Gagnon c. Sinotte |
2012 QCCS 408 |
JO 0291 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE SAINT-MAURICE |
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N° : |
410-17-000602-073 |
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DATE : |
9 FÉVRIER 2012 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
PIERRE OUELLET, j.c.s. (JO0291) |
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ARIANE GAGNON |
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Demanderesse |
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c. |
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LOUISE SINOTTE ET JACQUES TURENNE |
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Défendeurs/Demandeurs reconventionnels |
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c.
COMMISSION SCOLAIRE DE L'ÉNERGIE ET ARIANE GAGNON
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Défenderesses reconventionnelles |
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JUGEMENT |
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[1] Un élève de neuf ans a été assigné dans sa classe à une «aire de retrait» selon la demanderesse, derrière une «cage» selon les défendeurs.
[2] La question a fait l'objet en 2007 d'une grande diffusion dans les médias (radio, télévision, journaux) et donné lieu en 2011 à un procès d'une durée de onze jours!
[3] La demanderesse, Ariane Gagnon, enseignante dans la région de Shawinigan, poursuit les défendeurs, la mère et le beau-père du jeune Félix, alors âgé de neuf ans, pour avoir médiatisé la situation de ce dernier le surlendemain du jour où ils ont constaté son emplacement dans la classe.
[4] Elle reproche aux défendeurs d'avoir accordé, les 8 et 9 février 2007, diverses entrevues à des médias contenant des informations fausses et diffamatoires, lesquelles ont été diffusées en de nombreuses occasions sur les différents réseaux francophones nationaux : TQS, TVA, RDI, en plus de plusieurs reportages à la radio tant à Montréal qu'en Mauricie.
[5] Alléguant subir l'opprobre de la population du Québec, avoir fait l'objet de commentaires peu flatteurs et même de menaces, elle soumet que sa quiétude et son enthousiasme comme enseignante en ont été affectés, de sorte qu'elle réclame 200 000 $ à titre de dommages moraux et 75 000 $ à titre de dommages exemplaires.
[6] Les défendeurs se défendent vigoureusement à l'encontre de la réclamation de l'enseignante et se portent eux-mêmes demandeurs reconventionnels tant contre la demanderesse que contre son employeur, la Commission scolaire de l'Énergie (la Commission).
[7] Ils font plusieurs reproches, tant à l'enseignante qu'à la Commission, plaidant qu'ils étaient en droit de dénoncer publiquement le traitement réservé à leur fils vu le refus de la direction de l'école de démanteler l'installation.
[8] Dans leur demande reconventionnelle, ils allèguent qu'en publiant un communiqué et en tenant une conférence de presse, la Commission a véhiculé des informations fausses concernant leur fils ce qui a nuit à leur réputation.
[9] Ils réclament donc une indemnité suite à cette médiatisation pour dommages moraux et matériels dont :
Ø M. Turenne a dû céder sa clientèle dans le secteur des valeurs mobilières et repartir à neuf.
Ø Mme Sinotte a dû mettre de côté son projet de retourner sur le marché du travail : elle a consacré un an et demi à l'instruction à domicile.
[10] Les montants réclamés à titre de dommages ont atteint, à un moment donné, 1 600 000 $ avant d'être réduit, en cours de procès, à 1 150 000 $.
[11] Chaque partie présente donc au Tribunal une version complètement différente de la situation de ce jeune garçon en janvier et février 2007 et le Tribunal aura à trancher tant des questions de faits que de droit.
La trame factuelle[1]
[12] Félix et Alex Lamarre naissent le [...] 1997 et vivent avec leur mère, Louise Sinotte, qui, à toute époque pertinente au litige, fait vie commune avec son nouveau conjoint, M. Jacques Turenne.
[13] Ils sont les plus jeunes des cinq enfants de celle-ci et résident dans le secteur Shawinigan Sud.
[14] Depuis la maternelle, ils sont inscrits à l'école St-Paul qu'ils fréquentent jusqu'à leur quatrième année durant l'année scolaire 2006-2007.
[15] Une enseignante agit comme titulaire à chacune des années et en quatrième année, Ariane Gagnon est titulaire de la classe de Félix et Alex.
[16] Détentrice depuis 2001 d'un baccalauréat en enseignement primaire et préscolaire, elle occupe depuis différentes tâches d'enseignante comme suppléante ou à titre de complément de tâches sur le territoire de la Commission scolaire de l'Énergie.
[17] En 2006-2007, elle remplace une enseignante en congé de maternité et sa classe comprend 21 élèves.
[18] L'autre groupe de quatrième année est sous la responsabilité de Mme Manon Bourassa, enseignante à la Commission depuis 1996.
[19] Les deux enseignantes font équipe pour des projets d'enseignement et se partagent même une partie de l'enseignement magistral, de sorte que tant les élèves que les enseignants vont d'un local à l'autre, l'on en est rendu à l'ère du «team teaching»; des travaux dans le cadre de projets se font régulièrement en équipe de deux ou de quatre élèves.
[20] L'école est sous la direction de Mme Julie Marchand, enseignante pendant treize ans, directrice d'école depuis quatre ans et elle est responsable des écoles St-Paul et St-Sauveur.
[21] Un psychoéducateur, M. Luc Gagnon, et une orthopédagogue, Mme Stéphanie Lefebvre, sont affectés à un certain nombre d'écoles de cette Commission dont l'école St-Paul.
[22] Depuis la maternelle, des enseignantes proposent à certains moments à sa mère que Félix suive des cours spécialisés; il y a un désaccord entre les parties quant au nombre d'interventions suggérées et quant aux motifs ayant justifié le refus ou la fin des services[2].
[23] Il est indéniable qu'en troisième année Félix participe au groupe d'orthopédagogie sous la direction de Stéphanie Lefebvre à compter de la mi-novembre 2005[3], mais la mère y met fin à compter du 13 mars 2006[4].
[24] Au printemps 2006, Suzanne Allard, enseignante en troisième année, inscrit le nom de Félix sur la liste[5] des élèves de son groupe qui auraient besoin de services spécialisés au cours de l'année suivante.
[25] À l'automne 2006, Ariane Gagnon dit constater des problèmes de comportement de la part du jeune Félix, tels : faire du bruit avec son crayon ou ses doigts, s'appuyer sur le pupitre du voisin arrière, des difficultés à se mettre au travail, à se concentrer…
[26] Elle procède au déplacement des pupitres, dont celui de Félix, à différents endroits dans la classe; ce dernier fait même un séjour dans le corridor où son pupitre y est placé, mais il s'avère qu'il dérange des élèves de d'autres groupes dont ceux qui participent à la classe d'orthopédagogie située juste à côté.
[27] L'école a implanté des règles de vie et de conduite tant à l'école que dans la classe[6].
[28] Ce système est supporté par des autocollants (vert, jaune, rouge) apposés sur le pupitre de chaque élève et des annotations à chaque journée dans le carnet de route en encerclant le petit bonhomme avec un large sourire ou au contraire à l'allure triste[7].
[29] Le carnet de route suit l'élève toute l'année, il l'apporte à la maison pour identifier les devoirs et leçons à compléter et pour faire annoter par l'un des parents les notes inscrites par lui ou son enseignante.
[30] Sans vouloir ostraciser Félix, la consultation des notes dans ce carnet entre septembre et décembre 2006 révèle le genre d'inscriptions suivantes :
§ Félix dérange, a donné un coup de poing à X.
§ Perd son temps.
§ «Je n'ai pas levé la main».
§ «J'ai parlé, je n'ai pas écouté».
§ «Je ne mêle pas de mes affaires, je réplique et je suis impoli».
L'on remarque également que souvent c'est le petit bonhomme du centre (face neutre) ou celui de droite (bouche par en bas) qui est encerclé.
[31] Le bulletin[8] de la première étape en cette quatrième année comporte les notes suivantes quant aux matières notées à ce moment :
§ Français : - Lire des textes variés - Écrire des textes variés |
D (Chemine en éprouvant des difficultés importantes) D |
§ Mathématiques : - Résoudre une situation - Raisonner à l'aide de concepts…
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D C (Chemine en éprouvant quelques difficultés) |
§ Éducation physique : |
B (Chemine facilement) |
[32] Tout au cours de l'automne, Ariane Gagnon constatant les problèmes de comportement et les difficultés académiques de Félix entreprend les démarches suivantes :
Ø Discussions avec sa collègue titulaire de l'autre classe de quatrième année, Manon Bourassa, laquelle fait des constats similaires.
Ø Discussions avec Suzanne Allard, enseignante de grande expérience, titulaire de la troisième année.
Ø Discussions avec le psychoéducateur, Luc Gagnon.
Ø Mise en place d'un système de feuille de route[9] aux fins de noter le comportement de Félix à chacune des étapes de la journée jumelé à un système de récompense et de billets9 rouges concernant les comportements qui entraînent un séjour au local SOS.
[33] Le 16 novembre, Louise Sinotte participe avec ses deux fils à la remise des bulletins; Ariane Gagnon lui fait part de ses observations et recommandations et sur-le-champ la mère s'adresse à son fils : «Tu dois faire des efforts pour rester avec ton frère».
[34] Ariane Gagnon et Louise Sinotte présentent des versions opposées quant au contenu de cette rencontre et nous y reviendrons ci-après (section II.1).
[35] Les résultats scolaires de Félix ne s'améliorent pas et il obtient des notes désastreuses lors de trois examens en novembre et décembre :
§ En français : 3.5/25
§ En français : 9/44
§ En mathématiques : 0/12
[36] Concernant le processus qui a mené à la prise de décision de mettre en place l'aire de retrait, Ariane Gagnon témoigne ainsi :
Ø Lors de ses discussions avec le psychoéducateur Gagnon, elle lui énumère toutes les démarches et mesures mises en place depuis septembre concernant Félix.
Ø Ce dernier lui fait part qu'une méthode ultime ou de dernier ressort consiste à aménager une aire de retrait où l'élève se consacre à ses travaux individuels sans être dérangé.
Ø Elle en parle à sa collègue, Manon Bourassa, de même qu'à la directrice, Julie Marchand.
Ø Il y a un peu de confusion entre ces trois témoins quant au moment où ces discussions interviennent par rapport à la prise de décision.
[37] Au retour des fêtes, les enfants reviennent à l'école St-Paul le mardi 9 janvier 2007.
[38] Selon la demanderesse, l'installation fut apportée dans la classe le 15 janvier 2007 et mise en place le vendredi 19, soit à l'heure du midi, soit en fin d'après-midi.
[39] La défense en présentant comme témoins les deux frères, Félix et Alex, ainsi qu'un compagnon de classe, Michael Perreault, soumet que cet élément fut plutôt mis en place dès le mardi le 9 janvier.
[40] Ariane Gagnon affirme avoir tenté de rejoindre la mère par téléphone dès ce vendredi après-midi; il n'y a pas de réponse, mais elle ne laisse pas de message sur le répondeur.
[41] Mme Sinotte nie catégoriquement cette version n'ayant jamais constaté d'inscription sur l'afficheur du téléphone de la résidence familiale quant à des appels provenant de l'école St-Paul.
[42] L'enseignante affirme avoir écrit un long message dans le carnet de route de Félix, tel qu'il appert des inscriptions en regard du 22 janvier[10] alors que les parents affirment que ces notes ont été ajoutées après coup, une fois l'affaire éclatée dans les médias.
[43] Le mardi, 6 février au midi, Félix arrive en pleurant à la maison, se plaint à sa mère qu'il ne peut voir dans la classe, que l'enseignante l'ignore et qu'il est toujours assis à sa place derrière un panneau comportant des petits trous.
[44] Jacques Turenne, présent à la maison, demande aux deux garçons de faire un dessin de cette installation.
[45] Sur-le-champ, Louise Sinotte et son conjoint, caméra à la main, se dirigent vers le local de la classe de quatrième année.
[46] Voyant l'installation à l'arrière de la classe, la mère se met à pleurer et Jacques Turenne, d'un ton ferme, demande à l'enseignante de la démanteler immédiatement.
[47] Louise Sinotte, armée de sa caméra, prend une dizaine de photographies de l'installation[11].
[48] Ariane Gagnon témoigne à l'effet qu'elle a tenté de donner certaines explications, qu'elle sera en mesure de la rencontrer lors de la remise des bulletins prévue pour le jeudi afin de lui transmettre de plus amples informations.
[49] Peu de temps après, Louise Sinotte et Jacques Turenne rencontrent la directrice, lui font part de leurs doléances et de leur stupéfaction devant cette situation.
[50] Selon Julie Marchand, elle a tenté de leur donner des explications, que Félix avait des difficultés, qu'il s'agissait d'un espace pour les travaux individuels seulement, qu'elle prépare un avis de convocation pour une rencontre le 12 février avec l'enseignante et les professionnels afin de préparer un plan d'intervention.
[51] De leur côté, Louise Sinotte et Jacques Turenne concluent que par son attitude et ses propos, la directrice ne changera pas d'opinion et n'exigera pas l'enlèvement de l'installation.
[52] L'après-midi même, Jacques Turenne et Louise Sinotte communiquent avec le bureau du directeur général de la Commission, Claude Leclerc.
[53] Plus tard dans l'après-midi, Louise Sinotte s'entretient avec Leclerc : ce dernier est surpris, lui mentionne qu'il communique avec la directrice et qu'il va la rappeler; il accepte la proposition de Mme Sinotte de lui transmettre des photographies par courriel, ce qu'elle fait immédiatement[12].
[54] Louise Sinotte et son conjoint ne reçoivent pas de retour d'appel de Claude Leclerc ni l'après-midi du mardi ni le lendemain le 7; de fait, Claude Leclerc leur transmettra une réponse[13] le jeudi 8 en fin d'après-midi.
[55] Toutefois, dès le mercredi 7 février, Jacques Turenne contacte François St-Onge, une connaissance, qui exerce la fonction de chef de pupitre pour le réseau TQS à Trois-Rivières et ce dernier lui propose d'envoyer un journaliste les rencontrer.
[56] De fait, la journaliste Danny Côté enregistre une entrevue au domicile familial le jeudi en compagnie des deux parents et du jeune Félix.
[57] S'enclenche alors un déferlement médiatique dont nous traiterons ultérieurement, mais de façon sommaire il y a lieu de retenir pour ce qui est de la télévision :
Ø Des reportages dans l'après-midi du jeudi sur le réseau TQS et de nombreux reportages le vendredi 9 février sur les réseaux d'information continue (LCN et RDI) en plus de l'émission de M. François Paradis, TVAendirect.com, diffusée sur l'heure du dîner.
[58] Et la radio n'est pas de reste, la demanderesse produit six interventions de différentes durées au matin du 9 février dans des postes de radio de la Mauricie en plus de l'émission matinale de Paul Arcand à Montréal.
[59] Les journaux du samedi 10 février contiennent des reportages où l'on retrouve les photographies de l'installation; dans l'un des quotidiens, les titres sont très évocateurs.
[60] Ce même vendredi, la Commission publie un communiqué de presse[14] et tient une conférence de presse en début d'après-midi d'ailleurs diffusée en direct sur RDI et LCN; sa position est mise en évidence dans un éditorial et une chronique publiés dans le Journal le Nouvelliste[15].
[61] Cette médiatisation a donné lieu à un déferlement de messages dont certains sont haineux sur le répondeur du système téléphonique de l'école et la boîte de courriel du secrétariat[16].
[62] Louise Sinotte décide de retirer les deux enfants de l'école St-Paul et se consacre à leur donner l'instruction à la maison, conformément à la Loi sur l'instruction publique, pour compléter la quatrième année, de même que pour toute la cinquième année (2007-2008)[17].
[63] Le 28 novembre 2007, Ariane Gagnon dépose les procédures judiciaires dans le présent dossier contre Louise Sinotte et Jacques Turenne.
[64] Le 18 janvier 2008, le Nouvelliste publie un article mentionnant la poursuite intentée par Ariane Gagnon contre les défendeurs et, dans la même page, l'on retrouve un article rapportant une entrevue avec le président du Syndicat de l'enseignement de la Mauricie, dont la demanderesse est membre[18].
[65] Dès le 8 février 2008, les défendeurs déposent leur défense et demande reconventionnelle dirigée à l'origine contre l'enseignante et ultérieurement en y joignant la Commission.
[66] Les 14 et 15 octobre 2008, la demanderesse et les défendeurs sont interrogés longuement hors cour; la lecture des notes sténographiques démontre la tension qui règne entre les avocats.
Questions en litige
[67] Suite à ce long procès, le Tribunal devra étudier les questions suivantes :
1. Quant au recours de la demanderesse :
Ø La définition de la diffamation selon la doctrine et la jurisprudence.
Ø Les propos reprochés aux défendeurs et leur diffusion constituent-ils de la diffamation?
2. La situation de l'enfant et les démarches de l'enseignante à l'automne 2006 et à l'hiver 2007.
3. Les défendeurs étaient-ils justifiés de dénoncer sur la place publique les mesures prises par l'enseignante :
Ø Le statut d'un enseignant : personnalité publique sujette à la critique?
Ø Droit de dénoncer aux médias la situation de Félix eu égard à leur liberté d'expression?
4. Les défendeurs ont-ils commis une faute qui les rend responsables envers la demanderesse?
5. La demande reconventionnelle pour diffamation contre Ariane Gagnon et la Commission scolaire de l'énergie est-elle fondée?
6. Le recours d'Ariane Gagnon est-il abusif?
7. Les dommages réclamés de part et d'autre :
Ø Par la demanderesse pour des dommages moraux.
Ø Par les défendeurs pour des dommages matériels et moraux.
Ø Par les deux parties à titre de dommages exemplaires.
8. Eu égard à la situation de chacune des parties, à la durée du procès et aux sommes réclamées, le Tribunal peut-il mitiger les dépens?
I. Ariane Gagnon a-t-elle diffamée?
I.1 La définition de la diffamation
[68] À compter du paragraphe 27 jusqu'au paragraphe 52 de sa requête, la demanderesse reproduit de larges extraits des entrevues accordées par Louise Sinotte et Jacques Turenne.
[69] Elle allègue que leurs propos sont faux et diffamatoires, constituent une faute et lui ont causé un lourd préjudice.
[70] Il y a lieu, dans un premier temps, de se référer aux dispositions législatives concernant le droit à la réputation et surtout à la définition de la diffamation.
[71] Les articles 3 du Code civil du Québec et 4 de la Charte des droits et libertés de la personne[19] (Charte québécoise) traduisent tous deux une même réalité : la réputation d'une personne, sa dignité et son honneur sont des droits fondamentaux que l'on doit protéger.
[72] La Cour d'appel dans l'affaire Radio Sept-Îles[20] définit ainsi la diffamation :
«(…)
Génériquement, la diffamation consiste dans la communication de propos ou d'écrits qui font perdre l'estime ou la considération de quelqu'un ou qui, encore, suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables. Elle implique une atteinte injuste à la réputation d'une personne, par le mal que l'on dit d'elle ou la haine, le mépris ou le ridicule auxquels on l'expose.
La diffamation se définirait génériquement comme l'atteinte fautive à la réputation d'autrui. Elle prend des formes diverses. Écrite ou verbale, elle peut être le fait des médias écrits ou électroniques. Elle résulte parfois de la simple communication d'informations erronées ou sans intérêt, ou bien qu'exactes, diffusées sans intérêt public ou, parfois, de commentaires ou de critiques injustifiés ou malicieux. Dans tous les cas, à la base de la responsabilité, il faut cependant que l'on retrouve une faute délictuelle ou quasi-délictuelle.»
(P. 1818)
[73] Les auteurs Baudouin et Deslauriers[21] s'expriment ainsi :
«1-292 - Terminologie - En droit civil, il n'existe pas de différence entre la diffamation au sens strict du mot et le libelle que connaît le droit pénal. Toute atteinte à la réputation, qu'elle soit verbale (parole, chanson, mimique) ou écrite (lettre, pièce de procédure, caricature, portrait, etc.) publique (articles de journaux, de revues, livres, commentaires de radio, de télévision) ou privée (lettre, tract, rapport, mémoire), qu'elle soit seulement injurieuse ou aussi diffamatoire, qu'elle procède d'une affirmation ou d'une imputation ou d'un sous-entendu, constitue une faute qui, si elle entraîne un dommage, doit être sanctionnée par une compensation pécuniaire. On retrouve le terme diffamation employé, la plupart du temps, dans un sens large couvrant donc l'insulte, l'injure et pas seulement l'atteinte stricte à la réputation. […]»
(P. 257)
[74] Depuis 2002, les notes du juge LeBel de la Cour suprême dans l'arrêt Prud'homme[22] décrivent de façon limpide ce qu'est la diffamation en matière civile en faisant les distinctions par rapport à la common law :
«34 La nature diffamatoire des propos s'analyse selon une norme objective (Hervieux-Payette c. Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, [1998] R.J.Q. 131 (C.S.), p. 143, infirmé, mais non sur ce point, par Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal c. Hervieux-Payette, [2002] R.J.Q. 1669 (C.A.)). Il faut, en d'autres termes, se demander si un citoyen ordinaire estimerait que les propos tenus, pris dans leur ensemble, ont déconsidéré la réputation d'un tiers. À cet égard, il convient de préciser que des paroles peuvent être diffamatoires par l'idée qu'elles expriment explicitement ou encore par les insinuations qui s'en dégagent. Dans l'affaire Beaudoin c. La Presse Ltée, [1998] R.J.Q. 204 (C.S.), p. 211, le juge Senécal résume bien la démarche à suivre pour déterminer si certains propos revêtent un caractère diffamatoire :
«La forme d'expression du libelle importe peu; c'est le résultat obtenu dans l'esprit du lecteur qui crée le délit». L'allégation ou l'imputation diffamatoire peut être directe comme elle peut être indirecte «par voie de simple allusion, d'insinuation ou d'ironie, ou se produire sous une forme conditionnelle, dubitative, hypothétique». Il arrive souvent que l'allégation ou l'imputation «soit transmise au lecteur par le biais d'une simple insinuation, d'une phrase interrogative, du rappel d'une rumeur, de la mention de renseignements qui ont filtré dans le public, de juxtaposition de faits divers qui ont ensemble une semblance de rapport entre eux».
Les mots doivent d'autre part s'interpréter dans leur contexte. Ainsi, «il n'est pas possible d'isoler un passage dans un texte pour s'en plaindre, si l'ensemble jette un éclairage différent sur cet extrait». À l'inverse, «il importe peu que les éléments qui le composent soient véridiques si l'ensemble d'un texte divulgue un message opposé à la réalité». On peut de fait déformer la vérité ou la réalité par des demi-vérités, des montages tendancieux, des omissions, etc. «Il faut considérer un article de journal ou une émission de radio comme un tout, les phrases et les mots devant s'interpréter les uns par rapport aux autres.»»
I.2. Les propos des défendeurs et la diffusion dans les médias
[75] La demanderesse a produit et fait entendre lors de l'audition des disques CD contenant l'enregistrement des entrevues accordées à des postes de télévision et de radio dans le cadre des reportages suivants :
P-2 : |
Télévision : - 8 février à TQS : 16 h 32, 17 h 47, 18 h 06. - 9 février à LCN : 7 h 53, 9 h 34, 10 h 03, 11 h 01, 12 h 30, 12 h 38. à TVA : 12 h 04, 17 h 33. à Radio Canada : 12 h 10. à RDI : 13 h 12. - 9 février «TVAendirect.com» animée par François Paradis à compter de 12 h 30. |
P-3 : |
Six diffusions entre 7 h 39 et 8 h 30 a.m. sur un poste de radio montréalais à grande diffusion (98.5 fm, Paul Arcand) de même que sur des postes de la Mauricie. |
P-4 : |
Articles publiés samedi le 10 février dans le Journal de Québec et le journal de Trois-Rivières où l'on voit des photographies de la classe, de l'installation, du jeune Félix et de ses parents sous les titres : · Confiné dans un petit coin depuis un mois. · Écolier de 9 ans isolé en cage. |
[76] Le Tribunal joint en annexe 1 deux photographies montrant l'installation publiées tant dans les médias électroniques qu'écrits.
[77] Parmi les propos tenus par Louise Sinotte et Jacques Turenne, le Tribunal comprend que la demanderesse insiste plus particulièrement sur les suivants bien qu'elle reproduise dans sa requête l'ensemble de leurs affirmations :
Ø «L'enfermer dans une cage comme ça».
Ø «Ils ont fait un enclos là, avec du treillis intimité».
Ø «Ça fait cinq semaines qu'il est en arrière».
Ø «C'est trente-cinq heures par semaine, ça fait cent cinquante heures».
Ø «Ils lui font manquer ses récréations la majorité du temps».
Ø «Il était enfermé en arrière comme ça».
Ø «La démission du professeur, la démission de la directrice, Julie Marchand, Ariane Gagnon…»
Ø «Il a peur d'elle, il la trouve tellement méchante».
Ø «Avec un peu de sarcasme, elle lui dit : Retourne dans ta cage, heu…à ta place, Félix».
Ø «Cette professeur-là a un comportement bizarre que je trouve non-adéquat, je la trouve immature».
[78] La demanderesse soumet que ces propos ont déclenché l'opprobre populaire et pour en démontrer l'impact produit les documents suivants :
Ø P-18 : Transcription des messages téléphoniques sur le répondeur du secrétariat de l'École St-Paul. Sauf pour les deux derniers contenant un message d'appui dont celui d'un membre du conseil des commissaires, les autres blâment sévèrement le personnel de l'école dans des termes peu respectueux, quelquefois parsemés d'injures.
On y retrouve même le message d'un détenu du pénitencier de Donnacona en libération conditionnelle qui contient des menaces explicites à l'intégrité physique du personnel de l'école.
Ø P-20 : Différents courriels reçus sur l'ordinateur du secrétariat de l'école dénonçant, de façon vigoureuse, la situation du jeune Félix parlant d'incompétence, méthodes inadmissibles, mauvais traitements réservés aux animaux…
[79] Et l'apogée est atteint lors de l'émission TVAendirect.com produite à Québec, animée par François Paradis et diffusée sur tout le réseau TVA sur l'heure du dîner le vendredi 9 février[23].
[80] En studio, l'animateur est accompagné d'un enseignant à la retraite, M. Robert Martel, les parents en compagnie de Félix sont en studio à Trois-Rivières; ils répondent aux questions de l'animateur.
[81] Ce dernier requiert également les commentaires et opinions de M. Martel puis ceux d'une ex-juge de la Chambre de la jeunesse, Mme. Andrée Ruffo.
[82] L'autre volet de l'émission consiste à lire en ondes des commentaires d'auditeurs transmis par courriel, lesquels sont reproduits sur l'écran ou livrés en direct par l'intermédiaire d'une webcaméra.
[83] La demande a déposé la reproduction des commentaires[24] qui sont apparus à l'écran tout au long de l'émission : dans la grande majorité des cas, l'enseignante est blâmée bien que les propos sont d'une teneur et d'un ton beaucoup plus respectueux que ceux enregistrés sur la boîte vocale du système téléphonique de l'école.
[84] Les deux parents sont donc les seuls à communiquer leur version mettant en évidence la durée (cinq semaines), qu'ils n'ont pas été avertis, que Félix y passait la plus grande partie de son temps…
[85] Le paroxysme est atteint à la fin du reportage, l'animateur cède la parole à l'ex-juge Ruffo et à l'ex-enseignant; le moins que l'on puisse dire, la règle audi alteram partem n'est pas respectée avant que le jugement tombe!
[86] À cette étape du dossier, le Tribunal n'a aucune hésitation à conclure que les propos des parents qui ont été diffusés sont diffamatoires; l'on a livré Mme Gagnon en pâture à l'opinion publique.
[87] Reprenant les termes de la Cour d'appel dans l'affaire Radio Sept-Iles, les propos tenus par les parents ont «suscité des sentiments défavorables ou désagréables (…)» et «impliquent une atteinte injuste à la réputation, par le mal que l'on dit d'elle ou la haine, le mépris ou le ridicule auxquels on l'expose».
[88] Il est évident que la diffusion des images de l'installation jumelées aux propos des parents quant à la durée (cinq semaines), la présence continuelle (cinq heures), les propos qu'aurait tenus l'enseignante : «retourne dans ta cage, t'as pas d'amis…», l'émoi populaire est à son comble et les jugements sont expéditifs.
[89] Il faut également se situer dans le contexte des années 2000 où dans notre société, le sort des enfants qui ont été soumis à toutes sortes de sévices, de mauvais traitements de la part de parents, d'entraîneurs sportifs, d'enseignants, de prédateurs… fait les manchettes.
[90] Mais cela ne signifie pas pour autant qu'une faute a été commise, il y a lieu de continuer notre analyse de la preuve et des points plaidés de part et d'autre : le comportement des parents est-il fautif, étaient-ils justifiés de dénoncer aux médias la situation de Félix.
II. Situation de l'enfant et de l'enseignante à l'automne 2006 et à l'hiver 2007
[91] D'entrée de jeu, il faut noter que Mme Sinotte, en sa qualité de tutrice de Félix, a intenté en janvier 2010 des procédures judiciaires en Cour du Québec contre Ariane Gagnon, Julie Marchand et la Commission scolaire[25].
[92] Dans sa requête, elle relate brièvement les faits à compter du retour de la période des Fêtes jusqu'à sa visite le 6 février alléguant que Félix a été isolé dans un enclos, qu'elle n'en a pas été avisée par l'enseignante ou la direction, qu'il s'agissait d'une situation quasi permanente…
[93] Alléguant que l'on a porté de façon intentionnelle atteinte à l'intégrité psychologique et à la dignité de Félix, Mme Sinotte réclame 20 000 $ pour les dommages moraux et 5 000 $ à titre de dommages exemplaires.
[94] Le Tribunal sera circonspect dans ses commentaires vu l'existence de ces procédures, mais il devra se référer aux évènements pour établir s'il y a eu faute de la part des défendeurs eu égard aux allégations de Mme Gagnon au soutien de son recours en diffamation.
II.1- Situation de Félix en 2006-2007
[95] De nombreuses questions ont été posées aux différents témoins quant à la situation de Félix au cours des années précédentes ainsi qu'à l'automne 2006; il y a lieu de dresser un sommaire de la situation.
[96] Le Tribunal retient de la preuve administrée tant par la demande que par la Commission scolaire, qu'entre la maternelle et la troisième année, Félix rencontre des difficultés tant dans son comportement qu'au niveau académique.
[97] Le Tribunal n'a pas besoin d'être spécialiste en enseignement primaire pour constater, comme tout bon parent, à la lecture des bulletins[26] de Félix de la troisième année que ce dernier a des difficultés au point de vue académique.
[98] On y retrouve en plus grande quantité de notes C (chemine en éprouvant quelques difficultés) et même quelques D (chemine en éprouvant des difficultés importantes) par rapport à des B ou A (chemine facilement ou très facilement).
[99] Le témoignage de l'ex-enseignante, Suzanne Allard, titulaire de la classe de Félix et d'Alex en troisième année est évocateur.
[100] Enseignante pendant 37 ans, elle a même enseigné à Mme Sinotte dans son village natal de St-Alexis-des-Monts, elle nous décrit ainsi Félix :
Ø Élève attachant mais très perturbant.
Ø Difficulté à se tenir attentif à son travail.
Ø Dérange les autres dès qu'une matière ne l'intéresse pas.
Ø Difficultés d'écriture et de lecture.
[101] Le Tribunal n'a aucune hésitation à retenir le témoignage de cette professionnelle de l'enseignement : d'ailleurs, Mme Sinotte lui a fait confiance et a accepté sa recommandation d'inscrire Félix aux services d'orthopédagogie à compter de novembre 2005[27].
[102] En septembre 2006, Ariane Gagnon n'a évidemment pas l'expérience de Mme Allard lorsqu'elle prend charge de la quatrième année, elle entreprend sa cinquième année d'enseignement au primaire.
[103] Comme nous l'avons mentionné dans la narration des faits, Ariane Gagnon et Manon Bourassa travaillent en équipe selon la méthode du «team teaching», de sorte qu'elles sont appelées à travailler avec tous les élèves de la quatrième année.
[104] Quant à la conduite et à la progression de Félix à l'automne 2006, elles nous rapportent que :
Ø Il lève la main régulièrement et intervient alors que l'enseignante ne lui a pas donné le droit de parole.
Ø Il bouge beaucoup : bruits avec sa bouche et son crayon, pousse sa chaise contre le pupitre arrière…
Ø Il se lève, claque le couvert de son pupitre…
Ø Lors des travaux en équipe de deux ou de quatre, il ne fait pas sa part, ce qui provoque l'insatisfaction des autres membres du groupe.
[105] Ariane Gagnon met donc en place différentes mesures :
Ø Changer son bureau de place.
Ø Demander à d'autres élèves qui ont plus de facilité de l'aider.
Ø Placer son bureau dans le corridor tout près de la classe : il réussit à déranger les élèves qui circulent dans le corridor.
[106] Elle ressert l'application des règles de comportement impliquant la mise en place du système de feux de circulation et de feuille de route[28].
[107] Elle consulte les spécialistes qui œuvrent à l'école :
Ø M. Luc Gagnon, psychoéducateur :
· Ariane Gagnon profite de trois rencontres pour le consulter concernant Félix et lui demander des outils pour un élève qui a besoin de calme. Il lui parle des feuilles de route, de d'autres outils qui ont été utilisés dans le passé; elle lui confirme que tout cela a donné peu de résultats, c'est alors qu'il aborde la possibilité d'utiliser une aire de retrait.
Ø Mme Stéphanie Lefebvre : diplômée en enseignement d'adaptation scolaire appelée à intervenir tant dans les classes d'adaptation que d'orthopédagogie.
· Elle connaît bien Félix vu qu'elle a eu à faire des interventions les années précédentes, soit à la demande de la directrice (atelier pour des petits groupes), soit à la demande de l'enseignante Allard en troisième année.
· À l'automne 2006, son bureau étant situé tout près de celui de classe d'Ariane, cette dernière la consulte concernant Félix. Elle a pu constater les problèmes de comportement de ce dernier lorsque son pupitre a été placé dans le corridor.
[108] De plus, pour la rencontre des bulletins de la première étape, Ariane Gagnon a préparé des notes[29] et affirme qu'elle recommande à la mère d'inscrire Félix en psychoéducation.
[109] Elle prépare d'ailleurs une fiche de signalisation et de référence[30] contenant ses constats, les mesures prises jusqu'à maintenant et elle inscrit une demande de référence à des services spécialisés.
[110] Lors de son témoignage, Louise Sinotte niera catégoriquement qu'une telle proposition lui ait été faite, elle n'a donc pas refusé de tels services; elle en veut pour preuve que sa signature n'apparaît pas sur les fiches contrairement aux années précédentes où l'on retrouve sa signature sous la mention «refus».
[111] Le Tribunal n'a pas besoin de trancher ces versions contradictoires quant à l'offre de services spécialisés pour la décision qu'il doit prendre.
[112] Le témoignage des autres enseignantes, des spécialistes et les nombreuses notes dans le cahier de route de Félix tout au cours de l'automne 2006 corroborent le témoignage d'Ariane Gagnon quant aux difficultés de Félix.
[113] Le Tribunal ne retient pas la thèse de la défense quant à la solidarité parmi le personnel syndiqué pour ajuster les versions des différents témoins ou pour compléter après coup certains documents, et ce, dans le but de dépeindre Félix comme un enfant en difficultés.
[114] Le Tribunal est convaincu que Mme Sinotte est une mère dévouée qui aime profondément son fils; elle a témoigné de façon sincère bien qu'émotive.
[115] Toutefois, elle a vécu une période difficile depuis 2007 et son coeur de mère et le stress qu'a causé tout ce litige ont pu fausser sa perception de la situation de son fils.
[116] Pour les fins du jugement dans cette affaire de diffamation, le Tribunal se doit de réviser la preuve contradictoire administrée par les parties quant à trois aspects : date de la mise en place de l'installation, la durée de la présence de Félix à chaque jour et l'avis aux parents.
II.2- Mise en place de l'aire de retrait
[117] Le Tribunal partage le point de vue de Me Grey qu'il n'a pas à se prononcer sur le bien-fondé et l'opportunité de la mise en place de l'installation qui a provoqué toute cette histoire : Mme Sinotte, en sa qualité de tutrice, a déposé des procédures en Cour du Québec.
[118] Toutefois, de nombreuses heures de témoignage ont été consacrées à la question de savoir si elle a été mise en place le 19 janvier selon la demanderesse où dès le retour le 9 janvier 2007, selon les défendeurs.
[119] Des témoignages entendus en demande, le Tribunal retient :
Ø Ariane Gagnon consulte à nouveau Luc Gagnon au retour des Fêtes.
Ø Elle en parle avec Manon Bourassa avant de partir pour le congé des Fêtes.
Ø Suite à la suggestion de Luc Gagnon, elle a discuté de la situation de Félix avec la directrice.
Ø Au retour des Fêtes, elle en parle à nouveau à la directrice et la décision est prise au cours de la semaine du 15 janvier.
Ø C'est d'ailleurs Julie Marchand qui demande au concierge de monter dans la classe l'installation qui était entreposée dans le «théâtre» du gymnase.
Ø Le concierge, Paul-André Hould donne suite à cette demande et la note[31] dans son agenda est explicite : «monté paravent classe-Ariane (demande Julie).
Ø Ariane Gagnon est assistée de Manon Bourassa lorsqu'ils mettent l'installation en place au cours de l'après-midi du vendredi 19 janvier, à un moment où les élèves ne sont pas dans la classe.
[120] En contre-interrogatoire de Manon Bourassa, Ariane Gagnon et Julie Marchand, l'avocat des défendeurs a posé plusieurs questions dans le but de confronter leurs versions à l'audience par rapport à certaines réponses d'Ariane Gagnon lors de l'interrogatoire au préalable.
[121] Pour le Tribunal, les divergences ou imprécisions peuvent s'expliquer par l'écoulement du temps, mais n'affectent pas la crédibilité de ces trois témoins quant à la date et aux circonstances de la mise en place de l'installation.
[122] La défense présente une thèse opposée qui s'appuie sur le témoignage de trois enfants de cette classe alors âgés de neuf et dix ans.
[123] Michael Perreault, ami des deux frères à l'époque, nous fait part :
Ø Dès le retour des Fêtes de Noël le 9 janvier au matin, tous les élèves constatent que le pupitre de Félix a été déplacé vers l'arrière derrière un «quadrillé».
Ø Cette installation le perturbe au point où il en tombe malade; il n'est pas capable de retourner à l'école, et ce, du 15 au 22 ou 23.
[124] Le jeune garçon qui s'est exprimé de façon articulée, a fait l'objet de longs contre-interrogatoires menés de façon professionnelle par Me Choquette et Me Lavoie.
[125] Le Tribunal note qu'il a rencontré Mme Sinotte et M. Turenne à sa résidence une semaine ou deux avant sa présence en Cour et que la durée de cette rencontre varie selon sa version ou celle de sa mère.
[126] Le Tribunal tient à relater l'incident suivant :
Ø Le 28 avril 2011 à 10:56, le Tribunal a décrété une pause et s'est adressé au jeune Michael dans les termes suivants :
«Si tu veux aller aux toilettes tu peux y aller, mais tu ne parles pas à d'autres personnes et tu reviens ici, on revient dans cinq minutes.»
Ø À la reprise de l'audience, à une question de Me Choquette quant à son emploi du temps pendant la pause, il répond :
«Ils m'ont dit t'as bien fait ça, c'est correct, on a pas vraiment reparlé de ce que j'ai dit, j'étais dans un petit cubicule avec Félix, Alex, ma mère, la mère à Félix et son conjoint, tout le monde était là à part mon père, parce qu'il était parti chercher ma sœur.»
[127] En contre-preuve, la demanderesse a produit un relevé[32] des absences du jeune Michael au cours de cette période et il y appert que pour la période du 25 novembre au 25 janvier 2007, il n'a été absent que durant quatre journées.
[128] Il est très risqué pour un juge de se prononcer sur la crédibilité d'enfants surtout dans les circonstances du présent dossier : ce brave garçon se retrouve au milieu d'un litige opposant des tiers, est rencontré par les parents de Félix avant de venir témoigner, est interrogé et contre-interrogé devant un juge pendant près de 90 minutes, durant la pause il rencontre les défendeurs…
[129] Par respect pour le jeune Michael, le Tribunal évitera de commenter plus en détail certains aspects de son témoignage, mais malheureusement il ne peut lui accorder la crédibilité que les défendeurs auraient désiré que le Tribunal lui reconnaisse.
[130] Les deux frères jumeaux ont également témoigné quant au moment de l'implantation, le Tribunal retient :
Ø Ils affirment que l'installation a été mise en place dès la première journée au retour de la période des Fêtes, Félix y est assigné au retour de la récréation.
Ø Il s'est plaint dès le début à sa mère de la présence d'un morceau de bois, que cela l'empêche de voir au tableau expliquant ainsi les mauvais résultats lors de certains examens.
Ø Tout comme Michael Perreault, Alex ajoute que l'installation avait été apportée dans la classe avant Noël, étant placée le long du mur dans le coin lecture.
[131] C'est avec la même réticence que le Tribunal évitera de commenter plus amplement le témoignage d'Alex et Félix.
[132] Tout au long du contre-interrogatoire, le Tribunal a noté des contradictions, des hésitations qui l'amènent à conclure que pour des éléments essentiels, il s'agit d'une histoire apprise.
[133] Entre ces témoignages et celui du concierge Hould, appuyé par la note dans son agenda, le Tribunal conclut que de façon prépondérante il a été prouvé que l'installation a été apportée dans la classe au cours de la semaine du 15 janvier et mise en place le vendredi 19 janvier en après-midi.
II.3- Durée de la présence de Félix
[134] Compte tenu de la méthode d'enseignement mis en place par Manon Bourassa et Ariane Gagnon, ces deux enseignantes sont en mesure de témoigner quant à la présence de Félix derrière l'aire de retrait.
[135] De leur témoignage, le Tribunal retient :
Ø Pour l'enseignement magistral, Félix n'était pas derrière le paravent.
Ø Lorsqu'il a un travail à faire de façon individuelle, c'est à ce moment qu'il s'y installe, il le fait sans rechigner.
Ø Cette nouvelle façon de travailler lui a permis de mieux se concentrer, d'être moins dérangé par les stimuli externes, il est beaucoup plus calme et réussit à compléter son travail dans le temps imparti.
Ø Lors des travaux en équipe ou pour les cours d'arts plastiques, il s'installe avec ses compagnons et compagnes en dehors de cette aire tout comme pour les matières enseignées par les spécialistes dans d'autres locaux (ex. : éducation physique, les arts).
Ø Les autres élèves n'ont pas été affectés par cette situation, au contraire l'atmosphère dans la classe est plus calme.
Ø Il pouvait se lever pour aller poser des questions à l'enseignante lors des séances de travail individuelles, ce qu'il a d'ailleurs fait.
Ø À partir de son agenda[33] de planification de son enseignement, Ariane Gagnon a annoté, à la demande de son employeur, les différentes journées débutant à compter de la semaine du 15 janvier aux fins d'établir la durée de chacune des activités où Félix était présent derrière le paravent.
Ø On y constate qu'il s'agit de période de 15 à 30 minutes approximatives situées principalement au début de la matinée et de l'après-midi, le tout pouvant atteindre environ une heure[34].
Ø Il n'a pas été privé de récréation avec ses compagnons et compagnes à l'extérieur sauf lorsqu'il a été assigné au local SOS suite à l'émission d'une fiche de comportement pour des infractions au règlement de l'école.
[136] Comme nous en avons fait part dans le volet précédent, cette thèse de la défense repose entre autres sur les témoignages d'Alex et de Michael Perreault, selon lesquels :
Ø Il y passait toute la première période du matin (50 minutes), ne pouvait se lever pour poser des questions, pouvait difficilement voir au tableau à cause des affiches suspendues sur le quadrillé, y séjournait la majorité du temps de ses récréations en plus des autres périodes de 50 minutes.
Ø Toutefois, ils ne peuvent expliquer ce qui se passait lors de l'enseignement des spécialités : leur témoignage est imprécis quant à l'endroit de ces enseignements et quant aux conditions imposées à Félix.
[137] Quant à Félix, le Tribunal retient :
Ø Il a été beaucoup moins précis que son frère, Alex et Michael Perreault.
Ø Son témoignage est truffé de réponses : ne sait pas, c'est possible, ne se rappelle pas, alors que pour certains points, il est catégorique.
Ø Autant en interrogatoire en chef, il affirme catégoriquement sa présence continuelle derrière le paravent, autant, en contre-interrogatoire, il n'a pas de souvenir concernant différentes mentions inscrites depuis l'automne dans son carnet de route : comportement répréhensible, motifs pour qu'il soit référé au local SOS.
[138] Le Tribunal, à la section précédente, a eu à se prononcer sur la crédibilité à accorder aux témoignages d'Alex, Félix et de Michael Perreault.
[139] Le Tribunal n'a donc pas d'hésitation à retenir le témoignage de Manon Bourrassa et d'Ariane Gagnon : Félix a été confiné derrière l'installation que pour les périodes de travail individuelles, et de plus, il n'a pas été contraint d'y rester sans surveillance lors des périodes de récréation.
II.4- Avertissement aux parents
[140] C'est sur cette question que la version d'Ariane Gagnon et de Louise Sinotte diffère le plus.
[141] La version de l'enseignante est la suivante :
Ø Dès le vendredi, elle tente d'appeler au numéro de téléphone inscrit sur la carte d'absence : il n'y a pas de réponse, elle ne laisse pas de message vu qu'il est difficile de la rejoindre par téléphone.
Ø Elle préfère inscrire une note dans l'agenda au début de la semaine suivante.
Ø Elle explique la présence du liquide correcteur que l'on retrouve dans le carnet de route vis-à-vis la date du 18 janvier par rapport à la longue note que l'on retrouve à la page suivante[35].
Ø Elle commence à écrire le message le lundi 22 janvier, est dérangée par un élève et laisse la note en suspens.
Ø Se rendant compte qu'elle a débuté son inscription vis-à-vis la journée du jeudi 18 janvier, elle raye les quatre lignes et inscrit toute sa communication sur la page qui débute la semaine du 22 janvier, y compris le post-scriptum : «P.S. Félix doit se concentrer davantage, c'est pourquoi il travaille maintenant à l'arrière lors des travaux individuels, il doit faire des efforts pour réussir j'ai confiance.»
Ø Alors que la note qui avait été inscrite à la page précédente et qui est recouverte de liquide correcteur se lit : «Bonjour, un message pour vous aviser que Félix travaille maintenant à l'arrière pour faciliter sa concentration. Bien à vous, Mme Ariane».
Ø Félix apporte son carnet à la maison le lundi soir 22 janvier et le lendemain, à la demande d'Ariane Gagnon, confirme qu'il l'a montré à sa mère et que tout est correct.
[142] Mme Sinotte témoigne à ce sujet de la façon suivante :
Ø Lorsqu'elle a pris connaissance de la page 50 concernant la semaine du 22 janvier, le P.S. n'y apparaissait pas sous la signature «Mme Ariane».
Ø Elle a constaté la présence de ce post-scriptum que lorsqu'elle a pu reprendre possession du carnet plus tard suite à une démarche de son avocat auprès de la Commission scolaire[36].
Ø L'appareil téléphonique à sa résidence est muni d'un afficheur et la mémoire contient les numéros de téléphone de chacune des écoles fréquentées par ses enfants.
Ø Or, elle n'y a retrouvé aucune mention d'un appel provenant de l'école Saint-Paul.
Ø À cette époque, elle ne reçoit qu'un seul appel : le 25 janvier; Ariane Gagnon lui demande si Félix et Alex vont participer à la sortie des scouts et aucun autre sujet n'est abordé.
[143] Étant donné que l'enseignante n'a pu rejoindre Louise Sinotte par téléphone, le Tribunal doit constater que le message écrit n'est pas un chef-d'œuvre de précision.
[144] Si l'on retient la version d'Ariane Gagnon, à savoir que l'avertissement était donné par le post-scriptum à la fin de sa longue note du 22 janvier, l'on doit constater que tout ce qu'elle dit, c'est «qu'il travaille maintenant à l'arrière lors des travaux individuels» et la note en regard du 18 janvier effacée avec du liquide correcteur est au même effet.
[145] Le Tribunal comprend que Mme Sinotte a été choquée lorsqu'elle se présente dans la classe à l'heure du dîner le 6 février; la mention dans le carnet de Félix ne constituait pas une information claire et complète.
[146] De part et d'autre, l'on a aussi traité des propos qu'aurait prononcé l'enseignante et rapportés par Félix à sa mère : «retourne dans ta cage, t'as pas d'amis…»
[147] Ariane Gagnon nie catégoriquement avoir tenu de tels propos et compte tenu que du fait qu'ils ne constituent pas le coeur du litige, le Tribunal n'a pas à se prononcer quant à savoir s'il s'agit d'une création des enfants ou si Ariane Gagnon les a effectivement tenus.
III.- Le statut de l'enseignante et le droit de dénoncer aux médias
Un professionnel est sujet à la critique
[148] Les avocats de la demanderesse et des défendeurs citent tous deux à l'appui de leur thèse l'arrêt Ross[37] de la Cour suprême concernant le statut d'un enseignant :
Ø Pour la demanderesse, un enseignant se doit d'avoir une réputation immaculée et toute publication de propos mensongers ou diffamatoires aura une répercussion énorme sur sa capacité à continuer à exercer son enseignement en ce que sa crédibilité en est affectée.
Ø Pour les défendeurs, comme tout professionnel, l'enseignant ne bénéficie pas d'une immunité particulière et doit s'attendre à ce que les parents puissent, de bonne foi, informer le public des écarts de conduite dans l'exercice de sa profession.
[149] Dans cette affaire, un enseignant du Nouveau-Brunswick, en dehors de ses heures de travail, a publié des livres, écrit des lettres ouvertes dans les journaux et tenu des propos lors d'une entrevue télévisée, le tout échelonné sur une période de plus de cinq ans.
[150] Toutes ces communications ont un point en commun : il y tient des propos racistes et discriminatoires envers les membres de la communauté juive.
[151] Un parent dépose une plainte contre le conseil scolaire alléguant que lui et ses enfants sont victimes de discrimination en raison de leurs croyances religieuses.
[152] Une commission d'enquête constituée en vertu d'une loi provinciale sur les droits de la personne lui donne raison et les conclusions de cette commission font l'objet de recours jusqu'en Cour suprême du Canada.
[153] Le juge La Forest a rédigé l'opinion unanime de cette Cour où il traite en détail des questions de droit constitutionnel et administratif soulevées par le pourvoi.
[154] Aux fins du présent jugement, il y a lieu de s'attarder plus particulièrement à ses propos concernant le statut de l'enseignant et sa capacité d'agir :
«43 Les enseignants sont inextricablement liés à l'intégrité du système scolaire. En raison de la position de confiance qu'ils occupent, ils exercent une influence considérable sur leurs élèves. Le comportement d'un enseignant influe directement sur la perception qu'a la collectivité de sa capacité d'occuper une telle position de confiance et d'influence, ainsi que sur la confiance des citoyens dans le système scolaire public en général.
44 Le comportement de l'intermédiaire qu'est l'enseignant doit traduire son adhésion à ces valeurs, croyances et connaissances que le système scolaire cherche à communiquer. Son comportement est évalué en fonction de la position même qu'il occupe, et non en fonction de la question de savoir si le comportement en cause a été adopté en classe ou ailleurs. L'enseignant est perçu dans la collectivité comme l'intermédiaire par lequel passe le message éducatif, et en raison de la position qu'il y occupe, il n'est pas en mesure de [traduction] «choisir le chapeau qu'il portera et dans quelle occasion» (voir Re Cromer and British Columbia Teachers' Federation (1986), 29 D.L.R. (4th) 641 (C.A.C.-B.), à la p. 660); ce chapeau d'enseignant, il ne l'enlève donc pas nécessairement à la sortie de l'école et, pour certains, il continue à le porter même après les heures de travail. C'est ce que Reyes affirme, loc. cit., à la p. 37 :»
[155] Toutefois, le Tribunal ne retrouve rien dans cet arrêt pour soutenir l'affirmation qu'un enseignant est un professionnel qui peut être soumis à la critique en public.
[156] Dans l'affaire Aubry[38] la Cour suprême définit ainsi ce qui peut constituer une activité publique consistant en une matière d'intérêt public :
«Ainsi, il est généralement reconnu que certains éléments de la vie privée d'une personne exerçant une activité publique ou ayant acquis une certaine notoriété peuvent devenir matière d'intérêt public. C'est le cas, notamment, des artistes et des personnalités politiques, mais aussi, plus globalement, de tous ceux dont la réussite professionnelle dépend de l'opinion publique. Il peut aussi arriver qu'un individu jusqu'alors inconnu soit appelé à jouer un rôle de premier plan dans une affaire qui relève du domaine public, par exemple, un procès important, une activité économique majeure ayant une incidence sur l'emploi de fonds publics, ou une activité qui met en cause la sécurité publique.»
[157] Notre collègue, la juge Richer[39], saisie d'une poursuite d'une enseignante contre des parents qui se sont adressés aux médias suite à un règlement hors cour d'une instance antérieure impliquant les mêmes parties s'exprime ainsi :
«[52] Les tribunaux ont reconnu que les politiciens et les milieux syndicaux, lorsque confrontés à des propos qu'on allègue être diffamatoires, doivent faire preuve de plus de tolérance. Les tribunaux font nettement la distinction entre des propos s'adressant au politicien ou au rôle syndical de la personne, par opposition aux propos qui visent l'intégrité professionnelle ou personnelle de ces mêmes personnes. Ainsi, dans l'arrêt Syndicat des travailleurs et travailleuses de la Ville de Gaspé c. Côté, la Cour d'appel a considéré que, lorsque confronté à des propos de nature diffamatoire tenus à l'occasion de la négociation de travail, le seul antagonisme des parties ne permettait pas, pour autant, une attaque systématique et répétée contre l'intégrité professionnelle et personnelle du demandeur.
[53] Par ailleurs, dans l'affaire Hill c. Église de scientologie de Toronto, la Cour suprême du Canada a souligné la gravité d'une attaque dirigée contre un avocat en fonction. Il en ressort que lorsque la victime de la diffamation est un avocat, l'appréciation de la faute et du préjudice doit tenir compte des exigences très élevées qui sont reliées à cette profession, plus particulièrement en ce qui a trait à l'honneur, la dignité et l'intégrité. Enfin, dans l'arrêt Groupe Québecor inc. c. Cimon la Cour d'appel du Québec retient les mêmes arguments à l'égard d'un notaire dont le maintien de la pratique professionnelle repose sur sa réputation irréprochable.
[158] Ensuite, concernant le statut d'un enseignant et l'importance de détenir une réputation irréprochable, la juge Richer écrit :
«[54] En l'espèce, la professeure est une professionnelle qui n'occupe pas une fonction publique; le fait que l'enseignement puisse, à certains égards, être un sujet d'intérêt public n'a pas pour effet de transformer le statut de professeur en une fonction publique semblable à celle des politiciens.
[55] Le Tribunal est d'avis que l'avenir professionnel d'un professeur dépend en très grande partie de sa réputation. Comment un professeur titulaire peut-il aspirer à une promotion, à changer de milieu d'enseignement ou même à maintenir son travail de tutorat en dehors des heures de classe, si sa réputation est détruite ou fortement ternie? Un professeur peut-il continuer d'évoluer pleinement dans son milieu de travail, en toute quiétude et en toute sérénité, après une sérieuse attaque à sa réputation? Le Tribunal est d'avis que non. Même si le professeur détient une poste d'enseignement permanent et qu'il est protégé par une convention collective, comme c'est ici le cas, l'atteinte à sa réputation professionnelle lui enlève la confiance des parents et des élèves, de même que celle d'une partie de ses collègues.
[56] Or, cette confiance est primordiale tant pour le professeur que pour les élèves, si l'on veut éviter un climat de méfiance, de crainte et d'anxiété tant au niveau estudiantin qu'au niveau professoral. Le maintien de la réputation de l'enseignant est également essentiel pour assurer un climat de travail sain et favorable aux échanges et à la collaboration entre professeurs, plus particulièrement entre partenaires d'une même classe d'immersion, comme c'est ici le cas. (…)»
[159] Le Tribunal partage cette opinion qui traduit bien, quant à nous, l'état du droit en la matière.
[160] Le Tribunal ne partage pas l'affirmation de l'avocat des défendeurs selon laquelle tous les professionnels peuvent être critiqués en public : si tel était le cas, une personne insatisfaite d'un professionnel pourrait tenir une conférence de presse, s'exprimer sur les lignes ouvertes d'une station de radio ou écrire une lettre à l'éditeur d'un quotidien pour dénoncer le professionnel, processus beaucoup moins coûteux et compliqué que d'exercer un recours en responsabilité professionnelle.
[161] Une telle façon de procéder permettrait par la suite de se contenter de se défendre à un éventuel recours en diffamation en plaidant tout simplement avoir exercé un droit légitime de dénonciation d'un acte que l'on pense fautif.
[162] Heureusement, au Québec, ce n'est pas ce que la très grande majorité des victimes font : elles s'adressent au syndic de l'ordre professionnel pour toute question d'ordre déontologique et aux tribunaux aux fins d'être indemnisées tout en devant prouver la faute commise et le lien de connexité avec les dommages subis.
Liberté d'expression
[163] Les défendeurs plaident également que de bonne foi, ils avaient le droit d'exprimer publiquement leur désaccord avec les mesures prises par l'enseignante, qu'il était d'intérêt public de dénoncer le traitement réservé à Félix de façon à éviter que d'autres enfants ne subissent un tel sort, et ce, pourvu qu'ils n’affirment pas publiquement des faussetés.
[164] Au soutien de ce motif, on nous cite des arrêts de la Cour suprême et de la Cour d'appel concernant la liberté d'expression et au premier chef l'arrêt Torstar[40].
[165] Grant, un promoteur immobilier soutient un projet de développement d'un terrain de golf qui soulève de l'opposition parmi les propriétaires des terrains voisins, tous situés le long d'un lac.
[166] Un journaliste du Toronto Star reproduit le point de vue des contestataires selon lequel le promoteur se sert de ses influences politiques pour obtenir l'approbation des autorités gouvernementales.
[167] Le promoteur refuse la demande d'entrevue présentée par le journaliste, mais poursuit pour diffamation et celui-ci et le quotidien.
[168] La Cour suprême établit que le droit en matière de diffamation ne peut priver les médias de la possibilité de publier des informations qui sont d'intérêt public bien que cela ne constitue pas un droit ouvert à ruiner la réputation d'autrui.
[169] La Cour suprême se trouve à créer un nouveau moyen de défense, celui de la communication responsable concernant des questions d'intérêt public.
[170] Or, le Tribunal est d'opinion que les faits et le statut des parties dans le présent dossier ne justifient aucunement l'application de ce moyen de défense : de toute façon, les conditions pour s'en prévaloir n'ont pas été démontrées par les défendeurs.
[171] Dans la même lancée, l'avocat des défendeurs plaide que ses clients n'ont fait qu'exercer leur droit constitutionnel à la liberté d'expression et il se réfère à l'arrêt Cabaret Sex Appeal[41].
[172] Il soumet que Louise Sinotte et Jacques Turenne, de bonne foi, ont tenu des propos qui sont raisonnables suite aux informations reçues de leurs enfants, ont montré aux journalistes les photographies de l'installation et qu'ils avaient le droit d'exprimer leur opinion selon laquelle l'encadrement imposé à Félix était inapproprié et inadmissible.
[173] Au soutien de cet argument, l'on nous réfère aux propos du juge Baudouin :
«Une société libre et démocratique comme la nôtre doit nécessairement faire preuve d'un haut degré de tolérance pour l'expression de pensées, d'opinions, d'attitudes ou d'actions qui, non seulement ne font pas l'unanimité ou ne rallient pas les vues de la majorité des citoyens, mais encore peuvent être dérangeantes, choquantes ou même blessantes pour certaines personnes ou pour certains groupes. La liberté d'expression ne doit pas être couchée dans le lit de Procuste du «political correctness». Ce n'est que dans l'hypothèse d'abus clairs et donc de danger pour le caractère libre et démocratique de la société, qu'au nom de la protection de certaines valeurs fondamentales, alors non négociables, on peut imposer l'intervention légitime de la loi.»
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[174] Rappelons que le litige concernait la compétence de la Ville de Montréal d'adopter un règlement interdisant une enseigne à la porte d'un club de danseuses montrant le corps plus ou moins dénudé d'une femme.
[175] La Cour d'appel a conclu que la Ville a voulu, par le biais de sa compétence en matière d'urbanisme, réglementer l'exploitation d'un commerce comprenant des activités de danseuses nues, considérant que l'affiche n'était pas pornographique, obscène ou indécente.
[176] Avec égards, le Tribunal ne peut retenir cet argument considérant que la trame factuelle est complètement différente dans le présent cas.
[177] Nous ne sommes pas en présence d'un corps public qui adoptant une réglementation doit démontrer que la mesure législative est justifiée au regard de l'article 1 de la Charte canadienne même s'il y a contravention à un droit garanti.
[178] Ici, nous sommes en présence d'une enseignante qui n'est pas une personne publique comme nous l'avons retenu et de deux parents, également personnes privées, qui ont décidé de s'adresser aux médias pour la dénoncer suite à des mesures prises concernant leur fils.
[179] Pour le Tribunal, la question principale soulevée par ce litige est la suivante : eu égard aux constats qu'ils font lors de leur visite dans la classe et aux communications dans les heures suivantes avec l'enseignante, la directrice de l'école et le directeur général de la Commission : étaient-ils justifiés de s'adresser comme ils l'ont fait dans un premier temps à la journaliste de TQS et par la suite aux autres médias, en ces jeudi et vendredi 8 et 9 février?
IV.- Les défendeurs ont-ils commis une faute?
[180] Dans son témoignage, Louise Sinotte nous fait part des éléments qui l'ont incité à se rendre à la classe de son fils ce mardi midi, muni de son appareil photo :
Ø En janvier, elle ne constate pas chez Félix des difficultés particulières ni qu'il soit triste.
Ø À un moment donné, il lui fait part qu'il est maintenant situé à l'arrière de la classe, que l'enseignante ne lui a pas donné d'explications, qu'un bout de bois lui cache la vue, que Mme Ariane lui a même dit : «t'as pas d'amis».
Ø Plus les semaines avancent, elle le sent plus triste jusqu'à ce qu'il arrive en pleurant le 6 février au midi.
Ø Il se plaint alors de ne rien voir au tableau, qu'Ariane ne lui répond pas même s'il lève la main et qu'il est toujours assis à sa place à l'arrière.
Ø Son conjoint, Jacques Turenne, présent à la maison pour le dîner, demande aux deux garçons de dessiner l'installation dont ils parlent.
Ø Les deux enfants sont séparés l'un de l'autre, les dessins respectifs montrent la même chose : un panneau avec des lignes montrant ce qui semble être un treillis.
[181] Arrivés dans la classe vers 12 h 30, l'enseignante est présente, mais elle se prépare à sortir pour aller effectuer sa période de garde à la cour de récréation.
[182] Jacques Turenne fait immédiatement le lien entre l'installation qu'il voit à l'arrière de la classe et les deux dessins de Félix et Alex.
[183] Il demande à Louise Sinotte de prendre des photographies et exige le démantèlement de l'installation, tandis que sa conjointe s'effondre en pleurs.
[184] Malgré le ton employé par Jacques Turenne, Ariane Gagnon a le temps de dire : «je comprends que ça doit être désolant de voir cela concernant votre fils, la direction est au courant».
[185] Cette rencontre ne dure que quelques minutes et Ariane Gagnon, tant dans son témoignage que dans le sommaire[42] qu'elle a rédigé peu de temps après, confirme substantiellement la version des parents, soulignant que les deux étaient en colère, qu'elle n'a pu leur donner des explications si ce n'est de référer à la rencontre du jeudi 8 pour la remise des bulletins.
[186] Elle nie toutefois avoir reconnu que l'installation était en place depuis le retour des classes au début janvier.
[187] Louise Sinotte et Jacques Turennes rencontrent Mme Marchand dans son bureau et ils rapportent que cette dernière semble nerveuse, qu'elle cogne sur son pupitre avec son crayon et elle leur dit : «justement, j'allais vous écrire, Félix pas facile, pas facile…».
[188] Devant la demande des parents de «défaire l'enclos», elle refuse; tout à coup, Jacques Turenne mentionne qu'il doit retourner travailler et ajoute : «tu vois bien qu'elle ne veut rien savoir».
[189] Mme Marchand confirme substantiellement le témoignage des parents sauf pour l'affirmation qu'elle aurait reconnu que l'installation était en place depuis le début janvier.
[190] Elle ajoute avoir mentionné à Mme Sinotte qu'en plus de la rencontre pour le bulletin, elle serait invitée à participer à une séance de travail le 12 février avec les professionnels, l'enseignante et la direction aux fins de préparer un plan d'intervention spécifique à Félix.
[191] Après que Jacques Turenne eut laissé un message au bureau du directeur général de la Commission, M. Claude Leclerc, ce dernier vers 15 h rappelle à la résidence et Louise Sinotte lui fait part de ses doléances.
[192] Il accepte de recevoir les photographies[43] prises le midi même dans la classe, mais il se montre surpris qu'une telle situation existe à l'école St-Paul, qu'il doit communiquer avec la directrice et qu'il va la rappeler.
[193] Claude Leclerc communique avec Julie Marchand l'après-midi même pour s'assurer que la santé et l'intégrité du jeune n'est pas en danger, elle lui explique en quoi consistent l'installation et le but poursuivi.
[194] N'étant pas disponible le 7 février, il convient avec cette dernière de la rencontrer le jeudi 8 février dans le cadre d'une rencontre regroupant les différents directeurs d'écoles.
[195] La preuve révèle clairement que ni Louise Sinotte ni Jacques Turenne ne tentent de le rappeler tout comme Claude Leclerc ne rappelle pas Mme Sinotte tant le mardi 6 février que le mercredi 7 février.
[196] Le mercredi, vu que sa conjointe n'a pas reçu de communication de Claude Leclerc, Jacques Turenne décide d'appeler François St-Onge, chef de pupitre du poste local de TQS à Trois-Rivières.
[197] En contre-interrogatoire, il reconnaît que même s'il connaît la plupart des avocats de Trois-Rivières où il exerce sa profession de courtier en valeurs mobilières, certains étant même ses clients, il ne les consulte pas.
[198] Il reconnaît qu'en appelant St-Onge, il veut : «que ce soit dénoncé à la population» tout comme il confirme qu'il n'était plus question que Félix retourne à cette école.
[199] Pour lui, les autorités scolaires les avaient «retournés du revers de la main», c'est incroyable ce qu'elles avaient fait subir à son beau-fils.
[200] Leur entrevue en compagnie de Félix avec la journaliste Danny Côté passera en boucle à compter de 16 h 30 ce jeudi après-midi, entre autres dans le cadre du bulletin de nouvelles commenté et animé par Jean-Luc Mongrain.
[201] C'est alors le début du déferlement médiatique que nous avons décrit à la section I.2.
[202] Claude Leclerc ne donnera suite à sa conversation du mardi que le jeudi par courriel[44] :
«Bonjour,
J'ai bien reçu vos photos.
Ce matin (jeudi le 8), j'ai rencontré Mme Julie Marchand, directrice de l'école.
Nous avons discuté du problème que vous m'avez soulevé.
Je vous invite à prendre rendez-vous avec Mme Marchand afin de trouver une solution à la problématique.
Si vous souhaitez en discuter avec moi, veuillez me rappeler à mon bureau.
[203] À ce moment, l'entrevue est enregistrée depuis le matin, ni Louise Sinotte ni son conjoint n’ont tenté de rejoindre le directeur général, ne serait-ce que pour l'avertir qu'une entrevue télévisée serait diffusée incessamment.
[204] En contre-interrogatoire, Jacques Turenne affirme que la réponse de Claude Leclerc contenue dans son courriel constitue la démonstration que la direction leur avait menti en pleine face, qu'il était inutile de retourner voir la directrice Marchand tel que suggéré par le directeur général.
[205] Il affirme être en mesure de porter un tel jugement même s'il a parlé à Leclerc qu'une seule fois et ne l'a jamais rencontré, et ce, par le seul timbre de voix de ce dernier lors de la conversation téléphonique; compte tenu de son expérience en affaires, il est capable de détecter les sentiments de son interlocuteur.
[206] Considérant tous ces témoignages, le Tribunal doit conclure que les défendeurs se sont trompés.
[207] Il était téméraire de conclure comme ils l'ont fait à partir du peu d'informations obtenues ce mardi midi :
Ø Que l'installation ait été mise en place mardi le 9 janvier ou vendredi le 19 janvier : cela n'a pas d'importance, le comportement de Félix est resté le même au cours du mois de janvier.
Ø La première manifestation d'un problème, c'est lorsqu'il arrive ce mardi midi en pleurs et que lui et son frère exécutent un dessin montrant un treillis.
Ø La rencontre avec l'enseignante ne dure que quelques minutes et ce sont les deux parents qui jettent leur courroux sur l'enseignante : elle n'a que peu de chances de s'expliquer.
Ø Il en va de même de la rencontre avec la directrice Marchand, qui bien qu'un peu plus longue, Jacques Turenne décide de partir non sans avoir conclu qu'elle ne voulait rien entendre.
Ø Louise Sinotte reçoit un appel du directeur général Leclerc, lui fait part de ses doléances, il accepte de recevoir les photographies et il lui mentionne qu'il doit s'informer auprès de la directrice.
Ø Même s'il ne s'est pas engagé à rappeler dans un délai précis, Jacques Turenne et Louise Sinotte ne font aucune tentative le mercredi ou le jeudi pour rappeler Claude Leclerc.
Ø À partir du moment où leur fils n'avait pas été victime de violence physique, que leur seule source d'information était la version des deux enfants (âgés de 9 ans) et qu'ils n'avaient pas obtenu la version des personnes en autorité, qu'est-ce qui pressait pour livrer leurs versions et états d'âme à une journaliste?
[208] À ce moment, M. Turenne, très en vue à Trois-Rivières, sensibilisé aux avantages et désavantages du marketing et de la communication, il possède une clientèle importante qui lui confie leurs placements, il connaît bien le milieu des professionnels de Trois-Rivières.
[209] Sa réaction intempestive est incompréhensible : il aurait été si facile dès ce mercredi de rappeler au bureau de M. Leclerc et d'insister pour lui parler.
[210] Au contraire, il se fie à son expérience dans les communications personnelles pour conclure que et Julie Marchand et Claude Leclerc lui ont menti et l'ont «retourné du revers de la main».
[211] Une des explications possibles est celle suggérée par l'avocate de la demanderesse : M. Turenne a voulu en tirer un avantage, apparaître aux yeux du public comme un défenseur des enfants opprimés, il voulait dénoncer la situation à la population en espérant que la Commission scolaire allait reconnaître ses erreurs et démanteler l'installation.
[212] Le Tribunal en entendant témoigner Jacques Turenne et Claude Leclerc retient une autre explication, à savoir le choc des cultures entre ces deux hommes.
[213] Jacques Turenne est très représentatif d'un professionnel de l'entreprise privée : il brasse des affaires au téléphone, la relation de confiance avec ses clients fait qu'il peut acheter ou vendre en leur nom des valeurs mobilières impliquant des sommes importantes, et ce, sur un simple appel.
[214] Ainsi en 2007, courtier depuis 20 ans, il génère des commissions pour plus de 400 000 $.
[215] Claude Leclerc a un profil tout à fait différent, il a passé toute sa carrière dans le monde de l'enseignement public :
Ø Débute dans l'enseignement en 1976 comme conseiller pédagogique suite à sa formation en orthopédagogie.
Ø Devient par la suite directeur d'écoles primaire et secondaire durant 10 ans.
Ø Subséquemment il accède aux fonctions importantes de directeur général adjoint puis directeur général en titre, il prend sa retraite après dix ans dans ces fonctions.
Ø Il est à ce titre à la tête d'une commission scolaire qui opère 50 établissements, emploie 800 enseignants et 700 autres employés.
Ø Ses fonctions comme directeur général sont à la fois d'ordre administratif et politique : il est d'ailleurs le représentant de la Commission auprès d'organismes qui regroupent les élus de la région de la Mauricie.
[216] Bref, il est représentatif d'une personne qui a fait toute sa carrière dans le secteur public avec toutes les contraintes que cela implique en consultations, réunions, directives, application de conventions collectives, relations politiques, professionnelles et personnelles.
[217] Lors de leur présence à la Cour, le caractère et la formation différente de ces deux hommes sautent aux yeux, et ce, pour toute personne qui a assisté à leur témoignage.
[218] Le Tribunal se doit de conclure que M. Turenne a été victime de sa formation et de sa façon habituelle de travailler en tirant une conclusion sans même se donner la peine de relancer Claude Leclerc.
[219] Il aurait dû comprendre, compte tenu de son expérience, que le directeur général était soumis à des contraintes, ne serait-ce que les relations avec du personnel syndiqué et du personnel-cadre, la structure décentralisée du milieu scolaire, et ce, avant de pouvoir leur transmettre sa réponse.
[220] Jacques Turenne a malheureusement entraîné sa famille dans un tourbillon médiatique dont il a perdu le contrôle dès le jeudi après-midi ainsi que dans un désastre financier dont tous les membres de sa famille sont victimes.
V.- La demande reconventionnelle
[221] Après avoir traité de ces différents moyens soulevés en défense, il y a lieu de s'attarder aux reproches que les défendeurs adressent à la Commission scolaire et à l'enseignante dans le cadre de leur demande reconventionnelle.
[222] De la lecture des paragraphes 91 à 119 de cette procédure, le Tribunal peut les résumer ainsi :
Ø La Commission scolaire a publié un communiqué et tenu une conférence de presse le vendredi après-midi contenant des allégations totalement fausses les concernant ainsi que Félix, ce qui a sérieusement affecté leur réputation.
Ø Ils reprennent en détail aux paragraphes 92, 93 et 94 les éléments du communiqué qui, selon eux, sont faux.
Ø En publiant ces affirmations, la Commission scolaire se sert de son poids moral d'institution publique pour les faire passer aux yeux du public comme des menteurs, alors qu'elle ne s'est fiée qu'à la version de l'enseignante Gagnon.
[223] Il est opportun de relater brièvement les faits qui ont mené à la diffusion du communiqué et à la tenue de la conférence de presse, tels que relatés par Me Serge Carpentier, avocat et secrétaire général de la Commission :
Ø Le jeudi après-midi, on l'informe du reportage de la journaliste Côté à TQS et qu'une demande d'entrevue a été acheminée à Julie Marchand.
Ø Le 9 février au matin, il prend connaissance des messages de journalistes requérant une entrevue.
Ø Il tient une conférence téléphonique avec Julie Marchand puis avec Ariane Gagnon aux fins de recueillir l'information.
Ø Son personnel procède à une «veille média» afin de connaître l'ampleur et le contenu des différents reportages.
Ø À 10 h 30, il avise le directeur général Leclerc que la Commission scolaire fait face à une crise médiatique, il lui demande de quitter sa réunion à l'extérieur pour revenir au bureau.
Ø Devant les termes employés dans les différents reportages tels cage, isolement, cloisonnement, séquestration, il en conclut que la crédibilité de la Commission scolaire est en cause et que cela va créer de l'inquiétude parmi les parents.
Ø En compagnie du directeur général, il prend connaissance des différents dossiers de l'élève Félix et des informations recueillies auprès d'Ariane Gagnon et Julie Marchand.
Ø Avec M. Leclerc et la directrice des communications, il prépare le communiqué de presse, constate que les représentants des médias nationaux (tant du Québec que du Canada anglais) sollicitent des entrevues, il a même reçu un appel d'Europe.
Ø En même temps, il prend connaissance du contenu de l'émission de François Paradis diffusée sur l'heure du dîner à TVA; la directrice Marchand l'informe du contenu des menaces contenues dans la boîte vocale du système téléphonique de l'école.
Ø Pour lui, «une atmosphère de crise médiatique» règne à la Commission.
[224] La Commission scolaire de l'Énergie, au début de l'après-midi, publie un communiqué[45] où, dans un premier temps, elle rappelle qu'elle n'a pas l'habitude de discuter du dossier d'un élève sur la place publique ainsi que sa mission d'assurer des services éducatifs de qualité puis on y lit :
«Dans le cas présent, il s'agit de mesures appliquées par une enseignante concernant un élève ayant des comportements perturbateurs connus des parents. Dans les faits, l'enseignante a assigné l'élève dans une aire de retrait de sa classe le vendredi 19 janvier. Il faut comprendre que cette assignation n'est pas permanente puisque l'enfant participe aux activités de groupes et aux ateliers organisés de sa classe. Ce n'est que pour la réalisation de ses travaux individuels qu'il est en retrait, ce qui représente un maximum d'environ une heure par jour et de façon non continue. L'élève peut, en tout temps, quitter l'aire de retrait pour consulter son enseignante. L'aire de retrait est ouverte et facilement accessible.
Dès le lundi 22 janvier, l'enseignante a informé les parents par écrit de cette mesure et les a invités à venir la rencontrer le jeudi 8 février. Les parents n'ont pas donné suite à cette invitation. On peut également vous mentionner que le mardi 6 février, la directrice d'école a convoqué les parents à participer à l'établissement d'un plan d'intervention adapté aux besoins de l'élève. Cette rencontre est prévue pour le lundi 12 février.
Il faut préciser que depuis le début de sa fréquentation scolaire, le personnel a soulevé la nécessité pour l'élève de recevoir des services particuliers, ce qui fut offert à maintes reprises aux parents. Ces services ont dû être interrompus dans le passé à la demande des parents. Actuellement, ceux-ci refusent également tous services particuliers pour leur enfant.»
[225] Et la conclusion du communiqué se lit ainsi :
«La commission scolaire réitère son appui et sa confiance à l'égard de l'enseignante concernée de même qu'à la direction de l'école et souhaite la réintégration la plus rapide possible des deux enfants retirés par les parents. Nous invitons ceux-ci à collaborer avec l'école au plan d'intervention de l'élève.»
[226] Le directeur général Leclerc préside la conférence de presse, lit le communiqué et répond par la suite aux questions durant une dizaine minutes.
[227] Cette conférence de presse fait l'objet d'une couverture importante par les journalistes, étant même diffusée en direct sur les réseaux RDI et LCN.
[228] En tenant compte de la preuve, le Tribunal n'a aucune hésitation à conclure que non seulement la Commission scolaire était dans son droit, mais qu'en tant qu'institution responsable, elle se devait de tenir une conférence de presse devant un tel déferlement médiatique.
[229] Le Tribunal a écouté l'enregistrement[46] de la conférence de presse et tant quant à la manière qu'au ton adopté lors de cette conférence, aucun reproche ne peut être fait à la Commission scolaire et à son personnel de direction : M. Leclerc a utilisé un ton ferme, courtois et respectueux.
[230] Maintenant qu'en est-il du contenu du communiqué eu égard aux reproches adressés par les défendeurs dans leurs procédures : contient-il des informations fausses et a-t-il pour effet de discréditer les parents, l'enfant et d'affecter leur réputation?
[231] Les défendeurs ne peuvent certes se plaindre des deux premiers alinéas; la Commission scolaire affirme qu'il n'est pas habituel de discuter de la situation d'un élève sur la place publique, qu'elle veut rétablir les faits, qu'elle assure dans l'ensemble de ses écoles y compris à St-Paul un enseignement de qualité pour favoriser l'apprentissage des élèves.
[232] Quant au troisième alinéa, le plus long et qui traite de la situation de Félix, on y lit que :
1) Les mesures qui ont été prises quant à un élève ayant des comportements perturbateurs connus des parents.
§ Eu égard à l'étude de la preuve que le Tribunal a faite, cette affirmation est véridique : le témoignage des deux enseignantes, les notes dans le carnet de l'élève, les feuilles de route et les fiches de référence au local SOS sont révélateurs.
§ Louise Sinotte a apposé ses initiales sur plusieurs des pages, a rencontré l'enseignante lors du bulletin de novembre et a transmis des notes écrites[47] à l'enseignante en janvier.
2) L'élève est assigné dans une aire de retrait à compter du 19 janvier :
§ C'est également vrai compte tenu de ce que le Tribunal a retenu de la preuve prépondérante.
§ Même si l'installation avait été mise en place dès le 9 janvier, cela ne changerait pas la décision de la Cour.
3) L'assignation n'est pas permanente, l'enfant participe aux activités de groupes; il se retrouve dans l'aire de retrait pour les travaux individuels pour une heure, et ce, de façon non continue; Il peut quitter l'aire de retrait pour consulter; l'endroit est facilement accessible.
§ Quant à ces différents points, c'est ce que le Tribunal a retenu à partir de la preuve administrée de part et d'autre.
[233] Quant au quatrième alinéa qui réfère à l'information transmise le 22 janvier, à la rencontre pour le bulletin et la convocation pour le plan d'intervention :
§ Les deux derniers éléments sont rigoureusement exacts et ne peuvent constituer de la diffamation.
§ Quant à l'information transmise aux parents, il y a lieu d'y apporter un bémol, le Tribunal a retenu l'explication de l'enseignante quant à la présence du liquide correcteur sur l'agenda en regard de la journée du 18 janvier, mais a conclu que le message n'était pas explicite quant à la mise en place de l'installation.
§ Toutefois, l'information contenue dans cet alinéa ne constitue pas une faute et les défendeurs n'en ont subi aucun dommage.
[234] Le cinquième alinéa réfère au refus de services particuliers.
§ En ce qui concerne les années antérieures, c'est l'évidence même, tel qu'il appert du témoignage des professionnels et de la documentation déposée en preuve[48].
§ La preuve est moins claire en ce qui concerne l'année 2006-2007, il y a des versions contradictoires entre Ariane Gagnon et Louise Sinotte et à ce sujet le Tribunal a conclu qu'il n'avait pas besoin de se prononcer sur ce point.
§ De toute façon, les défendeurs n'ont pas démontré avoir subi quelque dommage que ce soit du fait de cette mention.
[235] Quant au dernier alinéa, la Commission scolaire exprime son appui à l'enseignante et à la direction de l'école tout en souhaitant la réintégration des deux élèves :
§ C'est légitime de ce faire eu égard à l'ensemble des circonstances et au déroulement des événements des 8 et 9 février; cela ne peut en aucune façon constituer des propos diffamatoires envers les défendeurs.
§ Tout comme il est approprié pour une commission scolaire de souhaiter le retour des enfants à l'école; de fait, des efforts importants ont été tentés par le directeur général adjoint, Daniel Bussières[49].
[236] Le Tribunal est en mesure de conclure que les défendeurs n'ont pas démontré le bien-fondé de leur demande reconventionnelle en ce qui concerne leur thèse selon laquelle ils ont été diffamés par le contenu du communiqué et de la conférence de presse.
VI.- Le recours d'Ariane Gagnon est-il abusif?
[237] Dans leur première défense et demande reconventionnelle[50] en février 2008, les défendeurs introduisent les paragraphes 85 à 90 où ils allèguent que l'action de la demanderesse est abusive et ils demandent qu'elle soit condamnée à rembourser les honoraires extrajudiciaires de leurs avocats.
[238] Cette procédure sera amendée à deux occasions, les paragraphes 85 à 90 ne seront pas modifiés, mais la demande quant aux honoraires vise maintenant et la Commission et l'enseignante.
[239] Les reproches au soutien de cette demande se résument ainsi :
Ø La poursuite d'Ariane Gagnon est abusive, car elle repose sur des allégations fausses et trompeuses.
Ø C'est le syndicat dont elle est membre qui supporte ses honoraires dans le but de passer un message aux autres parents : il s'agit d'un outil d'intimidation contre ces derniers.
Ø Ariane Gagnon a soumis Félix à des mesures inacceptables et s'attaque aux parents dans un pur esprit vindicatif.
[240] D'entrée de jeu, le Tribunal retient que cette demande de déclaration de poursuite abusive dirigée contre la défenderesse reconventionnelle, la Commission scolaire de l'Énergie, est irrecevable.
[241] Depuis la toute première défense, les allégations à ce titre ne visent que la demanderesse, Ariane Gagnon, et indirectement son syndicat, lequel n'est pas poursuivi.
[242] C'est certes par mégarde qu'en février 2010, au moment où les autres conclusions ont été modifiées vu l'ajout de la Commission scolaire comme défenderesse reconventionnelle que la dernière conclusion concernant les honoraires extrajudiciaires a été également modifiée.
[243] Il faut, dans un premier temps, situer l'implication du syndicat dans cette affaire.
[244] Le Syndicat de l'enseignement de la Mauricie est constitué en vertu de la Loi sur les syndicats professionnels[51] et il détient l'accréditation en vertu du Code du travail pour représenter le personnel enseignant à l'emploi des commissions scolaires de son territoire et au moment du procès, il compte 1 000 membres : 650 enseignants réguliers, 200 contractuels et 150 suppléants.
[245] M. Rosaire Morin en est le président au moment des événements et son nom est mentionné la première fois par les médias, le 18 janvier 2008; le journal Le Nouvelliste[52] publie un article intitulé : «Une poursuite de 200 000 $ contre la mère de Félix et son conjoint».
[246] La journaliste réfère à la poursuite intentée par Mme Gagnon dans le présent dossier, fait un rappel des événements de 2007 et résume les allégations contenues dans la procédure de Mme Gagnon pour finalement souligner qu'il s'agit de la deuxième poursuite qu'elle intente; l'autre est dirigée contre certains médias écrits.
[247] Dès le début de l'article, on y lit la mention : «Elle est appuyée dans ses démarches par le Syndicat de l'enseignement de la Mauricie».
[248] Dans la même page, l'on retrouve un autre article de la même journaliste sous le titre : «Plusieurs cas de menaces».
[249] La journaliste y rapporte, pour la plus grande partie, les propos de M. Rosaire Morin, le président du syndicat et il y a lieu de citer les extraits suivants :
«Président du syndicat de l'enseignement de la Mauricie, Rosaire Morin espère que la plus récente poursuite engagée par l'enseignante Ariane Gagnon va décourager les parents qui seraient tentés d'imiter Louise Sinotte et Jacques Turenne.
(…)
"Depuis cet événement, on assiste à une augmentation de parents qui viennent harceler les enseignants ou qui les menacent d'aller dans les médias. De ce que je sais, on parle de cinq ou six cas depuis un an. Avant, c'était très rare", affirme M. Morin.»
[250] Concernant l'implication du syndicat en regard de la poursuite de Mme Gagnon, la journaliste écrit :
«Rappelant que le rôle du syndicat est de protéger ses membres, M. Morin souligne que depuis la sortie publique de la mère de Félix et de son conjoint, le SEM a appuyé et conseillé Mme Gagnon dans ses différentes démarches pour obtenir réparation.
"C'était clair qu'on ne pouvait pas laisser passer une chose aussi grosse que celle-là", ajoute celui qui espère maintenant que le message sera reçu.»
[251] Lors de l'audition, Rosaire Morin fut assigné comme témoin par les défendeurs et le Tribunal retient :
Ø Son membre a été traîné dans la boue; après la diffusion de l'émission de François Paradis, il a offert à Ariane le soutien du syndicat.
Ø Comme dans d'autres cas impliquant certains de ses membres, il s'agit d'un soutien financier : le conseil d'administration a pris sa décision de façon unanime.
Ø Le syndicat, par le passé, a supporté les honoraires de membres impliqués dans des procédures, entre autres contre la CLP et la SAAQ.
[252] Lors de ses représentations, l'avocat des défendeurs nous expose ce qui suit :
Ø Ariane Gagnon a intenté des procédures plus de huit mois après les événements alors qu'il n'y avait plus de débat sur la place publique.
Ø Elle a continué à enseigner, elle n'a donc pas subi de dommage.
Ø Il s'agit d'une procédure abusive dans le seul but de faire taire les parents.
Ø Ces derniers étaient en droit de dénoncer publiquement en termes vigoureux la situation faite à leur fils.
Ø La vision véhiculée par la Commission scolaire à partir de la version de l'enseignante est fausse.
Poursuite bâillon
[253] Le Tribunal ne partage pas l'opinion de Me Grey : il ne s'agit pas d'une poursuite bâillon communément appelée SLAPP.
[254] Les dispositions des articles 54.1 et suivants C.p.c. entrées en vigueur en juin 2009 ont fait l'objet de jugements fort intéressants; la lecture de certains d'entre eux qui ont déclaré une procédure abusive avant même l'audition au fond démontrent que la situation dans le présent dossier est tout à fait différente.
Ø Construction Infrabec inc. c. Drapeau[53]
Un citoyen soulève, lors d'une séance du conseil municipal, des questions concernant le processus d'attribution d'un contrat pour l'usine d'épuration de la Ville. Une vingtaine d'entrepreneurs ont requis des plans et devis, mais un seul dépose une soumission et devient l'adjudicataire. Ce dernier avait déjà obtenu neuf contrats de la même municipalité au cours de l'année précédente. L'entrepreneur poursuit le citoyen lui réclamant 150 000 $ suite au défaut de se rétracter et il signifie même la procédure un samedi après-midi.
La juge Turcotte considère qu'il s'agit manifestement d'une poursuite pour intimider ce citoyen.
Ø 3834310 Canada inc. c. Pétrolia[54]
Pétrolia poursuit le journal Le Soleil pour avoir rapporté des propos d'un représentant d'une coalition qui s'intéresse au processus d'extraction du gaz et du pétrole soulignant les faibles redevances qu'en retirera l'État.
La juge Tessier-Couture déclare la poursuite abusive : réclamer 350 000 $ que l'on s'engage à remettre à un organisme de charité démontre la volonté de faire taire les membres de ce mouvement.
Ø Acadia Subaru et al. c. Michaud[55]
Un chroniqueur automobile tient des propos peu flatteurs lors d'une entrevue radiophonique contre certaines pratiques des concessionnaires automobiles. Il se rétracte en ondes deux jours plus tard reconnaissant avoir manqué de discernement. Trente-six concessionnaires lui réclament chacun 5 000 $ et menacent de retirer leur publicité sur les ondes de cette station radiophonique.
La Cour d'appel modifie le jugement de la Cour du Québec, applique les dispositions des articles 54.1 et ss C.p.c. et ordonne qu'un cautionnement soit versé au défendeur : les demandeurs n'ont pas démontré prima facie que leur poursuite n'était pas excessive ou déraisonnable.
Ø Cosimo Comito c. Markos et al.[56]
Le demandeur poursuit les défendeurs pour avoir déposé une plainte criminelle contre lui; il a été acquitté : la juge l'a fait bénéficier du doute raisonnable.
La juge Borenstein saisi du fond du litige, conclut que la plainte a été faite sans malice et que la poursuite civile a été intentée de mauvaise foi dans le seul but de nuire aux défendeurs.
Ø CPA Pool Products inc. c. Patron et al.[57]
La demanderesse a obtenu ex parte l'émission d'une ordonnance «Anton Piller». La juge Capriolo conclut que la demanderesse a agi de mauvaise foi en ne respectant pas dans sa procédure ses obligations d'honnêteté et de franchise tel que prescrit par la jurisprudence et la condamne au paiement des honoraires extrajudiciaires.
[255] Cette révision de la jurisprudence suffit pour conclure que la situation de Mme Gagnon dans le présent dossier est différente : elle intente des procédures pour diffamation suite à des affirmations largement diffusées provenant des défendeurs.
[256] D'ailleurs, le Tribunal retient le bien-fondé de son recours et il statuera ci-après sur le quantum de sa réclamation.
[257] Quant à l'implication du Syndicat de l'enseignement de la Mauricie, qui d'ailleurs n'est pas poursuivi, le Tribunal ne retient pas la thèse de l'opération intimidation dirigée par le syndicat.
[258] Il est bon de relire les dispositions suivantes de la Loi sur les syndicats professionnels :
«6. Les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l'étude, la défense et le développement des intérêts économiques, sociaux et moraux de leurs membres.
(…)
9. Les syndicats professionnels ont le droit d'ester en justice et d'acquérir, à titre gratuit ou à titre onéreux, les biens propres à leurs fins particulières.
Sujet aux lois en vigueur, ils jouissent de tous les pouvoirs nécessaires à la poursuite de leur objet et ils peuvent notamment :
(…)
11o exercer devant toutes cours de justice tous les droits appartenant à leurs membres, relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.»
[259] Les affirmations contenues dans l'article du journal rapportant les propos de M. Morin selon lesquels depuis l'année 2007 six ou sept cas d'intimidation envers des enseignants provenant de parents insatisfaits s'étaient produits n'ont pas été contredites.
[260] M. Morin a également fait part que par le passé le syndicat avait supporté, comme dans le présent cas, les honoraires extrajudiciaires de membres impliqués dans des litiges.
[261] Rappelons enfin que les événements sont survenus alors que Ariane Gagnon exerçait ses fonctions d'enseignante : il a exercé sa discrétion en décidant de l'appuyer financièrement.
[262] Il y a lieu de retenir que le syndicat n'a d'intérêt juridique pour poursuivre un tiers que dans le cadre de la convention collective et de sa loi constitutive.
Abus du droit d'ester en justice
[263] C'est plutôt sous l'œil de l'abus du droit d'ester en justice et non celui de la poursuite bâillon qu'il faut disposer de la demande de remboursement des honoraires extrajudiciaires des avocats des défendeurs[58].
[264] Avec raison, Me Lavoie et Me Grey nous ont tous deux référé aux deux arrêts de principe de la Cour d'appel en la matière :
Ø Colette Viel c. Les Entreprises Immobilières du Terroir[59]
Ø Royal Lepage Commercial inc. c. 109650 Canada ltd[60]
[265] Il suffit de citer l'extrait suivant des notes du juge Dalphond dans cet arrêt pour disposer de l'argument des défendeurs :
«[45] Pour conclure en l’abus, il faut donc des indices de mauvaise foi (telle l’intention de causer des désagréments à son adversaire plutôt que le désir de faire reconnaître le bien-fondé de ses prétentions) ou à tout le moins des indices de témérité.
[46] Que faut-il entendre par témérité? Selon moi, c’est le fait de mettre de l’avant un recours ou une procédure alors qu’une personne raisonnable et prudente, placée dans les circonstances connues par la partie au moment où elle dépose la procédure ou l’argumente, conclurait à l’inexistence d'un fondement pour cette procédure. Il s’agit d’une norme objective, qui requiert non pas des indices de l’intention de nuire mais plutôt une évaluation des circonstances afin de déterminer s’il y a lieu de conclure au caractère infondé de cette procédure. Est infondée une procédure n’offrant aucune véritable chance de succès, et par le fait, devient révélatrice d’une légèreté blâmable de son auteur. Comme le soulignent les auteurs Baudouin et Deslauriers, précités : « L’absence de cette cause raisonnable et probable fait présumer sinon l’intention de nuire ou la mauvaise foi, du moins la négligence ou la témérité ». »
[266] Le Tribunal n'a aucune hésitation à conclure qu'il n'y a pas d'indice de mauvaise foi, de témérité, d'intention de nuire à autrui.
[267] Que les procédures judiciaires aient eu des conséquences énormes pour les défendeurs c'est l'évidence, mais ce n'est pas le critère pour déterminer si une procédure est abusive.
[268] La demanderesse était en droit de s'adresser au tribunal dans le but de démontrer que sa réputation a été atteinte et qu'elle a subi des dommages.
[269] En conséquence, la demande de déclaration de recours abusif contenue dans la demande reconventionnelle sera rejetée.
VII.- Réclamation pour dommages moraux et exemplaires
[270] Dans sa dernière version de sa procédure introductive d'instance[61], la demanderesse réclame, à titre de dommages moraux, 200 000 $ et de dommages exemplaires, 75 000 $.
[271] Elle décrit ainsi ses dommages :
«56. Par la faute des défendeurs, la demanderesse a subit une lourde atteinte à sa dignité, sa réputation personnelle et professionnelle ainsi que de lourds dommages à sa santé psychologique;(sic)
57. Elle a dû subir l'opprobre de la population du Québec, notamment, mais non limitativement, par l'entremise de forums de discussion, courriels, appels téléphoniques, menaces laissées sur la boîte vocale de la direction de l'école où elle travaille;
58. Elle est profondément humiliée, troublée et déstabilisée depuis que les défendeurs l'ont injuriée et diffamée, entre autres, à l'occasion de parutions télévisées radiodiffusées et journalistiques qui lui ont occasionné stress, crainte et anxiété;
59. Les fautes commises par les défendeurs ont également privé la demanderesse d'une bonne partie de la quiétude, de l'enthousiasme et du plaisir avec lesquelles elle exécutait ses tâches d'enseignante, et ce, avant les événements;
60. Les fautes commises par les défendeurs justifient l'octroi à la demanderesse de dommages exemplaires;»
[272] La demanderesse et sa sœur, Hélène, ont témoigné longuement concernant les conséquences de ces événements.
[273] Hélène, doctorante en littérature à l'UQAM, s'exprime ainsi :
Ø Elle est très proche d'elle, sa meilleure amie.
Ø Elles ont des contacts réguliers aux deux jours et sont des confidentes.
Ø Elle est une personne calme, posée et sociable.
Ø En 2006-07, elle l'informe d'ailleurs de l'évolution de sa classe, de la méthode de travail avec sa collègue Manon et des démarches pour améliorer le rendement de l'un des frères jumeaux.
Ø En cette première semaine de février, elle l'appelle d'une voix tremblotante pour lui faire part de l'altercation avec les parents et l'appelle de nouveau en soirée : elle est agitée et perturbée.
Ø Le jeudi après-midi, sa mère l'informe du contenu des reportages et en soirée Ariane l'appelle : elle est sous le choc, complètement démolie, ne peut dormir…
Ø Elle constate les mêmes comportements lorsqu'elle l'appelle de l'école le vendredi : pleure, voix tremblotante, fait part de son désarroi : «qu'est-ce qui m'arrive».
Ø Le samedi, elle se déplace vers Shawinigan et demeure chez Arine une partie de la semaine qui suit, constate qu'elle est anxieuse, tremble, a de la difficulté à respirer.
Ø On lui a fait part des messages sur le répondeur de l'école et elle constate, au cours de la fin de semaine, que des policiers patrouillent la rue en face de son appartement.
Ø Dans les semaines suivantes, sa sœur l'appelle tard en soirée (passé 22 h 30), elle qui avait l'habitude de se coucher tôt, elle est agitée et stressée, elle l'a même appelé en pleine nuit lui disant faire des cauchemars.
Ø Au début de l'été, alors qu'elle séjourne chez Ariane, elle constate que cette dernière a changé, elle n'a plus sa joie de vivre et sa spontanéité, est épuisée, ne veut pas faire d'activité, passe des journées en pyjama.
Ø Même au début de l'année scolaire suivante, elle lui fait part de ses craintes face à la nouvelle année, qu'elle ne se sent pas bien…
[274] Suzanne Allard, alors enseignante, et Manon Bourassa, également enseignante en quatrième année, rapportent leurs constats :
Ø Suite à ces événements, Ariane est une personne blessée, continuellement stressée.
Ø À compter du 9 février, elle est déprimée, s'interroge sur ce qui lui arrive.
Ø Pour reprendre l'expression de Manon Bourassa, «on l'a ramassé à la petite cuillère».
Ø Dans les semaines qui suivent les événements, ils la sentent nerveuse, a des difficultés à suivre, manque d'entrain et Manon Bourassa a même dû prendre la relève pour certains enseignements.
[275] À la fin de son long témoignage, Ariane Gagnon est appelée par son avocate à décrire sa situation suite aux événements de cette semaine de février 2007.
[276] Forcément plus émotive, ce qui est évidemment compréhensible, elle reprendra les mêmes faits et manifestations dont Hélène nous a fait part.
[277] Elle consultera la psychologue Sheila Gauvreau du 28 février au 24 juillet 2007 (19 consultations[62]) et les consultations contineuront jusqu'à la fin de l'année 2008.
[278] Son médecin de famille la réfère également à la docteure Annick Brady[63], psychiatre «pour une opinion diagnostique et thérapeutique concernant une symptomatologie anxio-dépressive».
[279] À ce moment, cette dernière note une évolution chez Mme Gagnon, ne lui prescrit pas de médication, lui recommande de continuer à travailler, ce qui sera des plus bénéfique quitte à réévaluer ultérieurement la situation.
[280] Ariane Gagnon nous fait part que, durant l'année scolaire qui a suivi, les symptômes ont diminué, mais qu'elle a dû prendre plusieurs journées de congé et qu'à certaines occasions, elle revit dans sa tête les événements et les reportages, ce qui la perturbe, à certains moments a de la difficulté à manger.
[281] La demanderesse produit le rapport du docteur Pierre Vincent[64], psychiatre, attaché à l'Institut de santé mentale de Québec et l'a fait entendre comme témoin expert.
[282] Âgé de 70 ans et fort de sa grande expérience tant dans la pratique que comme enseignant, conférencier et auteur de publications spécialisées, sa qualité d'expert n'est pas contestée.
[283] L'on retrouve à la dernière page de son rapport rédigé seize mois après les événements, son opinion :
«Il s'agit d'une jeune femme de 30 ans paraissant nettement plus jeune que son âge dont la présentation générale et la tenue vestimentaire sont bonnes. Elle est coopérative, spontanée et cohérente tout au long de l'entretien et on ne relève pas de contradiction dans ses propos. Il n'y a pas d'élaboration délirante, vécu hallucinatoire ou autres phénomènes d'ordre psychotique présents chez elle. On dénote de légers symptômes anxieux, des rapports subjectifs d'hypervigilance, de légers comportements d'évitement, des épisodes de flash back rapportés par la patiente lors de situation pouvant rappeler de façon plus nette les événements de février 2007. Il n'y a pas d'évidence de dysfonction sur le plan cognitif. Madame a repris l'enseignement à temps plein.
Sur un plan diagnostic, en Axe I, il m'apparaît clair que madame Gagnon a présenté un trouble d'adaptation avec humeur anxio-dépressive dont elle conserve encore quelques séquelles sur le plan des comportements d'évitement, des flash back et de réactions de qui-vive. En Axe II, il n'y a pas d'évidence de trouble de personnalité. En Axe III, il n'y a pas de pathologie physique. En Axe IV, le niveau de stresseur apparaît de façon très nette les événements vécus en février 2007. En Axe V, au niveau du fonctionnement social, je le situerais entre 71 et 80. Si on devait parler d'un DAP chez elle, en conséquence on parlerait de 2 %.»
[284] Notons que la demanderesse ne réclame pas pour des dommages psychologiques ni pour une perte de revenus.
[285] Il est aussi approprié de considérer les procédures qu'elle a intentées contre différents médias, journaux et télévision et des membres de leur personnel[65].
[286] Un règlement hors cour[66] est intervenu en cours d'instance et dans une décision interlocutoire, le Tribunal a permis la production des procédures de la contestation liée et des documents de transaction.
[287] En effet, dans ses deux requêtes introductives d'instance contre les médias, la demanderesse décrit les dommages et préjudices en des termes similaires sinon identiques aux allégations contenues aux paragraphes 56 à 60 dans l'action dont le Tribunal est saisi.
[288] Dans ses notes écrites, l'avocate de la demanderesse consacre une section[67] sur l'effet de la transaction intervenue avec d'autres personnes pour nous convaincre que nous n'avons pas à considérer l'indemnité reçue dans le cadre du règlement hors cour.
[289] Le Tribunal partage son approche selon laquelle la faute des défendeurs lorsqu'ils ont fait des déclarations aux médias doit être évaluée de façon distincte de celle des journalistes et de leur employeur, qu'il n'y a pas de solidarité entre les différentes fautes.
[290] Ce n'est pas la question à trancher, il faut plutôt se demander s'il s'agit d'actes différents qui ont entraîné des dommages distincts.
[291] C'est ce que le Tribunal retient de deux des jugements[68] que l'on nous a cités.
[292] Les témoignages de la demanderesse, de sa sœur, Hélène et de certains de ses collègues quant aux conséquences des déclarations faites à répétition par les parents lors des nombreuses entrevues sont tout à fait conformes aux allégations des paragraphes 56 à 60 de la requête introductive d'instance.
[293] Le Tribunal ne voit pas comment il pourrait distinguer et évaluer monétairement les dommages moraux pour les déclarations faites par les parents lors de leurs apparitions à la télévision ou à la radio par rapport aux commentaires que François Paradis, Jean-Luc Mongrain et autres invités ont pu faire dans le cadre de leurs émissions.
[294] Le tout forme un ensemble qui a affecté Ariane Gagnon de façon importante comme elle et les autres témoins l'ont bien décrit.
[295] Tout en préservant le caractère de confidentialité de la transaction intervenue avec les médias, le Tribunal conclut qu'il doit tenir compte des indemnités reçues par la demanderesse.
[296] L'avocate de la demanderesse nous a référé à plusieurs jugements prononcés au cours des dix dernières années, dont certains[69] impliquant des enseignants pour des atteintes à l'honneur et à la réputation.
[297] En tenant compte de l'ensemble des circonstances et des considérations ci-haut exprimées, le Tribunal est d'opinion qu'une somme de 35 000 $ représente une indemnité juste et adéquate.
VIII.- Dommages exemplaires
[298] Tel qu'il appert des paragraphes 60 et 61 de la requête, la demanderesse allègue que les fautes commises par les défendeurs «justifient l'octroi de dommages exemplaires» et, à ce titre, elle réclame la somme de 75 000 $.
[299] Même si de nombreux jugements en cas d'atteinte à la réputation accordent des dommages exemplaires comme corollaire à une condamnation à des dommages moraux, ce n'est pas un automatisme.
[300] Même si la Charte québécoise permet l'octroi de tels dommages, il faut se demander si les deux conditions[70] pour en accorder sont rencontrées :
Ø L'illicéité de l'atteinte.
Ø Le caractère intentionnel de celle-ci.
[301] La Cour d'appel, dans la célèbre affaire Robinson[71], vient de rappeler le but et le caractère pour octroyer de tels dommages :
«[236] Avant d'examiner la question du quantum des dommages punitifs accordés, rappelons les règles fondamentales applicables. Elles ont été énoncées et expliquées par la Cour suprême dans l'arrêt Whiten c. Pilot Insurance Co. Cet arrêt, d'un intérêt certain, a cependant une portée limitée en droit québécois. Il ne remplace pas les critères de l'article 1621 C.c.Q., mais il aide à en préciser les balises d'évaluation. Les dommages punitifs sont l'exception. Ils sont justifiés dans le cas d'une conduite malveillante et répréhensible, qui déroge aux normes usuelles de la bonne conduite. Ils sont accordés dans le cas où les actes répréhensibles resteraient impunis ou lorsque les autres sanctions ne permettraient pas de réaliser les objectifs de châtiment, de dissuasion et de dénonciation. À cet égard, la Cour suprême rappelle que les dommages punitifs n'ont pas pour but d'indemniser le demandeur, mais bien de punir le défendeur, de le dissuader de recommencer et d'exprimer la réprobation de l'ensemble de la communauté.»
[302] L'arrêt St-Ferdinand d'Halifax[72] est régulièrement cité dans la jurisprudence à ce sujet :
«121. En conséquence, il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l'art. 49 de la Charte lorsque l'auteur de l'atteinte illicite a un état d'esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s'il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera. Ce critère est moins strict que l'intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence. Ainsi, l'insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère.»
[303] Que les défendeurs aient commis une faute, le Tribunal l'a reconnu et une indemnité est accordée à la demanderesse.
[304] Le Tribunal est ici en présence de parents qui ont réagi de façon émotive, avec leur cœur, pour dénoncer au public la situation de Félix à partir des informations qu'ils détenaient au moment où ils se sont adressés aux journalistes sans malheureusement retourner discuter avec les autorités scolaires pour valider leur perception.
[305] L'étude de la preuve que le Tribunal a faite dans le présent dossier démontre que Louise Sinotte et Jacques Turenne n'avaient ni le désir ni la volonté de causer les conséquences ni la connaissance de celles-ci sur l'enseignante suite à la médiatisation de la situation de leur fils.
[306] Pour reprendre les termes de la Cour d'appel dans l'affaire Robinson, les dommages punitifs ne visent pas à indemniser la demanderesse, le Tribunal l'a fait et il n'y a pas de risque qu'ils recommencent et il n'y a pas matière à exprimer la réprobation de la part de la collectivité.
IX.- Les dépens
[307] Le procès aura duré onze journées (dix pour l'enquête, une pour l'audition) réparties de la façon suivante :
Ø Preuve de la demanderesse représentée par Me Linda Lavoie de l'étude Cain Lamarre, 5 jours.
Ø Preuve de la défense et demande reconventionnelle représentée par Me Julius Grey et Me Hanne Ellingsen de l'étude Grey Casgrain : 3.5 jours.
Ø Preuve de la défense reconventionnelle représentée par Me Marc Choquette de l'étude Tremblay Bois et associés, avocats mandatés par les assureurs de la Commission scolaire[73] : 1.5 jour.
[308] Pour l'instance principale, les dépens seront donc taxés en faveur des avocats de la demanderesse en fonction d'une valeur en litige de 35 000 $ pour un procès d'une durée de six jours comprenant les honoraires et débours de l'expert Pierre Vincent pour la préparation et la rédaction de son rapport d'expertise (P-30) et l'assistance au procès.
[309] En ce qui concerne la demande reconventionnelle dirigée contre la Commission scolaire et la demanderesse, le Tribunal doit considérer les facteurs suivants.
[310] Les condamnations recherchées par les défendeurs ont varié de façon importante :
|
Demande originale et amendée |
Ré-ré-amendée |
§ Dommages matériels et moraux |
Jacques Turenne (perte de revenus) : 360 000 $ (moraux) : 300 000 $ |
(matériels et moraux) 350 000 $
|
§ Dommages matériels et moraux |
Louise Sinotte : (moraux) 300 000 $ (perte de revenus) : 110 000 $ |
(matériels et moraux) 350 000 $ |
§ Dommages exemplaires |
Jacques Turenne : 300 000 $ |
100 000 $ |
§ Dommages exemplaires |
Louise Sinotte : 300 000 $ |
100 000 $ |
§ Procédures abusives (SLAPP) |
Honoraires extrajudiciaires (à dét.) |
Honoraires extrajud. 150 000 $ |
TOTAL : |
1 670 000 $ |
1 050 000 $ |
[311] La lecture des allégations par rapport aux conclusions au gré des amendements et ré-amendements est laborieuse et l'avocat agissant en défense reconventionnelle était certes en droit de se demander ce que les défendeurs entendaient effectivement réclamer.
[312] Ce n'est qu'au matin du jour 6 du procès, après l'avoir annoncé la semaine précédente, que l'avocat des défendeurs a déposé la dernière version de la réclamation de ses clients (1 050 000 $ au lieu de 1 670 000 $).
[313] Que ce soit l'une ou l'autre de ces sommes, elles sont grossièrement exagérées et même si les défendeurs avaient obtenu gain de cause, la condamnation pour dommages moraux aurait été de loin inférieure aux montants réclamés, la condamnation prononcée ci-haut en faveur de la demanderesse en est une excellente démonstration.
[314] De même, les demandes pour perte de revenus à titre de commissions de la part de Jacques Turenne et de revenus d'emploi de la part de Louise Sinotte auraient été fortement diminuées, vu qu'il s'agit en très grande partie de dommages soit indirects soit hypothétiques.
[315] L'avocat en défense reconventionnelle l'a certes compris vu qu'il n'a pas fait préparer d'expertise concernant les postes de dommages matériels ni consacré beaucoup de temps en contre-interrogatoire.
[316] Le Tribunal est d'opinion qu'il doit se prévaloir de la discrétion que lui confère l'article 477 C.p.c. et tenir compte des circonstances particulières du présent dossier :
Ø Les défendeurs auront à payer des dépens à l'avocate de la demanderesse, laquelle est mandatée par son syndicat.
Ø L'avocat des défenderesses reconventionnelles est mandaté par un assureur.
Ø Ce procès n'aurait pas dû durer onze jours pour ce qui est avant tout un débat en matière de diffamation entre un enseignant et les parents d'un de ses élèves et dont la valeur véritable des réclamations est loin des sommes réclamées.
Ø Les défendeurs ont encouru personnellement des honoraires considérables et sont à la tête d'une famille reconstituée de neuf enfants dont plusieurs sont encore aux études, l'une des filles de M. Turenne est handicapée.
[317] En conséquence, les dépens en faveur des avocats de la défense reconventionnelle seront taxés en fonction d'une action d'une valeur de 500 000 $ rejetée après un procès d'une durée de six jours.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[318] ACCUEILLE pour partie l'action de la demanderesse et CONDAMNE les défendeurs, conjointement et solidairement, à payer la somme de 35 000 $ avec intérêts et l'indemnité additionnelle selon la Loi, et ce, à compter de l'assignation;
[319] CONDAMNE les défendeurs à payer aux avocats de la demanderesse les dépens d'une action de 35 000 $ accueillie après un procès d'une durée de six jours comprenant les honoraires et débours pour le rapport d'expertise y compris ceux reliés à l'assistance au procès;
[320] REJETTE la demande reconventionnelle dirigée contre Ariane Gagnon et la Commission scolaire de l'Énergie;
[321] CONDAMNE les défendeurs à payer aux avocats des défendeurs reconventionnels les dépens d'une action d'une valeur de 500 000 $ rejetée après un procès d'une durée de six jours.
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PIERRE OUELLET, j.c.s. |
Me Linda Lavoie Cain Lamarre Casgrain Wells, s.e.n.c.r.l. (Casier 52) Procureurs de la demanderesse |
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Me Julius H. Grey Grey Casgrain 1155, boul. René-Lévesque Suite 2720 Montréal (Québec) H3B 2K8 Procureurs des défendeurs
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Me Marc Choquette Tremblay Bois Mignault Lemay (Casier 4) Procureurs des défenderesses conventionnelles
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Dates d'audiences :
Enquête : 18, 19, 21, 26, 27, 28, 29 avril, 6, 7 et 8 juillet 2011.
Audition : 30 septembre 2011.
[1] Le Tribunal emploiera le nom de famille ou le prénom des personnes impliquées sans le préfixe monsieur ou madame dans le but d'alléger le texte, d'en faciliter la lecture et aucunement dans l'intention de leur manquer de respect ou d'être condescendant à leur égard.
[2] Pièce DG-4 (A à F).
[3] Pièce DG-4 (D).
[4] Pièce DG-4 (F).
[5] Pièce P-32.
[6] Pièce P-6, pages 10 et 16 à 18.
[7] Pièce P-6, à titre d'exemple, page 26 pour la semaine du 18 septembre.
[8] Pièce P-23, bulletin 2006-2007, voir colonne 5.
[9] Pièce P-12.
[10] Pièce P-6, page 70.
[11] Pièce D-4.
[12] Pièce D-5 : Courriel de Louise Sinotte à Claude Leclerc, 15 h 31.
[13] Pièce D-5 : Réponse de Claude Leclerc à Louise Sinotte, 3 h 46 p.m.
[14] Pièce DG-1.
[15] Pièce D-7.
[16] Pièces P-18 et P-20.
[17] Pièce DG-2.
[18] Pièce D-6.
[19] L.R.Q., c. C-12.
[20] Société Radio-Canada c. Radio Sept-Îles inc. [1994] R.J.Q. 1811 (C.A.), jj. LeBel, Tourigny, Chamberland.
[21] Jean-Louis Baudouin et Patrice Deslauriers, La responsabilité civile, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007.
[22] Prud'homme c. Prud'homme, [2002] 4 R.C.S. 663.
[23] L'animateur consacre 40 minutes à ce dossier, comprenant les pauses publicitaires.
[24] Pièce P-19.
[25] Pièce P-24 : C.Q. St-M., 410-22-001500-102; dossier dont l'instruction est suspendue, art. 273 C.p.c.
[26] Pièces P-23 et D-24.
[27] Pièces DG-4D et suivants.
[28] Pièce P-12.
[29] P-8, 16 novembre.
[30] Pièce DG-4-(G).
[31] Pièce P-11.
[32] Pièce P-40.
[33] Pièce P-27.
[34] Pièce P-28.
[35] Pièce D-25 : original du carnet de route, page 48 : semaine du 15 janvier et page 50 : semaine du 22 janvier.
[36] Pièce D-1, courriel de Me Philippe Tremblay, 23 février 2007.
[37] Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau-Brunswick [1996] 1R.C.S. 825.
[38] Aubry c. Éditions Vice-Versa, [1998] 1R.C.S. 591, par. 58.
[39] Kanavaros c. Artinian et al., 2010 QCCS 3398; appel rejeté le 17 janvier 2012, 2012 QCCA 128.
[40] Grant c. Torstar Corp. [2009] 3 R.C.S. 640.
[41] Ville de Montréal c. Cabaret Sex Appeal inc. et al., 1994 CanLII 5918 (QC. C.A.)
[42] Pièce P-10.
[43] Pièce D-5 : courriel de Louise Sinotte à Claude Leclerc, 15 h 31.
[44] Pièce D-5, courriel transmis à 3 h 46 p.m.
[45] Pièce DG-1.
[46] Pièce DG-26.
[47] Pièces P-34 à P-37.
[48] Pièce DG-4A à F.
[49] Pièce DG-13 à DG-21.
[50] Séquence 6.
[51] L.R.Q. c. S-40.
[52] Pièce D-6.
[53] Constructions Infrabec inc. c. Drapeau, 2010 QCCS 1734.
[54] 3834310 Canada inc. c. Pétrolia, [2011] J.Q. no 9903, (C.S.).
[55] Acadia Subaru et al. c. Michaud [2011] J.Q. no 6580 (C.A.).
[56] Cosimo Comito c. Markos et al., 2010 QCCS 765.
[57] CPA Pool Products inc. c. Patron et al., 2010 QCCS 1339.
[58] Pièces D-16 et D-16-A : honoraires de 146 600 $ en date du 29 avril 2011.
[59] [2002] R.J.Q. 1262.
[60] 2007 QCCA 915.
[61] Requête introductive d'instance ré-amendée, 27 avril 2011, séquence 66.
[62] Pièce D-14 : résumé du dossier.
[63] Pièce D-13 : évaluation psychiatrique, 27 avril 2007.
[64] Pièce P-30, rapport d'expertise, 14 juin 2008.
[65] Pièce P-33 : en août 2007 contre Corporation Sun Média et autres et en août 2008 contre TQS, Groupe TVA inc. et autres.
[66] Pièce P-39 : documents de transaction déposés sous scellés en vertu d'une ordonnance de la Cour.
[67] Onglet 5, section B.
[68] Barrière c. Denis Filion et al., 500-05-031771-973, j. C. Tellier (C.S.), page 78.
Cyr c. Richer, 2005 QCCA 1210, a contrario.
[69] Kanavaros c. Artinian et al., déjà cité,
D.F. c. A.S., 500-05-016437-939, 10 juillet 2001, j. D. Grenier; confirmé en appel : 2005 QCCA 25.
[70] Baudouin et Deslauriers, La responsabilité civile, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, par. 1 - 372.
[71] France Animation, s.a. c. Robinson, 2011 QCCA 1361, autorisation d'en appeler à la Cour suprême pendante.
[72] Québec (Curateur public) c. Syndicat National des employés de l'hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211.
[73] Séquence 16, jugement de la Cour supérieure sur la requête en rejet de comparution; séquence 23, arrêt de la Cour d'appel autorisant la comparution des avocats mandatés par les assureurs.
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Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.