Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Distribution Chauffage solaire inc. c. Desroches

2016 QCCQ 8178

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

JOLIETTE

LOCALITÉ DE

JOLIETTE

« Chambre civile »

N° :

705-32-014760-158

 

 

 

DATE :

4 août 2016

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

RICHARD LANDRY, J.C.Q.

 

 

 

______________________________________________________________________

 

 

DISTRIBUTION CHAUFFAGE SOLAIRE INC.

et

MAURICE BÉLANGER

Partie demanderesse/

défenderesse reconventionnelle

c.

MARYSE DESROCHES

Partie défenderesse/

demanderesse reconventionnelle

et

MAURICE BÉLANGER

Partie appelée

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Distribution Chauffage Solaire inc. (« Distribution C.S. inc. ») réclame de madame Desroches la somme de 4 885,25 $ en paiement du coût des matériaux fournis à cette dernière pour la rénovation de sa cuisine et de sa salle de bains.

[2]           Dans un premier temps, madame Desroches nie avoir fait affaires avec Distribution C.S. inc. mais uniquement avec monsieur Maurice Bélanger, son président, secrétaire et trésorier.  Elle allègue aussi que certains matériaux qui lui sont facturés n’ont jamais été livrés chez elle.

[3]           Se portant demanderesse reconventionnelle, elle réclame à son tour la somme de 15 000 $ à Distribution C.S. inc. et/ou Maurice Bélanger en raison de déficiences, malfaçons et vices de construction dans les travaux exécutés à sa résidence.

[4]           La preuve établit que les travaux étaient payés en «cash» c’est-à-dire «au noir», sauf pour les achats de matériaux achetés avec factures.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[5]           Les questions en litige sont les suivantes :

1)    Quelles sont les principes juridiques applicables aux travaux réalisés « au noir »?

2)    Suivant la réponse apportée à la première question, la partie demanderesse a-t-elle droit en tout ou en partie à la valeur des matériaux réclamés?

3)    Madame Desroches a-t-elle droit à une compensation pour la mauvaise qualité des travaux réalisés?

4)    Quelles sont les conséquences sur ces réclamations du fait que les travaux ont été réalisés au noir?

LES FAITS

[6]           À l’automne 2014, madame Desroches est à la recherche d’un entrepreneur pour réaliser des travaux de réfection à sa cuisine (comptoir, portes d’armoire, dosseret, plancher, 2 luminaires, etc.) et à sa salle de bains (remplacement des appareils de couleur bleue : bain, évier, toilette, etc.).

[7]           Le mari de sa supérieure à son travail, monsieur Maurice Bélanger, œuvre dans la construction.  C’est donc en toute confiance qu’elle s’adresse à lui pour discuter de son projet, des coûts inhérents et du mode d’exécution.

[8]           Madame Desroches établit que cinq rencontres ont été nécessaires pour préciser les travaux et les coûts inhérents [1].

[9]           Dans son témoignage, monsieur Bélanger parle quant à lui de trois rencontres.

[10]        Il convient de souligner dès le départ que madame Desroches prenait des notes dans son agenda électronique tout au long des démarches concernant le contrat et sa réalisation.  Son témoignage sur ce point et sur l’ensemble des autres questions relatives à la présente affaire est donc nettement beaucoup plus fiable et précis que celui de monsieur Bélanger qui témoigne de mémoire en oubliant plusieurs éléments importants.

[11]        Avant même que monsieur Bélanger propose un estimé budgétaire pour les travaux, madame Desroches l’informe qu’elle dispose d’un budget de 25 000 $ pour ceux-ci et qu’elle espère que cela sera suffisant.  À la rencontre du 19 novembre 2014, monsieur Bélanger lui apprend que les travaux devraient coûter…25 000 $!

[12]        Monsieur Bélanger établit les conditions suivantes :

1)    les coûts de main-d’œuvre seront payés en « cash » (« au noir »), sans taxes;

2)    les matériaux seront achetés sur son compte chez ses fournisseurs (Patrick Morin inc., Wolseley inc.), ce qui permettra d’obtenir des escomptes.

[13]        Il n’est pas question de rédiger un contrat écrit, la raison étant que monsieur Bélanger voulait être payé au noir.  Seuls les achats de matériaux ont fait l’objet de facturations écrites.  Monsieur Bélanger témoigne que si ça avait été « déclaré », ça aurait coûté plus cher.

[14]        Madame Desroches témoigne qu’elle a insisté au départ pour que les travaux d’électricité et de plomberie soient effectués par des personnes possédant des cartes de compétence dans ces domaines.  Ce ne fut pas le cas, comme on le verra plus loin.

[15]        Les travaux de changement d’armoires doivent être exécutés par l’ébéniste Dagenais et les autres travaux par le fils de monsieur Bélanger, Mathieu, et monsieur Ghislain Ladouceur, au taux de 25 $ l’heure.  Le début des travaux est prévu pour le 5 janvier 2015 pour une durée d’environ deux semaines.

[16]        Pour madame Desroches, il n’a jamais été mention lors des négociations de la société « Distribution Chauffage Solaire inc. » dont le nom est apparu pour la première fois sur l’état de compte du 6 février 2015 contenant les achats de matériaux [2].  C’est pourquoi elle conteste son lien de droit avec cette société, étant formelle n’avoir traité qu’avec Maurice Bélanger personnellement à titre d’entrepreneur général responsable de l’ensemble des travaux.

[17]        Il est exact, comme le dit monsieur Bélanger, qu’elle a fait elle-même des achats de matériaux chez les fournisseurs de monsieur Bélanger mais elle a toujours fait référence au compte de « Maurice Bélanger », ignorant le nom de sa société et même l’existence de celle-ci.

[18]        Monsieur Bélanger déclare pour sa part que chaque personne était engagée individuellement et devait être payée comme tel, prétention que le Tribunal ne retient pas.  C’était lui personnellement qui était le responsable de l’ensemble ces travaux.

[19]        C’est pour justement éviter le genre de confusions mentionnées ci-dessus et toutes les autres malentendus survenus durant l’exécution du contrat qu’il y a avantage d’avoir un contrat écrit en bonne et due forme avec devis.  C’est à l’entrepreneur qu’il appartient de le préparer et de le faire approuver par son client.  À défaut, il doit assumer les conséquences de ne pas avoir clarifié les divers éléments applicables au contrat et aux travaux.

[20]        Cela dit, c’est monsieur Bélanger lui-même qui a exécuté les travaux prévus à la place de son fils puisque celui-ci est devenu non disponible en raison de l’accouchement de son épouse.

[21]        Le 9 décembre 2014, monsieur Bélanger demande le paiement d’un acompte en « cash » de 9 950 $ qui lui est versé le 16 décembre 2014 [3], comprenant 7 450 $ pour l’ébéniste Dagenais et 2 500 $ pour les ouvriers.

[22]        D’autres paiements en « cash » sont effectués aux dates suivantes à la demande de monsieur Bélanger :

- 7 janvier 2015 :                                                                    1 525 $

- 9 janvier 2015 :                                                                       800 $

- 16 janvier 2015 :                                                                  1 850 $

- 23 janvier 2015 :                                                                  1 200 $

[23]        De plus, à la demande de monsieur Bélanger, madame Desroches fait deux paiements directs par chèques de 4 000 $ chacun à l’ébéniste Dagenais le 22 janvier et le 12 février 2015 [4] alors qu’il se trouve sur place.

[24]        On note donc que les paiements totaux faits par madame Desroches totalisent 23 325 $ sur les 25 000 $ convenus.

[25]        À compter du 6 février 2015, Bélanger inc. commence à transmettre un état de compte de 4 638,33 $ pour les appareils de plomberie et les matériaux de rénovation de la cuisine et de la salle de bains.  Cela fait passer les dépenses totales des travaux à près de 28 000 $ soit 3 000 $ de plus que l’estimé budgétaire de 25 000 $ du 19 novembre 2014.  Le seul «extra» mis en preuve est une réparation d’égout bouché.

[26]        Certaines factures de matériaux font référence à des travaux réalisés à Ste-Marie-Salomé qui n’ont rien à voir avec les travaux chez madame Desroches à Joliette et d’autres factures ne comportent pas d’identification du projet concerné.

[27]        Hormis son étonnement de recevoir les factures d’une entreprise qu’elle ne connaît pas, madame Desroches avait commencé à se plaindre à monsieur Bélanger à plusieurs reprises de travaux déficients :

-           plinthes mal dimensionnées (5 janvier);

-           travaux d’électricité et de plomberie effectués par monsieur Bélanger et monsieur Ladouceur sans qu’ils ne possèdent les cartes de compétence pour les exécuter (8 et 21 janvier);

-           comptoir de cuisine «chippé», o’gees (moulures) craqués (20 janvier, 2 février, 9 février);

-           installation d’un seul luminaire au dessus de ce comptoir alors que deux avaient été convenus (20 et 21 janvier);

-           installation du robinet de cuisine à l’envers avant d’être replacé (21 janvier);

-           pose d’un dosseret de cuisine beige alors qu’il devait être gris; les joints sont gris, le coulis est blanc, ce qui donne un ensemble plutôt laid.  Monsieur Bélanger dit qu’il trouve cela beau et que, de toute façon, il est trop tard pour changer (22 janvier);

-           joints de salle de bains craqués, mur de la chambre défoncé avec le nouveau bain (23 janvier);

-           portes d’armoires de cuisine en retard (l’installation sera complétée le 12 février et le 25 avril);

-           le 2 février, visite non annoncée de monsieur Bélanger; énumération par madame Desroches de malfaçons et de déficiences dans les travaux (qui ne seront pas corrigées);

-           plusieurs trous non réparés (4 mars);

-           2 mars : l’électricité saute en branchant la bouilloire; surcharge dans le panneau et installations électriques déficientes (5 mars);

-           malfaçons sur les portes d’armoires et tiroirs de cuisine dont la pose n’est pas terminée (30 mars).

[28]        Monsieur Bélanger reconnaît dans son témoignage à la Cour « qu’il restait de la finition à faire ».

[29]        De février à la fin mai 2015, monsieur Bélanger place des appels téléphoniques chez  madame Desroches pour se faire payer les factures de matériaux produites le 6 février.  Elle lui rappelle les travaux mal faits et il réplique que si elle ne paie pas, il va la poursuivre.  Il n’effectue aucuns travaux correctifs et n’offre pas de les faire. Le ton monte.

[30]        Monsieur Bélanger se présente également sans prévenir à quelques reprises au domicile de madame Desroches pour se faire payer et celle-ci l’avertit que s’il récidive, elle va appeler les policiers.

[31]        En avril 2015, madame Desroches fait réaliser par les Entreprises Danny Morin inc. un estimé du coût des travaux correctifs.  Dans une estimation révisée du 2 avril 2016, cette entreprise établit ce coût à 13 702,15 $, plus 373,67 $ pour les frais d’estimation [5].

[32]        Cette estimation a été réalisée à la condition que monsieur Morin ne soit pas tenu de venir témoigner à la Cour, ce qui explique son absence à l’audition.

[33]        Le 22 mai 2015, madame Desroches transmet une lettre contenant une liste des travaux qu’elle considère mal faits et qui doivent être complétés ou réparés [6].  Cette lettre n’aura pas de suite.

[34]        Le 30 septembre 2015, Distribution C.S. inc. fait transmettre par son avocat une mise en demeure réclamant le paiement du coût des matériaux, plus intérêts, pour une somme de 4 885,25 $ [7].

[35]        Distribution C.S. inc. dépose sa poursuite le 27 octobre 2015.

[36]        Madame Desroches réplique par une nouvelle mise en demeure détaillée datée du 15 novembre 2015 [8].

[37]        Le 11 mai 2016, madame Desroches réclame la somme 14 248,28 $ pour la correction des travaux et 3 000 $ en dommages et intérêts, réclamation qu’elle réduit à la somme de 15 000 $ et qu’elle insère dans sa demande reconventionnelle [9].

LES PRINCIPES DE DROIT APPICABLES AU LITIGE

1)    Quelles sont les principes juridiques applicables aux travaux réalisés « au noir »?

[38]        La Loi sur la taxe de vente du Québec[10] ainsi que la Loi sur la taxe d’accise[11] obligent tout commerçant, incluant un entrepreneur en construction, à percevoir et à remettre aux autorités fiscales le montant des taxes relativement à la vente et à l’installation de biens de consommation.

[39]        Il ne fait aucun doute que la partie demanderesse était soumise à cette obligation.

[40]        L’un des objectifs de la stratégie des parties consiste à esquiver le paiement des taxes de vente autrement exigibles.

[41]        Il ne faut pas non plus négliger qu’en procédant comme il le fait, l’entrepreneur se soustrait non seulement à son obligation de percevoir et de remettre aux autorités fiscales le montant des taxes à la consommation, mais également place une partie de ses revenus à l’abri de l’impôt.  Un Tribunal ne peut pas avaliser de tels stratagèmes.

[42]        Le client y trouve aussi son compte en payant moins pour ses travaux vu l’absence de taxes et des taux horaires de main-d’œuvre généralement réduits.  Le client profite donc lui aussi illégalement de sa participation à cette façon de faire.

[43]        De tels agissements sont contraires à la loi et à l’ordre public.

[44]        En vertu du Code civil du Québec, un contrat contraire à l’ordre public est nul :

9. Dans l’exercice des droits civils, il peut être dérogé aux règles du présent code qui sont supplétives de volonté; il ne peut, cependant, être dérogé à celles qui intéressent l’ordre public.

1373. L’objet de l’obligation est la prestation à laquelle le débiteur est tenu envers le créancier et qui consiste à faire ou à ne pas faire quelque chose.

La prestation doit être possible et déterminée ou déterminable; elle ne doit être ni prohibée par la loi ni contraire à l’ordre public.

1411. Est nul le contrat dont la cause est prohibée par la loi ou contraire à l’ordre public.

1413. Est nul le contrat dont l’objet est prohibé par la loi ou contraire à l’ordre public.

(nos soulignés)

[45]        La nullité d’un contrat «au noir» a déjà amené plusieurs collègues à rejeter toute poursuite intentée par un entrepreneur ou par un client du fait que les travaux ont été réalisés en marge de la loi [12].  On ne peut à la fois agir illégalement et ensuite requérir l’assistance des tribunaux lorsque l’affaire tourne mal.

[46]        Cette position n’est cependant pas unanime.

[47]        En effet, il serait notamment injuste qu’une partie à un contrat au noir imposé par son entrepreneur se retrouve sans aucun recours si celui-ci l’a exploitée.  La situation inverse peut aussi se produire si le client refuse indûment de payer à son entrepreneur des sommes qu’il lui doit du seul fait que le contrat a été exécuté au noir.

[48]        C’est là qu’intervient l’article 1422 du Code civil du Québec :

1422. Le contrat frappé de nullité est réputé n’avoir jamais existé.

Chacune des parties est, dans ce cas, tenue de restituer à l’autre les prestations qu’elle a reçues.

[49]        La restitution des prestations est prévue aux articles 1699 et 1700 du Code civil du Québec :

1699. La restitution des prestations a lieu chaque fois qu’une personne est, en vertu de la loi, tenue de rendre à une autre des biens qu’elle a reçus sans droit ou par erreur, ou encore en vertu d’un acte juridique qui est subséquemment anéanti de façon rétroactive ou dont les obligations deviennent impossibles à exécuter en raison d’une force majeure.

Le tribunal peut, exceptionnellement, refuser la restitution lorsqu’elle aurait pour effet d’accorder à l’une des parties, débiteur ou créancier, un avantage indu, à moins qu’il ne juge suffisant, dans ce cas, de modifier plutôt l’étendue ou les modalités de la restitution.

1700. La restitution des prestations se fait en nature, mais si elle ne peut se faire ainsi en raison d’une impossibilité ou d’un inconvénient sérieux, elle se fait par équivalent.

L’équivalence s’apprécie au moment où le débiteur a reçu ce qu’il doit restituer.

(nos soulignés)

[50]        Cela signifie que, dans la mesure du possible, chacune des parties doit remettre à l’autre ce qu’elle a reçu («en nature») et que si cela est impossible, on procède par l’octroi de compensations monétaires («par équivalent»).

[51]        En 2015, monsieur le juge Georges Massol résume la position de plusieurs juges qui, malgré des cas de fraude aux lois fiscales, ont néanmoins accepté de trancher les droits des parties dans les affaires dont ils étaient saisis [13]:

[45] « Un certain courant de jurisprudence supporte la non-intervention des tribunaux en cas de fraude aux lois fiscales.

[46] Dans d’autres affaires, on a plutôt décidé que la contravention à ce type de lois n’empêchait pas le Tribunal d’apporter un correctif en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés selon l’article 1699 C.c.Q. et donc, d’arbitrer le différend :

«1699. La restitution des prestations a lieu chaque fois qu’une personne est, en vertu de la loi, tenue de rendre à une autre des biens qu’elle a reçus sans droit ou par erreur, ou encore en vertu d’un acte juridique qui est subséquemment anéanti de façon rétroactive ou dont les obligations deviennent impossibles à exécuter en raison d’une force majeure.

Le tribunal peut, exceptionnellement, refuser la restitution lorsqu’elle aurait pour effet d’accorder à l’une des parties, débiteur ou créancier, un avantage indu, à moins qu’il ne juge suffisant, dans ce cas, de modifier plutôt l’étendue ou les modalités de la restitution. » (leurs soulignements)

[47] Il serait injuste qu’à cause des actes simulés des parties, celui qui a mal exécuté les services soit exempté de payer quelque somme que ce soit.

[48] Le Tribunal s’inspirera plutôt des pouvoirs qu’il a vertu de l’article 1699 C.c.Q. d’ordonner une certaine restitution ; ces pouvoirs d’intervention sont larges et servent à ne pas créer une injustice après que les parties soient à l’origine d’une dont ils ont été complices.

[49] Concernant l’article 1699 C.c.Q., on peut voir, dans les commentaires du ministre de la Justice, publiés à l’occasion de l’adoption de cet article :

« Ce principe de la restitution des prestations, applicable dans toutes les  situations visées, exclut ainsi un courant jurisprudentiel qui tend à refuser aux parties le droit à la restitution ou à la remise en état lorsque l’acte en cause est immoral. Une telle tendance, qui s’appuie, entre autres, sur l’adage que nul ne peut invoquer sa propre turpitude, n’a pas paru devoir être conservée, car elle conduit bien souvent à ajouter une seconde immoralité à la première, en provoquant l’enrichissement indu de l’une des parties. » (leurs soulignements )

[50] Les professeurs Langevin et Vézina confirment cette interprétation :

« Ces articles peuvent s’appliquer même dans le cas où la remise en état des parties découle de l’annulation d’acte immoral. En effet, le Code civil n’a pas retenu l’adage « Nemo auditur propriam turpitudinem allegans » (personne n’est entendu lorsqu’il invoque sa propre turpitude), puisqu’il « conduit bien souvent à ajouter une seconde immoralité à la première, en provoquant l’enrichissement indu de l’une des parties »

[51] Les auteurs Baudouin, Vézina et Jobin vont dans le même sens :

« 841 - Exceptions - […] Enfin, le tribunal, aux termes du nouvel article 1699, [L.Q. 1991. c. 64 alinéa 2] alinéa 2, obtient un vaste pouvoir discrétionnaire. Il peut refuser la restitution lorsqu’elle a pour conséquence d’accorder un avantage indu à l’une des parties ; il peut aussi dans ce cas changer l’étendue et les modalités de la restitution pour parvenir à un résultat équitable. Les tribunaux recourent de plus en plus souvent à ce pouvoir modérateur ; ils l’étendent même aux accessoires de la restitution, tel le remboursement des impenses. »

[52]        Les tribunaux, dans le cas de contrats réalisés «au noir», possèdent donc un pouvoir discrétionnaire qui doit être exercé en tenant compte de la nécessité d’équilibrer les droits des parties en cause selon leur mérite [14].

[53]        Ainsi, malgré l’illégalité du contrat de construction en cause, le soussigné est d’avis qu’il y aura lieu, dans l’analyse des réclamations respectives, de tenir compte des règles applicables à la restitution des prestations.

2)    Les règles applicables au contrat de construction

[54]        Nous sommes ici en présence d'un contrat d'entreprise au sens de l'article 2098 du Code civil du Québec qui se lit comme suit:

2098.  Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

[55]        Un contrat d'entreprise comporte des obligations pour les deux parties.

[56]        Pour le client, c’est de payer le prix du contrat (article 2098 C.c.Q.) et collaborer à l’exécution des travaux lorsque requis.

[57]        En ce qui concerne l'entrepreneur, il doit réaliser les travaux convenus selon les règles de l'art et dans le meilleur intérêt de son client.  L'article 2100 du Code civil du Québec prévoit ce qui suit:

2100.  L'entrepreneur et le prestataire de services sont tenus d'agir au mieux des intérêts de leur client, avec prudence et diligence. Ils sont aussi tenus, suivant la nature de l'ouvrage à réaliser ou du service à fournir, d'agir conformément aux usages et règles de leur art, et de s'assurer, le cas échéant, que l'ouvrage réalisé ou le service fourni est conforme au contrat.

Lorsqu'ils sont tenus du résultat, ils ne peuvent se dégager de leur responsabilité qu'en prouvant la force majeure.

(nos soulignés)

[58]        Chose notable, plusieurs entrepreneurs semblent croire que la règle est à l’inverse c’est-à-dire que ce sont les clients qui sont à leur service et qui doivent agir au mieux des intérêts de l’entrepreneur; du moins, ils agissent malheureusement comme si c’était le cas et ce sont leurs clients qui souffrent des conséquences.

[59]        Au sujet de la détermination du prix des travaux, les articles 2106 à 2109 du Code civil du Québec prévoient divers modes de fixation du prix.  Les articles 2106 et 2107 du Code civil du Québec applicables au présent litige se lisent comme suit:

2106.  Le prix de l'ouvrage ou du service est déterminé par le contrat, les usages ou la loi, ou encore d'après la valeur des travaux effectués ou des services rendus.

2107.  Si, lors de la conclusion du contrat, le prix des travaux ou des services a fait l'objet d'une estimation, l'entrepreneur ou le prestataire de services doit justifier toute augmentation du prix.

Le client n'est tenu de payer cette augmentation que dans la mesure où elle résulte de travaux, de services ou de dépenses qui n'étaient pas prévisibles par l'entrepreneur ou le prestataire de services au moment de la conclusion du contrat.

(nos soulignés)

[60]        Ainsi, sauf le cas de travaux imprévisibles au départ l’entrepreneur doit s’en tenir à son estimation.

[61]        À la fin des travaux, le client a droit de retenir des sommes pour réparer ou corriger les vices et malfaçons dans les travaux réalisés (article 2111 C.c.Q.) :

2111. Le client n’est pas tenu de payer le prix avant la réception de l’ouvrage.

Lors du paiement, il peut retenir sur le prix, jusqu’à ce que les réparations ou les corrections soient faites à l’ouvrage, une somme suffisante pour satisfaire aux réserves faites quant aux vices ou malfaçons apparents qui existaient lors de la réception de l’ouvrage.

Le client ne peut exercer ce droit si l’entrepreneur lui fournit une sûreté suffisante garantissant l’exécution de ses obligations.

[62]        Le client conserve également des recours pour les vices ou malfaçons non apparents au moment de la fin des travaux (article 2113 C.c.Q.) :

2113. Le client qui accepte sans réserve, conserve, néanmoins, ses recours contre l’entrepreneur aux cas de vices ou malfaçons non apparents.

 

[63]        La loi prévoit une garantie d’un an à ce sujet (article 2120 C.c.Q.) :

2120. L’entrepreneur, l’architecte et l’ingénieur pour les travaux qu’ils ont dirigés ou surveillés et, le cas échéant, le sous-entrepreneur pour les travaux qu’il a exécutés, sont tenus conjointement pendant un an de garantir l’ouvrage contre les malfaçons existantes au moment de la réception, ou découvertes dans l’année qui suit la réception.

[64]        Enfin, il arrive qu’un contrat ne se rende pas à terme, soit parce que le client renvoie son entrepreneur avant la fin, soit parce que c’est l’entrepreneur qui abandonne les travaux pour toutes sortes de raisons.

[65]        Il y a alors résiliation du contrat au sens des articles 2125 ou 2126 du Code civil du Québec :

2125. Le client peut, unilatéralement, résilier le contrat, quoique la réalisation de l’ouvrage ou la prestation du service ait déjà été entreprise.

2126. L’entrepreneur ou le prestataire de services ne peut résilier unilatéralement le contrat que pour un motif sérieux et, même alors, il ne peut le faire à contretemps; autrement, il est tenu de réparer le préjudice causé au client par cette résiliation.

Il est tenu, lorsqu’il résilie le contrat, de faire tout ce qui est immédiatement nécessaire pour prévenir une perte.

[66]        Advenant une résiliation de contrat, la situation est réglée par l’article 2129 du Code civil du Québec :

2129. Le client est tenu, lors de la résiliation du contrat, de payer à l’entrepreneur ou au prestataire de services, en proportion du prix convenu, les frais et dépenses actuelles, la valeur des travaux exécutés avant la fin du contrat ou avant la notification de la résiliation, ainsi que, le cas échéant, la valeur des biens fournis, lorsque ceux-ci peuvent lui être remis et qu’il peut les utiliser.

L’entrepreneur ou le prestataire de services est tenu, pour sa part, de restituer les avances qu’il a reçues en excédent de ce qu’il a gagné.

Dans l’un et l’autre cas, chacune des parties est aussi tenue de tout autre préjudice que l’autre partie a pu subir.

[67]        Ce sont là les principales règles qui s’appliquent à la présente affaire.

 

 

ANALYSE ET DÉCISION

            Préambule

[68]        Il y a plusieurs contradictions entre le témoignage de monsieur Bélanger et celui de madame Desroches.

[69]        Le Tribunal a déjà relevé précédemment qu’il accordait une plus grande fiabilité au témoignage de madame Desroches puisque celle-ci s’appuie sur des notes colligées à l’époque dans son agenda électronique.

[70]        De plus, tel que déjà mentionné, Distribution S. C. inc. et monsieur Bélanger sont fautifs de ne pas avoir préparé un contrat écrit précisant les principales modalités du contrat.  C’était à lui de le faire en tant qu’entrepreneur général et cela aurait pu éviter les nombreux malentendus et désaccords exposés à l’audition.

[71]        Il ne peut à la fois se contenter d’un contrat verbal pour être en mesure d’être payé en « cash » sans laisser de traces et ensuite bénéficier de la sympathie de la Cour quand les choses ne se passent pas à son goût.  On ne peut à la fois avoir le beurre et l’argent du beurre.

A)         La réclamation de l’entrepreneur Bélanger pour

matériaux impayés                                                                      4 638,33 $

[72]        La partie demanderesse réclame 4 638,33 $ plus intérêts pour les matériaux incorporés dans les travaux chez madame Desroches.

[73]        Tout d’abord, le Tribunal conclut que le contrat est intervenu entre madame Desroches et monsieur Bélanger personnellement.  Sa société n’était pas partie à ce contrat.  Pour cela, il aurait fallu que cela soit convenu clairement dès le départ, ce qui n’a pas été le cas.

[74]        De même, le Tribunal considère que c’est monsieur Bélanger qui était l’entrepreneur responsable pour l’ensemble des travaux, incluant ceux de l’ébéniste Dagenais dont il a retenu les services.

[75]        Nous avons vu précédemment (article 2107 C.c.Q.) [15] que lorsque le contrat a fait l’objet d’une estimation de prix, on doit s’en tenir au prix estimé, sauf si des travaux étaient imprévisibles ou qu’il y a eu des «extras» convenus.

[76]        Ici, l’estimation était de 25 000 $ et le seul «extra» mentionné a été la réparation de la conduite d’égout obstruée pour laquelle le Tribunal accorde 300 $, pour un total de 25 300 $.

[77]        Ainsi, le maximum auquel monsieur Bélanger pourrait avoir doit est 25 300 $.

[78]        Puisque madame Desroches a déjà versé 23 325 $ [16], cela laisserait un solde maximum de 1 975 $ à payer pour respecter l’estimé budgétaire convenu.

[79]        Nous y reviendrons plus loin.

B)            La demande reconventionnelle                                          15 000 $

[80]        Il est indéniable que monsieur Bélanger n’a pas agi aux mieux des intérêts de sa cliente, avec prudence et diligence, tel que prescrit par l’article 2100 C.c.Q.  Il a surtout agi dans son intérêt en se souciant peu de mettre et laisser sa cliente dans le pétrin.

[81]        De plus, le Tribunal considère que le contrat de construction a été résilié le 2 février 2015 par monsieur Bélanger.

[82]        En effet, à compter de cette date, celui-ci a cessé tous travaux même s’il était conscient «qu’il restait de la finition à faire».

[83]        Cela donne application aux articles 2126 et 2129 du Code civil du Québec énoncés précédemment.

[84]        Selon les termes de l’article 2126 du Code civil du Québec, monsieur Bélanger n’avait pas de «motif sérieux» pour cesser ses travaux.  Même s’il tente de justifier son geste parce que madame Desroches ne voulait pas payer les matériaux fournis, on a vu précédemment que le maximum auquel il aurait eu légalement droit alors était de 1 975 $.  De plus, il devait corriger les travaux déficients avant d’être payé au complet.

[85]        De plus, puisque madame Desroches avait le droit de retenir des sommes d’argent pour corriger et réparer les vices et malfaçons (article 2111 C.c.Q.), une retenue de ce montant était parfaitement justifiable.

[86]        Ainsi, en vertu de l’article 2126 du Code civil du Québec, monsieur Bélanger est «tenu de réparer le préjudice causé au client par cette résiliation» et, en vertu de l’article 2129 du Code civil du Québec, de «restituer les avances qu’il a reçues en excédant de ce qu’il a gagné» et de «tout autre préjudice que l’autre partie a pu subir».

[87]        Il en découle que monsieur Bélanger avait été payé presqu’au complet pour des travaux manifestement incomplets, bâclés et pour plusieurs non conformes aux règles de l’art.

[88]        C’est ici qu’entre en ligne de compte l’appréciation des travaux réalisés par Les Entreprises Danny Morin inc. [17].

[89]        Monsieur Morin a regroupé sous 7 rubriques les vices, défauts et malfaçons qu’il a constatés dans les travaux réalisés et qui doivent être corrigés, réparés ou refaits (taxes non incluses) :

1)    clous apparents sur les portes d’armoires, comptoirs de la cuisine et façades de tiroirs et panneaux de finition, laque de couleur inégale, comptoir «chippé» (photographies 1 à 58) :                         10 000,00 $

2)    moulure à corriger au-dessus de la vanité de salle de bains (photographie 48) :                                                                            85,00 

3)    joints de céramiques craqués ou mal faits dans la cuisine et la salle de bains (photographies 59 à 178) :                                             130,00 

4)    dosseret des armoires de cuisine de la mauvaise couleur à remplacer (photographies 77 à 79) :                                                               615,00 

5)    absence de moulure entre la céramique et le plancher de bois de la salle à manger et du couloir (photographies 61 à 64 et 68 à 71) :                                                                                                           275,00 

6)    trous et clous apparents dans le plafond en massonite de la salle de bains du sous-sol (photographies 81 à 83) :                                245,00 

7)    polissage d’égratignure sur bain :                                                 172,46 

TOTAL :                                                                                          11 522,46 $

[90]        Avec les frais d’administration et les taxes, le coût estimé de ces travaux totalise 13 874,61 $.  À cela s’ajoute le coût de l’expertise de 373,67 $.

[91]        Le chef de réclamation le plus important concerne l’item 1 :  les comptoirs et armoires (10 000 $).  À l’examen des photographies produites, il est manifeste que certains travaux correctifs pouvaient être réalisés sans tout remplacer (trous de clous à masquer, peinture et teinture à reprendre et à uniformiser, moulures à corriger ou à reprendre, panneaux à remplacer, accessoires de salle de bains et de cuisine égratignés).

[92]        Des portes craquées doivent être remplacées, le robinet du bain a été abimé et doit être remplacé, le revêtement du comptoir de cuisine est à remplacer («chippé» et mauvaise finition), des trous dans un meuble à masquer, ajuster une porte qui n’ouvre pas à cause du poêle, etc.

[93]        Le Tribunal aurait apprécié pouvoir interroger monsieur Morin sur l’étendue des travaux, et surtout sur la nécessité de tout remplacer plutôt que réaliser des travaux de finition.

[94]        L’absence de monsieur Morin à l’audition affaiblit la force probante des sommes prévues à l’item 1 qui sont élevées et qui ne comportent pour seuls détails que «matériaux» (9 475 $) et «main-d’œuvre» (525 $).

[95]        Compte tenu des remarques ci-dessus, le Tribunal fixe à 7 000 $ les sommes requises pour cet item no 1.  Lorsqu’on ajoute les six autres items, on obtient une somme de 8 522,46 $ pour l’ensemble des travaux correctifs estimés ci-dessus.  Avec les taxes applicables, c’est une somme de 9 798,98 $ qui doit être retenue pour corriger les travaux afin de les rendre conformes au contrat et aux règles de l’art.

[96]        Avec les frais d’expertise, cela totalise 10 172,65 $.

C)  Quelles sont les conséquences sur ces réclamations du fait que le contrat a été réalisé «au noir»?

[97]        Dans l’affaire Dion c. Soucy [18] rendue par Monsieur le juge Massol et que nous avons examinée précédemment, les faits présentent beaucoup de similitudes avec la présente affaire; il s’agissait d’aménager une cuisine et rénover une salle de bains.

[98]        Les demandeurs réclamaient le remboursement des sommes payées «au noir» au défendeur à cause des travaux mal faits.  De plus, le défendeur ne possédait pas les cartes de compétence appropriées, en violation de l’article 46 de la Loi sur le bâtiment [19] :

46. Nul ne peut exercer les fonctions d’entrepreneur de construction, en prendre le titre, ni donner lieu de croire qu’il est entrepreneur de construction, s’il n’est titulaire d’une licence en vigueur à cette fin.

Aucun entrepreneur ne peut utiliser, pour l’exécution de travaux de construction, les services d’un autre entrepreneur qui n’est pas titulaire d’une licence à cette fin.

[99]        Vu la contravention aux lois d’ordre public, le Tribunal pénalise les clients dans la détermination du prix du contrat qui était contesté :

[55] « Le Tribunal retiendra la moindre somme, soit 8 100 $, considérant l'imprudence et l'insouciance des demandeurs, qui ont transigé avec un entrepreneur sans contrat écrit, en n'exigeant aucun reçu et ce, même après le versement de sommes importantes.»

[100]     Par contre, le Tribunal conclut que les travaux étaient gravement non-conformes aux règles de l’art et que les clients avaient droit à réparation :

[107] « Aux termes de l'article 1699 C.c.Q., ce n'est qu'exceptionnellement que le Tribunal peut refuser la restitution, mais il peut, de façon discrétionnaire selon les faits qui lui sont soumis, « modifier l'étendue ou les modalités de la restitution ».

[108] Dans la présente affaire, il serait contraire à l'équité et à la justice que la Cour ne sanctionne pas la mauvaise exécution des travaux effectués par le défendeur. »

[101]     La loi prévoit que la restitution peu être faite «en nature» lorsque cela est possible.  Par exemple, il est plus facile de «restituer» les prestations lorsqu’il s’agit d’annuler une vente d’automobile défectueuse payée au noir, l’automobile pouvait être restituée au vendeur moyennant la remise d’une somme d’argent à être déterminée par le juge.

[102]     La situation est toutefois différente si un contrat a été en bonne partie exécuté, tel des travaux de construction.

[103]     Il ne serait pas raisonnable d’arracher les armoires, enlever les équipements et refaire ce qui a été fait et remettre au client les sommes payées pour l’exécution du contrat.

[104]     Il faut alors procéder «par équivalent» c’est-à-dire examiner les réclamations respectives et déterminer ce qui est équitable en fonction de la preuve entendue.

[105]     À cet égard, les auteurs Baudouin, Jobin et Vézina, dans leur ouvrage Les Obligations [20] concluent que la restitution ne peut avoir lieu que par équivalent quand la restitution en nature est impossible :

925 — Restitution par équivalent — « Lorsque la restitution en nature est impossible ou causerait un inconvénient sérieux, le débiteur peut alors restituer par équivalent. La restitution par équivalent, maintenant consacrée par le Code à l'article 1700, est particulièrement utile dans le cas de nullité d'un contrat d'exécution successive au sens strict, c'est-à-dire comportant une obligation de faire quelque chose et dont l'exécution s'étale dans le temps (contrat de travail, louage). Puisqu'il est matériellement impossible d'effectuer la restitution en nature de la prestation de faire qui a été exécutée avant la nullité ou la résolution (travail accompli, jouissance des lieux), la partie obligée à la restitution sera tenue de verser à l'autre une somme équivalente.

Or, comment déterminer la valeur de la prestation reçue ? Le législateur a laissé au juge le soin de procéder à cette évaluation il revient donc à la partie qui réclame la restitution par équivalence de faire la preuve de ce qu'elle considère être la juste valeur de la prestation. En effet, cette dernière correspond souvent, mais pas nécessairement à celle fixée par les termes du contrat (généralement le prix). C'est notamment le cas du locataire d'un logement dont la valeur sur le marché est inférieure au loyer sur lequel se sont entendues les parties lors de la conclusion du contrat. Faut-il alors exclure toute notion de profit du locateur afin d'arriver à déterminer la juste valeur de la jouissance des lieux ? Si oui, cette prestation sera probablement sous-évaluée par rapport au prix du marché qui, lui, tient compte d'un profit. Si par contre on inclut le profit, la valeur de la prestation pourra être surévaluée si un profit excessif a été inclus dans le loyer. Il convient donc de s'en tenir à un profit raisonnable compte tenu des circonstances. Le prix du marché peut servir de base au calcul, car il suppose un certain profit, mais il ne saurait être concluant.

Lorsqu'une partie doit restituer le prix reçu et que l'autre doit effectuer une restitution par équivalent, on effectue la compensation entre les deux montants, jusqu'à concurrence du moindre des deux (art. 1672 C.c.Q.). »

[106]     Dans son jugement, Monsieur le juge Massol conclut à l’octroi d’une somme d’argent pour dédommager les clients.  Il accorde le montant prouvé des travaux correctifs requis et non le remboursement du prix du contrat au complet tel que demandé.

[107]     D’autres juges ont exercé leur discrétion de différentes manières.

[108]     Dans St-Pierre c. Faubert [21], Monsieur le juge Faullem n’accorde pas aux clients de dommages-intérêts, ni l’indemnité additionnelle, ni les frais comme sanction d’avoir convenu d’un contrat au noir.

[109]     Dans Bélair c. Pavé Ex-Tra inc. [22], Monsieur le juge Vallée octroie quand même une compensation de 1 877 $ au client même si le contrat est illégal car il aurait été contraire à l’équité et à la justice de ne pas sanctionner la mauvaise exécution du contrat par l’entrepreneur.  D’autre part, il refuse d’accorder à celui-ci le solde impayé de son contrat (745 $).  Monsieur le juge Vallée avait conclu dans le même sens dans Robitaille c. Atelier Granite nature inc. [23].

[110]     Dans Cauchon c. Mailhot [24], Monsieur le juge Pierre Simard refuse à la cliente le paiement de dommages-intérêts (23 070 $) en raison de la mauvaise exécution des travaux à cause d’un contrat fait au noir.  Il refuse également à l’entrepreneur le paiement du solde de son contrat (10 410 $).

[111]     Dans DF Coffrages inc. c. Grimard [25], Monsieur le juge Pierre Bachand rejette à la fois la réclamation de l’entrepreneur et celle du client qui sont quasiment équivalentes afin qu’aucune partie ne bénéficie d’un avantage indu par rapport à l’autre.

[112]     En considération de ce qui précède, et tel que nous l’avons vu précédemment, monsieur Bélanger aurait normalement eu droit à la somme de 1 975 $ à titre de solde impayé sur le contrat.

[113]     En raison de ses agissements illégaux et du fait que la facturation des matériaux est douteuse vu la présence de factures n’appartenant pas au contrat de madame Desroches, le Tribunal ne lui accorde pas la somme de 1 975 $ à laquelle il aurait normalement pu avoir droit.

[114]     Quant à madame Desroches, elle aurait pu avoir droit, en plus de la compensation de 10 172,65 $ pour reprendre les travaux mal faits, à une indemnité significative pour les soucis, troubles, ennuis et inconvénients qui lui ont été causés par la mauvaise exécution et l’attitude de monsieur Bélanger qui lui ont même valu une crise de tachycardie le 21 janvier.

[115]     Vu les circonstances, cette compensation ne sera pas accordée et la condamnation sera sans intérêts mais avec frais.

[116]     POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[117]     REJETTE la demande de Distribution Chauffage Solaire inc.;

[118]     ACCUEILLE en partie la demande reconventionnelle;

[119]     CONDAMNE monsieur Maurice Bélanger à payer à madame Maryse Desroches la somme de 10 172,65 $, sans intérêt mais avec les frais judiciaires de 217 $;

[120]     REJETTE l’appel en garantie contre monsieur Bélanger, sans frais.

 

 

__________________________________

RICHARD LANDRY, J.C.Q.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Date d’audience :

18 juillet 2016

 



[1]     Les 8, 16 octobre, les 5, 19 novembre et le 1er décembre 2014

[2]     Pièce P-2

[3]     Pièce D-3

[4]     Chèques « en liasse » pièce D-14

[5]     Pièce D-15

[6]     Pièce D-8

[7]     Pièce P-1

[8]     Pièce D-1

[9]     Pièce D-16

[10]    RLRQ c. T-01.

[11]    LRC 1985, c. E-15

[12]   Riccio c. Di Raddo, 2010 QCCQ 6889 (CanLII), J.E. 2010-1565 (C.Q., 2010-06-04); Beaudoin c. 9117-3310 Québec inc., 2012 QCCQ 537 (CanLII), AZ-50827478 (C.Q., 2012-01-23); Maluorni c. Izzo, 2011 QCCQ 1950 (CanLII) (C.Q., 2011-01-20) ; Arb-val Paysagiste inc. c. Labelle, 2011 QCCQ 1035 (CanLII) (C.Q., 2011-02-04); Limoges c. Tremblay, 2011 QCCQ 3667 (CanLII) (C.Q., 2011-04-14) ; YLT Gest-Expert inc. c. Laporte, 2011 QCCQ 9563 (CanLII) (C.Q., 2011-08-02) ; Girouard c. Toitures Yves Daignault inc., 2011 QCCQ 14844 (CanLII) (C.Q., 2011-11-16)

[13]    Leroux c. Toitures Martin Lafleur inc 2015 QCCQ 3524; lire aussi St-Pierre c. Faubert 2016 QCCQ 2175; Dion c. Soucy 2012 QCCQ 3084

[14]    Lire notamment à ce sujet le jugement de la Cour d’appel dans Amusements St-Gervais inc. c. Legault J.E. 2000-550 (C.A.)

[15]    Voir au paragraphe 59 ci-dessus

[16]    Voir paragraphes 21à 24 ci-dessus

[17]    Pièce D-15 et photographies D-10

[18]    2012 QCCQ 3084

[19]    RLRQ c. B-1.1

[20]    7e édition, 2013, Les Éditions Yvon Blais ltée, Cowansville, 1934 pages

[21]    2016 QCCQ 2175; lire aussi Leroux c. Toitures Martin Lafleur inc. 2015 QCCQ 3524

[22]    2014 QCCQ 3972

[23]    2012 QCCQ 14915

[24]    2012 QCCQ 16082

[25]    2015 QCCQ 4282

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.