Olymel St-Hyacinthe et Lopez |
2013 QCCLP 5392 |
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[1] Le 23 avril 2012, Olymel St-Hyacinthe (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 16 avril 2012 lors d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme sa décision initiale du 22 mars 2012, déclare que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 14 février 2012, soit une névrite ulnaire gauche et une épicondylite au coude interne gauche et qu’il a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[3] L’audience s’est tenue à Saint-Hyacinthe le 29 mai 2013 en présence des parties dûment représentées. La CSST a informé le tribunal de son absence à l’audience. Le dossier est mis en délibéré le même jour.
[4] Le 13 juin 2013, le tribunal procédait à une réouverture d’enquête. À cette occasion, le tribunal a fait parvenir au procureur de l’employeur une lettre précisant l’objet de cette réouverture d’enquête, demandant un complément d’information au Dr Éric Renaud, médecin expert de l’employeur ayant témoigné lors de l’audience.
[5] Le 8 juillet 2013, le procureur de l’employeur a fait parvenir au tribunal le complément d’opinion demandé au Dr Renaud. À ce complément, le procureur de l’employeur a joint un court argumentaire, réitérant sa position demandant d’accueillir la requête de l’employeur.
[6] Le dossier est de nouveau mis en délibéré le 15 juillet 2013, à l’expiration du délai d’une semaine accordé au représentant du travailleur pour qu’il produise des commentaires additionnels au soutien de sa position, le cas échéant.
LES FAITS
[7] De l’analyse du dossier, des documents produits et des témoignages reçus lors de l’audience, la Commission des lésions professionnelles retient les éléments pertinents suivants.
[8] Monsieur Luppardo Lopez, le travailleur, est au service de l’employeur depuis le mois de novembre 2008. Il y a occupé divers postes, notamment celui de dégraisseur, mais également d’écouenneur et de pareur[2]. Il est droitier.
[9] À compter du 31 janvier 2012, il débute à un nouveau poste de désosseur. Pour ce faire, une formation de deux semaines débute à cette date. Au cours de cette formation, le travailleur sera appelé à porter un manchon maillé au bras gauche, lui causant de l’inconfort, ce qui entraînera une première consultation médicale le 14 février 2012 et une réclamation à la CSST de sa part.
[10] Au formulaire « Réclamation du travailleur », monsieur Lopez donne la description suivante de « l’événement » qu’il situe au 14 février 2012 :
En effectuant mon travail de désosseur, je dois mettre un manchon maillé comme moyen de protection dans mon bras gauche. Je dois serrer mon manchon pour le faire tenir après mon bras, quand je serrais trop mon manchon maillé, j’avais la main engourdi et quand je ne le serrais pas assez, il descendait et l’élastique il frottait en dessous de mon coude gauche et j’ai commencé à ressentir une douleur en dessous de mon coude gauche. On avais trouver un moyen pour qu’il ne me blesse plus en accrochant après un sarreau et avec des snaps. Le sarreau était rendu trop sale, donc j’en avais pas de rechange pour raccrocher mon manchon. A cause de cela, ma douleur à augmenter et je suis aller consulter. [sic]
[11] Le 14 février 2012, le travailleur consulte le Dr Jean-Denis Lavoie. À l’attestation médicale initiale produite pour la CSST, le Dr Lavoie indique : « névrite ulnaire gauche ; paresthésie bras gauche et épicondylite coude interne gauche sur protecteur en cote de maille qui appuie sur le coude gauche [sic] ». Le médecin prescrit un arrêt du travail.
[12] Le 29 février 2012, le Dr Lavoie retient le diagnostic de névrite ulnarienne gauche. Il autorise pour le travailleur du travail en assignation temporaire où celui-ci n’a pas à travailler à la coupe de viande, et ce, à compter du 1er mars 2012. Il demande à revoir le travailleur dans trois semaines
[13] Le 5 mars 2012, monsieur Lopez est évalué par un autre médecin[3] qui pose le diagnostic d’épitrochléite du coude gauche. Le médecin prescrit des traitements de physiothérapie et recommande de cesser l’assignation temporaire.
[14] Le 7 mars 2012, l’employeur remplit le formulaire « Avis de l’employeur et demande de remboursement » sur lequel il s’oppose à la réclamation du travailleur en ces termes :
M. Lopez détenait auparavant un poste de dégraisseur mais occupait de façon variée, des postes d’écouenneurs membrane, de pareurs ou de dégraisseur. En fonction de son ancienneté, ce dernier est appelé à travailler de soir ou de jour selon les besoins de main-d’œuvre. C’est en juin 2011, qu’il a postulé sur un poste de remplaçant temporaire grade 16, l’amenant à apprendre le désossage également. Sa formation de désosseur a débuté le 31 janvier 2012, il était alors hors chaîne pour une semaine. La semaine suivante, soit le 7 février 2012, sa formation s’est poursuivie sur la chaine à la table 1.
Afin de désosser, M. Lopez est obligé de porter un manchon de maille qui est un équipement de protection fourni par l’employeur. Le manchon de maille est porté du coté non dominant pour protéger les risques de coupures avec le couteau. Dès son arrivé sur la table 4 (hors chaîne), nous avons fourni un manchon de maille à M. Lopez. M. Lopez s’est objecté à le porter. Il a exigé une rencontre syndicale pour faire valoir son point de vue mais s’est quand même vu forcer de le porter. Selon certains témoins, M. Lopez n’aurait pas porté le manchon au cours de la semaine. A compter du 7 février, alors que sa formation se poursuivait sur la table 1, M. Lopez a été surpris à ne pas porter le manchon de maille. M. Lopez informe son contremaitre à ce moment, qu’il n’est pas confortable avec le manchon. Son contremaître lui fait rencontrer l’employé responsable des ajustements qui lui installe des boutons pressions sur sa chemise. Plus tard dans la semaine, M. Lopez informe son contremaitre qu’il n’a pas sa chemise adaptée pour porter son manchon puisqu’il l’a mise au lavage. À cette occasion, nous apprenons que l’employé responsable des ajustements procède à des modifications des vêtements de travail, ce qui n’était pas permis puisqu’ils n’appartiennent pas à l’employeur. L’employeur informe le responsable des ajustements de ne pas modifier les vêtements de travail dans l’avenir. Dès lors, M. Lopez riposte et fait savoir qu’il ne portera plus le manchon sans un sarrau modifié. Considérant qu’il s’agit d’un équipement de protection obligatoire, nous lui exigeons le port du manchon tel qu’exigé à tout autre employé. M. Lopez rencontre à nouveau l’employé responsable des ajustements mais continue à se plaindre et informe l’employeur que certains employés sur le quart de soir, possèdent des chemises modifiées.
Suivant les propos rapportées par M. Lopez, l’employeur a procédé à une enquête à cet effet et a rencontré l’employé responsable des ajustements sur le quart de soir. Le mardi 14 février au matin, M. Lopez déclare une douleur à son coude gauche. Son contremaître l’avise que l’employeur est en démarche pour clarifier la situation et qu’une éventuelle solution à son problème est à venir. Malgré tout, M. Lopez signale qu’il quitte le travail pour aller consulter à 11 h 50 nous informant qu’il n’est pas écouté et que la seule façon de faire bouger les choses est d’aller consulter.
Nous sommes en désaccord avec sa réclamation pour plusieurs raisons. D’abord, M. Lopez a réagit des la remise de son manchon de maille au début de sa formation. Il a tenté de se relever de son obligation de le porter en prétextent toute sortes de raisons, il a même fait une démarche de plainte auprès de l’inspecteur CSST. Malgré que nous lui fournissions le support nécessaire pour répondre à son confort, il persistait à dénigrer l’équipement et ne démontrait aucune collaboration. Nous considérons simplement que M. Lopez agit de mauvaise foi et s’entête à vouloir avoir raison.
Le manchon de maille est un équipement de protection mis en place en remplacement d’un autre modèle. Le développement du manchon a été supervisé par le comité SST et n’est pas identifié comme un élément de risque de blessure. Il doit être porté obligatoirement par tous les nouveaux désosseurs.
M. Lopez a porté le manchon maillé sur une période maximale de 10 jours seulement (et ce, sachant qu’il ne l’a pas porté lorsqu’il était hors chaîne). Nous ne sommes pas en mesure de comprendre de quelle façon le manchon a pu lui occasionner une névrite ulnaire de son coude gauche et/ou une épitrochléite, d’autant plus que sa lésion entraine un arrêt complet de travail et exige des traitements de physiothérapie. La gravité de la blessure n’est pas conséquente avec la description de l’événement. Il se peut que M. Lopez souffre de lésion à son coude gauche mais nous doutons sérieusement de qui en est la cause.
Les diagnostics d’épitrochléite et/ou de névrite ulnaire ne sont pas des diagnostics de blessure et ne sont pas énumérés à l’annexe 1. Il n’y a aucun événement imprévu et soudain pouvant permettre l’application de l’article 2. Pour toutes ces considérations, nous vous demandons de refuser cette réclamation. [sic]
[Nos soulignements]
[15] Le 19 mars 2012, l’agente Véronic Veilleux de la CSST procède à la cueillette d’information en vue de déterminer l’admissibilité de la réclamation du travailleur et note ceci :
[…]
Appel fait à T.
T a été former sur un nouveau poste de désossage.
T dit qu’à se poste, il a travaillé environ 2 semaines et demi avec un manchon qui était mal adapté.
T m’explique que sur le quart de jour, les T doivent attacher le manchon directement sur le bras avec un élastique. Si T attache le manchon trop serré, T ressent des engourdissements dans la main et si celui-ci le met moins serré, le manchon glisse sous le coude et cela blesse le T au niveau du coude.
T m’explique que sur le quart de soir, il attache le manchon directement sur la chemise ce qui règle le problème.
T avait donc prit cette alternative mais il a du faire laver la chemise qu’il avait fait adapté et ce faisant, c’est blessé à nouveau.
T dit que sa douleur est apparue 2 à 3 jours après le début du port du manchon.
T dit que le manchon à un poids d’environ 2 à 3 lbs.
Le manchon arrive en haut du bras à la moitié du muscle deltoïde lorsqu’il est correctement ajusté.
Sur le poste de désossage, T a des rotations de poste vs l’os de croupe, l’os du centre et le découpage de viande.
T doit couper la viande avec son couteau qu’il tient de sa main droite et doit tenir et tourner les morceaux de viandes de sa main gauche.
Main dominante : T est droitier
Maintenant: Arrêt de travail au début, ATT à partir du 29 février et arrêt de nouveau le 5 mars 2012.
Demain : ATT (travail jumelage)
PVM : 26 mars 2012: Lavoie à la clinique St-Damase
TX: Physio de prescrit.
[…] [sic]
[Notre soulignement]
[16] Le 19 mars 2012, la Dre Chantal Brien, médecin conseil à la CSST, note ceci :
Titre : BM Admissibilité
- ASPECT MÉDICAL:
Considérant la description du fait accidentel,
considérant que le manchon en cotte de maille de 2 à 3 livres porté au bras G était mal positionné, et ce, pendant la majorité du quart de travail,
considérant que le T décrit la position du haut du manchon sous le niveau de coude, considérant qu’à se niveau , une pression soutenue peut causée une névrite du coude, considérant qu’à ce niveau la pression directe soutenue pendant la sollicitation des tendons épicondyliens internes G peut aussi causer une épicondylite interne,
il y a relation entre les Dx de névrite ulnaire G et épicondylite coude interne G et le FA décrit. [sic]
[17] Le 22 mars 2012, la CSST rend une décision par laquelle elle accepte la réclamation du travailleur pour un « accident du travail » en date du 14 février 2012, retenant alors les diagnostics de névrite ulnaire gauche et d’épicondylite coude interne gauche. Cette décision sera confirmée le 16 avril 2012 lors d’une révision administrative, d’où le présent litige.
[18] Le 26 mars 2012, le Dr Lavoie pose les diagnostics de névrite ulnaire gauche et d’épitrochléite gauche. Le médecin autorise une assignation temporaire et indique que la physiothérapie doit être débutée.
[19] Le 11 avril 2012, le Dr Lavoie parle d’une névrite ulnaire gauche en résolution. Il recommande de tenter un retour au travail régulier « en jumelage » à compter du 12 avril.
[20] Le 30 avril 2012, la Dre Josée Bérubé note une névrite ulnaire et une récidive des symptômes avec tentative de retour au travail « en jumelage ». Le Dr Bérubé suggère un arrêt de travail jusqu’au 7 mai 2012, date à laquelle le travailleur doit revoir le Dr Lavoie.
[21] Le 3 mai 2012, le travailleur est examiné par le Dr Éric Renaud, chirurgien orthopédiste, à la demande de l’employeur. À son rapport du 10 mai 2012, le Dr Renaud rapporte ceci à « l’historique »:
Il s’agit d’un homme de 24 ans, droitier, qui travaille à titre de désosseur chez son employeur depuis 4 ans. En fait, au moment de l’événement, monsieur était en formation. Or, l’employeur avait nouvellement instauré l’utilisation d’un manchon de maille afin de prévenir les coupures.
Or, monsieur m’indique qu’initialement, l’utilisation du manchon a entraîné l’apparition d’une douleur puisque l’élastique qui retenait celui-ci dans la région du coude était trop serré ou pas assez et le manchon descendait. Il tente alors de rattacher le manchon à la chemise ce qui est également inconfortable et provoque un frottement dans la région du coude ce qui entraîne l’apparition d’une douleur. Par la suite, il trouve un moyen d’éviter ce frottement en attachant le manchon sur le sarrau. Par contre, une fois le sarrau sali, il n’a plus de rechange et, encore une fois, le frottement du manchon de maille sur les surfaces du coude provoque une douleur.
[22] À l’examen subjectif, le Dr Renaud rapporte ceci :
Monsieur note une détérioration de sa condition. Il se plaint d’une douleur qui affecte la région postérieure proximalement à l’olécrâne, soit dans la région du tendon du triceps, du moins selon ce que monsieur m’indique. Cette douleur irradie jusqu’au niveau des 4e et 5e doigts avec des paresthésies.
La douleur varie de 3 à 7/10, augmentée par la pression locale et les positions statiques de plus de 5 minutes.
Par contre, il ne se plaint d’aucune symptomatologie à droite ni de cervicalgie.
[23] Le Dr Renaud rapporte ensuite l’examen objectif suivant:
Il s’agit d’un homme qui mesure 1 m 71 et pèse 68 kg. II collabore bien à l’examen et semble non souffrant pendant l’entrevue.
Tout d’abord, à l’inspection, je ne note aucune atrophie ou asymétrie aux dépens de la ceinture scapulaire, aucune position antalgique en cervical. La palpation cervicale provoque une douleur para-cervicale droite. Par contre, aucune douleur n’est notée aux dépens des trapèzes et aucun spasme n’est identifié.
Amplitudes de mouvements au niveau de la colonne cervicale
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Droite |
Gauche |
Flexion antérieure |
50° |
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Extension |
50° |
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Flexions latérales |
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30° |
30° |
Rotations |
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70° |
70° |
Seule la flexion latérale gauche provoque une douleur localement.
Aux épaules, je ne note aucune anomalie à l’inspection. Aucun décollement statique ou dynamique des omoplates n’est identifié. La palpation ne provoque aucune douleur.
Amplitudes de mouvements au niveau des épaules
Activement |
Droite |
Gauche |
Élévation antérieure |
180° |
180° |
Abduction |
180° |
180° |
Rotation externe |
40° |
40° |
Rotation interne combinée |
T7 |
T7 |
Passivement |
Droite |
Gauche |
Élévation antérieure |
180° |
180° |
Abduction |
180° |
180° |
Rotation externe (mesurée à 90° d’abduction) |
90° |
90° |
Rotation interne (mesurée à 90° d’abduction) |
55° |
55° |
Extension |
40° |
40° |
Adduction |
30° |
30° |
Les signes de Neer, de Hawkins, d’IRRST, de Jobe, de Press Belly et de lift off sont négatifs de même que la mise en tension de l’articulation acromioclaviculaire par la manœuvre en adduction. Seul le Speed provoque une douleur à la face interne du coude qui irradie à la région palmaire de l’avant-bras au tiers proximal à gauche.
La force au niveau de la ceinture scapulaire est bien préservée, sans douleur.
Aux coudes, je note peu d’anomalies à l’inspection. La palpation provoque une douleur bien localisée aux dépens de l’épitrochlée mais aucune douleur en externe ou à la pointe de l’olécrâne. Le Tinel est positif provoquant des paresthésies dans le territoire du cubital.
Amplitudes de mouvements au niveau des coudes
|
Droite |
Gauche |
Flexion |
145° |
145° |
Extension |
0° |
0° |
Pronation |
75° |
75° |
Supination |
90° |
90° |
La mise en tension des épitrochléens provoque une douleur à la pronation et la flexion résistée du carpe, douleur qui est plus importante lorsqu’évaluée [sic] le coude en extension qu’en flexion. Les autres mouvements résistés, soit l’extension du 3e doigt et du carpe et la supination résistée, sont indolores.
La force de flexion et d’extension du coude est tout de même symétrique.
Distalement, au niveau des poignets, je ne note aucune anomalie à l’inspection. La palpation ne provoque aucune douleur.
Amplitudes de mouvements au niveau des poignets
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Droite |
Gauche |
Flexion |
80° |
80° |
Extension |
80° |
80° |
Déviation cubitale |
45° |
45° |
Déviation radiale |
20° |
20° |
La force au niveau des poignets et des mains est symétrique.
La force de préhension mesurée par le dynamomètre à deux reprises, est respectivement de 42 et 44 kg à droite pour 26 kg à gauche.
La sensibilité et les réflexes ostéotendineux sont symétriques.
Mensurations |
Droite |
Gauche |
Bras |
26 cm |
26 cm |
Avant-bras |
25 cm |
24 cm |
[24] Au terme de cet examen, le Dr Renaud émet les commentaires suivants :
Discussion:
En somme, il s’agit d’un homme qui présente un examen compatible avec une épitrochléite du coude gauche ainsi qu’une névrite cubitale. Monsieur attribue cette symptomatologie au port d’un manchon de maille de protection qui, étant mal ajusté, occasionnait un certain frottement localement.
Il n’y a pas de fait accidentel c’est-a-dire [sic] de traumatisme localement ni de mouvement particulier qui a sollicité le bras gauche étant celui qui manipule la viande mais bien une douleur attribuable à l’utilisation de ce manchon de protection qui provoquerait un certain frottement localement, selon le travailleur.
L’examen effectué ce jour n’a pas démontré de signe d’érythème, d’abrasion cutanée, d’inflammation ou autre qui puisse être corrélé à un frottement en interne. Une douleur est provoquée à la palpation et à la mise en tension des épitrochléens.
Pour cette condition, je suggère des traitements d’acupuncture qui sont généralement efficaces. et ce, assez rapidement. En effet, si après 3 ou 4 traitements aucune amélioration n’était notée, on devra cesser cette modalité. Il y aurait alors lieu de procéder à une investigation plus approfondie pour évaluer s’il existe une condition sous-jacente.
Par ailleurs, quant à la névrite cubitale, je n’ai pas identifié d’atrophie de l’éminence hypothénarienne ou de diminution de la force au niveau des interosseux notamment à l’abducteur du 5e doigt. Je crois qu’il s’agit uniquement d’une irritation par contigüité de l’épitrochléite.
Néanmoins, cette condition persiste et, en fonction de l’évaluation à la résonance magnétique nucléaire si cet examen devient nécessaire, on pourrait compléter par un électromyogramme.
En réponse aux questions posées:
Diagnostic
Monsieur présente actuellement une névrite cubitale gauche ainsi qu’une épitrochléite du coude gauche (condition personnelle).
Date de consolidation
Les lésions ne sont pas consolidées actuellement.
Traitement
Pour ce qui est de l’épitrochléite, je suggère de procéder à de l’acupuncture. Si après 3 à 4 traitements aucune amélioration n’était notée, on devra cesser cette modalité et il y aurait alors lieu de procéder à une investigation complémentaire sous forme de résonance magnétique nucléaire.
En fonction du résultat et, selon l’évolution, un électromyogramme pourrait être justifié.
Limitations fonctionnelles
De façon temporaire et en cours de traitements, je suggère que monsieur évite:
· de soulever des charges de plus de 10kg avec le membre supérieur gauche;
· les mouvements répétés ou soutenus de pronation ou de flexion du poignet gauche.
Ces limitations seront à réévaluer en fin de traitements.
Possibilité de faire son travail régulier ou de faire un travail avec des restrictions en indiquant lesquelles.
Le travail est essentiellement effectué en pronation au niveau du membre supérieur gauche afin de manipuler des pièces de viande. Or, ceci ne respecte pas les limitations suggérées.
Toutefois, toute tâche qui respecte les limitations serait convenable et pourrait être effectuée en cours de traitements. [sic]
[25] Également le 10 mai 2012, le Dr Renaud produit un rapport médico-administratif à l’attention de l’employeur dans lequel il explicite davantage sa position en ces termes :
Madame,
C’est avec plaisir que j’ai évalué M. Lopez-Restrepo qui présente une épitrochléite et une névrite cubitale gauche par contigüité.
Or, je ne peux retenir de relation probable entre l’exposition au travail et le diagnostic retenu. En effet, les irritations par frottement ne sont pas un mécanisme reconnu afin de provoquer une épitrochléite.
De plus, monsieur ne décrit aucun mouvement à risque ni traumatisme localement mais bien uniquement le frottement secondaire au manchon maillé qui aurait provoqué la symptomatologie.
A noter qu’au questionnaire, les symptômes sont décrits comme plutôt localisés en brachial distal en postérieur tandis qu’à l’examen, la douleur est localisée à l’épitrochlée.
Somme toute, le mécanisme décrit ne peut de façon probable provoquer les lésions identifiées ce jour.
[26] Le 7 mai 2012, le Dr Lavoie parle toujours d’une névrite ulnaire gauche exacerbée au travail. Le médecin prescrit un arrêt du travail complet ainsi que des traitements de physiothérapie et d’acupuncture. Il demande une consultation en neurologie.
[27] Le 31 mai 2012, le Dr Lavoie pose de nouveau les diagnostics d’épitrochléite et de névrite ulnaire gauches. Il autorise du travail en assignation temporaire pour le travailleur et demande de poursuivre les traitements de physiothérapie et d’acupuncture entrepris. Au formulaire d’assignation temporaire complété le même jour, le Dr Lavoie précise que le travailleur peut être assigné à un « poste où il n’a pas à porter le protecteur contre les couteaux manchon en cote de maille [sic] ».
[28] Le 18 juin 2012, le Dr Lavoie pose toujours le diagnostic de névrite cubitale gauche. Il demande de poursuivre les traitements de physiothérapie et indique qu’il suggère de tenter un retour au travail régulier à raison de quatre heures/jour en jumelage à compter du 19 juin.
[29] Le 26 juin 2012, le Dr Roy neurologue, produit un rapport médical sur lequel il pose le diagnostic de névrite ulnaire gauche. Il recommande de cesser les traitements de physiothérapie et d’acupuncture à compter du 28 juin et d’effectuer un travail « jumelé » à raison de huit heures/jour. À son rapport de consultation, le Dr Roy rapporte ceci à l’histoire clinique:
Histoire clinique :
Ce patient de 24 ans fait un travail manuel. Il ne prend pas de médicament sur une base régulière. Au courant de l’hiver, il a développé un phénomène de douleur au niveau du coude gauche irradiant vers le versant cubital de l’avant-bras gauche jusqu’aux trois derniers doigts de la main. Ceci est survenu dans le contexte où il devait utiliser un manchon en métal protecteur, mal adapté selon lui, au niveau du bras. Il ne porte plus cette pièce d’équipement au travail et les symptômes ont clairement diminués [sic]. Il n’y a plus d’engourdissements au niveau de la main, il persiste une douleur au coude gauche.
À l’examen, la manœuvre de Tinel demeure positive à la gouttière cubitale. Il n’y a pas de déficit moteur ou sensitif.
[30] Au terme de son étude, le Dr Roy conclut ainsi :
Analyse et recommandations :
Cette étude n’identifie qu’une très discrète atteinte du nerf cubital à la gouttière au coude gauche, actuellement sans impact fonctionnel du point de vue clinique. Notons que les symptômes du patient ont nettement diminué dans le dernier mois, selon lui.
[31] Le 6 juillet 2012, le Dr Renaud produit un rapport complémentaire à l’attention de l’employeur. Le Dr Renaud y apporte de nouvelles précisions au sujet de l’admissibilité de la réclamation du travailleur par la CSST. Il écrit :
Madame,
En réponse à votre courriel du 22 juin 2012, voici les précisions demandées.
En résumé, il s’agit d’un homme qui, après avoir utilisé de l’équipement protecteur, soit un manchon en maille d’acier, a noté un frottement qui aurait entraîné l’apparition de douleurs à la face interne du coude gauche.
Suite à l’événement, les médecins retenaient les diagnostics d’épitrochléite et de névrite du coude gauche et différents traitements étaient entrepris.
Le 3 mai 2012, à votre demande, je produisais une expertise médicale. Au moment de mon évaluation, monsieur recevait des traitements de physiothérapie et bénéficiait d’un arrêt de travail. Aux plaintes subjectives, monsieur notait une détérioration de sa condition et se plaignait d’une douleur qui variait de 3 à 7/10. À l’examen objectif, il n’y avait peu d’anomalies en proximal, soit au niveau de la colonne cervicale et de l’épauIe. Aux coudes, la palpation provoquait une douleur bien localisée à l’épitrochlée gauche mais aucune douleur en externe ou en postérieur. Le Tinel était positif provoquant des paresthésies dans le territoire du cubital. L’amplitude des mouvements était complète. La mise en tension des épitrochléens provoquait une douleur en interne tant à la pronation qu’à la flexion résistée du carpe. La force de flexion et d’extension était tout de même préservée aux dépens du coude. Le reste de l’examen était sans particularité.
Suite à mon examen objectif, je retenais le diagnostic d’épicondylite du coude gauche avec névrite cubitale gauche. Par contre, je ne pouvais retenir de relation entre le port d’un équipement de protection, soit une cotte de maille en brachial et en anté-brachial, et le diagnostic. En effet, monsieur décrivait que la cotte de maille était difficile à ajuster, que souvent celle-ci se déplaçait et que le frottement provoqué par la cotte de maille serait responsable de l’épitrochléite ce qui, à mon avis, n’est pas un mécanisme de production de cette lésion. Par ailleurs, bien que monsieur était en arrêt de travail, je n’avais pas identifié de signe, d’érythème, d’abrasion cutanée ou d’atteinte localement.
Quant à la tâche de désosseur, monsieur est droitier donc utilise le couteau de la main droite pour effectuer la tâche. On sait que les désosseurs travaillent sur une chaine où les pièces sont amenées par un convoyeur et, dépendamment de la position, ils doivent faire une pièce sur trois. Le membre dominant maintient donc le couteau pour effectuer la coupe et, le membre non dominant, sert à manipuler la viande pour ensuite la positionner.
Or, après avoir visualisé le poste de désosseur, je constate que généralement les manipulations de la viande sont peu fréquentes et s’effectuent les bras le long du corps ou en légère en flexion les coudes légèrement fléchis, les poignets en position neutre de flexion, d’extension et de prosupination si non en légère pronation.
Monsieur m’indique que, lors de l’événement, il était en formation depuis deux semaines donc peu habitué au poste de désosseur. Il s’agit d’une période d’exposition trop courte afin de provoquer une lésion.
De plus, bien qu’il s’agit d’un travail avec une certaine cadence, plusieurs pauses et micro-pauses sont effectuées lors de la tâche, et ce, tant pour le membre dominant que le membre non dominant.
Or, pour répondre à la question posée, tel que mentionné lors de l’expertise du 3 mai 2012, je n’ai pas retenu de relation probable entre l’utilisation de la cotte de maille à titre de protection même mal ajustée et le diagnostic d’épicondylite avec névrite secondaire.
En effet, la névrite cubitale est probablement secondaire à l’inflammation au niveau de l’épitrochlée puisqu’il s’agit de deux structures anatomiquement très proches. De plus, monsieur était en formation au poste de désosseur depuis seulement deux semaines et les mouvements identifiés sont peu à risque de provoquer une irritation épitrochléenne.
Or, puisqu’il ne s’agit pas d’un fait accidentel mais bien d’une maladie professionnelle, on s’attendrait à ce que les mouvements à risque soient jumelés à une répétition, une certaine, exposition ou un élément de force ce qui n’est pas le cas.
La posture n’est pas jugée comme étant à risque bien qu’il s’agisse d’un travail cadencé car beaucoup de pauses et de micro-pauses sont effectuées. De plus, l’exposition est de trop courte durée afin de provoquer une lésion en interne.
Quant à la force, le membre supérieur gauche est utilisé pour manipuler les pièces de viande, soit les tourner ou les placer pour la coupe, mais ces efforts sont très sporadiques.
En somme, suite à mon évaluation, je n’ai pu identifier d’élément au dossier qui puisse établir une relation probable entre le poste de désosseur effectué par monsieur durant deux semaines, l’utilisation d’un manchon de protection et les diagnostics d’épitrochléite et de névrite cubitale gauche. [sic]
[Nos soulignements]
[32] Le 17 juillet 2012, le Dr Lavoie parle d’une « névrite coude gauche en résolution » et recommande la reprise du travail régulier pour le travailleur.
[33] Enfin, le 15 août 2012, le Dr Lavoie produit un rapport final, consolidant la lésion du travailleur au 18 juillet 2012, sans atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique ni limitations fonctionnelles. Au rapport en question, le Dr Lavoie indique : « névrite cubitale gauche causée par protecteur cote de maille. Ne plus porter ce protecteur [sic].
[34] À cet égard, en début d’audience, les parties ont admis que le travailleur a repris son travail régulier le 18 juillet 2012.
LE TÉMOIGNAGE DU TRAVAILLEUR
[35] Le travailleur a longuement témoigné lors de l’audience. De ce témoignage, le tribunal retient les éléments pertinents suivants.
[36] Monsieur Lopez, qui a débuté chez l’employeur en 2008, indique avoir obtenu par la suite un poste de désosseur pour lequel une formation de six à neuf semaines est requise. Le travailleur précise avoir débuté cette formation dans la semaine du 31 janvier 2012.
[37] Monsieur Lopez explique que durant la première semaine de formation, il a travaillé « hors-chaîne », accompagné de son formateur, monsieur Raynald Jodoin.
[38] Il affirme cependant que durant cette première semaine, son formateur lui a offert d’aller sur la chaîne « pour essayer la cadence », et ce, trois ou quatre fois par jour, à raison d’une demi-heure ou d’une heure à chaque occasion. Il ajoute avoir été « sur la chaîne » à compter de la deuxième semaine.
[39] Monsieur Lopez précise qu’il est droitier et que le travail au désossage n’était pas le premier travail où il devait utiliser un couteau, l’ayant déjà fait dans le cadre de son travail antérieur de « dégraisseur » et de « pareur ».
[40] À cet égard, il indique que dans le cadre de ces diverses tâches antérieures, il utilisait un manchon en plastique pour se protéger des blessures potentielles dues à l’utilisation d’un couteau.
[41] Or, au poste de désosseur, l’employeur exigeait de lui qu’il porte un manchon maillé (cotte de mailles en acier), et non un manchon de plastique, pour protéger son bras gauche, le travailleur maniant le couteau de sa main droite.
[42] Monsieur Lopez affirme s’être présenté à sa formation de désosseur, le 31 janvier 2012, muni de son manchon de plastique, mais indique que dès le départ, on l’a obligé à porter le manchon maillé. À cet égard, il affirme que le 31 janvier 2012, environ une heure après avoir débuté sa formation hors-chaîne, monsieur Michel, son contremaître, l’a rencontré et « l’a envoyé chercher son manchon maillé ».
[43] Des photos de cet équipement de protection sont déposées à l’audience. De plus, l’employeur a présenté au tribunal un exemplaire d’un tel manchon maillé. Il appert que cet équipement pèse 1,44 livre. Le manchon couvre l’avant-bras et s’attache par une fermeture velcro serrée à la jonction du tiers moyen et du tiers distal du bras.
[44] Le travailleur explique avoir travaillé avec le manchon maillé toute la journée du 31 janvier 2012 et affirme s’être plaint à son contremaître, à la fin de la journée, de douleurs à son coude gauche. Il ajoute avoir continué à porte son manchon maillé les jours suivants, toujours en se plaignant d’inconfort au niveau de son coude.
[45] Le travailleur explique que le manchon maillé s’attache sur la manche de son chandail à l’aide d’une courroie qui se fixe par une bande velcro. Le travailleur montre au tribunal, à l’aide du manchon dont il dispose, qu’il l’attache au tiers distal de son bras gauche. Il est alors mesuré (avec la collaboration du Dr Renaud, médecin expert de l’employeur) que la partie inférieure de la bande velcro est située à neuf centimètres de l’olécrâne.
[46] Monsieur Lopez précise que s’il serre trop fort pour attacher son manchon maillé, « il n’y a plus de circulation sanguine » jusqu’aux doigts de sa main gauche, lui causant des engourdissements dans les trois derniers doigts, alors que s’il ne serre pas le manchon maillé suffisamment fort, celui-ci descend sur son bras gauche, ce qui cause un frottement derrière son coude gauche, qui devient douloureux.
[47] Le travailleur affirme avoir ressenti de tels engourdissements aux trois derniers doigts de sa main gauche le 31 janvier 2012 alors qu’il avait serré son manchon maillé au point de laisser des marques sur la peau de son bras gauche, alors que dans les jours suivants, alors qu’il desserrait son manchon maillé, il a plutôt ressenti de la douleur derrière son coude gauche du fait du glissement de son manchon qu’il n’arrivait pas à ajuster correctement.
[48] Interrogé à ce propos par le tribunal, le travailleur précise que seuls les trois derniers doigts de sa main gauche engourdissaient et que pour diminuer ces engourdissements, il devait desserrer le manchon. Monsieur Lopez ajoute que le « picotement » diminuait, mais pas complètement. Au cours d’une journée travail, il pouvait ainsi devoir desserrer son manchon à trois ou quatre reprises.
[49] Par ailleurs, le travailleur ajoute « que la bande velcro frotte » et qu’il ressent une pression à la région post-distale du bras, le travailleur montrant au tribunal qu’il situe celle-ci légèrement en postéro-interne, à une distance de trois centimètres de l’olécrâne, site où ont débuté ses douleurs, deux ou trois jours après le début de sa formation.
[50] À compter du 6 février 2012, le travailleur est affecté « à la chaîne », toujours dans le cadre de sa formation. Il affirme qu’il porte alors toujours son manchon, mais qu’il se plaint de la situation à son contremaître. Monsieur Lopez témoigne qu’à ce moment, son contremaître lui rappelle son obligation de porter le manchon à cottes de mailles. C’est alors qu’il quitte la chaîne et demande à aller consulter son syndicat. Monsieur Lopez revient ensuite à la chaîne pour y travailler.
[51] Monsieur Lopez explique qu’il débute sa journée de travail du 7 février 2012 et qu’il informe son contremaître qu’il ne veut plus travailler avec son manchon maillé. Celui-ci l’envoie rencontrer monsieur Mario Boucher, responsable de l’ajustement des équipements de travail.
[52] Le travailleur indique qu’on lui fournit alors une chemise sur laquelle le manchon est fixé à l’aide de boutons-pression (« est snappé »). Monsieur Lopez indique avoir travaillé avec cette chemise fournie par l’employeur. Il affirme qu’en travaillant, avec le poids du manchon, c’est la chemise entière qui se trouvait à descendre sur son bras gauche, tout en remontant au niveau de son collet, du côté droit. Il ajoute qu’en pliant le bras, il se créait une pression à la région post-distale du bras, au même endroit que lors de l’usage du manchon maillé.
[53] Monsieur Lopez explique avoir ainsi travaillé deux ou trois jours avec ladite « chemise à snaps » avant que celle-ci ne soit sale. À ce moment, l’employeur lui a fourni une combinaison entière, avec boutons-pression à la manche, mais peu après, l’employeur lui a demandé de la retirer, un tel habillement n’étant pas autorisé au poste de désossage.
[54] Le 14 février 2012, monsieur Lopez doit donc de nouveau travailler avec le manchon maillé attaché à l’aide d’une bande velcro. Il affirme que cela a eu pour effet d’amplifier sa douleur au coude gauche, déjà présente depuis plusieurs jours. C’est alors qu’il décide de consulter un médecin.
[55] Contre-interrogé par son représentant, monsieur Lopez apporte les précisions suivantes relativement au travail qu’il est appelé à faire au poste de désosseur.
[56] L’horaire de travail de monsieur Lopez est de 6 h 50 à 15 h 08. Il s’agit pour le travailleur de désosser des fesses de porc « arrondies », d’environ 12 pouces sur 10 pouces. Pour ce faire, il travaille debout, sur une table qui lui arrive au niveau du nombril. Il dit porter un sarrau, un tablier en mailles, des gants de coton avec, à la main gauche, un gant maillé qui s’insère sur le manchon maillé (attaché par une courroie en plastique), lequel est lui-même recouvert d’un gant de latex qui vient sceller le tout. Quant à la main droite, le travailleur indique qu’il tient son couteau à main nue.
[57] Le travailleur décrit et montre au tribunal que lorsqu’il coupe une pièce de porc, ses bras sont en légère abduction à environ 15°, 15° de flexion et les coudes en flexion à 130°.
[58] Par ailleurs, le travailleur explique que sa main gauche sert au déplacement de la fesse de porc et à tirer sur les morceaux pour en faciliter les découpes. Enfin, il place les morceaux coupés sur un convoyeur, à l’aide de sa main gauche, soit trois morceaux par fesse. C’est dans l’exécution des gestes requis pour placer les morceaux coupés sur le convoyeur que le manchon maillé, tenu par une bande velcro, descend sur son bras gauche.
[59] Quant au processus de formation débuté le 31 janvier 2012, monsieur Lopez revient sur le fait que durant la première semaine de formation, l’employeur a exigé de lui qu’il porte le manchon maillé et que c’est à compter de la deuxième semaine que des ajustements ont été faits, à la suite de ses plaintes.
[60] Monsieur Lopez indique qu’on lui a d’abord fourni « une attache » pour relier par boutons-pression la bande velcro du manchon maillé au gilet maillé, mais il affirme que ce système ne fonctionnait pas, car il empêchait seulement la descente du devant du manchon maillé sur son bras gauche et non l’arrière.
[61] Ensuite, l’employeur lui a fourni la chemise avec boutons-pression, qu’il a utilisée pendant quelques jours à la chaîne, avant qu’elle ne soit sale. Monsieur Lopez précise que cet arrangement présentait l’inconvénient de se déséquilibrer en raison du poids du manchon de sorte que son col allait s’accoter sur le cou et que se créait également une pression à l’arrière de son coude gauche.
[62] On lui a alors ensuite fourni une combinaison, soit un ensemble pantalon-chemise, le manchon s’attachant avec des boutons-pression à la combinaison, avant que monsieur Luc Poirier, chef de production de l’usine, ne l’informe qu’un tel habillement ne pouvait être utilisé au désossage.
[63] Quant au travail fait lors de sa formation, monsieur Lopez revient sur le fait que lors de la première semaine, il s’est rendu à la chaîne de production, à plusieurs reprises quotidiennement, avec l’autorisation de son formateur. Lorsqu’il s’y trouvait, la chaîne fonctionnait « en temps réel », à un rythme de 253 fesses/heure, et s’il prenait du retard dans la découpe, c’est son formateur qui assurait la cadence en prenant le relais.
[64] Le travailleur précise qu’à la chaîne, on retrouve huit autres désosseurs participant à quatre étapes de découpe. Deux désosseurs s’occupent de « la découpe de l’os », trois désosseurs sont à « l’os du centre », deux désosseurs « à la première viande » et deux autres font « l’intérieur/extérieur ».
[65] Monsieur Lopez confirme avoir cessé de travailler le 14 février 2012 avant qu’il ne reprenne, par la suite à quelques occasions, du travail en assignation temporaire. Il confirme avoir repris son travail régulier au désossage en juillet 2012. À ce moment, il n’a pas terminé la formation débutée antérieurement.
[66] Par ailleurs, le travailleur précise que lors de son retour au travail en juillet, il a travaillé avec son manchon de plastique et qu’il n’a plus porté le manchon maillé.
LE TÉMOIGNAGE DE MONSIEUR FRANÇOIS MICHEL
[67] Monsieur Michel occupe un poste de superviseur chez l’employeur depuis 2006. En février 2012, il était le superviseur de monsieur Lopez, au moment de la formation qu’il recevait au poste de désosseur.
[68] Monsieur Michel témoigne du fait que la première semaine de formation donnée aux employés au désossage se fait hors-chaîne et que c’est à compter de la deuxième semaine que l’employé est appelé à travailler sur la chaîne de production. Il ajoute qu’à ce moment, le formateur accompagne l’élève pour de courtes périodes de dix à quinze minutes, trois ou quatre fois par jour, et on lui montre alors les quatre tâches de découpe de la fesse de porc.
[69] À son avis et à sa connaissance, un élève n’est jamais assigné à la chaîne de production la première semaine, mais bien à la deuxième semaine, si l’élève le demande. Il ajoute que ce fut le cas en l’espèce puisque le travailleur a demandé à travailler à la chaîne de production.
[70] Monsieur Michel témoigne avoir appris que le travailleur avait des « problèmes » avec son manchon maillé lorsqu’il s’est présenté à la chaîne, la deuxième semaine, débutant le 6 février 2012. À ce moment, il a vu que le travailleur portait un manchon de plastique. Il l’a alors avisé d’aller chercher son manchon maillé.
[71] Monsieur Michel explique que le travailleur lui a alors dit qu’il n’avait pas à porter un tel manchon maillé en raison de son ancienneté. Le travailleur s’est alors rendu « à son syndicat » et il est revenu à la table de découpe accompagné de monsieur Ménard, président du syndicat. À la suite d’une discussion, monsieur Ménard a alors dit au travailleur qu’il devait porter le manchon maillé. Monsieur Michel ajoute que le travailleur a alors utilisé le manchon maillé, mais qu’il s’est plaint que celui-ci « serrait trop ».
[72] Le lendemain, monsieur Michel a demandé à monsieur Boucher d’installer le manchon maillé sur une chemise et le travailleur s’est procuré ladite chemise, avec laquelle il a travaillé jusqu’à ce qu’elle soit sale. Après quoi, monsieur Michel a de nouveau exigé que le travailleur porte le manchon maillé.
[73] Monsieur Michel indique que c’est le 14 février 2012 que le travailleur lui a fait part d’une douleur au coude gauche et qu’il a alors complété le registre d’accident (pièce E-1).
[74] Contre-interrogé par le représentant du travailleur, monsieur Michel reconnaît qu’il ne se trouvait pas au côté du travailleur lorsque celui-ci était en formation. Il reconnaît par ailleurs « qu’il soit possible que le travailleur ait travaillé sur la chaîne lors de sa première semaine de formation », mais que cela aurait été à son insu et qu’il ne l’a pas vu.
[75] De même, s’il reconnaît avoir exigé du travailleur qu’il porte un manchon maillé lors de la deuxième semaine de formation, monsieur Michel précise qu’il « ne sait pas » que le travailleur avait un tel manchon maillé depuis le début de sa formation, la semaine précédente, tel que l’a indiqué la représentante de l’employeur au formulaire « Avis de l’employeur et demande de remboursement ».
[76] Par ailleurs, monsieur Michel ne se souvient pas si le travailleur a pu avoir allégué des douleurs à son coude gauche le 6 février 2012 au moment où il a demandé à rencontrer son syndicat. Il reconnaît toutefois que le travailleur s’était plaint « d’inconforts » avec l’utilisation du manchon maillé avant le 14 février 2012.
LE TÉMOIGNAGE DU DR ÉRIC RENAUD
[77] Le Dr Éric Renaud, chirurgien orthopédiste, a témoigné à la demande du procureur de l’employeur. Le tribunal lui a reconnu le statut de témoin expert en orthopédie.
[78] Reprenant les grandes lignes de son rapport de mai 2012, réalisé à la suite de son examen du travailleur le 3 mai 2012, le Dr Renaud indique qu’il a retenu au moment de cet examen que le travailleur présentait deux pathologies, soit une épitrochléite au niveau du coude gauche et une névrite cubitale, qu’il considère « contigüe » à l’épitrochléite.
[79] Dans le premier cas, le Dr Renaud explique que les facteurs de risque connus pour causer une épitrochléite sont l’accomplissement de mouvements de flexion/pronation du poignet associés à de la force et à une répétition à plus de 50 % de l’ensemble de la tâche.
[80] Il ajoute qu’une épitrochléite peut également être dite traumatique en présence d’un coup ou d’un contrecoup porté directement sur l’épicondyle/épitrochlée.
[81] À son avis, le travail effectué par monsieur Lopez à compter du 31 janvier 2012 ne peut avoir causé son épitrochléite au coude gauche. Selon le Dr Renaud, et selon le témoignage même du travailleur, l’on ne retrouve pas de facteurs de risques susceptibles d’expliquer l’épitrochléite dont il a souffert.
[82] D’autre part, cette épitrochléite ne peut davantage être attribuable « au frottement » lié au déplacement du manchon maillé sur son bras, l’irritation par frottement n’étant pas une cause connue pour générer une épitrochléite, et en ce sens, cette épitrochléite ne peut être dite « traumatique ».
[83] Quant à la névrite ulnaire ou cubitale dont le travailleur a souffert, le Dr Renaud considère qu’elle était secondaire à l’épitrochléite elle-même. Le Dr Renaud est d’avis que cette névrite n’a pas été causée par le frottement du manchon sur le coude, mais qu’il s’agit d’une inflammation en contigüité de l’épitrochléite, les sites anatomiques étant fort proches.
[84] Pour le Dr Renaud, cette névrite ulnaire ne peut davantage s’expliquer par le fait du serrement du manchon maillé sur le bras du travailleur à l’aide de la bande velcro. À son avis, une névrite ulnaire requiert une compression de ce nerf, mais en l’espèce, le Dr Renaud est d’avis que la compression qui s’effectuait au biceps était plutôt au niveau de l’artère brachiale, soit plus en distal.
[85] Contre-interrogé par le représentant du travailleur, le Dr Renaud reconnaît qu’il soit possible que le travailleur ait présenté deux pathologies distinctes et que l’on peut retrouver une névrite cubitale sans avoir d’épitrochléite. Il reconnaît également que des engourdissements aux 4e et 5e doigts sont des symptômes compatibles avec une névrite cubitale.
[86] D’autre part, il maintient son opinion voulant que ni le frottement du manchon maillé ni le serrement de ce manchon n’a pu provoquer la névrite cubitale du travailleur. En l’espèce, il ne peut dire pourquoi cette névrite est survenue mais il reconnaît qu’une névrite cubitale peut être d’origine idiopathique.
[87] Interrogé par le tribunal, le Dr Renaud a reconnu qu’à son examen du travailleur, il n’a pas fait d’examen neurologique ni d’examen vasculaire complet du bras, en particulier au regard du syndrome du défilé thoracique, car ce n’était pas la demande qu’on lui avait faite.
[88] Interrogé sur les constats faits par le Dr Roy, neurologue, à la suite de l’électromyogramme réalisé le 26 juin 2012, le Dr Renaud maintient son opinion sur l’absence de relation entre le travail fait par monsieur Lopez et la névrite cubitale dont il a souffert. Pour le Dr Renaud, il n’y a pas de lien probable entre cette névrite et l’utilisation du manchon maillé.
[89] Interrogé plus spécifiquement quant à savoir pourquoi le nerf cubital ne pourrait pas avoir été comprimé lors du serrement du manchon par le travailleur, le Dr Renaud indique que le nerf cubital est « très profond », encore plus profond que le nerf médian, et passe sous le nerf brachial, de sorte qu’à son avis, s’il y avait eu une compression suffisante pour causer une atteinte au nerf cubital, l’on aurait dû également retrouver des symptômes aux autres structures avoisinantes, ce qui n’a pas été rapporté.
[90] Enfin, le tribunal a attiré l’attention du Dr Renaud sur un extrait du recueil « Pathologie médicale de l’appareil locomoteur »[4] dans lequel les auteurs mentionnent que « Le nerf ulnaire peut être comprimé à l’aisselle (béquilles axillaires) ou au bras (pression externe) ». Le Dr Renaud a répondu qu’il n’avait pas vu ce genre de cas, sans toutefois commenter la plausibilité de cette situation.
[91] Au terme de l’audience, le tribunal a procédé à une réouverture d’enquête. Le 13 juin 2013, le tribunal faisait en effet parvenir au procureur de l’employeur la lettre suivante :
Me Ste-Marie,
Une audience s’est tenue le 29 mai 2013, dans le dossier en titre, au terme de laquelle il fut mis en délibéré par le tribunal.
Lors de cette audience, le Dr Éric Renaud a témoigné relativement à la question de la relation entre les diagnostics posés chez le travailleur et le travail décrit par celui-ci effectué le 14 février 2012 et pour lesquels une décision de la CSST a été rendue, reconnaissant que le travailleur aurait alors subi une lésion professionnelle.
Lors de son témoignage, le Dr Renaud n’a pas déposé de planche anatomique permettant de mieux visualiser les structures du membre supérieur droit [sic] du travailleur, site anatomique visé à la présente réclamation.
Le tribunal requiert que vous soumettiez à votre témoin expert, le Dr Éric Renaud, les schémas anatomiques ci-joints tirés de l’Atlas d’anatomie Netter, 5e édition (5 pages) et du site internet http.//chestofbookscom/health/anatomy/human-body.construction afin qu’il fournisse au tribunal des précisions au regard de la localisation anatomique du nerf ulnaire, plus précisément quant à sa profondeur à la jonction du tiers moyen et du tiers distal du bras, ainsi que sur la présence ou l’absence de structures entre la peau et le nerf ulnaire.
Le tribunal vous accorde un délai de trois semaines afin d’obtenir lesdits commentaires auprès du Dr Renaud. Si un délai additionnel s’avère nécessaire, nous vous demandons de communiquer avec le soussigné à ce sujet, et ce, le plus rapidement possible afin d’examiner la problématique.
Copie desdits documents est transmise au travailleur et à son représentant et ceux-ci pourront également émettre tout commentaire voulu, le cas échéant, à la suite de la réception des commentaires que pourrait faire le Dr Renaud. Un délai additionnel d’une semaine leur est dès lors accordé pour ce faire.
Le tribunal vous remercie de votre collaboration et vous prie d’accepter ses salutations les meilleures.
[Nos soulignements]
[92] Le 8 juillet 2013, le procureur de l’employeur faisait parvenir au tribunal l’opinion complémentaire requise auprès du Dr Renaud, ainsi que divers arguments au soutien de sa position dans le dossier, reprenant les grandes lignes de l’argumentation présentée à l’audience. Le tribunal croit utile de reproduire intégralement l’opinion complémentaire du Dr Renaud qui écrit :
Maître,
En réponse à votre lettre du 17 juin 2013, voici les précisions demandées.
Le trajet du nerf ulnaire au cubital est bien connu d’un point de vue anatomique. Issu du faisceau médian du plexus brachial, le nerf ulnaire chemine du côté médial du bras en compagnie du nerf médian à la portion proximale. Ces deux structures entourent l’artère brachiale.
Au tiers moyen, le nerf cubital traverse le septum intermusculaire médial et entre dans le compartiment postérieur du bras où il chemine devant le chef médial du triceps brachial. Il passera par la suite postérieurement à l’épicondyle médial ou l’épitrochlée qui pénètre dans le compartiment antérieur de l’avant-bras. Bien que le nerf soit du côté médial et chemine sur le chef médial du triceps brachial, ceci demeure une structure relativement profonde comme on peut le constater lors de la dissection chirurgicale. Le nerf est donc postérieur et séparé de la superficie par la peau, le gras et le septum.
Au tiers distal, il est également séparé de la superficie par la peau, les graisses sous-cutanées et un septum musculaire. Celui-ci est assez profond au niveau de la gouttière épitrochléo-olécranienne mais ceci peut être variable, certains nerfs étant plus superficiels que d’autres.
Or, je vous réfère aux planches anatomiques prélevées du livre d’anatomie de référence pour le cours dont je suis responsable à l’Université de Montréal.
S’il y avait eu une compression nerveuse secondaire à une compression externe, il serait plus probable que la branche cutanée antébrachiale médiane ait été compromise avant le nerf ulnaire. Ce dernier chemine également du côté médial et est superficiel, soit directement sous la peau dans les masses graisseuses.
Or, s’il y avait eu une compression dans cette région, on aurait dû s’attendre à une atteinte de cette branche beaucoup plus superficielle donc plus à risque d’être comprimée que peut l’être le nerf ulnaire,
Il serait difficile de comprendre qu’une compression externe ait pu provoquer une irritation du nerf ulnaire qui est plus profond et non pas du nerf cutané antébrachial médial qui, tel que mentionné, est plus superficiel et non protégé par le septum musculaire.
En espérant que ces précisions puissent éclairer le Tribunal, veillez agréer, Maître, l’expression de mes sentiments distingués.
L’AVIS DES MEMBRES
[93] Les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales partagent le même avis et croient que la requête de l’employeur doit être accueillie en partie seulement.
[94] Les membres sont en effet d’avis que la névrite cubitale gauche diagnostiquée chez le travailleur est attribuable à l’usage du manchon maillé imposé par son employeur, dès le début de sa formation à son nouveau poste au désossage, le 31 janvier 2012.
[95] À cet égard, les membres sont d’avis que le travailleur a subi un « accident du travail » au sens élargi de ce terme donné par la jurisprudence du tribunal dans la mesure où, en l’espèce, le fait qu’il ait débuté depuis peu de nouvelles tâches, en utilisant un nouvel équipement de protection personnelle, lequel présentait pour lui des difficultés d’ajustement occasionnant une compression de son nerf ulnaire, peut être assimilé à la notion « d’événement imprévu et soudain ».
[96] Par ailleurs, quant à ce diagnostic de névrite ulnaire, les membres ne retiennent pas l’opinion du Dr Renaud, médecin désigné de l’employeur, voulant que l’usage décrit du manchon maillé n’ait pu occasionner de compression de son nerf ulnaire gauche de nature à causer sa névrite. De l’avis des membres, le témoignage du Dr Renaud était loin d’être convaincant quant à la question de la « profondeur du nerf ulnaire », au niveau où le travailleur attachait son manchon maillé, et les explications additionnelles fournies par ce médecin, à la demande du tribunal, tout autant peu convaincantes.
[97] Toutefois, les membres retiennent l’opinion du Dr Renaud quant au diagnostic d’épitrochléite gauche posé chez le travailleur. Les membres considèrent à cet égard que la preuve, tant factuelle que médicale, ne permet pas de relier l’épitrochléite gauche du travailleur aux gestes posés dans le cadre de son travail de désossage et pas davantage au seul frottement de son manchon maillé sur son coude gauche.
[98] Pour les membres, cette épitrochléite gauche ne constitue ni un « accident du travail », ni une maladie professionnelle au sens de la loi.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[99] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a subi une lésion professionnelle le 14 février 2012.
[100] En l’espèce, la preuve révèle que le travailleur, au service de l’employeur depuis 2008, a par la suite postulé et obtenu un poste de « désosseur ». En vue d’accomplir ce travail, monsieur Lopez a débuté une formation à sa nouvelle tâche, à compter du 31 janvier 2012.
[101] D’emblée, le tribunal tient à souligner qu’il accorde une grande crédibilité au témoignage du travailleur, lequel a pu décrire précisément le contexte ayant entouré le début de son nouveau travail de désosseur et, notamment, les circonstances relatives à la formation reçue lors des deux premières semaines de travail à ce nouveau poste ainsi que l’inconfort ressenti par l’usage d’un manchon maillé imposé par l’employeur.
[102] Le tribunal considère que ce témoignage est dans l’ensemble crédible et il le préfère à celui rendu par monsieur François Michel, contremaître du travailleur, lequel témoignage n’a pas permis de mettre en doute les propos rapportés par le travailleur, notamment quant à la présence de monsieur Lopez à la chaîne de production dès la première semaine de formation et sur le fait que, dès le début de cette formation, il ait eu à porter un manchon maillé selon les exigences de l’employeur.
[103] La preuve disponible, que retient le tribunal, révèle que durant la première semaine de formation, le travailleur a travaillé hors-chaîne, mais également à la chaîne de production, devant utiliser un équipement de protection, à savoir un manchon maillé, attaché à l’aide d’une bande velcro au niveau de son biceps gauche. La preuve révèle également que le travailleur s’est plaint d’un inconfort généré par l’utilisation de cet équipement de protection et que si l’employeur a bien tenté de trouver des solutions pour accommoder le travailleur à l’égard des plaintes formulées relativement à l’usage du manchon maillé, au final, il est indubitable que le travailleur a porté un tel équipement lors de sa première semaine de formation, puis, dans la seconde semaine, après avoir porté une chemise à boutons-pression permettant de fixer son manchon maillé et ensuite brièvement une « combinaison » au même usage, qu’il a dû recommencer à porter le manchon maillé, attaché par une bande velcro.
[104] Le 14 février 2012, le travailleur a quitté le travail et consulté un premier médecin, lequel a prescrit un arrêt du travail. Il s’en est suivi une réclamation par le travailleur à la CSST, laquelle, le 22 mars 2012, a déterminé que le travailleur avait subi une lésion professionnelle en raison d’un « accident du travail ».
[105] Pour les motifs suivants, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la requête de l’employeur doit être accueillie, mais seulement en partie.
[106] La loi donne les définitions suivantes :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
[107] Le tribunal rappelle qu’en l’absence de contestation, par l’employeur ou par la CSST, du diagnostic posé par le médecin du travailleur, selon la procédure d’évaluation médicale prévue à la loi, il est lié au diagnostic ainsi posé.
[108] En l’espèce, le médecin traitant du travailleur, le Dr Lavoie, a posé le diagnostic de névrite ulnaire gauche et d’épicondylite coude interne gauche lors de la consultation initiale du travailleur le 14 février 2012.
[109] Le médecin maintiendra par la suite le diagnostic de névrite ulnaire (ou cubitale) gauche tout au long de l’évolution du dossier. Par ailleurs, le Dr Lavoie posera plutôt le diagnostic d’épitrochléite à compter du 26 mars 2012 et le tribunal considère que c’est ce dernier diagnostic qui doit être retenu en l’espèce, ayant également été posé par le Dr Renaud, plutôt que celui d’épicondylite gauche.
[110] Ainsi, la preuve révèle que le travailleur a souffert, à compter du 14 février 2012, de deux pathologies : une névrite ulnaire gauche et une épitrochléite gauche (et non une épicondylite gauche, telle qu’acceptée par la CSST).
[111] D’emblée, le tribunal estime que la notion de maladie professionnelle ne peut trouver application en l’espèce.
[112] À cet égard, le tribunal retient entièrement l’opinion du Dr Renaud, médecin expert de l’employeur, notamment son opinion du 6 juillet 2012, voulant que le travail décrit par le travailleur, effectué entre le 31 janvier 2012 et le 14 février 2012, dans le contexte d’une formation à la tâche au métier de désosseur, n’ait pu causer l’épitrochléite gauche du travailleur.
[113] Tel que l’enseigne la jurisprudence du tribunal, les éléments à considérer au regard du diagnostic d’épitrochléite sont la répétitivité, la force et les postures des mouvements du poignet dans l’exécution des tâches. En l’occurrence, les mouvements de pronation et de flexion du poignet sont ceux qui sollicitent le plus les épitrochléens.
[114] Pour le tribunal, la description donnée par le travailleur lui-même des tâches de découpe des fesses de porc ne démontre aucune sollicitation contraignante de son membre supérieur gauche et, notamment de son poignet gauche, lequel n’est utilisé, en définitive, que pour retenir la viande lors de la coupe faite à l’aide de la main droite du travailleur et pour pousser les morceaux coupés sur le convoyeur.
[115] De l’avis du tribunal, la démonstration faite à l’audience par le travailleur du travail au désossage montre qu’en tout temps, son bras, son coude et son poignet gauches demeurent dans une position ergonomique lors de la découpe des fesses de porc.
[116] Au surplus, le tribunal estime que le travailleur a effectué un tel travail de découpe sur une période de temps nettement trop courte pour que l’on puisse considérer qu’il aurait à cette occasion effectué des mouvements dits « répétitifs » et ayant sollicité la structure anatomique ici en cause et qui auraient pu causer son épitrochléite.
[117] Chez le travailleur, la fréquence n’est pas un facteur en cause puisque jusqu’à l’apparition de ses symptômes, il avait surtout été en formation, donc à cadence diminuée; de même, des éléments de posture inadéquate ou de force n’ont pas été mis en preuve par le travailleur, au niveau de son membre supérieur gauche, ce qui rejette les facteurs de risque reconnus.
[118] Bref, de l’avis du soussigné, la preuve médicale disponible ne permet pas d’établir que l’épitrochléite gauche du travailleur résulterait de gestes posés et qu’il en serait résulté une maladie professionnelle.
[119] De l’avis du soussigné, la preuve offerte par le travailleur ne permet pas davantage de retenir que la névrite cubitale gauche dont il a souffert constitue une maladie professionnelle qui découlerait de ce même travail de découpe de la viande.
[120] À cet égard, le tribunal retient l’opinion du Dr Renaud voulant qu’une névrite cubitale découle d’une compression appliquée sur le nerf cubital. Or, les gestes de découpe des fesses de porc décrits par le travailleur n’ont révélé en soi aucune telle pression sur le nerf cubital lui-même.
[121] Ceci étant, le travailleur a-t-il été victime le 14 février 2012 d’un « accident du travail » tel que l’a déterminé la CSST ?
[122] Le tribunal souligne qu’en cette matière, le travailleur peut, selon certaines conditions, bénéficier de l’application d’une présomption. Si elle s’applique, on présume alors de l’existence d’une lésion professionnelle. L’application de la présomption exempte le travailleur de prouver la notion d’accident du travail.
[123] L’article 28 de la loi crée cette présomption comme suit :
28. Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 28.
[124] Pour bénéficier de la présomption de l’article 28 de la loi, le travailleur doit établir de façon prépondérante l’existence des trois éléments suivants : il a subi une blessure, cette blessure est arrivée sur les lieux du travail, alors qu’il était à son travail.
[125] En l’espèce, le procureur de l’employeur, citant l’affaire Boies et C.S.S.S. Québec-Nord[5], soutient que cette présomption est inapplicable dans la mesure où les diagnostics d’épitrochléite et de névrite cubitale gauche retenus chez le travailleur ne constituent pas en l’espèce des « blessures » en l’absence de cause traumatique. Invoquant la même décision jurisprudentielle, le représentant du travailleur plaide que le travailleur doit bénéficier de la présomption de l’article 28 à l’égard du diagnostic d’épitrochléite, ce dernier étant un diagnostic de type « mixte » au sens de l’affaire Boies, précitée.
[126] Avec égards, le tribunal est d’avis qu’en l’espèce, l’épitrochléite dont a souffert le travailleur ne constitue pas une blessure au sens donné à ce terme à l’affaire Boies.
[127] L’analyse du dossier révèle que le travailleur allègue l’apparition d’une douleur au niveau de son coude gauche après deux ou trois jours de travail alors qu’on lui a imposé le port d’un manchon maillé, lequel « descendait » sur son bras gauche.
[128] De l’avis du tribunal, l’on ne saurait voir dans l’apparition graduelle (et non subite) de cette douleur, dans un tel contexte, un caractère traumatique qui laisserait penser à la survenue d’une « blessure ». En fait, le tribunal retient de l’analyse des faits que le travailleur a plutôt parlé d’un inconfort au niveau de son coude gauche bien davantage que d’une douleur incapacitante qui pourrait suggérer la présence d’une blessure.
[129] Ceci étant, et même si le tribunal devait errer quant à l’application de la présomption de l’article 28 en question, le soussigné est d’avis que de toute façon, l’employeur a renversé l’application de cette présomption par une preuve de « non-relation » entre le diagnostic posé d’épitrochléite gauche et le travail effectué par monsieur Lopez[6].
[130] À cet égard, le tribunal retient l’opinion du Dr Renaud voulant que l’épitrochléite du travailleur n’a clairement pas été causée, de façon traumatique, par les gestes décrits par le travailleur dans l’accomplissement de ses tâches de découpe de la viande, tâches n’ayant en effet révélé aucun traumatisme particulier entre le 31 janvier et le 14 février 2012.
[131] De même, le tribunal retient l’opinion du Dr Renaud à l’effet que le frottement par le manchon, porté par le travailleur au niveau de son coude gauche, n’est pas une cause connue d’une épitrochléite et que dans tous les cas, en l’espèce, cette épitrochléite n’a pas été causée par un tel frottement.
[132] En conséquence et pour ces motifs, le tribunal est d’avis que l’épitrochléite gauche diagnostiquée chez le travailleur ne constitue pas une lésion professionnelle au sens de la loi.
[133] Qu’en est-il cependant de la névrite ulnaire gauche ?
[134] Monsieur Lopez a témoigné avoir porté dès le 31 janvier 2012, dans le cadre de sa formation à son nouveau poste au désossage, le manchon maillé exigé par son employeur. Il a précisé que l’utilisation de cet équipement de protection était nouvelle pour lui alors que dans le passé, dans l’accomplissement de son travail, il utilisait un manchon de plastique.
[135] Monsieur Lopez a décrit au tribunal en quoi l’usage de ce manchon maillé était problématique pour lui. Il a expliqué que s’il serrait trop la bande velcro attachant le manchon à sa manche, il ressentait des engourdissements jusqu’aux trois derniers doigts de sa main gauche, engourdissement disparaissant en desserrant le manchon, alors que s’il ne le serrait pas suffisamment, le manchon descendait sur son bras gauche, causant un frottement au niveau de son coude gauche.
[136] Au-delà des considérations qui relèvent des relations du travail entre l’employeur et le travailleur quant au fait que le travailleur était manifestement réticent à porter le manchon maillé qu’exigeait l’employeur, il n’en demeure pas moins que la preuve présentée au tribunal révèle que monsieur Lopez a porté ce manchon maillé le 31 janvier, puis les 1er , 2 et 3 février 2012, ainsi que le 14 février, date à laquelle il a quitté le travail pour aller consulter son médecin, le Dr Lavoie.
[137] À cet égard, le tribunal souligne que le témoignage du contremaître Michel n’a pas permis de nier la version du travailleur voulant qu’il ait porté ledit manchon maillé dès le 31 janvier 2012, ce qui, au surplus, est corroboré par les propos de la représentante de l’employeur au formulaire « Avis de l’employeur et demande de remboursement » alors qu’il est mentionné que : « Dès son arrivé sur la table 4 (hors chaîne), nous avons fourni un manchon de maille à M. Lopez. M. Lopez s’est objecté à le porter » [sic].
[138] De plus, le tribunal retient entièrement le témoignage du travailleur qui affirme que lorsqu’il portait le manchon maillé, il devait le serrer suffisamment, pour éviter qu’il ne glisse, ce qui avait pour conséquence de « lui couper la circulation sanguine » et lui occasionnait des engourdissements dans les trois derniers doigts de la main gauche.
[139] Dans son rapport du 10 mai 2012, à la suite de son examen du travailleur réalisé le 3 mai précédent, le Dr Renaud a posé chez monsieur Lopez le diagnostic d’épitrochléite gauche et de névrite ulnaire gauche. À son rapport, le Dr Renaud a précisé qu’à son avis, la névrite ulnaire en question était secondaire, par contigüité, à l’épitrochléite dont souffrait le travailleur et qu’il s’agissait de « conditions personnelles ». Dans tous les cas, le Dr Renaud s’est dit d’avis que ces conditions n’étaient pas en relation avec le travail débutant de désosseur du travailleur et le port par celui-ci du manchon maillé.
[140] D’emblée, le Dr Renaud, témoin expert de l’employeur, a soutenu les mêmes conclusions devant le tribunal.
[141] Si, pour les motifs énoncés précédemment, le tribunal a retenu les conclusions du Dr Renaud quant à l’épitrochléite diagnostiquée chez le travailleur, notamment que cette épitrochléite n’a pas été causée par le travail décrit de découpe des fesses de porc, ni par le frottement du manchon maillé au niveau du coude du travailleur, il en va autrement quant aux conclusions retenues par le Dr Renaud au sujet de la névrite ulnaire du travailleur.
[142] Lors de son témoignage, le Dr Renaud a affirmé, sans l’aide de planche anatomique, qu’à son avis la compression faite au niveau du biceps du travailleur, lorsqu’il serrait la bande velcro tenant en place son manchon maillé, était insuffisante pour avoir causé la névrite ulnaire gauche. Pour le Dr Renaud, la compression en question était par ailleurs « trop distale », se situant davantage au niveau de l’artère brachiale.
[143] Interrogé plus avant par le tribunal, le Dr Renaud a par ailleurs soumis qu’à la région où la bande velcro était serrée, le nerf cubital est très profond, bien enfoui et « protégé » par d’autres structures et que le travailleur aurait dû présenter des symptômes d’atteinte vasculaire ou du nerf médian avant même de voir apparaître des paresthésies référant au nerf cubital, si toutefois compression il y avait. Le Dr Renaud admet cependant qu’il pourrait y avoir une variante anatomique expliquant une compression inhabituelle.
[144] Avec égards, le tribunal ne retient pas cette opinion du Dr Renaud. D’emblée, le soussigné est d’avis que le Dr Renaud a minimisé la nature même de la compression décrite par le travailleur dans le serrement sur son biceps gauche de la bande velcro de retenue du manchon maillé. Le tribunal est d’avis que l’on peut difficilement considérer, comme le fait le Dr Renaud, que la compression décrite était insuffisante pour causer une névrite ulnaire alors qu’en l’espèce, le serrement en question laissait des marques sur le bras du travailleur, tel que l’a décrit monsieur Lopez.
[145] Par ailleurs, le Dr Renaud a soutenu que ledit serrement de la bande velcro n’était pas suffisant pour comprimer le nerf ulnaire en raison de la « profondeur » de ce nerf dans la structure du bras, opinion encore une fois peu compatible à ce qui est écrit dans Pathologie médicale de l’appareil locomoteur. Dans son témoignage, le Dr Renaud a soutenu que le nerf ulnaire est situé trop profondément pour être comprimé de façon significative par le serrement du manchon maillé. Il a mentionné que cette compression était très peu probable à la gouttière olécrânienne et est demeuré assez flou quant à une compression possible à la jonction des tiers moyen et distal du bras.
[146] Le tribunal s’est interrogé sur cette assertion du Dr Renaud au point de demander une réouverture d’enquête par laquelle il a spécifiquement demandé au Dr Renaud de situer cette « profondeur » du nerf ulnaire. En fait, la demande très précise du tribunal était la suivante :
Le tribunal requiert que vous soumettiez à votre témoin expert, le Dr Éric Renaud, les schémas anatomiques ci-joints tirés de l’Atlas d’anatomie Netter, 5e édition (5 pages) et du site internet http.//chestofbookscom/health/anatomy/human-body.construction afin qu’il fournisse au tribunal des précisions au regard de la localisation anatomique du nerf ulnaire, plus précisément quant à sa profondeur à la jonction du tiers moyen et du tiers distal du bras, ainsi que sur la présence ou l’absence de structures entre la peau et le nerf ulnaire.
[147] Le tribunal a reçu le rapport complémentaire du Dr Renaud à ce sujet et, avec égards, le tribunal estime que le Dr Renaud ne répond pas de façon précise à la question posée.
[148] En fait, Dr Renaud répond qu’à ce niveau, le nerf est donc postérieur et séparé par la peau, le gras et le septum. En réalité, le tribunal estime que le Dr Renaud évite la question et ne se prononce pas sur le fait que le nerf soit superficiel ou profond à ce niveau.
[149] De l’avis du soussigné, la preuve tant médicale que factuelle permet de conclure que la névrite cubitale gauche du travailleur résulte du fait qu’il devait serrer de façon importante, à la jonction du tiers distal et du tiers moyen de son bras gauche, la bande velcro permettant l’attachement du manchon maillé requis pour l’exécution de son travail.
[150] Le tribunal estime qu’à ce niveau, contrairement à l’opinion du Dr Renaud, que le nerf ulnaire n’est pas suffisamment profond pour être protégé d’une compression découlant d’un serrement de la nature de celui décrit par le travailleur.
[151] À cet égard, le tribunal retient que seul le Dr Renaud se dit d’avis que la névrite ulnaire gauche du travailleur n’a pas été causée par l’utilisation de son manchon maillé. Manifestement, le Dr Lavoie, médecin traitant, attribue la névrite ulnaire et les engourdissements aux doigts décrits par le travailleur à l’utilisation du manchon maillé. De même le Dr Roy, neurologue, qui a documenté une atteinte discrète du nerf cubital à gauche au niveau du coude, en régression au moment de la consultation du travailleur, n’a retenu à l’histoire clinique que le seul usage d’un manchon maillé comme cause de cette pathologie.
[152] Pour le tribunal, l’usage du manchon maillé, qui doit être fortement attaché pour qu’il ne glisse pas, est la cause la plus probable de la survenue de la névrite cubitale du travailleur.
[153] Monsieur Lopez a décrit comment il devait s’y prendre pour s’assurer que le manchon maillé ne glisse sur son bras, en serrant fortement pour l’attacher. Il a témoigné de l’apparition, dès le 31 janvier 2012, de douleurs décrites comme des engourdissements qui apparaissent lorsque le gant maillé est serré et précisé que ces engourdissements disparaissaient lorsque la courroie était relâchée.
[154] De l’avis du tribunal, cette description des faits est compatible avec la conclusion que la névrite ulnaire du travailleur résulte d’un problème purement mécanique attribuable à une compression.
[155] Le Dr Renaud est le seul à attribuer la névrite cubitale du travailleur à une épitrochléite de proximité, alléguant que l’inflammation attribuable à l’épitrochléite pouvait toucher le nerf cubital (ou ulnaire). Le tribunal ne retient pas cette opinion et préfère l’opinion du Dr Lavoie et du Dr Roy, neurologue qui a réalisé un électromyogramme le 26 juin 2012, qui, tous deux, ne retiennent que la seule compression locale du nerf ulnaire pour expliquer les paresthésies ressenties par le travailleur.
[156] Ceci étant, le tribunal est d’avis qu’il n’y a pas lieu de s’interroger quant à savoir si en l’espèce le travailleur peut ou non bénéficier de la présomption de lésion professionnelle édictée par l’article 28 de la loi en regard du diagnostic de névrite cubitale gauche, car de l’avis du tribunal, la preuve présentée par le travailleur permet de conclure, à l’égard de ce diagnostic, à la survenue d’un « accident du travail » au sens élargi donné à ce terme par la jurisprudence du tribunal.
[157] Le tribunal retient l’argument du représentant du travailleur voulant qu’en l’espèce, il y a lieu de reconnaître que le travailleur a subi un « accident du travail » au sens élargi donné à cette expression par la jurisprudence du tribunal.
[158] Cette jurisprudence du tribunal, à ce propos, est à l’effet que certaines circonstances peuvent être assimilées à la notion d’événement imprévu et soudain prévue à la loi.
[159] Ainsi, la jurisprudence reconnaît que la notion d’événement imprévu et soudain peut s’étendre à des changements majeurs dans les conditions de travail d’un employé[7] ou dans l’usage d’un nouvel équipement de protection mal adapté[8].
[160] Le soussigné est d’avis que tel est le cas en l’espèce. Le tribunal n’a aucune hésitation à reconnaître que dans le présent cas, le travailleur a vécu de tels changements dans ses conditions habituelles de travail, notamment en raison du fait qu’il a débuté un nouveau travail le 31 janvier 2012 pour lequel il devait utiliser un nouvel équipement de protection individuelle, à savoir un manchon maillé, alors que dans le passé, le travailleur utilisait un manchon de plastique, lequel ne lui causait pas de compression au niveau de son bras gauche.
[161] Tel que l’enseigne la jurisprudence, une telle situation est assimilable à la notion d’événement imprévu et soudain que l’on retrouve à la définition d’un « accident du travail ».
[162] Par ailleurs, la jurisprudence enseigne également qu’il n’est pas nécessaire d’identifier le moment précis de la survenance de l’événement imprévu et soudain, ni un mouvement particulier ou une série de mouvements lorsque la blessure est clairement physiologique et dans la mesure où la lésion s’est de toute évidence produite au travail[9].
[163] Le tribunal est d’avis que la balance des probabilités en l’espèce penche vers l’établissement d’une relation entre la névrite cubitale gauche diagnostiquée chez le travailleur et l’usage de son manchon maillé, nouvel équipement dans le cas de monsieur Lopez.
[164] De l’avis du tribunal, la preuve soumise par l’employeur n’a pas permis d’attribuer à une autre cause que le travail avec ce manchon maillé la névrite cubitale gauche de monsieur Lopez.
[165] Pour l’ensemble de ces motifs, le tribunal est d’avis que le travailleur a bel et bien subi une lésion professionnelle, le 14 février 2012, mais uniquement une névrite cubitale gauche, alors que l’épitrochléite dont il a souffert n’est cependant pas de nature professionnelle.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE en partie la requête de l’employeur déposée le 23 avril 2012;
MODIFIE la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 16 avril 2012 lors d’une révision administrative;
DÉCLARE que monsieur Luppardo Lopez, le travailleur, a subi le 14 février 2012 une lésion professionnelle, à savoir une névrite ulnaire gauche, et qu’il avait droit aux prestations prévues à la loi en regard de ce diagnostic.
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Michel Watkins |
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Me Louis Ste-Marie |
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CAIN LAMARRE CASGRAIN WELLS |
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Représentant de la partie requérante |
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M. Guy Rivard |
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T.U.A.C. (local 1991-P) |
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Représentant de la partie intéressée |
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Me Hugues Magnan |
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VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON |
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Représentant de la partie intervenante |
[1] L.R.Q. c. A-3.001
[2] Note du tribunal : tel qu’il appert du formulaire « Avis de l’employeur et demande de remboursement ».
[3] Note du tribunal : le nom du médecin est illisible.
[4] Yves BERGERON, Luc FORTIN et Richard LECLAIRE (dir.), Pathologie médicale de l'appareil
locomoteur, 2e éd., Saint-Hyacinthe, Edisem, Paris, Maloine, 2008, pp. 1007-1033, p.761.
[5] 2011 QCCLP 2775, 14 avril 2011 (Banc de trois juges)
[6] Voir en ce sens : Colonna et Lundrigan ltée (Comstock International), C.A.L.P.22395-60-9010, 14 décembre 1992, B. Lemay; Fuoco et Sûreté du Québec, [1993] C.A.L.P. 873; Morin et Twinpak inc., [1993] C.A.L.P. 77; Hôpital Louis-H. Lafontaine et Teasdale, [1993] C.A.L.P. 894; Poisson et Urgences Santé, [1999] C.L.P. 869; Provigo Distribution inc. et Ingui, C.L.P. 133677-71-0003, 20 octobre 2000, G. Robichaud, révision rejetée, 24 août 2001, M. Zigby; Boies et CSSS Québec-Nord, supra note 4.
[7] Voir par exemple : Roussel et Novabus Corporation, C.L.P. 103871-61-9808, 18 janvier 1999, M. Denis; Station touristique Mont-Tremblant et Cusson, C.L.P. 162176-64-0105, 11 février 2002, R. Daniel; Groupe matériaux à bas prix ltée et Lamoureux, C.L.P. 225735-61-0401, 14 septembre 2004, S. Di Pasquale; Riel et Banque Nationale du Canada, C.L.P.286461-71-0604, 22 novembre 2007, L. Landriault, révision rejetée, 16 juillet 2009, M. Langlois, requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Montréal, 500-17-052365-098, 15 juillet 2010, j. Verrier; Bouchard et Archibald & Fils, 2011 QCCLP 6368.
[8] Voir par exemple : Ouellet et Ville de Québec, 302537-31-0611, 8 juillet 2008, S. Sénéchal;
[9] Workmen’s Compensation Board et Theed, [1940] R.C.S. 553; Berthiaume et CDMV inc., C.L.P. 319271-62B-0706, 16 janvier 2008, J.-M. Dubois.
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