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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 22 décembre 2003, MmeGuylaine Turgeon (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision d’une décision rendue le 18 novembre 2003 par cette instance.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles déclare que la travailleuse n’a pas été l’objet d’une mesure prohibée par l’article 32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[3] À l’audience tenue par la Commission des lésions professionnelles le 16 février 2006 à Drummondville, la travailleuse était absente mais elle était représentée. Quant à Les Aliments Vermont inc. (l’employeur), il avait un représentant.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision parce qu’elle comporte un vice de fond de nature à l’invalider. Sur le fond du litige, elle demande de déclarer que la plainte déposée en vertu de l’article 32 de la loi est bien fondée.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Tant le membre issu des associations syndicales que celui issu des associations d’employeurs recommandent à la Commission des lésions professionnelles de rejeter la requête en révision vue l’absence de motif donnant ouverture à ce recours. Ils sont d’avis que l’article 235 de la loi porte à interprétation et que le fait de ne pas être d’accord avec la décision rendue ne constitue pas une erreur manifeste de droit.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] La Commission des lésions professionnelles doit décider s’il a été démontré un motif permettant la révision de la décision rendue le 17 novembre 2003 par cette instance. Le troisième alinéa de l’article 429.49 stipule :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[7] Le recours en révision ou en révocation est prévu à l’article 429.56 de la loi :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[8] Au soutien de sa requête en révision, la travailleuse soumet que la décision est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider. La jurisprudence[2] a établi qu’on entend, entre autres, par la notion « vice de fond ... de nature à invalider la décision », une erreur manifeste de droit ou de faits qui est déterminante sur l’issue du litige. La Cour d’appel, dans Bourassa c. C.L.P.[3] rappelle ainsi la notion de « vice de fond » :
« [21] La notion [vice de fond] est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d’une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.
[22] Sous prétexte d’un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d’ajouter de nouveaux arguments(4).
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(4) Yves Ouellette. Les tribunaux administratifs du Canada : procédure et preuve. Montréal : Éd. Thémis, 1997. P. 506-508; Jean-Pierre Villagi. « La Justice administrative », dans École du Barreau du Québec. Droit public et administratif. Volume. 7 (2002-2003). Cowansville : Y. Blais, 2002. P. 113, 127-129.
[9] Encore plus récemment, la Cour d’appel dans l’affaire C.S.S.T. et Fontaine[4], réaffirme que la révision n’est pas l’occasion pour le tribunal de substituer son appréciation de la preuve à celle déjà faite par la première formation ou encore interpréter différemment le droit. La Cour d’appel précise que le tribunal ne peut pas intervenir en révision à moins qu’il soit établi l’existence d’une erreur manifeste et déterminante dans la première décision. Dans l’arrêt Fontaine, le juge Morissette ajoute ce qui suit au sujet des conflits jurisprudentiels au sein d’un même tribunal.
[10] Dans la décision visée, le tribunal conclut que la travailleuse n’a pas fait l’objet d’une mesure prohibée par l’article 32 de la loi pour les motifs suivants :
« […]
[10] Il est établi que le 27 juin 2000, la travailleuse subit une lésion professionnelle et doit s’absenter du travail jusqu’au 23 août 2000, date où la lésion professionnelle est consolidée.
[11] Il est aussi établi par un document apparaissant au dossier et par le témoignage de la travailleuse qu’à son retour au travail, elle apprend par l’intermédiaire d’un membre du syndicat, responsable de l’administration du régime de soins dentaires, que l’employeur a interrompu le versement de sa cotisation pendant son absence.
[12] Devant le refus de l’employeur exprimé par son directeur des ressources humaines, la travailleuse dépose une plainte en vertu de l’article 32 de la loi et obtient gain de cause, d’où, le présent litige.
[…]
[24] La Commission des lésions professionnelles a pris connaissance de la police d’assurance couvrant les employés du Syndicat des employés des Aliments Vermont. Sa lecture nous apprend que le Preneur de la police est le Syndicat des employés des Aliments Vermont, l’assureur étant SSQ Vie. Les parties au contrat sont le Preneur de la police et l’adhérent d’une part, et l’assureur d’autre part.
[25] Le raisonnement tenu par la Commission des lésions professionnelles va dans le sens des arguments développés par le procureur de l’employeur.
[26] D’abord, si l’on réfère aux termes mêmes de l’article 32 de la loi, la Commission des lésions professionnelles considère qu’il n’a pas été démontré que l’employeur a exercé à l’égard de la travailleuse des mesures discriminatoires ou de représailles en raison de la survenance d’une lésion professionnelle.
[27] Dans un premier temps, elle écarte l’application de l’article 242 de la loi, lequel traite de la détermination du salaire et des avantages devant être versés à un travailleur lors de son retour au travail, ce qui n’est pas l’objet du litige dont elle est saisie.
[28] Le litige dont doit disposer la Commission des lésions professionnelles concerne plutôt la question du paiement de la cotisation pour assurance dentaire pendant l’absence de la travailleuse en raison de sa lésion professionnelle. Or, il se trouve que l’article 235 de la loi traite justement de la participation au régime d’assurance pendant l’absence d’un travailleur pour cause de lésion professionnelle.
[29] Si tant est naturellement que l’on puisse assimiler la participation à un régime d’assurance avec la question du paiement des cotisations.
[30] À ce sujet, la Commission des lésions professionnelles conclut que la mesure exercée par l’employeur pendant l’absence de sa travailleuse ne contrevient pas aux dispositions de l’article 235 de la loi.
[31] Dans un premier temps, la Commission des lésions professionnelles considère que l’article 235 de la loi traite de la continuité de la participation d’un travailleur au régime de retraites et d’assurances pendant la durée de son absence au travail pour cause de lésion professionnelle alors que le litige dont elle est saisie réside dans le fait que l’employeur n’a pas versé sa part de cotisation pendant l’absence de la travailleuse pour cause de lésion professionnelle. Il s’agit là de deux situations différentes, la seconde n’étant pas expressément prévue par l’article 235 de la loi.
[32] Ensuite, elle retient qu’effectivement, l’employeur n’est aucunement partie au contrat d’assurance dentaire qui lie le Syndicat des employés des Aliments Vermont et l’assureur. C’est en effet ce qui ressort de la lecture du contrat liant les parties.
[33] Mais, il y a encore plus. La section de la police d’assurances intitulée Terminaison de l’assurance qui se trouve à la page 7 du document nous apprend ce qu’il advient dans le cas ou un adhérant cesse de travailler activement en raison d’une maladie ou d’une blessure : l’adhérent peut demeurer assuré à la condition que le Preneur de la police, soit le syndicat et l’adhérent payent la prime de l’adhérent.
[34] L’employeur, pour sa part, respecte l’obligation à laquelle il s’est engagé par la signature de la convention collective. Ce faisant, il ne déroge pas aux dispositions de l’article 235 de la loi qui prévoit que la travailleuse continue à participer au régime d’assurances pourvu qu’elle paie sa part de cotisations exigibles auquel cas son employeur assume les siennes à savoir, ce qui est prévu par la convention collective.
[35] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que cette situation ne va pas à l’encontre de l’article 4 de la loi :
4. La présente loi est d'ordre public.
Cependant, une convention ou une entente ou un décret qui y donne effet peut prévoir pour un travailleur des dispositions plus avantageuses que celles que prévoit la présente loi.
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1985, c. 6, a. 4.
[36] Dans une affaire2 où une travailleuse n’avait pu adhérer au régime d’assurances en place chez l’employeur parce qu’elle n’avait pas accumulé l’ancienneté requise dans la police d’assurances en raison de la survenance de la lésion professionnelle, la Commission des lésions professionnelles a refusé de considérer que cette situation était contraire à l’ordre public parce que le texte de l’article 4 vise une convention entre employeur et employé et non une convention qui implique aussi un tiers, en l’occurrence, un assureur. Or, en l’espèce et tel que déjà dit, l’employeur n’a rien à voir dans le contrat d’assurance dentaire qui lie le syndicat et l’adhérent d’une part, et l’assureur d’autre part.
[37] Ces raisons mises ensemble mènent à la conclusion selon laquelle la travailleuse n’a pas subi de mesures prohibées par la loi au sens de l’article 32.
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2 Brien et Interlam, C.L.P. 111658-62B-9903, 10 janvier 2000, D. Lampron.
[11] Au soutien de sa requête en révision, la travailleuse plaide que le tribunal ne s’est pas prononcé sur les heures travaillées au sens de la loi et qu’il a commis une erreur de droit en concluant que l’employeur n’est pas une partie au contrat d’assurance. La travailleuse allègue que le tribunal ne s’est pas prononcé sur le litige mais uniquement sur l’assurance.
[12] Pour disposer du litige, la Commission des lésions professionnelles a interprété l’article 235 de la loi et elle a conclu, au paragraphe 31 de la décision, que le litige dont elle était saisi ne portait pas sur l’application de cette disposition qui vise la participation de la travailleuse au régime de retraite ou d’assurance durant son absence. Le tribunal retient que le litige réside dans le fait que l’employeur n’aurait pas payé sa part de cotisation pendant l’absence de la travailleuse pour cause de la lésion. Il estime qu’il ne s’agit pas d’une situation visée par l’article 235 et que les dispositions de la convention collective et des termes de l’assurance ne vont pas à l’encontre de l’article 4 de la loi.
[13] La Commission des lésions professionnelles n’a peut-être pas répondu à tous les arguments soumis par la travailleuse, cela ne fait pas en sorte que la décision comporte une erreur manifeste. Le tribunal n’a pas à répondre à tous les arguments soumis lorsque cela n’est pas nécessaire. Dans le présent cas, une lecture attentive de l’ensemble de la décision permet de comprendre les raisons de cette décision et le tribunal n’y voit aucune erreur manifeste ni déterminante.
[14] Manifestement, la requête en révision, dans le présent cas, équivaut à un second appel ce que ne permet pas l’article 429.56 de la loi. On peut ne pas être d’accord avec cette décision, toutefois cela n’en fait pas une décision comportant une erreur manifeste et déterminante.
[15] Compte tenu de ce qui précède, la Commission des lésions professionnelles estime qu’il n’a pas été démontré que la décision comporte un vice de fond de nature à l’invalider.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en révision déposée par MmeGuylaine Turgeon.
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MICHÈLE CARIGNAN |
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Commissaire |
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Me Sylvain Toupin |
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DENIS, COMTOIS INC. |
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Représentant de la partie requérante |
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M. Jean Desjadins |
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CONFÉDÉRATION DES SYNDICATS NATIONAUX |
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Représentant de la partie intéressée |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.