Blouin et CHUQ (Pavillon St-François D'Assise-SSST) |
2007 QCCLP 6166 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 5 mars 2007, le Centre hospitalier de l’Université de Québec (l’employeur) dépose une requête en révision à l’encontre de la décision rendue le 8 février 2007 par la Commission des lésions professionnelles.
[2]
Cette décision déclare que l’employeur a imposé à monsieur Denis Blouin
(le travailleur) une sanction contraire à l’article
[3] À l’audience tenue le 1er octobre 2007, le travailleur de même que l’employeur étaient présents et représentés par procureures.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4]
L’employeur demande de réviser la décision rendue le 8 février 2007 et
de déclarer irrecevable la plainte logée par le travailleur en vertu de
l’article
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Les deux membres, issus respectivement des associations d’employeurs et syndicales, sont d’avis que la requête devrait être rejetée, parce que la décision rendue le 8 février 2007 ne comporte pas d’erreur.
LES FAITS ET LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[6] Le tribunal doit décider s’il y a lieu de réviser la décision rendue le 8 février 2007.
[7]
C’est l’article
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[8]
Cette disposition doit cependant être lue en conjugaison avec l’alinéa
troisième de l’article
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[9] Le tribunal est d’avis que le législateur a voulu ainsi s’assurer de la stabilité juridique des décisions rendues. Il y a donc lieu de tenir compte de ces objectifs, aux fins d’interpréter ces deux dispositions législatives.
[10] Dans le présent dossier, c’est le motif d’un « vice de fond » qui est invoqué pour invalider la décision rendue. La Commission des lésions professionnelles de même que les tribunaux judiciaires se sont prononcés à plusieurs occasions sur la portée du paragraphe troisième de l’article 429.56[2]. La lecture de ces décisions indique qu’une erreur de faits ou de droit peut constituer un « vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision », si le requérant démontre que cette erreur est manifeste et déterminante eu égard à l’objet de sa contestation.
[11] Au même effet la Cour d’appel dans l’affaire Fontaine[3], rappelle les propos du juge Fish dans l’affaire Godin[4] qui précisait que pour qu’une irrégularité soit susceptible de constituer un vice de fond, il doit s’agir d’un « defect so fundamental as to render (the decision) invalid (…), a fatal error ». De même dans l’arrêt Bourassa[5], la Cour d’appel avait précisé qu’une décision pouvant donner ouverture à la procédure prévue à l’article 429.56, devait être « entachée d’une erreur manifeste de droit ou de faits qui a un effet déterminant sur le litige ».
[12] Pour faciliter la compréhension de la présente requête, il y a lieu de rapporter certains passages de la décision rendue le 8 février 2007.
« […]
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] La Commission des lésions professionnelles doit se
prononcer sur le bien-fondé de la plainte logée par le travailleur en vertu de
l’article
[…]
[8] Aux fins de la présente, les parties, référant à la décision rendue par la CSST, admettent ce qui suit en faisant les correctifs et adaptations nécessaires suivantes :
« Par un accord intervenu à la Commission des lésions professionnelles, en date du 15 février 1999 et entériné par la commissaire Ginette Godin, dans sa décision du 23 mars 1999, les parties convenaient de ce qui suit (pièce T-1) :
[…]
Au moment de sa lésion professionnelle, en date du 22 mai 1997, le travailleur exerçait la fonction d’infirmier-auxiliaire au CHUQ, pavillon de St-François.
[…]
Puis, le 25 juillet 2003, la Commission déterminait à titre d’emploi convenable celui d’infirmier en santé communautaire. (…)
En juillet 2004, lors de son retour au travail, l’employeur rémunère le travailleur au taux horaire de 20,80 $ (754,00 $ par semaine), soit au 4e échelon des infirmières (pièce T-7).
Puis, en date du 28 août 2004, la Commission déterminait comme emploi convenable le poste d’infirmier en toxicologie (pièce T-12).
« Pour terminer, le travailleur
signe une plainte en vertu de l’article
[…]
[13] La Commission des lésions professionnelles souligne que,
conformément à l’article
[14] Quant à l’article
[15] En effet, il ressort de la preuve que l’employeur reclassifie le travailleur en décembre 2000 dans un poste d’infirmier et l’intègre à l’échelon 4 rétroactivement au 15 septembre 2000.
[16] Le travailleur, absent pour une lésion professionnelle depuis juillet 2000, reprend le travail chez l’employeur en août 2004. Il occupe l’emploi convenable retenu et disponible chez son employeur, soit celui d’infirmier en toxicologie. Sa classification acquise depuis septembre 2000 dans le corps d’emploi d’infirmier demeure inchangée. Son salaire correspond également à l’échelon 4 qui lui avait été reconnu par l’employeur en 2000.
[17] Or, la Commission des lésions professionnelles estime
que, conformément au 2e alinéa de l’article
[18] Ainsi, en appliquant le principe énoncé à l’article 242 au moment du retour au travail, il faut créer une fiction pour que le travailleur se retrouve, lors de son retour au travail, dans une situation similaire à celle où il se serait retrouvé s’il ne s’était pas absenté en raison d’une lésion professionnelle. Pour se faire, il faut nécessairement considérer des heures non travaillées comme étant des heures travaillées dans son emploi, aux fins de calculer le salaire et les avantagés liés à son emploi convenable auxquels le travailleur a droit à son retour au travail. Conclure autrement irait à l’encontre de l’objectif recherché par le législateur et c’est, par conséquent, cette interprétation que la Commission des lésions professionnelles doit retenir3.
[19] Ainsi, nonobstant son absence pour une lésion professionnelle, les heures travaillées à titre d’infirmier depuis septembre 2000 lui aurait certes permis d’accéder, au fil du temps, à un échelon supérieur selon la progression prévue à la convention collective.
[20] Il y a donc lieu de conclure que l’employeur a imposé
une sanction contraire à l’article
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de M. Denis Blouin;
[…]
ORDONNE au C.H.U.Q. (Pav. St-Fr. D’assise-SST) de rémunérer M. Denis Blouin selon l’échelle 8 pour tenir compte de la période d’absence du travail comme étant des heures travaillées;
RÉSERVE sa compétence, s’il y a lieu, pour déterminer le quantum du salaire à verser à M. Denis Blouin.
_____________
2 Sobey’s
inc. et Gauthier,
3 Bombardier
Aéronautique et Frégeau Corriveau,
[13] Dans sa requête écrite de même que dans son argumentation à l’audience, la procureure de l’employeur soumet essentiellement deux choses.
[14]
La première erreur alléguée concernant la décision rendue le 8 février
2007, concerne l’application de l’article
[15]
L’employeur soumet à cet effet qu’en ne distinguant pas les alinéas
premier et deuxième de l’article 242, la Commission des lésions
professionnelles a commis une erreur. En effet, dans le présent cas, le
travailleur n’a pas réintégré son emploi prélésionnel non plus qu’un emploi
équivalent, tel que prévu au premier alinéa de l’article 242, mais bien plutôt
un emploi convenable, conformément au second alinéa de l’article
[16] Ainsi au paragraphe [18] de la décision, en appliquant une présomption fictive créée par les termes « s’il avait continué à exercer son emploi pendant son absence » tel que prévu au premier alinéa de l’article 242, la Commission des lésions professionnelles a commis une erreur « d’application » de ce second alinéa de l’article 242. Le procureur soumet ainsi que « si le législateur avait voulu traiter les travailleurs qui réintègrent un emploi convenable de la même façon que ceux qui réintègrent leur emploi prélésionnel ou un emploi équivalent, il n’aurait pas créé un second alinéa à l’article 242 et il aurait intégré les termes « emploi convenable » au premier alinéa ». L’employeur soumet donc que la décision rendue le 8 février 2007 comporte une erreur manifeste, qui a véritablement eu un effet déterminant sur le litige et que cette décision doit être révisée.
[17] D’autre part, l’employeur soumet que la Commission des lésions professionnelles a commis une erreur en confondant les concepts de « ancienneté » et de « expérience ».
[18]
L’employeur soumet que les articles
[19] L’employeur soumet donc qu’en « interprétant autrement et en confondant ces deux notions », la Commission des lésions professionnelles a commis une erreur manifeste et déterminante.
[20]
La procureure du travailleur soumet que même si le législateur a adopté
deux alinéas différents à l’article
[21]
La procureure du travailleur soumet qu’eu égard aux notions « d’ancienneté
» et « d’expérience », les mêmes représentations avaient été faites
devant la commissaire qui est à l’origine de la décision rendue le 8 février
2007. Le paragraphe [14] de cette décision répond clairement à cet argument, en
indiquant qu’une disposition d’une convention collective ne peut limiter la
portée d’un article d’une loi d’ordre public, tel l’article
[22] Le tribunal doit donc décider s’il y a lieu de réviser la décision rendue le 8 février 2007.
[23]
Le tribunal se doit d’écarter le premier argument de l’employeur
concernant l’interprétation de l’article
242. Le travailleur qui réintègre son emploi ou un emploi équivalent a droit de recevoir le salaire et les avantages aux mêmes taux et conditions que ceux dont il bénéficierait s'il avait continué à exercer son emploi pendant son absence.
Le travailleur qui occupe un emploi convenable a droit de recevoir le salaire et les avantages liés à cet emploi, en tenant compte de l'ancienneté et du service continu qu'il a accumulés.
__________
1985, c. 6, a. 242.
[24]
En effet, la jurisprudence[6] constante tant du présent
tribunal que des instances judiciaires, indique clairement que l’interprétation
de la portée de dispositions législatives, ne constitue pas un vice de fond au
sens prévu au paragraphe troisième de l’article
[25]
Le soussigné est aussi d’avis que l’interprétation donnée à l’article
[26]
Le soussigné souligne au surplus que le législateur n’avait d’autre
alternative que d’adopter deux alinéas différents, puisqu’au second alinéa, le
travailleur retourne dans un emploi convenable dont le salaire et les avantages
liés à cet emploi, sont habituellement différents de ceux de son emploi
prélésionnel. Le législateur a cependant précisé que dans un tel cas, il y a
lieu de « tenir compte de l’ancienneté et du service continu que le travailleur
a accumulés » jusque-là. Cette interprétation fait en sorte que le
travailleur qui a subi le plus de séquelles en raison d’un accident du travail
et qui demeure incapable d’occuper son emploi prélésionnel, ne subira pas de
préjudice par rapport aux travailleurs qui peuvent recouvrer leur emploi et
qu’enfin, conformément à l’article
[27]
Si c’est le caractère « raisonnable » de l’interprétation retenue
par la décision rendue le 8 février 2007 que l’employeur conteste, c’est la
procédure de révision judiciaire qu’il doit utiliser. En effet, la
jurisprudence[7] constante indique
clairement qu’il faut faire une distinction entre l’erreur manifeste et
déterminante, qui est assimilable à « un vice de fond … de nature à
invalider la décision » et l’erreur manifestement déraisonnable, soit le
critère appliqué par les instances judiciaires. Il ne faut donc pas confondre
le pouvoir de contrôle et de surveillance de l’instance judiciaire et le
recours prévu à l’article
[28] Le tribunal se doit également d’écarter le second argument de l’employeur, concernant les notions « d’ancienneté » et « d’expérience ».
[29] Il y a lieu tout simplement, comme l’a souligné la procureure du travailleur, de se référer au paragraphe [14] de la décision rendue le 8 février 2007, pour comprendre que cet argument a été écarté et qu’aucune erreur manifeste à cet effet n’a été commise. En effet, la loi est d’ordre public et la jurisprudence[8] indique clairement qu’en aucune façon, elle peut être limitée par une disposition de la convention collective, tel qu’indiqué dans la décision rendue le 8 février 2007.
[30]
Au surplus, le soussigné souligne que l’article 31.01 de la convention
collective indique entre autres que « aux fins de salaire seulement, elle (
la personne ) est alors réputée pour posséder … le nombre d’années d’expérience
correspondant à sa situation dans l’échelle de salaire … ». Cette disposition
ressemble beaucoup à la fiction indiquée au paragraphe [18] de la décision
rendue le 8 février 2007, concernant l’article
[31] Le tribunal est donc d’avis que dans le présent dossier, l’employeur n’a pas démontré que la décision rendue le 8 février 2007, comporte une erreur manifeste et déterminante. Le tribunal conclut donc que la décision ne comporte pas d’erreur de droit ou de faits et qu’elle n’est donc entachée d’aucun vice de fond ou de procédure de nature à l’invalider.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de l’employeur, le Centre hospitalier de l’Université de Québec;
CONFIRME la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 8 février 2007;
ORDONNE à l’employeur, le Centre hospitalier de l’Université de Québec, de rémunérer le travailleur, monsieur Denis Blouin, selon l’échelle 8, pour tenir compte de la période d’absence au travail comme étant des heures travaillées;
RÉSERVE la compétence de la commissaire qui a rendu la décision du 8 février 2007, pour déterminer, s’il y a lieu, le quantum du salaire à verser au travailleur, monsieur Denis Blouin.
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Me Alain Suicco |
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Commissaire |
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Me Sophie Cloutier |
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GRONDIN, POUDRIER, BERNIER |
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Procureure de la partie requérante |
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Me Danielle Gauthier |
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HEENAN BLAIKIE |
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Procureure de la partie intéressée |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] TAQ c.
Godin, C.A. Montréal,
[3] Précitée, note 2.
[4] Précitée, note 2.
[5] Précitée, note 2.
[6] Tribunal Administratif du Québec c. Godin,
[7] Cvopa et École
Peter-Hall inc., C.A.L.P.
[8] Sobey’s inc. et
Gauthier,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.