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[1] Le 25 janvier 2006, le travailleur, monsieur Bernard Champagne, conteste une décision rendue le 9 janvier 2006 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative. Cette décision « confirme la décision du 27 octobre 2005 et déclare que les prothèses auditives numériques ne sont pas payables par la CSST. »
[2] À l’audience, le 3 avril 2006, le travailleur se présente accompagné de sa conjointe. L’employeur, Dominion Bridge inc., est absent. Il s’agit d’une entreprise fermée.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[3] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a droit au remboursement de prothèses auditives numériques compte tenu de sa surdité d’origine professionnelle.
L’AVIS DES MEMBRES
[4] Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs partagent les conclusions de la présente décision et considèrent qu’il appartient au docteur Kiwan, le cas échéant, de préciser si oui ou non les prothèses auditives numériques sont requises et en relation avec la surdité professionnelle du travailleur.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[5] Le travailleur maintenant âgé de 66 ans, retraité depuis 1998, est atteint de surdité professionnelle, porteur d’une atteinte permanente évaluée à 10,35% par la CSST le 4 septembre 1996. Dans sa décision, la CSST soulignait que le travailleur pouvait se procurer « des prothèses auditives sur ordonnance médicale. La CSST en remboursera elle-même, à l’audioprothésiste, le prix et les frais d’ajustement selon les normes et le tarif de la Régie de l’assurance-maladie du Québec… » Le travailleur portera effectivement, dans les années suivantes, des prothèses auditives de type conventionnel.
[6] Au printemps 2005, le travailleur commence à éprouver certains problèmes avec l’usure de ses prothèses conventionnelles. Il entend parler des prothèses auditives numériques que l’on dit nettement plus avantageuses, plus souples, plus complètes quant à l’efficacité auditive.
[7] Selon les notes évolutives de la CSST, à la mi-juin 2005, le travailleur formule son désir de se voir octroyer des prothèses auditives numériques quitte à payer la différence, compte tenu de l’écart de prix entre les prothèses conventionnelles et les prothèses numériques.
[8] À l’été 2005, le travailleur est investigué pour expertise par l’oto-rhino laryngologiste, Émile Kiwan. On retrouve au dossier un rapport d’évaluation audiologique daté du 9 août 2005 et un rapport final du 6 septembre 2005, lequel nous renvoie à son expertise et à ses recommandations. Ces dernières sont datées du 6 septembre 2005 également.
[9] De l’examen clinique, le médecin rapporte des « tests aux diapasons et audiométriques [confirmant] la présence d’une hypoacousie neuro-sensorielle bilatérale assez complexe et fort significative avec des creux profonds au niveau des hautes fréquences. » Quant au diagnostic, le médecin maintient « le diagnostic d’hypoacousie neurosensorielle bilatérale d’origine professionnelle ». Il constate une légère détérioration de la condition auditive et souligne : « même s’il y a détérioration elle n’est pas en relation avec son milieu de travail d’autant plus qu’il n’est plus exposé aux bruits et qu’il est retraité depuis 1998. »
[10] En conclusion, le médecin écrit : « peut bénéficier de prothèses amplificatrices bilatérales, numériques. Infra-rouge pour télévision… » Aucune recommandation précise du docteur Kiwan ne fait suite à ce rapport d’évaluation médicale. Aucune réquisition de sa part pour lesdites prothèses numériques. Par contre, le 25 octobre 2005, deux jours avant le refus par la CSST d’octroyer les prothèses numériques, l’audioprothésiste Manon Paquette écrit à la CSST pour une « demande d’autorisation pour prothèses numériques binaurales. » Avant de recommander les prothèses numériques, elle souligne les difficultés qu’éprouve le travailleur avec ses prothèses conventionnelles :
- A des difficultés particulières de compréhension en groupe et au restaurant.
- A des difficultés particulières d’écoute avec les bruits de l’environnement, ce qui l’oblige à s’isoler.
- Il lui est difficile de comprendre, à un niveau sonore raisonnable, la radio ou la télévision.
- Éprouve des difficultés au téléphone avec certaines voix.
- Est régulièrement à l’extérieur donc exposé€ au vent.
- M. Bernard Champagne aimerait faire un retour au travail mais se sent incapable de le faire.
- Pense que son problème d’audition pourrait mettre en cause sa sécurité et celle des autres lors de la conduite automobile.
- Craint pour sa sécurité lorsqu’il marche sur le bord de la route car il n’entend pas le bruit des automobiles qui se rapprochent.
[11] Parlant de l’évaluation audioprothétique qui a été faite, l’audioprothésiste souligne que le travailleur :
- A un problème d’hypersonie.
- A une baisse auditive atypique.
- A une mauvaise discrimination aggravée par les sons de l’environnement.
- A une mauvaise discrimination aggravée par son milieu de travail.
[sic]
[12] Finalement, l’audioprothésiste précise les caractéristiques des appareils numériques qu’elle recommande en soulignant les avantages pour le travailleur par rapport aux prothèses auditives conventionnelles.
[13] Dans sa décision du 27 octobre 2005, l’agente de la CSST ne semble pas avoir pris connaissance de cette dernière communication de la part de l’audioprothésiste. La CSST refuse donc d’autoriser les prothèses auditives numériques puisque : « ce type de prothèses ne répond pas aux critères de la CSST. »
[14] Le travailleur, le 9 novembre 2005, demande la révision de cette décision. Sa demande est bien documentée et s’appuie sur la loi. Il souligne notamment : « depuis quelques années les prothèses auditives numériques furent octroyées autant à des travailleurs à la retraite ayant un faible déficit anatomophysiologique qu’à des travailleurs actifs dans un milieu de travail bruyant. »
[15] Le 9 janvier 2006, la révision administrative maintient la décision initiale parce que les prothèses auditives numériques n’auraient pas été prescrites par un professionnel de la santé, « selon les éléments au dossier »; aussi parce qu’elles « ne sont pas prévues par le programme des aides auditives de la RAMQ ou par le règlement sur l’assistance médicale de la CSST et ne sont donc pas payable par la CSST. » Le travailleur portera sa contestation devant la Commission des lésions professionnelles, le 25 janvier 2006.
Le droit
[16] Sur la question du règlement sur l’assistance médicale, la Commission des lésions professionnelles, récemment, dans une décision du 15 novembre 2005[1], notait l’absence de tout règlement voté par la CSST et faisait référence à une décision du 23 juin 2005 du tribunal dans l’affaire Corbeil et Intair inc.[2] :
CONSIDÉRANT que la CSST ne s’est pas prévalue à ce jour du pouvoir réglementaire qui lui est accordé par cet article afin d’établir les règles applicables à l’acquisition de prothèses notamment, celles applicables dans le cas particulier de prothèses auditives numériques;
CONSIDÉRANT que, selon la jurisprudence constante du tribunal2, le deuxième alinéa de l’article 198.1 n’a pas pour effet de priver un travailleur de son droit d’obtenir le remboursement des frais liés à l’achat d’une prothèse visée au quatrième paragraphe de l’article 189.4 de la loi;
2 Voir notamment : Bertrand et Produits Chimiques Expro inc., C.L.P. 142326-62C-0006, 24 mai 2001, G. Robichaud; Ramez et Pierre Desmarais inc., C.L.P. 140074-72-0006, 19 juin 2001, H. Rivard; Bush et Urgences Santé, C.L.P. 166957-64-0107, 12 novembre 2001, B. Lemay; Pouliot et Gérald Robitaille et Associés ltée et Industries Davie inc., C.L.P. 165805-03B-0107, 21 mars 2002, M. Cusson; Francoeur et Ville de Longueuil, C.L.P. 172305-05-0110, 22 avril 2002, F. Ranger; Plouffe et Pirelli Câbles & Systèmes inc., C.L.P. 182782-62A-0204, 6 septembre 2002, J. Landry; Gagnon et Industries Couture ltée, C.L.P. 245877-02-0410, 14 décembre 2004, M. Juteau; Vigneault et Domtar inc., C.L.P. 248112-62C-0411, 11 février 2005, M. Sauvé; Thibeault et Olymel St-Hyacinthe, C.L.P. 244225-62B-0409, 31 mars 2005, N. Blanchard; Gagnon et Société d’électrolyse et de chimie Alcan Limitée (SECAL), C.L.P. 251925-02-0501, 6 mai 2005, R. Deraiche; Otis et Cascades Jonquière inc., C.L.P. 257775 - 02‑503, 9 juin 2005, M. Beaudoin; De Repentigny et Norampac inc., C.L.P. 259517‑62C‑0504, 9 juin 2005, R. Hudon.
[17] Pour sa part, la commissaire Nadeau, dans l’affaire Cadieux et Ventalibec inc., précisait que :
Plusieurs autres décisions concluant en ce sens ont été rendues3 dans les derniers mois et, malgré cette jurisprudence, la CSST persiste dans ces refus de défrayer les coûts de prothèses auditives numériques.
3 Thibault et Commission scolaire Seigneurie des Mille-Iles, C.L.P. 252926-64-0501, 4 juillet 2005, M. Montplaisir; Grandlair et Cie Minière IOC, C.L.P. 258224-62-0503, 13 juillet 2005, S. Mathieu; Bujold et Aluminerie Alouette, C.L.P. 250168-09-0412-C, 25 juillet 2005, Y. Vigneault; Castellon et CSST - Soutien à l’imputation, C.L.P. 258858-62C-0504, 4 août 2005, L. Landriault; Gagnon et Groupco inc., C.L.P. 265537-61-0506, 18 août 2005, B. Lemay; Gatien et 9035-3236 Québec (fermé), C.L.P. 256956-62B-0503, 14 septembre 2005, N. Blanchard; Dubois et Cie Chemin de fer Canadien Pacifique, C.L.P. 266681-04-0506, 6 octobre 2005, D. Lajoie
[18] L’article 198.1 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[3] (la loi) est l’article qui autorise la CSST à procéder par règlement relativement aux prothèses. Il se lit comme suit :
198.1. La Commission acquitte le coût de l'achat, de l'ajustement, de la réparation et du remplacement d'une prothèse ou d'une orthèse visée au paragraphe 4° de l'article 189 selon ce qu'elle détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.
Dans le cas où une orthèse ou une prothèse possède des caractéristiques identiques à celles d'une orthèse ou d'une prothèse apparaissant à un programme administré par la Régie de l'assurance maladie du Québec en vertu de la Loi sur l'assurance maladie (chapitre A-29) ou la Loi sur la Régie de l'assurance maladie du Québec (chapitre R-5), le montant payable par la Commission est celui qui est déterminé dans ce programme.
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1992, c. 11, a. 11; 1999, c. 89, a. 53.
[19] En l’absence de règlement, la loi est, par ailleurs, claire. Ce sont les articles 188, 189 et 194, notamment, du chapitre V de l’assistance médicale, qui s’appliquent :
188. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à l'assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion.
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1985, c. 6, a. 188.
189. L'assistance médicale consiste en ce qui suit:
1° les services de professionnels de la santé;
2° les soins ou les traitements fournis par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5);
3° les médicaments et autres produits pharmaceutiques;
4° les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes, des tissus, des gamètes et des embryons, les services ambulanciers et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2), prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l'assurance maladie du Québec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas établi au Québec, reconnu par la Commission;
5° les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visés aux paragraphes 1° à 4° que la Commission détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.
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1985, c. 6, a. 189; 1992, c. 11, a. 8; 1994, c. 23, a. 23; 1999, c. 89, a. 53; 2001, c. 60, a. 166.
(Notre soulignement)
194. Le coût de l'assistance médicale est à la charge de la Commission.
Aucun montant ne peut être réclamé au travailleur pour une prestation d'assistance médicale à laquelle il a droit en vertu de la présente loi et aucune action à ce sujet n'est reçue par une cour de justice.
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1985, c. 6, a. 194.
Application du droit aux faits
[20] Il est déjà reconnu que le travailleur est porteur d’une surdité professionnelle affectant les deux oreilles et qu’il a droit à des prothèses auditives conformément à l’article 188 de la loi. La CSST est prête à rembourser uniquement des prothèses auditives conventionnelles. Or, en vertu de l’article 189 alinéa 4 de la loi, le travailleur a droit « aux prothèses prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l’assurance maladie du Québec », dans la mesure où ces prothèses sont requises par « son état en raison de sa surdité professionnelle » (art. 188).
[21] Ainsi, dans la présente affaire, il suffirait que le docteur Kiwan, un professionnel de la santé, prescrive des prothèses numériques et qu’elles soient disponibles chez l’audioprothésiste qui les fournit (Manon Paquette) pour que la CSST n’ait plus, conformément à l’article 194, qu’à en défrayer le coût. La prescription doit, cependant, être expresse et, encore une fois, requise par l’état du travailleur « en raison » de sa surdité professionnelle.
[22] Cette prescription expresse fait défaut à la réclamation du travailleur. En effet, dans son rapport d’évaluation médicale du 6 septembre 2005, après avoir constaté une certaine détérioration de « L’hypoacousie neurosensorielle bilatérale d’origine professionnelle » affectant le travailleur, le docteur Kiwan conclut que le travailleur « peut bénéficier de prothèses amplificatrices bilatérales numériques ». Nulle part n’est-il écrit que ces prothèses sont requises en raison de la surdité professionnelle du travailleur.
[23] Dans des cas similaires, habituellement, le docteur Kiwan, comme les autres oto-rhino-laryngologistes, remplit un formulaire idoine adressé à la CSST, ou, encore, émet une attestation médicale précise avec prescription expresse. Le tribunal n’a retrouvé ni l’un ni l’autre dans le présent dossier. Il y a bien cette lettre du 25 octobre 2005 de l’audioprothésiste Paquette avec comme en-tête « Demande d’autorisation pour prothèses numériques binaurales ». Cette lettre explique sur trois pages les avantages des prothèses numériques eu égard à la condition auditive du travailleur; elle parle par elle-même. Cependant, cette lettre ne peut constituer la prescription prévue à l’alinéa 4 de l’article 189 de la loi puisque l’audioprothésiste, dont le rôle est, par ailleurs, reconnu, n’est pas un professionnel de la santé au sens de la loi.
[24] Comme il a été expliqué au travailleur à l’audience, le tribunal ne saurait ordonner à la CSST le paiement d’une prothèse sans la prescription expresse à cet effet par le docteur Kiwan ou un autre professionnel de la santé. En conséquence, la réclamation du travailleur doit être refusée. Toutefois, et ceci pour protéger ses droits, le travailleur pourra vérifier auprès du docteur Kiwan, si ce dernier est prêt à lui prescrire des prothèses numériques en fonction de son déficit auditif et en relation avec le déficit d’origine professionnelle. Le cas échéant, le travailleur pourra faire une nouvelle réclamation à la CSST qui, malgré le délai, devra rendre une nouvelle décision, le tout conformément à la loi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la contestation de monsieur Bernard Champagne, le travailleur;
CONFIRME partiellement la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 9 janvier 2006 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur faute de prescription en ce sens par un professionnel de la santé n’a pas droit au remboursement de prothèses auditives numériques;
RÉSERVE les droits du travailleur, malgré le délai, pour faire une nouvelle réclamation dans le cas où il obtient une prescription conforme à la loi.
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Gilles Robichaud |
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Commissaire |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.