Droit de la famille — 20671 |
2020 QCCS 1536 |
JB4578 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
TROIS-RIVIÈRES |
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No : |
400-04-012190-199 |
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DATE : |
Le 12 mai 2020 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
PIERRE C. BELLAVANCE, j.c.s. |
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J… R…, au [...], Ville A, district judiciaire de Trois-Rivières, province de Québec, [...] |
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Demanderesse |
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c. |
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M… L…, au [...], Ville A, district judiciaire de Trois-Rivières, province de Québec, [...] |
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Défendeur |
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ORDONNANCE DE SAUVEGARDE |
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[1] Le Tribunal est saisi d’une demande de sauvegarde parce que la mère de X souhaite que son enfant retourne en classe dès aujourd’hui.
I - Le Contexte
[2] Les parties sont les parents d’une jeune fille, âgée de huit ans. Ils exercent une garde partagée de l’enfant selon des modalités 60 / 40 en faveur de la mère, tel qu’établi dans une convention signée et entérinée par la Cour le 13 mars 2020.
[3] La lecture de cette convention nous apprend que la garde de X est confiée à sa mère, tous les jours de la semaine, lorsqu’il y a de l’école. Le père à ce moment bénéficie de droits d’accès d’une fin de semaine sur deux. Toutefois, depuis le confinement décrété par le gouvernement le 14 mars dernier, X passe une semaine avec son père et une semaine avec sa mère, la fréquentation scolaire ayant été suspendue.
[4] Le 8 mai 2020, le père présente à la Cour une demande où il explique s’opposer au retour en classe de X comme pour une multitude d’élèves du niveau primaire de la région A.
[5] Selon lui, le projet de la mère doit être repoussé puisque le retour à l’école de sa fille présenterait un risque pour la santé de sa nouvelle conjointe. Il explique en effet dans une déclaration assermentée que celle-ci est immunosupprimée puisqu’elle souffre de sclérose en plaques.
[6] Il y avait aussi du danger de contamination pour sa fille cadette puisque celle-ci souffre de trisomie et que les médecins ne sont pas en mesure de savoir quel risque présente la COVID-19 pour elle alors qu’elle a été hospitalisée à trois reprises dans la dernière année en raison de difficultés respiratoires.
[7] Il explique que si X fréquente l’école, elle ne pourra revenir chez lui qu’après avoir été mise en isolement pendant 14 jours.
[8] Il conclut que l’équilibre de son enfant est assuré par la présence des deux parents ainsi que la demi-fratrie et que cela doit primer sur la possibilité de fréquenter un établissement scolaire.
[9] La mère réplique à ces représentations du père dans une déclaration sous serment où elle explique ce qui suit :
2. X fréquente actuellement l’école privée A en 2e année du primaire;
3. X éprouve plusieurs difficultés, et elle est en évaluation pour un Trouble du déficit de l'attention (TDA);
4. Elle est également en très grande difficulté scolaire et nécessite un suivi particulier auprès d’une orthopédagogue de l’école ;
5. Malgré le confinement et la suspension des activités scolaires pendant la pandémie, X devait effectuer des activités et exercices scolaires pour éviter un trop grand retard lors du retour en classe ;
6. Lors de la semaine du 27 avril 2020, alors que X était sous la garde de son père, quatre rencontres Zoom devaient être réalisées par l’enfant, soit deux avec son orthopédagogue et deux avec son professeur titulaire ;
7. Or, le défendeur n’a exercé qu’une des quatre rencontres prévues, soit une rencontre avec le professeur titulaire de l’enfant ;
8. X n’a pas assisté aux rencontres en orthopédagogie, n’a pas fait tous les exercices donnés par l’école et n’a fait aucun devoir en anglais avec son père;
9. Ce n’est pas les premiers manquements du défendeur, ce dernier refusant de consulter le «pluriportail» sur lequel l’école transmet les messages aux parents ;
10. Il est ainsi nécessaire et dans l'intérêt de l’enfant X qu’elle puisse maintenir sa fréquentation scolaire, et ce, compte tenu de ses difficultés et de l’absence d’implication du défendeur ;
11.X est informée de la reprise scolaire et a hâte d’y retourner ;
12. Au surplus, l'école privée A a publié des vidéos YouTube sur les mesures qui seront prises, et entre autres, X devra porter le masque et appliquer toutes les mesures sanitaires émises par la santé publique ;
13. Pour sa part, le défendeur continue de travailler une semaine sur trois et fait son épicerie, ce qui pourrait aussi mettre à risque sa conjointe et son enfant ;
14. Qui plus est, je souligne qu’il est probable que la situation présente soit la même en septembre et X devra fréquenter l’école en septembre prochain ;
15. Je tiens également à préciser que si X ne fréquente pas l’école, elle devra obligatoirement suivre les cours à la maison et faire toutes les évaluations soumises, ce qui sera impossible de réaliser dans les circonstances ;
16. En effet, je serai de retour à mon emploi le 8 juin 2020 et le défendeur m’a prouvé à de nombreuses reprises qu’il est incapable d’accomplir ce que l’école exige pour X ;
17. L'intérêt de notre enfant prime pour sa scolarisation, et je demande qu’il soit ordonné que notre enfant puisse continuer à fréquenter l’école primaire A ;
II - Analyse et décision
[10] Le Tribunal a bien noté que dans la perspective de la réouverture des établissements scolaires, le gouvernement du Québec a publié un document intitulé « Questions et réponses sur l’éducation et la famille » ainsi qu’une page d’information sur la décision à être prise par les parents quant à la fréquentation scolaire en temps de pandémie. On y apprend que le retour en classe se fait sur une base volontaire. Les parents doivent décider ensemble du retour ou non d’un enfant à l’école;
[11] Cet exercice de l’autorité parentale doit prendre en compte l’intérêt de l’enfant comme l’exprime l’article 33 du Code civil du Québec qui prévoit ce qui suit :
33. Les décisions concernant l'enfant doivent être prises dans son intérêt et dans le respect de ses droits. Sont pris en considération, outre les besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques de l'enfant, son âge, sa santé, son caractère, son milieu familial et les autres aspects de sa situation.
[12] Par ailleurs, la jurisprudence a établi depuis longtemps que la recherche du meilleur intérêt de l’enfant doit porter sur ses besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques, l’âge, l’état de santé, le caractère de l’enfant et son milieu familial.
[13] Le Tribunal comprend la situation particulière du père dont la conjointe présente un état de santé qui pourrait être mis à risque si X devait être en contact avec elle après avoir fréquenté l’école.
[14] Toutefois, pour les motifs qui suivent, le Tribunal en vient à la conclusion, comme madame la juge Lise Bergeron[1] l’a fait dans une décision récente où elle faisait une analyse de deux jugements de notre collègue Claude Villeneuve, que X doit retourner à l’école :
- Il n’est pas contesté que X, une élève en deuxième année du primaire, connaît des difficultés d’apprentissage et qu’elle serait déjà pratiquement en situation d’échec;
- À ce sujet, le Tribunal note une correspondance du 8 mai 2020 signée par monsieur C… J…, directeur des services pédagogiques de l’École A où celui-ci explique :
X est une jeune fille présentant des difficultés marquées au niveau de la lecture, difficultés qui ont été observées dès sa 1re année et pour lesquelles des mesures de soutien orthopédagogiques ont été mises en place à l'école. Le plus récent rapport de l'orthopédagogue, datant de janvier 2020, mentionne des difficultés persistantes au niveau de sa conscience phonologique, une des habiletés de base du développement de la compétence à lire en français.
Maintenant en 2e année, son plus récent bulletin démontre que malgré le soutien orthopédagogique, les difficultés de X affectent ses résultats scolaires en français (lecture 63%) et en mathématique (résolution de problèmes mathématiques, 60%). Ses résultats dans les autres compétences et matières scolaires se situent entre 75% et 90%.
Mme D… dénote également des difficultés attentionnelles et une faible persévérance qui peuvent influencer son rendement scolaire et qui nécessitent un soutien particulier de la part de l'enseignante afin de maintenir son attention sur les tâches et les explications.
Conformément aux directives ministérielles et de l'école A, Mme D… a maintenu pendant toute la période de confinement un accompagnement pédagogique à distance avec ses élèves, et un suivi plus étroit des apprentissages de X. L'enseignante a observé que X éprouvait des difficultés à compléter les tâches transmises dans les plans de travail hebdomadaires.
- X est d’ailleurs actuellement en évaluation pour voir si elle ne serait pas affectée d’un trouble du déficit de l’attention;
- Dans un tel contexte, il apparaît évident que X a besoin d’un encadrement scolaire de grande qualité afin de maintenir ou même développer ses acquis et que les cinq semaines où elle sera à l’école, avec un professeur qui pourra lui prodiguer ses enseignements, lui seront grandement bénéfiques;
- On apprend, ce qui est admis, que le père, qui a trois autres enfants à la maison, a de la difficulté à faire les suivis pédagogiques qui ont été proposés à X au cours des dernières semaines de pandémie et qu’il y a toutes raisons de croire, qu’il en sera de même pour les semaines qui s’en viennent, si X ne fréquente pas l’école;
- D’ailleurs, la convention entérinée par la Cour fixant les droits de garde des parents du 13 mars 2020 prévoyait justement que pendant les semaines où X fréquenterait l’école, elle serait confiée aux soins de sa mère de manière à maximiser ses chances de tirer bénéfice des bons suivis et de l’aide aux devoirs faits par cette dernière plutôt que par le père.
- Or, comme l’école est de nouveau ouverte aux enfants, le Tribunal croit qu’il faut privilégier l’entente intervenue entre les parties et entérinée par la Cour qui tenait justement compte des particularités et difficultés scolaires de X ainsi que des aptitudes et disponibilités de la mère dans le suivi scolaire.
[15] Par ailleurs, bien conscient que X sera privée de la présence de son père et de sa demi-sœur pour les prochaines semaines, il faut tout de même noter que pendant les périodes où il y a de l’école, le père a des accès une fin de semaine sur deux. Ainsi, même en comptant une période de quarantaine de 14 jours à la fin de la présente année scolaire, il faut bien constater, que le père sera privé de la présence de sa fille pendant trois fins de semaine alors qu’en contrepartie, X tirera un très grand bénéfice d’une fréquentation assidue de son école pendant cinq semaines.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[16] ORDONNE la fréquentation scolaire de X à compter du 12 mai 2020;
[17] SANS FRAIS de justice.
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__________________________________ PIERRE C. BELLAVANCE, j.c.s. |
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Me Sarah Landry Lacoursière Lebrun 1243 rue Hart Trois-Rivières QC G9A 4S4 |
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Avocats de la demanderesse |
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Me Maude Lacour 350 rue Royale Bureau 900 Trois-Rivières QC G9A 4J4 |
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Avocats du défendeur |
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Date de l’instruction : |
Le 11 mai 2020 |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.