DÉCISION
[1] Le 2 novembre 1998, madame Francine Haché, la travailleuse, conteste devant la Commission des lésions professionnelles une décision en révision administrative (BRP) rendue le 5 octobre 1998 qui confirme deux décision rendues les 11 novembre et 19 novembre 1997 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), l’une à la suite d’un avis émis le 30 octobre 1997 par le Bureau d’évaluation médicale et l’autre à l’effet de refuser de reconnaître la relation entre l’événement du 2 août 1996 et un diagnostic d’état dépressif.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[2] Par sa contestation, la travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision rendue et de reconnaître que la lésion professionnelle qu’elle a subie le 2 août 1996 était consolidée le 9 septembre 1997, mais qu’elle conserve une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles de cette lésion professionnelle, et que l’état dépressif diagnostiqué par son médecin était en relation avec l’événement initial.
LES FAITS
[3] Le 2 août 1996, la travailleuse, assembleuse-soudeuse à la main, est impliquée dans un événement qu’elle rapporte ainsi :
« Je faisais de la soudure à la main. Je suis allée chercher une boîte de Toroid et en la déposant j’ai eu un point dans le dos. Les bras m’élançait et les coudes et les épaules me brulaient. » [sic]
[4] Le 3 août 1996, le docteur L. Patry signe une attestation médicale avec diagnostic d’épicondylite aux deux coudes. Il réfère la travailleuse en physiothérapie tout en recommandant une assignation temporaire avec travaux légers.
[5] Le 12 août 1996, il reprend le même diagnostic et ajoute qu’il y a spasmes au niveau des trapèzes et DIM à D6-D7 gauche. Il maintient la prescription de traitements en physiothérapie.
[6] Le docteur Patry place la travailleuse en arrêt de travail le 19 août 1996.
[7] Dans son rapport du 10 septembre 1996, le docteur C. Hardy reprend les mêmes diagnostics, maintient la travailleuse en physiothérapie et note une amélioration progressive chez elle.
[8] Le rapport du docteur Diane Rheault du 16 septembre 1996 est au même effet.
[9] Par décision du 24 septembre 1996, la CSST refuse la réclamation de la travailleuse pour l’événement du 2 août 1996.
[10] Le 24 septembre 1996, le docteur Hardy parle d’épitrochléite bilatérale avec tendinite du sus - épineux de l’épaule droite. Il réfère la travailleuse en physiatrie le 1er octobre 1996.
[11] C’est le docteur C. Bouthillier qui voit la travailleuse le 11 novembre 1996 et il reprend substantiellement les mêmes diagnostics posés par les médecins précédents.
[12] Dans une décision rendue le 20 janvier 1997, le Bureau de révision infirme la décision rendue par la CSST le 24 septembre 1996 et accepte la réclamation de la travailleuse du 2 août 1996 en concluant ainsi :
« Par ailleurs, la preuve prépondérante est à l’effet que les diagnostics retenus par les médecins, soit épicondylite et épitrochléite bilatérale, spasmes au niveau des trapèzes et DIM cervical sont reliés de façon tout à fait probable aux risques particuliers du travail accompli. »
[13] La travailleuse est suivie pour sa condition par les docteurs Hardy et Bouthillier qui soumettent des rapports sur une base régulière, en plus de nombreux rapports de physiothérapie.
[14] La travailleuse tente un retour au travail le 28 avril 1997 mais le rapport de physiothérapie du 1er mai 1997 confirme la reprise de la symptomatologie à l’occasion de ce retour au travail.
[15] Le 30 mai 1997, le docteur Bouthillier soumet un rapport où il parle toujours de DIM cervical avec épitrochléite bilatérale améliorée. Il maintient la travailleuse en ergothérapie et physiothérapie.
[16] Les rapports de physiothérapie des 12 et 15 juin 1997 et des 3 et 7 juillet 1997 confirment une certaine amélioration chez la travailleuse.
[17] Le rapport du 14 juillet 1997 du docteur Bouthillier recommande un retour progressif au travail.
[18] Le 25 juillet 1997, le docteur Y. Martel signe une attestation médicale dans laquelle il pose un diagnostic d’entorse et DIM dorsal et il retourne la travailleuse en physiothérapie.
[19] Le 11 août 1997, la travailleuse revoit le docteur Bouthillier qui parle de rechute d’entorse dorso-lombaire et de problèmes de douleurs au niveau cervical. Les traitements en ergothérapie et physiothérapie sont alors poursuivis.
[20] Le 8 septembre 1997, le docteur Bouthillier indique que la travailleuse est considérée comme consolidée mais qu’elle conserve une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.
[21] Dans un rapport d’évaluation médicale préparé à la demande de la CSST, le 18 septembre 1997, le docteur Chantal Janelle conclut ainsi :
« […]
CONCLUSION :
Madame Haché est une dame âgée de 38 ans, droitière, qui exerçait un emploi à titre d’assembleuse soudeuse au moment de sa lésion professionnelle du 2 août 1996. Elle a présenté une épitrochléite bilatérale avec douleurs musculaires au niveau des deux trapèzes.
Elle a été traitée par diverses modalités, incluant la physiothérapie pendant plusieurs mois, l’ergothérapie, les anti-inflammatoires et le port d’orthèses élastiques au niveau des deux coudes.
Elle nous dit avoir une amélioration de 50% de sa condition. Il y a persistance de douleurs au niveau cervical avec irradiation dorsale et aux trapèzes. Les douleurs au niveau des deux épicondyles se sont grandement améliorées.
L’examen clinique du 9 septembre 1997 démontre une mobilité normale au niveau de tout le rachis et un examen neurologique normal aux quatre membres.
OPINION :
DIAGNOSTIC :
- contusion musculaire au niveau des deux trapèzes;
- épitrochléite bilatérale.
DATE DE CONSOLIDATON :
Comme l’examen clinique en date du 9 septembre 1997 démontre une mobilité normale au niveau de tout le rachis, sans spasme musculaire, et un examen neurologique normal aux quatre membres, la date de consolidation sera donc le 9 septembre 1997.
EXISTENCE D’ATTEINTE PERMANENTE À L’INTÉGRITÉ PHYSIQUE OU PSYCHIQUE :
Etant donné une évaluation clinique normale en date du 9 septembre 1997, il n’y a pas d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique.
POURCENTAGE D’ATTEINTE PERMANENTE A L’INTEGRITE PHYSIQUE OU PSYCHIQUE :
Ne s’applique pas.
NATURE, NECESSITE, SUFFISANCE, DUREE DES SOINS OU TRAITEMENTS ADMINISTRES OU PRESCRITS :
Compte tenu des diagnostics initiaux, et compte tenu que la lésion professionnelle présentée le 2 août 1996, avec diagnostics de contusion musculaire au niveau des deux trapèzes et épitrochléite bilatérale, ont reçu plusieurs mois de physiothérapie, traitements d’ergothérapie et anti-inflammatoires, il n’y a pas nécessité de poursuivre davantage ces traitements, surtout que l’examen clinique en date du 9 septembre 1997 est normal.
EXISTENCE DE LIMITATIONS FONCTIONNELLES RESULTANT DE LA LESION PROFESSONNELLE :
Il n’y a pas de limitations fonctionnelles résultant de la lésion professionnelle.
EVALUATON DES LIMITATIONS FONCTIONNELLES RESULTANT DE LA LESION PROFESSIONNELLE :
Ne s’applique pas.
[…] »
[22] Le 21 septembre 1997, le docteur Bouthillier reprend son diagnostic d’entorse cervicale et de tendinite aux deux coudes et soumet un rapport d’évaluation dans lequel il conclut ainsi :
« […]
DÉCRIRE LES LIMITATIONS FONCTIONNELLES DU TRAVAILLEUR RÉSULTANT DE SA LÉSION PROFESSIONNELLE, EN TENANT COMPTE DE SES CAPACITÉS FONCTIONNELLES BIOLOGIQUES OU MÉCANIQUES.
Cette patiente devra donc :
- éviter les positions assises prolongées avec suspension des membres supérieurs dans les airs sans appui,
- éviter les mouvements répétitifs au niveau des deux mains.
- éviter les soulèvements de charges de plus de 15 livres avec chaque membre supérieur.
SUGGESTION D’UNE ÉVALUATION POUR UNE ATTEINTE DANS UN AUTRE SYSTÈME, EN RAPPORT AVEC LE MÊME ÉVÉNEMENT.
Ne s’applique pas.
CONCLUSION.
Cette patiente présente donc des séquelles de DIM cervical C5-C6 et C6-C7 avec spasme du trapèze supérieur gauche et épitrochléite bilatéralement.
SÉQUELLES ACTUELLES :
102 383 Épitrochléite coude gauche. 2%
102 383 Épitrochléite coude droit. 2%
102 383 Épitrochléite bilatérale. 2%
203 513 Entorse de la colonne cervicale avec séquelles fonctionnelles. 2%
[…] »
[23] Le dossier de la travailleuse est soumis, le 6 octobre 1997, au Bureau d’évaluation médicale, à l’attention du docteur S. Bourdua, qui émet son avis le 30 octobre 1997 dans les termes suivants :
« […]
DISCUSSION :
Madame Francine Haché fut traitée pour des malaises au cou et aux membres supérieurs. Les médecins qui l’ont examinée ont posé différents diagnostics en débutant avec un diagnostic d’épicondylite pour ensuite ajouter le diagnostic d’épitrochléite et ensuite de dérangement intervertébral mineur cervical. Dans son évaluation du 9 septembre 1997, le docteur Chantal Janelle rapporte que la mobilité cervicale et dorso-lombaire est complète. Elle ne note non plus aucun signe objectif apparent à l’examen des membres supérieurs, hormis une légère douleur au niveau de l’épicondyle médiane bilatéralement. Le docteur Janelle retient les diagnostics de contusion musculaire des deux trapèzes et d’épitrochléite bilatérale. Selon elle, il n’y a pas d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique ni de limitations fonctionnelles.
Par ailleurs dans une autre évaluation effectuée cette fois par le docteur Claude Bouthillier et datée du 22 septembre 1997, ce médecin rapporte qu’il y a douleur reproduite à la latéro-flexion droite du rachis cervical d’environ 25o et il note qu’il y a de la douleur lors de la rotation gauche. Il ajoute qu’il existe une contracture myofasciale du trapèze supérieur gauche avec cellulalgie interscapulo-vertébrale gauche. Il note de la douleur ¨induration facettaire ¨au niveau C5-C6, C6-C7 à gauche. Il décrit aussi qu’il y a douleur au niveau de l’insertion des épitrochléens bilatéralement et que les mouvements résistés sont légèrement sensibles. Le docteur Bouthillier recommande une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique qui totalise 8% et il recommande des limitations fonctionnelles pour la région cervicale et les membres supérieurs.
A l’examen objectif que j’ai effectué, je ne trouve aucune limitation des mouvements du rachis cervical et je ne trouve aucun spasme musculaire à la région cervicale et à la région dorsale. Les membres supérieurs ont une amplitude articulaire complète aux épaules, aux coudes et aux poignets. Il y a seulement un léger malaise allégué à la palpation superficielle des épitrochlées droite et gauche. Devant l’absence de véritable signe objectif, mes conclusions sont les suivantes :
AVIS MOTIVÉ :
1 - DIAGNOSTIC :
Selon les rapports des médecins traitants, madame Francine Haché a pu souffrir d’épicondylite ou d’épitrochléite. Elle a pu souffrir aussi d’un étirement musculaire dans la région dorsale. Ces conditions sont maintenant résolues.
2 - DATE OU PÉRIODE PRÉVISIBLE DE CONSOLIDATION DE LA LÉSION :
La date de consolidation est le 9 septembre 1997, comme le suggérait le docteur Chantal Janelle à la suite de son évaluation qui est superposable à mon examen de ce jour.
4 - EXISTENCE OU POURCENTAGE D’ATTEINTE PERMANENTE A L’INTÉGRITÉ PHYSIQUE OU PSYCHIQUE
Je ne trouve tout comme le docteur Janelle aucune atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique pour la région cervicale et pour les membres supérieurs.
5 - EXISTENCE OU ÉVALUATION DES LIMITATIONS FONCTIONNELLES DU TRAVAILLEUR :
Aucune limitation fonctionnelle en rapport avec l’événement déclaré du 2 août 1996, devant l’absence de signe objectif à l’examen clinique.
[…] »
[24] Dans un rapport d’évaluation du 10 novembre 1997, le docteur Bouthillier dit ceci :
« […]
Je revois cette dame à sa demande aujourd’hui.
Depuis la dernière visite, la patiente a été expertisée par la CSST et serait passée au Bureau d’Évaluation Médicale sans séquelles ni limitations à ce qu’elle m’explique.
L’avocat l’a envoyée passer une expertise.
Elle est déprimée et pleure.
Elle dit que ses douleurs ont augmenté depuis quelques semaines.
A l’examen, je mets toujours en évidence une dysfonction cervicale basse avec les mêmes signes au niveau des épitrochléens. Il existe une cellulalgie dans ce même territoire.
Cette patiente présente donc les mêmes séquelles.
Les limitations fonctionnelles ont été déjà décrites sur le DAP de septembre 1997.
J’ai demandé un support psychologique qui pourrait être payé via ses assurances et j’ai débuté Élavil 25mg t.i.d.
Je la revois dans un mois étant donné que la patiente ne va pas bien.
J’ai rempli le formulaire d’assurance en indiquant les séquelles et limitations fonctionnelles.
[…] »
[25] Le 11 novembre 1997, la CSST rend une décision conformément aux conclusions émises par le Bureau d’évaluation médicale le 23 octobre 1997.
[26] Dans une décision rendue par la CSST le 19 novembre 1997, cette dernière refuse de considérer l’état dépressif de la travailleuse comme étant en relation avec l’événement du 2 août 1996.
[27] Cette décision est contestée par la travailleuse le 9 décembre 1997.
[28] À la demande de la travailleuse, le docteur Gilles R. Tremblay soumet, le 10 décembre 1997, un rapport d’expertise où il conclut ainsi :
« […]
OPINION :
Cette patiente présente à l’examen clinique des douleurs au niveau de la face interne des deux coudes, douleurs qui s’apparentent à une épitrochléite bilatérale.
Il y a cependant préservation de l’amplitude de mouvement et le malaise n’est reproduit qu’avec le coude en extension.
A ce titre nous ne croyons pas que le diagnostic d’épitrochléite avec séquelle fonctionnelle s’applique, car cette patiente ne présente plus de signes cliniques vraiment typiques d’une épitrochléite.
Elle présente cependant des signes cliniques d’une dysfonction cervicale avec limitation asymétrique de mouvements et en relation avec la lésion identifiée au dossier, nous croyons que cette patiente présente un enraidissement douloureux du rachis cervical suite à des efforts répétés et des mouvements répétitifs au niveau des deux membres supérieurs sans appui au niveau des bras.
Nous ne croyons pas qu’aucun autre traitement soit indiqué et la date de consolidation suggérée par le docteur Janelle s’applique quant à nous.
Nous croyons cependant qu’il y a atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique et celle-ci s’évalue à 2% à l’item 203 513 pour séquelle fonctionnelle d’entorse cervicale.
Les limitations fonctionnelles en relation avec cette atteinte permanente sont :
- Eviter les mouvements répétitifs de flexion et de rotation du rachis cervical.
- Eviter les positions statiques de flexion cervicale ou d’inclinaison latérale du rachis cervical.
- Eviter de travailler avec les bras à plus de 40 degrés d’abduction où 40 degrés d’élévation antérieure.
- Eviter les efforts de plus de 5 kilogrammes avec les membres supérieurs.
Avec la description que madame Haché a donnée du travail qu’elle effectuait et avec les photographies que nous voyons du matériel sur lequel elle travaillait, nous croyons que ces limitations fonctionnelles ne sont pas compatibles avec la reprise d’un tel travail.
Cependant, respectant les limitations fonctionnelles mentionnées plus haut, nous croyons que cette patiente est certainement apte à faire un travail rémunérateur à temps plein.
[…] » [sic]
[29] Le 26 juin 1998, il ajoute ceci à son rapport :
« […]
Nous avons pris connaissance de votre correspondance du 22 décembre 1997 et effectivement madame Haché ne démontre pas à l’examen clinique des signes convaincants d’une épitrochléite.
Cependant l’histoire clinique de douleurs à la face interne des coudes et la documentation au dossier nous forcent d’admettre que cette patiente a souffert d’une épitrochléite, mais que depuis qu’elle a été retirée des activités qui ont causé ses problèmes, celle-ci a disparu.
Pour éviter une récidive de pareils problèmes cette patiente devrait, en plus des limitations fonctionnelles suggérées pour l’atteinte cervicale, éviter de faire des mouvements répétitifs à haute fréquence de flexion des doigts et de flexion des poignets.
Elle devrait aussi éviter les mouvements répétitifs de pronation des avant-bras.
[…] »
[30] Le 12 février 1998, en réponse à une référence du docteur Bouthillier, le docteur A. Lelièvre, psychiatre, voit la travailleuse et indique ceci dans son rapport :
« […]
Histoire de la Maladie actuelle :
Il s’agit d’une patiente de 38 ans demeurant avec son mari et leur fils de 14 ans. Elle travaillait comme ouvrière dans une manufacture électrique mais elle est en congé de maladie depuis environ un an. Elle recevait des compensations financières de la CSST, mais celle-ci aurait interrompu ses versements en novembre 1997, arguant que la patiente était ¨guérie ¨. La patiente conteste cette décision. Son physiatre traitant la considérerait encore inapte à travailler mais il lui aurait dit qu’elle devrait se réorienter vers un autre type de travail. Elle aurait tenté de retourner travailler à trois reprises et à chaque occasion les symptômes seraient réapparus très rapidement.
Elle apparaît débordée, elle pleure à plusieurs reprises en évoquant sa perte d’emploi et ses inquiétudes. Elle semble incapable de prendre de la distance et de trouver en elle les ressources pour ¨couper¨ avec cette perte. Je ne mets en évidence aucun indice de manipulation ou d’attitudes visant à profiter de la CSST.
Je note une certaine dévalorisation de soi chronique, une estime de soi plutôt fragile. Je ne note aucun signe psychotique. Elle n’a aucune idée suicidaire. Les fonctions cognitives, non testées dans le détail, apparaissent adéquates. La demande d’aide reste informulée, elle s’est soumise à l’injonction du médecin sans poser de questions.
Opinion diagnostique :
Axe I : Dépression majeure unipolaire.
Axe II : Traits de personnalité passive.
Axe III : Douleur chronique (épicondylite - tendinite ?).
Axe IV : Accident de travail, incapacité à retourner travailler, conflit avec la
CSST.
Recommandations :
J’ai discuté avec la patiente du diagnostique et de sa signification. J’ai offert à la patiente un traitement antidépresseur : pharmacothérapie (Zoloft 50-100 mg die) et psychothérapie supportive.
Je la reverrai régulièrement pour ce traitement.
[…] »
[31] La travailleuse, par son procureur, soumet, le 21 août 1998, son argumentation à la révision administrative à la suite de sa contestation de la décision rendue par la CSST le 11 novembre 1997 à la suite de l’avis émis par le Bureau d’évaluation médicale le 30 octobre 1997.
[32] C’est le 5 octobre 1998 que la révision administrative rend sa décision sur les contestations de la travailleuse à l’encontre de la décision rendue le 11 novembre 1997 par la CSST puis celle du 19 novembre 1997 qui refuse de reconnaître l’état dépressif de la travailleuse comme lésion professionnelle. Les deux décisions de la CSST sont confirmées et cette décision est contestée par la travailleuse devant la Commission des lésions professionnelles.
[33] Dans un supplément d’information daté du 8 février 1999, le docteur Tremblay conclut ainsi après avoir révisé tout le dossier de la travailleuse.
« […]
OPINION :
Cette patiente a présenté une douleur au niveau des deux bras en ayant soulevé une caisse et a présenté par la suite des épitrochléalgies et épicondylalgies et a été évaluée aussi bien en physiatrie, que par nous-mêmes, que par le docteur Proulx comme présentant des douleurs rebelles aux insertions tendineuses des coudes suite à une pathologie cervicale.
Nous croyons toujours que cette patiente présente par analogie un enraidissement douloureux du rachis cervical secondaire à un effort effectué au travail et nous recommandons comme limitations fonctionnelles d’éviter les mouvements répétitifs de flexion et de rotation du rachis cervical, d’éviter les positions statiques de flexion cervicale et d’inclinaison latérale et d’éviter de travailler avec les épaules à plus de 40 degrés d’abduction ou 40 degrés d’élévation antérieure et d’éviter tout effort de plus de 10 kilogrammes avec les membres supérieurs.
Nous suggérons un DAP de 2% à l’item 203 513.
[…] »
[34] Différents rapports médicaux sont versés au dossier par la travailleuse en vue de l’audition de ses contestations devant la Commission des lésions professionnelles.
[35] À l’audience, la travailleuse témoigne à l’appui de sa réclamation. Elle travaille chez cet employeur depuis 1993 comme soudeuse. Elle a toujours fait ce même travail. Avant le mois d’août 1996, elle n’avait jamais eu de maux de cou ou de bras. C’est en allant chercher des pièces sur lesquelles elle devait travailler qu’elle a ressenti une douleur dans le dos, aux coudes et aux épaules. Le travail qu’elle faisait l’obligeait à souder des pièces ensemble et pour ce faire, elle devait maintenir les deux bras élevés sans pouvoir s’appuyer, tant en position assise que debout.
[36] Elle a cessé de travailler au mois d’août 1996. Elle a tenté un retour au travail le 12 août 1996 mais sa condition a alors empiré. Elle a donc arrêté de travailler pour reprendre tentativement, le 20 janvier 1997, son travail régulier de soudeuse, contrairement aux recommandations de son médecin. Elle a dû à nouveau arrêter de travailler le 28 janvier 1997.
[37] Le 28 avril 1997, elle tente à nouveau un retour à son travail régulier de soudeuse et elle doit à nouveau s’arrêter après seulement deux demi-journées au travail à cause d’une augmentation de la douleur.
[38] Une nouvelle tentative de retour au travail est faite le 14 juillet 1997 avec nouvel arrêt de travail le 25 juillet 1997.
[39] Une autre tentative de retour au travail est faite le 23 novembre 1997 mais son employeur lui indique ne pas pouvoir lui fournir un travail répondant à ses limitations. La travailleuse dit que son employeur ne lui a jamais offert autre chose que son travail régulier de soudeuse.
[40] Quand elle a vu le docteur Janelle, à la demande de la CSST, elle avait beaucoup de variation de douleurs, elle faisait des exercices à la maison et suivait toujours des traitements de physiothérapie. Ses douleurs étaient situées derrière le cou et revenaient toujours dès qu’elle refaisait les mêmes mouvements. Au niveau des coudes, les douleurs se prolongeaient vers les deux mains et étaient ressenties quand elle avait à manipuler des objets.
[41] La douleur varie de jour en jour aujourd’hui et se situe aux mêmes sites, soit le cou, les coudes et les trapèzes. Certains mouvements sont à éviter désormais comme la manipulation de fils pour enlever l’isolant et les gestes répétitifs qui provoquent une augmentation de la douleur. Elle évite de lever des poids.
[42] La travailleuse indique ne jamais avoir repris le travail et avoir été mise à pied le 21 décembre 1998. Elle a fait un retour aux études pour compléter son secondaire et a suivi un cours de formation professionnelle en cordonnerie.
[43] Contre-interrogée, la travailleuse donne une description précise de sont travail, des gestes et mouvements qu’elle posait, des pièces, outils et équipements qu’elle utilisait.
[44] Elle pouvait être requise de faire du travail en temps supplémentaire et n’avait pas réellement le choix de refuser. Elle a aussi fait beaucoup de temps supplémentaire de 1993 à 1996.
[45] Quand elle a consulté le docteur Patry, son intention était de se faire soigner tout en continuant de travailler.
[46] La douleur aux coudes persiste toujours aujourd’hui et augmente si des mouvements répétitifs sont effectués.
TÉMOIGNAGE DU DOCTEUR GILLES-ROGER TREMBLAY :
[47] Le docteur Gilles-Roger Tremblay témoigne à la demande de la travailleuse. Il est chirurgien-orthopédiste.
[48] Le docteur Tremblay rappelle qu’il a examiné la travailleuse à deux reprises, les 20 novembre 1997 et 21 janvier 1999. Il résume les observations faites à son examen de 1997 en indiquant avoir provoqué une douleur à la palpation des apophyses épineuses de C4 à C6 et des massifs latéraux aux mêmes niveaux. Selon lui, l’amplitude articulaire de la colonne cervicale était relativement bien préservée, sauf en latéroflexion gauche, mouvement qui reproduisait une douleur aux massifs latéraux et au trapèze gauche. La rotation gauche était également douloureuse. Il a également relevé une douleur à la palpation de l’épitrochlée, mais les manœuvres de mises en tension par la pronation contre résistance étaient indolores, tant à droite qu’à gauche. Le témoin conclut à une «dysfonction rachidienne» avec point douloureux à l’omoplate gauche, l’ensemble témoignant selon lui d’une atteinte du type «syndrome facettaire». Selon lui, la travailleuse a d’abord souffert d’une épitrochléite bilatérale, qui est graduellement rentrée dans l’ordre, mais qui a obligé la travailleuse à exécuter des mouvements et à adopter des postures antalgiques qui ont sollicité de façon abusive la musculature péri-scapulaire, d’où la dysfonction rachidienne. Il souligne également que les multiples exacerbations de la symptomatologie à la faveur de retours au travail démontrent la nécessité d’imposer à la travailleuse des limitations fonctionnelles préventives.
[49] Le docteur Tremblay indique que son examen de janvier 1999 était, pour l’essentiel, superposable à celui de 1997 et ses conclusions, au sujet du diagnostic de la lésion, demeurent les mêmes.
[50] Le témoin croit que les gestes décrits par la travailleuse à l’audience, notamment le maintien de petits objets par une pince entre le pouce et les doigts, sollicitaient les fléchisseurs des doigts et, par ce mécanisme, ont contribué à provoquer une épitrochléite.
[51] Au sujet du diagnostic de fibromyalgie évoqué au dossier, le docteur Tremblay estime qu’il s’agit là d’un diagnostic vague et qui doit être posé par exclusion. Il fait remarquer qu’une des caractéristiques de la fibromyalgie est que cette maladie ne régresse pas avec la cessation des activités, alors qu’en l’espèce, il y avait rémission chez la travailleuse de la douleur lorsqu’elle interrompait ses activités professionnelles.
[52] Le témoin rejette le diagnostic posé par le membre du Bureau d’évaluation médicale, soit celui d’étirement musculaire dorsal, parce que, selon lui, dès le début de l’évolution de la maladie, le dossier indique clairement que le rachis cervical gauche constituait le site douloureux. Il explique que la travailleuse n’a pas véritablement subi une entorse cervicale et que ce n’est que par analogie qu’il a choisi cet item du barème, puisque les séquelles que conserve la travailleuse en sont d’enraidissement douloureux du rachis, une séquelle classique de l’entorse. Il estime qu’il était indiqué d’imposer à la travailleuse des limitations fonctionnelles tant pour l’épitrochléite que pour la lésion cervicale. Le but des limitations fonctionnelles relatives au rachis cervical est selon lui de diminuer la sollicitation du trapèze, principal muscle stabilisateur de l’omoplate, particulièrement lorsque l’abduction ou l’élévation antérieure du membre supérieur dépasse 40 degrés. À cause de l’épitrochléite bilatérale, il juge également que la travailleuse doit éviter les mouvements de pronation et de flexion des doigts et des poignets. Il ajoute que le non-respect de ces limitations exposerait la travailleuse à un risque d’aggravation de la symptomatologie et également d’une névrite cubitale par contiguïté à l’épitrochlée.
[53] Le docteur Tremblay refuse de se prononcer sur la capacité de la travailleuse à exercer son emploi pré-lésionnel, mais souligne que l’origine de l’épitrochléite chez cette travailleuse était la sollicitation des fléchisseurs au travail, et que, conséquemment, il est peu vraisemblable que la travailleuse soit capable de reprendre les mêmes tâches.
[54] Invité en contre-interrogatoire à commenter les diverses expertises au dossier, le docteur Tremblay reconnaît que la douleur évoquée à la palpation de l’épitrochlée ne constitue pas un signe suffisant pour poser un diagnostic d’épitrochléite. Il se dit d’avis que les données apparaissant aux examens des docteurs Janelle, Séguin, Bourdua et Pontbriand ne fournissent pas de données qui puissent permettre de retenir le diagnostic d’épitrochléite. Il en est de même des propres examens du docteur Tremblay. Il ajoute cependant que le docteur Bouthillier, en novembre 1996, décrivait une douleur épitrochléenne à la pronation contre résistance, ce qui selon lui constitue un signe valide d’épitrochléite et que les engourdissements des deux derniers doigts relatés par certains intervenants au dossier, de même qu’un signe de Tinel positif au coude, constituent des signes de névrite cubitale qui est, selon le docteur Tremblay, une complication classique de l’épitrochléite.
[55] Le docteur Tremblay explique qu’à son propre examen de décembre 1997, il a décelé des signes objectifs de lésion cervicale sous forme d’une rotation gauche douloureuse et d’une flexion latérale gauche douloureuse et réduite en amplitude, de même qu’une douleur à la palpation des massifs latéraux et du trapèze du côté opposé aux mouvements qui les déclenchent. Il fait valoir que les signes révélateurs d’une névrite cubitale au dossier sont la présence d’un signe de Tinel positif au coude de même que des engourdissements au 5e doigt de la main gauche. Il précise que la névrite cubitale est souvent associée à une épitrochléite, mais que celle‑ci n’est pas la seule cause potentielle d’une telle névrite.
[56] Il concède que le syndrome facettaire, qu’il a diagnostiqué chez la travailleuse, n’a pas été démontré en l’espèce par une preuve radiologique ou scintigraphique.
TÉMOIGNAGE DU DOCTEUR BERNARD SÉGUIN :
[57] Le docteur Bernard Séguin témoigne à la demande de l’employeur. Il est chirurgien-orthopédiste.
[58] Le docteur Séguin explique que les signes les plus valides dans le diagnostic d’épitrochléite sont la douleur aux mouvements contre résistance. Dans le cas de l’épitrochlée, d’où originent les muscles fléchisseurs du poignet et des doigts de même qu’un muscle pronateur, ce sont les mouvements de flexion ou de pronation qui sont susceptibles de déclencher une douleur locale, alors qu’à l’épicondyle, ce sont les mouvements de supination de l’avant-bras et d’extension du poignet et des doigts qui sont aptes à exacerber une douleur au site de l’enthèse épicondylienne.
[59] Or, selon lui, la travailleuse, lors de son examen du 4 décembre 1998, alléguait éprouver une douleur épitrochléenne et aux épaules à l’extension contre résistance du poignet et des doigts. Il en conclut que la symptomatologie n’est pas concordante avec les structures sollicitées et que, par conséquent, le diagnostic d’épitrochléite ou d’épicondylite ne peut en l’espèce être posé. Incidemment, il estime que la seule douleur provoquée par une pronation contre résistance, comme le relatait le docteur Bouthillier, est insuffisante en soi pour retenir le diagnostic d’épitrochléite. Il se dit également d’accord avec le docteur Tremblay sur le fait qu’une névrite cubitale peut compliquer une épitrochléite. Cependant, il estime qu’en l’espèce, la travailleuse n’a jamais été atteinte d’épitrochléite et qu’en conséquence, la névrite cubitale, si jamais elle a existé, ne peut s’expliquer de cette façon.
[60] Le témoin ne croit pas non plus à l’existence, chez la travailleuse, d’un syndrome facettaire, un phénomène qui selon lui se produit par arthrose ou autre pathologie facettaire. Il n’existe, selon le docteur Séguin, aucune preuve pathologique ou scintigraphique d’une telle pathologie. Il met aussi en doute l’authenticité d’une lésion au niveau C5-C6 gauche, en l’absence de signes objectifs de souffrance à ce niveau intervertébral. Le docteur Séguin ne croit pas au concept de «myalgie de surutilisation» dont fait état le docteur Tremblay. Il croit plutôt que si des myalgies peuvent se manifester dans les premiers jours de l’exécution d’un travail inhabituel, tel n’est pas le cas pour des tâches exécutées pendant un grand nombre d’années. Il souligne que la première mention au dossier d’une cervicalgie est celle provenant du docteur Bouthillier en novembre 1996, où était décrite une limitation d’amplitude articulaire en rotation et en latéroflexion gauche. Or selon le docteur Séguin, qui cite à ce sujet le témoignage du docteur Tremblay, c’est aux mouvements de rotation et de latéroflexion droite que devrait se manifester la douleur du côté gauche. Le témoin indique qu’aucun des examinateurs n’a mis en évidence de signes objectifs de souffrance cervicale, que ce soit les docteurs Janelle, Bouthillier, Bourdua ou Duchesne. Seules les douleurs ont été relatées, sans perte d’amplitude reproductible et cohérente.
[61] Il souligne également la multiplicité des sites douloureux chez la travailleuse, tantôt en cervical haut, tantôt en cervical bas et parfois en dorsal et même en dorsolombaire.
[62] Le docteur Séguin se dit d’avis que rien dans les gestes exécutés par la travailleuse dans l’accomplissement de ses tâches ne sollicite de façon excessive la musculautre cervicale ou les trapèzes, non plus que les fléchisseurs du poignet et des mains ainsi que les pronateurs. Il conclut à un diagnostic de «douleur» sans pathologie objectivable.
[63] Le docteur Séguin explique que l’expression « DIM » n’est qu’un terme utilisé par les physiatres pour décrire des douleurs seulement, des plaintes subjectives simplement, sans autre explication. Ce ne serait qu’une hypothèse mise de l’avant à partir de douleurs vagues décrites par le patient.
[64] Une entorse serait une lésion traumatique qui survient au niveau d’une articulation. Il est donc important d’avoir un traumatisme qui soit factuel et évident. Les symptômes sont alors identifiables (i.e. douleur - œdème - spasme - instabilité). Il ne saurait donc pas y avoir d’entorse s’il n’y a pas de traumatisme.
[65] Un syndrome facettaire est un ensemble de symptômes au niveau des facettes et que l’on peut voir par des signes objectifs.
[66] Se référant à l’avis émis par le docteur Bourdua, il a pris note des mesures de flexion qu’il a constatées et il n’y voit rien d’anormal au niveau du rachis. Malgré une absence de signes objectifs, il a mentionné l’existence de douleurs. Pour le docteur Séguin, une plainte de douleurs ne veut rien dire s’il n’y a rien d’objectif au niveau de la clinique.
[67] En contre-interrogatoire, le docteur Séguin réfère à son expertise du 7 décembre 1998. Il a examiné la travailleuse deux ans et quatre mois après la survenance du fait accidentel. Il ajoute avoir soumis des commentaires supplémentaires le 15 décembre 1998, à la suite du visionnement d’une cassette vidéo, ce supplément d’expertise est versé au dossier. Il a aussi soumis un autre rapport complémentaire le 24 août 1999 pour se prononcer sur l’expertise soumise par le docteur Tremblay. Il n’a jamais réexaminé la travailleuse depuis le 4 décembre 1988 et c’est en consultant des documents au dossier qu’il s’est prononcé.
[68] Il n’a jamais pris connaissance de la décision rendue par le Bureau de révision et a toujours pris pour acquis que les plaintes de douleurs rapportées par la travailleuse étaient toujours les mêmes plaintes qu’elle a toujours rapportées.
[69] Le docteur Séguin se dit en désaccord avec le diagnostic de contusion musculaire au niveau des deux trapèzes, tel que retenu par le docteur Janelle au motif qu’il n’y a pas eu de traumatisme. Il ne veut pas se prononcer sur le diagnostic d’épitrochléite bilatérale, soulignant toutefois que plusieurs médecins n’ont pas souscrit à ce diagnostic.
[70] Il est également en désaccord avec le diagnostic retenu par le docteur Bouthillier car encore là, les symptômes ne sont pas confirmés par la clinique qui ne permet de déceler aucun signe objectif.
[71] Quant à l’avis émis par le Bureau d’évaluation médicale, il considère comme plausible le diagnostic retenu mais souligne que la guérison complète y est retenue. L’examen du docteur Bourdua est en tout point normal et il ne peut accepter l’idée que la travailleuse ait pu souffrir d’étirement musculaire d’après les gestes posés au travail.
[72] Quant à l’opinion du docteur Tremblay, il dit la respecter mais ne pas la partager.
[73] Sa propre expertise souligne une absence complète de signes objectifs pouvant corroborer les plaintes subjectives de la travailleuse. Il dit avoir noté certains signes de non-organicité et que la travailleuse lui paraît avoir des troubles douloureux somatoformes. Il indique que la pathologie exprimée par la travailleuse lui paraît s’apparenter à la fibromyalgie vu la présence de multiples points douloureux; mais il dit que ce n’est là qu’une hypothèse qu’il avance. Il dit que c’est là la seule maladie reconnue qui est basée sur des plaintes de douleurs sans signes objectifs.
[74] Le diagnostic qu’il retient dans le présent cas est celui de douleurs alléguées sans lésion objectivable.
[75] Pour le docteur Séguin, il faut qu’il y ait d’abord atteinte permanente pour pouvoir parler de limitations fonctionnelles. Sans signes objectifs, il n’est pas possible de retenir des limitations fonctionnelles. Le docteur Séguin reconnaît ne jamais avoir vu le poste de travail sauf sur la cassette vidéo.
[76] Réinterrogé, le docteur Séguin se dit en accord avec l’opinion du docteur Tremblay qui note l’absence de signes d’épitrochléite chez la travailleuse. Quant à la conclusion du docteur Tremblay à l’effet qu’il y aurait dysfonction cervicale chez la travailleuse, il ne la partage pas vu l’absence de signes objectifs lors de l’examen. Il considère que la condition de la travailleuse était normale et il ne sait pas comment le docteur Bouthillier a pu accorder une atteinte de 8% à la travailleuse dans les circonstances du dossier.
[77] Le docteur Séguin explique les signes de non-organicité qu’il a observés chez la travailleuse alors qu’il y avait discordance entre les plaintes de la travailleuse et son examen physique. C’est là une façon pour l’examinateur de se rendre compte si les plaintes rapportées sont plausibles avec la logique anatomique des mouvements demandés de la patiente. Il n’y avait aucune explication logique entre les douleurs alléguées et les constatations de l’examinateur.
[78] Il se dit en accord avec les conclusions du docteur Janelle qui ne retenait ni atteinte permanente ni limitations fonctionnelles. Ces conclusions sont d’ailleurs partagées par le Bureau d’évaluation médicale. Le docteur Séguin répète que d’après lui, le docteur Bouthillier n’avait aucune justification d’accorder un pourcentage d’atteinte permanente de 8% à la travailleuse.
[79] Quant à l’expertise du docteur Tremblay, il lui reproche d’avoir conclu à une diminution de la latéroflexion sans avoir fait passer de tests passifs à la travailleuse. Il n’avait donc aucune justification de lui accorder 2% d’atteinte permanente. Il ne voyait d’ailleurs plus cette diminution de la latéroflexion dans son rapport subséquent.
[80] Le docteur Séguin déduit que le docteur Tremblay n’a pas fait faire de tests passifs à la travailleuse puisqu’il ne le dit pas dans son expertise.
[81] Sur la prétention de la travailleuse que la lésion psychique qu’elle allègue avoir subie est en relation avec l’événement initial, les parties déposent au dossier les expertises des docteurs Grégoire (27 mars 2000), Mauffette (15 janvier 1998 et 12 mai 2000).
[82] Les commentaires supplémentaires du docteur Grégoire en date du 23 mai 2000 sont également versés au dossier de la travailleuse de même que les dernières remarques du docteur Tremblay.
[83] La travailleuse est requise de témoigner sur sa réclamation pour état dépressif comme aggravation de sa lésion professionnelle initiale.
[84] Elle indique d’abord n’avoir aucun antécédent de problèmes psychologiques ou psychiatriques. Devant le refus de la CSST d’accepter sa réclamation initiale, elle a paniqué, ne sachant que faire, était inquiète de son avenir, elle pleurait beaucoup.
[85] Elle a consulté pour se faire aider. Elle était véritablement désemparée devant son impuissance à pouvoir reprendre son travail. Chaque retour au travail lui causait une reprise des douleurs et l’employeur continuait à lui demander de faire de la soudure. Elle indique que les douleurs augmentaient avec les répétitions de mouvements au travail. Elle n’a jamais été capable de faire son travail, ce qu’elle déplore car elle aimait son travail et n’aurait jamais voulu le perdre.
[86] C’est son médecin qui lui a dit qu’elle devait penser à changer de travail. Plus elle essayait de reprendre le travail, plus la douleur était soutenue. Elle avait de la difficulté à dormir, ressentait des engourdissements, était découragée et angoissée devant son avenir incertain. Elle ressentait beaucoup de tristesse et pleurait souvent. Elle aimait beaucoup son travail et était enthousiaste.
[87] La travailleuse indique qu’encore aujourd’hui, dès qu’elle fait des mouvements répétitifs, elle ressent des douleurs variées et des engourdissements.
[88] À sa quatrième tentative de retour au travail, elle a ressenti encore plus de douleurs et encore une fois, ce fut un échec. Elle avait justement un rendez-vous la même journée avec le docteur Bouthillier pour vérifier les effets de son retour au travail. C’est là que son médecin lui a dit qu’elle devait changer de métier. À partir de septembre 1997, le docteur Bouthillier lui a émis des limitations fonctionnelles, soit d’éviter des répétitions de mouvements, de lever des poids et les positions assise ou debout prolongées.
[89] Son médecin l’encourageait à se trouver un autre emploi en lui disant qu’elle devait apprendre à vivre avec ses limitations fonctionnelles. C’est justement à cause de ces limitations fonctionnelles qu’elle ne se trouvait pas présentable pour un nouvel employeur. Elle était très angoissée et devait prendre des anti-dépresseurs. C’est le docteur Bouthillier qui l’a référée au docteur Lelièvre, phychiatre.
[90] Elle a été quinze jours sans aucun revenu quand la CSST a mis fin à ses prestations. C’est le 7 février 2000 qu’elle a commencé à travailler dans la cordonnerie, après avoir suivi un cours de formation professionnelle pour se recycler.
L'AVIS DES MEMBRES
[91] Tel qu’il est prévu à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) (la loi), le commissaire soussigné a requis l’avis des membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs sur les questions à être décidées par la Commission des lésions professionnelles.
[92] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont unanimes à retenir que l’atteinte permanente doit être reconnue et évaluée à 2%, vu l’absence reconnue par le docteur Tremblay de problèmes d’épicondylite et d’épitrochléite. Les limitations fonctionnelles devraient être celles qui ont été retenue par les docteurs Bouthillier et Tremblay.
[93] Quant à la réclamation de la travailleuse pour état dépressif, il y a également unanimité à l’effet que la réaction dépressive de la travailleuse ne peut être rattachée à la lésion initiale mais vient beaucoup plus des difficultés et déceptions rencontrées par la travailleuse dans la conduite de son dossier et de ses réclamations à la CSST.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[94] La Commission des lésions professionnelles doit décider d’abord de la question de l’existence d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles découlant de la lésion professionnelle subie le 2 août 1996.
[95] Par la suite, la Commission des lésions professionnelles doit décider si l’état dépressif allégué par la travailleuse peut être considéré comme une lésion professionnelle en relation avec la lésion professionnelle subie le 2 août 1996.
[96] La Commission des lésions professionnelles doit prendre en considération la décision rendue le 20 janvier 1997 par le Bureau de révision, décision non contestée qui concluait que la travailleuse avait subi une lésion professionnelle le 2 août 1996, soit une maladie professionnelle.
[97] La décision accepte la maladie professionnelle chez la travailleuse pour des diagnostics d’épicondylite et d’épitrochléite bilatérale, spasmes au niveau des trapèzes et DIM cervical.
[98] Comme cette décision n’a jamais été contestée, la Commission des lésions professionnelles estime que c’est à partir de ces conclusions qu’il faut décider si cette maladie professionnelle a laissé chez la travailleuse une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.
ATTEINTE PERMANENTE
[99] Alors que le docteur Bouthillier a conclu à un pourcentage d’atteinte permanente de 8%, soit 6% pour épitrochléite gauche, droite et bilatérale, la preuve prépondérante est à l’effet qu’il ne saurait y avoir de telles atteintes permanentes. Le docteur Tremblay a en effet confirmé l’absence de telles atteintes chez la travailleuse.
[100] S’il y a atteinte permanente chez la travailleuse, ça ne peut être qu’au niveau cervical, comme le retient le docteur Bouthillier. Cette conclusion est corroborée substantiellement par le docteur Tremblay et la Commission des lésions professionnelles estime que la travailleuse a rendu un témoignage honnête, sincère et crédible dans la description de ses quatre tentatives de reprendre ce travail qu’elle aimait et faisait avec enthousiasme.
[101] La Commission des lésions professionnelles estime prépondérante la preuve de l’existence de problèmes constants chez la travailleuse au niveau cervical et ce, dès le début de son arrêt de travail le 2 août 1996. Qu’il y ait eu des tentatives de diagnostics ou des impressions de diagnostics qui se sont avérés inexacts ou incomplets, il reste que la preuve prépondérante est à l’effet que la travailleuse a toujours eu des problèmes cervicaux qu’elle n’avait jamais eu avant cette maladie professionnelle du 2 août 1996.
[102] La Commission des lésions professionnelles estime que la décision rendue par le Bureau de révision doit être respectée dans ces conclusions qui ne sauraient être remises en question. Le docteur Séguin a bien tenté de réduire à néant les conclusions du Bureau de révision sans jamais avoir pris connaissance de ces conclusions.
[103] La Commission des lésions professionnelles, dans les circonstances du présent dossier, doit accorder préférence aux opinions émises par les docteurs Bouthillier et Tremblay, lesdits médecins ayant eu l’opportunité de voir la travailleuse à plus d’une reprise et à la suivre régulièrement. Particulièrement, le docteur Bouthillier a eu l’opportunité de suivre la travailleuse dans ses tentatives de retour au travail et a pu constater, mieux que quiconque, les effets de son travail régulier sur sa condition. Ce sont ses observations qui l’ont amené à recommander à la travailleuse de se recycler dans un tout autre emploi.
[104] Le docteur Bouthillier a relevé, à son examen du 22 septembre 1997, une contracture myofasciale du trapèze supérieur gauche, une cellulalgie interscapulo vertébrale gauche et une induration facettaire en C5-C6 et C6-C7 à gauche, des observations reproduites en décembre 1997 par le docteur Tremblay qui relate une douleur aux massifs latéraux de C5-C6, avec limitation d’amplitude de l’inclinaison latérale, de même qu’une douleur à la palpation du trapèze moyen à gauche et de la musculature paravertébrale vis-à-vis le rebord latéral de l’omoplate gauche. Ces signes, de l’avis du tribunal, témoignent de la persistance d’une souffrance cervicale à l’époque de la consolidation de la lésion et au-delà de celle-ci.
[105] La Commission des lésions professionnelles reconnaît donc une atteinte permanente de 2% au niveau cervical qui empêche la travailleuse de reprendre un emploi régulier. Il y a chez elle une dysfonction cervicale qui, même consolidée, ne saurait être considérée comme guérie au point de permettre à la travailleuse de reprendre un travail régulier. La Commission des lésions professionnelles croit que la travailleuse n’a jamais retrouvé cette capacité de refaire son emploi régulier chez l’employeur.
LIMITATIONS FONCTIONNELLES
[106] La Commission des lésions professionnelles, en accord avec les conclusions du docteur Bouthillier et du docteur Tremblay, vu l’existence d’une atteinte permanente au niveau cervical, estime que la travailleuse doit également se voir reconnaître les limitations fonctionnelles telles que retenues par lesdits médecins, à savoir :
« Eviter les mouvements répétitifs de flexion et de rotation du rachis cervical.
Eviter les positions assises prolongées avec suspension des muscles supérieurs dans les aires sans appui.
Eviter les positions statiques de flexion cervicale ou d’inclinaison latérale du rachis cervical.
Eviter de travailler avec les bras à plus de 40 degrés d’abduction où 40 degrés d’élévation antérieure.
Eviter les efforts de plus de 5 kilogrammes avec les membres supérieurs. » [sic]
[107] Ces limitations fonctionnelles trouvent leur justification dans les quatre tentatives infructueuses de la travailleuse pour reprendre son travail chez l’employeur. Il importe de souligner que le docteur Grégoire mentionne que la travailleuse dit éprouver des douleurs cervicales et dorsales justement quand elle maintient une certaine position prolongée à son travail, signe que les limitations fonctionnelles sont réalistes et plausibles.
RÉCLAMATION POUR ÉTAT DÉPRESSIF
[108] Il appartenait à la travailleuse de présenter une preuve prépondérante de relation entre cet état dépressif qui est survenu à la suite de la décision de la CSST de refuser la réclamation initiale de la travailleuse et la lésion professionnelle subie le 2 août 1996.
[109] La Commission des lésions professionnelles estime d’abord qu’aucune preuve de relation n’a été présentée de façon convaincante par la travailleuse.
[110] Il est plausible qu’elle ait eu une réaction négative à la décision rendue par la CSST mais il n’y a pas de relation entre les diagnostics qui ont servi de base à la réclamation initiale et la survenance d’un état dépressif.
[111] La Commission des lésions professionnelles estime de plus que cet état dépressif représente beaucoup plus une condition personnelle qu’une lésion professionnelle dans les circonstances du présent dossier.
[112] Quand il y a eu arrêt de travail le 2 août 1996, la travailleuse n’avait aucun comportement dépressif. Ce n’est pas le travail qu’elle faisait qui a été la cause de cet état dépressif mais bien les refus essuyés par la travailleuse dans la conduite de sa réclamation. [1]
[113] La Commission des lésions professionnelles, après avoir entendu la travailleuse décrire les efforts qu’elle a déployés pour suivre un cours de perfectionnement qu’elle a bien réussi, estime que la travailleuse ne montre certainement pas d’atteinte permanente sur le plan psychique.
[114] La travailleuse donne plutôt l’impression d’une femme courageuse, ambitieuse, capable de relever les défis. La Commission des lésions professionnelles peut concevoir une période dépressive et d’anxiété chez elle en réaction avec ses difficultés dans la conduite de son dossier mais l’impression laissée par la travailleuse ne permet pas de conclure à une lésion professionnelle d’ordre psychique.
[115] La Commission des lésions professionnelles, sur cette question, priorise l’opinion et les conclusions avancées par le docteur Mauffette quand il dit que :
«…, le diagnostic que je retiens est justement que Madame ne présentait pas de psychopathologie au moment où je l’ai expertisée. En effet, il y avait chez elle des réactions émotives caractérisées par de l’anxiété, une humeur dépressive, mais ces manifestations émotives se situaient à mon avis à l’intérieur des limites de la normalité et ne pouvaient pas être considérées comme pathologiques. »
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE en partie la contestation de madame Francine Haché;
INFIRME la décision rendue le 5 octobre 1998 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail en ce qui concerne l’existence d’une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles;
DÉCLARE qu’une atteinte permanente de l’ordre de 2.2% doit être reconnue pour séquelles objectivables d’entorse cervicale avec limitations fonctionnelles découlant de la lésion professionnelle subie le 2 août 1996;
CONFIRME, quant à la réclamation pour état dépressif, le rejet de cette réclamation comme n’étant pas en relation avec la lésion professionnelle subie le 2 août 1996.
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Michel Duranceau |
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Commissaire |
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LAPORTE & LAROUCHE (Me André Laporte) 896, boulevard Manseau Joliette (Québec) J6E 3G3 |
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Représentant de la partie requérante |
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HEENAN BLAIKIE (Me Claude Martin) 1250, boulevard René-Lévesque ouest Bureau 2500 Montréal (Québec) H3B 4Y1 |
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Représentant de la partie intéressée |
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JURISPRUDENCE CITÉE ET CONSULTÉE :
PALMIERI ET CHRISTINA CANADA INC., C.A.L.P. 71416-60-9506, DÉCISION DU 25 JUIN 1996.
BUREAU ET CAMBIOR INC., C.A.L.P.67271-08-9502, DÉCISION DU 9 JANVIER 1996.
CAMBIOR INC. ET MORIN, C.A.L.P. 41951-08-9207, DÉCISION DU 25 OCTOBRE 1995.
DRETA ET PEINTURES BEAU-CLAIR INC.(LES) C.A.L.P. 54049-62-9309, DÉCISION DU 23 OCTOBRE 1995.
RÉJEANNE TESSIER ET SCOBUS (1992) INC., C.A.L.P.[1995] 1487
JOHANNE CÔTÉ ET C.S. BROOKS CANADA INC., C.A.L.P. [1993] 300
GUY PICHÉ ET BRADLEY FRÈRES LTÉE ET CSST, C.A.L.P. [1989] 459
AURÈLE DESCÔTEAUX ET LES FORESTIERS PICARD INC., C.A.L.P. [1993] 492
PIERRE LÉVESQUE ET COMMISSION SCOLAIRE SEPT-ILES ET CSST, C.A.L.P. [1995] 1714
BERNARD DESJARDINS ET TRAVAIL CANADA, C.AL.P. [1994] 1701
[1]
Voir
CSST et Hamilton
(1996) C.A.L.P. 920
CSST et Bélanger, C.A.L.P.
44310-03-9210, décision du 27 février 1995.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.