Fromagerie Champêtre |
2013 QCCLP 6230 |
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[1] Le 1er mars 2013, La Fromagerie Champêtre (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 25 février 2013, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme une décision initialement rendue le 18 décembre 2012 et déclare que l’employeur doit assumer tous les coûts des prestations en lien avec la lésion professionnelle subie par monsieur Richard Laliberté (le travailleur), le 23 novembre 2011.
[3] L’employeur est représenté à l’audience tenue le 6 aout 2013 à Joliette par la Commission des lésions professionnelles. Comme convenu, l’employeur dépose une lettre précisant l’endroit de livraison au restaurant Belle Province. L’affaire est mise en délibéré le 15 aout 2013.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4]
À l’audience, l’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de transférer aux employeurs de toutes les unités, en
vertu de l’article
LES FAITS
[5] Le 23 novembre 2011, le travailleur, chauffeur-livreur âgé de 60 ans au service de l’employeur, fait une chute dans le stationnement arrière d’un client, prévu pour les livraisons, soit le restaurant Belle Province. Il termine sa journée de travail.
[6] Le travailleur décrit l’événement dans les circonstances suivantes :
Cette journée là il neigeait, j’ai glissé et je me suis étendu au sol, j’ai tenté de protégé avec mon bras gauche, qui a pris tout le poids de mon corps.
[sic]
[7] Le lendemain, le travailleur consulte un médecin de la Polyclinique médicale Pierre-Le Gardeur qui diagnostique une entorse au poignet gauche. Il prescrit une orthèse, de la glace et des anti-inflammatoires. Il recommande une réaffectation de travail.
[8] Le 6 décembre 2011, le travailleur consulte la docteure Karine Chevrette, médecin qui a charge. Cette dernière, après l’avoir examiné, pose le diagnostic de fracture du carpe gauche et une tendinite de l’épaule gauche. Elle recommande un arrêt de travail complet.
[9] Le 22 décembre 2011, la CSST rend une décision par laquelle elle accepte le diagnostic de fracture du carpe gauche et de la tendinite à l’épaule gauche en lien avec l’événement du 23 novembre 2011.
[10] Les relevés météo de la journée du 23 novembre 2011 pour le secteur couvrant le lieu de livraison attestent la présence de pluie verglaçante suivie d’une légère neige.
[11] À l’audience, le représentant de l’employeur explique qu’il avait neigé et qu’il y avait de la glace qui était cachée en dessous. Qu’il n’y avait aucun abrasif d’épandu dans le stationnement du client, que l’employeur n’avait aucun contrôle sur le déneigement dudit stationnement, que le propriétaire du restaurant devait tenir les lieux sécuritaires en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité[2], que le travailleur ne pouvait pas deviner qu’il y avait de la glace sous la neige, et que s’il n’avait pas eu de négligence de la part du propriétaire du restaurant, il n’y aurait pas eu d’accident. Il ajoute que puisque la neige recouvrait la glace, le travailleur n’a pu voir la glace et n’a donc pas pu faire preuve de prudence et que cela peut constituer un piège.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[12] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s'il y a lieu de transférer aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations dues en raison de la lésion professionnelle subie par le travailleur le 23 novembre 2011, au motif que cette imputation a pour effet de faire supporter injustement à l’employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers.
[13]
L’article
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[14] Il ressort de cette disposition que le principe général en matière de financement est d'imputer le coût des prestations dues en raison d'une lésion professionnelle au dossier de l'employeur à l'emploi duquel le travailleur se trouve au moment où il subit cette lésion.
[15] L'employeur peut toutefois obtenir un transfert d’imputation s'il démontre qu'il supporte injustement le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers[3].
[16]
Pour bénéficier (ou tirer profit) de l'application du deuxième alinéa de
l'article
[17]
L'interprétation de l'expression « attribuable à » un tiers à
laquelle fait référence l'article
[18]
La Commission des lésions professionnelles rend en 2008 une décision[6]
par une formation de juges administratifs par laquelle elle constate que
l’interprétation de l’expression « attribuable à » fait l’objet d’une
abondante jurisprudence. Sans qu’il faille nécessairement se référer à la
notion de responsabilité civile, la lésion qui est majoritairement attribuable à
ce tiers concerné est généralement reconnue comme lui étant attribuable au sens
de l’article
[19] La preuve doit donc établir que le tiers est l’auteur ou la cause de l'accident ou qu’il contribue majoritairement aux événements qui l’entraînent[7], autrement dit, que sa participation dans la survenance de l’accident du travail est majoritaire[8].
[20] Sur la question de l'injustice causée par l'imputation du coût des prestations d’un accident du travail attribuable à un tiers, le tribunal considère qu’il y a également lieu de se référer aux principes qui se dégagent de la décision Ministère des Transports et CSST[9].
[21] Dans cette affaire, le tribunal retient que l'imputation à l'employeur est injuste dans certaines circonstances et applique les critères suivants aux fins de décider de l'injustice causée à l'employeur :
Ø les risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur; les premiers s’appréciant en regard du risque assuré alors que les secondes doivent être considérées, entre autres, à la lumière de la description de l’unité de classification à laquelle il appartient ;
Ø les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, par exemple, le cas du guet-apens, du piège, d’un acte criminel ou d’une autre contravention à une règle législative, réglementaire ou de l’art;
Ø les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi.
[22] Cette affaire expose l’état du droit sur cette question. Depuis, on peut maintenant constater de très large consensus en cette matière au sein de la Commission des lésions professionnelles[10].
[23] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que cette exception au principe général d’imputation des coûts doit recevoir comme c’est le cas généralement en matière d’exception à un principe, une interprétation plus restrictive.
[24]
Dans un premier temps, le tribunal constate que la demande de transfert
de coûts de l’employeur du 10 octobre 2012 est déposée dans l’année qui suit la
date de l’accident du travail du 23 novembre 2011, conformément au dernier
paragraphe de l’article
[25] Dans le présent cas, le tribunal estime que la preuve révèle que l'accident du travail dont le travailleur est victime le 23 novembre 2011 est attribuable à un tiers.
[26] En effet, l’accident du travail survient alors que le travailleur marche dans le stationnement arrière prévu pour les livraisons, qui est recouvert de neige, lorsqu’il glisse sur de la glace, qui était dissimulée sous la neige, et tombe au sol. La responsabilité du propriétaire du restaurant Belle Province est d’entretenir adéquatement le stationnement du commerce afin de prévenir les accidents.
[27] Le tribunal considère en regard des faits particuliers la présente affaire, qu’il est nécessaire d’insister sur l’environnement d’une zone de livraison ou d’un débarcadère. Le restaurant La Belle Province, lui-même employeur, doit faire en sorte que le lieu de travail soit aménagé de façon à protéger la santé, la sécurité et l’intégrité physique des travailleurs[11]. De l’opinion du tribunal, cette obligation vient renforcer celle incombant à un propriétaire de commerce devant déneiger ces accès sous peine d’encourir sa responsabilité civile. Ainsi, l’établissement client doit s’assurer que la zone de livraison soit exempte de piège comme peut le constituer de la glace cachée par de la neige.
[28] L’employeur soutient que l’accident du 23 novembre 2011 est dû à la négligence du propriétaire du restaurant Belle Province, qui n’a pas épandu d’abrasif dans le stationnement prévu pour les livraisons et qu’il n’a aucun contrôle sur cette situation. Il argumente que cette situation est assimilable à un piège et qu’il s’agit d’une situation exceptionnelle. Le tribunal note ici que cet employeur, Restaurant Belle Province, n’a pas été mis en cause ni convoqué pour l’audience de la présente affaire. Son éclairage des circonstances de l’accident aurait pu être utile pour le débat sur l’état des lieux et la responsabilité.
[29]
La Commission des lésions professionnelles est par conséquent d’avis de
conclure que l’accident du travail du 23 novembre 2011 est attribuable à un
tiers au sens de l’article
[30]
Quant au second critère d’application du 2e alinéa de l’article
[31] La CSST refuse d'imputer le coût des prestations de cette réclamation aux employeurs de toutes les unités au motif que la situation n’est pas injuste parce qu’elle fait partie des risques inhérents à la nature des activités exercées par l’employeur.
[32] Un courant de la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles établit qu’une chute sur la glace fut-elle, recouverte de neige fait partie des risques inhérents qui font partie de la sphère d’activité d’un employeur ayant un service de livraison. Bref, que ces circonstances ne constituent pas un piège.
[33] Dans l’affaire Transport TFI 15, S.E.C.[12], un bilan non exhaustif de la situation est dressé en regard de la jurisprudence récente portant sur des chutes sur la glace dans les stationnements et la majorité des décisions refusent d’appliquer l’exception :
[45] En terminant, la Commission des lésions professionnelles tient également à souligner qu’une recherche rapide
de la jurisprudence récente rendue par le tribunal et portant sur l’application
de l’exception prévue au deuxième alinéa de l’article
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12 Ambulance St-Amour de Lanaudière enr.,
13 Fairmont Tremblant et Mont-Tremblant (Ville de),
[34] Dans les faits de la présente affaire, le travailleur occupe un emploi de chauffeur-livreur chez l’employeur. Tel que mentionné plus haut, un fort courant jurisprudentiel de la Commission des lésions professionnelles considère que le fait pour un travailleur chauffeur-livreur de faire une chute alors qu’il est dans l’exécution de ses tâches fait partie des risques inhérents aux activités de gestion exécutées par l'employeur. Le tribunal partage également cette position à la lumière de la preuve déposée.
[35] En effet, le tribunal partage l’analyse de la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Transport Delson ltée[13] :
[34] Ainsi, les accidents de la route font partie des risques inhérents aux activités exercées par l’employeur.
[35] Cependant, la Commission des lésions professionnelles a reconnu que même si un accident fait partie des risques reliés aux activités de l’employeur, il peut être injuste d’en imputer l’employeur lorsque l’accident survient dans des circonstances extraordinaires, exceptionnelles, rares ou inusitées4.
[36] À ce sujet, l’employeur soutient que l’accident est inusité et exceptionnel en ce que le tiers s’est probablement endormi au volant de son camion remorque et qu’il a traversé la voie publique jusqu’à la deuxième voie circulant en sens inverse entraînant une collision frontale avec le véhicule du travailleur. En somme, il soumet que l’accident survenu le 6 février 2007 est exceptionnel et inusité parce qu’il survient d’une manœuvre fautive, imprévisible et imparable du tiers chauffeur.
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4
Société de transport de Laval,
C.L.P.
[36] Dans la présente affaire, il n’y a pas de preuve que le tiers impliqué se trouve dans une telle situation imparable provoquée par un événement exceptionnel. La preuve dont dispose le tribunal ne démontre pas de circonstances particulières lui permettant de distinguer cette affaire des autres décisions de la Commission des lésions professionnelles portant sur des chutes sur de la glace couverte par de la neige. Le tribunal est d’opinion que ce soient de telles circonstances particulières qui auraient pu constituer un guet-apens ou un piège dans la survenance de l’accident.
[37] En conséquence, la Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’il est démontré que l’accident, dont le travailleur est victime le 23 novembre 2011, relève des risques inhérents à l'ensemble des activités de l'employeur.
[38] Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’il n’est pas injuste de faire assumer à l’employeur la totalité du coût des prestations dues en raison de l’accident du travail subi par le travailleur le 23 novembre 2011.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en contestation de La Fromagerie Champêtre, l’employeur, déposée le 1er mars 2013;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 25 février 2013, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le coût des prestations découlant de la lésion professionnelle subie le 23 novembre 2011 par monsieur Richard Laliberté, le travailleur, doit entièrement être imputé à la Fromagerie Champêtre, l’employeur.
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JEAN M. POIRIER |
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Monsieur Pierre Casella |
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MUTU-A-GEST |
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Représentant de l’employeur |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] L.R.Q., c. S-2.1.
[3] Article
[4] Natrel inc. et
Marché Duchemin et frères enr., C.L.P.
[5] Natrel inc. et Marché Duchemin et frères enr., précitée, note 4.
[6] Ministère des Transports et CSST, C.L.P.
[7] Provigo (Division Maxi Nouveau concept), précitée, note 4.
[8] Commission scolaire Marguerite-Bourgeois, C.L.P.
[9] Ministère des Transports et CSST, précitée, note 6.
[10] Société des Alcools du
Québec, C.L.P.
[11] Article
[12] 2012 QCCLP 2215.
[13] C.L.P. 350557-62C-0806, 1er juin 2009, C. Burdett.
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