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[1] Le 21 novembre 2005, monsieur David Guillemette (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 7 novembre 2005 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 11 avril 2005. Elle déclare que le travailleur est redevenu capable d’exercer son emploi habituel à compter de cette date.
[3] Le travailleur est présent et représenté à l’audience tenue le 27 février 2006 à Sept-Îles. Un associé du Consortium Cadoret, Savard, Tremblay, Casault (l’employeur) a informé le tribunal qu’il ne serait pas représenté à l’audience. Pour sa part, la CSST y est représentée.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il était incapable d’exercer son emploi habituel à la date déterminée par la CSST.
LES FAITS
[5] À l’hiver 2003, le travailleur alors âgé de 36 ans commence à travailler comme aide-arpenteur pour l’employeur.
[6] Le 5 juin 2003, le travailleur subit un accident du travail qu’il décrit de la façon suivante dans un document déposé à la CSST : « En travaillant dans les armatures de fer pour couler le béton, je me suis coincé le pied et j’ai tombé sur le côté ». Cet événement ne l’empêche toutefois pas de continuer à travailler dans les jours suivants[1].
[7] Le 13 juin 2003, le travailleur consulte un médecin en raison de la persistance de douleurs localisées principalement à la fesse gauche. Le médecin diagnostique une contusion lombaire et prescrit des anti-inflammatoires et des traitements de physiothérapie. Il rédige une attestation médicale initiale dans laquelle il fait mention d’un étirement musculaire à la fesse gauche. Le travailleur est en arrêt de travail à compter de cette date.
[8] Dans les mois qui suivent, le travailleur rencontre sur une base régulière les docteurs Michel Leclerc, anesthésiste, et Pierre-Claude Harvey. Il passe plusieurs examens, notamment : 1o une tomodensitométrie lombaire dont le compte rendu fait état au niveau L5-S1 d’une « petite hernie discale postéro-médiane fort probablement sous-ligamentaire ne venant pas en contact avec le sac thécal ni les racines »; 2o une résonance magnétique dont le compte rendu fait mention d’une discopathie dégénérative modérée au niveau L4-L5, d’un léger rétrécissement foraminal L5-S1 gauche et d’une légère arthrose facettaire aux niveaux L4-L5 et L5-S1 sans évidence de hernie discale.
[9] Entre-temps, les docteurs Leclerc et Harvey transmettent des rapports médicaux à la CSST dans lesquels ils retiennent les diagnostics de lombosciatalgie gauche et sténose foraminale L5-S1 gauche.
[10] Le 20 octobre 2003, le docteur Leclerc procède à une infiltration facettaire L4-L5 gauche et note ce qui suit : « Avons demandé une consultation en IRMT, c’est-à-dire en imagerie par résonance magnétique thérapeutique pour une cryothérapie L4-L5 gauche exclusivement ». Cette demande est faite au docteur Jean-François Roy, orthopédiste.
[11] Entre l’automne 2003 et le printemps 2004, le travailleur continue d’être suivi par les docteurs Leclerc et Harvey. Les diagnostics inscrits dans les rapports médicaux de ce dernier sont une lombosciatalgie gauche et une hernie discale L5-S1 alors que ceux que le docteur Leclerc rapporte sont principalement une lombosciatalgie gauche et une sténose foraminale L5-S1 gauche. Les deux médecins réitèrent que le travailleur est en attente d’une consultation avec le docteur Roy.
[12] Le 4 février 2004, la CSST rend une décision par laquelle elle informe le travailleur que la sténose foraminale diagnostiquée n’est pas en relation avec sa lésion professionnelle. Cette décision revêt maintenant un caractère final, le travailleur s’étant désisté d’une demande de révision qu’il avait déposée à la CSST à ce sujet.
[13] Entre la fin avril et le début octobre 2004, le travailleur ne consulte que le docteur Harvey.
[14] Le 21 septembre 2004, la Commission des lésions professionnelles rend une décision par laquelle elle entérine un accord reconnaissant que les diagnostics d’étirement musculaire à la fesse gauche et de lombosciatalgie gauche sont en relation avec la lésion professionnelle survenue le 5 juin 2003.
[15] À compter du 15 octobre 2004, le travailleur est suivi par le docteur Joseph Cserny, omnipraticien. Lors de son examen initial, ce dernier rédige un rapport médical dans lequel il fait mention des diagnostics de lombosciatalgie gauche et de sténose foraminale.
[16] Dans ses rapports médicaux transmis à la CSST à la suite de ses examens des 10 et 26 novembre et du 20 décembre 2004, le docteur Cserny ne retient que le diagnostic de lombosciatalgie gauche. Par ailleurs, il indique que le travailleur est en attente d’un rendez-vous avec le docteur Roy et suggère qu’il passe un électromyogramme.
[17] Le 6 janvier 2005, une agente d’indemnisation de la CSST communique avec le travailleur et note ce qui suit : « T voit le md Joseph Cserny à P.-Cartier car l’autre md ne lui faisait pas passer de test et le dossier n’avançait pas. […] T confirme que son md traitant est le md Joseph Cserny ».
[18] Le 27 janvier 2005, le travailleur communique avec une autre agente d’indemnisation qui consigne ce qui suit : « Je lui demande pourquoi il voit Dr Cserny à Port-Cartier, dit que Dr Harvey ne lui faisait pas passer d’examen alors il a décidé de changer de médecin. Dr Cserny est maintenant son médecin traitant ».
[19] Le 16 février 2005, le docteur Cserny examine le travailleur et rédige un rapport médical dans lequel il fait encore mention d’un diagnostic de lombosciatalgie gauche, précisant que cette pathologie n’est pas consolidée et que la période prévisible de consolidation est de plus de 60 jours.
[20] Le 9 mars 2005, le docteur Jean-François Fradet, orthopédiste, examine le travailleur à la demande de la CSST. Il rédige ensuite un rapport d’expertise médicale dont voici la conclusion :
« […] L’examen fait aujourd’hui s’est révélé dans les limites de la normale. Il n’y avait aucune évidence de lésion évolutive tant au niveau lombaire que lors de l’examen neurologique. De plus, je constate qu’il n’y a pas d’atrophie musculaire au niveau gauche supportant la boiterie rapportée par monsieur.
12. QUESTIONS:
a) Traitements:
Compte tenu de l’absence de lésion évolutive en relation avec l’événement du 5 juin 2003, compte tenu que le traitement a été amplement suffisant et adéquat, il n’y a pas d’indication de traitement supplémentaire en relation avec cet événement. D’ailleurs, il ne reçoit plus aucun traitement.
b) Date de consolidation:
Compte tenu de l’absence de lésion évolutive suite à l’événement du 5 juin 2003, compte tenu de la non-nécessité de traitement, la lésion est consolidée en date d’aujourd’hui, soit le 9 mars 2005.
c) APIPP:
Compte tenu de l’absence de séquelle objectivée suite à l’événement du 5 juin 2003, il n’y a pas d’APIPP dans ce dossier.
d) Limitations fonctionnelles:
Compte tenu de l’absence de séquelle objectivée suite à l’événement du 5 juin 2003, il n’y a pas de limitation fonctionnelle dans ce dossier. »
[21] Le 30 mars 2005, le médecin régional de la CSST transmet au docteur Cserny une copie du rapport d’expertise du docteur Fradet. Il joint à son envoi les formulaires : « Information médicale complémentaire écrite » et « Rapport complémentaire », indiquant que le second ne doit être rempli que s’il y a désaccord sur l’un des points.
[22] Le 5 avril 2005, le docteur Cserny remplit le formulaire « Information médicale complémentaire écrite » en répondant aux différentes questions de la façon suivante :
« […] Considérant l’expertise réalisée par le Dr Jean-François Fradet, orthopédiste en date du 2005/03/09,
[…]
4 Rapport du médecin qui a charge du travailleur
Êtes-vous en accord :
1. Avec la date de consolidation ? Oui X Non ____
Si non, à quelle date ? ____/_____/_____
2. Avec la suffisance des soins ? Oui X Non ____
Si non, précisez ?
3. Avec l’absence de séquelles permanentes objectivables ? Oui X Non ____
Si non, précisez ?
4. Avec l’absence de limitations fonctionnelles ? Oui X Non ____
Si non, précisez ? »
[23] Le 11 avril 2005, la CSST rend une décision par laquelle elle déclare que le travailleur est redevenu capable d’exercer son emploi habituel à compter de cette date. Cette décision est ultérieurement confirmée à la suite d’une révision administrative, d’où le présent litige.
[24] Le 5 mai 2005, le docteur Cserny examine le travailleur et transmet à la CSST un rapport médical dont voici le contenu : « Lombosciatalgie gauche considérée consolidée le 9 mars 2005 par Dr Fradet. Il est supposé de travailler mais il n’y a pas de travail. Attend résonance magnétique le 16 mai à Québec demandée en mars 2004 ». Dans la section du rapport ayant trait à la consolidation, il inscrit que le période prévisible est de plus de 60 jours.
[25] Le 24 mai 2005, le docteur Roy examine le travailleur et diagnostique une entorse lombaire avec séquelles. Il ajoute qu’une discométrie sera éventuellement effectuée et que le travailleur est incapable de travailler.
[26] Le 10 juin 2005, le docteur Cserny rédige un rapport médical dans lequel il inscrit que le travailleur rencontrera le docteur Roy le 15 juin 2005 et réitère que la période prévisible de consolidation est de plus de 60 jours.
[27] Le 4 août 2005, le docteur Cserny rédige un nouveau rapport médical dans lequel il écrit ce qui suit : « Dr. Fradet a dit : consolidation 9 mars 2005. Mais il a été vu par Dr. Roy François à Québec qui va opérer sa colonne vertébrale en octobre. Alors définitivement la consolidation du 9 mars 2005 discutable. Diagn. Discopathie L4 L5 détériorée. Mal de hanche gauche. Ne peut travailler ».
[28] Le 22 novembre 2005, le docteur Roy procède à une intervention chirurgicale au cours de laquelle il installe une prothèse discale au niveau L4-L5.
[29] Le 29 novembre 2005, le docteur Cserny transmet à la CSST un rapport médical dans lequel il indique que le travailleur sera incapable de travailler pendant plusieurs mois en raison de l’intervention chirurgicale pratiquée par le docteur Roy.
[30] À l’audience, le représentant du travailleur fait entendre le docteur Cserny. Ce dernier indique qu’il n’a jamais obtenu le contenu du dossier médical des docteurs Leclerc et Harvey ni le résultat des examens par imagerie passés entre l’été 2003 et l’automne 2004. Il considère avoir été le médecin traitant du travailleur à compter du 15 octobre 2004. Il signale avoir toujours eu des réserves sur la nécessité de l’intervention chirurgicale pratiquée à l’automne 2005 par le docteur Roy. Curieusement, il semble croire que l’intervention a été pratiquée au niveau L1-L2, ce qui est inexact, le rapport médical du 22 novembre 2005 faisant état du niveau L4-L5.
[31] Interrogé sur les informations données dans le formulaire transmis à la CSST, le docteur Cserny affirme « J’étais d’accord et je suis d’accord avec le rapport du docteur Fradet ». Il reconnaît toutefois que si l’intervention chirurgicale pratiquée par le docteur Roy « est en connexion avec l’accident, la consolidation est discutable ». À la question suivante posée par le représentant du travailleur : « Qu’est-ce qui fait que vous étiez d’accord avec le docteur Fradet? », il répond : « Si un médecin spécialiste en expertise, un médecin spécialiste en orthopédie dit qu’il n’y a pas de limitations fonctionnelles, je ne peux pas dire que, je m’excuse, ce n’est pas vrai […] Si un médecin doublement spécialiste me dit que c’est comme ça, je ne peux pas dire non ». Il ajoute que cette affirmation vaut pour les quatre points soulevés dans le formulaire.
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[32] Au soutien de sa demande de révision à la CSST, le représentant du travailleur dépose une argumentation écrite dont voici un extrait :
« […] 10. Les conclusions tirées par le Dr Fradet dans son rapport du 9 mars 2004 [sic] sont manifestement erronées car inconciliables avec le dossier médical;
11. Le Dr Cserny n’était pas le médecin traitant de M. Guillemette en avril 2005;
12. De plus, les opinions émises par le Dr Cserny dans le formulaire « Information médicale complémentaire écrite » le 5 avril 2005 ni ne correspondent à ses véritables opinions médicales, ni ne peuvent être vraisemblablement valables considérant les connaissances qu’il avait du dossier médical;
13. Le dossier de M. Guillemette aurait dû être acheminé au Bureau d'évaluation médicale avant qu’une décision soit rendue sur la capacité de travailler de M. Guillemette ».
[33] À l’audience, le représentant du travailleur ne remet plus en question le fait que le docteur Cserny était le « médecin traitant » du travailleur au mois d’avril 2005. Il plaide cependant que ce médecin « n’a pas été diligent » en acceptant de remplir le formulaire « Information médicale complémentaire écrite » sans avoir pris connaissance des renseignements médicaux inscrits au dossier du travailleur avant le 15 octobre 2004. Il ajoute également que puisqu’il savait que le travailleur devait être opéré, il ne pouvait, en toute logique, considérer que la lésion était consolidée. Au soutien de son argumentation, il invoque les décisions rendues dans les affaires Émond et Les constructions Rosaire Bossé inc.[2]et Desruisseaux c. Commission des lésions professionnelles[3].
[34] Pour sa part, le représentant de la CSST rappelle que la jurisprudence enseigne qu’un travailleur ne peut contester l’avis de son propre médecin et que ce dernier peut se déclarer d’accord avec les conclusions apparaissant au rapport infirmant d’un médecin désigné de la CSST ou d’un employeur. À l’appui de ses prétentions, il invoque les décisions rendues dans les affaires Marceau et Gouttière Rive-Sud Fabrication inc.[4] et Boissonneault et Imprimerie Interweb inc.[5]. Il soutient aussi que la preuve confirme, notamment par le rapport d’expertise du docteur Fradet, qu’à l’époque où la décision sur la capacité a été rendue, la lésion professionnelle du travailleur était consolidée sans requérir de soins ou traitements additionnels et sans entraîner de séquelles fonctionnelles.
L’AVIS DES MEMBRES
[35] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la requête du travailleur devrait être rejetée. Il constate que le docteur Cserny est le médecin qui avait charge du travailleur à l’époque où le médecin désigné de la CSST l’a examiné. Aussi, il signale que le docteur Cserny a clairement indiqué qu’il était d’accord avec les conclusions du médecin désigné, autant en ce qui concerne la question ayant trait à la consolidation de la lésion professionnelle qu’à celle concernant l’absence de limitations fonctionnelles. Conséquemment, il estime que la CSST était bien fondée de conclure que le travailleur était capable d’exercer son emploi habituel à compter du 11 avril 2005.
[36] Le membre issu des associations syndicales est plutôt d’avis que la requête du travailleur devrait être accueillie en partie. Selon lui, l’information médicale complémentaire écrite transmise à la CSST par le docteur Cserny n’a aucune valeur, puisque ce dernier n’avait pas tous les renseignements requis pour donner une opinion éclairée et aussi parce que ses rapports médicaux rédigés à la même époque contredisent le contenu de ce document. Il considère donc que la CSST n’aurait pas dû en tenir compte. Dans ce contexte, il conclut que la décision du 5 avril 2005 devrait être annulée.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[37] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur est redevenu capable d’exercer son emploi habituel à compter du 11 avril 2005. Pour ce faire, elle doit d’abord vérifier si la CSST pouvait considérer que la lésion professionnelle du travailleur était consolidée depuis le 9 mars 2005 sans limitations fonctionnelles.
[38] La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[6] (la loi) contient plusieurs dispositions traitant de la procédure d’évaluation médicale, dont les articles 204, 205.1, 212, 224 et 224.1 (1) :
204. La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.
La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115.
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1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.
205.1. Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.
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1997, c. 27, a. 3.
212. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants:
1° le diagnostic;
2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;
3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;
4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;
5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.
L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.
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1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.
__________
1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
224.1. Lorsqu'un membre du Bureau d'évaluation médicale rend un avis en vertu de l'article 221 dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence.
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1992, c. 11, a. 27.
[39] Le législateur n’a pas défini la notion de « médecin qui a charge ». Cependant, dans l’affaire Marceau[7], la commissaire Hélène Marchand a suggéré quatre critères permettant d’identifier le médecin ayant charge d’un travailleur, lesquels ont par la suite été réitérés dans de nombreuses autres décisions du tribunal. Voici ce qu’elle écrivait à ce sujet :
« [33] Quant à la notion de médecin qui a charge, le législateur n'en a prévu aucune définition spécifique, laissant ainsi aux tribunaux spécialisés le soin d'en établir les principaux paramètres. Ainsi, la jurisprudence a dégagé plus ou moins quatre critères d'identification du médecin qui a charge du travailleur. Parmi ces critères retenons : 1) celui qui examine le travailleur; 2) celui choisi par le travailleur par opposition à celui qui lui serait imposé lors d'une expertise médicale demandée par la CSST ou l'employeur, par opposition également au médecin qui n'agit dans un dossier qu'à titre d'expert sans jamais suivre l'évolution médicale du patient; 3) celui qui établit un plan de traitement et enfin 4) celui qui assure le suivi du dossier du patient en vue de la consolidation de la lésion. »
[40] En l’espèce, il est clair que le docteur Cserny était le médecin qui avait charge du travailleur à l’époque où la CSST a obtenu un rapport d’expertise médicale du docteur Fradet, à savoir en mars 2005. En effet, ce médecin est celui qui a suivi le travailleur, à sa demande, à compter de la mi-octobre 2004. Il l’a examiné à quelques reprises pendant cette période et a poursuivi le plan de traitement établi par les docteurs Leclerc et Harvey. Le tribunal rappelle d’ailleurs que le travailleur a identifié le docteur Cserny comme son médecin traitant lors de conversations téléphoniques avec les agentes d’indemnisation les 6 et 27 janvier 2005.
[41] Partant, conformément aux dispositions de l’article 205.1, la CSST était justifiée de s’adresser au docteur Cserny pour vérifier s’il était d’accord avec les conclusions du docteur Fradet.
[42] Avec le recul et après avoir entendu le témoignage du docteur Cserny, le tribunal ne peut toutefois accorder quelque valeur que ce soit au contenu du formulaire « Information médicale complémentaire écrite » transmis à la CSST par ce médecin au mois d’avril 2005.
[43] Premièrement, le tribunal doit tenir compte du fait que le docteur Cserny n’avait pas obtenu le dossier médical antérieur du travailleur lorsqu’il a rempli le formulaire de la CSST. Ainsi, il ne pouvait connaître avec précision le résultat des examens par imagerie effectués et il ignorait totalement les observations et le résultat des examens cliniques des deux médecins ayant suivi le travailleur entre juin 2003 et octobre 2004. Trop d’éléments étaient donc manquants pour qu’il puisse exprimer une opinion éclairée sur les points identifiés au formulaire.
[44] Deuxièmement, les rapports médicaux transmis à la CSST par le docteur Cserny entre les mois de février et août 2005 contredisent son opinion exprimée dans le formulaire. Par exemple :
- lors de son examen du 16 février 2005, il rédige un rapport médical dans lequel il indique que la lésion professionnelle n’est pas consolidée et que la période prévisible de consolidation est de plus de 60 jours; or, il ne procède à aucun autre examen avant de transmettre le formulaire à la CSST;
- lors du premier examen suivant l’envoi du formulaire, il écrit dans un rapport transmis à la CSST que le travailleur est en attente d’une résonance magnétique et dans la section du rapport ayant trait à la consolidation, il inscrit que le période prévisible est de plus de 60 jours;
- lors de son examen du 10 juin 2005, il rédige un rapport médical dans lequel il inscrit que le travailleur rencontrera le docteur Roy le 15 juin 2005 et réitère que la période prévisible de consolidation est de plus de 60 jours;
- lors de son examen du 4 août 2005, il rédige un nouveau rapport médical dans lequel il écrit que le docteur Roy procédera à une intervention chirurgicale en octobre 2005 et ajoute : « alors définitivement la consolidation du 9 mars 2005 discutable ».
[45] Troisièmement, lors de son témoignage, le docteur Cserny a expliqué pourquoi il était d’accord avec le docteur Fradet en indiquant qu’il ne pouvait tout simplement pas aller à l’encontre de l’opinion d’un médecin spécialiste : « Si un médecin spécialiste […] en orthopédie dit qu’il n’y a pas de limitations fonctionnelles, je ne peux pas dire que […] ce n’est pas vrai […] Si un médecin doublement spécialiste me dit que c’est comme ça, je ne peux pas dire non ». Exprimé autrement, le docteur Cserny est d’avis qu’étant omnipraticien, il ne peut émettre une opinion différente de celle d’un médecin spécialiste désigné par la CSST ou par l’employeur. Ce point de vue est pour le moins surprenant et totalement inacceptable.
[46] À ce stade-ci, le tribunal rappelle que le législateur a consacré dans la loi le principe de la primauté de l’avis du médecin ayant charge du travailleur sur les questions d’ordre médical[8]. Or, le docteur Cserny a rempli le formulaire « Information médicale complémentaire écrite » en croyant à tort qu’il ne pouvait remettre en question les conclusions du médecin spécialiste. Une telle interprétation est incompatible avec le principe énoncé et le tribunal ne peut la cautionner.
[47] Par ailleurs, il est bien établi que le travailleur est lié par les conclusions du médecin l’ayant pris en charge et qu’il n’existe aucune disposition législative lui permettant de les contester[9]. En contrepartie, pour donner une opinion valable sur l’un des points mentionnés aux paragraphes 1 à 5 du premier alinéa de l’article 212 de la loi, le médecin doit avoir en main toutes les informations pertinentes[10], ce qui n’était pas le cas du docteur Cserny.
[48] Il est également reconnu que le médecin ayant charge du travailleur peut, en vertu de l’article 205.1 de la loi, se rallier à l’opinion du médecin désigné par la CSST, sans nécessairement procéder à un nouvel examen du travailleur. Dans ce cas, sa réponse relativement aux sujets traités à l’article 212 de la loi lie la CSST selon les dispositions de l’article 224 de la loi[11]. En revanche, lorsque le médecin ayant charge du travailleur modifie sa position initiale, son rapport complémentaire doit être clair, ne pas présenter d’ambiguïté et ne pas porter à interprétation[12]. Voici ce que mentionnait récemment la commissaire Carmen Racine dans l’affaire Tremblay et Providence Notre-Dame de Lourdes[13] à ce sujet :
« [133] La Commission des lésions professionnelles retient de ces différents extraits de décisions que, sollicité par la CSST afin de produire un rapport complémentaire, le médecin qui a charge peut, soit contredire le rapport du médecin expert ou se rallier à ses conclusions.
[134] Il n’a aucune obligation d’examiner la travailleuse avant d’adhérer aux conclusions et motivations du médecin expert. Par ailleurs, son opinion à cet égard doit être claire et limpide.
[135] Ainsi, la Commission des lésions professionnelles constate que n’ont pas été assimilées à des réponses claires et limpides, la simple mention « d’accord » sur le rapport complémentaire dans un cas où le médecin expert consolide la lésion sans atteinte permanente ou limitations fonctionnelles et où le médecin traitant poursuit le suivi médical après avoir manifesté son accord avec ces conclusions8 ou les mentions « rien à ajouter » et « je ne m’objecte pas à cette décision » alors que le médecin expert modifie le diagnostic retenu par le médecin traitant, que ce dernier perd de vue la travailleuse durant un certain temps avant de produire le rapport complémentaire et qu’il admet, par la suite, ne pas avoir en main toutes les informations pertinentes9.
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8 9 Références omises. »
[49] En l’espèce, vu les rapports médicaux contradictoires rédigés par le docteur Cserny, les 16 février, 5 mai, 10 juin et 4 août 2005, le tribunal considère que le formulaire « Information médicale complémentaire écrite » transmis à la CSST n’était pas suffisamment clair pour constituer un rapport liant la CSST au sens de l’article 224 de la loi.
[50] Somme toute, la conjonction des motifs énoncés amène le tribunal à conclure que la décision de la CSST rendue le 11 avril 2005 est nulle, puisque basée sur une information médicale complémentaire écrite irrégulière. En conséquence, les questions d’ordre médical contestées devront être soumises au Bureau d'évaluation médicale pour que la CSST statue de nouveau sur la capacité du travailleur à exercer son emploi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE EN PARTIE la requête de monsieur David Guillemette, le travailleur;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 7 novembre 2005 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE nulle la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 11 avril 2005 statuant sur la capacité du travailleur à exercer son emploi habituel;
RENVOIE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail afin que les questions d’ordre médical contestées soient soumises au Bureau d'évaluation médicale.
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Raymond Arseneau |
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Commissaire |
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Me Yves Gravel |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Jean-Marc Hamel |
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PANNETON LESSARD |
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Représentant de la partie intervenante |
[1]
[2] C.L.P.
94813-62A-9803, 28 juin
[3] C.S. 200-05-013595-009, 27 septembre 2000, j. Bouchard.
[4] C.L.P. 91084-62-9709, 22 octobre 1999, H. Marchand.
[5] C.L.P. 89991-61-9707, 29 juin 1998, J. L’Heureux.
[6] L.R.Q., c. A-3.001.
[7] Précitée, note 4.
[8] St-Louis et Centre hospitalier de soins de longue durée René-Lévesque, C.L.P.
114337-62-9903, 15 juin
[9] Voir
notamment : Doyer et Gonzague Bissonnette, C.A.L.P.
17237-04-9002, 9 juillet 1991, P. Brazeau; Chiazzese et Corival inc.,
[1995] C.A.L.P. 1168
; Legault et C.H.V.O. Pavillon Gatineau, C.L.P. 124289-07-9910,
21 mai
[10] Gagné et Entreprise Cuisine-Or, C.L.P.
231454-03B-0404, 13 juin
[11] Lacombe et Novexcel inc., C.L.P. 172763-62C-0111, 8 juillet 2002, N. Tremblay.
[12] McQuinn et Étiquettes Mail-Well, C.L.P. 201087-62A-0303, 31 janvier 2005, N. Tremblay; Saint-Arnaud et Ville de Trois-Rivières, C.L.P. 256038-04-0502, 20 décembre 2005, D. Lajoie.
[13] C.L.P.
247398-71-0411, 24 février
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