1. Le 26 mai 1999, C.S. Brooks Canada inc. (l’employeur) conteste devant la Commission des lésions professionnelles une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 17 mai 1999 à la suite d’une révision administrative. Par cette décision, la CSST infirme celle qu’elle a initialement rendue le 15 septembre 1998 et déclare que madame Hélène St-Pierre (la travailleuse) a droit à une indemnité de remplacement du revenu durant la période annuelle de fermeture de l’établissement de l’employeur pour vacances annuelles, du 12 au 25 juillet 1998 et ce, même si elle a reçu son indemnité de vacances.
2. Par lettre du 28 septembre 1999, l’employeur a avisé la Commission des lésions professionnelles de son absence à l’audience. La travailleuse était présente et représentée.
3. L’employeur demande d’infirmer la décision du 17 mai 1999 et de déclarer que la travailleuse n’a pas droit à une indemnité de remplacement du revenu pour la période du 12 au 25 juillet 1998.
4. Le 9 juin 1998, la travailleuse, alors tisserande au service de l’employeur, est victime d’une lésion professionnelle. Elle subit une entorse au poignet droit et devient incapable d’exercer son emploi le même jour.
5. Dès le 10 juin 1998, l’employeur assigne temporairement un autre travail à la travailleuse et lui verse le salaire et les avantages liés à son emploi habituel.
6. L’assignation temporaire se poursuit jusqu’à ce que l’employeur ferme son établissement du 12 au 25 juillet 1998. Cette fermeture de deux semaines, pour vacances annuelles, est prévue à la convention collective. Pendant cette période, la travailleuse reçoit de l’employeur une indemnité de vacances équivalant à deux semaines de salaire, conformément à la convention collective.
7. À l’audience, la travailleuse déclare avoir reçu des traitements de physiothérapie en relation avec sa lésion professionnelle du 23 juin au 1er décembre 1998, à raison de quatre traitements par semaine. Elle ajoute n’avoir pu bénéficier de ses vacances en raison de ses traitements.
8. Au retour des vacances, le 27 juillet 1998, la travailleuse reprend le travail assigné temporairement par l’employeur et ce, jusqu’à la mi-décembre 1998.
9. Ce n’est que le 17 décembre 1998 que la travailleuse est redevenue capable d’exercer son emploi de tisserande, ainsi qu’il appert de la décision rendue par la CSST le 22 décembre 1998.
10. Par une décision du 15 septembre 1998, la CSST refuse de verser une indemnité de remplacement du revenu à la travailleuse pour la période du 12 au 25 juillet 1998 pour le motif qu’elle n’a pas subi de perte de revenu d’emploi durant cette période. À la suite d’une révision administrative, cette décision est infirmée le 17 mai 1999 et l’employeur la conteste, d’où le présent litige.
11. Les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales sont d’avis que la travailleuse a droit à une indemnité de remplacement du revenu du 12 au 25 juillet 1998 puisque l’employeur ne lui a pas assigné temporairement un travail au cours de cette période. De plus, les membres considèrent qu’il n’y a pas versement d’une double indemnité avec l’indemnité de vacances.
12. La Commission des lésions professionnelles doit décider si la travailleuse a droit à une indemnité de remplacement du revenu pour la période du 12 au 25 juillet 1998.
13. Suivant les articles 44 et 57 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) un travailleur qui devient incapable d’exercer son emploi en raison d’une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’il redevienne capable de l’exercer. Ces articles énoncent :
44. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.
.{Travailleur sans emploi.}.
Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.
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1985, c. 6, a. 44.
57. Le droit à l'indemnité de remplacement du revenu s'éteint au premier des événements suivants:
1 lorsque le travailleur redevient capable d'exercer son emploi, sous réserve de l'article 48;
2 au décès du travailleur; ou
3 au soixante - huitième anniversaire de naissance du travailleur ou, si celui‑ci est victime d'une lésion professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 64 ans, quatre ans après la date du début de son incapacité d'exercer son emploi.
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1985, c. 6, a. 57.
14. L’article 179 de la loi permet toutefois à l’employeur d’assigner temporairement un travail à son travailleur victime d’une lésion professionnelle. Lorsque l’employeur se prévaut d’un tel droit, il verse alors au travailleur le salaire et les avantages liés à son emploi habituel conformément à l’article 180. Ces articles se lisent comme suit :
179. L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que:
1 le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;
2 ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et
3 ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.
.{Confirmation du rapport médical.}.
Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S‑2.1), mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale.
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1985, c. 6, a. 179.
180. L'employeur verse au travailleur qui fait le travail qu'il lui assigne temporairement le salaire et les avantages liés à l'emploi que ce travailleur occupait lorsque s'est manifestée sa lésion professionnelle et dont il bénéficierait s'il avait continué à l'exercer.
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1985, c. 6, a. 180.
15. Il ressort de l’ensemble des dispositions précitées que le droit à une indemnité de remplacement du revenu subsiste tant que le travailleur est incapable d’exercer son emploi habituel et, qu’en cas d’assignation temporaire, ce droit est suspendu en contrepartie du versement du salaire et des avantages liés à cet emploi habituel.
16. En l’instance, la travailleuse est devenue incapable d’exercer son emploi dès la survenance de sa lésion professionnelle. L’employeur a assigné temporairement un travail à la travailleuse pendant sa période d’incapacité à exercer son emploi à l’exception de la période du 12 au 25 juillet 1998, l’établissement étant alors fermé pour vacances annuelles.
17. L’employeur prétend que la travailleuse n’a pas droit à une indemnité de remplacement du revenu du 12 au 25 juillet 1998 malgré l’absence d’assignation temporaire pendant cette période. Au soutien de sa prétention, il a transmis au tribunal trois décisions rendues par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la CALP) dans les affaires suivantes : Bridgestone Firestone Canada inc. et Bélanger[2], Bridgestone Firestone Canada inc. et Bélanger[3], Bridgestone Firestone Canada inc. et Perreault[4].
18. Ces affaires soulèvent une question identique à celle du présent dossier à savoir le droit à l’indemnité de remplacement du revenu d’un travailleur pendant la période de fermeture de l’usine de l’employeur pour vacances annuelles bien que le travailleur ait reçu son indemnité de vacances et bien qu’il effectuait, immédiatement avant la fermeture, un travail assigné temporairement.
19. Dans l’affaire Bélanger, la CALP a statué que le travailleur avait droit au paiement de ses vacances et de l’indemnité de remplacement du revenu au motif qu’il n’y avait pas là double indemnité. Saisie d’une requête en révision pour cause à l’encontre de cette décision, la CALP a considéré que le premier commissaire avait commis une erreur manifeste de droit en ne tenant pas compte des articles 179 et 180 de la loi. La requête a toutefois été rejetée au motif que même en tenant compte de ces articles, le premier commissaire en serait venu à la même conclusion.
20. Dans l’affaire Perreault, la CALP, sous la signature du commissaire ayant agi en révision dans l’affaire Bélanger, a jugé que le travailleur n’avait pas droit de recevoir une indemnité de remplacement du revenu au motif qu’il continuait d’être couvert par l’article 180 de la loi pendant la période de vacances et d’être ainsi rémunéré par l’employeur en conformité avec cet article, par le versement de l’indemnité de vacances.
21. Pour sa part, le procureur de la travailleuse a déposé au soutien de sa prétention voulant que celle-ci a droit à une indemnité de remplacement du revenu pour la période du 12 au 25 juillet 1998, une décision récente de la Commission des lésions professionnelles. Il s’agit de l’affaire Komatsu International inc. et Gagnon[5] soulevant la même question que celle en litige dans la présente instance. Dans sa décision, la Commission des lésions professionnelles conclut que le travailleur a droit à l’indemnité de remplacement du revenu pour les motifs exprimés comme suit :
« [24.] Dans un premier temps, il est intéressant de rappeler le jugement de la Cour d’appel du Québec dans Kraft Limitée et Commission des normes du travail, [1989] R.J.Q. 2678 à 2680. Dans cette affaire, les juges Mc Carthy, Rothman et Baudoin avaient précisément à trancher du droit d’un travailleur à une indemnité de remplacement du revenu émanant de la CSST et en même temps à une indemnité de vacances.
[25.] Le juge Rothman, à l’opinion duquel souscrivent les juges Mc Carthy et Baudoin, décide qu’il n’y a pas là double indemnité et déclare le droit du travailleur de recevoir à la foi l’une et l’autre. Les principaux motifs étant que l’indemnité de remplacement du revenu reçue de la CSST représente une compensation pour une lésion et non une compensation pour une période de vacances et que les deux indemnités sont versées en vertu de lois différentes, pour des motifs différents et par des créanciers différents.
[26.] La soussignée partage tout à fait la position ainsi prise unanimement par le plus haut tribunal du Québec. Cependant, cette interprétation ne fait manifestement pas l’unanimité au sein de la Commission des lésions professionnelles. Avec respect pour l’opinion contraire, la soussignée ne peut souscrire à l’argument voulant qu’il s’agisse alors d’un enrichissement sans cause ou encore qu’une telle situation crée une injustice à l’égard des autres travailleurs.
[27.] En regard de ce dernier argument, la soussignée est d’avis que c’est accorder très peu d’importance à une lésion rendant un travailleur incapable d’exercer son emploi et souvent de vaquer à ses activités personnelles, et ce, encore plus dans une situation où, comme dans la présente affaire, le travailleur est incapable de prendre ses vacances en raison des traitements de physiothérapie quotidiens qu’il reçoit. Parler d’injustice pour les autres travailleurs serait d’une part faire fi de cette réalité et d’autre part de s’apitoyer sur le sort de tous ces autres qui eux, n’ont pas eu la “ chance ” d’être victime d’un accident du travail ! La soussignée ne peut se convaincre de souscrire à un tel argument.
[28.] Quant à l’argument de l’enrichissement sans cause, il ne passe pas non plus le test de la situation sous étude. En effet, parler d’enrichissement alors que le travailleur reçoit une indemnité de remplacement du revenu à laquelle il a droit pour une lésion incapacitante et une indemnité pour des vacances qu’il ne peut prendre et qui découle du travail effectué au cours de toute une année, constitue une négation du droit édicté par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et du droit à des vacances annuelles prévues à la Loi sur les normes du travail, L.R.Q., chapitre N-1.1 et aux conventions collectives lorsqu’elles existent. De plus, cette notion va tout à fait à l’encontre des principes élaborés par la Cour d’appel dans l’affaire Kraft citée plus haut.
[29.] Enfin, même si on acceptait le principe de l’enrichissement, le fait qu’il doive être sans cause vient une fois de plus minimiser sinon nier la lésion du travailleur et le fait qu’il ne puisse jouir pleinement de ses vacances en raison de cette lésion.
[30.] Sans reprendre de façon exhaustive toute la jurisprudence en la matière, la Commission des lésions professionnelles cite cependant une de ses décision récentes, Caron et Prévost Car inc., 94935-03-9803 du 23 juin 1998, dans laquelle la commissaire Ginette Godin arrive aux mêmes conclusions. Dans cette affaire, la commissaire Godin écrit notamment qu’une prime de vacances ne peut être assimilée à du salaire puisqu’elle “ relève d’un cumul de temps en vertu duquel un employeur est tenu de compenser un travailleur pour du travail déjà accompli et en raison d’un droit déjà reconnu à des vacances. ”
[31.] La Commission des lésions professionnelles retient enfin le fait que pendant la période faisant l’objet du présent litige, l’employeur n’avait pas d’assignation à offrir au travailleur malgré que ce dernier se soit montré disponible et que partant, le droit à l’indemnité de remplacement du revenu, par ailleurs suspendu, revenait en force en vertu de l’article 44 de la loi, et ce, d’autant plus qu’aucune des circonstances d’extinction de ce droit, édictées à l’article 57 n’était survenue. »
22. Dans le présent dossier, la Commission des lésions professionnelles partage entièrement la position exprimée dans l’affaire Komatsu International inc. de même que dans l’affaire Caron et Prévost Car inc.[6] mentionnée dans le texte précité. La Commission des lésions professionnelles ne retient donc pas l’orientation proposée dans l’affaire Bridgestone Firestone Canada inc. et Perreault précitée suivant laquelle l’article 180 de la loi continue à s’appliquer au travailleur pendant sa période de vacances. En effet, aucun travail n’étant alors assigné au travailleur en vertu de l’article 179 de la loi, l’article 180 ne peut par conséquent recevoir application.
23. La Commission des lésions professionnelles est en conséquence d’avis que le droit à l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse, né le 9 juin 1998 et suspendu à la suite de l’assignation temporaire, a repris pour la période du 12 au 25 juillet 1998 pendant laquelle l’employeur n’a pas assigné temporairement un travail à la travailleuse.
24. Rappelons-le, l’employeur n’a pas, pendant cette période, versé un salaire à la travailleuse en contrepartie d’une prestation de travail fournie dans le cadre d’une assignation temporaire mais bien une indemnité pour des vacances prévues à la convention collective en raison du travail déjà accompli. Compte tenu que l’employeur ne pouvait poursuivre l’assignation temporaire du 12 au 25 juillet 1998, il en résulte que l’article 180 de la loi ne trouvait aucunement application et que le droit à une indemnité de remplacement du revenu reprenait en faveur de la travailleuse en vertu de l’article 44 de la loi.
25. Enfin, ainsi qu’en a décidé la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Kraft limitée et Commission des normes du travail[7], la source du droit et le créancier de l’indemnité de vacances étant distincts de ceux de l’indemnité de remplacement du revenu, il n’y a pas double indemnité en faveur de la travailleuse.
26. POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la contestation de l’employeur C.S. Brooks Canada inc. du 26 mai 1999;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 17 mai 1999;
DÉCLARE que madame Hélène St-Pierre a droit à une indemnité de remplacement du revenu pour la période du 12 au 25 juillet 1998.
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Micheline Allard |
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Commissaire |
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(Me Marie-Anne Roiseux) 1009, rue Galt Ouest Sherbrooke (Québec) J1H 1Z9 |
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Représentante de la partie intéressée |
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