est soudeur chez l'employeur, de même que monsieur Romulus qui témoigne à l’audience.
[9] Il appert de la déclaration écrite du travailleur que ses lunettes ont été endommagées par des étincelles de soudure puisque l'employeur ne lui procurait pas de masque ou de lunettes de protection. Le travailleur a fait une demande à cet égard qui est restée lettre morte et il a eu comme réponse que c’est la CSST qui en était responsable. Il ajoute qu’à la suite de sa réclamation à la CSST, la compagnie a décidé de procurer à tous les travailleurs une paire de lunettes de protection.
[...]
[14] L’article 113 de la loi fait état de dommages involontaires lors d’un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause survenant par le fait de son travail. La Commission des lésions professionnelles estime que les lunettes du travailleur n’ont pas été endommagées volontairement par celui-ci. Il a demandé des lunettes de protection à l’employeur qui lui a refusé, malgré son obligation de le faire en vertu de l’article 51 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail. Le travailleur devait donc porter ses propres lunettes pour se protéger. Quant à l’événement imprévu et soudain, il est suivi de l’expression « attribuable à toute cause ». La cause, ici, est le refus de l’employeur de procurer au travailleur des lunettes de protection. La Commission des lésions professionnelles rappelle ici que la loi est une loi à caractère social qui doit être interprétée de façon large et libérale.
[15] Ainsi, l’interprétation de l’expression événement imprévu et soudain a été élargie au cours des ans pour inclure les gestes ou postures non ergonomiques au travail, donc qui comportent un risque, lors de la détermination de l’admissibilité d’un accident de travail.
[16] La Commission des lésions professionnelles retient donc en l’espèce que le travailleur fait de la soudure; que dans ce genre de travail, il peut y avoir des étincelles à l’occasion, ce qui n’en fait pas pour autant une condition normale de travail; que le travailleur travaillait sans protection; qu’il a fait une réclamation pour des lunettes de protection et qu’elles ne lui ont pas été accordées; qu’il portait ses propres lunettes au travail; qu’il a reçu des étincelles de soudure et que ses lunettes ont été ainsi endommagées. Par ailleurs, à la suite de sa réclamation à la CSST, l’employeur a procuré des lunettes de protection à tous les soudeurs.
[17] La réclamation du travailleur rencontre donc les critères de l’article 113 de la loi et dans ces circonstances, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que le travailleur a droit à l’indemnité maximale payable pour ses lunettes prévue en vertu de la loi.
(nos soulignements)
[20] Ces principes sont tout à fait applicables au présent dossier et la demande du travailleur doit être acceptée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la contestation de monsieur Charles Mauger déposée le 13 décembre 2011;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 7 novembre 2011, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que monsieur Charles Mauger a droit en vertu de l’article 113 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, sur production des pièces justificatives, à une indemnité pour la réparation ou le remplacement de ses lunettes tel que demandé.
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Jean-Luc Rivard |
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Me Martin Savoie |
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TEAMSTERS QUÉBEC (C.C. 91) |
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Représentant de la partie requérante |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.