Décision

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Gabarit de jugement pour la cour d'appel

Canadian Royalties inc. c. Mines de nickel Nearctic inc.

2017 QCCA 1287

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-026463-166

(500-11-047679-143)

 

DATE :

31 août 2017

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A.

CLAUDE C. GAGNON, J.C.A.

 

 

CANADIAN ROYALTIES INC.

REQUÉRANTE - intimée - demanderesse

c.

 

LES MINES DE NICKEL NEARCTIC INC.

EXPLORATION MINÉRALE UNGAVA INC.

INTIMÉES - requérantes - défenderesses

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           La requérante demande la permission d’interjeter appel d’un jugement rendu le 7 octobre 2016, par la Cour supérieure du district de Montréal (honorable Michel A. Pinsonnault), qui rétracte un jugement d’homologation d’une sentence arbitrale[1]. La requête a été déférée à une formation de la Cour pour qu’elle se prononce à la fois sur la permission d’appeler et, le cas échéant, sur le fond de l’affaire[2].

[2]           Pour les motifs de la juge Bélanger auxquels souscrivent les juges Bouchard et Gagnon, LA COUR :

[3]           ACCUEILLE la requête pour permission d’appeler du jugement avec les frais de justice;

[4]           ACCUEILLE l’appel avec les frais de justice;

[5]           INFIRME le jugement de la Cour supérieure;

[6]           REJETTE la requête en rétractation de jugement avec les frais de justice.

 

 

 

 

 

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

 

 

 

 

 

DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A.

 

 

 

 

 

CLAUDE C. GAGNON, J.C.A.

 

Me Guy Du Pont, Ad. E.

Me Marc-André Boutin

Me Jean Teboul

Davies Ward Phillips & Vineberg

Pour la requérante

 

Me Karim Renno

Me Éva M. Richard

Renno Vathilakis inc.

Pour les intimées

 

Date d’audience :

26 avril 2017


 

 

MOTIFS DE LA JUGE BÉLANGER

 

 

[7]           En 2001, les intimées s’entendent pour permettre à la requérante d’acquérir graduellement des intérêts dans certaines propriétés minières. Plusieurs différends surviennent entre les parties qui recourent à six reprises à l’arbitrage prévu au contrat, sans compter les recours devant les tribunaux judiciaires.

[8]           Le 13 janvier 2011, une sentence arbitrale est rendue par deux arbitres désignés par les parties, nommant l’avocat Jean-Louis Baudouin arbitre unique pour trancher le dernier différend entre les parties.

[9]           Le 27 août 2014, l’arbitre Baudouin rend sa sentence (rectifiée le 24 septembre 2014) ordonnant le transfert à la requérante des derniers 20 % d’intérêts détenus par les intimées. Il rejette les arguments avancés par les intimées, lesquels ont déjà été tranchés par l’arbitrage précédent et ceux relatifs à la mauvaise foi de la requérante, dont la multiplication de dépenses inutiles.

[10]        À l’automne 2014, les parties concluent une transaction par laquelle la requérante s’engage à verser 1 409 911,87 $ aux intimées et ces dernières s’engagent à acquiescer à l’homologation de la sentence arbitrale en plus de renoncer à faire valoir toute cause d’action à l’égard des propriétés minières.

[11]        Le 19 décembre 2014, le juge Martin Castonguay de la Cour supérieure homologue la sentence arbitrale, vu le consentement des intimées.

[12]        Le 8 septembre 2015, les intimées demandent la rétractation de ce jugement soutenant que leur président a découvert, le 24 août 2015, après l’examen de plusieurs documents, que l’arbitre était en conflit d’intérêts pendant tout l’arbitrage et manquait donc de l’indépendance et de l’impartialité requises. Les intimées ont en effet appris que le cabinet de maître Baudouin, au jour de sa nomination et de l’arbitrage, avait agi comme conseiller juridique pour les preneurs de fonds (Underwriters) d’un appel d’offres à l’épargne lancé par la requérante en 2008.

[13]        Le 10 décembre 2015, la requérante s’oppose à la demande soutenant, entre autres choses, que l’implication de ce cabinet pour les preneurs a été dévoilée publiquement, que les documents en faisant état ont été déposés lors de l’arbitrage, que le protocole d’arbitrage prévoit une renonciation à l’argument de conflit d’intérêts et que l’arbitre n’était pas en conflit d’intérêts.

[14]        Le 9 février 2016, les parties produisent leur déclaration de dossier complet.

[15]        Le 23 août 2016, les intimées, par modification, requièrent aussi le rejet de la demande d’homologation. Dans un jugement oral, le juge de première instance refuse de procéder sur la demande originaire.

Le jugement

[16]        Après avoir entendu les témoins des intimées et dans un très long jugement[3], le juge « suspend » et « rétracte » (revokes, suspends) le jugement d’homologation. Il affirme que les intimées lui ont démontré un sérieux conflit d’intérêts ou, à tout le moins,  l’apparence d’un tel conflit, de sorte qu’elles n’auraient pas accepté la nomination de l’avocat Baudouin et qu’elles auraient pu, pour ce motif, contester l’homologation de sa sentence.

[17]        Le juge ajoute que le cabinet d’avocats de l’arbitre était certainement au courant d’informations confidentielles concernant les affaires de la requérante, notamment son projet de construction de la mine. Il considère en effet que même si le cabinet était techniquement l’avocat des preneurs, il subsistait également une relation avocat-client à l’égard de la requérante en sa qualité d’émettrice. Ce faisant, il était dans l’obligation de mettre en place des mesures afin de s’assurer que l’arbitre soit mis à l’abri de tout risque d’accès à des informations confidentielles. En l’espèce, le juge considère qu’aucune telle mesure n’a été mise en preuve. 

[18]        Le juge développe ensuite sur le droit des parties de choisir leur arbitre et sur l’importance de leur divulguer toute information nécessaire pour une décision éclairée, se disant d’avis que cette obligation repose tant sur les épaules des parties que sur celles de l’arbitre pressenti. Sur ce point, le juge formule plusieurs reproches à la requérante et à ses avocats. Il reproche particulièrement au cabinet des lacunes dans sa procédure interne de vérification des conflits d’intérêts.

[19]        Le juge conclut donc que les intimées ont démontré avoir découvert, après le prononcé du jugement d’homologation, une preuve qui aurait probablement entraîné un jugement différent si elle avait été connue en temps utile, au sens du paragraphe 4 du deuxième alinéa de l’article 345 C.p.c. :

345. Le jugement peut, à la demande d’une partie, être rétracté par le tribunal qui l’a rendu si son maintien est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice; il en est ainsi si le jugement a été rendu par suite du dol d’une autre partie ou sur des pièces fausses ou si la production de pièces décisives avait été empêchée par force majeure ou par le fait d’une autre partie.

 

Le jugement peut aussi être rétracté dans les cas suivants:

 

1°   le jugement a prononcé au-delà des conclusions ou a omis de statuer sur une des conclusions de la demande;

 

2°   aucune défense valable n’a été produite au soutien des droits d’un mineur ou d’un majeur en tutelle ou en curatelle ou d’une personne dont le mandat de protection a été homologué;

 

3°   il a été statué sur la foi d’un consentement invalide ou à la suite d’offres non autorisées et ultérieurement désavouées;

 

4°   il a été découvert après le jugement une preuve qui aurait probablement entraîné un jugement différent, si elle avait pu être connue en temps utile par la partie concernée ou par son avocat alors même que ceux-ci ont agi avec toute la diligence raisonnable.

345. A judgment may, on a party’s application, be revoked by the court that rendered it if letting the judgment stand would tend to bring the administration of justice into disrepute. The judgment may be revoked, for instance, if fraud was committed by another party, if the judgment was based on false exhibits or if the production of decisive exhibits was prevented by superior force or by the act or omission of another party.

 

As well, a judgment may be revoked if

 

 

(1)   the judgment adjudicated beyond the conclusions set out in the application or did not rule on one of them;

 

(2)   no valid defence was produced in support of the rights of a minor or of a person of full age under tutorship or curatorship or for whom a protection mandate has been homologated;

 

 

(3)   a ruling was made on the basis of invalid consent or following an unauthorized tender that was subsequently disavowed; or

 

(4)   evidence was subsequently discovered that would probably have led to a different judgment if the party concerned or its lawyer had become aware of that evidence in sufficient time, although they acted with due diligence.

[20]        Il ajoute que le maintien de l'ordonnance d’homologation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, au sens du premier alinéa de l’article 345 C.p.c.

[21]        En définitive, il conclut ainsi :

[219]    GRANTS the Motion in revocation of the Defendants/Petitioners, Nearctic Nickel Mines Inc. and Ungava Mineral Exploration Inc.;

[220]    REVOKES the judgment rendered on December 19th, 2014 by the Honourable Martin Castonguay homologating a commercial Arbitration Award dated on August 27, 2014 and an Award of Rectification dated September 24, 2014 (the “Homologation Judgment”);

[221]    SUSPENDS the execution of the Homologation Judgment rendered on December 19th, 2014 in the present instance;

[222]    Consequently, ORDERS that the parties be placed forthwith in the position in which they were prior to the Homologation Judgment just as if the said judgment had never been rendered;

[223]    ORDERS the reopening of the hearing in court file number 500-11-047679-143 relating to the Application of Plaintiff Canadian Royalties Inc. to homologate the Award rendered on August 27, 2014 as rectified by the Award of Rectification dated September 24, 2014;

[224]    REFERS this matter to the Coordinating Judge of the Commercial Division to set a date of hearing as soon as the Parties herein shall have filed their “Joint Declaration that a file is complete (Commercial Division Form)”;

[225]    THE WHOLE, with costs.

[22]        Comme nous le verrons, « suspendre » un jugement et à la fois le « rétracter » est antinomique et démontre une lecture erronée des articles 347 et 348 C.p.c.

[23]        Tout aussi surprenant, les parties n’ont pas la même compréhension de ce qui s’est passé en première instance, à telle enseigne que pour l’une, l’homologation a été rétractée et que le juge qui entendra l’instance originaire sera lié par les déterminations du juge alors que, pour l’autre, l’homologation n’a pas été réellement rétractée, cela demeurant à venir. Selon les intimées, tous les témoins devront être entendus de nouveau par le prochain juge qui se prononcera à la fois sur les motifs de rétractation et sur le fond de la demande d’homologation.

La permission d’appeler doit-elle être accordée?

[24]        Pour répondre à la question, il faut analyser la procédure du pourvoi en rétractation selon le nouveau Code de procédure civile.

[25]        Tout comme dans l’ancien code, le juge saisi d’un pourvoi en rétractation peut, outre son rejet, prononcer trois jugements distincts : 1) la suspension du jugement en cause;  2) sa rétractation proprement dite, c’est-à-dire son anéantissement, selon le mot de Cornu[4]; et 3) une nouvelle décision sur l’instance originaire.

[26]        En vertu de l’ancien code, lors de la présentation de la requête « pour réception », le juge, sans entendre de témoins, s’assurait de la suffisance des allégations de celle-ci, pour vérifier si les faits allégués justifiaient les conclusions recherchées quant aux délais, aux motifs de rétractation et aux moyens de défense à l’action. Il prenait connaissance des pièces produites au soutien de la requête et aussi, le cas échéant, de l’interrogatoire de l’auteur de la déclaration sous serment donnée à son appui et, bien sûr, il écoutait les observations de part et d’autre. Le sursis d’exécution, presque toujours recherché d’urgence, était traité en priorité (art. 485 a.C.p.c.). Si la requête était reçue, on passait aux deux autres étapes, le rescindant et le rescisoire, qui chacune nécessitait une instruction; bien souvent les deux procédaient en même temps (art. 488 a.C.p.c.).

[27]        Qu’en est-il aujourd’hui?

[28]        L’article 348 (n.C.p.c.) n’est pas exempt d’ambiguïté à ce sujet :

348. Si, lors de la présentation du pourvoi en rétractation, le motif invoqué est jugé suffisant, les parties sont remises en l’état et le tribunal suspend l’exécution du jugement; il poursuit l’instance originaire après avoir convenu d’un nouveau protocole de l’instance avec les parties.

 

Le tribunal peut, si les circonstances s’y prêtent, se prononcer en même temps sur le pourvoi et sur la demande originaire.

348. If, when the application for revocation is presented, the reasons given are found to be sufficient, the parties are restored to their former state and the court stays execution of the judgment; it continues the original proceeding after agreeing with the parties on a new case protocol.

 

If circumstances permit, the court may decide the application for revocation and the original application at the same time.

[29]        Il est apparent des commentaires de la ministre que le législateur a voulu reprendre le droit antérieur tout en mettant en place une procédure plus souple :

Cet article reprend le droit antérieur mais ne repose plus sur les distinctions techniques que sont les notions de rescindant et de rescisoire, la première visant à vérifier la recevabilité et la suffisance du motif du pourvoi, la seconde visant la phase destinée à juger l’affaire de nouveau.

La disposition ne formalise pas la procédure selon ces étapes; elle laisse au tribunal le soin d’apprécier, suivant les circonstances et la nature de l’affaire, s’il entend en un ou en deux temps le pourvoi en rétractation et, le cas échéant, la demande originaire. Si le tribunal considère le motif comme suffisant, il peut suspendre l’exécution du jugement soumis à la rétractation si l’exécution est en cours.

[30]        Il faut donc revenir à la procédure de l’ancien code pour bien comprendre le déroulement de la nouvelle procédure malgré le changement de texte.

[31]        Aujourd’hui, il n’y a plus d’étapes formelles ou plutôt la première étape n’est plus nécessairement distincte des deux autres. Dès la présentation de la demande, le juge décide des étapes et il peut même trancher le tout, séance tenante (art. 348 C.p.c.).

[32]        Si l’affaire est urgente ou s’il l’estime à propos, le juge peut simplement se prononcer sur la suffisance des motifs et sur les délais pour agir et décider si l’exécution du jugement doit être suspendue.

[33]        Si le juge est satisfait de la suffisance du motif invoqué, du respect du délai et du sérieux des moyens de défense, les effets sont comme ceux de l’ancien code :

a)           la suspension de l’exécution du jugement attaqué qui demeure puisque non rétracté;

b)           les parties sont « remises en état », c’est-à-dire que la procédure reprend là où elle était rendue avant le prononcé du jugement attaqué ce qui implique, compte tenu des délais écoulés, de convenir « d’un nouveau protocole de l’instance » (art. 348 C.p.c.);

c)            lors de l’instruction de l’affaire par la suite, selon la preuve, le juge tranchera définitivement le bien-fondé de la demande en rétractation;

d)           et, s’il l’accueille, il tranchera aussi l’action par un nouveau jugement sur le fond.

[34]        Encore une fois, l’obligation faite au juge de s’assurer que « le motif [de rétractation] invoqué est suffisant » (art. 348 C.p.c.) a trait, comme dans le droit antérieur, à décider de la recevabilité du pourvoi - sa réception - et non à en trancher le bien-fondé.

[35]        La « remise en état [des parties] » prévue à l’article 348 C.p.c. signifie donc qu’elles reprennent là où elles en étaient avant le jugement attaqué, et ce, sans que le jugement soit rétracté. Cette remise en état n’est que procédurale. C’est la même situation que dans l’ancien code où la requête du défendeur condamné par défaut « fait partie de la procédure dans la poursuite originaire » (art. 487 a.C.p.c.) qui se continuait, malgré le jugement déjà rendu et dès lors en suspens.

[36]        Ainsi, on ne peut à la fois suspendre un jugement et le rétracter.

[37]        Malgré le changement dans la formulation, la procédure actuelle devrait se dérouler dans la plupart des cas comme dans l’ancien code, c’est-à-dire, en deux étapes. Le juge s’assurera d’abord de la recevabilité de la demande en vérifiant le respect des délais ainsi que le sérieux des motifs de rétractation et des moyens de défense. Puis, plus tard, les parties feront leur preuve et le juge tranchera le pourvoi en rétractation et l’instance originaire en une seule ou en deux instructions.

[38]        Il faut donc retenir que, dans l’ensemble, la souplesse permise ne change pas les étapes que l’on connaissait dans l’ancien code. Bien utilisée, la souplesse permet une  plus grande efficacité et une économie des ressources judiciaires. Par contre, tous doivent savoir sur quel pied danser et c’est le travail du juge de s’assurer de suivre une procédure équitable pour tous.

[39]        Le choix du juge d’entendre ou non à la fois le pourvoi en rétractation et la demande originaire est important et ne peut être dicté uniquement par des contraintes de temps. Le choix effectué par le juge doit prendre en compte qu’il faut, d’une étape à l’autre, éviter les dédoublements dont la répétition des témoignages et surtout éviter de tirer, en tranchant le pourvoi en rétractation, des conclusions de fait qui lieront le juge qui entendra le fond du litige ou créeront la possibilité de jugements contradictoires. S’il s’avère difficile d’éviter ces risques, il vaut peut-être mieux que le juge tranche le tout en même temps. À moins que le juge ne demeure saisi du dossier, que la question en jeu soit claire pour tous et qu’il soit approprié de scinder l’affaire.

[40]        En l’espèce, le motif retenu par le juge pour rétracter le jugement est très précisément le même que celui invoqué pour le rejet de l’action au fond. Le juge ne pouvait donc scinder l’affaire sans causer, comme c’est le cas ici, un réel problème.

[41]        Il transparaît du jugement que la demande de rétractation et celle sur le fond sont intimement liées. Le juge a mal exercé sa discrétion judiciaire en les séparant de sorte que la confusion s’est installée et qu’il y a un risque sérieux de jugements contradictoires.

[42]        La requérante n’a pas tort de prétendre que le juge qui entendra le pourvoi en homologation sera fort mal pris, s’il reste quelque chose à trancher de ce pourvoi. L’on voit mal comment le juge saisi de ce pourvoi pourra accorder l’homologation à moins de réentendre toute la preuve entendue jusqu’ici, d’exprimer son désaccord avec les motifs du juge qui s’est prononcé sur la rétractation et d’arriver à une conclusion contraire. Contrairement à un autre type de dossier, trancher la demande en rétractation amenait à  l’acceptation ou au rejet de la demande d’homologation. Il n’y a pas de solution mitoyenne. Les déterminations du juge scellent le sort de la demande d’homologation de la sentence arbitrale.

[43]        Bref, cela fait en sorte que, dans ce cas bien particulier, la permission d’appeler du jugement doit être accordée car la requérante démontre que, de facto, ce jugement décide plus qu’en partie du litige et lui cause un préjudice irrémédiable au sens de l’article 31 C.p.c. L’intérêt de la justice milite également en ce sens.

Le bien-fondé du jugement

[44]        La requérante soutient que la requête en rétractation de jugement doit être rejetée dès à présent car le juge n’avait pas à évaluer si l’arbitre était en conflit d’intérêts, mais plutôt s’il existait une crainte raisonnable de partialité. Or, comme le juge retient que l’arbitre et les intimées ignoraient que son cabinet avait représenté les preneurs quelques années auparavant, on ne peut craindre qu’il ait été partial.

[45]        De fait, le juge conclut comme suit :

[196]    The Court is of the view, based on the evidence, that like Erikson and Kochenburger, Baudouin never saw or noted the name of Fasken in the two prospectuses for the simple reason that the issues that he had to deal with did not involve directly the legal counsel of the Underwriters. In other words, in all likelihood, Baudouin did not have need to take cognizance of the portions of the two prospectuses where Fasken was mentioned, otherwise, the Court is nevertheless convinced that the Arbitrator would have raised it upon his discovery of Fasken’s prior involvement in this matter.

[197]    The fact that the Arbitrator may have not been aware of the circumstances involving Fasken and CRI does not negate in itself the existence of a conflict of interest situation or the appearance of a conflict of interest situation. In the context of the Parties having to choose freely a sole arbitrator, the test relating to the conflict of interest rests with the Defendants’ own appreciation of the facts (once and if disclosed), and not only with the Arbitrator, always bearing in mind that what was at stake at the preliminary stage of the arbitration process, was the fundamental right of the Defendants to choose freely the sole arbitrator that would rule in an impartial and binding manner on the commercial dispute that they were about to submit to him.

[46]        Or, le juge se trompe lorsqu’il affirme que, même si l’arbitre ignorait l’existence d’un possible conflit d’intérêts, il faut examiner la situation du seul point de vue des intimées et voir si elles auraient accepté le choix de l’arbitre si elles avaient su que le cabinet de l’arbitre avait déjà représenté les preneurs.

[47]        Le juge devait plutôt recourir à une appréciation objective de l’affaire. Voici pourquoi.

[48]        Le protocole d’arbitrage convenu entre les parties prévoit que l’arbitrage est soumis au Code de procédure civile, dont l’article 626 :

626.  L’arbitre peut être récusé s’il existe un motif sérieux de douter de son impartialité ou s’il ne possède pas les qualifications convenues par les parties.

 

Il est tenu de signaler aux parties tout fait le concernant qui pourrait mettre en cause son impartialité et justifier une récusation.

626.  An arbitrator may be recused if there is serious reason to question their impartiality or if the arbitrator does not have the qualifications agreed by the parties.

 

An arbitrator is required to declare to the parties any fact that could cast doubt on the arbitrator’s impartiality and justify a recusation.

[49]        Le protocole d’arbitrage indique aussi dans quel cas l’arbitre peut être récusé :

4.         Revocation and Recusation of Arbitrator

(a)     The Arbitrator may only be challenged if circumstances exist that give justifiable doubts as to the Arbitrator’s impartiality or independence. The Parties are not currently aware of any circumstances that give rise to justifiable doubts as to the Arbitrator’s impartiality or independence;

(b)     The Arbitrator declares that he will be independent of the parties and shall act impartially. The Arbitrator is not aware of any circumstances that may give rise to a reasonable apprehension of bias. The parties have waived any and all objections to the arbitration arising out of his direct or indirect relationship with the parties are persons associated or related to the parties;

[50]        Le protocole prévoit aussi une clause de renonciation aux conflits d’intérêts qui est ainsi libellée :

7.         Waiver of Conflicts

(a)     Ungava and CRI confirm and agree that the Arbitrator, Jean-Louis Baudouin, and his firm, Fasken Martineau DuMoulin, are not acting nor engaged in a lawyer-client relationship nor any other fiduciary relationship with Ungava, CRI or their related persons and entities. The Parties, on their own behalf and on behalf of their related, affiliated and subsidiary corporations also acknowledge and agree that:

(i)      The Arbitrator is being retained in his personal capacity, and not on behalf of his law firm, though the Arbitrator has confirmed in the firm’s conflicts system that there is no conflict or potential conflict which would prevent them acting as an arbitrator;

(ii)      Fasken Martineau DuMoulin represents a diverse base of clients and, in the future, it shall be entitled to represent Ungava or CRI or other third parties or entities, on any matter, other than matters subject to this arbitration, whether or not such representation may be adverse to Ungava or CRI, or any related, affiliated, or subsidiary entity. In particular, Ungava and CRI agree that Fasken Martineau DuMoulin may represent Ungava or CRI or any other client in any other matter which may be directly adverse to the interest of Ungava or CRI, including pursuant to a lawsuit, negotiation, financing transaction, auction or the acquisition, transaction, regulatory proceeding, insolvency/restructuring or other matter, provided that such matter does not relate directly to the dispute or the subject matter of the dispute;

[51]        Aussi important, l’arbitre s’est engagé à ériger un mur entre le processus d’arbitrage et son cabinet d’avocats :

8.         Arbitration Procedure

[…]

(j)      The Arbitrator, in abundance of caution has erected an ethical wall within the firm of Fasken Martineau DuMoulin;

[52]        Dans l’arrêt Bande indienne Wewaykum c. Canada[5], la Cour suprême énonce que le critère applicable pour décider si un juge est impartial est celui de la crainte raisonnable de partialité. Il est aussi acquis que le même critère est applicable en matière d’arbitrage ou de justice administrative[6].

[53]        Au surcroît, tant les clauses du protocole d’arbitrage que les dispositions du Code de procédure civile indiquent que ce critère s’applique ici.

[54]        Dans Bande indienne Wewaykum, la Cour suprême affirme l’importance d’analyser le contexte factuel propre à chaque affaire lorsqu’il est question de décider s’il subsiste, à l’égard d’un décideur, une crainte raisonnable de partialité. Elle affirme qu’il n’existe aucun principe péremptoire s’appliquant de manière automatique. Il faut s’attarder aux faits pour déterminer s’ils font naître une crainte raisonnable de partialité[7]. Ce test objectif consiste à se demander[8] :

À quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?

[55]        Ce critère objectif a été bien décrit dans l’arrêt Droit de la famille - 1559 qui résume les principes applicables à une demande alléguant la partialité d’un décideur[9] :

Pour être cause de récusation, la crainte de partialité doit donc :

a) être raisonnable, en ce sens qu'il doit s'agir d'une crainte, à la fois, logique, c'est-à-dire qui s'infère de motifs sérieux, et objective, c'est-à-dire que partagerait la personne décrite à b) ci-dessous, placée dans les mêmes circonstances; il ne peut être question d'une crainte légère, frivole ou isolée;

b) provenir d'une personne :

o sensée, non tatillonne, qui n'est ni scrupuleuse, ni angoissée, ni naturellement inquiète, non plus que facilement portée au blâme;

o bien informée, parce qu'ayant étudié la question, à la fois, à fond et d'une façon réaliste, c'est-à-dire dégagée de toute émotivité; la demande de récusation ne peut être impulsive ou encore, un moyen de choisir la personne devant présider les débats; et

c) reposer sur des motifs sérieux; dans l'analyse de ce critère, il faut être plus exigeant selon qu'il y aura ou non enregistrement des débats et existence d'un droit d'appel. 

[Soulignements ajoutés]

[56]        Il devient donc important de se demander si, dans les faits, le juge ou le décideur avait une connaissance réelle de la cause alléguée de partialité. On déduit des motifs de la Cour suprême que la connaissance du décideur des faits donnant naissance à la crainte alléguée de partialité est un critère important, voire déterminant[10] :

En l’espèce, le rôle limité de supervision qu’a joué le juge Binnie dans l’affaire remonte à plus de 15 ans. Ce très long délai est clairement important en ce qui concerne la déclaration du juge Binnie selon laquelle, lorsque les pourvois ont été instruits et jugés, il n’avait aucun souvenir de sa participation dans cette affaire, qui remontait aux années 1980. La question de l’absence de connaissance ou de souvenir des faits pertinents a été examinée par la Cour d’appel d’Angleterre dans Locabail (U.K.), précité. Dans cette affaire, à la p. 487, la Cour d’appel a posé la question suivante :

[TRADUCTION] Comment peut-il y avoir risque réel de partialité ou encore crainte ou probabilité réelle de partialité si le juge ne connaît pas les faits qui, invoque-t-on, feraient naître le conflit d’intérêts?

            […]

L’absence de souvenir du juge Binnie est donc un facteur pertinent. Cependant, elle n’est pas déterminante relativement à la question en litige. Nous sommes en présence non pas d’un cas où le juge n’a jamais rien su du conflit d’intérêts en cause, situation qui serait beaucoup plus simple, mais plutôt d’une affaire où le juge ne s’en souvient plus. […]

[Soulignements ajoutés]

[57]        Le juge n’a pas appliqué le bon test en se questionnant sur ce qu’auraient fait les parties si elles avaient su que le cabinet de l’arbitre avait déjà représenté les preneurs.

[58]        S’il l’avait fait, il aurait conclu que, dans les circonstances de cette affaire, une personne raisonnable et bien informée, sensée et non tatillonne, ne douterait pas de l’impartialité d’un décideur qui possède une excellente réputation, ce qui est admis par tous, surtout s’il n’est pas  informé que sa firme a, dans le passé, représenté les preneurs.

[59]        Les deux raisons retenues par le juge pour conclure au conflit d’intérêts, soit la relation avocat-client entre le cabinet et les preneurs, et le dépôt d’une action collective en Ontario, ne justifient pas sa conclusion.

[60]        Mais il y a plus.

[61]        Pour que la découverte d’une « preuve nouvelle » puisse donner ouverture à une rétractation de jugement, des conditions strictes doivent être observées. L’article 345 al. 2(4o) C.p.c. pose trois conditions d’ouverture à la rétractation : la découverte d’une preuve qui n’a pas pu l’être en temps utile, la diligence de la partie qui n’a pas découvert cette preuve et l’impact de cette preuve sur la demande originaire[11].

[62]        Ce que les intimées soutiennent, c’est que le 24 août 2015, de façon fortuite et après une relecture de documents en leur possession, elles auraient fait le lien entre l’arbitre et son cabinet et entre le cabinet et les appels publics à l’épargne. Or, ces informations étaient disponibles depuis longtemps et le juge n’aurait pas dû les considérer comme constituant une preuve découverte après jugement, au sens de l’article 345 C.p.c.

[63]        Le lien entre l’arbitre et la firme était connu et est même inscrit dans le protocole d’arbitrage. Une réunion préparatoire à l’arbitrage a même été tenue au cabinet de l’arbitre. Par ailleurs, les intimées étaient bien au fait qu’il y avait eu un appel public à l’épargne et le nom du cabinet d’avocats apparaît dans les documents qui ont été déposés à l’arbitrage.

[64]        Dans ces circonstances on ne peut conclure que les intimées ont été diligentes.

[65]        Toute la preuve nécessaire pour faire le lien entre le cabinet et l’arbitre et entre le cabinet et l’appel à l’épargne était non seulement disponible, mais produite au dossier. L’unique raison soulevée par les intimées pour justifier le fait de ne pas avoir soulevé cette question auparavant est qu’elles perçoivent la preuve sous un autre jour. Une telle justification ne peut pas permettre d’atteindre la norme élevée de diligence exigée pour mettre de côté le principe de la stabilité des jugements.

[66]        Pour ces motifs, je propose d’accueillir la permission d’appeler, d’infirmer le jugement de première instance et de rejeter la requête en rétractation de jugement, avec les frais de justice.

 

 

 

DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A.

 



[1]     Canadian Royalties inc. c. Nearctic Nickel Mines inc., 2016 QCCS 4828 [Canadian Royalties].

[2]     Jugement de l’honorable Manon Savard, j.c.a., du 16 décembre 2016.

[3]     Canadian Royalties, supra, note 1.

[4]    Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, « Rétractation (voie de). Voie de recours par laquelle un intéressé demande à la juridiction même qui avait rendu la décision qu’il attaque d’anéantir celle-ci et de statuer à nouveau en fait et en droit (au moins sur les points qu’il critique)… ».

[5]     Bande indienne Wewaykum c. Canada, 2003 CSC 45, [2003] 2 R.C.S. 259 [Bande].

[6]     Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369 [Committee].

[7]     Bande, supra, note 5, paragr. 7 et 77.

[8]     Bande, supra, note 5, paragr. 60, citant Committee, supra, note 6, p. 394; Voir également paragr. 74.

[9]     Droit de la famille - 1559, [1993] R.J.Q. 625 (C.A.); Voir plus récemment Droit de la famille - 17396, 2017 QCCA 353, paragr. 17-26; Wightman c. Widdrington (Succession de), 2007 QCCA 1687.

[10]    Bande, supra, note 5, paragr. 88; Voir également paragr. 89-90.

[11]    Léo Ducharme, L’administration de la preuve, 4e éd., par Léo Ducharme et Charles-Maxime Panaccio, Montréal, Wilson & Lafleur, 2010, no 564-568.

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