Décision

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R. c. Laurendeau

2007 QCCA 1593

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

N° :

200-10-002089-071

(155-01-001303-056)

(155-01-000846-063)

(155-01-000847-061)

(155-01-000930-065)

(155-01-000931-063)

 

DATE :

13 novembre 2007

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

FRANCE THIBAULT J.C.A.

BENOÎT MORIN J.C.A.

PAUL VÉZINA J.C.A.

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

APPELANTE - Poursuivante

c.

 

PASCAL LAURENDEAU

INTIMÉ - Accusé

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                La Cour est saisie du pourvoi de l'appelante contre une peine prononcée par un juge de la Cour du Québec, district de Roberval, (l'honorable Jean-Yves Tremblay), le 4 juin 2007.

*     *     *     *     *

[2]                L'intimé a plaidé coupable aux accusations suivantes qui concernent, entre autres, sa conjointe (J.T.) : 

155-01-001303-056

a)                  Le ou vers le 11 novembre 2005, à Roberval, district de Roberval, s'est livré à des voies de fait contre J.T. (1980-[...]), commettant ainsi l'infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité prévue à l'article 266b) du Code criminel.

b)                  Le ou vers le 11 novembre 2005, à Roberval, district de Roberval, a sciemment proféré une menace de causer la mort ou des lésions corporelles à J.T. (1980-[...]) et aux policiers de la Sûreté du Québec commettant ainsi l'infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité prévue à l'article 264.1(1)(2) b) du Code criminel.

155-01-000846-063

a)                  Le ou vers le 4 juin 2006, à Roberval, district de Roberval, a sciemment proféré une menace de causer la mort ou des lésions corporelles à J.T. (1980-[...]), commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 264.1(1)a)(2)a) du Code criminel.

155-01-000847-061

a)                  Entre le 1er mai 2006 et le 7 juin 2006, à Roberval,district de Roberval, a, étant en liberté sur son engagement contracté devant un juge ou un juge de paix, dans le(s) dossier(s) 155-01-001303-056 depuis le 15 novembre 2005, modifié le 23 janvier 2006 et le 24 avril 2006, omis de s'y conformer alors qu'il y était tenu, soit : la condition #8, ne pas importuner directement ou indirectement, suivre, épier ou harceler J.T., commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 145(30a) du Code criminel.

155-01-000930-065

a)                  Entre le 1er septembre 2003 et le 10 novembre 2005, à Roberval, district de Roberval, s'est livré à des voies de fait contre J.T. (1980-[...]), commettant ainsi l'infraction sur déclaration sommaire de culpabilité prévue à l'article 266b) du Code criminel.

b)                  Le ou vers le 26 décembre 2005, à Roberval, district de Roberval, a volontairement tenté d'entraver, de détourner ou de contrecarrer le cours de la justice, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 139(3) du Code criminel.

155-01-000931-063

a)                  Entre le 16 décembre 2005 et le 23 janvier 2006, à Roberval, district de Roberval, a, étant en liberté sur son engagement contracté devant un juge ou un juge de paix, dans le(s) dossier(s) 155-01-001303-056 depuis le 15 novembre 2005, omis de s'y conformer alors qu'il y était tenu, soit : à la condition no. 9), ne pas communiquer de quelque façon que ce soit avec J.T., commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 145(3) du Code criminel.

[3]                Le 4 juin 2007, le juge Jean-Yves Tremblay a prononcé la peine suivante :

ABSOUT conditionnellement le défendeur, sans suramende compensatoire;

ÉMET une ordonnance de probation d'un an, aux conditions statutaires et aux conditions additionnelles suivantes :

-          interdiction de communiquer avec et/ou de se trouver en présence de et/ou d'importuner la victime, sauf dans les deux premiers cas pour l'exercice de ses droits d'accès aux enfants du couple, conformément au jugement de la Cour supérieure du Québec;

-          obligation de rester en contact avec la maison LA CASA et de produire au dossier de la Cour des rapports ponctuels de fréquentation, aux trois mois;

-          obligation de suivre une thérapie contre la violence à GAPI ou à tout autre organisme spécialisé et d'en produire des rapports ponctuels au dossier de la Cour, aux trois mois;

-          obligation de se rapporter dans les plus brefs délais au Service de probation qui gèrera ses activités thérapeutiques et de se soumettre à toute autre démarche qu'on pourra décider;

-          obligation d'effectuer 240 heures de travaux communautaires sous un délai de six mois;

-          demeurer au [...], ville A et s'y trouver de 21 h 00 à 7 h 00, sauf pour travailler, pour motifs thérapeutiques, pour activités bénévoles ou pour respecter une condition de cette ordonnance. […]

*     *     *     *     *

[4]                L'appelante soutient que la peine d'absolution conditionnelle imposée est manifestement non indiquée. Tout en reconnaissant le principe de l'individualisation de la peine, elle plaide que le juge de première instance a mis de côté les principes et facteurs suivants :

-          la dénonciation et la dissuasion;

-          le fait que l'infraction perpétrée constitue un mauvais traitement de sa conjointe;

-          les circonstances aggravantes liées à la perpétration de l'infraction et à la situation de l'intimé.

*     *     *     *     *

[5]                Le critère d'intervention d'une Cour d'appel en matière de peine est connu. La Cour suprême a repris la règle dans R. c. Shropshire[1], R. c. M. (C.A.)[2], R. c. McDonnell[3], R. c. Stone[4], et R. c. Proulx[5]. Elle s'énonce ainsi :

[90] Plus simplement, sauf erreur de principe, omission de prendre en considération un facteur pertinent ou insistance trop grande sur les facteurs appropriés, une cour d'appel ne devrait intervenir pour modifier la peine infligée au procès que si elle n'est manifestement pas indiquée. […][6]

*     *     *     *     *

[6]                L'intimé est policier à la Sûreté du Québec à Roberval. Le 11 novembre 2005, il se porte à des voies de fait sur sa conjointe alors enceinte de huit mois et la menace de mort. Il menace également du même sort les policiers appelés sur les lieux. Il est arrêté et remis en liberté le 15 novembre 2005 après qu'il eut souscrit notamment l'engagement de ne pas communiquer avec sa conjointe.

[7]                Il viole cet engagement en écrivant dans les jours qui suivent de multiples lettres à sa conjointe. Il lui demande notamment de retirer sa plainte et de faire modifier les conditions de sa libération pour qu'il puisse communiquer avec elle.

[8]                À la demande de la conjointe de l'intimé, la condition numéro 9 de l'engagement souscrit par l'intimé lors de sa remise en liberté « ne pas communiquer de quelque façon que ce soit avec J.T. » est enlevée le 23 janvier 2006.

[9]                En juin 2006, l'intimé récidive. Il menace sa conjointe de mort et brise la condition numéro 8 de son engagement « ne pas importuner directement ou indirectement, suivre ou épier J.T. ».

[10]           L'enquête menée lors de cette récidive apprend au Ministère public 1) les bris d'engagements survenus entre les 15 novembre 2005 et 23 janvier 2006, 2) la méthode utilisée par l'intimé pour faire changer les conditions de son engagement et enfin 3) l'existence d'autres voies de fait survenues entre septembre 2003 et novembre 2005.

[11]           L'intimé a été détenu provisoirement du 9 juin 2006 au 6 septembre 2006. Il a été libéré moyennant certaines conditions.

[12]           À la suite de sa première arrestation de novembre 2005, l'intimé a profité de « démarches thérapeutiques » à la CASA, d'une durée de 28 jours, qui étaient complétées en décembre 2005. En avril 2006, il a fait un « séjour de ressourcement » dans le but d'éviter une rechute. Finalement, il a complété une deuxième thérapie de 28 jours en septembre 2006, après sa récidive.

[13]           Dans son « Rapport présententiel », l'agente de probation Isabelle Pagé indique qu'elle demeure « prudente face au risque de récidive présenté par le justiciable ». Elle fait aussi les observations suivantes :

Considérant l'ensemble de ces éléments, nous croyons que monsieur Pascal Laurendeau aurait avantage à maintenir une implication thérapeutique afin de consolider ses acquis, de bénéficier de soutien pour traverser les prochains événements potentiellement chargés d'émotions (règlement de la séparation conjugale et des droits d'accès aux enfants ainsi que convocation au comité de discipline de son employeur) et de poursuivre le deuil de sa relation conjugale. Parallèlement à ce soutien, nous croyons que monsieur devrait s'impliquer dans une thérapie spécialisée en violence conjugale telle que celle dispensée à GAPI. À plus long terme, nous sommes d'avis que monsieur gagnerait à obtenir un suivi psychologique afin d'approfondir le travail sur ses lacunes personnelles ayant contribué à la détérioration de son état psychologique et à la perpétration des infractions reprochées. Pour ce faire, il pourrait garder contact avec La Vigile, qui verra à le référer aux ressources appropriées au moment opportun.

Dans le but de protéger la victime et de soutenir la motivation et le cheminement de monsieur en regard du deuil de sa relation conjugale, nous croyons qu'une interdiction de contacter madame J... T..., sauf par l'entremise de son procureur, serait indiquée. Une interdiction de se rendre à son lieu de résidence et de travail serait aussi de nature à protéger madame, selon notre évaluation. Finalement, monsieur devrait être incité à suivre tout éventuel jugement en ce qui concerne les droits d'accès à ses enfants, de même que les modalités reliées.

[14]           La psychologue France Nadeau est du même avis. Le risque de récidive est limité s'il poursuit ses démarches thérapeutiques :

En conclusion, l'évaluation a permis de constater que monsieur Pascal Laurendeau possède de bonnes ressources internes et une ouverture d'esprit qui lui permettent d'évoluer sur le plan personnel. Aussi, il sent que le cheminement personnel qu'il a déjà débuté, lui est d'un plus grand bien. Il devra toutefois poursuivre son cheminement afin d'intégrer et de consolider ses acquis. Par ailleurs, dans l'optique où monsieur Laurendeau poursuit son développement personnel, le risque de passage à l'acte dans un geste dangereux est limité.

*     *     *     *     *

[15]           Avec les plus grands égards pour le juge de première instance, la Cour est d'avis qu'il a commis une erreur de principe et que la peine imposée est manifestement non indiquée, au sens retenu par la jurisprudence.

[16]           En fait, l'examen du jugement montre que la situation personnelle de l'intimé et sa réhabilitation sont les seuls facteurs qui ont été pris en compte par le juge de première instance :

[31] … Les efforts du défendeur, sa récupération aux plans physique et psychologique, le niveau de fonctionnement atteint et sa ferme volonté de continuer permettent de souscrire à sa suggestion de peine, sans compter les trois mois de détention provisoire qu'il purge en isolement. En outre, il traverse péniblement les éléments de dissuasion décrits aux paragraphes 19, second alinéa, 23, 24 et 25 de ce jugement. 

[17]           Les paragraphes 19, 23, 24 et 25 de son jugement auxquels le juge de première instance renvoie concernent la confiance du public dans le système judiciaire et les conséquences associées à une déclaration de culpabilité à une infraction criminelle pour un policier notamment la perte de son emploi.

[18]           Face à un crime de violence conjugale, si l'absolution conditionnelle n'est pas exclue en principe, elle ne sera indiquée que dans certains cas dont le présent ne fait pas partie.

[19]           La peine imposée en matière de violence conjugale répond à deux impératifs. Celui de dénoncer le caractère inacceptable et criminel de la violence conjugale et celui d'accroître la confiance des victimes et du public dans l'administration de la justice.

[20]           Les circonstances particulières de notre affaire militent en faveur d'une peine d'emprisonnement. L'intimé est policier, il connaît les rouages de l'administration de la justice et s'est servi de ses connaissances pour faire changer les conditions de son engagement de mise en liberté et contourner les règles. Pour arriver à ses fins, il a violé son engagement de ne pas communiquer avec sa conjointe. En plus, il a récidivé quelques mois à peine après sa remise en liberté. Ces faits, particulièrement troublants, s'opposaient à une absolution conditionnelle.

[21]           Que l'intimé ait pris les mesures pour contrôler sa violence est certes louable et cette réalité doit être prise en compte comme circonstance atténuante. De plus, la perte de l'emploi est un autre élément qui peut être considéré. Cependant, faire primer ces seuls éléments sur tous les autres principes et facteurs, sans raison particulière et en présence des circonstances aggravantes du dossier, constitue une erreur de principe qui permet à la Cour d'appel d'intervenir suivant les enseignements précités de la Cour suprême.

[22]           Le ministère public suggère qu'une peine d'emprisonnement d'un an à être purgée dans la collectivité serait appropriée. Après étude, la Cour est d'avis que les conditions prescrites à l'article 742.1 C.cr. sont réunies. Une peine d'emprisonnement d'un an à être purgée dans la collectivité aurait été appropriée, mais vu la détention provisoire et le respect des conditions de l'ordonnance de probation depuis le 4 juin 2007, la peine imposée sera de six (6) mois à être purgée dans la collectivité.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[23]           ACCUEILLE l'appel;

[24]           INFIRME en partie le jugement de première instance;

[25]           SUBSTITUE à l'absolution conditionnelle une peine d'emprisonnement d'une durée de six (6) mois à être purgée dans la collectivité, à compter du présent arrêt, avec les conditions obligatoires énumérées à l'article 742.3(1) C.cr. et l'obligation de demeurer à domicile pour les trois (3) premiers mois sauf aux fins de travail, pour raisons médicales, religieuses et travaux communautaires et pour les trois (3) derniers mois, l'obligation de demeurer à domicile de 20 h à 7 h, sauf aux fins de travail, pour raisons médicales, religieuses et travaux communautaires; l'ordonnance de probation prononcée en première instance demeurant inchangée à l'exception de la dernière condition qui est biffée.

 

 

 

 

 

FRANCE THIBAULT J.C.A.

 

 

 

 

 

BENOÎT MORIN J.C.A.

 

 

 

 

 

PAUL VÉZINA J.C.A.

 

Me Sonia Rouleau

Pour l'appelante

 

Me Denis Otis

Pour l'intimé

 

Date d’audience :

9 novembre 2007

 



[1]     [1995] 4 R.C.S. 227 .

[2]     [1996] 1 R.C.S. 500 .

[3]     [1997] 1 R.C.S. 948 .

[4]     [1999] 2 R.C.S. 290 .

[5]     [2000] 1 R.C.S. 61 .

[6]     R. c. M. (C.A.), précité, p. 565.

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