Décision

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Chauvin c

Chauvin c. Beaucage

2008 QCCA 922

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-017869-074 / 500-09-018256-073 / 500-09-018257-071

(500-80-005534-053 / 500-80-005535-050 / 500-80-005708-053 /
500-80-005709-051)

(2004-01-01 (C) / 2004-01-02 (C))

 

DATE :

 20 mai 2008

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

JOSEPH R. NUSS J.C.A.

ANDRÉ ROCHON J.C.A.

ALLAN R. HILTON J.C.A.

 

 

 

 500-09-017869-074

(500-80-005534-053 et 500-80-005535-050)

 

CAROLE CHAUVIN, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

APPELANTE (appelante - plaignante)

c.

 

BENOÎT BEAUCAGE

et

LUCILLE PAGEAU

INTIMÉS (intimés - intimés)

______________________________________________________________________

 

 500-09-018256-073

(500-80-005708-053)

 

CAROLE CHAUVIN, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

APPELANTE (plaignante)

c.

 

CLAUDE DUCHARME

INTIMÉ (intimé)

______________________________________________________________________

 

 500-09-018257-071

(500-80-005709-051)

 

CAROLE CHAUVIN, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

APPELANTE (plaignante)

c.

 

CLAUDE DUCHARME

INTIMÉ (intimé)

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                LA COUR; - Statuant sur les appels de deux jugements rendus le 19 novembre 2007 par la Cour du Québec, district de Montréal (l'honorable Michel Pinsonnault) et d'un jugement rendu le 18 juin 2007 par la Cour du Québec, district de Montréal (l'honorable Diane Quenneville) qui ont rejeté les appels du syndic de la Chambre de l'assurance de dommages;

[2]                Après avoir étudié les dossiers, entendu les parties et délibéré;

[3]                Pour les motifs du juge André Rochon, auxquels souscrivent les juges Joseph R. Nuss et Allan R. Hilton;

[4]                REJETTE les appels avec dépens.

 

 

 

 

JOSEPH R. NUSS J.C.A.

 

 

 

 

 

ANDRÉ ROCHON J.C.A.

 

 

 

 

 

ALLAN R. HILTON J.C.A.

 

Me Claude G. Leduc

MERCIER, LEDUC

Pour l'appelante

 

Me Jean-Paul V. Morin

TREMBLAY, BOIS, MIGNAULT & LEMAY

Pour les intimés

 

Date d’audience :

 26 février 2008


 

 

MOTIFS DU JUGE ROCHON

 

 

[5]                Il s'agit d'un second appel du syndic de la Chambre de l'assurance de dommages (le syndic) pour faire casser trois décisions prononcées par autant de Comités de discipline qui avaient rejeté des plaintes logées à l'encontre de trois courtiers en assurance de dommages.

[6]                Dans un premier temps, le syndic avait interjeté des appels de plein droit devant la Cour du Québec[1].  Ces appels furent rejetés à l'occasion de trois jugements de la Cour du Québec.  Le syndic se pourvoit maintenant à l'encontre de ces trois jugements après avoir obtenu l'autorisation d'un juge de la Cour.

[7]                Les pourvois soulèvent un certain nombre de questions qui sont communes.  La première a trait à la responsabilité déontologique des représentants en assurance de dommages à l'égard d'un employé, à qui la loi reconnaît le droit de poser certains actes réservés au courtier ou à l'agent.  Comme je l'examinerai plus loin, la loi reconnaît des droits acquis à ces employés depuis l'entrée en vigueur de la Loi sur les courtiers d'assurances[2] (L.C.A.).

[8]                La seconde question est liée à la première.  Elle porte sur l'application de la théorie de l'alter ego en droit disciplinaire.  La troisième a trait à l'applicabilité de la défense de diligence raisonnable et au fardeau de preuve qui en découle.

[9]                De leur côté, les intimés soumettent que certaines conclusions factuelles retenues par les Comités de discipline font obstacle à l'étude de ces questions communes.  Dès lors, il y a lieu de reprendre les faits essentiels et le cheminement disciplinaire de chaque affaire.  Je le ferai en fonction de chaque assuré impliqué.

 

 

L'ASSURÉ DÉRY

 

 

[10]           Roger Déry (Déry) détenait depuis le 7 août 1998 une police d'assurance pour son automobile de marque Nissan.  Lucie De Nobile (De Nobile) est une employée du cabinet Beaucage-Corbeil assurances inc.  En tout temps pertinent, elle a la charge du dossier Déry.  À l'été 2001, De Nobile informe Déry qu'elle a obtenu une couverture d'assurance pour son véhicule auprès de la Missisquoi.  Le 7 août 2001, Déry paie la prime au cabinet du courtier et on lui remet un certificat d'assurance.

[11]           En mai 2002, Déry, n'ayant toujours pas reçu sa police d'assurance, communique avec la Missisquoi.  Il apprend alors de l'assureur qu'aucune protection d'assurance ne fut émise pour son véhicule à compter du 7 août 2001.

[12]           Le syndic dépose deux plaintes disciplinaires, l'une contre Benoît Beaucage courtier en assurance de dommages, président et administrateur unique du cabinet et, l'autre, contre Lucille Pageau, également courtier en assurance de dommages et supérieure immédiate de De Nobile.  Dans les deux dossiers, les deux chefs d'infraction qui demeurent en litige sont ainsi rédigés :

 

Du mois de juin 2001 au mois de juin 2002, a négligé ou permis que soient négligés ses devoirs professionnels reliés à l'exercice de ses activités en ne voyant pas à obtenir pour l'assuré, monsieur Roger Déry, une protection d'assurance automobile pour son véhicule 1996 Nissan Quest, laissant ainsi l'assuré sans protection du 7 août 2001 au 21 mai 2002, le tout en contravention avec la Loi sur la distribution de produits et services financiers et le Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, notamment les articles 2, 9, 26 et 37(1) dudit code;

Du mois de juin 2001 au mois de juin 2002, a fait défaut de rendre compte ou permis que l'on fasse défaut de rendre compte de l'exécution du mandat reçu de l'assuré, monsieur Roger Déry, suite à la signature d'une proposition d'assurance automobile auprès de Missisquoi Compagnie d'assurances, en laissant l'assuré dans l'ignorance de l'état de son dossier, le tout en contravention avec la Loi sur la distribution de produits et services financiers et le Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, notamment les articles 2, 9, 26 et 37(4) dudit code;

 

[13]           Pour des motifs identiques, le Comité de discipline (le Comité) rejette les deux plaintes.  Sur le premier chef, le Comité conclut que Déry était, de fait, assuré pendant la période en cause puisque le contrat entre l'assureur et le courtier accordait à ce dernier le pouvoir de lier l'assureur, ce qui fut fait par De Nobile et, qu'au surplus, il n'y a eu aucune négligence de la part du courtier et de ses employés.  Une seconde conclusion factuelle amène le Comité à rejeter la plainte pour le deuxième chef.  Le Comité conclut que la preuve du défaut de rendre compte n'avait pas été faite.

[14]           Saisie des appels logés à l'encontre des décisions du Comité, la Cour du Québec identifie la norme de contrôle applicable aux questions soulevées par l'appel.  Après une analyse relative à cette norme, la juge Quenneville convient qu'il y a lieu de faire preuve de retenue à l'égard des deux premières questions :

 

a) L'assuré fut-il laissé sans protection d'assurance ?

 

b) A-t-on fait défaut de rendre compte ?

 

[15]           Pour la juge, malgré leur apparence, ces questions soulèvent des questions mixtes de fait et de droit et l'appel sur ces questions ne peut réussir que s'il est démontré que la décision est déraisonnable simpliciter.  Il s'agit de la norme souvent retenue lorsqu'il existe un droit d'appel de plein droit à l'encontre d'un tribunal spécialisé[3].

[16]           Comme le Comité ne s'est pas prononcé sur l'application de la théorie de l'alter ego en droit disciplinaire (troisième question), la juge conclut qu'aucune norme de contrôle ne s'applique à cette question puisqu'elle devra la trancher pour la première fois.

[17]           À la suite d'une analyse de la preuve, la juge Quenneville conclut que l'assuré fut laissé sans protection d'assurance pour la période en cause.  Elle retient de son examen des faits et du droit, plus précisément des témoignages de Beaucage et Pageau et du représentant de la Missisquoi, que le cabinet n'utilisait pas la mécanique prévue au contrat (courtier-assureur) pour lier l'assureur, et ce, en raison de difficultés informatiques.  À cet égard, le Comité aurait rendu une décision déraisonnable puisqu'elle n'était étayée par aucune preuve.

[18]           Sur le deuxième chef, la juge conclut que la décision du Comité est également déraisonnable.  Cette conclusion de la juge est reliée à sa conclusion précédente sur le premier chef (absence de couverture d'assurance).

[19]           La juge Quenneville rejette tout de même les appels.  Dans un premier temps, la juge reconnaît l'existence en droit disciplinaire de la théorie de l'alter ego aux termes de laquelle le professionnel, qui délègue à un employé un acte qui lui est réservé, répond en discipline de la faute de son employé.  Puis, la juge examine le statut de De Nobile à qui la loi confère le pouvoir de poser des actes réservés aux courtiers en dommages.  Elle conclut que le courtier n'est pas responsable en droit disciplinaire de ce type d'employé.  Seul ce dernier, qui bénéficie des privilèges que lui reconnaît la loi, doit répondre en déontologie.

[20]           En obiter, la juge de la Cour du Québec ajoute que si elle avait appliqué la théorie de l'alter ego, elle aurait tout de même rejeté les appels.  Elle se dit d'avis que la conclusion du Comité sur l'absence de négligence des courtiers prend appui dans la preuve et n'est pas déraisonnable.

[21]           Il y a lieu de trancher immédiatement le moyen préliminaire soulevé par les intimés pour ce dossier.  Ce moyen est le suivant : la juge de la Cour du Québec s'est trompée lorsqu'elle a conclu que le Comité de discipline avait erré de façon déraisonnable au sujet de la couverture d'assurance.

[22]           La juge d'appel parvient à cette conclusion à la suite d'une analyse de la preuve. Il n'y a, selon elle, aucune assise dans la preuve pour étayer la conclusion principale du Comité de discipline quant à la couverture d'assurance.  Dès lors, la décision du Comité est déraisonnable.

[23]           La juge fait spécifiquement référence aux témoignages des intimés Beaucage et Pageau ainsi qu'à la représentante de l'assureur.  Or, les intimés ne reproduisent pas les extraits pertinents de ces témoignages qui auraient permis l'examen de ce moyen d'appel.  L'appelante n'a pas non plus annexé ces témoignages puisqu'il ne s'agissait pas d'une question qu'elle remettait en cause dans son appel.

[24]           Or, l'article 507 C.p.c. prévoit que :

 

Les parties exposent dans leurs mémoires l'objet du litige, leurs prétentions et leurs conclusions. Chacune doit joindre à son mémoire une copie des pièces et les extraits de la preuve nécessaires à la détermination des questions en litige.

L'appelant doit, de plus, joindre à son mémoire copie des actes de procédure de la contestation liée, du jugement frappé d'appel et, le cas échéant, des notes produites par le juge ou, s'ils ont été donnés oralement, de la transcription ou de la traduction des motifs du jugement.

Les mémoires doivent être préparés en la manière prévue par les règles de pratique. Ils peuvent, en tout ou en partie, être préparés et produits sur un support informatique si toutes les parties y consentent et qu'un juge de la Cour d'appel l'autorise.                                                                                     [Je souligne]

 

[25]           Certes, les intimés n'avaient pas à former un appel incident pour débattre devant la Cour d'un moyen non retenu par le jugement entrepris[4], mais le cas échéant, ils avaient l'obligation, aux termes de l'article 507 C.p.c., de joindre à leur mémoire les extraits de la preuve nécessaires à la détermination des moyens qu'ils soumettaient.

[26]           En conséquence, ce moyen préliminaire des intimés doit être écarté et le pourvoi doit être tranché en fonction des réponses aux questions communes ci-haut mentionnées.

 

 

L'ASSURÉ NANTEL

 

 

[27]           Depuis plusieurs années, M. Nantel (Nantel) assurait la vie de son cheval par l'intermédiaire du cabinet Ducharme et Fortier inc.  Marie-Josée Hinse (Hinse) est la personne du cabinet attitrée au dossier de Nantel.  Lors du renouvellement de la police d'assurance pour la période débutant le 12 septembre 2001, le cheval avait 17 ans et 8 mois.

[28]           Le risque garanti ne couvrait la bête uniquement si celle-ci avait entre 90 jours et 17 ans.

[29]           Cette police fut renouvelée pour 2002 (12 septembre 2002 au 12 septembre 2003).  Ce renouvellement prit la forme d'une proposition soumise par un courtier grossiste qui fut acceptée par Nantel.

[30]           À la suite d'une fracture subie le 21 décembre 2002, le cheval fut euthanasié.

[31]           L'assureur refusa de payer l'indemnité en raison de l'âge du cheval.  Il offre de rembourser la prime payée.  Nantel refuse et engage des procédures judiciaires.  Le dossier est réglé en octobre 2003 pour 12 000$.

[32]           Le 11 juin 2004, l'appelante dépose une plainte contre l'intimé Ducharme.  Elle comprend six chefs d'infraction qui sont rédigés ainsi :

 

1. Le ou vers le 12 septembre 2001, lors du renouvellement de la police d’assurance La Citadelle, no EQUI-00710, a fait défaut de prendre ou de s’assurer que Madame Marie-Josée Hinse, employée du cabinet Ducharme & Fortier Inc., agissant auprès de l’assuré André P. Nantel, prenne les moyens requis pour que la garantie offerte par ladite police réponde aux besoins de son client, alors que le cheval assuré avait déjà eu 17 ans au moment de ce renouvellement et que la police offerte contenait une exclusion précise pour un animal de cet âge, le tout en contravention notamment aux dispositions des articles 39 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et des articles 2 et 37(6) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages.

2. Le ou vers le 12 septembre 2002, lors du renouvellement de la police d’assurance La Citadelle, no EQUI-00710, a fait défaut de prendre ou de s’assurer que Madame Marie-Josée Hinse, employée du cabinet Ducharme & Fortier Inc., agissant auprès de l’assuré André P. Nantel, prenne les moyens requis pour que la garantie offerte par ladite police réponde aux besoins de son client alors que le cheval assuré avait déjà eu 17 ans au moment de ce renouvellement et que la police offerte contenait une exclusion précise pour un animal de cet âge, le tout en contravention notamment aux dispositions des articles 39 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et des articles 2 et 37(6) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages.

3. Entre le 23 décembre 2002 et le 12 septembre 2003, a négligé ou permis que les employés du cabinet Ducharme & Fortier Inc. négligent de procéder à la résiliation du contrat d’assurance-vie émis pour le cheval de son client André P. Nantel, suite au décès dudit cheval en conservant ainsi une prime qui n’avait plus sa raison d’être suite au décès de l’animal, le tout en contravention notamment aux dispositions de l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et des articles 2 et 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages.

4. Entre le 3 janvier 2003 et le 28 août 2003, a négligé ses devoirs professionnels et a permis que les employés du cabinet Ducharme & Fortier Inc. négligent leurs devoirs professionnels en faisant défaut de défendre les intérêts du client André P. Nantel en n’entreprenant aucune démarche pour voir au règlement de la réclamation dudit client suite au décès de son cheval, le tout en contravention notamment aux dispositions de l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et des articles 2 et 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages.

5. Entre le 18 juillet 2003 et le 17 septembre 2003, a fait défaut de donner suite dans les plus brefs délais aux instructions reçues de son client André P. Nantel de lui transmettre une copie intégrale de son dossier, le tout en contravention notamment aux dispositions de l’article 26 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages.

6. Entre le 18 février 2003 et le 14 avril 2004, a continué d’utiliser l’appellation Assur-Equest, alors que ladite raison sociale n’est pas inscrite comme telle au Bureau des services financiers ou auprès de l’Autorité des marchés financiers, le tout en contravention notamment aux dispositions de l’article 2(1) du Règlement relatif à l’inscription d’un cabinet, d’un représentant autonome et d’une société autonome (Règlement no 7).

 

[33]           À la majorité, le Comité disciplinaire rejette entièrement la plainte.  La majorité se dit d'avis que :

 

a)     Ducharme ne fut pas informé des manquements auxquels réfère la plainte;

 

b)     Il n'y a aucune preuve de négligence dans l'administration du cabinet ni dans sa délégation de compétence professionnelle;

 

c)      La théorie de l'alter ego n'est pas recevable puisqu'elle s'applique uniquement lorsqu'il y a lieu de soulever le voile corporatif (317 C.c.Q.);

 

d)     Quant au chef #6, il s'agit d'une « faute technique sans importance » qui n'aurait pas dû faire l'objet d'une plainte.

 

[34]           Le juge de la Cour du Québec expose avec minutie les faits du dossier.  Il énonce les points saillants dans la décision du Comité de discipline.  Puis, il identifie les trois questions soulevées en appel :

 

1- Quel fardeau impose l’article 2 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages au représentant en assurance de dommages ?

2- Le Comité, dans la Décision majoritaire, a-t-il fait une erreur manifeste dans l’appréciation des faits mis en preuve ?

3- Le Comité, dans la Décision majoritaire quant au chef 6, a-t-il bien apprécié la gravité de la faute reprochée à la lumière de la réglementation en vigueur ?

 

[35]           Le juge Pinsonnault fait sienne l'analyse de la juge Quenneville (assuré Déry dans le dossier précédent) quant à la norme de contrôle applicable.  Au regard des questions en cause, le juge conclut que l'appel logé à l'encontre de la décision majoritaire ne peut être accueilli si celle-ci est raisonnable.

[36]           Sur la première question, le juge d'appel conclut que l'intimé Ducharme n'est pas appelé à répondre en déontologie de la faute d'un employé.  Seul un manquement à son devoir de surveillance (obligation de moyen, selon lui) peut mener à une mesure disciplinaire.

[37]           De même, le juge rejette l'application de la théorie de l'alter ego aux faits de l'espèce;  selon lui, cette théorie serait applicable uniquement lorsque « l'âme dirigeante se sert de sa position privilégiée pour permettre qu'un acte répréhensible soit posé derrière le paravent d'une société ou d'une entreprise ».

[38]           Qui plus est, ajoute le juge, l'intimé Ducharme n'était pas responsable de la conduite de Hinse qui jouit du droit de poser certains gestes réservés au courtier.

[39]           Même si cela n'était pas nécessaire aux fins de son jugement, le juge analyse la preuve faite sur chacun des chefs d'infraction.  Il conclut à l'absence d'erreur révisable.

 

 

L'ASSURÉ MILLETTE

 

 

[40]           Il s'agit d'une seconde plainte disciplinaire à l'encontre de l'intimé Ducharme.

[41]           Madame Millette (Millette) est une cliente du cabinet Ducharme et Fortier inc.   Roseline Parent (Parent) a charge du dossier d'assurance de Millette.  Parent est habilitée par la loi à poser certains gestes réservés au courtier en assurance de dommages, tout comme l'étaient Hinse et De Nobile dans les deux dossiers précédents.

[42]           Millette demande à Parent de lui procurer une protection « valeur à neuf » pour un véhicule récemment acquis.  Parent lui obtient plutôt une garantie de remplacement (qui n'est pas un produit d'assurance) qui ne peut pas être résiliée et dont le paiement comporte des intérêts.

[43]           Insatisfaite de la prestation de Parent, Millette porte plainte.  Seul le premier chef demeure en cause devant la Cour.  Il est rédigé ainsi :

 

1-  Le ou vers le 10 janvier 2003, a fait défaut de s'assurer que Mme Roseline Parent, employée de son cabinet, respecte les dispositions de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et celles de ses règlements d'application, alors que:

a) Mme Roseline Parent a fait défaut d'agir en conseiller consciencieux en omettant de fournir à sa cliente, Dame Diane Millette, tous les renseignements nécessaires ou utiles afin que celle-ci puisse apprécier la nature de la protection de garantie de remplacement face à une couverture d’assurance de valeur à neuf pour son nouveau véhicule automobile, le tout en contravention notamment aux dispositions de l'article 37(6) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages;

b) Mme Roseline Parent a fait défaut de rendre compte à sa cliente, Dame Diane Millette, de l'exécution de son mandat en lui obtenant  une couverture de garantie de remplacement que cette dernière ne voulait pas, en n'expliquant pas la nature de cette protection et en induisant Dame Diane Millette en erreur sur la nature de la protection offerte qui n’est pas de l’assurance, le tout en contravention notamment aux dispositions des articles 15 et 37(4) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages;

c) Mme Roseline Parent a fait défaut d'aviser sa cliente, Dame Diane Millette, de tous les frais qui n'étaient pas inclus dans le montant du contrat de garantie de remplacement, le tout en contravention notamment aux dispositions des articles 25 et 37(4) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages;

d) Mme Roseline Parent a eu une conduite négligente dans la tenue du dossier de sa cliente, Dame Diane Millette, en ne notant aucune conversation téléphonique dans son dossier, le tout en contravention notamment aux dispositions de l'article 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages;

le tout en contravention notamment aux dispositions de l'article 2 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages.

 

2-  Entre le 28 avril 2003 et le 16 septembre 2003, a fait défaut de répondre dans les plus brefs délais aux demandes et instructions de sa cliente, Dame Diane Millette, concernant l'annulation de la garantie de remplacement et de l’impossibilité de se conformer à sa demande de résiliation de la garantie de remplacement, le tout en contravention notamment aux dispositions des articles 8 et 26 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages;

 

[44]           Pour les motifs énoncés dans sa décision de l'assuré Nantel, le Comité de discipline rejette ce chef d'infraction.  Il réitère qu'il n'y a eu aucun manquement à la surveillance et qu'il n'y a aucune preuve d'incompétence.  Selon le Comité, le cabinet était bien structuré et composé d'un personnel compétent.

[45]           Le juge de la Cour du Québec reprend, quant à lui, les principes énoncés au soutien de sa décision pour l'assuré Nantel.  Tout comme dans le dossier Nantel, il conclut à l'absence de preuve quant à un manque de surveillance de la part de Ducharme.  De même, il ajoute que la théorie de l'alter ego est inapplicable.  En conséquence, il rejette l'appel du syndic sur ce chef d'infraction.

 

 

ANALYSE

 

 

[46]           La lecture des différentes décisions des Comités de discipline invite à certaines observations préliminaires.

[47]           Pour les membres de ces Comités, ou du moins pour les membres majoritaires dans certains cas, la théorie de l'alter ego en droit disciplinaire n'a d'application qu'en présence de cas où la personnalité juridique est utilisée pour masquer la fraude ou l'abus (317 C.c.Q.).

[48]           De façon générale, les Comités affirment que le courtier recherché en discipline ne répond pas de la faute d'un employé à qui la loi a accordé le droit de poser des « actes réservés » à moins d'établir une négligence quelconque du courtier lui-même, ce qui n'a pas été fait.

[49]           Plus fondamentalement, dans chacune de ces décisions, les Comités (ou la majorité) concluent que les courtiers n'ont commis aucune faute ou négligence que ce soit dans la formation et le suivi du personnel ou dans la tenue en général du cabinet.

[50]           Dans le cas de l'assuré Déry, le Comité avait conclu au préalable à l'existence d'une couverture d'assurance.  Cela n'a pas empêché le Comité d'examiner les autres chefs et de conclure de la façon ci-haut décrite.

[51]           Bien que la plupart des questions furent correctement circonscrites par la Cour du Québec, je crois préférable de les reprendre et de les aborder dans l'ordre suivant :

 

        i.            En quoi consiste la théorie de l'alter ego en droit québécois ?

 

      ii.            Qui doit répondre en déontologie de la faute de l'employé qui pose des gestes réservés au représentant en vertu de droits acquis que lui confère la loi ?

 

    iii.            Quels sont les moyens de défense dont dispose le représentant en pareilles circonstances et sur qui repose le fardeau de l'établir ?

 

[52]           L'analyse relative à la norme de contrôle de la juge Quenneville dans le dossier de l'assuré Déry m'apparaît impeccable.  Depuis, la Cour suprême a modifié son approche dans l'analyse de la norme et a réduit, à deux, les normes de contrôle applicables :  Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick[5].  En l'espèce, cette nouvelle approche n'a pas pour effet de modifier le résultat retenu par la juge de la Cour du Québec.  Comme elle-même le souligne, sa conclusion est d'une portée limitée puisque le Comité de discipline avait conclu à l'acquittement sans étudier les questions au cœur du pourvoi :  la responsabilité déontologique et la théorie de l'alter ego.  La norme lui servira à vérifier si le Comité a commis une erreur révisable lorsqu'il a conclu à la couverture d'assurance.

[53]           Dans le cas des assurés Nantel et Millette, le juge Pinsonnault adhère à l'analyse de sa collègue Quenneville dans le dossier Déry.  En conséquence, il retient également la norme de la décision raisonnable simpliciter.  Il l'appliquera aux questions relatives à la responsabilité déontologique du représentant et à la théorie de l'alter ego.  Sur ces questions, son analyse épouse les décisions majoritaires du Comité de discipline.  Dès lors, il conclut à l'absence d'une erreur révisable.

[54]           Je partage également l'analyse faite par les juges de la Cour du Québec de la norme applicable au contrôle des décisions des Comités, dans la mesure où ils ont répondu aux questions que j'ai reformulées ci-haut.  J'ajoute les remarques additionnelles suivantes.

[55]           Il faut reconnaître le caractère spécialisé du Comité de discipline à qui la loi confie le mandat de trancher les plaintes et d'imposer les sanctions le cas échéant.  Cette fonction s'exerce dans un but précis :  toute Chambre doit assurer la protection du public par un mécanisme d'autodiscipline et de déontologie.

[56]           Bien qu'il soit approprié de qualifier les questions de mixtes (de droit et de fait), il est important de noter qu'elles portent sur l'assujettissement du représentant à un processus disciplinaire.  Il s'agit plus précisément de savoir qui répond en déontologie d'une faute qu'aurait commise l'employé qui pose un acte réservé par la loi au représentant en assurance de dommages.  Vu sous cet angle, la question est davantage une question de droit, bien que certaines questions de fait s'y greffent dans chaque cas.

[57]           Ceci étant dit, je suis d'avis que les réponses données par les Comités de discipline sont déraisonnables, et ce, pour les motifs suivants.

[58]           Avant d'aborder les questions ci-haut mentionnées, il y a lieu de revenir sur le véritable enjeu du litige.  Il tire son origine de la L.C.A. adoptée en 1963 et abrogée en 1991.  Elle conférait des droits acquis à certains employés, les autorisant à poser des gestes réservés au courtier d'assurances.

[59]           À l'époque, l'article 31 L.C.A. définissait les actes réservés à un courtier d'assurances de la façon suivante :

 

31.  Agit comme courtier d'assurances toute personne qui ne traitant pas avec un seul assureur ou un seul groupe d'assureurs sous gérance commune, fait pour autrui des affaires d'assurances autres que de l'assurance sur la personne

 

1° en négociant ou plaçant des risques,

 

2° en délivrant des polices,

 

3° en percevant des primes, ou

 

4° en recevant une commission ou une rémunération autre qu'un salaire.

 

[60]           L'article 33 L.C.A. autorisait des employés à poser des actes réservés au courtier d'assurances dans la mesure où ces actes étaient effectués dans le cadre d'une relation employé-employeur :

33.  Les actes mentionnés aux paragraphes 1°, 2° et 3° de l'article 31 peuvent être accomplis par toute personne employée d'un membre en règle ou d'une personne ou corporation remplissant les conditions mentionnées à l'article 32, pourvu que ces actes soient accomplis pour le compte de l'employeur et non pour le compte personnel de l'employé.                                         [Je souligne]

 

[61]           Le législateur reconnaissait une pratique de facto répandue chez les courtiers d'assurances lors de l'entrée en vigueur de la loi (L.C.A.).  Il accordait des droits acquis à des employés qui, sans être courtier d'assurances, agissaient auprès du public en négociant ou plaçant des risques, en délivrant des polices ou en percevant des primes.

[62]           Ces droits acquis furent reconduits à deux reprises.  D'abord en 1991, par la L.I.M. qui a remplacé la L.C.A.  Puis en 1999, par l'entrée en vigueur de la Loi sur la distribution de produits et services financiers[6] (L.d.p.s.f.) dont l'article 547 prévoit que :

547.  Les personnes à l’emploi d’un intermédiaire de marché en assurance de dommages qui, en vertu du Règlement du Conseil des assurances de dommages sur les intermédiaires de marché en assurances de dommages et du Règlement sur les cabinets multidisciplinaires, étaient déclarées le ou avant le 12 juin 1998 sur les listes transmises à l’inspecteur général des institutions financières ou au Conseil des assurances de dommages, peuvent exercer les activités qui leur étaient ainsi permises.

 

[63]           Dans le jargon de la profession, De Nobile, Hinse et Parent sont des employés
« 547 ».  Dès lors, s'est posée la question de la responsabilité déontologique pour les actes réservés au représentant en assurance, mais qui furent effectués par ces employés « 547 » en vertu de « droits acquis » conférés par le législateur.

[64]           S'est engagé un débat de nature sémantique sur les mécanismes juridiques applicables à cette responsabilité déontologique particulière.  Selon la conception classique, la faute en droit disciplinaire est de nature individuelle.  Elle peut s'étendre à l'acte posé par un tiers à qui le professionnel a délégué sa responsabilité[7].  Dans ce cas, la responsabilité déontologique découlerait, pour certains, de l'application de la théorie de l'alter ego ou de l'identification.  Pour d'autres, cette responsabilité ne vaut que si les circonstances militent en faveur du soulèvement du voile corporatif ou encore cette responsabilité découlerait de la théorie de l'acte délégué.  En l'espèce, ces termes furent utilisés sans distinction par les différents Comités de discipline et en partie par les juges de la Cour du Québec.  Ces termes recoupent des concepts susceptibles de varier en fonction de la branche juridique applicable : droit pénal, droit civil, droit corporatif ou encore droit disciplinaire.

 

 

LA THÉORIE DE L'ALTER EGO EN DROIT DISCIPLINAIRE

 

 

[65]           Cette théorie est d'origine britannique.  Elle fut élaborée dans une affaire de responsabilité civile par le Vicomte Haldane qui dit ce qui suit :

My Lords, a corporation is an abstraction. It has no mind of its own any more than it has a body of its own; its active and directing will must consequently be sought in the person of somebody who for some purposes may be called an agent, but who is really the directing mind and will of the corporation, the very ego and centre of the personality of the corporation. That person may be under the direction of the shareholders in general meeting; that person may be the board of directors itself, or it may be, and in some companies it is so, that that person has an authority co-ordinate with the board of directors given to him under the articles of association, and is appointed by the general meeting of the company, and can only be removed by the general meeting of the company.[8]

 

[66]           La théorie fut retenue avec certaines modifications par la Cour suprême du Canada, dans Canadian Dredge & Dock Co. c. La Reine[9], pour les infractions de droit criminel nécessitant la preuve de la mens rea.  Inspirée par une autre affaire britannique[10], la Cour suprême adopte la « doctrine de l'identification » en vertu de laquelle l'âme dirigeante de la compagnie engage la responsabilité de cette dernière si elle a été « investie du pouvoir décisionnel dans un champ d'activités pertinent de la compagnie»[11].  En droit canadien, la théorie de l'alter ego ou la doctrine de l'identification est une règle de responsabilité directe et non pour autrui.

[67]           Notre Cour, sous la plume du juge en chef Robert (alors juge puîné), a fait un survol de cette question dans une affaire de responsabilité civile[12] et résume la théorie de l'alter ego de la façon suivante :

La théorie de l’alter ego permet de considérer comme des âmes dirigeantes des personnes qui ne le seraient pas sur le plan formel ou au sens traditionnel de la notion, dans la mesure où ces personnes s’étaient vu déléguer l’autorité directrice de la corporation dans un secteur donné.[13]

 

[68]           À l'instar de la théorie de l'alter ego en droit criminel, qui a permis aux tribunaux d'attribuer une mens rea à une personne morale à la suite d'actes commis par son âme dirigeante, cette même théorie en droit disciplinaire permet d'imputer la responsabilité au professionnel pour les actes qu'il délègue à des tiers.  À ce sujet, Me Chantal Perreault écrit ce qui suit :

Les obligations prévues aux différents codes de déontologie et aux lois régissant les ordres professionnels sont des obligations qui incombent au professionnel. S’il les délègue, cela ne peut atténuer sa propre responsabilité.[14]

 

[69]           Comme l'a noté le Tribunal des professions dans l'affaire Champagne, la théorie de l'alter ego en droit disciplinaire permet d'attribuer une responsabilité directe et non une responsabilité pour autrui :

 

Il ne s’agit pas, à proprement parler, d’une responsabilité pour autrui, mais de la responsabilité personnelle du professionnel découlant de la délégation d’autorité pour des actes et des devoirs à lui attribués par la loi. Cette délégation d’autorité est établie par un mandat à l’employé de l’administration de ce qui est du devoir du professionnel d’accomplir. L’employé devient alors l’«alter ego ».[15]

 

[70]           Ainsi, peu importe que ce tiers soit une personne physique ou morale, comme l'illustre une autre décision du Tribunal des professions dans l'affaire Coutu :

Personne ne conteste qu’il soit en principe légal pour un commerce de vendre du tabac. Le pharmacien propriétaire a toutefois des obligations différentes de celles d’un simple commerçant puisque la loi lui interdit d’exercer un commerce incompatible avec l’exercice de sa profession.

 

Il ne s’agit pas ici d’une obligation du tiers corporatif mais de la sienne propre. La compagnie 2862-1415 Québec Inc. ne fait pas ce qu’elle veut mais bien ce qu’il veut. Il vend du tabac par son entremise.[16]

 

[71]           La décision du Tribunal des professions dans l'affaire Bond est au même effet :

Tous les éléments nécessaires permettant la levée du voile corporatif étaient donc établis. Cependant, cela était-il vraiment nécessaire? Quand un professionnel décide de mandater un tiers, personne physique ou morale, pour effectuer en tout ou partie ses activités professionnelles, peut-il éviter de répondre au syndic et de lui fournir des documents en soulevant la personnalité juridique autonome du tiers?

[…]

Quand un professionnel mandate un tiers pour accomplir une partie de ses obligations professionnelles, il peut s’attendre à devoir rendre des comptes à cet égard.[17]

 

[72]           En l'espèce, les Comités de discipline ont bien souvent confondu les notions d'alter ego et la levée du voile corporatif.  Il s'agit pourtant de notions distinctes.

[73]           La portée de l'article 317 C.c.Q. est tout autre.  À cet égard, je m'en rapporte aux propos de l'auteur Paul Martel pour qui l'article 317 C.c.Q. permet de retenir la responsabilité de l'âme dirigeante de la compagnie qui :

[…] a utilisé la compagnie qu’il contrôle comme écran, comme paravent pour tenter de camoufler le fait qu’il a commis une fraude ou un abus de droit ou qu’il a contrevenu à une règle intéressant l’ordre public; en d’autres termes, l’acte apparemment légitime de la compagnie revêt, parce que c’est lui qui la contrôle et bénéficie de cet acte, un caractère frauduleux, abusif ou contraire à l’ordre public.[18]

 

[74]           Certes, comme l'explique Me Martel, la notion d'alter ego est un critère préliminaire à la levée du voile corporatif, mais il faut beaucoup plus :

Il n'y a en soi rien de mal à ce qu'une compagnie soit un alter ego . Ce n'est que si elle est utilisée aux fins répréhensibles énoncées à l'article 317 que le «voile corporatif» peut être soulevé. La jurisprudence est à l'effet qu'en l'absence de fraude, l'identité corporative d'une compagnie, même alter ego, sera respectée.[19]

 

[75]           Règle générale, la levée du voile corporatif ne sera pas utile en droit disciplinaire puisque la théorie de l'alter ego suffit à faire le lien entre le professionnel et l'acte délégué.

[76]           Sans élaborer de théorie générale sur le sujet, il m'apparaît plus juste d'utiliser les termes « acte délégué » ou « délégation d'autorité » pour qualifier la nature de la responsabilité déontologique, et ce, que cette délégation le soit en faveur d'une personne physique ou d'une personne morale.

 

 

QUI DOIT RÉPONDRE EN DÉONTOLOGIE DES ACTES DES EMPLOYÉS « 547 »?

 

 

[77]           Il est acquis au débat que les employés « 547 » ne sont pas membres de la
« Chambre de l'assurance de dommages ».  Partant, ils n'encourent pas de responsabilité déontologique applicable aux seuls membres de cette Chambre.  Les parties conviennent que la juge de la Cour du Québec a erré en concluant à leur assujettissement au Code de déontologie des représentants en assurance de dommages[20].

[78]           Deux thèses s'affrontent.  Selon le syndic, les intimés encourent une responsabilité déontologique pour les actes accomplis par l'employé « 547 ».  De leur côté, les intimés soutiennent que l'acte accompli par l'employé « 547 » découle d'une délégation de la loi et non d'une délégation d'autorité du représentant en assurance.  Selon la thèse de ces derniers, le cabinet et ses dirigeants peuvent être tenus responsables en déontologie uniquement dans la mesure où le syndic fait la preuve d'un défaut de surveillance dans le cadre de l'article 85 L.d.p.s.f. qui prévoit que :

85. Un cabinet et ses dirigeants veillent à la discipline de leurs représentants. Ils s’assurent que ceux-ci agissent conformément à la présente loi et à ses règlements.

 

[79]           Soit dit avec égards, je suis d'avis que seule la thèse du syndic est acceptable, et ce, pour les motifs suivants.

[80]           À l'instar de toutes les corporations professionnelles, la Chambre de l'assurance de dommages a comme mission d'assurer la protection du public par le maintien de la discipline de ses membres (art. 312 L.d.p.s.f.).

[81]           À titre d'organisme d'autoréglementation, cette Chambre a adopté un Code de déontologie des représentants en assurance de dommages.  Les deux premiers articles de ce Code porte que :

SECTION I

DISPOSITIONS GÉNÉRALES

1.      Les dispositions du présent code visent à favoriser la protection du public et la pratique intègre et compétente des activités du représentant en assurance de dommages.

Dans le présent code, on entend par « représentant en assurance de dommages » l'agent en assurance de dommages et le courtier en assurance de dommages.

2.   Le représentant en assurance de dommages doit s'assurer que lui-même, ses mandataires et ses employés respectent les dispositions de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (1998, c. 37) et celles de ses règlements d'application.

 

[82]           La L.d.p.s.f. peut être assimilée à une loi d'organisation des ordres professionnels.  Elle contient des dispositions qui sont d'ordre public de direction.  Toute interprétation doit faire primer les intérêts du public sur les intérêts privés.

[83]           Traitant du fondement de la responsabilité disciplinaire, le juge Dussault, au nom de la Cour, en relève les principales caractéristiques dans l'affaire Ordre des ingénieurs du Québec c. Dionne[21].  Ces propos peuvent s'appliquer à l'espèce avec les adaptations appropriées.  Le juge Dussault dit ce qui suit :

[43] À mon avis, le fondement de la responsabilité disciplinaire du professionnel réside dans les actes posés à ce titre tels qu'ils peuvent être perçus par le public. Les obligations déontologiques d'un ingénieur doivent donc s'apprécier in concreto et ne sauraient se limiter à la sphère contractuelle; elles la précèdent et la transcendent.  Sinon, ce serait anéantir sa responsabilité déontologique pour tous les actes qu'il pose en dehors de son mandat, mais dans l'exécution de ses activités professionnelles et, de ce fait, circonscrire de façon indue la portée d'une loi d'ordre public qui vise la protection du public.[22]

 

[84]           En me fondant sur ces principes et les règles d'interprétation qui en découlent, je ne peux me convaincre que les actes fautifs posés par les employés « 547 » échappent à toute responsabilité déontologique au motif que ces actes sont, d'une part, autorisés par la loi et que, d'autre part, l'employé « 547 » n'étant pas membre de la Chambre n'est pas assujetti à la discipline de l'organisme.

[85]           Cette théorie du vide juridique en droit disciplinaire repose sur un postulat erroné:  l'acte est autorisé par la loi et non délégué par l'employeur (droits acquis de poser certains actes réservés).  L'explication est un peu courte et ne résiste pas à l'analyse.

[86]           Je rappelle que le droit conféré aux employés « 547 » de poser des actes réservés s'inscrit dans un cadre juridique restreint : « pourvu que ces actes soient accomplis pour le compte de l'employeur et non pour le compte personnel de l'employé ».  Hors de la relation employeur-employé, l'employé « 547 » ne peut agir.  En accordant ces droits acquis, le législateur me semble poursuivre un double objectif : (1) reconnaître la compétence de l'employé découlant de la pratique dans ce domaine d'activités ;  (2) s'assurer du contrôle de l'acte autorisé par l'employeur, dans un but évident de protection du public.

[87]           En l'espèce, si les trois employés « 547 » ont posé des actes réservés cela découle d'abord de la décision de leur employeur de leur confier ces tâches.  Il y a en conséquence une responsabilité directe des dirigeants du cabinet pour les fautes déontologiques commises par ces employés.  Le fait que la loi autorise ces employés à poser des actes réservés ne modifie pas la nature juridique et n'atténue pas la responsabilité déontologique du dirigeant.  Reste à examiner les moyens de défense dont dispose le membre recherché en discipline en pareilles circonstances.

 

 

LA DÉFENSE DE DILIGENCE RAISONNABLE

 

 

[88]           En matière de responsabilité stricte, comme en l'espèce, la défense de diligence raisonnable est admissible.  Elle repose sur les épaules du contrevenant qui doit établir, selon la prépondérance des probabilités, qu'il a pris toutes les précautions raisonnables pour éviter l'événement en cause[23].

[89]           Il n'appartenait pas au syndic d'établir la preuve que les contrevenants avaient été négligents dans la surveillance de ces employés.  À cet égard, il faut éviter, le cas échéant, la confusion entre les éléments essentiels de certaines infractions disciplinaires et la défense de diligence raisonnable.  J'ai déjà conclu que la faute déontologique de l'employé « 547 » est la faute personnelle du représentant, sous réserve de son droit d'établir qu'il a fait preuve de diligence raisonnable.

[90]           Le fardeau d'établir que l'on a agi avec diligence raisonnable requiert une preuve sérieuse qui ne peut pas reposer sur des commentaires généraux quant à la conduite des affaires du cabinet d'assurance.  Dans l'arrêt Sault Ste-Marie, le juge Dickson traite de la nature et des composantes de cette défense.  Pour l'établir, il faut démontrer, d'une part, que toutes les dispositions furent prises pour éviter l'infraction et, d'autre part, que tout le nécessaire fut fait pour s'assurer du bon fonctionnement des mesures préventives mises en place pour se conformer à la loi[24].  En conséquence, il faut faire la preuve non seulement de la mise en place des mesures adéquates pour éviter l'infraction, mais également d'un mécanisme de surveillance pour en assurer l'efficacité.

[91]           Le juge Dickson cite l'arrêt Tesco Supermarkets Ltd. de la House of Lords comme un excellent exemple d'application de la défense de diligence raisonnable.  Dans cette affaire, Lord Morris of Borth-y-Gest, pour un, résume les faits prouvés par Tesco pour asseoir sa défense de diligence raisonnable :

[…] (2) that Tesco had proved that they had taken all reasonable precautions and had exercised all due diligence to avoid the commission of the offence under section 11 (2) either by themselves or by any person under their control.  They had exercised all due diligence in devising a proper system for the operation of the store and by securing as far as was reasonably practicable that it was fully implemented.  In the careful and ample statement of case the magistrates set out in much detail their reasons for arriving at these conclusions.  They need not be here repeated.  Suffice it to say that the case describes the system of administration and the various steps taken by Tesco to ensure that the manager was instructed and continuously and fully instructed in regard to the proper management of the store.  There was a careful and reasonable system of selection of managers.  Furthermore, the case describes in detail the various steps taken by Tesco in the exercise of supervision over the manager and the proper running of the store.  The manager of the store had under him an assistant manager and there were various section heads : the total number of the staff in the store was 60.  It was found that the company had provided adequate staff and equipment for the running of the store.  Then there was a "ladder of responsibility" of those whose work was of that supervision.  Thus there were branch inspectors whose duties (involving regular attendance) were solely those of supervision in regard to some six or eight stores.  There were area controllers who in regard to some 24 stores supervised the branch inspectors as well as the managers and the operation of such stores: their duties also involved regular attendance at stores.  There was a regional director who was responsible for a number of stores and the supervision of the area controllers, branch inspectors and managers for them.[25]

 

[92]           En l'espèce, les Comités de discipline ont conclu que les intimés avaient établi qu'ils avaient agi avec diligence raisonnable.  Il est difficile sinon impossible de situer correctement ces propos dans le cadre du litige.  Ont-ils trait à un élément de l'infraction relatif à un manque de surveillance ou encore s'appliquent-ils au concept de la diligence raisonnable dans le cadre d'une défense ?

[93]           La Cour du Québec, à la lumière de toute la preuve, a conclu à l'absence d'erreur révisable des différents Comités de discipline à ce sujet.  Ces conclusions de la Cour du Québec posent une difficulté particulière.

[94]           L'appelante n'a pas reproduit toute la preuve relative à cette défense.  Dès lors, je ne peux conclure, à la seule lecture des jugements de la Cour du Québec, à l'existence d'une erreur qui justifierait notre intervention.  Il existe une certaine confusion sémantique dans les motifs des différents Comités de discipline qui, à l'occasion, traitent indifféremment de la négligence comme un élément de l'infraction ou de l'absence de négligence dans le cadre d'une défense de diligence raisonnable.  Les juges de la Cour du Québec étaient confrontés à cette difficulté.  Je spéculerais, si je concluais que leurs propos se limitent exclusivement à la négligence comme élément de l'infraction et non à la défense de diligence raisonnable.  Dès lors, ayant conclu que  les juges de la Cour du Québec ont retenu le bon critère de contrôle applicable, je ne peux, sans la preuve pertinente, réviser leurs décisions sur ce point.

[95]           Ainsi, bien que les moyens soumis par l'appelante soient en majeure partie bien fondés, ses appels doivent échouer puisque la défense de diligence raisonnable des intimés fut acceptée.

[96]           Pour ces motifs, je propose de rejeter les appels avec dépens.

 

 

 

ANDRÉ ROCHON J.C.A.

 



[1]     Art. 160 de la Loi sur les intermédiaires de marché, L.R.Q., c. I-15.1 (L.I.M.).

[2]     L.R.Q., c. C-74 (abrogé en 1989).

[3]     Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam inc., [1997] 1 R.C.S. 748 .

[4]     Campisi c. P.G. du Québec, [1978] C.A. 520 , 525.

[5]     Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 .

[6]     L.R.Q., c. D-9.2.

[7]     Mario Goulet, Le droit disciplinaire des corporations professionnelles, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais, 1993, p. 48.

[8]     Lennard’s Carrying Co. v. Asiatic Petroleum Co., [1915] A.C. 705, p. 713.

[9]     Canadian Dredge & Dock Co. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 662 .

[10]    Tesco Supermarkets Ltd. v. Natrass [1972] A.C. 153.

[11]    Rhône (Le) c. Peter A.B. Widener (Le), [1993] 1 R.C.S. 497 , paragr. 32.

[12]    Général accident, Cie d'assurance du Canada c. Miscou Motel ltée, [1999] R.J.Q. 330 (C.A.).

[13]    Ibid., paragr. 55.

[14]    Chantal Perreault,  « L’aveuglement volontaire et l’alter ego comme mode de commission d’une infraction déontologique » 122 (1999) Développements récents en droit professionnel et disciplinaire, 45, p. 112.

[15]    Notaires c. Champagne, [1992] D.D.C.P. 268 (T.P.).

[16]    Pharmaciens (Ordre professionnel des) c. Coutu, [1998] D.D.O.P. 343 , p. 353-354.

[17]    Bond c. Pharmaciens (Ordre professionnel des), [1996] D.D.O.P. 308 (rés) (T.P.), AZ-96041049 , p. 17-18.

[18]    Paul Martel,  « Le « voile corporatif »--l’attitude des tribunaux face à l’article 317 du Code civil du Québec », (1998) 58 R. du B. 95, p. 136;  Lanoue c. Brasserie Labatt ltée, J.E. 99-857 (C.A.), paragr. 30.

[19]    Paul Martel, Le « voile corporatif » et l'article 317 du Code civil du Québec, (1995) R. du B. 447, p. 488.

[20]    Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, R.R.Q., c. D-9.2, r.1.03.

[21]    [2006] R.J.Q. 2614 (C.A.).

[22]    Ibid., paragr. 43.

[23]    La Reine c. Sault Ste-Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299 .

[24]    Ibid., p. 1331.

[25]    Tesco Supermarkets Ltd., supra note 10, p. 177.

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