Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

A.G.

2014 QCCLP 5427

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Lévis

29 septembre 2014

 

Région :

Chaudière-Appalaches

 

Dossier :

511601-03B-1305

 

Dossier CSST :

087384772

 

Commissaire :

Robert Deraiche, juge administratif

 

Membres :

Jean-Guy Verreault, associations d’employeurs

 

Pierre de Carufel, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

A... G...

 

Partie requérante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 17 mai 2013, monsieur A... G... (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 14 mai 2013 à la suite d'une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu'elle a initialement rendue le 25 février 2013 et déclare que le travailleur n'a pas subi de lésion professionnelle le 27 novembre 2012 sous la forme d’une récidive, rechute ou aggravation.

[3]           L'audience s'est tenue le 25 février 2014 à Saint-Joseph-de-Beauce en présence du travailleur et de son procureur. Un supplément d’information fut demandé et le dossier a été mis en délibéré le 28 février 2014

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu'il a subi une récidive, rechute ou aggravation le 27 novembre 2012.

LES FAITS

[5]           Le tribunal a pris connaissance de la preuve documentaire au dossier et de celle déposée à l’audience puis a entendu le témoignage du travailleur. Les éléments suivants sont retenus.

[6]           Le travailleur témoigne des faits suivants :

·        Depuis 2010, sa douleur augmente et descend jusqu’au petit orteil du pied gauche;

·        Il tousse et les douleurs sont exacerbées;

·        Il a de la difficulté à se tourner du côté gauche;

·        Il a une douleur sous forme de brûlure située au site de son opération;

·        Le 7 février 2014, il reçoit une infiltration effectuée par le docteur Morin à la Clinique de la douleur du CHUL;

·        Il a été référé à cette clinique en octobre 2012 et y reçoit des traitements. Il s’y est présenté à deux reprises et prévoit y retourner;

·        Les doses de ses médicaments ont été augmentées au cours des années;

·        Il est très déprimé. Il a fait une tentative de suicide et a toujours des idées noires. Il est triste et souffre d’insomnie. Il est stressé lorsqu’il pense à son avenir. Il se sent déconsidéré auprès de ses connaissances;

·        Le docteur Latour ne prévoit pas d’intervention chirurgicale;

·        Le travailleur a reçu une deuxième épidurale qui ne l’a pas soulagé;

·        Il prend une médication pour sa dépression et est suivi par monsieur Louis Lapointe, psychologue;

·        Sa mobilité est réduite tant en flexion qu’en rotation.

 

 

[7]           Aux questions du tribunal, le travailleur précise les éléments suivants :

·        Il a fait une demande à la Régie des rentes du Québec qui a été refusée;

·        Il n’a pas repris le travail depuis 2010;

·        Il a toujours eu de la douleur, mais seulement du côté gauche;

·        Sa dépression a été diagnostiquée à la suite d’une tentative de suicide et une référence en psychiatrie à l’Hôtel-Dieu de Lévis a été faite;

·        Il est triste et pleure souvent.

 

 

[8]           Le dossier contient les renseignements suivants :

·        En résumé, le 27 janvier 1984, le travailleur subit une lésion professionnelle au dos . Le 4 décembre de la même année, le travailleur subit une discoïdectomie radicale en L4-L5 et L5-S1 gauche;

·        Le 11 novembre 1988, un rapport d’évaluation médicale est produit par le docteur Berger concluant à une atteinte permanente de l'ordre de 15 % ainsi que des limitations fonctionnelles;

·        Le 22 novembre 1993, une note médicale indique que le travailleur présente une lombosciatalgie gauche récidivante. À ce moment, le diagnostic d’entorse lombaire est retenu;

·        La note en physiothérapie du 21 janvier 2000 rapporte que le travailleur présente une dizaine d’épisodes de douleurs au dos par année qui durent deux à trois jours;

·        Le 19 avril 2000, une réclamation pour rechute est refusée par la CSST;

·        Le 24 septembre 2000, le travailleur consulte pour une douleur au dos irradiant à la jambe gauche;

·        Le 21 décembre 2009, le travailleur subit une chirurgie au genou droit;

·        Le 10 avril 2010, le travailleur présente un épisode de douleur aiguë à la suite d’un faux mouvement. Ce n’est que le 21 décembre 2011 qu’il présente une réclamation à la CSST qui est refusée, puisque présentée tardivement. Cette décision[1] sera maintenue par la Commission des lésions professionnelles;

·        Le 1er novembre 2010, un diagnostic de dépression majeure est retenu par la docteure Bourget, médecin traitante;

·        À la suite de l’événement du mois d’avril 2010, il y a un suivi médical régulier et plusieurs examens sont prescrits. Ainsi :

 

o   La radiographie du 21 avril 2010 rapporte une arthrose facettaire modérée à L3-L4 et marquée à L4-L5 et L5-S1 avec un discret pincement du disque en L4-L5;

o   La résonance magnétique du 29 avril 2010 démontre la laminectomie L4-L5 avec un léger étalement circonférentiel sans sténose spinale ni foraminale. Quant au niveau L5-S1 gauche, il y a présence d’une discoïdectomie partielle avec un placard de fibrose postéro-latéral gauche en L5-S1 et une légère sténose foraminale bilatérale L5-S1;

o   Une nouvelle résonance magnétique est faite le 17 décembre 2010 qui indique la présence d’une laminectomie au niveau L4-L5 gauche avec un bombement discal circonférenciel qui diminue le calibre du canal médullaire et amène une sténose foraminale légère bilatérale. Quant au niveau L5-S1, le docteur Larochelle, radiologiste s’exprime ainsi :

 

L5-S1 : discopathie dégénérative avec antécédents de laminectomie gauche à L5. Il y a un étalement discal postérieur qui diminue le calibre du canal médullaire qui est aussi de taille limite. Cet étalement discal fait un effet de masse sur l’émergence des racines S1 bilatéralement, un peu plus marqué du côté gauche, mais sans réelle hernie discale résiduelle. À noter que le disque apparaît un peu irrégulier en centro-latéral gauche, possiblement avec les séquelles chirurgicales et possiblement un peu de fibrose. Il y a des signes d’arthrose bilatérale. Sténose foraminale bilatérale modérée à sévère sur une base dégénérative.

 

o   La résonance magnétique du 4 novembre 2011 démontre la présence d’un spondylolisthésis de grade I. Quant aux résultats de l’EMG, ils démontrent des signes compatibles avec une radiculopathie L5 gauche chronique avec très peu de dénervation active;

 

·        Le 14 octobre 2011, le travailleur consulte le docteur Latour, chirurgien orthopédiste;

 

·        Le 30 novembre 2012, le travailleur présente une réclamation dans laquelle il mentionne qu’il y a eu aggravation de sa condition le 27 novembre 2012, qu’il a des problèmes lombaires et qu’il souffre d’une dépression post-traumatique. La CSST note que cette réclamation n’est pas accompagnée du formulaire de rapport médical adressé à la CSST, mais d’un rapport médical signé de la docteure Bourget dans le cadre d’une demande présentée à la Régie des rentes du Québec. Par contre, la CSST traite la réclamation en considérant que ce rapport est suffisamment détaillé pour satisfaire aux exigences de la loi et elle se prononce initialement sur tous les diagnostics qui y sont émis, soit :

 

o   Arthrose du genou gauche;

o   Prothèse totale du genou droit

o   MCPS;

o   Diabète;

o   HTA;

o   Apnée du sommeil;

o   État dépressif;

o   Radiculopathie;

o   Spondylodiscarthrose sévère lombaire.

 

 

·        Par contre, le réviseur dans sa décision du 14 mai 2013, déclare que « selon les notes évolutives du dossier, la réclamation déposée le 30 novembre 2012 vise uniquement la reconnaissance d’une RRA en regard de sa condition lombaire », et, en conséquence rend la décision en ne traitant que la condition lombaire du travailleur;

·        Le docteur Latour produit un rapport d’expertise le 3 juin 2013 dans lequel il rapporte en détail le suivi médical depuis 1984, et ce, de façon fidèle à la preuve documentaire au dossier. En conclusion, le docteur Latour écrit :

 

Résumé et discussion

 

Monsieur a eu un accident de travail le 27 janvier 1984. Il y a eu un mécanisme de production, il y a eu une douleur lombaire avec une sciatalgie droite en levant une boîte.

 

Finalement, monsieur a eu une discoïdectomie radicale selon le protocole opératoire au niveau L4-L5 et L5-S1 gauche le 4 décembre 1984.

 

Une discoïdectomie radicale est une discoïdectomie qui n’est pas limitée seulement au fragment discal qui est extru de l’espace intervertébral, mais il s’agit d’un curetage ou d’une discoïdectornie agressive enlevant les fragments intervertébraux considérant qu’il s’agit ici d’une discoïdectomie agressive selon les termes anglais « agressive discectomy » par rapport à une discoïdectomie limitée, celle que nous faisons habituellement. La discoïdectomie agressive est également notée subtotale. Il s’agit d’un geste chirurgical qui va chercher les fragments discaux intervertébraux en plus du fragment discal qui est extru de l’espace intervertébral.

 

Résultant de cette hernie discale radicale L4-L5 et L5-S1 gauche, un DAP de 15 % aurait été attribué par le docteur Leblanc le 6 juin 1985 et à nouveau par le docteur Émilie Berger le 11 novembre 1988. Monsieur avait donc des limitations fonctionnelles.

 

En cours d’évolution, monsieur présentait quand même des symptômes de lombalgie. Ils ont été notés en 1993. Ils ont également été notés en 2000 et même une aggravation le 19 avril 2000 avait été refusée par la C.S.S.T. et cette aggravation a également été identifiée selon le rapport médical du docteur Prévost expliquant une lombalgie chronique plus marquée. Cette identification de lombalgie chronique fait allusion à des douleurs lombaires antérieures au 19 avril 2000. D’ailleurs, il est reconnu que les symptômes lombaires peuvent persister après une hernie discale opérée. Bien entendu, quand la hernie discale est présente, il y a une pathologie discale permanente par la suite qui peut être plus ou moins symptomatique, mais il y a un processus de dégénérescence discale amorcée dès qu’il y a constatation d’une hernie discale. D’ailleurs, le processus en lien avec une hernie discale est en lien avec un processus dégénératif ou traumatique, ou les deux, et monsieur a présenté une lombalgie qui a persisté malgré la discoïdectomie.

 

À cet effet, j’ai fait un schéma ou un graphique avec monsieur, nous indiquant qu’après la chirurgie de 1984, la sciatalgie gauche a grandement été améliorée. La lombalgie avait quand même persisté jusqu’en 2000.

 

La RRA identifiée en date du 10 avril 2010 fait l’objet d’une contestation puisqu’à la CLP, on maintient la décision de la C.S.S.T. quant au refus de l’aggravation du 10 avril 2010 sur les principes de délai principalement expliqués par la C.S.S.T. dans sa décision du 2 mars 2012 puisqu’il y a eu un délai. La Révision administrative maintient la décision de la C.S.S.T. le 10 avril 2012.

 

Nous retrouverons toutefois au dossier qu’entre le 10 avril 2010 et la date de réclamation du travailleur du 21 décembre 2011, il y a de multiples notes médicales et ceci nous indique qu’il y a une continuité évolutive plus marquée après le 10 avril 2010. Il y a probablement un délai entre la réclamation du travailleur le 21 décembre 2011 et l’aggravation qu’il a signalée le 10 avril 2010, mais il n’y a pas de délai sur la déclaration d’aggravation du 10 avril 2010 et la consultation médicale. En effet, dès le 10 avril 2010, des radiographies lombaires sont faites. On identifiait un discret pincement L4-L5 et arthrose facettaire L4-L5 et L5-S1 principalement.

 

Médicalement, nous retrouvons des notes au dossier faisant allusion aux douleurs lombaires, irradiation au pied gauche nécessitant des investigations telles IRM lombaire qu’il a eue déjà le 29 avril 2010, soit 19 jours après son événement du 10 avril 2010. L’événement du 10 avril 2010 est indiqué dans plusieurs notes de consultation, soit celle du médecin de la clinique de la douleur qu’il a vu le 25 novembre 2010, la note du neurologue du 16 juin 2010 et même, dans la note du 13 octobre 2010, alors que monsieur avait eu un EMG, il est indiqué que monsieur avait une douleur avec sciatalgie depuis le 10 avril 2010. Même dans la note de consultation du docteur Daniel Boulet, physiatre, du 29 avril 2010, il est indiqué que monsieur fonctionnait cependant relativement bien jusqu’au 10 avril 2010 alors qu’apparemment, en sortant d’un véhicule automobile, il a noté l’apparition subite d’une douleur lombaire gauche irradiant dans le membre inférieur gauche.

 

Monsieur me confirme le mécanisme de production alors qu’il est dans une Mustang, un véhicule qui n’est pas très haut, et qui l’oblige à induire des mouvements de rotation, de torsion et de flexion dorso-lombaire pour s’asseoir et même sortir du véhicule. L’événement, en ce qui a trait à la date du 10 avril 2010, est décrit par monsieur d’une façon assez précise tout en indiquant que même avant le 10 avril 2010, il y avait des douleurs lombaires. Lorsqu’on analyse le dossier entre le 10 avril 2010 et le 21 décembre 2011, monsieur a eu une IRM lombaire le 29 avril 2010 avec gadolinium. On mentionne les séquelles de laminectomie L4-L5 et L5-S1 avec fibrose postéro-latérale gauche L5-S1, légère sténose foraminale bilatérale L5-S1, mais il n’y a pas de récidive de hernie.

 

En physiothérapie, on rapporte que monsieur a des douleurs plus debout qu’assis au niveau lombaire, qu’il s’accroche le bout du pied gauche et qu’au niveau lombo-sacré, les douleurs sont pires en extension. Même la note du 17 juin 2010 fait mention d’une lombo-sciatalgie gauche avec récupération du pied qui recommence à bouger.

 

L’EMG qui est fait le 13 octobre 2010 est quand même fait 6 mois après l’événement du 10 avril 2010 et rapporte des signes compatibles de radiculopathie L5 gauche avec très peu de dénervation active. Le pied gauche tombant est le reflet d’une atteinte radiculaire L5 gauche et il peut évoluer favorablement sur 3 à 6 mois avec un potentiel de récupération habituellement favorable. Ce qui fut le cas puisque monsieur a noté une amélioration de la faiblesse au pied gauche.

 

Monsieur a donc été pris en charge à la clinique de la douleur, physiothérapie, médication avec Lyrica. Une autre RM est faite au niveau lombo-sacré à l’Hôtel-Dieu de Lévis. Il n’y a pas de changement depuis avril 2010. Une autre est faite à Résonance Magnétique St-Louis n’apportant pas davantage d’informations le 17 décembre 2010. Des notes évolutives en 2011 font mention de douleur lombaire et, même septembre et novembre 2011, monsieur a eu des infiltrations facettaires. Une consultation a même été adressée au docteur Jean-François Roy qui n’a pas vu le patient à cause du délai d’attente, mais il a eu une adresse à mon nom pour une douleur lombaire, hernie et pied tombant le 14 octobre 2011.

 

Le 4 novembre 2011, I’IRM lombaire sans contraste montre au niveau L4-L5, pour la première fois, un spondylolisthésis millimétrique de grade I. Au niveau L5-S1, il y a des changements dégénératifs avec sténose foraminale légère à modérée. On doit considérer l’histoire naturelle d’une hernie discale qui est opérée par une discoïdectomie radicale. Même sans discoïdectomie radicale, si la discoïdectomie est limitée, le processus dégénératif, même s’il est moins à risque, peut également être le résultat d’une évolution vers un problème de lombalgie discogénique. Une hernie discale qui évolue favorablement suite à une discoïdectomie est fréquemment notée. La sciatalgie, habituellement, est contrôlée, ce qui a été le cas, mais la lombalgie peut persister surtout dans un cas où il y a eu une discoïdectomie radicale.

 

Selon la revue Neurosurgury 2009 (référence 1), il y a une méta-analyse. La revue de la littérature a démontré une plus grande incidence rapportée de lombalgie récidivante avec douleur aux membres après une discoïdectomie agressive ou radicale, mais il y a une plus grande incidence de hernie discale récidivante après une discoïdectomie limitée. Cette étude a porté sur 6 135 patients avec discoïdectomie limitée et 7 224 patients avec discoïdectomie radicale, Monsieur G... a eu une discoïdectomie radicale. Des recherches ont été faites sur des études publiées entre 1980 et 2007 qui rapportaient les résultats suite à une discoïdectomie radicale et une discoïdectomie limitée pour les hernies discales avec radiculopathie, ce qui est la condition de monsieur en 1984. De cette revue de littérature, il est clair que la discoïdectomie radicale entraîne des récidives de douleur lombaire à long terme.

 

Une autre évaluation d’une étude prospective contrôlée pour des discoïdectomies subtotales ou agressives ou radicales chez 30 patients a été comparée avec 46 patients avec discoïdectomie limitée (référence 2). La discoïdectomie qui est agressive pour enlever les fragments intervertébraux peut diminuer le risque de hernie récidivante, mais au total, les résultats sont moins satisfaisants. Même dans une autre publication (référence 3), un suivi de 21 ans a permis de conclure chez les patients ayant eu une discoïdectomie par rapport à des patients asymptomatiques que suite à une discoïdectomie lombaire conventionnelle, il y a une évolution à long terme à des changements dégénératifs radiologiques. La présence de dégénérescence discale sévère est associée à des douleurs rapportées par le patient.

 

Nous pouvons par analogie faire comprendre que l‘histoire naturelle d’une pathologie peut évoluer très tardivement. En effet, si on se réfère à anciennement aux lésions méniscales opérées par arthrotomie et méniscectomie totale, l’histoire naturelle a démontré qu’après 10 à 15 ans, le processus dégénératif aux dépens de genoux a suffisamment évolué pour nécessiter des interventions chirurgicales allant jusqu’à la prothèse totale du genou. La reconnaissance de l‘histoire naturelle d’une pathologie est donc essentielle pour comprendre que l’événement du 27 janvier 1984 a entraîné une pathologie discale L4-L5 et L5-S1 et que la discoïdectomie radicale L4-L5 et L5-S1 risquait à long terme d’entraîner des lombalgies ou d’entraîner une lombalgie chronique à risque de s’aggraver.

 

Même s’il y a eu un délai entre la déclaration du travailleur et l’événement du 10 avril 2010, il y a une continuité évolutive médicale peut-être non administrative, mais certes, reliée à l’histoire naturelle que nous connaissons.

 

[…]

 

Y a-t-il relation avec l’événement du 27 janvier 1984?

 

On devra donc se référer au point « résumé et discussion » pour comprendre que l’histoire naturelle d’une pathologie discale qui a débuté par une hernie discale avec discoïdectomie radicale est à risque de développer des lombalgies discogéniques à long terme ainsi que des problèmes facettaires résultant à la condition de monsieur qui a évolué avec une lombalgie chronique de faible intensité qui a évolué avec le temps vers une aggravation des douleurs le 10 avril 2010 après le mécanisme de production que nous avons pu identifier.

 

En effet, on doit reconnaître l’histoire naturelle comme critère d’imputabilité d’une évolution d’une discoïdectomie radicale L4-L5 et L5-S1 ayant évolué vers une discopathie dégénérative avec lombalgie discogénique et facettaire. Lorsqu’on fait une discoïdectomie radicale, on risque d’entraîner une micro-instabilité au niveau opéré ainsi que de créer une aggravation de l’évolution plus rapide d’une discopathie dégénérative. Nous devons donc nous référer aux articles que nous avons identifiés dans « résumé et discussion » pour l’histoire naturelle.

 

Monsieur a donc présenté un mécanisme de production qui est le mouvement de torsion, flexion et rotation du tronc pour sortir d’un véhicule qui était bas, soit un véhicule Mustang décrit par monsieur.

 

La nature de la blessure est donc également reconnue en rapport avec une entorse lombaire qui a aggravé la condition discogénique et actuellement, monsieur a présenté cette entorse lombaire par le mécanisme de production expliqué sur une condition de discopathie dégénérative post-discoïdectomie reconnue.

Monsieur présentait donc quand même une condition préexistante d’une lombalgie de faible intensité avant le 10 avril 2010, avec une discopathie dégénérative post-discoïdectomie qui a nécessité, suite au 10 avril 2010, des interventions de multiples médecins.

 

La continuité évolutive est un autre critère d’imputabilité entre le 10 avril 2010 et le 21 décembre 2011, donc entre la date de l’événement et la date de la déclaration d’accident de travail. Cette continuité évolutive, malgré qu’elle n’est pas administrative, est certes médicale à la lecture du dossier. Antérieur au 10 avril 2010, il y a quelques notes faisant allusion à des consultations par rapport à la lombalgie qui était tolérable et même, il y a eu une aggravation qui avait été refusée par la C.S.S.T. en 2000.

 

Par rapport au 10 avril 2010, il n’y a pas de délai de consultation, monsieur a rapidement eu une IRM lombaire 19 jours après le 10 avril 2010.

 

Il y a corrélation blessure/séquelles puisque le mécanisme de production qui a engendré une entorse lombaire a aggravé la discopathie dégénérative qui maintenant s’exprime sous forme de séquelles fonctionnelles objectivées au niveau lombaire.

 

Pour toutes ces raisons où il y a des critères d’imputabilité présents, nous devons établir une relation avec l’événement du 24 janvier 1984 et la RRA le 10 avril 2010.

 

[…]

 

 

[9]           Le tribunal note que le docteur Latour fait référence à l’événement du 10 avril 2010 comme étant l’élément déclencheur de la détérioration de la condition du travailleur. Il mentionne, bien que sur le plan administratif la réclamation du travailleur ait été refusée, que sur le plan médical il y a un suivi et que l'entorse lombaire diagnostiquée à ce moment est l’élément qui a exacerbé la condition discale résultant de la discoïdectomie radicale subie en 1984.

[10]        À la demande du tribunal, le travailleur a procédé au dépôt d’informations médicales complémentaires le 28 février 2014. Le tribunal retient les renseignements suivants;

·        Sur le plan psychologique, les documents contiennent les renseignements suivants :

 

o   La note de la docteure Riverin du 21 mars 2012 mentionne que le travailleur présente une détérioration de son humeur depuis deux mois, qu’il se sent comme un fardeau pour sa femme et qu’il a plusieurs problèmes de santé. Il a des idées suicidaires et a le sommeil perturbé;

o   La docteure Riverin rapporte à l’axe IV ce qui suit :

 

Multiples pertes dans les dernières années; incapacité à travailler vente de ses entreprises (et machinerie associée), vente de sa maison et déménagement dans le sous-sol d’une résidence pour personnes âgées achetée à sa femme. Difficulté avec la CSST, multiples problèmes de santé, incluant altération de sa vie sexuelle).

 

o   La note de la consultation en psychiatrie du 23 mars 2012 rapporte que le travailleur présente une douleur chronique invalidante et qu’il se sent inutile. Il mentionne avoir des difficultés avec la CSST;

o   Le travailleur a produit les notes du psychologue, monsieur Lapointe. Il s'agit des notes colligées par ce dernier durant les 39 rencontres avec le travailleur du 26 mars 2012 au 14 février 2014. En résumé, le tribunal retient les éléments suivants :

 

§  À plusieurs reprises, il est noté que le travailleur présente des douleurs. Celles-ci ont une incidence sur le sommeil du travailleur. Ces douleurs sont souvent reliées au dos, aux jambes ainsi qu’au genou droit;

§  Le travailleur exprime des sentiments de tristesse face à sa condition qui l’empêche de reprendre une vie active au travail;

§  Il se sent diminué auprès de ses proches et a peur d’être traité de profiteur, puisqu’il fait une demande auprès de la CSST;

§  Il a de la difficulté à faire son deuil de ses capacités. Ce n’est qu’en 2013 qu’il commence à se faire à l’idée que, probablement, il ne pourra réintégrer le marché du travail;

§  La lenteur du système de santé à lui prodiguer les soins que requiert son état l’irrite;

§  Ses problèmes administratifs avec la CSST sont un autre irritant;

§  Il y a aussi certains problèmes personnels et familiaux qui sont discutés lors de ces rencontres en lien avec des états de colère et de frustration.

 

·        Sur le plan physique, les documents contiennent les renseignements suivants :

 

o   En 2011, le travailleur est suivi pour des complications à la suite de l’installation d’une prothèse complète au genou droit;

o   Le 18 janvier 2012, le docteur D’Anjou rencontre le travailleur et conclut que ce dernier présente un problème complexe de douleur avec une ancienne discectomie. Il retient qu’une partie de la douleur ressentie à la jambe gauche pourrait être en relation avec une polyneuropathie diabétique;

o   Le 2 octobre 2012, la docteure Sandra Tremblay, neurologue, transmet un rapport médical à la docteure Bourget concluant que le travailleur présente une radiculopathie L4-L5 gauche chronique depuis deux ans;

o   La docteure Tremblay transmet une note médicale au médecin traitant le 24 avril 2013. Elle rapporte les différentes affections dont est atteint le travailleur. Ainsi :

 

Il est connu pour diabète, chirurgie bariatrique, apnée du sommeil, dépression, chirurgie lombaire en 1985-1986, insuffisance cardiaque, arythmie et lombosciatalgie gauche depuis trois ans.

 

o   À son examen clinique, elle note la présence d’un déficit sensitif du membre inférieur gauche, du genou, surtout de la face antérieure du pied gauche, dans le territoire L4-L5;

o   Elle conclut à la présence d’un canal carpien bilatéral modéré symptomatique.

 

 

L’AVIS DES MEMBRES

[11]        Les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales, après avoir été consultés sur les questions en litige, sont d'avis d’accueillir en partie la requête en contestation du travailleur aux motifs suivants.

[12]        D’une part, ils sont d’avis que l’opinion du docteur Latour doit être retenue et, en conséquence, accueilleraient la requête concernant la récidive, rechute ou aggravation du 27 novembre 2012.

[13]        D’autre part, ils sont d’avis que le diagnostic de dépression majeure dont souffre le travailleur n’est pas en lien avec l’événement initial. À ce sujet, ils sont d’accord avec les conclusions du soussigné.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[14]        La Commission des lésions professionnelles, après avoir analysé la preuve et avoir consulté les membres, rend la présente décision.

[15]        D’une part, le tribunal doit décider s'il y a eu une modification de l’état de santé du travailleur le 27 novembre 2012 et si cette modification est en relation avec la lésion professionnelle acceptée par la CSST, soit une discoïdectomie radicale effectuée en décembre 1984 et qui faisait suite à l’événement initial survenu le 27 janvier 1984.

[16]        D’autre part, le tribunal devra décider si le diagnostic de dépression majeure résulte de la lésion professionnelle initiale.

[17]        Pour rendre sa décision, le tribunal applique, notamment, la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] la loi qui donne, à l'article 2, la définition des termes suivants :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.

 

 

[18]        Dans la définition de « lésion professionnelle », le législateur inclut la notion de récidive, rechute ou aggravation qu’il n’a pas définie. Il faut donc s’en remettre à son sens commun pour donner une signification à cette expression qui fut définie par la jurisprudence majoritaire comme étant :

Il s’agit donc d’une reprise évolutive, d’une réapparition, d’une recrudescence d’une lésion ou de ses symptômes.

 

 

[19]       Cette définition démontre qu’il doit y avoir une modification de l’état de santé du travailleur qui soit directement en relation avec la lésion professionnelle initiale survenue le 27 janvier 1984.

[20]        Concernant la notion de récidive, rechute ou aggravation, la Commission des lésions professionnelles rend une décision[3] faisant  un survol de la jurisprudence du tribunal et apporte certaines nuances et précisions auxquelles adhère le soussigné. Ainsi :

[11]  La notion de rechute, récidive ou aggravation n’est pas définie à la loi. Suivant la jurisprudence bien établie en la matière, il y a lieu de s’en remettre au sens commun de ces termes. La rechute est une reprise évolutive, la récidive est une réapparition, alors que l’aggravation est la recrudescence de la lésion ou de ses symptômes y incluant la complication de la lésion initiale1.

 

[12]  Il est depuis longtemps établi que la présence d’une rechute, récidive ou aggravation implique nécessairement une modification de l’état de santé par rapport à celui qui existait antérieurement2.

 

[13]  C’est pourquoi le seul témoignage de la travailleuse ne suffit pas à prouver la rechute, récidive ou aggravation.  Une preuve médicale doit supporter ses allégations3.

 

[14]  Certains utilisent l’expression détérioration objective pour référer à la modification de l’état de santé qu’il est nécessaire de prouver. L’usage de cette expression suscite cependant des interrogations et de la confusion, puisqu’elle suggère que seule l’aggravation est admissible à titre de lésion professionnelle, à l’exclusion de la rechute ou de la récidive4.

 

[15]  Pour avoir retenu cette expression à de nombreuses reprises, la soussignée précise qu’il s’agissait pour elle d’englober par ce terme générique toutes les modalités possibles de modification de l’état de santé, soit tout à la fois la rechute, la récidive et l’aggravation de la lésion initiale. La modification dont il est question est en effet nécessairement négative, d’où l’emploi du terme détérioration. Pour éviter toute confusion ultérieure, la soussignée retiendra ici les termes génériques modification de l’état de santé, pour référer globalement à la rechute, à la récidive et à l’aggravation.

 

[16]  Quant à au [sic] caractère objectif de la modification de l’état de santé exigé par certains juges administratifs, la soussignée partage le point de vue suivant lequel il n’est pas strictement requis de démontrer la présence de signes nouveaux qui soient purement objectifs; la preuve de l’apparition, de la réapparition ou de l’intensification de signes cliniques déjà présents, même partiellement objectifs ou purement subjectifs suffit, lorsqu’ils sont fiables5. Cette question relève en réalité de l’appréciation du caractère prépondérant de la preuve médicale relative à la modification de l’état de santé. Il n’est donc pas strictement requis que la détérioration soit corroborée par l’imagerie ou des signes cliniques purement objectifs.

 

[17]  Par ailleurs, aux termes de la jurisprudence unanime, afin de prouver la rechute, récidive ou aggravation, la travailleuse doit démontrer un lien de causalité entre la lésion professionnelle initiale et la modification de son état de santé6.

 

[18]  Cette démonstration peut être faite par le dépôt d’une opinion médicale ou, à tout le moins, par présomption de faits, y incluant des faits médicaux, tirée d’un ensemble d’indices graves, précis et concordants7.

 

[19]  Pour apprécier si un lien de causalité existe entre la lésion initiale et la condition ultérieure, il y a lieu, selon la jurisprudence unanime, de considérer les facteurs suivants8 en retenant qu’aucun de ceux-ci n’est décisif en lui-même :

 

-           la gravité de la lésion initiale;

-           l’histoire naturelle de la lésion;

-           la continuité de la symptomatologie;

-           l’existence ou non d’un suivi médical;

-           le retour au travail, avec ou sans limitations fonctionnelles;

-           la présence ou l’absence d’une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique;

-           la présence ou l’absence de conditions personnelles;

-           la compatibilité entre la symptomatologie alléguée au moment de la rechute, récidive ou aggravation avec la nature de la lésion initiale;

-           le délai entre la rechute, récidive ou aggravation et la lésion initiale.

 

[20]  En somme, il paraît à la soussignée que la formulation adéquate du fardeau qui incombe à la travailleuse est énoncée dans l’affaire Beauchamp9 : Il lui faut prouver une modification de son état de santé par rapport à la situation qui prévalait au moment de la consolidation de la lésion professionnelle ainsi que, l’existence d’un lien de causalité entre cette modification et la lésion professionnelle.

_____________________________

1                      Lapointe et Cie Minière Québec Cartier, [1989] C.A.L.P. 38; Lafleur et Transport Shulman ltée, 29153-60-9105, 26 mai 1993, J. L’Heureux; Les Salaisons Brochu inc. et Grenier, 28997-03-9105, 18 juillet 1995, M. Beaudoin; Mendolia et Samuelsohn ltée, 50266-60-9304, 23 août 1995, J.-Y. Desjardins.

2               Mendolia et Samuelsohn ltée, précitée, note 1; Belleau-Chabot et Commission             scolaire  Chomedey de Laval, [1995] C.A.L.P. 1341.

3               Guettat et Cie Minière Québec Cartier, 53020-61-9308, 18 août 1995, N. Lacroix; Belleau-Chabot et Commission scolaire Chomedey-Laval, précitée, note 2; Baron et Langlois & Langlois, 30990-62-9107, 23 octobre 1995, M. Lamarre; Lachance     et Ministère de la Défense nationale, 56564-60-9401, 24 octobre 1995, M. Denis.

4               Voir par exemple Labonté et Restaurant Normandin, 332150-31-0711, 17 avril              2009, J-L. Rivard  et la jurisprudence qui y est citée.

5               Cabana et Banque Nationale du Canada, 222389-71-0312, 28 juillet 2008, M.  Zigby (décision sur requête en révision); Vigneault et Abitibi-Consolidated Scierie  des Outardes, 253496-09-0501, 21 septembre 2005, G. Tardif; Guarna et                Aliments Humpty Dumpty, 232909-61-0404, 2 août 2004, S. Di Pasquale;

6               Bélanger et Commission scolaire des Rives-Du-Saguenay, 325045-02-0708, 10 mars 2008, G. Morin; Lavoie et Club de golf Pinegrove inc., 317031-62-0705, 10 janvier 2008, R.L. Beaudoin; Côté et Neilson inc., 229412-01B-0403, 7 février 2005, J.-F. Clément; Girard et Commission scolaire de Rouyn-Noranda, 159855-      08-0104, 21 juin 2002, P. Prégent; Lafond et Ministère des Transports du Québec, 135466-04B-0003, 6 mars 2002, L. Boucher; Bourque et EBC-SPIE      Coparticipation, 122073-09-9908, 1er septembre 2000, M. Carignan; requête en révision rejetée; Chamberland et Résidence Jean-de-la-lande, 132784-73-0002, 6 juillet 2000, L. Desbois; Lapointe et Decorterre inc., 102372-03B-9807, 14 mai 1999, P. Brazeau; Lapointe et Cie Minière Québec Cartier, précitée, note 1; Boisvert et Halco inc., [1995] C.A.L.P. 19; Lafleur et Transport Shulman ltée, précitée, note 1

7               Forester et Marinier Automobiles inc., [1997] C.A.L.P. 1642; Aubé et Commission scolaire de l’Énergie, 206476-04-0304, 21 octobre 2003, J.-F. Clément.

8               Boisvert et Halco inc, précitée note 2; Harrisson et Société des traversiers du Québec, 172015-01A-0111, 28 février 2003, D. Sams.

9          Beauchamp et Inspec-Sol, 352639-63-0807, 21 avril 2009, I. Piché.

 

[21]       De plus, dans le présent dossier, la réclamation du travailleur du 30 novembre 2012 est soutenue par un formulaire adressé à la Régie des rentes du Québec. Or, l'article 199 de la loi prévoit :

199.  Le médecin qui, le premier, prend charge d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle doit remettre sans délai à celui-ci, sur le formulaire prescrit par la Commission, une attestation comportant le diagnostic et :

 

1° s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée dans les 14 jours complets suivant la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la date prévisible de consolidation de cette lésion; ou

 

2° s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée plus de 14 jours complets après la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la période prévisible de consolidation de cette lésion.

 

Cependant, si le travailleur n'est pas en mesure de choisir le médecin qui, le premier, en prend charge, il peut, aussitôt qu'il est en mesure de le faire, choisir un autre médecin qui en aura charge et qui doit alors, à la demande du travailleur, lui remettre l'attestation prévue par le premier alinéa.

__________

1985, c. 6, a. 199.

[22]       La loi exige la présentation d’une attestation médicale du médecin qui a charge du travailleur. Or, cette formalité n’a pas été remplie par le travailleur.

[23]        Par contre, le tribunal s’est déjà prononcé sur la question de la production d’un rapport médical qui n’est pas sur « la formule prescrite par la Commission », notamment, dans l’affaire Ganotec inc. et Charette[4]:

[19]      La loi, à son chapitre VI, contient 28 articles relatifs à la procédure d’évaluation médicale. Ces dispositions ne sont pas de simples règles de procédure. Elles constituent le cadre juridique détaillé à l’intérieur duquel le médecin qui a charge fait d’abord connaitre le diagnostic et les autres conclusions qu’il retient après avoir examiné un travailleur.

 

[20]      L’article 199 de la loi oblige le premier médecin qui prend charge d’un travailleur à produire une attestation précisant le diagnostic qu’il retient ainsi que son opinion sur la période prévisible de consolidation de la lésion :

 

199. Le médecin qui, le premier, prend charge d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle doit remettre sans délai à celui-ci, sur le formulaire prescrit par la Commission, une attestation comportant le diagnostic et:

 

1° s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée dans les 14 jours complets suivant la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la date prévisible de consolidation de cette lésion; ou

 

2° s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée plus de 14 jours complets après la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la période prévisible de consolidation de cette lésion.

 

Cependant, si le travailleur n'est pas en mesure de choisir le médecin qui, le premier, en prend charge, il peut, aussitôt qu'il est en mesure de le faire, choisir un autre médecin qui en aura charge et qui doit alors, à la demande du travailleur, lui remettre l'attestation prévue par le premier alinéa.

 

1985, c. 6, a. 199.

 

[21]      Ce n’est pas sans raisons si le document exigé par l’article 199 est qualifié d’attestation par le législateur. C’est parce qu’il a pour but d’attester du fait qu’un médecin a examiné le travailleur et qu’une blessure ou une maladie a été diagnostiquée. Pour ce faire, il est essentiel que le document existe et qu’il contienne le nom et la signature du médecin qui le produit.

 

[22]      Le tribunal est d’accord avec le juge administratif Jean-François Martel qui écrit, dans l’affaire Beaucaire et Municipalité de St-Joseph-du-Lac2 :

 

« Le dépôt d’une attestation médicale émanant du médecin qui a charge du travailleur blessé est un élément nécessaire à la prise en considération initiale de toute demande en vue d’obtenir les avantages prévus à la loi, selon la procédure de réclamation instaurée au chapitre VIII de la loi, tout comme à la détermination subséquente des droits des parties impliquées est tributaire des autres rapports médicaux souscrits par le ou les médecins ayant pris le travailleur en charge ».

 

[23]      Il n’est pas nécessaire de décider si l’utilisation du formulaire prescrit par la CSST est une condition de validité de l’attestation médicale. La Commission des lésions professionnelles a déjà décidé qu’un document manuscrit, produit par le médecin qui a charge, peut être valide s’il est, par ailleurs, conforme aux exigences de l’article 199 et qu’il est transmis à l’employeur3.

 

[24]      Il est toutefois contraire à la loi de reconnaître une lésion professionnelle en l’absence de tout document produit par un médecin et contenant les informations requises par l’article 199 de la loi.

________________

2           C.L.P. 166237-64-0107, 195115-64-0211, 26 mai 2004

3           Poirier et Macco Organiques et CSST, C.L.P. 238408-62C-0407, 22 juin 2006, N. Tremblay

 

 

[24]       Concernant la validité du rapport soumis au soutien de la réclamation du 30 novembre 2012, le tribunal retient que l’essentiel du document médical accompagnant une réclamation doit satisfaire aux exigences de l’article 199 de la loi. Dans le présent dossier, le rapport soumis identifie le médecin traitant, indique que cette dernière a procédé à un examen médical du travailleur et, en conséquence, elle a émis des diagnostics. Il est à noter qu’elle ne se prononce que sur la période prévisible de consolidation, ce qui ne constitue pas une raison de rejeter ce rapport, puisque la majorité des attestations médicales soumises à l'appui d’une réclamation ne mentionne jamais cette information, car il est difficile de fixer une date de consolidation lorsque le médecin rencontre pour la première fois, un travailleur blessé. Enfin, concernant l’obligation de transmission dudit rapport à l’employeur, le tribunal constate que ce dernier est fermé.

[25]       De plus, plusieurs diagnostics sont émis dans ce rapport. Il est évident qu’ils ne sont pas tous liés à l’accident du travail du mois de janvier 1984. Par contre, pour rendre sa décision, la CSST devait aussi tenir compte de la réclamation du travailleur qui spécifiait les diagnostics que le travailleur demandait de retenir à titre de récidive, rechute ou aggravation. Deux mentions spécifiques apparaissent sur le formulaire, soit une aggravation de la condition lombaire et une dépression post-traumatique.

[26]       La CSST devait donc répondre à ces deux demandes, et non pas, comme elle le mentionne en révision, restreindre sa décision au seul volet de l'aggravation de la condition lombaire. Elle devait aussi se prononcer sur le nouveau diagnostic de dépression comme elle l’avait déjà fait dans sa décision initiale.

[27]       Ainsi, la preuve amène le tribunal à conclure qu’une partie de la modification de l’état de santé du travailleur survenue le 27 novembre 2012 résulte de la lésion professionnelle initiale qui a nécessité une laminectomie et une discoïdectomie radicale aux niveaux L4-L5 et L5-S1, et ce, pour les motifs suivants.

[28]       Premièrement, le tribunal constate qu’il y a une dégradation de la condition du travailleur plus marquée depuis le mois d’avril 2010. En effet, sur le plan médical, le travailleur subit, à ce moment, une entorse lombaire. Celle-ci affecte le site de l’opération de la lésion professionnelle initiale. Ainsi, même si le travailleur s’est vu refuser sa réclamation au motif qu’il l’avait présentée tardivement, rien n’empêche le tribunal de tenir compte du dossier médical et des examens qui ont été effectués depuis 2010.

[29]       À cet effet, le tribunal constate que les examens d'imagerie sont concluants à savoir qu’il y a une nette détérioration de la condition du travailleur, et ce, aux sites où le travailleur a été opéré en 1984, soit aux niveaux L4-L5 et L5-S1.

[30]       Deuxièmement, le tribunal retient du témoignage du travailleur qu’avant avril 2010, ce dernier était sur le marché du travail à plein temps. C’est à la suite de l'événement de 2010 que sa condition lombaire l’a empêché de travailler.

[31]       De plus, il est rapporté par tous les spécialistes et les médecins que le travailleur souffre de douleurs chroniques qui se sont exacerbées depuis 2010, ce qui s’est traduit par une augmentation de la médication.

[32]       Enfin, le témoignage du travailleur corroboré par différents rapports médicaux produits au cours des années de suivi indique que depuis l’intervention survenue en 1984, il a toujours eu une lombalgie du côté gauche qui s’est aggravée dans le temps.

[33]       Troisièmement, il y a donc une dégradation de la condition du travailleur. Reste à déterminer si celle-ci résulte de la lésion professionnelle initiale, et plus précisément, des séquelles résultant du type d’intervention pratiquée en décembre 1984.

[34]       Concernant cet aspect du dossier, le tribunal retient l’avis du docteur Latour. Ainsi, ce dernier après avoir fait une revue exhaustive du dossier médical depuis janvier 1984, conclut que le type d’intervention chirurgicale subie par le travailleur en décembre 1984 est responsable de la condition actuelle. Son opinion est appuyée par des études épidémiologiques démontrant une prévalence des lombalgies récidivantes pour les patients ayant subi une discoïdectomie radicale en comparaison de ceux qui n’ont subi qu’une discoïdectomie limitée.

[35]       De plus, l’intervention chirurgicale agressive de 1984 a contribué à l’apparition de la dégénérescence sévère aux niveaux L4-L5 et L5-S1. C’est ce que soutient le docteur Latour et cette hypothèse est corroborée par la littérature médicale soumise.

[36]       Un autre élément à tenir compte, et ce, bien qu’on ne puisse conclure à ce lien sur le seul fait que le travailleur a toujours ressenti son problème de lombalgie du côté gauche, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un élément à considérer dans l’analyse du lien entre ses problèmes lombaires et la discoïdectomie radicale subie en décembre 1984.

[37]       Enfin, il est évident que le travailleur présente une condition personnelle d’arthrose et de dégénérescence discale qui a aussi évoluée avec l’âge. Par contre, cette évolution aurait sûrement été autre, s’il n’avait pas subi cette intervention chirurgicale agressive en décembre 1984.

[38]       Il y a donc lieu de conclure que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 27 novembre 2012, sous la forme d’une récidive, rechute ou aggravation de la lésion professionnelle lombaire initiale survenue en janvier 1984.

Diagnostic de dépression majeure

[39]        Concernant le volet psychologique et le diagnostic de dépression majeure, le tribunal en vient à la conclusion que ce diagnostic n’est pas en lien avec l'événement initial, et ce, pour les motifs suivants.

[40]        Premièrement, bien que le tribunal conclut à la validité du rapport soumis avec la réclamation du travailleur, force est de constater que ce formulaire ne mentionne aucunement que la dépression dont est porteur le travailleur résulte de l’événement initial survenu en 1984. De plus, jamais la docteure Bourget n’a produit de rapport médical à cet effet à la CSST. En effet, lors de l’audience devant la Commission des lésions professionnelles portant la question de la production tardive de la réclamation du travailleur en 2011, la docteure Bourget a produit une lettre expliquant ce retard. Elle y note avoir diagnostiqué la dépression le 1er octobre 2010. Par contre, elle ne fait aucune mention d’une éventuelle relation avec l’événement initial.

[41]        De plus, lorsque le travailleur produit sa réclamation en 2011, il ne fait aucune référence à sa dépression. Or, lors de son témoignage, il affirme qu’il est convaincu que sa dépression provient de sa lésion professionnelle initiale.

[42]        Enfin, des notes du psychologue, le tribunal retient que ce dernier n’a pas présenté de rapport d’expertise reliant la condition psychologique du travailleur avec l’événement initial, survenu 30 ans auparavant.

[43]        Deuxièmement, le tribunal retient que lors de la consultation en milieu hospitalier à l’Hôtel-Dieu de Lévis, le médecin indique à l’axe IV, que le travailleur a subi de multiples pertes dans les dernières années, soit une incapacité à travailler, la vente de ses entreprises (et machinerie associée), la vente de sa maison et le déménagement dans le sous-sol d’une résidence pour personnes âgées achetée à sa femme, la difficulté avec la CSST et de multiples problèmes de santé, incluant une altération de sa vie sexuelle.

[44]        De ce constat, seule l’incapacité de travail est en relation avec l’événement initial. En effet, tous les autres éléments sont de nature personnelle.

[45]        Troisièmement, l’incapacité au travail est mentionnée à quelques reprises dans les notes des rencontres avec le psychologue Lapointe. Cette incapacité au travail résulte de la douleur chronique ressentie par le travailleur.

[46]        Or, cette douleur, bien que très présente, ne résulte pas uniquement de celle ressentie par la lombalgie récidivante et la radiculopathie. En effet, le dossier médical démontre que le travailleur est affecté de plusieurs pathologies d’origine personnelle qui contribuent de façon importante à la chronicité de la douleur. Ainsi, en regard de la douleur au membre inférieur gauche, la docteure Gagnon, neurologue, et le docteur D’Anjou, physiatre, mentionnent la présence d’une polyneuropatie diabétique qui pourrait expliquer la douleur ressentie à la jambe gauche. Quant au membre inférieur droit, le travailleur a subi une prothèse complète en 2011 et il y a eu des complications qui ont nécessité des examens spécifiques comme un « doppler » pour une thrombose veineuse profonde. De plus, le travailleur présente un canal carpien bilatéral symptomatique. Enfin, le travailleur est affecté de plusieurs pathologies qui sont identifiées dans le rapport médical produit par la docteure Bourget et soumis à la Régie des rentes. Toutes ces pathologies contribuent aux douleurs complexes que ressent le travailleur et elles sont de nature personnelle en plus de ne pas être liées à l’événement de 1984.

[47]        Enfin, l'état dépressif du travailleur est accentué par des frustrations aux niveaux du système de santé et des problèmes vécus en lien avec le refus de la réclamation d’avril 2010. Or, ces tracas ne peuvent être considérés comme résultant de la lésion professionnelle initiale.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE en partie la requête de monsieur A... G..., le travailleur;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 14 mai 2013 à la suite d'une révision administrative.

DÉCLARE que le travailleur a subi de lésion professionnelle le 27 novembre 2012 sous forme d’une récidive, rechute ou aggravation de la lésion professionnelle initiale survenue le 27 janvier 1984;

DÉCLARE que le diagnostic de dépression majeure n’est pas en lien avec l’événement initial du 27 janvier 1984.

 

 

__________________________________

 

Robert Deraiche

 

Me Marc Bellemare

BELLEMARE, AVOCATS

Représentant de la partie requérante

 

 



[1]           2012 QCCLP 7808.

[2]           RLRQ, A-3.001.

[3]           Dubé et Entreprises du Jalaumé enr. C.L.P. 380599-01A-0906, 21 septembre 2009, G. Tardif.

[4]           C.L.P. 395370-02-0911, 18 mars 2010, M. Sansfaçon.

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