Alidousti et Dynamex Canada Ltd. |
2013 QCCLP 4738 |
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[1] Le 14 janvier 2013, monsieur Amir Alidousti (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 14 décembre 2012 à la suite d’une révision administrative (la révision administrative).
[2] Par celle-ci, la CSST maintient une décision qu’elle a initialement rendue le 10 septembre 2012 et, en conséquence, elle détermine qu’elle est justifiée de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 24 août 2012 car le travailleur a refusé ou négligé de fournir les renseignements demandés par cet organisme.
[3] L’audience dans cette affaire a lieu à Longueuil, le 26 juillet 2013. Y assistent le travailleur, son représentant, monsieur Michel Thibault, monsieur Cory Esnard, présent au nom de l’employeur, Dynamex Canada Ltd, et la représentante de ce dernier, Me Marie-Hélène Jolicoeur.
[4] Un interprète professionnel, monsieur Mohammad Reza Noushad Jamal, accompagne également le travailleur et il assure la traduction du français à l’iranien, langue d’origine de ce dernier.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] Le représentant du travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de rétablir le versement de l’indemnité de remplacement du revenu pour la période du 24 août 2012 au 7 novembre 2012 car il soutient que le travailleur a fourni tous les renseignements requis par la CSST.
LES FAITS
[6] Des documents au dossier, de ceux déposés et des témoignages du travailleur et de sa copine, madame Cristina Vincze, la Commission des lésions professionnelles retient les éléments pertinents suivants.
[7] Le travailleur est chauffeur livreur pour l’employeur.
[8] Le 3 décembre 2011, il est victime d’une lésion professionnelle lorsque, en manœuvrant pour rattraper une lourde boîte, il ressent une douleur au coude droit.
[9] Il fait l’objet d’un suivi médical et de traitements par son médecin de famille, le docteur Teodorescu, et par un chirurgien orthopédiste, le docteur Boulad, pour des diagnostics de tendinite au coude droit, d’épicondylite et d’épitrochléite droites.
[10] Le 7 mai 2012, l’agente d’indemnisation note que le travailleur a dorénavant un représentant, monsieur Rolland de la firme G.C.D.A., et qu’il demande que toutes les communications soient faites par l’entremise de ce dernier. Ainsi, à compter de cette date, tous les contacts sont effectués auprès ou en présence de monsieur Rolland.
[11] Le 23 mai 2012, le docteur Teodorescu émet deux prescriptions. Dans le premier document, il réclame une reprise de la résonance magnétique au coude droit et, dans le second document, il prescrit un médicament, du Rivotril. Ces deux documents sont expédiés à la CSST le même jour par télécopieur.
[12] Le 25 juillet 2012, le travailleur rencontre l’agente d’indemnisation et la conseillère en réadaptation en présence de monsieur Rolland. Le travailleur confirme que le docteur Teodorescu est son médecin traitant et que le docteur Boulad est son médecin spécialiste. Il indique qu’il prend, depuis deux mois, un médicament pour le stress et pour l’aider à dormir. Il ne connaît pas le nom de ce médicament. Le travailleur précise qu’il est inquiet face à sa situation et à son avenir. Ses loisirs se résument à prendre de petites marches et à aller au centre d’achats lors des journées de canicule. L’agente d’indemnisation l’encourage à reprendre ses activités et à voir des amis et de la famille. Par ailleurs, comme le travailleur ne connaît pas le nom de ses médicaments, l’agente d’indemnisation lui demande de la contacter afin de lui fournir ce nom et de mettre son dossier à jour. Elle lui demande également de l’aviser par téléphone de la date des rendez-vous à venir. Elle exige un suivi régulier après chaque visite médicale ainsi qu’un suivi médical aux quatre à six semaines.
[13] Le 2 août 2012, le travailleur se rend à deux rendez-vous médicaux. Il voit le docteur Boulad qui soupçonne un syndrome de compression du nerf interosseux antérieur et qui prescrit une électromyographie du membre supérieur droit.
[14] Le travailleur explique qu’il rencontre le docteur Boulad à sa clinique sur la rue Saint-Jacques à Montréal et non à celle de Ville Lasalle. Or, à la clinique montréalaise, des électromyographies sont effectuées et, en conséquence, le jour même où ce test est prescrit, le travailleur s’y présente avec sa prescription afin d’obtenir un rendez-vous. On l’informe alors que l’attente est de trois mois, trois mois et demi et qu’une personne communiquera avec lui lorsqu’une place sera disponible.
[15] Le 2 août 2012, le travailleur voit aussi le docteur Teodorescu. Il est déprimé face à sa situation et il n’a personne à qui se confier puisque sa famille est en Iran et qu’il n’ose s’ouvrir de son état à ses enfants ou à sa copine. Le docteur Teodorescu signale, dans ses notes, que le travailleur est très anxieux, qu’il souffre d’insomnie et qu’il a besoin de relaxer. Il l’encourage donc à visiter sa famille et, à cette date, il rédige la note suivante :
Patient with insomnia due to chronic pain and anxiety. I recommend that he spends time with his close family during the waiting period for his EMG.
[16] Le travailleur indique qu’il envisage effectuer une telle visite à sa famille, mais qu’il n’a pas encore pris de décision ferme à ce sujet lorsqu’il rencontre l’agente d’indemnisation et la conseillère en réadaptation en juillet 2012. Cette autorisation du docteur Teodorescu l’incite à aller de l’avant avec ce projet. Il se procure donc un billet d’avion afin de se rendre en Iran le 13 août 2012 avec un retour prévu le 14 octobre 2012.
[17] Le 9 août 2012, madame Vincze adresse à la CSST les rapports du 2 août 2012. À l’audience, elle précise qu’elle s’occupe de la paperasse en lieu et place du travailleur et qu’elle est certaine d’avoir expédié les rapports des docteurs Boulad et Teodorescu.
[18] Le 14 août 2012, l’agente d’indemnisation communique avec monsieur Rolland. Elle écrit :
Nous expliquons au représentant que lors de notre rencontre, le T devait nous contacter afin de nous fournir la date de son prochain rendez-vous médical, faire un suivi sur les recommandations du médecin traitant et nous donner les noms des médicaments prescrits. Cependant, nous n’avons pas eu de nouvelles.
M. Rolland nous dit qu’il va contacter son client et nous enverra les informations demandées par télécopieur.
Nous mentionnons que sur le rapport médical du 2 août, le médecin prescrit un EMG, le T a-t-il fait des démarches pour obtenir un rendez-vous ? Si oui, à quel endroit et a-t-il eu une date de rendez-vous ? Nous lui suggérons de vérifier les délais dans les hôpitaux ainsi que dans certaines cliniques qui effectuent des EMG sans facturer au T car cela est couvert par la RAMQ.
M. Rolland nous dit qu’il va s’informer auprès de son client. […]
[Nos soulignements]
[19] Le 29 août 2012, l’agente d’indemnisation communique de nouveau avec monsieur Rolland afin d’obtenir les informations demandées. Elle suggère la tenue d’un appel conférence.
[20] Le 30 août 2012, l’agente d’indemnisation signale que monsieur Rolland est en vacances jusqu’au 10 septembre 2012, mais qu’elle apprend de monsieur Thibault que le travailleur est parti en Iran. Elle note :
Nous recevons en après-midi une télécopie de monsieur Michel Thibault, collègue de M. Rolland. Il nous informe que le T a eu une note de son médecin traitant le Dr Teodorescu indiquant que le T a des difficultés psychologiques et qu’elle lui recommande d’aller visiter sa famille en Iran. M. Thibault inscrit que le T fait des cauchemars la nuit à cause de sa situation. Il nous informe également que le T a rendez-vous la troisième semaine de septembre à la clinique de Radiologie Dollard pour l’EMG.
Message laissé à M. Thibault en l’absence de M. Rolland. Nous lui confirmons avoir reçu les documents qu’il nous a transmis par télécopieur. Nous mentionnons ne pas avoir été informé que le T quittait pour l’Iran. Hors [sic] nous constatons que le documents [sic] du Dr Teodorescu est daté du 2 août 2012, soit il y a presque 1 mois. Lors de l’envoi du dernier rapport médical tel que demandé et à l’occasion de nos contacts avec M. Rolland, à aucune occasion il n’a été question du départ du T et de la note du médecin traitant. Nous demandons un retour d’appel le plus rapidement possible afin de clarifier la situation et avisons M. Thibault que nous devrons suspendre les indemnités pour la durée de l’absence. À cet effet, nous aurions besoin de connaître le plus rapidement possible la date de départ du T ainsi que la date prévue de son retour.
[…]
N’ayant pas reçu de retour d’appel du représentant du T, de son collègue M. Thibault ou du travailleur, suspension des irr à partir du 24 août 2012 effectuée. Lettre transmise aux parties.
[Nos soulignements]
[21] Elle reçoit aussi un courriel de monsieur Thibault ainsi que la recommandation du docteur Teodorescu. Ce courriel se lit ainsi :
Monsieur Rolland m’a demandé de vous faire parvenir les documents et les informations suivantes. Il sera de retour de vacances le 10 septembre 2012.
Une note de sa Dr Cristina Teodorescu. Monsieur Alidousti est présentement en difficulté d’ordre psychologique et sa Dr lui a recommandé d’aller visiter sa famille. Monsieur Alidousti est d’origine de l’Iran et il fait des cauchemars la nuit à cause de sa situation.
Monsieur Alidousti a un rendez-vous la troisième semaine de septembre à la Clinique de Radiologie Dollard de Ville Lasalle pour le EMG.
[22] Or, la Commission des lésions professionnelles constate que la décision visant la suspension des indemnités n’est pas rendue le 24 ou le 30 août 2012. Ce n’est que le 10 septembre 2012 que cette décision est émise par l’agente d’indemnisation. Elle s’y exprime comme suit :
The income replacement indemnity that we are paying you has been suspended starting August 24th, 2012, in accordance with Section 142 of the Act respecting Industrial Accidents and Occupational Diseases because you refused or failed to provide the requested information regarding the medication taken and your next appointment with your doctor. Furthermore, the document provided by your doctor for your absence outside the country was dated August 2nd, but we were only inform on August 30.
We may resume the payment of this indemnity provided that the reason for which it was suspended no longer exists.
[Nos soulignements]
[23] Le travailleur conteste cette décision mais, le 14 décembre 2012, elle est maintenue par la révision administrative d’où le présent litige.
[24] Par ailleurs, les échanges se poursuivent entre l’agente d’indemnisation et les représentants du travailleur.
[25] Le 10 septembre 2012, monsieur Rolland revient de vacances. Il communique avec l’agente d’indemnisation afin de s’enquérir des motifs pour lesquels le travailleur n’a pas reçu d’indemnités le 6 septembre 2012. Elle répond ce qui suit :
Nous lui expliquons que les irr (indemnité de remplacement du revenu) sont suspendues car nous n’avons pas reçu les informations demandées et de plus, le T (travailleur) ne nous a pas informé de son départ pour une période indéterminée. Nous ne savons pas quand le T est parti ni sa date de retour. Nous n’avons pas la date confirmée de l’EMG (électromyographie) ni la date de son prochain rendez-vous médical. De plus, le T ne nous a pas transmis les noms de ses médicaments. Rappelons à M. Rolland que certaines de ces informations ont été demandées lors de la rencontre à nos bureaux.
M. Rolland nous explique que le T est en Iran, que c’est un ami du T qui l’a contacté pour lui dire qu’il n’allait pas bien, qu’il n’était pas au courant. Il nous mentionne également que le T aurait changé d’adresse ce dont nous n’avions pas été informé. Il nous donne les nouvelles coordonnées du T. Par la suite, M. Rolland nous demande de ne pas faire le changement d’adresse car il ne peut pas nous confirmer si le changement est effectif à l’heure actuelle.
Nous soulignons au représentant que nous avons reçu le rapport médical du 2 août ainsi que la prescription pour l’EMG mais pas le papier indiquant le départ du T et sa détresse psychologique et nous nous questionnons sur la raison pour laquelle le document nous est transmis près d’un mois plus tard et après le départ du T. Précisons que nous avons laissé un message à M. Thibeault, collègue de M. Rolland et que nous n’avons eu aucun retour d’appel. En l’absence d’informations, nous n’avions d’autre choix que de suspendre les irr jusqu’à ce que la situation se régularise. Lui rappelons que l’EMG a été prescrit par le médecin traitant. En quittant, le T retarde un examen médical requis par son médecin traitant et retarde également le plan de traitement à déterminer par le médecin traitant qui attend le rapport pour décider de la suite du plan de traitement.
M. Rolland nous dit qu’il ne sait pas pourquoi le papier n’a pas été transmis avec les autres. Il nous explique que c’est un ami du T qui l’a contacté pour lui dire qu’il n’allait pas bien et qu’il lui a transmis le document. Il nous dit qu’il va s’arranger pour communiquer avec le T en Iran pour obtenir les informations demandées. M. Rolland ajoute qu’il ne sait pas ce qui a été fait, que c’est peut-être l’ami qui n’a pas transmis le document. Que le T ne veut pas être pris pour quelqu’un de faible et que c’est pour cela qu’il n’en parle pas. Que quelqu’un qui est en dépression peut omettre de faire certaines choses ou ne pas y penser.
Nous soulignons à M. Rolland que le T a des droits ainsi que des obligations face à la CSST et à son employeur et qu’il doit tenir la CSST informée de changements d’adresse ou de départ. Qu’il est de la responsabilité du T de transmettre les informations requises à la CSST.
[Nos soulignements]
[26] Le 11 septembre 2012, monsieur Rolland expédie un courriel à l’agente d’indemnisation. Il lui communique les informations suivantes :
Voici les informations et explications demandées :
-Date du départ est le 13 août 2012 et le retour est le 14 octobre 2012.
-Date du prochain rendez-vous avec son médecin, Dr Cristina Teodorescu est le 25 octobre 2012.
-Date exacte pour le rendez-vous pour l’EMG : La clinique va l’appeler la première ou la deuxième semaine d’octobre pour fixer le rendez-vous. Son amie a le téléphone cellulaire de monsieur Alidousti et sera en mesure de répondre pour fixer le rendez-vous.
Explications pour le délai du rapport du 02-08-2012.
-Le 16 août [sic], nous vous faisions parvenir une télécopie incluant le rapport médical #18664 du Dr Boulad en date du 2-08-2012 et une demande pour un EMG suite à la réception des documents de monsieur Alidousti.
-Vers le 29 ou 30 août 2012, j’ai eu une conversation avec l’amie de monsieur Alidousti. Je l’informais que je n’avais pas encore reçu le rapport du 2 août du Dr Teodorescu qui recommandait à monsieur Alidousti d’aller prendre des vacances avec sa famille proche. Elle me dit qu’elle nous a déjà fait parvenir ce document en même temps que les autres le 16 août [sic]. Malheureusement son télécopieur n’indiquait pas le nombre de pages et il m’était impossible de savoir qu’il y avait eu une erreur dans la transmission des documents. Le 30 août, elle me faisait parvenir le rapport du 2 août. Et je vous ai fait parvenir le tout le 30 août.
Son amie m’explique qu’Amir n’était pas conscient de sa situation psychologique. Ce n’est qu’après avoir expliqué à sa Dr qu’il ne dormait pas la nuit, qu’il était angoissé et tout ce qu’il ressentait qu’elle lui a diagnostiqué de l’anxiété et une dépression. Amir pensait que c’était normal.
Voici la liste des médicaments pris par monsieur Alidousti : Vomovo, Ativan, Ribotril [sic], Zopiclone, Clonazepam, une crème Voltaren et une autre crème Zoftrix.
Nous vous demandons suite à ses [sic] explications et informations fournies de bien vouloir réinstaller les indemnités de monsieur Alidousti.
[27] Le 13 septembre 2012, l’agente d’indemnisation appelle à la clinique du docteur Boulad à Ville Lasalle afin de vérifier les délais d’attente pour une électromyographie et elle apprend alors qu’aucun tel test n’est effectué à cette clinique.
[28] Le 14 septembre 2012, l’agente d’indemnisation s’entretient avec monsieur Rolland. Elle lui apprend que, malgré les informations reçues, elle ne rétablira pas le versement de l’indemnité de remplacement du revenu. Elle justifie ainsi cette conclusion :
Nous expliquons à M. Rolland qu’après vérifications, nous ne pouvons reprendre les irr au dossier. En effet, selon les informations fournies par le représentant, le T ne serait pas de retour avant le 14 octobre 2012. De plus, nous n’avons toujours pas de date de rendez-vous pour l’EMG. Selon les informations fournies par le représentant dans le document transmis le 11 septembre, il est indiqué que : « la clinique va l’appeler la première pi [sic] la deuxième semaine d’octobre pour fixer le rendez-vous. Son amie a le téléphone cellulaire de monsieur Alidousti et sera en mesure de répondre pour fixer le rendez-vous. ».
Nous demandons à M. Rolland si l’information transmise par son collègue à l’effet que le T aurait fait sa demande à clinique située sur Dollard à Ville Lasalle est exacte ? M. Rolland nous confirme que la demande aurait bien été faite à la clinique Dollard située au 1500 Dollard.
Nous soulignons à M. Rolland que nous avons contacté la clinique afin de confirmer les délais de rendez-vous pour un EMG et l’on nous a informé que la clinique ne pratiquait aucun EMG. Nous expliquons que le T ne peut donc être en attente d’un rendez-vous puisque cet examen n’est pas fait à cette clinique.
Dans les circonstances, nous avisons M. Rolland, représentant du T, que nous maintenons la suspension des indemnités jusqu’à ce que le T passe l’EMG puisque par son absence, le T retarde un examen prescrit par son médecin traitant. Lorsque le T aura passé l’EMG, nous pourrons reprendre le versement des indemnités.
M. Rolland nous dit que le T ne savait pas qu’il n’était pas correct, que le T est en détresse. Le représentant reproche à la CSST de refuser trop rapidement les diagnostics de nature psychologique […]
[…] Nous soulignons que dans le présent dossier nous n’avons aucun diagnostic psychologique au dossier [sic] ou de demande de suivi psychologique et qu’il n’y a donc pas lieu de se prononcer à l’heure actuelle. La mention sur une prescription que le T est en détresse psychologique ne constitue pas un diagnostic et ne démontre aucune relation avec l’événement. Advenant l’ajout par le médecin traitant d'un diagnostic psychologique, la CSST devra alors se prononcer.
[…]
Considérant l’absence du T devant se prolonger jusqu’à la mi-octobre;
Considérant que, dans les faits, le T n’est pas en attente d’un rendez-vous pour un EMG à la clinique Dollard, la clinique mentionnée n’offrant pas de EMG.
Après analyse des informations reçues nous maintenons la suspension des indemnités de remplacement du revenu en vertu de l’article 142 de la LATMP.
[29] Le 25 septembre 2012, le représentant du travailleur s’adresse de nouveau à l’agente d’indemnisation afin de démêler l’imbroglio concernant le rendez-vous pour l’électromyographie du travailleur. Il explique que les démarches ont été entreprises par le travailleur, mais que le nom de la clinique qui a été communiqué à la CSST est erroné. Il fournit la date du rendez-vous, soit le 15 octobre 2012. Il demande à l’agente d’indemnisation de rétablir les indemnités et il essuie un nouveau refus de la part de celle-ci.
[30] Les déboires du travailleur se poursuivent après ces décisions. Il doit revenir au Canada le 14 octobre 2012 et subir une électromyographie le 15 octobre 2012, mais sa carte de résident permanent au Canada expire et, en raison de la fermeture de l’ambassade du Canada en Iran, le travailleur doit se rendre à Ankara, en Turquie, afin de remplir les papiers nécessaires à ce renouvellement.
[31] Il effectue ces démarches en personne afin d’accélérer son retour et, dès qu’il obtient sa carte, il revient au Canada et, le 7 novembre 2012, il se soumet à l’électromyographie prescrite. La CSST reprend donc le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 7 novembre 2012.
[32] Par ailleurs, le travailleur fait toujours l’objet d’un suivi médical par le docteur Teodorescu. Ce médecin diagnostique une anxiété et une dépression, des diagnostics qui sont, en bout de piste, acceptés par la CSST, mais contestés par l’employeur.
[33] Le travailleur se soumet aussi à une intervention chirurgicale au coude droit, de telle sorte qu’il est toujours indemnisé au moment de l’audience.
[34] Le 2 juillet 2013, il est examiné par le docteur Paul Beaudry, psychiatre, à la demande de l’employeur. Ce médecin estime que celui-ci souffre d’un trouble de l’adaptation. Les facteurs de stress qu’il identifie à l’origine de ce trouble sont la persistance des douleurs au coude droit et la diminution de la force au niveau de la main droite à la suite de l’accident du travail ainsi que l’insécurité financière causée par le manque à gagner depuis cet accident.
[35] Enfin, le 23 juillet 2013, le docteur Teodorescu produit une note où il écrit ce qui suit :
Confirmation of recommendation
In regard to M. Amir Alidousti’s visit to his family in Iran, I do confirm that after discussing with the patient, I have agreed with his plan of spending some time off and relax in the comfort of his family support in Iran so I did recommend that he visits them for psychological support. I was also informed that he is awaiting an EEG [sic] investigation which he was informed that it may take up to 3 mo. to undergo.
[36] Le travailleur témoigne à l’audience.
[37] Il explique que, avant son accident, il travaille sans problème. De plus, il est très sportif, il s’adonne à toutes sortes d’activités. Il est entraîneur de lutte.
[38] Après l’accident, il ne peut plus rien faire. Il se sent diminué, déprimé. Il pleure sans raison, il n’a plus de concentration. Il n’a personne à qui parler car sa famille proche est en Iran et il ne veut pas faire preuve de faiblesse devant ses enfants ou sa copine.
[39] Quelques mois après l’accident, il raconte ses problèmes au docteur Teodorescu.
[40] Ce médecin lui dit qu’il fait une dépression et il veut lui prescrire des médicaments. Le travailleur ne veut pas, il tente de se soigner par lui-même, mais il n’y arrive pas.
[41] Il reparle de son état psychologique au docteur Teodorescu. Ce médecin lui demande s’il peut se confier à d’autres personnes sur ce qu’il vit et le travailleur réitère qu’il n’est pas à l’aise, qu’il est difficile pour lui de parler de tout cela, surtout pour un lutteur. Le docteur Teodorescu l’incite à parler à sa famille et, lorsqu’il lui dit que celle-ci est en Iran, il lui conseille de faire le voyage.
[42] Le travailleur songe à cette suggestion sans prendre de décision ferme à ce sujet. Il a des discussions téléphoniques avec les membres de sa famille qui l’encouragent à faire le déplacement. Il décide donc de partir quelques semaines avant son départ, le 13 août 2012.
[43] Le 2 août 2012, il reçoit aussi une prescription du docteur Boulad. Celui-ci veut qu’il subisse une électromyographie du membre supérieur droit. Il se rend donc à l’étage supérieur de la clinique sise sur la rue Saint-Jacques et il laisse sa prescription à la personne en charge des rendez-vous. Celle-ci l’informe que le délai d’attente est de trois mois, trois mois et demi. La personne lui confirme que c’est la clinique qui communiquera avec lui lorsqu’une plage horaire sera disponible.
[44] Les rapports du 2 août 2012 des docteurs Boulad et Teodorescu sont remis à sa copine, Cristina Vincze, qui s’occupe de les transmettre par télécopieur à la CSST. Il lui confie ainsi la paperasse car il reconnaît qu’il a de la difficulté avec les papiers.
[45] Il quitte le Canada pour l’Iran le 13 août 2012. À l’aéroport, il reçoit un appel de la clinique qui lui dit que, en raison d’une annulation possible, le travailleur pourrait être reçu dans quelques jours. On ne lui fournit aucune date précise. Or, comme on lui avait d’abord parlé d’un délai de trois mois et demi, qu’il a son billet et qu’il ne peut l’échanger, il décline cette invitation. La personne lui dit alors que le prochain rendez-vous sera fixé dans environ trois mois, peut-être en octobre, mais probablement en novembre.
[46] Le travailleur se rend donc en Iran. Il communique avec sa copine au sujet de son rendez-vous pour l’électromyographie et, comme elle l’avise qu’elle n’a aucune nouvelle, il lui demande d’appeler pour obtenir une date précise. Elle entreprend donc des démarches et elle obtient un tel rendez-vous le 15 octobre 2012. Comme le travailleur doit revenir le 14 octobre, il ne voit pas de problème.
[47] Toutefois, lorsqu’il vient pour quitter l’Iran, on lui dit que sa carte de résident permanent est expirée et qu’il doit en avoir une autre avant de retourner au Canada.
[48] Vu la fermeture de l’ambassade canadienne en Iran, il doit se rendre à celle située à Ankara en Turquie. Il reçoit sa nouvelle carte le 6 novembre 2012 et, dès lors, il quitte l’Iran à cette date.
[49] Le travailleur indique que ce sont sa copine et son représentant qui s’occupent de fournir les explications à la CSST, mais qu’il prend lui-même, de l’Iran, le rendez-vous du 7 novembre 2012.
[50] Le travailleur précise qu’il est au Canada depuis 1997 et qu’il ne fait aucun voyage en Iran entre 1997 et 2007. Il y retourne pour la première fois en 2007-2008 et, depuis, il s’y rend une à deux fois par année. Il détient un passeport iranien et il n’a donc pas à remplir des papiers ou à obtenir un visa.
[51] Le travailleur ne croit pas avoir contacté la CSST entre le moment où il prend sa décision définitive de quitter pour l’Iran et où il fait l’acquisition d’un billet d’avion et le moment où il entreprend ce voyage.
[52] Le travailleur admet qu’il déménage le 10 ou le 11 août 2012. Il avise monsieur Rolland de ce changement d’adresse et il compte sur lui pour en informer la CSST.
[53] Madame Cristina Vincze témoigne aussi à la demande du travailleur.
[54] Elle le connaît depuis quelques années et elle l’aide dans le suivi de son dossier CSST. Elle s’occupe de la paperasse, des rendez-vous ou de le conduire aux différentes cliniques. Elle envoie les télécopies à la CSST ou à monsieur Rolland.
[55] Elle confirme que, le 2 août 2012, le travailleur se rend à deux rendez-vous. Elle ne peut l’accompagner, mais elle est persuadée qu’il rencontre le docteur Boulad à Ville Lasalle, comme d’habitude.
[56] Lorsque le travailleur revient de ces rendez-vous, il lui donne les papiers des docteurs Boulad et Teodorescu et elle les transmet, par télécopieur, à la CSST. Elle n’envoie jamais de pages de présentation, mais elle insiste pour dire que, le 9 août 2012, elle expédie tous les papiers reçus du travailleur.
[57] Lorsque le travailleur part pour l’Iran, elle continue de s’occuper de son dossier. Elle croit que le travailleur prend un rendez-vous pour l’électromyographie à la clinique habituelle à Ville Lasalle et elle communique donc cette information erronée à monsieur Rolland. Cependant, au terme d’une conversation téléphonique avec le travailleur, elle apprend que la clinique en question est située sur la rue Saint-Jacques et cette information est aussitôt transmise à monsieur Rolland.
[58] Elle obtient, à la demande du travailleur, un rendez-vous à une date précise, le 15 octobre 2012. Toutefois, lorsqu’elle réalise qu’il ne pourra être au Canada à cette date en raison de ses problèmes avec sa carte de résidence, elle fixe un autre rendez-vous le 29 octobre 2012. Cependant, ce rendez-vous est annulé par la clinique et refixé, en bout de piste, le 7 novembre 2012.
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[59] Le représentant du travailleur soutient que ce dernier n’a pas été négligent et qu’il a fourni à la CSST toute l’information requise. Cependant, un concours de circonstances hors de son contrôle fait en sorte que certains renseignements ne se rendent pas à la CSST ou sont erronés.
[60] Toutefois, le représentant du travailleur rappelle que celui-ci présente vraiment une atteinte psychologique, que son voyage en Iran n’est pas un caprice, mais une nécessité et que ce voyage est recommandé par son médecin traitant.
[61] Le travailleur n’est pas, non plus insouciant, en ce qui concerne la prescription pour une électromyographie. Il va à la clinique dès le 2 août 2012, il y laisse sa prescription et on lui dit que le délai d’attente est de trois mois, trois mois et demi.
[62] Il rencontre, par la suite, le docteur Teodorescu qui l’encourage à aller voir sa famille durant ce délai d’attente et qui ne prévoit aucun examen dans un avenir rapproché.
[63] Le travailleur doit revenir le 14 octobre 2012, soit deux mois après son départ. Il est donc dans le délai d’attente annoncé par la clinique, il soigne sa lésion psychologique durant son absence et il ne nuit pas à sa lésion physique.
[64] Le travailleur est certes avisé, le jour de son départ, d’une annulation possible dans les jours qui viennent, mais il ne peut, sur la base d’un rendez-vous non confirmé, annuler son voyage et perdre le prix de son billet. Il quitte, mais il ne laisse pas la CSST sans ressource. Le représentant du travailleur signale qu’il ne faut pas oublier que la copine du travailleur ainsi que monsieur Rolland peuvent toujours fournir à la CSST les informations qu’elle réclame.
[65] Le représentant du travailleur remarque que ce dernier joue de malchance sur plusieurs plans. Pour une raison inconnue, la note du 2 août 2012 du docteur Teodorescu ne semble pas se rendre à bon port. De plus, madame Vincze ne renseigne pas adéquatement monsieur Rolland sur l’identité de la clinique où celui-ci a laissé sa prescription pour une électromyographie. En outre, le travailleur ne peut revenir à la date prévue en raison de l’expiration de sa carte de résident permanent et les tensions qui existent entre le Canada et l’Iran ne lui facilitent pas la tâche lorsque vient le temps de renouveler ce document.
[66] Bref, le représentant du travailleur indique que ce dernier fait tout ce qu’il peut pour informer la CSST et subir l’électromyographie projetée et que des circonstances hors de son contrôle l’empêchent d’agir à sa guise.
[67] Il demande donc à la Commission des lésions professionnelles d’accueillir sa contestation et de rétablir le versement de l’indemnité de remplacement du revenu du 24 août au 7 novembre 2012.
[68] La représentante de l’employeur fait une toute autre lecture de la preuve présentée. Elle estime que la décision rendue par la CSST doit être maintenue.
[69] Elle rappelle que, le 2 août 2012, le docteur Teodorescu n’autorise pas le travailleur à quitter pour l’Iran. Il lui permet plutôt de voir sa famille. Or, le travailleur n’est pas sans famille au Canada puisque, outre sa copine, sa fille et son fils sont également dans ce pays.
[70] De plus, le 23 juillet 2013, le docteur Teodorescu signale qu’elle approuve le plan du travailleur, preuve que ce voyage est planifié par celui-ci et non recommandé par ce médecin.
[71] En outre, le travailleur n’informe personne de ce voyage. La CSST l’ignore, monsieur Rolland l’ignore. Le 14 août 2012, l’agente d’indemnisation discute avec monsieur Rolland et il est évident que ce dernier ne sait pas que le travailleur a quitté le Canada.
[72] La représentante de l’employeur reconnaît que plusieurs circonstances exceptionnelles nuisent au travailleur que ce soit au chapitre des informations erronées, de la confusion des cliniques ou de l’expiration de sa carte de résident. Toutefois, celui-ci doit être disponible pour répondre aux questions de la CSST et assurer son suivi médical.
[73] Or, la représentante de l’employeur constate que le travailleur refuse le rendez-vous pour l’électromyographie qui lui est proposé le 13 août 2012. Il ne se rend pas, non plus, à celui fixé le 14 octobre 2012. Il ne se présente pas au rendez-vous médical d’octobre 2012 avec le docteur Teodorescu. Son absence empêche également l’employeur de requérir une expertise médicale, le cas échéant.
[74] Le travailleur omet d’aviser la CSST et de fournir les informations demandées. Il n’informe pas la CSST au sujet de son déménagement. Il recommence ce manège en avril 2013 lorsqu’il quitte le Canada pour faire renouveler son passeport iranien.
[75] La représentante de l’employeur croit donc que le travailleur se trouve dans une ses situations décrites à l’article 142 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et que la CSST peut suspendre son indemnité de remplacement du revenu.
[76] La représentante de l’employeur indique qu’il ne faut pas accorder une grande valeur probante aux notes du docteur Teodorescu puisqu’elles semblent avoir été rédigées pour les fins de l’audience et que l’autorisation de quitter pour effectuer des voyages en pays étranger ne relève pas de ses fonctions ou de son expertise.
[77] Elle réitère que le travailleur fait défaut d’informer la CSST de sa situation et que son absence retarde le suivi médical puisque l’électromyographie, qui aurait pu être réalisée en août 2012, n’est finalement effectuée qu’en novembre 2012.
[78] La représentante de l’employeur dépose et commente de la jurisprudence[2] au soutien de son argumentation et elle demande à la Commission des lésions professionnelles de confirmer la décision rendue par la révision administrative.
L’AVIS DES MEMBRES
[79] Conformément à ce qui est prévu à l’article 429.50 de la loi, la soussignée recueille l’avis des membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs sur la question soulevée par le présent litige.
[80] La membre issue des associations syndicales est d’avis qu’il y a lieu d’accueillir la requête déposée par le travailleur, d’infirmer la décision rendue par la révision administrative et de déclarer que cet organisme ne pouvait suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu du 24 août au 7 novembre 2012 et que ce versement doit être rétabli.
[81] En effet, la membre issue des associations syndicales estime que le travailleur n’a pas fait défaut de fournir les informations requises par la CSST. Elle note que celui-ci est représenté depuis mai 2012 et que son représentant est disponible pour renseigner la CSST. De plus, sa copine expédie les documents pertinents et aucun suivi médical n’a lieu durant l’absence projetée initialement.
[82] Selon la membre issue des associations syndicales, le travailleur est victime des circonstances, d’une confusion qu’il n’a aucunement générée et de délais qui ne lui sont pas attribuables. Il ne se trouve donc pas dans les conditions prévues à l’article 142 de la loi et, en conséquence, la suspension des indemnités n’a pas sa raison d’être et doit être annulée.
[83] Le membre issu des associations d’employeurs est plutôt d’avis qu’il y a lieu de rejeter la requête déposée par le travailleur, de confirmer la décision rendue par la révision administrative et de déclarer que la CSST est justifiée de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 24 août 2012.
[84] En effet, le membre issu des associations d’employeurs soutient que la CSST s’attend à ce que le travailleur soit disponible pour l’investigation médicale et les traitements ainsi que pour ses rendez-vous médicaux. Or, son absence sans aucun avertissement l’empêche de se conformer à l’obligation qui lui est imposée d’informer la CSST de ces démarches et rendez-vous.
[85] Le membre issu des associations d’employeurs croit que les justifications fournies par le travailleur ne changent rien à son défaut de fournir à la CSST les informations demandées et, qu’en conséquence, il se trouve dans une des situations prévues à l’article 142 de la loi et que la CSST est bien fondée d’agir comme elle l’a fait.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[86] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la CSST est justifiée de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur à compter du 24 août 2012.
[87] L’article 142 de la loi prévoit quand et pour quels motifs une telle suspension peut être décidée. Cet article se lit ainsi :
142. La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :
1° si le bénéficiaire :
a) fournit des renseignements inexacts;
b) refuse ou néglige de fournir les renseignements qu'elle requiert ou de donner l'autorisation nécessaire pour leur obtention;
2° si le travailleur, sans raison valable :
a) entrave un examen médical prévu par la présente loi ou omet ou refuse de se soumettre à un tel examen, sauf s'il s'agit d'un examen qui, de l'avis du médecin qui en a charge, présente habituellement un danger grave;
b) pose un acte qui, selon le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, selon un membre du Bureau d'évaluation médicale, empêche ou retarde sa guérison;
c) omet ou refuse de se soumettre à un traitement médical reconnu, autre qu'une intervention chirurgicale, que le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, un membre du Bureau d'évaluation médicale, estime nécessaire dans l'intérêt du travailleur;
d) omet ou refuse de se prévaloir des mesures de réadaptation que prévoit son plan individualisé de réadaptation;
e) omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il est tenu de faire conformément à l'article 179, alors que son employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés dans l'article 180;
f) omet ou refuse d'informer son employeur conformément à l'article 274.
__________
1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.
[88] La Commission des lésions professionnelles estime que cet article constitue une exception au principe général retrouvé à l’article 44 de la loi et qui veut qu’une indemnité soit versée au travailleur rendu incapable d’exercer son emploi en raison d’une lésion professionnelle. Il doit donc recevoir une interprétation restrictive.
[89] Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles remarque que chacun des paragraphes et alinéas de cet article énonce diverses conditions qui doivent être prouvées afin de justifier une suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu.
[90] La Commission des lésions professionnelles constate aussi que cette suspension ne peut durer indéfiniment puisque ce n’est pas le droit à l’indemnité qui est suspendu, mais le versement de celle-ci. Cette suspension doit donc cesser aussitôt que cesse le défaut reproché[3].
[91] La jurisprudence enseigne également que cette suspension ne peut être rétroactive.
[92] En effet, il s’agit d’une mesure incitative, et non punitive, qui a pour but de signaler au travailleur une contravention à l’un ou l’autre des paragraphes et alinéas de l’article 142 de la loi afin de lui permettre de remédier à la situation et de recouvrer son indemnité. Or, une suspension rétroactive prive le travailleur du versement de cette indemnité tout en l’empêchant de mettre fin à celle-ci puisque, tant qu’une décision n’est pas rendue, le travailleur n’est pas informé des reproches qui lui sont formulés et il ne peut apporter les corrections appropriées. La suspension doit donc débuter, au plus tôt, à la date de la décision[4].
[93] En outre, les motifs invoqués au soutien de la suspension doivent correspondre aux situations décrites à l’article 142 de la loi. Ces motifs doivent être exposés dans la décision et la suspension ne peut reposer que sur ceux-ci. Ainsi, des raisons occultes, mentionnées aux notes évolutives mais non reprises dans la décision contestée, ne peuvent justifier la suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu.
[94] Dans ce dossier, l’agente d’indemnisation décide, le 30 août 2012, de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 24 août 2012, mais elle n’informe le travailleur de cette suspension et des motifs qui la justifient que le 10 septembre 2012. La Commission des lésions professionnelles estime qu’il s’agit d’une suspension rétroactive qui fait en sorte que le travailleur se voit priver de ses indemnités sans savoir pourquoi et sans aucune possibilité de contester cette suspension ou de corriger les manquements reprochés.
[95] La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que, si une suspension est justifiée dans ce dossier, elle ne peut débuter avant le 10 septembre 2012, date de la décision qui permet au travailleur de connaître les doléances de la CSST à son endroit et d’y remédier, le cas échéant.
[96] Toutefois, la suspension des indemnités est-elle justifiée en l’espèce ?
[97] La Commission des lésions professionnelles rappelle que cette suspension doit s’appuyer sur le non-respect de l’une ou l’autre des conditions édictées par le législateur à l’article 142 de la loi.
[98] Dans la décision du 10 septembre 2012, l’alinéa invoqué est celui qui traite du refus ou de la négligence de fournir les renseignements requis ou de donner l’autorisation nécessaire à leur obtention. L’information requise est celle portant sur les médicaments ainsi que sur le prochain rendez-vous médical. Il est également mentionné que le document du médecin portant sur l’absence du travailleur en dehors du Canada est daté du 2 août 2012, mais n’est expédié à la CSST que le 30 août 2012.
[99] Or, la Commission des lésions professionnelles rappelle que le libellé des décisions portant sur la suspension des indemnités est très important puisque c’est ainsi que le travailleur est informé de ses manquements et de ce qu’il doit faire pour y remédier.
[100] La CSST reproche donc au travailleur de ne pas avoir fourni les informations demandées sur la question des médicaments et du prochain rendez-vous médical et d’avoir fourni, en retard, le document du docteur Teodorescu du 2 août 2012.
[101] Comme la décision est datée du 10 septembre 2012, la Commission des lésions professionnelles ne comprend pas le reproche formulé quant à la réception tardive du document du 2 août 2012. Le 10 septembre 2012, la CSST a ce document en main depuis le 30 août 2012 et elle détient donc l’information relative à la recommandation du docteur Teodorescu. Une suspension de l’indemnité de remplacement du revenu ne peut donc inciter le travailleur à fournir cette information déjà en possession de la CSST.
[102] De toute façon, la Commission des lésions professionnelles considère que ce document est adressé à la CSST en temps utile puisqu’elle n’a aucune raison d’écarter le témoignage de madame Vincze à cet égard. Celle-ci précise qu’elle expédie tous les documents médicaux du 2 août et, en raison de circonstances inconnues, celui du docteur Teodorescu ne semble pas se rendre à bon port. Ceux du docteur Boulad sont toutefois reçus par la CSST et, dès lors, cette information médicale est transmise avec célérité sans refus ou négligence de la part du travailleur.
[103] La CSST indique aussi que le travailleur fait défaut de l’aviser de son prochain rendez-vous médical. La Commission des lésions professionnelles ne sait pas si elle fait référence au rendez-vous prévu pour l’électromyographie ou à la prochaine visite médicale auprès du docteur Teodorescu. Or, dans l’un ou l’autre cas, la Commission des lésions professionnelles ne décèle ni refus, ni négligence de fournir les renseignements à ce sujet.
[104] En effet, lors du départ du travailleur, aucun rendez-vous n’est fixé à court terme avec le docteur Teodorescu puisque celui-ci autorise le travailleur à se rendre dans sa famille durant le temps d’attente prévu pour l’électromyographie. Le travailleur ne peut donc communiquer une date de rendez-vous dans un tel contexte.
[105] Quant à l’électromyographie, le travailleur agit avec diligence en allant porter, dès le 2 août 2012, sa prescription à la clinique. Il ne peut informer la CSST d’une date précise pour ce test tant que la clinique ne l’aura pas avisé d’une disponibilité à ce sujet.
[106] Or, dès le 30 août 2012, la CSST est informée des démarches du travailleur, démarches qui sont confirmées les 10 et 11 septembre 2012. Une erreur se glisse concernant l’adresse de la clinique de telle sorte que l’agente d’indemnisation croit, à tort, que le travailleur lui fournit des informations inexactes, mais la preuve révèle que ce dernier a bel et bien requis un rendez-vous pour une électromyographie dès le 2 août 2012.
[107] Il ne peut, toutefois, fournir plus d’informations à la CSST qu’il n’en obtient de la clinique et, en conséquence, la Commission des lésions professionnelles ne peut conclure qu’il refuse ou néglige de la renseigner à cet égard.
[108] Quant au nom des médicaments pris par le travailleur, la Commission des lésions professionnelles constate qu’au moins une des prescriptions du docteur Teodorescu est adressée à l’agente d’indemnisation en mai 2012. De plus, dès le 11 septembre 2012, une liste détaillée des médicaments lui est expédiée par le représentant du travailleur. En outre, comme le travailleur demande, tôt ou tard, un remboursement de ses médicaments, la Commission des lésions professionnelles croit que la CSST aurait été largement informée, à ce moment-là, du nom et de la nature de ceux-ci.
[109] La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que l’information concernant les médicaments pris par le travailleur n’est pas le motif justifiant la suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu puisque l’obtention de cette information n’a pas entraîné le rétablissement du versement de l’indemnité de remplacement du revenu.
[110] La Commission des lésions professionnelles considère qu’il s’agit d’un prétexte pour masquer le vrai motif de la suspension des indemnités, soit le départ du travailleur pour l’Iran et le fait que l’électromyographie doit être repoussée en raison de cette absence.
[111] En effet, il ressort des notes évolutives que ce qui amène l’agente d’indemnisation à suspendre les indemnités le 24 août 2012 est ce départ du travailleur.
[112] Pourtant, la Commission des lésions professionnelles constate que le départ d’un travailleur n’est pas, en soi, un motif permettant la suspension d’une indemnité de remplacement du revenu en vertu de l’article 142 de la loi. Ce départ doit se traduire ou doit entraîner une des situations prévues à cet article afin de justifier cette suspension.
[113] Toutefois, la Commission des lésions professionnelles ne peut voir, dans ce dossier, en quoi le départ du travailleur correspond à l’une ou l’autre de ces situations.
[114] Ainsi, le travailleur ne fournit pas de renseignements inexacts en raison de ce départ. L’imbroglio concernant l’identité de la clinique dans laquelle le rendez-vous pour l’électromyographie est sollicité ne peut correspondre à une telle inexactitude.
[115] Le travailleur ne refuse pas ou ne néglige pas de fournir les renseignements requis par la CSST comme mentionné précédemment.
[116] Le travailleur n’omet pas et ne refuse pas de se soumettre à un examen médical puisqu’aucun tel examen n’est prévu au moment de son départ. Il est vrai que, à l’aéroport, le travailleur reçoit un appel téléphonique de la clinique concernant une annulation possible et un rendez-vous possible pour l’électromyographie projetée. Cependant, aucune date n’est avancée et il n’y a donc pas lieu d’y voir un refus de se soumettre à un examen médical dans un tel contexte. Il est également vrai que, en raison d’un problème d’expiration de sa carte de résidence, le travailleur ne peut se présenter au rendez-vous fixé le 15 octobre 2012 ou à la visite médicale auprès du docteur Teodorescu. Cependant, l’article 142 de la loi édicte que l’omission ou le refus doivent être faits « sans raison valable ». Or, l’impossibilité de revenir à temps pour cet examen ou cette visite médicale à cause des diverses situations décrites par le travailleur équivaut certes à une raison valable au sens de cet article. Cet alinéa ne justifie donc pas la suspension de l’indemnité.
[117] Le travailleur ne pose pas un acte qui, selon le docteur Teodorescu, empêche ou retarde sa guérison. Bien au contraire, le docteur Teodorescu croit que cette absence et ce voyage auprès des siens seront bénéfiques pour son état psychologique. De plus, la preuve ne révèle aucunement que ce voyage retarde la guérison de sa lésion physique.
[118] Le travailleur n’omet pas et ne refuse pas de se soumettre à un traitement médical reconnu en raison de ce voyage. Comme mentionné précédemment, le seul « traitement » prévu à cette époque est une électromyographie et la Commission des lésions professionnelles estime que le travailleur a une raison valable de s’y soustraire.
[119] Le travailleur n’omet pas et ne refuse pas de se prévaloir de mesures de réadaptation puisque son dossier n’est pas rendu à cette étape au moment de son départ.
[120] Le travailleur n’omet pas et ne refuse pas de faire un travail en assignation temporaire, la preuve ne révélant aucunement une telle offre par l’employeur.
[121] Enfin, le travailleur n’omet pas et ne refuse pas d’informer son employeur conformément à l’article 274 de la loi puisqu’il n’est pas question de la consolidation de sa lésion professionnelle par le médecin traitant de ce dernier.
[122] La situation du travailleur ne correspond donc à aucun des motifs permettant de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu qui lui est versée.
[123] La représentante de l’employeur met certes l’emphase sur le fait que le travailleur n’avise pas la CSST de son changement d’adresse et elle dépose des décisions où la Commission des lésions professionnelles accepte de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu pour ce motif.
[124] Cependant, la Commission des lésions professionnelles remarque que, en l’espèce, cette question de changement d’adresse n’est pas un des motifs invoqués par la CSST et elle ne peut donc la considérer. De plus, la CSST est avisée de la nouvelle adresse du travailleur dès septembre 2012. Le changement d’adresse ne peut donc justifier la suspension de l’indemnité de remplacement du revenu.
[125] La représentante de l’employeur indique aussi que l’absence du travailleur empêche l’employeur de le faire examiner durant cette période. Or, la Commission des lésions professionnelles ne possède aucune preuve d’une telle intention de l’employeur, outre l’allégation de cette dernière. Elle ne dépose pas de convocation qui serait restée sans réponse ou de documents démontrant un rendez-vous reporté. La Commission des lésions professionnelles ne peut donc approuvée la suspension de l’indemnité de remplacement du revenu sur la base d’une telle hypothèse.
[126] La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que la CSST ne pouvait suspendre l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur faute de motifs lui permettant d’agir ainsi en vertu de l’article 142 de la loi.
[127] La Commission des lésions professionnelles infirme donc la décision rendue par la révision administrative.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête déposée par le travailleur, monsieur Amir Alidousti;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 14 décembre 2012 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la CSST ne pouvait suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 24 août 2012;
DÉCLARE que le travailleur a droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu pour la période du 24 août 2012 au 7 novembre 2012.
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Carmen Racine |
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Monsieur Michel Thibault |
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G.C.D.A. GROUPE CONSEIL DÉF. ACC. |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Marie-Hélène Jolicoeur |
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LAVERY DE BILLY |
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Représentante de la partie intéressée |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Baron et Kingston Mécanique inc. [1995] C.A.L.P. 1504; Bendjilani et Gramprotex (faillite), C.L.P. 107104-72-9811, 8 octobre 1999, L. Crochetière; Rioux et Réalisations Burmacom inc. (faillite), C.L.P. 269603-63-0507 et 279048-63-0512, 6 décembre 2006, J.-P. Arsenault.
[3] Fortin et Donohue Normick inc. [1990] C.A.L.P. 907; Soares et Sefina Industries ltée, C.A.L.P. 39523-6409294, 21 décembre 1994, M. Zigby; Choquette et CSST, C.L.P. 100635-02-9805, 22 décembre 1998, P. Simard; Catudal et Centre hospitalier Cloutier inc., C.L.P. 119192-04-9906, 9 septembre 1999, G. Marquis; Les vêtements Peerless inc. et Ocak, C.L.P. 166077-72-0107, 22 janvier 2002, N. Lacroix; Genest et 98264 Canada ltée, C.L.P. 85293-08-9701, 3 janvier 2002, P. Prégent (requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Abitibi, 615-05-000809-024, 11 avril 2002, j. St-Julien.
[4] Voir, sur ces questions, les décisions suivantes : Richer et Ville de Saint-Hubert [1990] C.A.L.P. 411; Fortin et Donohue Normick inc., précitée à la note 3; Salvaggio et Asphalte et pavage Tony inc. [1991] C.A.L.P. 291; Berkline inc. et Hasler, C.L.P. 134590-73-0003, 14 décembre 2000, C.-A. Ducharme; Westroc inc. et Beauchamp [2001] C.L.P. 206; Algier et Groupement forestier Haut-Yamaska inc., C.L.P. 144149-62B-0008, 23 mai 2001, A. Vaillancourt (révision rejetée, 12 avril 2002, G. Godin); Allaire et Resto-Brasserie Le Grand-Bourg, C.L.P. 153256-32-0012, 17 avril 2001, M.-A. Jobidon; Chantal et Services de gestion Quantum ltée, C.L.P. 185557-62-0206, 10 mars 2003, H. Marchand; G.P.C. Excavation inc. et Prévost, C.L.P. 257713-03B-0503, 21 septembre 2005, G. Marquis.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.