Moisan et Métro Richelieu inc. (div. Newton) |
2013 QCCLP 940 |
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[1] Le 2 mars 2012, monsieur Raynald Moisan (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par le biais de laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), le 28 février 2012, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 10 février 2012 et refuse ainsi sa demande de remboursement pour le remplacement de la réparation de ses lunettes.
[3]
La CSST refuse donc la demande produite sous l’égide de l’article
[4] À l’audience tenue à Québec, le 7 février 2013, le travailleur est présent et représenté. Quant à Métro Richelieu inc. (l’employeur), il est absent bien que dûment convoqué, ayant d’ailleurs préalablement avisé la Commission des lésions professionnelles de son intention de ne produire qu’une argumentation écrite. Le témoignage du travailleur est entendu.
[5] La cause est mise en délibéré le 7 février 2013.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[6]
Le représentant du travailleur demande à la Commission des lésions
professionnelles d’infirmer la décision rendue le 28 février 2012 et de
déclarer que ce dernier a droit au remboursement des frais pour la réparation de
ses lunettes endommagées au travail, le 26 janvier 2012, invoquant
l’application de l’article
L’AVIS DES MEMBRES
[7] Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs sont tous deux d’avis que les circonstances décrites par le travailleur permettent de conclure que ses lunettes ont été endommagées involontairement lors de la survenance d’un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause.
[8] Ils conviennent, par la même occasion, que ses lunettes ont été endommagées par le fait de son travail, le 26 janvier 2012.
[9] Pour le membre issu des associations syndicales, le travailleur a droit au remboursement des frais réclamés et ce, en dépit du fait qu’il bénéficie d’un régime d’assurances collectives qui prévoit le droit au remboursement de 200 $ à l’intérieur d’une période de 24 mois consécutifs, de tels frais pouvant d’ailleurs être remboursés pour le simple remplacement de ses lunettes.
[10] Pour ce membre, la conclusion voulant qu’on refuse l’application dudit article 113 a pour conséquence que le travailleur est privé du droit de bénéficier de la couverture prévue par son régime d’assurances collectives pendant deux ans alors que ses lunettes ont été endommagées par le fait de son travail et que la loi permet le droit au remboursement, en pareil cas.
[11]
À son avis, le seul fait qu’il soit bénéficiaire d’une police
d’assurance ne correspond pas à l’exception prévue à l’article
[12]
Pour le membre issu des associations d’employeurs, le travailleur n’a
pas droit au remboursement sous l’égide de l’article
[13] À son avis, l’intention du législateur y est clairement exprimée lorsqu’il édicte « dans la mesure où il n’a pas droit à une telle indemnité en vertu d’un autre régime ».
LES FAITS ET LES MOTIFS
[14] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a droit à une indemnité pour la réparation de ses lunettes endommagées lors de l’événement qui est survenu le 26 janvier 2012.
[15]
L’article
113. Un travailleur a droit, sur production de pièces justificatives, à une indemnité pour la réparation ou le remplacement d'une prothèse ou d'une orthèse au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes et des tissus et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2) endommagée involontairement lors d'un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant par le fait de son travail, dans la mesure où il n'a pas droit à une telle indemnité en vertu d'un autre régime.
L'indemnité maximale payable pour une monture de lunettes est de 125 $ et elle est de 60 $ pour chaque lentille cornéenne; dans le cas d'une autre prothèse ou orthèse, elle ne peut excéder le montant déterminé en vertu de l'article 198.1 .
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1985, c. 6, a. 113; 1992, c. 11, a. 5; 2001, c. 60, a. 166; 2009, c. 30, a. 58.
[16] Par le biais de la réclamation complété le 26 janvier 2012, le travailleur prétend au droit au remboursement d’une indemnité pour le remplacement de ses lunettes car elles se sont brisées alors qu’il effectuait ses tâches dans le cadre de son travail de préposé au déchargement.
[17] La description qu’il offre au sein de ce formulaire reproduit celle offerte au sein du Registre des premiers soins (Pièce T-2) et est à l’effet que ses lunettes se sont retrouvées au sol après qu’elles aient été accrochées par la caisse qu’il venait de soulever.
[18] En fait, la caisse était positionnée à une hauteur plus élevée que ses épaules et au moment de la prendre, elle lui a glissé des mains et a heurté son visage tout en accrochant ses lunettes. Lorsque ses lunettes se sont retrouvées au sol, les verres se sont brisés au même moment, le verre gauche ayant éclaté alors que le verre droit était égratigné.
[19] Lors de son témoignage, le travailleur a repris cette description tout en fournissant des précisions additionnelles, de manière crédible.
[20] En référence au bordereau déposé (Pièce T-1, en liasse), il convient avoir produit une demande de remboursement de frais qui totalisent une somme de 425 $ au régime d’assurances collectives qui couvre les employés de l’entreprise. Or, la somme qui lui a été versée n’est que de 200 $ et ce, en accord avec une des clauses prévues à la police (No Q-912 - Pièce T-1, en liasse) qui prévoit le remboursement d’une somme maximale de 200 $ pour des lunettes et lentilles cornéennes, par personne assurée, pour une période de 24 mois consécutifs.
[21] En référence à la facture produite par l’opticien, la somme de 425 $ fut requise pour couvrir le remplacement de ses verres, cette somme ne permettant même pas le remplacement de sa monture. Or, il convient que sa monture n’était pas brisée et qu’elle n’avait pas à être remplacée.
[22] Il affirme également qu’aucune somme n’avait antérieurement été réclamée à l’assurance, pendant ladite période de 24 mois.
[23]
Son représentant soumet qu’il a droit à l’indemnité prévue par l’article
[24] À son avis, le travailleur subit un préjudice du fait qu’il devrait être remboursé par son assureur plutôt que par la CSST puisqu’il serait ainsi privé de son droit à la somme prévue à son contrat d’assurance s’il devait survenir un nouveau bris, en dehors du travail ou même s’il entendait se prévaloir de cette somme, ne serait-ce que pour simplement changer de lunettes.
[25] À l’appui de cette prétention, il réfère à une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles, le 1er octobre 2012,[2] en citant les extraits suivants :
[18] Quant au fond du litige, soit le droit du travailleur d’obtenir le remboursement du coût de remplacement de ses prothèses dentaires, le tribunal retient de la preuve que le contrat d’assurance collective couvrant le travailleur et la convention collective comporte un certain nombre de limites en ce qui concerne les réclamations pour le remplacement de prothèses dentaires. À preuve, la note de l’employeur du 26 avril 2012 et le témoignage de monsieur Gauthier.
[…]
[20] L’interprétation qui doit être faite du terme « une telle indemnité » va dans le sens d’une indemnité identique ou d’un régime au moins aussi complet.1
[21] Dans le présent dossier, il est clair que les limites prévues au contrat d’assurance et à la convention collective font en sorte que l’on n’est pas en présence d’une indemnité identique ou un régime au moins aussi complet.
[22] En effet, chaque réclamation faite par le travailleur à son assurance collective l’approche de la limite offerte pour le genre de réclamation qu’il fait, soit la limite de 1 000,00 $ pour cinq ans ou encore l’indemnité viagère maximale qui lui est accordée.
[23] En conséquence, la Commission des lésions professionnelles conclut que le travailleur n'a pas droit à une telle indemnité en vertu d'un autre régime. Il a donc droit au remboursement du coût de remplacement de ses prothèses dentaires par la CSST.
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3 Gosselin et Les meubles Princeville inc.,
[26]
Ce juge administratif s’inspire de décisions[3]
préalablement rendues par la Commission d’appel en matière de lésions
professionnelles. Dans l’affaire Gosselin,[4], le travailleur
était bénéficiaire d’un contrat d’assurance privée prévoyant le remboursement
du coût de remplacement des lunettes à certaines conditions, soit jusqu’à
concurrence de 125 $ pour une période de 24 mois. Il prétendait donc
qu’il était privé de l’indemnité prévue à l’article
[27] Conformément au deuxième alinéa de cet article, tel que prévu à l’époque, l’indemnité maximale à laquelle il pouvait prétendre était déterminée par le Règlement sur le remboursement d’un vêtement, d’une prothèse ou d’une orthèse endommagée ou brisée (le règlement). C’est ainsi que la CSST prévoyait que le remboursement d’une orthèse brisée ou endommagée involontairement, par le fait ou à l’occasion du travail, se faisait selon la valeur de remplacement dans la mesure qu’il y avait production de pièces justificatives à l’appui. Aucune limite n’était donc prévue par le législateur.
[28]
Pour le juge administratif, la preuve démontrait que l’assureur ne
pouvait verser une indemnité identique à celle qui était prévue à l’article
[29]
En effet, l’assureur n’était tenu de payer que les frais requis pour
l’achat, le remplacement ou la réparation des lunettes prescrite par un
optométriste ou un ophtalmologiste que jusqu’à concurrence d’un maximum de
125 $ au cours de toute période de 24 mois consécutifs alors que
l’article
[30] En respect de ce cadre législatif de l’époque, le juge administratif a conclu que le travailleur subirait un préjudice s’il devait être indemnisé par son assureur plutôt que par la CSST, d’autant plus qu’il serait ainsi privé de son droit à la somme prévue à son contrat d’assurance pour les 24 prochains mois.
[31]
Dans l’affaire Lévesque et Les emballages Boxcraft inc.,[5]
le travailleur bénéficiait d’une assurance collective qui couvrait les premiers
200 $, par période de 24 mois. Manifestement, à l’époque, il
s’agissait d’un régime moins généreux que celui prévu par l’article
[32]
Le juge administratif s’est tout simplement inspiré de la décision
préalablement rendue dans l’affaire Gosselin et Les meubles
Princeville inc.[6] à l’effet de conclure que
le travailleur subirait un préjudice du fait d’obtenir le remboursement de son
assureur plutôt que sous l’égide de l’article
[33] La disposition actuellement applicable prévoit une limite puisque l’indemnité maximale payable, pour une monture de lunettes, est de l’ordre de 125 $ à laquelle on ajoute la somme de 60 $, pour chaque lentille cornéenne. Ainsi, le montant total prévu pour deux lentilles cornéennes s’élève à 120 $ auquel il est loisible d’ajouter 125 $ pour le changement de la monture de lunettes. Ce montant est remboursable, de plus, dans la mesure que le travailleur n’a pas droit à une telle indemnité, en vertu d’un autre régime.
[34]
Selon la jurisprudence[7] qui évolue au sein de la Commission des lésions professionnelles, l’article
[35]
Tel qu’énoncé par la commissaire Marie Langlois dans l’affaire Bowater[8],
quatre conditions doivent être respectées pour que le travailleur puisse
recevoir une indemnité pour le remplacement de sa prothèse et ce, au sens même
de l’article
- que sa prothèse a été endommagée involontairement;
- lors d’un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause;
- survenant par le fait de son travail;
- et qu’il n’a pas droit à une telle indemnité en vertu d’un autre régime.
[36] Selon l’ensemble de la preuve soumise qui est demeurée non-contredite, la Commission des lésions professionnelles doit retenir que les lunettes du travailleur ont été endommagées involontairement lors de la survenance d’un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, par le fait du travail.
[37] La Commission des lésions professionnelles doit également retenir que les lunettes, dont le travailleur demande le remboursement des verres qui ont été brisés, constituent une orthèse au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes, des tissus, des gamètes et des embryons et la disposition des cadavres.[9]
[38] Une autre condition devait, par contre, être démontrée, soit que le remboursement n’est pas couvert par un régime d’assurances collectives auquel participe le travailleur.
[39] Certes, l’objet de la loi est de réparer les conséquences résultant d’une lésion professionnelle mais il n’en demeure pas moins qu’il y a des limites à cette réparation et il n’appartient pas au tribunal de la modifier pour ajouter des droits qui n’y sont pas prévus ou encore, de supprimer les conditions d’acquisition de ces droits.
[40]
En effet, l’objectif énoncé à l’article
[41] L’interprétation que le tribunal doit apporter au texte législatif doit l’être en accord avec l’intention y exprimée par le législateur et ne peut consister à ajouter à ce qui est clairement prévu.
[42]
Dans l’affaire Bastien et Société des alcools du Québec,[10]
le travailleur demandait le remboursement de la somme totale pour l’acquisition
des effets endommagés au cours d’une lésion professionnelle, invoquant à l’appui
les articles
[43] La Commission des lésions professionnelles n’a pas accédé à cette demande au motif que le travailleur n’avait pas droit au remboursement de la somme totale demandée et ce, bien qu’elle soit tenue de rendre des décisions suivant l’équité, d’après le mérite réel et la justice du cas.
[44]
La Commission des lésions professionnelles adhère à cette interprétation
et croit que le législateur a spécifiquement prévu que le travailleur n’a pas
droit à l’indemnité prévue à l’article
[45] En effet, il est bénéficiaire d’une police d’assurance (Pièce T-1, en liasse) qui permet le remplacement de ses lunettes ainsi que de ses lentilles cornéennes pour une somme maximale de 200 $, par période de 24 mois consécutifs. Ainsi, une limite y est également prévue.
[46]
Que le remplacement ou la réparation des lunettes soit admissible sous
l’égide de l’article
[47] Conclure autrement ferait en sorte que le tribunal ajoute au texte de loi en réécrivant la disposition au lieu et place du législateur.
[48]
La jurisprudence qui évolue au sein du tribunal est constante et, à
l’effet de vérifier si la preuve démontre que le travailleur qui réclame le
droit à l’indemnité prévue à l’article
[49] Donc, faute de répondre à l’une des conditions spécifiquement prévues par le législateur, force est de conclure que le travailleur n’a pas droit au remboursement de la somme demandée.
[50]
La Commission des lésions professionnelles rappelle ainsi que si le
travailleur avait été éligible à l’application de l’article
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête produite par monsieur Raynald Moisan, le travailleur, le 2 mars 2012;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 28 février 2012, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que monsieur Raynald Moisan n’a pas droit à une indemnité pour la réparation de ses lunettes endommagées le 26 janvier 2012.
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Carole Lessard |
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Monsieur Vincent Grenier |
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C.S.N. |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Audrée Dufresne |
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MÉTRO RICHELIEU INC |
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Représentante de la partie intéressée |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Ferrand et Sivaco Québec inc., C.L.P.
[3] Gosselin
et Les meubles Princeville inc.,
[4] Précitée, note 3.
[5] C.A.L.P. 22634-60-9010, 4 février 1993, T. Giroux.
[6] Précitée, note 3.
[7] Bowater Pâtes et Papiers Canada inc.
et Chevrier, C.L.P.
[8] Précitée, note 7.
[9] L.R.Q., c. L-0-2.
[10] C.L.P.
[11] Grenier et Laliberté & Associés, C.L.P.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.