Décision

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Agromex inc. (Division viandes abattage)

2010 QCCLP 2581

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saint-Hyacinthe

30 mars 2010

 

Région :

Yamaska

 

Dossier :

401212-62B-1002

 

Dossier CSST :

134245505

 

Commissaire :

Michel Watkins, juge administratif

 

______________________________________________________________________

 

 

Agromex inc. (division viandes abattage)

 

Partie requérante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 4 février 2010, Agromex inc. (division viandes abattage) (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 1er février 2010 lors d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST conclut que la demande de révision de l’employeur est recevable même si elle fut déposée en dehors du délai prescrit à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) puisqu’il a démontré un motif raisonnable permettant de le relever des conséquences de son défaut.

[3]                Par cette même décision, la CSST confirme sa décision initiale déclarant que les frais visés par la demande de l’employeur, soit le coût d’une expertise médicale demandée par la CSST, doivent demeurer imputés à son dossier puisqu’ils sont en relation avec la lésion professionnelle.

[4]                Le 18 février 2010, la représentante de l’employeur produit une argumentation écrite en lieu et place de sa vacation à l’audience fixée au 9 mars 2010 et elle demande qu’une décision soit rendue sur dossier. Le dossier est mis en délibéré le 9 mars 2010.

LES FAITS

[5]                De l’analyse du dossier, la Commission des lésions professionnelles retient les éléments suivants.

[6]                La travailleuse est au service de l’employeur depuis le mois de novembre 2004 et y occupe un emploi de journalière lorsque le 12 janvier 2009 elle est victime d’une lésion professionnelle en raison d’un accident du travail.

[7]                Elle subit alors une lacération au majeur et à l’annulaire gauche pour laquelle elle subit le même jour une chirurgie, soit une réparation de 10 cm à l’annulaire gauche, une onycectomie radicale au même doigt et une greffe de peau de 15 cm carrés au majeur gauche, la peau étant prélevée sur l’abdomen. L’intervention est suivie de traitements de physiothérapie et d’ergothérapie.

[8]                La travailleuse reprend le travail le 2 février 2009 dans le cadre d’une assignation temporaire.

[9]                Toutefois, le 13 mars 2009, le docteur Haddad, médecin de la travailleuse, produit une attestation médicale prescrivant un arrêt du travail « pour raison psychologique » et demande à revoir la travailleuse dans un mois. Au formulaire d’assignation temporaire qu’il remplit le même jour, le médecin n’autorise pas le travail proposé par l’employeur et mentionne : « Arrêt de travail pour raison psychologique malgré amélioration de l’état de la main ».

[10]           Le 31 mars 2009, l’agent Maltais de la CSST note, à la suite d’un appel logé à la travailleuse, que celle-ci lui dit « être en dépression et que l’élément déclencheur est l’accident du travail ».

[11]           À compter du 6 avril 2009, la travailleuse sera suivie par deux médecins, la docteure Isabelle Masson pour une dépression et par le docteur Haddad, pour la lacération aux doigts.

[12]           Ainsi, le 6 avril 2009, la docteure Masson produit un rapport médical posant le diagnostic de « dépression secondaire à lacération main gauche ». Le médecin indique que la travailleuse est « sous traitement depuis 2 semaines et va un peu mieux ».

[13]           Puis, le 17 avril 2009, le docteur Haddad autorise un retour au travail progressif à compter du 20 avril 2009, mais le 21 avril 2009, la docteure Masson, retenant à nouveau le diagnostic de « dépression secondaire à lacération », prescrit un arrêt du travail jusqu’au 6 mai 2009.

[14]           Le 20 avril 2009, l’employeur écrit à la CSST pour lui demander de rendre une décision quant au nouveau diagnostic de dépression émis par la docteure Masson, soutenant que la CSST devrait refuser de relier ledit diagnostic à l’événement du 12 janvier 2009.

[15]           Le 28 avril 2009, l’agent Schiettekatte de la CSST discute avec la travailleuse. Il note au dossier que la travailleuse l’informe qu’elle doit terminer ses traitements d’ergothérapie le vendredi suivant, qu’elle revoit le docteur Haddad le 15 mai prochain et qu’elle ne croit pas qu’elle conservera des limitations fonctionnelles de sa lésion. Par ailleurs, l’agent indique que la travailleuse est suivie par la docteure Masson pour sa dépression et que selon la travailleuse, l’élément déclencheur fut l’accident du travail. L’agent rapporte enfin que la travailleuse s’est séparée de son conjoint et qu’elle a démissionné de son travail chez l’employeur. Au terme de sa conversation avec la travailleuse, l’agent indique ceci :

« Je lui explique que nous allons demander les notes cliniques au docteure Masson, car nous devons nous prononcer sur la relation entre le diagnostic de dépression et l’événement du 12 janvier 2009 ».

 

 

[16]           Le 4 mai 2009, l’agent Schiettekatte indique qu’il doit traiter la demande de l’employeur « d’établir la relation entre le nouveau Dx et l’événement d’origine ».

[17]           Le 5 mai 2009, la travailleuse est examinée par le docteur Mario Messier à la demande de l’employeur. Tel qu’indiqué au rapport du médecin produit le 8 mai 2009, l’employeur demande au médecin de se prononcer notamment sur les diagnostics apparaissant au dossier, incluant celui de dépression secondaire à la lacération ainsi que sur la relation entre ce dernier diagnostic et le travail. Au terme de son examen, le docteur Messier considère que la lésion à la main de la travailleuse est consolidée avec atteinte permanente et ankylose en position de flexion alors qu’il juge l’état dépressif comme étant amélioré partiellement et que « d’ici 2 à 4 semaines, la travailleuse devrait être apte à un retour au travail ».

[18]           Par ailleurs, le docteur Messier est d’avis que « la dépression majeure de la travailleuse constitue une condition personnelle liée à une prédisposition personnelle » et qu’il faut « considérer cette maladie comme une maladie intercurrente liée à une condition personnelle et à des facteurs de stress familiaux principalement ».

[19]           Le 6 mai 2009, la docteure Masson indique que la dépression va un peu mieux et maintient l’arrêt du travail jusqu’au 22 mai 2009

[20]           De son côté, le 15 mai 2009, le docteur Haddad autorise un retour au travail régulier à compter du 18 mai 2009.

[21]           Le 29 mai 2009, l’agent Schiettekatte note que la docteure Masson « est d’accord que nous [la CSST] désignons le docteur Denis Lepage pour faire expertiser T afin d’avoir son opinion sur l’état psychique de la travailleuse » et il rapporte également avoir indiqué à la travailleuse lors d’une conversation que « pour le moment elle est apte au travail selon le docteur Haddad, il nous reste à nous prononcer sur son état psychologique ».

[22]           Les rapports des docteurs Haddad et Messier s’infirmant quant à la date de consolidation à retenir pour la blessure à la main de la travailleuse, une demande est transmise Bureau d’évaluation médicale (BEM) par la CSST le 1er juin 2009.

[23]           Le 4 juin 2009, la docteure Lampron, médecin-conseil à la CSST note ceci :

« Titre : demande de 204 en psychiatrie sur les 5 points au docteur Lepage

Dx accepté de : lacération du majeur et de l’annulaire gauche - consolidées

Nouveau dx de dépression majeure secondaire aux lacérations sur lequel nous n’avons pas statué

Atcd personnel de maladie bipolaire

Avis sur les 5 points au docteur Lepage — code 9978-9949 et 9985

Opinion également sur la relation médicale entre le fait accidentel et le dx de dépression majeure compte tenu des atcds personnels mentionnés. »

 

 

[24]           Le même jour, l’agent Laniel de la CSST indique à sa note que la CSST procède à une « demande d’expertise en 204 au docteur Lepage, psychiatre, afin de faire préciser s’il y a relation entre la lésion psychologique et l’événement du 09-01-12 ».

[25]           Au formulaire « Demande d’examen et suivi » produit le 10 juin 2009 par la docteure Lampron, il est indiqué qu’on désigne le docteur Lepage, psychiatre, en vue d’une évaluation en vertu de l’article 204 de la loi et on lui demande de se prononcer sur les 5 points mentionnés à l’article 212 de la loi. On ajoute également ceci au formulaire :

« Dx accepté par la CSST : Lacération du majeur et de l’annulaire gauche.

Commentaires : Lésions physiques sont consolidées. Diagnostic de dépression secondaire à lacération non statué, antécédents personnels de maladie bipolaire. Relation entre la dépression et le fait accidentel? »

 

 

[26]           Le 22 juin 2009, la docteure Masson indique au rapport médical qu’elle produit que la dépression de la travailleuse est « traitée et contrôlée » et elle autorise un retour au travail régulier.

[27]           Le 23 juillet 2009, la docteure Masson indique que la « dépression s’améliore » et indique « travail régulier ». Le même jour, elle inscrit au formulaire d’assignation temporaire qui lui est soumis : « Travail régulier. S.V.P. cesser de me donner ce papier d’assignation, il n’est pas nécessaire! »

[28]           Le 24 juillet 2009, le docteur Léveillé, plasticien et membre du Bureau d’évaluation médicale, détermine que la lésion professionnelle de la travailleuse était consolidée à la date retenue par le docteur Messier, médecin désigné de l’employeur, soit le 5 mai 2009[2].

[29]           Le 6 août 2009, la CSST rend une décision à la suite de l’avis rendu par le docteur Léveillé du Bureau d'évaluation médicale et, considérant la date de consolidation retenue par ce médecin, détermine que la travailleuse pourra toucher des indemnités jusqu’à ce que la CSST se prononce sur sa capacité à exercer son emploi, c'est-à-dire lorsque l’existence d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles sera déterminée. L’employeur conteste cette décision qui sera maintenue le 9 septembre 2009 lors d’une révision administrative.

[30]           Le 7 août 2009, le docteur Haddad produit un rapport final consolidant la lésion de la travailleuse le même jour sans limitations fonctionnelles, mais avec une atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique (APIPP). Au rapport d’évaluation médicale (REM) qu’il produit le même jour, le docteur Haddad reconnaît à la travailleuse une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique de 15,3 %.

[31]           Le même jour, la travailleuse est examinée par le docteur Denis Lepage, psychiatre et médecin désigné par la CSST.

[32]           Au terme de son examen, le médecin ne constate aucune psychopathologie active et son diagnostic s’oriente vers celui de trouble d’adaptation plutôt que vers une pathologie reliée à la lésion professionnelle. Répondant précisément à l’interrogation de la CSST quant à la relation entre le diagnostic de dépression posé par la docteure Masson et l’événement accidentel, le docteur Lepage détermine « qu’on ne peut retenir un lien causal entre la blessure même et la dépression ».

[33]           Le 17 août 2009, l’agent Laniel note avoir reçu l’expertise demandée au docteur Lepage et indique que la CSST avait demandé cette expertise « afin de pouvoir obtenir une opinion sur la relation possible entre le diagnostic de dépression secondaire à lacération main gauche et l’événement du 09-01-12 ». L’agent indique par la suite que le rapport du docteur Lepage est expédié à la docteure Masson afin qu’elle puisse remplir un « Rapport complémentaire » également joint à l’envoi.

[34]           Le 18 août 2009, l’agent Laniel note qu’elle explique à la travailleuse avoir transmis à la docteure Masson le rapport du docteur Lepage et que si la docteure Masson est d’accord avec les conclusions du docteur Lepage, la CSST pourra rendre une décision alors que dans le cas contraire, la CSST demandera un avis au Bureau d’évaluation médicale.

[35]           Le 7 octobre 2009, la CSST détermine que la travailleuse conserve une atteinte permanente à son intégrité physique et psychique évaluée à 15,25 %. L’employeur conteste cette décision qui sera modifiée lors de la révision administrative le 17 novembre 2009, alors que l’on reconnaît à la travailleuse une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique de 12,36 %.

[36]           Le 7 octobre 2009, la CSST produit un « Relevé des sommes accordées et des sommes imputées » pour la période du 1er au 30 septembre 2009 et y avise l’employeur de l’imputation à son dossier de frais d’assistance médicale pour des consultations et actes médicaux du 10 juillet 2009 et des 6 et 7 août 2009, soit notamment les frais reliés à l’expertise demandée au docteur Lepage par la CSST et réalisée le 6 août 2009.

[37]           Le 14 octobre 2009, l’agent Laniel indique avoir reçu un fax de la docteure Masson dans lequel le médecin indique : « Pas de rapport à émettre, je suis d’accord avec le psychiatre ».

[38]           Le 20 octobre 2009, la CSST conclut qu’il n’y a pas de relation entre le diagnostic de dépression et l’événement du 12 janvier 2009. Cette décision n’est pas contestée.

[39]           Le 27 octobre 2009, l’employeur demande à la CSST de ne pas être imputé des divers frais d’assistance médicale relatifs au diagnostic de dépression, aux indemnités de remplacement du revenu versées à la travailleuse entre le 20 avril 2009 et le 4 mai 2009 et aux frais de l’expertise psychiatrique réalisée par le docteur Lepage le 6 août 2009. L’employeur fonde sa demande sur le fait que la CSST a refusé de relier le diagnostic de dépression à l’événement du 12 janvier 2009.

[40]           Le 5 novembre 2009, l’agent Laniel procède à traiter la demande de l’employeur et écrit ceci :

« Titre : Reçu fax de l’E. demande de désimputation de frais

Suite à demande de désimputation de l’E., reçue par fax le 09-10-27 et suite à discussion avec chef d’équipe, il est convenu de désimputer les frais d’assistance médicale (consultation et acte médicaux et établissement de santé-visite de contrôle) des 6 et 21 avril, 6 et 22 mai, 22 juin et 23 juillet et du 6 août 2009.

 

[…]

En ce qui concerne les frais relatifs à l’expertise psychiatrique du 6 août 2009, ces frais étaient nécessaires au traitement administratif du dossier en lien avec la lésion physique, donc aucune désimputation ne sera faite. »

 

 

[41]           Le 16 novembre 2009, l’agent Bissonnette téléphone à l’employeur pour l’informer de la décision de la CSST à la suite de l’analyse de sa demande de « désimputation » de frais. L’agent indique à l’employeur que :

-          les frais d’assistance médicale pour les visites médicales relatives à la dépression seront « désimputées »; [sic]

 

-          que la demande visant les indemnités de remplacement du revenu versées entre le 20 avril et le 4 mai, alors que la travailleuse s’est absentée d’une assignation temporaire pour une condition personnelle a été acheminée au Centre de partage d’imputation de la CSST;

 

-          que les frais de l’expertise médicale demandée par la CSST afin de statuer sur le diagnostic de dépression ne seront pas « désimputés » car « cette expertise a permis à la CSST de rendre une décision juste dans le dossier de la T ».

 

 

[42]           Le même jour, l’employeur demande la révision de la décision de la CSST relativement à l’imputation à son dossier des frais relatifs à l’expertise psychiatrique réalisée le 6 août 2009 à la demande de la CSST. Dans une autre lettre, l’employeur présente également une demande de partage de coûts en raison de la maladie intercurrente de la travailleuse, laquelle demande vise le versement des indemnités de remplacement du revenu à la travailleuse pour la période du 20 avril au 4 mai 2009.

[43]           Le 1er février 2010, la révision administrative maintient le refus de « désimputer » du dossier de l’employeur les frais de l’expertise psychiatrique du 6 août 2009, d’où le présent litige.

L’ARGUMENTATION DE L’EMPLOYEUR

[44]           Dans son argumentation écrite, l’employeur soutient essentiellement que l’expertise psychiatrique du  6 août 2009 visait à déterminer si la lésion psychologique de la travailleuse était en lien ou non avec l’accident du 12 janvier 2009 lui ayant causé une blessure à la main.

[45]           Pour l’employeur, cette demande d’expertise formulée par la CSST a généré des frais qui constituent des coûts administratifs et non des frais d’assistance médicale au sens de la loi de sorte que lesdits coûts doivent être imputés à l’ensemble des employeurs.

[46]           Invoquant l’article 326 de la loi, l’employeur soutient que les frais en question ne sont pas des « prestations » au sens donné à ce terme à la loi, tel que déterminé par le tribunal dans l’affaire Major Drilling Group int. inc.[3] puisqu’il ne s’agit pas d’un service donné au travailleur et ajoute que c’est le résultat auquel en est arrivé le tribunal dans une autre affaire, Club Coopératif de consommation d’Amos[4].

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[47]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la CSST était en droit d’imputer à l’employeur le coût des frais reliés à l’expertise réalisée à sa demande le 6 août 2009 par le docteur Lepage, psychiatre.

[48]           La section VI du chapitre IX de la loi prévoit les règles touchant l’imputation des coûts.

[49]           Le principe général en matière d’imputation, dans le cas d’un accident du travail, est énoncé au premier alinéa de l’article 326 de la loi :

326.  La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

 

[…]

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

 

[50]           On retrouve différentes exceptions à ce principe général : au second paragraphe de l’article 326 (accident attribuable à un tiers et employeur obéré injustement), à l’article 327 (lésion attribuable à des soins) et à l’article 329 de la loi (travailleur déjà handicapé). La loi prévoit également une exception en matière de maladie professionnelle à l’article 328 et pour les cas de « désastre », à l’article 330.

[51]           Dans tous les cas, la section de la loi concernant l’imputation réfère aux coûts des prestations reliés à une lésion professionnelle.

[52]           La loi donne la définition suivante de ce qu’est une « prestation » :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« prestation » : une indemnité versée en argent, une assistance financière ou un service fourni en vertu de la présente loi;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

 

[53]           La notion de « prestation » a donné lieu à quelques décisions de la part du tribunal au sujet de différents types de coûts imputés au dossier d’un employeur.

[54]           Le tribunal retient, tel que déterminé dans l’affaire Major Drilling Group int. inc.[5], citée par l’employeur, que de façon générale :

« […] il faut comprendre de cette définition de prestation à l’article 2 de la loi, c’est que l’indemnité ou l’assistance financière ou le service fourni en vertu de la présente loi est une prestation fournie au travailleur. »

 

(Les soulignements sont du tribunal)

 

 

[55]           C’est ainsi que dans cette affaire, le tribunal en est arrivé à la conclusion que les dépenses remboursées au travailleur pour se soumettre à un examen du Bureau d'évaluation médicale n’entrent pas dans le coût des prestations puisque ce n’est pas un service fourni au travailleur, mais plutôt un coût administratif relativement à une obligation qu’il a de se soumettre à un examen médical. Toutefois, d’autres juges administratifs ont conclu qu’il s’agissait d’une « assistance financière » au sens de la définition dont les coûts devaient être imputés au dossier de l’employeur[6].

[56]           Dans l’affaire Canimex inc.[7], il a été déterminé en application de ce principe que les frais déboursés par la CSST auprès du médecin qui a charge pour obtenir copie de son dossier médical ne constituaient pas une « prestation » et ne devaient pas être imputés à l’employeur.

[57]           Dans l’affaire Club Coopératif de consommation d’Amos[8], citée par l’employeur, le juge Suicco a déterminé qu’une étude ergonomique du poste de travail, faite à la demande du Bureau médical de la CSST et ayant servi à déterminer l’admissibilité de la réclamation de la travailleuse pour une maladie professionnelle, ne constituait pas une « prestation » au sens de la loi.

[58]           À l’opposé, il a été déterminé que les frais d’une évaluation par un ergonome et un ergothérapeute du poste de travail du travailleur, évaluation demandée par la CSST afin de déterminer la capacité du travailleur à reprendre son emploi prélésionnel, constituent une « prestation » dont les coûts doivent être imputés à l’employeur puisqu’il s’agit là d’une mesure s’inscrivant directement dans le cadre du processus de réadaptation établi à la loi[9].

[59]           De l’avis du tribunal, dans le présent dossier la CSST était justifiée d’imputer à l’employeur le coût de l’expertise réalisée le 6 août 2009, et ce, pour les motifs suivants.

[60]           La travailleuse a subi une lésion professionnelle le 12 janvier 2009 au cours de laquelle elle s’est infligé une blessure au majeur et à l’annulaire de la main gauche. Elle a été opérée pour réparer cette blessure, laquelle a nécessité des traitements de physiothérapie et d’ergothérapie et qui ultimement, a laissé à la travailleuse une atteinte permanente à son intégrité physique et psychique. La CSST a reconnu cette lésion professionnelle, laquelle n’a jamais été contestée.

[61]           Or, alors que la lésion professionnelle à la main de la travailleuse évoluait vers sa consolidation, le diagnostic de dépression fut posé pour la première fois en mars 2009.

[62]           Le tribunal a longuement rapporté de façon chronologique le suivi médical et administratif, notamment les notes évolutives des agents de la CSST, apparaissant à l’égard du volet « psychologique » au dossier.

[63]           De l’avis du tribunal, il est indéniable de l’analyse des faits ainsi rapportés que dès le départ, la docteure Masson, médecin s’occupant du volet psychologique du dossier, reliait la dépression de la travailleuse à la lacération subie en janvier 2009 tout comme le soutenait d’ailleurs la travailleuse aux agents de la CSST.

[64]           Néanmoins, la CSST ne s’est pas prononcée sur la relation entre le « nouveau diagnostic » de dépression et l’accident du 12 janvier 2009 de façon contemporaine à l’apparition de ce diagnostic, malgré la demande écrite de l’employeur du 20 avril 2009 à cet effet.

[65]           De même, il est apparent que la CSST s’interroge sur cette question et l’agent Schiettekatte débute, dès la fin du mois d’avril, un processus de cueillette d’information au sujet de la dépression de la travailleuse auprès de la docteure Masson et ensuite, en soumettant le dossier au médecin-conseil de la CSST.

[66]           En accord avec la docteure Masson[10], il est alors convenu de demander une expertise au docteur Lepage, psychiatre, et dans la demande formulée à l’attention de ce médecin, il est mentionné que son avis est requis « sur les 5 points de l’article 212 », mais également sur la relation entre le diagnostic de dépression et le fait accidentel[11].

[67]           Cette demande de la part de la CSST est faite en vertu de l’article 204 de la loi :

204.  La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.

 

La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115 .

__________

1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.

 

(Les soulignements sont du tribunal)

 

 

[68]           De l’avis du tribunal, l’article 204 de la loi permettait clairement à la CSST de demander au docteur Lepage qu’il lui donne un avis sur la relation entre le diagnostic de dépression et la lésion professionnelle acceptée pour la blessure à la main de la travailleuse.

[69]           Pour le tribunal, il s’agit certes pour la CSST d’un moyen pour obtenir un rapport sur « toute question relative à la lésion ».

[70]           Bien sûr, la « lésion professionnelle reconnue » à ce moment vise uniquement la blessure « physique » à la main de la travailleuse, mais il est manifeste que dès le mois de mars 2009, un médecin consulté par la travailleuse fait un lien entre cette lésion et la dépression qu’elle diagnostique.

[71]           La CSST, il est vrai, aurait pu rendre une décision reconnaissant ou refusant de relier le diagnostic de dépression posé par la docteure Masson à l’événement du 12 janvier 2009 sans recourir à l’opinion d’un médecin désigné au sens de l’article 204 de la loi. Mais rien ne lui interdisait de procéder comme elle l’a fait.

[72]           Pour le tribunal, au moment où l’agent demande une expertise en vertu de l’article 204 de la loi, il agit directement dans le cadre de la gestion de la lésion professionnelle reconnue de la travailleuse et il s’interroge sur un aspect fondamental de cette même lésion professionnelle à savoir si une composante psychologique peut s’y être greffée.

[73]           Le seul fait qu’à la lumière de l’opinion obtenue la CSST ait refusé de relier le diagnostic de dépression posé par le médecin de la travailleuse à la lésion professionnelle initiale ne change rien au fait que l’expertise demandée au docteur Lepage s’inscrivait dans le cadre de la lésion professionnelle de la travailleuse.

[74]           L’employeur s’appuie sur la décision rendue dans l’affaire Club Coopératif de consommation d’Amos[12] pour soutenir, par analogie avec cette affaire, que les frais de l’expertise du médecin de la CSST ne constituent pas une « prestation ».

[75]           De l’avis du tribunal, les faits dans cette  affaire sont distincts de ceux en l’espèce. D’une part, c’est d’une étude ergonomique dont il était question et non d’une expertise médicale visée à l’article 204 de la loi. D’autre part, le coût de cette étude ergonomique n’a pas été imputé à l’employeur puisque l’on a jugé qu’elle avait servi à refuser la réclamation de la travailleuse et donc, qu’il n’y avait pas de lésion professionnelle, purement et simplement.

[76]           Dans le présent cas, s’il est vrai que l’opinion du docteur Lepage a permis de déterminer que la dépression de la travailleuse n’était pas en lien avec la lésion professionnelle subie le 12 janvier 2009, il n’en demeure pas moins qu’une telle lésion professionnelle existe et a été reconnue antérieurement.

[77]           Or, l’article 330.1 de la loi, apparaissant également à la section traitant de l’imputation des coûts, prévoit ceci :

330.1.  Aux fins de la présente section, le coût des prestations comprend le coût des services d'un professionnel de la santé désigné par la Commission en vertu de la section I du chapitre VI.

__________

1996, c. 70, a. 36.

 

 

[78]           De l’avis du tribunal, si l’avis obtenu par la CSST dans le cadre d’une demande faite en vertu de l’article 204 de la loi l’avait amenée à déclarer que la travailleuse n’a pas subi une lésion professionnelle, le tribunal aurait nécessairement conclu que les frais reliés à cette demande et visés par l’article 330.1 de la loi ne constituent pas une « prestation » puisqu’il n’y a pas de lésion professionnelle.

[79]           Mais tel n’est pas le cas en l’espèce puisqu’une lésion professionnelle a bel et bien été reconnue, à savoir la lésion aux doigts de la travailleuse. En conséquence, les frais découlant de l’expertise obtenue en vertu de l’article 204 de la loi constituent une « prestation » au sens de l’article 326 de la loi. C’est la conclusion à laquelle en est d’ailleurs arrivé le tribunal dans l’affaire Forage Major inc.[13].

[80]            Pour les motifs énoncés précédemment, la CSST pouvait demander à un médecin de son choix de se « prononcer sur toute question relative à la lésion ». Elle l’a fait et malgré les apparences, l’employeur qui devra assumer le coût de cette expertise n’est pas nécessairement perdant de cette approche de la CSST.

[81]           En effet, si la CSST avait simplement décidé de reconnaître que le diagnostic de dépression posé par le médecin de la travailleuse est en lien avec sa lésion professionnelle, tel que le soutenait au départ la docteure Masson, et sans requérir l’opinion d’un médecin expert, l’employeur aurait été dans l’obligation de contester cette décision de la CSST avec toutes les conséquences monétaires que cela aurait engendrées alors qu’en bout de piste, la seule prestation qu’il devra assumer est le coût de l’expertise du docteur Lepage.

[82]           Pour tous ces motifs, la requête de l’employeur est rejetée.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de Agromex inc. (division viandes abattage), l’employeur, déposée le 4 février 2010;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 1er février 2010 lors d’une révision administrative;

DÉCLARE que le coût de l’expertise médicale demandée par la Commission de la santé et de la sécurité du travail au docteur Lepage le 6 août 2009 doit demeurer imputé au dossier de l’employeur.

 

 

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Michel Watkins

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001

[2]          Note du tribunal : À la simple lecture du rapport du docteur Léveillé, il est manifeste que le médecin ne s’interroge nullement à l’égard de la condition psychologique de la travailleuse et il ne fait référence à cet égard qu’au seul rapport de la docteure Masson en date du 22 juin 2009.

[3]          C.L.P. 116917-08-9905, 14 juillet 2000, A. Gauthier.

[4]          C.L.P. 173855-08-0111, 3 juillet 2002, A. Suicco.

[5]          Précitée, note 3.

[6]           Voir par exemple : Maison Pie XII, C.L.P. 165863-08-0107, 8 août 2002, P. Prégent; Bois d’œuvre Cédrico inc., C.L.P. 236412-01A-0406, 14 mars 2005, M. Duranceau; Billiton-Division Mines Selbaie, C.L.P. 135968-08-0003, 9 août 2002, P. Prégent; Compagnie manufacturière G. Spratt inc., C.L.P. 250774-05-0412, 15 juillet 2005, M. Allard.

[7]          C.L.P. 123641-04B-9909, 14 août 2000, A. Gauthier.

[8]          Précitée, note 4.

[9]          F. Ménard inc., C.L.P. 276060-62B-0511, 9 janvier 2007, J.-F.Clément.

[10]         Voir paragraphe 21 et la note du 29 mai 2009.

[11]         Voir paragraphe 23 et la note du 4 juin 2009 et le paragraphe 25 et la demande du 10 juin 2009.

[12]         Précitée, note 4.

[13]         C.L.P. 213917-08-0308, 12 décembre 2003, J.M. Charrette.

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