Décision

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Gabarit de jugement pour la cour d'appel

On c. Banque de Montréal

2017 QCCA 1667

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-025814-153

(500-22-200989-138)

 

DATE :

 30 octobre 2017

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

MARK SCHRAGER, J.C.A.

PATRICK HEALY, J.C.A.

 

 

ARCHAT ON

APPELANTE - défenderesse

c.

 

BANQUE DE MONTRÉAL

INTIMÉE - demanderesse

et

LES PRÊTS MONT-VAL INC.

MISE EN CAUSE  - adjudicataire

et

L’OFFICIER DE LA PUBLICITÉ DES DROITS DE LA CIRCONSCRIPTION DE MONTRÉAL

et

SHÉRIF DU DISTRICT DE MONTRÉAL

MIS EN CAUSE

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           La signification par remise en mains propres à son destinataire présente des vertus. Tenant compte de la vie active des uns et des autres, notamment des horaires normaux de travail, choisir l’heure à laquelle l’effectuer revêt une importance indéniable. Certaines périodes de la journée présentent de meilleures chances de réussite : les avocats qui confient des mandats de signification et les huissiers qui les exécutent ne devraient jamais l’oublier.

[2]           En l’espèce, la signification effectuée en matinée (à 11 h 05) n’a pas été faite en mains propres, mais plutôt par un intermédiaire, à un adolescent résidant au même endroit que la destinataire (au fils de celle-ci), ce qui donne lieu à la controverse dont la Cour du Québec et cette Cour ont été saisies.

[3]           L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 3 décembre 2015[1] par la Cour du Québec, district de Montréal (l’honorable Brigitte Gouin - « la juge ») qui rejette sa requête en opposition afin d’annuler une saisie-exécution immobilière et le décret y relatif aux termes des articles 674, 698 et 700 a.C.p.c.[2].

[4]           Selon l’appelante, une intervention de la Cour est requise aux fins d’annuler la saisie-exécution et le décret en découlant en raison des quatre erreurs suivantes que la juge aurait commises :

·        appliquer les articles 2818 C.c.Q. et 232 a.C.p.c. à l’analyse de la capacité de son fils Jimmy Ye de recevoir signification des procédures de saisie ;

·        omettre de statuer de manière objective sur la capacité d’un mineur de 13 ans de recevoir signification de procédures judiciaires à titre de « personne raisonnable » au sens de l’article 123 a.C.p.c. ;

·        inférer, depuis la preuve administrée, que Jimmy Ye était une « personne raisonnable » au sens de l’article 123 a.C.p.c. ;

·        omettre de se prononcer sur le fait que l’appelante ait eu connaissance ou non de la saisie-exécution effectuée.

[5]           L’appelante se méprend.

[6]           La juge n’a commis aucune erreur susceptible de donner lieu à une intervention.

[7]           À bon droit, la juge retient que les articles 232 a.C.p.c et 2818 C.c.Q sont pertinents à son analyse des questions en litige : (1) le recours exercé par l’appelante est celui que prévoit l’article 232 a.C.p.c., alors que l’appelante cherche à obtenir une déclaration de fausseté ou d’inexactitude du procès-verbal de saisie-exécution de l’huissier ; (2) bien que toutes les énonciations contenues au procès-verbal de l’huissier ne portent pas sur des faits qu’il avait mission de constater, il n’en demeure pas moins que ce procès-verbal est un acte authentique (art. 2813 C.c.Q.) auquel s’applique l’article 2818 C.c.Q.

[8]           Ces mentions n’ont pas la portée que l’appelante leur attribue, soit que la juge lui aurait imposé un fardeau de preuve plus lourd que ce que prévoit le Code civil en exigeant qu’elle « prouve la fausseté de la mention « personne raisonnable » inscrite au-procès-verbal, eu égard à la force probante que la loi confère à tels actes, alors que la contestation portait sur des faits contenus à cette mention et dont l’exactitude n’est supportée par aucune présomption d’authenticité », comme il est écrit au paragraphe 26 de son mémoire.

[9]           Le jugement dont appel ne doit pas être lu en vase clos, comme si le jugement antérieur rendu par la juge le 2 mars 2015[3], à la suite d’une objection à la preuve testimoniale, n’existait pas. Dans ce jugement, alors que l’appelante plaide que le bref d’exécution et l’exemplaire du procès-verbal de saisie ne lui ont pas été valablement signifiés, car ils furent signifiés à son fils de 13 ans qui, selon elle, n’est pas une « personne raisonnable » au sens de l’article 123 a.C.p.c., et que la juge doit décider si le témoignage de l’appelante est recevable en preuve pour contester cette énonciation du procès-verbal de l’huissier, la juge écrit :

[15]      Les principes établis par la Cour d’appel dans Cléroux c. Wong ont été repris dans Tecno Métal inc. c. Bilong, où le Tribunal précise que la capacité d’une personne qui reçoit signification d’une procédure n’est pas un fait que l’huissier constate, mais une conclusion qu’il tire d’un fait constaté :

Par ailleurs, bien que le procès-verbal d'un huissier soit un acte authentique, les mentions dans son procès-verbal concernant la qualité ou la capacité de la personne à qui une procédure a été signifiée ne sont pas un fait constaté par l'huissier, mais une conclusion tirée d'un fait qu'il a constaté. Il s'ensuit que la preuve contraire est admise, dont la preuve testimoniale.

[…]

[20]      Il faut faire la distinction entre les moyens de contester des faits que l’officier public a pour mission de constater (article 145 du Code de procédure civile) et les éléments qu’il a simplement pour mission d’inscrire, lesquelles peuvent être contredites selon les règles ordinaires de la preuve.

[21]      À la lumière de la jurisprudence consultée, il serait légitime d’affirmer que la capacité de discernement de l’enfant à qui ont été remises les procédures peut être contestée par preuve testimoniale.

[22]      Dans Saratoga Construction Ltd. c. Grenache, il s’agit ici d’une procédure qui devait être signifiée à une corporation. L’huissier a signifié le Bref à la réceptionniste, qui n’était pas une personne en autorité. La Cour d’appel dans cette affaire, précise que l’inscription en faux à l’encontre du procès-verbal de l’huissier n’est nécessaire que pour contredire les faits qu’il doit constater. Puisque la question à savoir si la réceptionniste est une personne « en charge » s’agissait d’un fait qui échappe à la compétence de l’huissier, c’est par preuve testimoniale que peut être contredite l’affirmation selon laquelle la signification fut faite à une personne « en charge ».

[23]      C’est ce que déclarent aussi les auteurs Denis Ferland et Benoît Emery :

La jurisprudence a précisé que la contestation de procès-verbal n'était pas nécessaire et que la preuve testimoniale devait être permise à l'encontre de l'énonciation d'un fait, dans un procès-verbal qui échappait à la compétence de l'officier et qu'il n'avait pas pour mission de constater. Toutefois, la jurisprudence a notamment établi la nécessité de la contestation d'un procès-verbal, dans le cas d'une requête en rétractation de jugement en contradiction avec un procès-verbal de signification au dossier de la cour, et elle a reconnu le bien-fondé d'une requête pour contester l'exactitude du procès-verbal d'un huissier déclarant que la signification avait été impossible à la place d'affaires de la requérante, à une date et heure précises, vu que toutes les portes étaient verrouillées et que personne ne s'est présenté pour répondre, ou pour contester l'exactitude d'un procès-verbal de signification en ce que le tiers saisi n'était pas identifié et n'était pas en possession des biens saisis.

[24]      Vu ce qui précède, le Tribunal est d’opinion que le témoignage de la requérante, Mme Archat On est recevable;

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

REJETTE l’Objection à la preuve de la demanderesse, Banque de Montréal et de la mise en cause, Les Prêts Mont-Val inc.

LE TOUT, sans frais.

[Références omises, soulignements dans l’original]

[10]        La juge est donc bien consciente qu’il y a dans le procès-verbal de l’huissier des énonciations de faits qu’il avait mission de constater et d’autres énonciations.

[11]        Dans le jugement dont appel, la juge s’exprime tant à l’égard des unes que des autres et séparément.

[12]        Aux paragraphes 7, 9 et 10 de ce jugement, la juge conclut au sujet de la prétention de fausseté du procès-verbal dans son intégralité. Elle affirme que l’appelante ne s’est pas déchargée du fardeau de démontrer la fausseté des énonciations des faits que l’ huissier avait mission de constater, soit celles portant sur le lieu, la date et l’heure où la signification a été faite et sur le nom de la personne à laquelle la copie de l’acte a été laissée (art. 145 a.C.p.c.) : elle retient que la prépondérance de la preuve établit que Jimmy Ye a bel et bien reçu signification des procédures.

[13]        Au paragraphe 11, la juge traite d’une conclusion tirée par l’huissier lors de sa signification, soit que Jimmy Ye était une « personne raisonnable » à qui il pouvait signifier et elle explique pourquoi, malgré son âge (13 ans), Jimmy est et doit être considéré, en l’espèce, comme une « personne raisonnable » au sens de l’article 123 a.C.p.c.

[14]        À la lecture du jugement dont appel et de la preuve administrée, bien que la juge ne se soit pas exprimée davantage au sujet de la crédibilité des témoins entendus ou de la fiabilité de leurs propos, ce qui aurait été souhaitable, il est manifeste que la juge accorde peu de fiabilité aux propos de l’appelante, mais une valeur probante indéniable à ceux de l’huissier.

[15]        L’appelante ne démontre pas que la juge a erré, bien au contraire, alors qu’il nous faut constater de la preuve administrée ce qui suit :

·        l’appelante affirme et répète ne pas se souvenir d’avoir reçu, par signification ou autrement selon le cas, des lettres ou des procédures (notamment la requête introductive d’instance à l’origine du jugement la condamnant à rembourser à l’intimée des sommes dues et donnant lieu à la saisie-exécution immobilière contestée), alors que la preuve documentaire en démontre positivement la remise ou la signification;

·        au moment de la signification en litige, l’huissier Jean Jobin possédait 31 années d’expérience à titre d’huissier, une profession dont les conditions d’exercice sont régies par la Loi sur les huissiers de justice[4] et ses règlements, dont le Code de déontologie des huissiers de justice[5] et le Règlement sur la formation continue obligatoire des huissiers de justice[6], ainsi que par le Code des professions[7].

[16]        La Loi sur les huissiers de justice et le Code de déontologie des huissiers de justice prévoient notamment :

 

Loi sur les huissiers de justice

 

8. Constitue l’exercice de la profession d’huissier tout acte qui a pour objet de signifier les actes de procédure émanant de tout tribunal, de mettre à exécution les décisions de justice ayant force exécutoire et d’exercer toute autre fonction qui est dévolue à l’huissier en vertu de la loi ou par un tribunal.

 

11. L’huissier ne peut, relativement à l’exercice de sa profession, se désigner autrement que comme huissier de justice ou huissier.

 

12. L’huissier doit exercer ses fonctions de façon impartiale. Le fait de donner des renseignements à un justiciable ne constitue pas un acte de partialité.

 

 

 

Code de déontologie des huissiers de justice

 

1. Outre ce qui est prévu à l’article 12 de la Loi sur les huissiers de justice (chapitre H-4.1), la conduite de l’huissier doit être empreinte d’objectivité, de respect, de modération et de dignité. L’huissier doit agir de manière à éviter toutes méthodes et attitudes susceptibles de nuire à l’honneur et à la dignité de sa profession.

 

2. L’huissier doit s’acquitter de ses activités professionnelles avec intégrité.

 

3. L’huissier doit exercer sa profession selon les normes de pratique généralement reconnues. À cette fin, il maintient à jour ses connaissances et prend les moyens pour les perfectionner et les développer.

 

Court Bailiffs Act

 

8. The practice of the profession of bailiff consists of any act the object of which is to serve written proceedings issuing out of any court, to execute judicial decisions that are executory and to perform any other duty assigned to a bailiff by law or by a court.

 

 

11. No bailiff may, in the practice of his profession, refer to himself otherwise than as a court bailiff or bailiff.

 

 

12. A bailiff must perform his duties without partiality. The giving of information to any person who is a party to legal proceedings does not constitute an act of partiality.

 

 

 

Code of ethics of bailiffs

 

 

1. In addition to the requirement of section 12 of the Court Bailiffs Act (chapter H-4.1), bailiffs must act in a manner that is objective, respectful, moderate and dignified. They must refrain from using methods and attitudes likely to adversely affect the honour and the dignity of their profession.

 

 

2. Bailiffs must carry out their professional activities with integrity

 

 

3. Bailiffs must practise their profession according to generally recognized standards and practices. To that end, bailiffs shall continue to update their knowledge and take the necessary means to upgrade and develop that knowledge.

 

[17]        Au cours de son témoignage, l’huissier Jean Jobin confirme l’ensemble du contenu de son procès-verbal de signification qui donne lieu au débat, l’importance du geste de signifier et tout le sérieux qu’il lui accorde. Il affirme, selon sa pratique usuelle et comme il le fait toujours, s’être identifié comme huissier de justice et avoir remis les procédures en précisant qu’il s’agissait d’un document légal à remettre sans faute à la destinataire. Il confirme suivre chaque année la formation permanente obligatoire, exercer la profession d’huissier depuis 31 ans (au moment de la signification contestée), signifier entre 10 et 20 procédures chaque jour et ne jamais avoir été l’objet d’une plainte déposée auprès de la Chambre des huissiers.

[18]        Dans ce contexte, l’appelante est mal venue de reprocher à la juge d’avoir retenu que le procès-verbal de signification rédigé par l’huissier Jean Jobin avait une valeur probante indéniable.

[19]        En l’espèce, l’extrait pertinent de l’article 123 a.C.p.c. est ainsi rédigé :

123. La signification de la requête introductive d’instance ou de tout autre acte de procédure se fait par la remise d’une copie de l’acte à l’intention de son destinataire.

 

La signification peut être faite à personne, en remettant copie de l’acte en mains propres à son destinataire, où qu’il se trouve; elle peut être faite à domicile, en laissant la copie au domicile ou à la résidence du destinataire, aux soins d’une personne raisonnable et qui y réside.

 

[Soulignement ajouté]

123. Service of a motion to institute proceedings or of any other written proceeding is made by leaving a copy of the proceeding for the person for whom it is intended.

 

Personal service may be made by handing a copy of the proceeding to him in person, wherever he may be; domiciliary service may be made by leaving the copy at his domicile or residence, with a reasonable person residing therein.

 

 

[Emphasis added]

[20]        Laisser la copie de l’acte de procédure au domicile du destinataire, aux soins d’une personne raisonnable et qui y réside, constitue la remise d’une copie de l’acte à l’intention de son destinataire, soit une signification valide.

[21]        Les procédures ont été remises à Jimmy Ye, le fils de l’appelante âgé de 13 ans qui réside avec elle et à son domicile.

[22]        En raison du contenu de la preuve administrée, la juge a retenu que Jimmy Ye était une personne raisonnable au sens de l’article 123 a.C.p.c., écrivant notamment au paragraphe 11 de son jugement :

[11]      Le témoignage de Jimmy Ye, fils de la défenderesse, fut écouté avec attention. Le Tribunal fut à même de constater que celui-ci a la faculté de penser, peut agir conformément aux principes enseignés par sa mère du bien et du mal, s’exprime bien, réussit bien à l’école, particulièrement en mathématiques. Il est capable de bien comprendre les conséquences de ses gestes. De plus, le Tribunal souligne que Mme On elle-même considérait que son fils avait la maturité requise pour demeurer seul à la maison à son retour de l’école pour effectuer ses devoirs, jouer à l’ordinateur, etc. en attendant l’arrivée de celle-ci après une journée de travail.

[23]        L’appelante ne nous convainc pas que la juge a commis une erreur en concluant de la sorte.

[24]        À l’article 123 a.C.p.c., le législateur n’a pas choisi d’écrire que la copie devait être remise à une personne majeure, mais à une personne raisonnable.

[25]        Les extraits suivants de l’ouvrage La responsabilité civile offrent un éclairage pertinent aux fins de circonscrire la portée de cette expression « personne raisonnable » :

L’imputabilité stricto sensu est comprise d’un point de vue subjectif, psychologique, « comme l’aptitude d’une personne à discerner les conséquences de ses actes ». C’est ainsi que l’entend le législateur québécois lorsqu’il pose, à l’article 1457 C.c. l’exigence que l’auteur d’un préjudice soit doué de raison afin d’être obligé à l’indemniser. Cette exigence repose sur l’idée du reproche, de la nécessaire condamnation morale. Une personne ne peut être responsable d’un préjudice que si elle avait conscience de ses gestes.

(…)

Si l’imputabilité d’une personne physique réfère au sens subjectif et soulève la question de la responsabilité éventuelle des enfants et des personnes privées de raison (…)

A.    Enfants

 1-111 - Critère de discernement - Il est difficile d’apprécier de façon sûre et objective l’âge minimum auquel l’enfant acquiert la faculté de discernement. La jurisprudence québécoise a refusé d’adopter le critère du droit pénal qui édicte une irresponsabilité totale jusqu’à l’âge de 12 ans. Elle a préféré un régime plus souple et laisse donc au juge le soin d’évaluer, en tenant compte des circonstances de l’espèce, l’aptitude de l’enfant à commettre une faute civile. On observe cependant que, dans l’ensemble, c’est vers l’âge de 7 ans que les tribunaux civils situent celle-ci, ce chiffre n’ayant cependant rien d’absolu. Le juge a la tâche, en effet, de jauger le développement mental particulier à chaque enfant, sa précocité et l’éveil de son intelligence. En pratique, la conduite de l’enfant doit être estimée par rapport à celle qu’aurait eue un enfant du même âge normalement prudent et diligent, placé dans les mêmes circonstances. (…)

B.   Personnes privées de raison

1-115- Aliénation naturelle - La personne privée de raison, et donc dans l’impossibilité de juger des actes qu’elle pose et de leurs conséquences, ne peut être tenue responsable du préjudice qu’elle cause. (…)

LES CRITÈRES D’APPRÉCIATION DE LA FAUTE EXTRACONTRACTUELLE

(…)

1-195- Critère du modèle abstrait - L’appréciation in abstracto retenue par le droit civil permet, au contraire, de répondre à ces objections. La faute civile extracontractuelle est constituée par l’écart séparant le comportement de l’agent de celui du type abstrait et objectif de la personne raisonnable, prudente et diligente, du bon citoyen (du « bon père de famille », disait-on auparavant). Ce modèle abstrait n’exige pas une infaillibilité totale de la conduite humaine et donc le comportement d’une personne douée d’une intelligence supérieure et d’une habileté exceptionnelle, capable de tout prévoir et de tout savoir et agissant bien en toutes circonstances. Ce serait, en effet, paralyser toute activité et faire peser sur chacun une responsabilité de tout instant. La personne est faillible et l’erreur est humaine. (…) Chercher la faute revient donc à comparer la conduite de l’agent à celle d’une personne normalement prudente et diligente, douée d’une intelligence et d’un jugement ordinaires, et à se demander si  (…). La notion (…) de « personne raisonnable » varie selon des impératifs de temps et de lieu. Les changements sociaux, l’évolution des mœurs affectent la physionomie générale de ce modèle, constamment façonné par l’appréciation souveraine qu’en font les tribunaux, dans chaque cas particulier.[8]

                                                                        [Caractères italiques dans l’original]

 

[26]        En matière familiale, dans les dossiers où la question en jeu porte sur la garde ou les droits d’accès qui le concernent, la jurisprudence veut que le désir exprimé par un enfant âgé de 12 ans et plus, lorsque la décision est libre et éclairée (prise par une « personne raisonnable », pourrait-on dire), soit largement déterminant et qu’il ne puisse être ignoré[9]. Ce principe a même été retenu à l’égard d’enfants plus jeunes, la Cour écrivant par exemple dans le cas d’une enfant de 11 ans :

Le choix de l’enfant n’est certes pas un facteur exclusif de détermination de son gardien. Il s’agit, cependant, d’un critère important, surtout lorsque ce choix est exprimé, comme dans le présent cas, par une enfant bien articulée, dont tous les témoins vantent les qualités intellectuelles, et qu’il n’est pas capricieux.[10]

[27]        Le dictionnaire de droit québécois et canadien propose la définition suivante de l’expression « personne raisonnable » : une « personne ayant la faculté de penser, de porter un jugement et d’agir conformément à des principes »[11].

[28]        Force est d’admettre qu’une personne majeure n’est pas nécessairement une « personne raisonnable », alors qu’il n’est pas requis d’être majeur pour en être une.

[29]        Un enfant peut donc être une « personne raisonnable » à qui remettre une procédure judiciaire à l’intention de son destinataire. Avant de remettre la procédure à une personne, qu’elle soit enfant, adolescent ou adulte (mineure ou majeure), l’huissier doit porter un jugement (cette personne se qualifie-t-elle de « personne raisonnable »?). Puisque ce jugement est matière d’opinion, il ne s’agit pas « d’un fait que l’huissier a mission de constater », mais de l’exercice d’une vérification liée à sa responsabilité professionnelle. Cette opinion peut être contestée et, comme la juge l’a décidé dans le jugement rendu le 2 mars 2015 (voir le paragr.[9] des présents motifs), la preuve testimoniale est admissible à cette fin.

[30]        En l’espèce, la juge a vu et entendu les témoins, dont Jimmy Ye.

[31]        Pour décider s’il y avait lieu de retenir que Jimmy Ye était une « personne raisonnable » au moment pertinent, la juge devait se livrer à un exercice d’analyse des faits mis en preuve. Dans ce contexte, sa conclusion voulant que Jimmy Ye le fût, comme l’avait mentionné l’huissier Jean Jobin dans son procès-verbal, mérite déférence.

[32]        Cette déférence s’impose d’autant que la preuve administrée comporte :

·        la reconnaissance par l’appelante des caractéristiques suivantes de son fils Jimmy au moment de la signification en litige :

o   Il parle le français, fréquente l’école française et comprend bien l’anglais.

o   En plus de lui servir régulièrement d’interprète ou de traducteur, puisque ses connaissances de ces langues sont inexistantes ou limitées bien qu’elle habite au Québec depuis 1991, il a lui-même rempli les formulaires d’inscription requis aux fins de fréquenter l’école secondaire de sa localité.

o   Il comprend bien les règlements en vigueur à son école.

o   Il est très doué en mathématiques.

o   Il a de bonnes valeurs.

o   Il est très sage.

·        les propos suivants de l’huissier Jean Jobin qui illustrent qu’il s’est livré à une analyse de la situation sans tenir pour acquis qu’il était en présence d’une personne raisonnable :

Extraits de l’interrogatoire en chef

Q.        Parfait. Alors, on comprend de ce rapport de signification là qu’il est important de signifier à une personne raisonnable, alors vous en tant que huissier quels sont vos critères finalement pour établir qu’effectivement il s’agit bien d’une personne raisonnable ?

R.        Pour déterminer si premièrement une personne est raisonnable, faut premièrement savoir si la personne réside là. Ça c’est la première chose. Il faut que ce soit une personne raisonnable qui y réside. Donc…Après ça, quand que …Dans … Dans le cas…Ici, je me souviens pas à cent …même …même pas, à cinquante pour cent (50%), c’est quand même voilà deux (2) ans et puis il y a beaucoup d’eau qui a coulé sous le pont, mais mes habitudes sont de demander, premièrement, la dame, la … la défenderesse, dans ce cas-ci madame On.

Suite à une demande, je dois à ce moment-là comprendre, là, la réponse de la personne et puis il faut que je comprenne le lien de parenté. Quand que … Dans le cas plus précis, là, de …quand que c’est une personne qui est … qui semble être adolescent, je vais demander premièrement si on peut …Premièrement, s’il est la personne la plus âgée à la maison. C’est la première question que je vais lui poser. Après ça, je vais lui demander si … Dans ce cas-ci, je lui aurais demandé si sa mère était disponible, rejoignable par téléphone. Dans le cas échéant qu’il me dise oui, bon, bien, je l’aurais appelée immédiatement pour lui expliquer, là, la nature justement du document.

[…]

R.        En plus de ça, pour savoir aussi s’il est raisonnable, une personne raisonnable qui y réside, je considère que premièrement la personne est seule au domicile. Faut faire abstraction au niveau … Moi, en tout cas, de la façon que je le vois, c’est qu’il peut être la seule personne au domicile, mais il est avec une gardienne. Donc, la … Ça veut dire ça automatiquement que le parent ne trouve pas qu’il est assez raisonnable pour rester seul et ouvrir la porte, mais dans le cas contraire, je crois que c’est une personne raisonnable.

Extrait du contre-interrogatoire

Q.        … le seul examen pour déterminer si la personne était raisonnable auquel vous vous prêtez, est de savoir si l’enfant est seul à la maison ou non.

R.        Ce n’est pas ce que j’ai dit, si l’enfant est seul à la maison. Parce que la chose qui a, c’est que vous pouvez avoir un enfant qui a sept (7) ans qui est à la maison, mais ça veut pas dire qu’à ce moment-là, il est raisonnable. Là, à ce moment-là, on parle de quelqu’un d’irraisonnable qui l’a laissé tout seul.

[33]        La signification effectuée étant valide et l’appelante n’ayant aucun autre moyen lui permettant de contester avec succès, le cas échéant, la saisie-exécution immobilière et le décret en découlant, il y a lieu de rejeter l’appel.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[34]        REJETTE l’appel, sans frais de justice eu égard à la nature de la question à décider.

 

 

 

 

 

 

 

 

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

 

 

 

 

 

 

 

 

MARK SCHRAGER, J.C.A.

 

 

 

 

 

 

 

 

PATRICK HEALY, J.C.A.

 

 

 

Me Giacomo Zucchi

 

SYLVESTRE PAINCHAUD ET ASSOCIÉS

 

Pour l’appelante

 

 

 

Me Nicolas Héon Bourgeois

 

BÉLANGER SAUVÉ

 

Pour l’intimée

 

 

 

Me Xavier Laforce-Brunet

 

BRUNET GREISS

 

Pour Les Prêts Mont-Val inc.

 

 

 

Date d’audience :

27 septembre 2017

 

 



[1]     2015 QCCQ 14948.

[2]     Le délai maximal de 6 mois prévu à l’article 700 a.C.p.c. a expiré le jour où cette requête est introduite devant la Cour du Québec par l’appelante, ce que l’avocat de celle-ci reconnaît lors des observations orales devant la Cour le 27 septembre 2017. En effet, l’adjudication a eu lieu le 25 février 2014, alors que la demande d’annulation du décret n’est introduite que le 29 août 2014 (soit après plus de 6 mois). Dans ces circonstances, seule une nullité absolue de la signification de la saisie-exécution dont le décret découle pourrait donner ouverture à son annulation — à l’audience, l’avocat de l’appelante le concède. Garcia Transport Ltée c. Cie Trust Royal, [1992] 2 R.C.S. 499, p. 541.

[3]     2015 QCCQ 2574.

[4]     RLRQ., c. H-4.1.

[5]     RLRQ., c. H-4.1, r.3.

[6]     RLRQ., c. H-4.1, r.9.

[7]     RLRQ, c. C-26, tel que le prévoit la Loi sur les huissiers de justice, RLRQ, c. H-4.1, art. 3.

[8]     Baudouin, Jean-Louis, Deslauriers, Patrice et Moore, Benoît, La responsabilité civile, 8e éd., volume 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014,p. 91, 94-95, 97, 189-192.

[9]     Droit de la famille - 15754, 2015 QCCA 650, paragr. 8 ; Droit de la famille — 07832; 2007 QCCA 548, par. 30, 38.

[10]    Droit de la famille - 1883, J.E. 93-1846 (C.A.).

[11]    Hubert Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien, édition abrégée, Montréal, Wilson & Lafleur, 2016.

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