Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Patterson

2014 QCCLP 4606

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

Gaspé

8 août 2014

 

Région :

Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, Bas-Saint-Laurent et Côte - Nord

 

Dossier :

522131-01B-1309

 

Dossier CSST :

100007293

 

Commissaire :

Louise Desbois, juge administrative

 

Membres :

Ginette Denis, associations d’employeurs

 

Jacques Picard, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

Michael Patterson

 

Partie requérante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

[1]           Le 18 septembre 2013, monsieur Michael Patterson (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 7 août 2013 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 29 mai 2013 et déclare qu’elle doit cesser de payer les soins et traitements après le 23 mai 2013, puisqu’ils ne sont plus justifiés.

[3]           Lors de l’audience tenue à Gaspé le 6 mars 2014, le travailleur est présent. Aucun employeur n’est en cause et la CSST n’est quant à elle pas intervenue au dossier.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]   Le travailleur demande de reconnaître qu’il a droit à la poursuite du remboursement des traitements de physiothérapie et de chiropratique comme c’est le cas depuis la consolidation de sa lésion professionnelle en 1994.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]           La membre issue des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous deux d’avis que la requête du travailleur devrait être accueillie. Ils considèrent plus particulièrement les avis répétés de la médecin ayant charge du travailleur et de ses thérapeutes, ainsi que le témoignage crédible du travailleur, le tout démontrant de façon prépondérante la pertinence et même la nécessité, dans les faits, des traitements de physiothérapie et d’ergothérapie pour le maintien de la condition du travailleur, voire pour éviter la survenance de récidives, rechutes ou aggravations.

[6]           La membre issue des associations d’employeurs assujettirait cependant la continuité des traitements à la condition que le travailleur soit soumis à une investigation médicale plus élaborée par un orthopédiste vers lequel sa médecin le dirigerait, incluant des tests d’imagerie, le tout en raison du fait que la persistance des symptômes, rapportée de manière crédible par le travailleur, est cependant difficilement compatible avec une entorse lombaire survenue il y a plus de 20 ans.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[7]           Le travailleur, actuellement âgé de 47 ans, est victime d’un accident du travail le 25 avril 1991 dans l’exercice de son travail de consultant agricole.

[8]           La lésion professionnelle est alors diagnostiquée comme étant une entorse lombaire. Cette lésion est déclarée consolidée le 11 août 1991 et il est alors précisé qu’il n’en résulte ni atteinte permanente ni limitations fonctionnelles.

[9]           Il est cependant reconnu que le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation de cette lésion le 6 avril 1992. Cette lésion professionnelle est cette fois déclarée consolidée le 15 mars 1994. Une atteinte permanente de 2,2 % est reconnue en résulter, ainsi que les limitations fonctionnelles suivantes :

Éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui impliquent de :

 

-       Soulever, porter, pousser, tirer des charges de plus de 15 à 25 kilogrammes;

-       Travailler en position accroupie;

-       Ramper, grimper;

-       Effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension ou torsion de la colonne lombaire;

-       Subir des vibrations de haute fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale.

 

 

[10]        La médecin du travailleur continue à prescrire des traitements de physiothérapie et de chiropratique au travailleur à la suite de la consolidation de la lésion, au motif que ceux-ci permettent de maintenir les douleurs du travailleur à un niveau raisonnable et à ce dernier de continuer à travailler.

[11]        La CSST valide à plusieurs reprises au fil des ans le bien-fondé de cette prescription auprès de son médecin-conseil et rembourse l’ensemble des traitements qu’elle qualifie alors de « traitements de soutien » comme c’est régulièrement le cas dans les dossiers dans lesquels les lésions sont consolidées.

[12]        En 2012 cependant, il semble y avoir un changement d’approche à la CSST, tout comme un changement de médecin-conseil.

[13]        Ainsi, le 18 avril 2012, la docteure Geneviève Pap, médecin-conseil à la CSST, émet ainsi son avis au sujet du remboursement de ces traitements :

Considérant que ce T [travailleur] occupe depuis plusieurs années un emploi sédentaire (cf description de tâches) qui respecte très bien les limitations fonctionnelles du T (entente CLP), il ne semble pas avoir de nécessité de poursuivre de façon régulière les traitements de chiro et de physio en lien avec l’ÉO [événement d’origine]

Indication d’une expertise en ortho sur le point 3.

Dx accepté : Entorse lombaire consolidée en 1994

 

 

[14]        Le tribunal note que rien ne permet, à la lecture de ce bref avis, de savoir si la docteure Pap a pris connaissance des notes au dossier, au fil des ans, du médecin traitant, des chiropraticiens et des physiothérapeutes ainsi que du précédent médecin-conseil, lesquels concluaient tous au bien-fondé de la poursuite de ces traitements.

[15]        Les avis suivants se retrouvent notamment au dossier au fil des ans :

-       Lettre du docteur Dario P. Laurenti, chiropraticien, 30 mars 1999 :

Mr. Patterson’s discomfort is described as bearable, however without weekly treatments he quickly succombs to pain in and about the cervical spine and lumbar region.

 

[…]

 

It is my impression that Mr Patterson’s back problems stem from the initial injury, and he has continued with chiropractic care to maintain his pain at a tolerable level. (The possibility of lengthening the treatment times can be attempted in the future but any time beyond 2 weeks places the patient in pain). Lenghtening of the treatment time has been attempted at once/2 week period, however; his condition deteriorated after only 2 sessions. He therefore has returned to the once/week regime.

 

I recommend that he continue on the schedule as established. [sic]

 

 

-       Lettre de la docteure Fannie Boulanger, chiropraticienne, 4 août 2004 :

La douleur aux [illisible] épineux de L3-L4-L5 ainsi que le sacro-iliaque gauche demeure sensible à la palpation. On y note une légère enflure à ces mêmes segments vertébraux. Les soins chiropratiques aident et améliorent la qualité de vie de M. Patterson, lui permettant de vaquer à son occupation, mais après plus de 2 à 3 semaines sans soins, le patient se plaint de douleur constante entraînant ainsi des troubles du sommeil et des difficultés à travailler. (Rester assis longtemps… positions stationnaires ↑ [augmentent] les douleurs au bas du dos).

 

L’arrêt des soins chiropratiques ne serait pas une bonne idée puisqu’ils lui permettent de travailler (Quelques semaines de travail sans trop de douleur, puis rechute, la douleur revient de façon chronique).

 

Pour ma part, je continuerais les soins de support en [illisible] (1 x / 3-4 sem.) selon la condition de ce patient! [sic]

 

 

-       Lettre de la docteure Fannie Boulanger, chiropraticienne, 3 mars 2008 :

[…]

 

Nous avons espacé les traitements chiropratiques par période pour noter qu’il y a dégradation du problème après quelques semaines, c’est-à-dire que les douleurs à la région lombaire s’aggravent, la mobilité articulaire se réduit de façon sévère et qu’il a de la difficulté à travailler (incapable de rester longtemps assis).

 

[…]

 

En conclusion, les soins chiropratiques devraient être maintenus en raison d’une (1) fois par semaine pour maintenir la condition et favoriser le patient à être bien à son travail. Dans le cas contraire, je craindrais une récidive majeure de sa condition compte tenu des derniers résultats de la résonance magnétique passé en septembre 2007. Les soins chiropratiques améliorent sa condition en augmentant sa flexibilité, sa souplesse et restaure la mobilité articulaire pour une (1) à deux (2) semaines environ et par la suite on remarque les séquelles e l’entorse lombaire qui se manifestent rapidement. [sic]

 

 

-       Notes évolutives de l’agent d’indemnisation de la CSST puis du médecin-conseil, 31 mars 2008, puis 22 avril 2008 :

Tx de chiro sont-ils acceptables?

 

Réponse : bien tél. avec Dr Skene

————————————————————————————

2008-04-22 14:00:00 Michel Poulin - Médecin-conseil, NOTE D’INTERVENTION

 

Titre : bilan médical

 

Étaient présents : Dre Skene

 

Objectifs : Discuter de l’opportunité de poursuivre les traitements d’acupuncture [sic]

 

- ASPECT MÉDICAL :

En résumé, Dre Skene estime que pour ce patient en particulier, les traitements d’acupuncture [sic] doivent être poursuivis de façon régulière car elle estime le potentiel de rechute très élevé si ceux-ci sont cessés.

 

 

-       Lettre de la docteure Fannie Boulanger, chiropraticienne, 11 décembre 2008 :

Depuis son accident en avril 1991, ce patient demeure avec une douleur chronique de moyenne à forte au bas du dos. Malheureusement avec les années, sa condition se détériore, ce qui est dans la normale compte tenu de la blessure ligamentaire et discale lors de son accident.

 

Nous avons noté depuis le 30 novembre 2001 des améliorations (de légères à bonnes) de sa condition initiale, mais cette dernière a atteint une stabilité et nous croyons qu’en combinant les soins chiropratiques et de physiothérapie, cela permettrait de maintenir sa condition dans le futur.

 

De plus, nous notons une détérioration de la condition lorsque les soins chiropratiques sont espacés à plus de un (1) mois, tels que :

Ø  Perte du sommeil;

Ø  Accentuation de la douleur au bas du dos;

Ø  Perte d’énergie;

Ø  Absences au travail occasionnées par la douleur au bas du dos qui rend le patient invalide;

Ø  Difficulté à bouger (vaquer à ses occupations)…

 

Pour toutes ces raisons, je crois que les soins chiropratiques aident ce patient à continuer de travailler, à maintenir une certaine qualité de vie, à augmenter sa flexibilité, sa mobilité articulaire et surtout à prévenir des absences fréquentes et prolongées au travail.

 

[…] [sic]

 

 

-       Note évolutive d’un agent d’indemnisation de la CSST, 24 janvier 2011 :

Appel reçu de Thérèse Joncas, physiothérapeute. Elle me demande si les traitements de physio en soutien sont encore autorisés? Elle me dit aussi que le T [travailleur] appelle la clinique pour prendre rendez-vous au besoin et qu’il est vu en moyenne 1 à 2 fois par mois. Je lui confirme que le médecin traitant du travailleur ainsi que notre médecin conseil sont d’accord sur le fait que T doit recevoir traitements de physio en soutien afin de la maintenir au travail. Mme Joncas se dit du même avis que les médecins et me fera parvenir son rapport d’étape prochainement.

 

 

-       Multiples notes en physiothérapie :

DLR [douleur] STABLE AGGRAVÉE À L’EFFORT ET SOULAGÉE POST PHYSIO.

 

 

-       Note de physiothérapie, 10 novembre 2011 :

POURSUIVRE PHYSIO EN MAINTIEN PARALLÈLE AU MAINTIEN AU TRAVAIL

 

 

-       Rapport complémentaire de la docteure Patsy Skene, médecin ayant charge du travailleur, 2 novembre 2012 :

[…]

Depuis 1994, M. Patterson a toujours eu ses traitements de physio et chiro remboursés par la CSST. Il utilise ses traitements à environ 20 séances/an. Ces traitements lui permettent de maintenir son lien au travail.

 

 

[16]        Le tribunal souligne d’entrée de jeu que la question de « la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits » n’est pas du tout évoquée à l’article 203 de la loi comme devant être abordée dans le rapport final du médecin ayant charge du travailleur à la suite de la consolidation de la lésion professionnelle.

[17]        Il s’avère ainsi que lorsque la lésion professionnelle est consolidée, le médecin qui a charge du travailleur doit émettre son opinion sur les séquelles qui en résultent ou non. C’est tout. La question de la nature, de la nécessité, de la suffisance ou de la durée des soins et des traitements ne se pose ainsi manifestement qu’avant la consolidation de la lésion professionnelle, ce sur quoi le tribunal reviendra.

[18]        Quoi qu’il en soit, la CSST décide quant à elle, dix-huit ans après la consolidation de la lésion professionnelle du travailleur et après avoir accepté de défrayer le coût des traitements qu’elle qualifie « de soutien » au cours de toutes ces années, de réactiver la procédure d’évaluation médicale énoncée dans la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) en soumettant le travailleur à un examen médical par un médecin qu’elle désigne.

[19]        La question de « la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits » constitue effectivement un des sujets médicaux quant auxquels la loi prévoit une procédure précise d’évaluation (articles 199 et suivants).

[20]        En vertu de ces dispositions, le médecin qui a charge du travailleur émet normalement son avis sur ces sujets, énoncés à l’article 212, et son opinion lie la CSST :

203.  Dans le cas du paragraphe 1° du premier alinéa de l'article 199, si le travailleur a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, et dans le cas du paragraphe 2° du premier alinéa de cet article, le médecin qui a charge du travailleur expédie à la Commission, dès que la lésion professionnelle de celui-ci est consolidée, un rapport final, sur un formulaire qu'elle prescrit à cette fin.

 

Ce rapport indique notamment la date de consolidation de la lésion et, le cas échéant :

 

1° le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des indemnités pour préjudice corporel adopté par règlement;

 

2° la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;

 

3° l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion.

 

Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport.

__________

1985, c. 6, a. 203; 1999, c. 40, a. 4.

 

 

212.  L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants :

 

1° le diagnostic;

 

2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;

 

3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;

 

4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;

 

5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.

 

L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.

__________

1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.

 

 

224.  Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.

__________

1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.

 

[nos soulignements]

 

 

[21]         Par contre, la CSST, comme l’employeur, peut obtenir un rapport d’expertise médicale d’un autre médecin et, s’il contredit l’opinion émise par le médecin qui a charge du travailleur sur l’un ou l’autre des cinq sujets précités, les rapports contradictoires sont soumis en quelque sorte à un arbitre, qu’est le membre du Bureau d’évaluation médicale. Ce dernier émettra alors son avis après avoir évalué le travailleur et cet avis liera normalement la CSST plutôt que l’avis du médecin ayant charge du travailleur :

204.  La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.

 

La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115.

__________

1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.

 

 

219.  La Commission transmet sans délai au membre du Bureau d'évaluation médicale le dossier médical complet qu'elle possède au sujet de la lésion professionnelle dont a été victime un travailleur et qui fait l'objet de la contestation.

__________

1985, c. 6, a. 219; 1992, c. 11, a. 21.

 

 

221.  Le membre du Bureau d'évaluation médicale, par avis écrit motivé, infirme ou confirme le diagnostic et les autres conclusions du médecin qui a charge du travailleur et du professionnel de la santé désigné par la Commission ou l'employeur, relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, et y substitue les siens, s'il y a lieu.

 

Il peut aussi, s'il l'estime approprié, donner son avis relativement à chacun de ces sujets, même si le médecin qui a charge du travailleur ou le professionnel de la santé désigné par l'employeur ou la Commission ne s'est pas prononcé relativement à ce sujet.

__________

1985, c. 6, a. 221; 1992, c. 11, a. 23.

 

 

224.1.  Lorsqu'un membre du Bureau d'évaluation médicale rend un avis en vertu de l'article 221 dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence.

 

Lorsque le membre de ce Bureau ne rend pas son avis dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par le rapport qu'elle a obtenu du professionnel de la santé qu'elle a désigné, le cas échéant.

 

Si elle n'a pas déjà obtenu un tel rapport, la Commission peut demander au professionnel de la santé qu'elle désigne un rapport sur le sujet mentionné aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 qui a fait l'objet de la contestation; elle est alors liée par le premier avis ou rapport qu'elle reçoit, du membre du Bureau d'évaluation médicale ou du professionnel de la santé qu'elle a désigné, et elle rend une décision en conséquence.

 

La Commission verse au dossier du travailleur tout avis ou rapport qu'elle reçoit même s'il ne la lie pas.

__________

1992, c. 11, a. 27.

 

 

[22]        En l’occurrence, en dépit de la consolidation de la lésion professionnelle du travailleur dix-huit ans plus tôt, la CSST soumet donc le travailleur à l’examen d’un médecin qu’elle désigne en vertu de l’article 204 de la loi, puis transmet le dossier du travailleur au Bureau d’évaluation médicale pour qu’un membre soit désigné et émette son avis.

[23]        Le travailleur est ainsi d’abord évalué par le docteur Patrick Kinnard, orthopédiste, le 25 septembre 2012 à la demande de la CSST.

[24]        Le docteur Kinnard évoque d’entrée de jeu que le mandat qui lui est confié est « d’évaluer selon les nouveaux barèmes […] la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits », sans que le tribunal ne puisse savoir à quoi il peut être fait référence lorsqu’il est question de « nouveaux barèmes ».

[25]        Le docteur Kinnard rapporte d’abord ainsi l’état actuel du travailleur tel que décrit par ce dernier, après avoir évoqué le résultat d’une tomodensitométrie pratiquée en mars 2012 :

Une tomodensitométrie, faite en mars 2012, démontrait une petite hernie subtile L5-S1 postérieure et une petite hernie L4-L5 gauche avec des phénomènes d’arthrose dans les sacro-iliaques.

 

[…]

 

Selon les déclarations de monsieur Patterson, il travaille à l’Agence d’Inspection Canadienne des Aliments. Selon lui, les traitements l’aident beaucoup et, s’il ne suit pas ces traitements, les douleurs augmentent, irradiant jusqu’à la colonne cervicale. Il peut avoir des crises où l’intensité douloureuse peut monter jusqu’à 8 à 9/10. Cependant, habituellement, et ce, depuis l’accident, il a des douleurs quotidiennes tous les jours qu’il situe de 1 à 2/10. Il a parfois des blocages lombaires.

 

Il prend, au besoin, des AINS [anti-inflammatoires non-stéroïdiens] et des relaxants musculaires. Il n’a pas d’irradiation douloureuse dans les jambes, ni d’engourdissement.

 

 

[26]        Puis, le docteur Kinnard conclut comme suit quant à la question qui lui est posée, après avoir rapporté un examen clinique essentiellement normal :

-  Considérant les plaintes subjectives;

-  Considérant l’examen clinique qui ne montre aucun signe objectif de pathologie active susceptible d’être limitative;

-  Considérant le résultat de la tomodensitométrie;

-  Considérant que l’imagerie médicale n’est pas corroborée par l’examen clinique objectif;

-  Considérant qu’il n’y a pas de signes pouvant faire penser à une compression de racines nerveuses;

-  Considérant que l’examen neurologique est dans les limites de la normale;

 

Ø  En relation avec l’entorse lombaire consolidée en 1994, tel qu’accepté par la CSST, il n’y a pas de modalité thérapeutique particulière à prescrire dans ce dossier.

 

[nos soulignements]

 

 

[27]        Le dossier est transmis au Bureau d’évaluation médicale et le docteur Jean-Pierre Lacoursière est désigné pour agir dans le dossier. À la suite d’un examen du travailleur le 15 mai 2013, le docteur Lacoursière émet son avis sur ce qu’il est convenu de désigner comme le sujet 3, soit celui qui concerne la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou traitements administrés ou prescrits.

[28]        Le docteur Lacoursière rapporte ainsi le contenu des rapports contesté et complémentaire de la médecin ayant charge du travailleur avant de rapporter les propos du travailleur quant à son état :

Rapport contesté le 20 septembre 2012

 

La docteure Skene, médecin traitant, a encore retenu le diagnostic de lombalgie chronique, poursuivre physiothérapie et chiropraxie autant que nécessaire en maintien au moins 20 fois par année.

 

[…]

 

Rapport complémentaire le 2 novembre 2012

 

La docteure Skene a fourni un rapport complémentaire suite à l’évaluation du médecin désigné. Le rapport est le suivant et je cite :

 

Je suis en désaccord avec le rapport d’évaluation du 29 septembre 2012. Depuis 1994, monsieur Patterson a toujours eu ses traitements de physiothérapie et chiropraxie remboursés par la CSST. Il utilise ces traitements à environ 20 séances par année. Ces traitements lui permettent de maintenir son lien au travail. (sic)

 

ÉTAT ACTUEL

 

Monsieur Patterson travaille à l’heure actuelle pour l’Agence canadienne d’inspection des aliments depuis 11 ans. Il s’agit d’un travail de bureau.

 

À l’heure actuelle, il prend du Naproxen ou du Flexeril et des anti-douleurs, au besoin. Il reçoit des traitements la plupart du temps à toutes les semaines ou les deux semaines. Une fois en physiothérapie et une fois en chiropraxie. En physiothérapie, on lui fait surtout des massages et on maintient sa mobilité. On a tenté à deux reprises des tractions et son dos a complètement barré.

 

En chiropraxie, on fait des massages également et on utilise des instruments chiropraxiques (fourchette). On ne fait pas de grande manipulation. Les traitements en chiropraxie sont donnés de la colonne dorsale supérieure jusqu’au niveau lombaire.

 

Les douleurs qu’il accuse sont des douleurs lombaires qui n’irradient pas au niveau des membres inférieurs mais quelquefois, elles irradient vers la colonne cervicale. Lors des crises, il ressent comme un coup de poignard. Les douleurs ne l’éveillent plus la nuit. Le matin au lever, il présente un phénomène de dérouillage. Les douleurs sont augmentées s’il veut demeurer avec la colonne dorso-lombaire en légère flexion antérieure pendant de longues périodes ou en position debout ou assise statique.

 

Pour ce qui est de la marche, il peut marcher environ 30 à 40 minutes dans un centre d’achat ou sur un plancher en béton.

 

Les douleurs sont augmentées par les mouvements répétitifs de flexion, d’extension, de rotation du tronc de même que par la levée de poids. Les manœuvres de Valsalva sont négatives et les changements climatiques n ‘ont pas d’effet sur les douleurs rapportées. Il n’a aucun trouble sphinctérien.

 

Monsieur Patterson nous dit que les douleurs ne le quittent vraiment jamais au complet. Elles peuvent varier de 1 à 2/10 cependant.

 

[sic]

 

[29]        Le docteur Lacoursière émet finalement l’avis suivant après avoir lui aussi rapporté un examen physique essentiellement normal si ce n’est que le travailleur doit s’appuyer les mains sur les cuisses pour se redresser de la position fléchie vers l’avant et qu’il évoque une légère douleur à l’occasion lors de l’examen :

La notion de consolidation signifie la fin des traitements. Or, monsieur Patterson est consolidé depuis 1994 et il reçoit encore des traitements à l’heure actuelle, ce qui est tout à fait inusuel et surprenant. La notion de consolidation ne sous-tend pas la notion de traitements d’entretien. Il importe à monsieur Patterson de se tenir en forme et de faire chez lui les exercices qu’on lui a enseignés en physiothérapie.

 

Le dossier nous révèle qu’aucune mesure thérapeutique ne semble améliorer la condition de monsieur Patterson de façon permanente. Les traitements ont donc plafonné et ceci depuis plusieurs mois voire plusieurs années.

 

L’avis contenu dans le rapport complémentaire du médecin traitant concernant la continuation des traitements n’est validé par aucun critère objectif valable.

 

En présence d’un examen objectif normal, il n’y a aucune justification de recommander quelque traitement que ce soit.

 

Toute blessure comporte une phase inflammatoire, une phase de réparation et une phase de remodelage. Durant ce temps, les traitements sont indiqués mais lorsque ces phases sont terminées incluant des traitements de réadaptation, il n’y a pas lieu de continuer quelque traitement que ce soit.

 

II est bien connu dans la communauté médicale que les traitements en physiothérapie ne devraient pas être prolongés au-delà d’un temps normal de guérison car ceci risque de médicaliser la condition et de prolonger la durée des symptômes.

 

Nous ne nions pas que monsieur Patterson présente à l’heure actuelle des douleurs chroniques et c’est d’ailleurs le diagnostic retenu par son médecin, soit celui de lombalgie chronique. Cependant, étant donné un examen objectif normal et un temps de guérison des tissus mous dépassé depuis plusieurs années maintenant, il n’y a aucune indication de recommander quelque traitement additionnel que ce soit si ce n’est que de poursuivre sur une base individuelle les mesures d’hygiène du rachis et les exercices de mobilisation active. Sur ceci, nous rejoignons l’opinion du médecin désigné.

 

[nos soulignements]

 

 

[30]        À la suite de la réception de l’avis du docteur Lacoursière, la CSST se déclare liée par celui-ci et rend la décision dont révision sera demandée sans succès par le travailleur et qui fait l’objet du présent litige : les soins et les traitements ne sont plus justifiés depuis le 23 mai 2013 et elle cesse donc de les payer.

[31]        Lors de l’audience, le travailleur est présent et est entendu.

[32]        Le travailleur réitère essentiellement ce qu’il a toujours déclaré à tous les intervenants et qui a notamment été rapporté par les deux orthopédistes l’ayant examiné à la demande de la CSST : il a toujours continué à ressentir de la douleur lombaire depuis la consolidation de sa lésion professionnelle, ses médecins successifs lui ont toujours prescrit des traitements de physiothérapie et de chiropratique pour aider à maintenir ses douleurs à un niveau acceptable et lui permettant de continuer à travailler sans absences indues.

[33]        Le travailleur insiste notamment sur le fait qu’il est vrai que ces traitements ne lui ont jamais apporté de soulagement ou d’amélioration durable, mais que là n’est pas la question : ces traitements permettent de maintenir sa condition, sa qualité de vie et sa capacité de travail en limitant la douleur et les détériorations fréquentes, voire incapacitantes, de sa condition.

[34]        Le travailleur précise devoir malgré tout prendre des journées de congé de maladie à l’occasion en raison de son mal de dos (entre cinq et dix jours par an), ajoutant ne pas avoir déposé de réclamations à la CSST à ces occasions, jugeant le tout trop compliqué pour une ou deux journées d’absence consécutives.

[35]        Le travailleur ajoute avoir tenté à quelques reprises de limiter la fréquence de ses traitements, mais que chaque fois sa condition s’est rapidement détériorée, jusqu’à mettre en péril sa capacité de travailler.

[36]        Invité à commenter les examens physiques essentiellement normaux pratiqués par les docteurs Kinnard et Lacoursière, le travailleur mentionne notamment que leurs résultats auraient été très différents s’il n’avait pas reçu de traitements de physiothérapie et de chiropratique au cours des semaines précédant ces examens.

[37]        Le travailleur précise également, contrairement à ce que rapporte le docteur Lacoursière, que ses traitements ne se limitent pas à des massages, lesquels semblent même marginaux, et que des tractions sont notamment pratiquées sur une base régulière (mais manuelles seulement, les tractions mécaniques ayant été tentées, mais ayant provoqué un blocage et de la douleur intense).

[38]        Le travailleur établit une comparaison entre ses traitements et le traitement d’insuline pour un diabétique, les deux permettant d’éviter un dérèglement et une dégradation de la condition. Le travailleur ajoute par ailleurs effectuer à peu près tous les jours les exercices enseignés en physiothérapie, et ce, depuis 20 ans, mais que cela aide, mais ne suffit pas.

[39]        La Commission des lésions professionnelles doit donc déterminer si le travailleur a droit à la poursuite du paiement, par la CSST, des traitements de physiothérapie et de chiropratique prescrits par son médecin.

[40]        La CSST a abordé cette question comme en étant une assujettie à la procédure d’évaluation médicale édictée aux articles 199 et suivants de la loi.

[41]        Avec respect, le tribunal est d’avis que cette approche était erronée en l’instance.

[42]        Comme mentionné précédemment, la question de « la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits » constitue bien l’un des sujets visés par la procédure d’évaluation médicale. Par contre, il s’agit alors manifestement des soins et des traitements de la lésion que l’on pourrait qualifier d’ « active », soit ceux de nature à entraîner la consolidation de cette lésion professionnelle.

[43]        En effet, il n’est question nulle part dans la loi du fait que cette question de « la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits » doive être abordée dans le rapport final du médecin ayant charge du travailleur. Or, ce rapport final est précisément produit lorsque la lésion est consolidée.

[44]        Il en découle logiquement que la question de « la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits » ne se pose et n’est abordée dans le cadre de la procédure d’évaluation médicale que jusqu’à la consolidation de la lésion professionnelle, soit, conformément à la définition que donne la loi de cette notion, jusqu’à « la guérison ou la stabilisation d’une lésion professionnelle à la suite de laquelle aucune amélioration de l’état de santé du travailleur victime de cette lésion n’est prévisible ».

[45]        En l’occurrence, la lésion professionnelle du travailleur est consolidée depuis 1994, le rapport final de son médecin ayant été produit le 17 mars 1994 par la docteure Patsy Skene, médecin ayant alors charge du travailleur (tout comme en 2013 d’ailleurs).

[46]        Or, le tribunal rappelle que les soins et traitements ne cependant pas toujours et exclusivement de nature curative, pouvant également être de nature préventive ou, comme l’évoque régulièrement la CSST dans des dossiers dont les lésions sont parfois consolidées depuis longtemps, « de soutien » ou « de maintien ».

[47]        Ces traitements « de soutien » doivent quant à eux être abordés dans un tout autre cadre, soit celui de la réadaptation physique.

[48]        Il est en effet prévu ce qui suit à l’article 1 de la loi, la distinction y étant indéniablement faite entre les soins nécessaires à la consolidation de la lésion professionnelle et ceux pouvant être dispensés dans le cadre de la réadaptation physique :

1.  La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.

 

Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d'indemnités de décès.

 

La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 1; 1999, c. 40, a. 4.

 

 

[49]        Il est ainsi prévu dans la loi qu’un travailleur dont la lésion professionnelle a entraîné une atteinte permanente a droit à la réadaptation requise par son état :

145.  Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 145.

 

 

[50]        La réadaptation physique est notamment prévue dans ce cadre :

148.  La réadaptation physique a pour but d'éliminer ou d'atténuer l'incapacité physique du travailleur et de lui permettre de développer sa capacité résiduelle afin de pallier les limitations fonctionnelles qui résultent de sa lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 148.

 

 

149.  Un programme de réadaptation physique peut comprendre notamment des soins médicaux et infirmiers, des traitements de physiothérapie et d'ergothérapie, des exercices d'adaptation à une prothèse ou une orthèse et tous autres soins et traitements jugés nécessaires par le médecin qui a charge du travailleur.

__________

1985, c. 6, a. 149.

 

150.  Un programme de réadaptation physique peut comprendre également les soins à domicile d'un infirmier, d'un garde-malade auxiliaire ou d'un aide-malade, selon que le requiert l'état du travailleur par suite de sa lésion professionnelle, lorsque le médecin qui en a charge le prescrit.

 

La Commission assume le coût de ces soins et rembourse en outre, selon les normes et les montants qu'elle détermine, les frais de déplacement et de séjour engagés par l'infirmier, le garde-malade auxiliaire ou l'aide-malade.

 

Lorsque ces soins ne peuvent être dispensés par un établissement au sens de la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou au sens de la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5), selon le cas, la Commission en rembourse le coût au travailleur et en fixe le montant d'après ce qu'il en coûterait pour des services semblables en vertu du régime public.

__________

1985, c. 6, a. 150; 1992, c. 21, a. 78; 1994, c. 23, a. 23.

 

[nos soulignements]

 

 

[51]        Le tribunal souligne que la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles contient de nombreux cas où ont été autorisés le paiement de traitements d’ostéopathie[2] et de massothérapie[3], tout comme, par ailleurs, des traitements d’acupuncture[4], ainsi que l’acquisition d’articles de la nature d’un oreiller, d’un matelas, voire d’un lit[5], le tout en guise de mesure de réadaptation.

[52]        Tel qu’il appert de la lecture des articles 148 et 149 précités, un travailleur dont la lésion professionnelle a entraîné une atteinte permanente a donc droit, notamment, à des traitements de physiothérapie et aux autres soins et traitements jugés nécessaires par son médecin pour atténuer son incapacité physique.

[53]        Or, il s’agit exactement de ce que le travailleur, son médecin et les physiothérapeutes et chiropraticiens l’ayant traité au fil des ans évoquent en l’instance.

[54]        Le tribunal est ainsi d’avis que la preuve est prépondérante quant au fait que les traitements prescrits par la médecin du travailleur, et d’ailleurs défrayés par la CSST depuis près de 20 ans, permettent d’atténuer l’incapacité physique du travailleur en diminuant ses douleurs, ses raideurs ainsi que l’intensité et la fréquence des crises invalidantes et s’inscrivent ainsi dans l’objectif poursuivi par la loi et plus particulièrement par l’article 148.

[55]        Les docteurs Kinnard et Lacoursière émettent une opinion d’expert, mais sans analyse de l’historique du travailleur, en s’appuyant surtout sur la théorie plutôt que sur l’expérience vécue de ce dernier et corroborée par les spécialistes de la santé ayant pu constater l’effet des traitements, ou de l’absence de traitements, sur lui.

[56]        En outre, ces médecins émettent normalement leur opinion dans le contexte d’une lésion « active », ce qui n’est effectivement pas le cas en l’instance, mais n’enlève pas pour autant au travailleur son droit d’être traité.

[57]        Ainsi, le « considérant » du docteur Kinnard selon lequel il ne retrouve « aucun signe de pathologie active » n’est pas pertinent dans le cadre de la détermination des besoins d’un travailleur aux prises avec un problème chronique.

[58]        Par ailleurs, le docteur Lacoursière mentionne que les traitements ne devraient pas se prolonger « au-delà d’un temps normal de guérison ». Or, il y a longtemps, soit maintenant 20 ans, que la lésion du travailleur a été déclarée consolidée, donc guérie, par son médecin. Là n’est pas la question.

[59]        En outre, le docteur Lacoursière ajoute que le prolongement des traitements « risque de médicaliser la condition et de prolonger la durée des symptômes ». Or, si la condition du travailleur risquait d’être médicalisée, le mal est fait, et de longue date, la CSST ayant payé ses traitements pendant 18 ans. Et si le mal est fait, la CSST doit en assumer les conséquences, ne pouvant soudainement décider d’abandonner le travailleur à ses problèmes. En outre, la preuve est prépondérante quant au fait qu’au-delà de la théorie, il s’avère que dans le cas du travailleur, les traitements diminuent plutôt les symptômes, alors que leur diminution entraîne une augmentation de ces derniers.

[60]        Considérant ce qui précède, et plus particulièrement le fait que les traitements prescrits dans le présent dossier ne relèvent pas de la procédure d’évaluation médicale, mais plutôt de la réadaptation physique, le tribunal précise que l’avis émis par le docteur Lacoursière ne liait pas la CSST, ne constituant qu’un élément parmi d’autres à considérer pour prendre la meilleure décision possible dans le cadre de la réadaptation du travailleur.

[61]        Incidemment, dans la mesure où, depuis la consolidation de la lésion professionnelle du travailleur en 1994, la CSST a toujours payé les traitements de physiothérapie et de chiropratique, l’on pourrait conclure que ceux-ci faisaient partie du plan effectif de réadaptation du travailleur, un tel plan étant évoqué à l’article 146 de la loi :

146.  Pour assurer au travailleur l'exercice de son droit à la réadaptation, la Commission prépare et met en oeuvre, avec la collaboration du travailleur, un plan individualisé de réadaptation qui peut comprendre, selon les besoins du travailleur, un programme de réadaptation physique, sociale et professionnelle.

 

Ce plan peut être modifié, avec la collaboration du travailleur, pour tenir compte de circonstances nouvelles.

__________

1985, c. 6, a. 146.

 

 

[62]        Comme mentionné au second alinéa de l’article 146, seules des circonstances nouvelles peuvent justifier une modification du plan de réadaptation du travailleur. Or, il n’y a, en l’instance, aucune preuve de telles circonstances nouvelles, une nouvelle approche ou vision des traitements dispensés dans le cadre des douleurs chroniques ne pouvant certainement pas être assimilée à de telles circonstances nouvelles.

[63]        Ces circonstances nouvelles ont été décrites comme suit par la Cour supérieure dans l’affaire Abbes c. Commission des lésions professionnelles[6], dans le contexte où un travailleur demandait la modification de son plan de réadaptation :

[49]      Le nœud du litige se résume donc à la question suivante : que signifie l’expression « circonstances nouvelles » énoncée à l’art. 146 LATMP?

 

[50]      Le Tribunal est d’avis que l’expression « circonstances nouvelles » interprétée de manière textuelle, contextuelle et téléologique, comprend les éléments particuliers qui caractérisent la capacité du travailleur à exercer son emploi ou un emploi convenable, ou qui influent sur la mise en œuvre du plan individualisé de réadaptation.

[51]      L’art. 41 de la Loi d’interprétation12 oblige certes d’interpréter l’art. 146 LATMP de façon large et libérale, mais cette démarche interprétative ne peut faire abstraction du libellé de cet article ni du sens du terme « circonstances ».

 

[52]      Ce terme est défini comme suit dans le Dictionnaire de droit québécois et canadien13 :

 

« Circonstances : Éléments particuliers qui caractérisent un fait. »

 

 

[53]      Ce terme a, par ailleurs, le sens courant suivant :

 

« Circonstance : ▪ (Souvent au plur.).  Particularité qui accompagne un fait, un évènement, une situation. ► accident, climat, condition, détermination, modalité, particularité. … »14

 

 

[54]      Ainsi, les « circonstances » de l’art. 146 LATMP doivent donc non seulement être nouvelles, c’est à dire n’existant pas au moment de l’établissement du plan, mais elles doivent aussi être particularisées au travailleur ou au plan de réadaptation.  En somme, le terme « circonstances » doit être mis en opposition avec les vocables « situation » ou « conjoncture » qui sont plus généraux.

___________________

[notes omises]

 

 

[64]        La Commission des lésions professionnelles s’exprimait également comme suit sur cette question dans l’affaire Paradis et Transport Thibodeau inc.[7] :

[89]      Pour être nouvelles, les circonstances invoquées ne devaient pas exister au moment de l’établissement du plan individualisé de réadaptation. Cette condition a pour effet à la fois de protéger l’irrévocabilité et la stabilité des décisions rendues et de permettre la réalisation des objectifs de réparation et de la réadaptation professionnelle prévus par la loi. Il s’agira en effet alors pour le travailleur de démontrer l’existence de circonstances qui sont nouvelles par rapport à la situation qui prévalait lors de la détermination de cet emploi convenable et qui sont directement reliées à son plan individualisé de réadaptation, c’est-à-dire de circonstances nouvelles qui l’affectent particulièrement.

 

 

[65]        L’exigence imposée au travailleur qui souhaite obtenir une modification de son plan de réadaptation doit également s’imposer à la CSST, le libellé du second alinéa de l’article 146 de la loi n’établissant pas de distinction de cet ordre.

[66]        Or, comme mentionné plus tôt, la décision de la CSST de mettre fin unilatéralement aux traitements dispensés au travailleur depuis 18 ans, du seul fait d’un changement d’orientation de sa part et non du fait de circonstances nouvelles et propres au travailleur et à sa situation, constitue une modification de son plan de réadaptation qui ne répond pas aux exigences de l’article 146.

[67]        Ainsi, en conclusion, le tribunal est d’avis, après appréciation de l’ensemble de la preuve, que la décision de la CSST de mettre fin au remboursement des traitements de physiothérapie et de chiropratique n’est pas justifiée puisque ces traitements constituent des mesures de réadaptation physique et non des traitements nécessaires à la consolidation de la lésion professionnelle et qu’ils sont, selon la preuve prépondérante, appropriés et même nécessaires. Incidemment, si l’on devait considérer que le remboursement antérieur desdits frais équivalait au plan de réadaptation du travailleur, la modification unilatérale de ce plan en 2013, en l’absence de circonstances nouvelles, devrait même, au surcroît, être considérée contraire à la loi.

[68]        Considérant par ailleurs les opinions émises au dossier au fil du temps par la médecin ayant charge du travailleur, le tout en lien avec les avis émis en chiropratique et en physiothérapie ainsi qu’avec le témoignage du travailleur, le tribunal est d’avis qu’il est raisonnable et approprié, dans le cadre du plan de réadaptation physique du travailleur, et à moins de changement dans la condition de ce dernier, que le nombre total de traitements annuels, en physiothérapie et en chiropratique, soit fonction de la prescription du médecin et soit limité à tout au plus 52 au total (soit l’équivalent d’un traitement de l’une ou l’autre nature par semaine, étant entendu que la répartition des traitements dans l’année sera faite en fonction des besoins).

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête du travailleur, monsieur Michael Patterson;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 7 août 2013 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur a droit au remboursement par la Commission de la santé et de la sécurité du travail des traitements de physiothérapie et de chiropratique prescrits par son médecin, jusqu’à concurrence de 52 traitements au total par année.

 

 

 

 

 

 

Louise Desbois

 

 



[1]           R.L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Voir notamment : Ladora et Hôpital Rivière-des-Prairies, C.L.P. 262039-64-0505, 13 mars 2007, J.-F. Martel; Franche et Travaux publics et Services, 2008 QCCLP 4860; Lambert et Siemens Canada ltée (Div. Drummond), C.L.P. 330976-04B-0710, 9 mars 2009, M. Watkins, Bédard et Ville de Québec, 2009 QCCLP 5343.

[3]           Dansereau et Home Dépôt, C.L.P. 287395-62A-0604, 11 octobre 2006, C. Demers; Corriveau et Mine Jeffrey inc., C.L.P. 306987-05-0701, 16 mai 2007, L. Boudreault; Lafrance et Hôpital Maisonneuve-Rosemont, C.L.P. 342960-71-0803, 8 septembre 2010, J.-D. Kushner.

[4]           Lambert et Steinberg plus inc., C.L.P. 105196-63-9809, 6 juillet 1999, M.-A. Jobidon; Galant et Les Constructions Jessy K inc., C.L.P. 173459-63-0111, 24 avril 2002, D. Besse; Chiniara et Commission scolaire de Montréal, [2005] C.L.P. 1521; Bouchard et Mobilair Communications (F), C.L.P. 397004-02-0912, 17 avril 2010, J. Grégoire.

[5]           Fleury et Boulangerie Gadoua ltée, [2008] C.L.P. 696 ; Lépine et Brasserie O’keefe, C.L.P. 318443-71-0705, 3 avril 2009, C. Racine ; Laberge et Musée national des Beaux Arts du Québec, C.L.P. 378770-31-0905, 6 octobre 2009, P. Champagne ; St-Pierre et (P.P.) St-Pierre, C.L.P. 369628-07-0902, 13 octobre 2009, M. Gagnon-Grégoire ; Cyr et Vigneau, 2012 QCCLP 5796 ; Fauteux et Réno-Dépôt inc., 2012 QCCLP 7597.

[6]           2011 QCCS 2391.

[7]           2012 QCCLP 5412

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