Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

RÉGION :

Estrie

QUÉBEC, le 26 juin 2000

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER :

94698-05-9801

DEVANT LE COMMISSAIRE :

Me CLAUDE BÉRUBÉ

 

 

 

 

 

 

 

ASSISTÉ DES MEMBRES :

RENÉ PRINCE

 

 

 

Associations d’employeurs

 

 

 

 

 

 

 

MAURICE BRISEBOIS

 

 

 

Associations syndicales

 

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER CSST :

002914067

AUDIENCE TENUE LES :

14 janvier 1999 et

2 novembre 1999

 

 

 

 

EN DÉLIBÉRÉ LE :

27 avril 2000

 

 

 

 

DOSSIERS BR :

61711398

61711406

61765600

61816296

61935369

À :

Sherbrooke

 

 

 

 

 

 

_______________________________________________________

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

GÉRARD BROWN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE APPELANTE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Et

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

J.M. ASBESTOS INC.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE INTÉRESSÉE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA

SÉCURITÉ DU TRAVAIL - ESTRIE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE INTERVENANTE

 

 

 

 

 


 

DÉCISION

 

 

[1]               Le 30 janvier 1998, monsieur Gérard Brown (le travailleur) dépose à la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles une déclaration d’appel à l’encontre de la décision rendue le 6 janvier 1998 par le bureau de révision Estrie.

[2]               Cette décision du bureau de révision dispose de cinq contestations, dont quatre ont été déposées par le travailleur et l’une par l’employeur.

[3]               Le dispositif de cette décision se lit comme suit :

«POUR CES MOTIFS, le Bureau de révision :

 

DÉCLARE RÉGULIÈRE la procédure d’évaluation des maladies professionnelles pulmonaires;

 

REJETTE les objections préliminaires présentées par le travailleur;

 

REJETTE les demandes du travailleur et de l’employeur;

 

CONFIRME les décisions rendues par la Commission les 17 mai, 4 et 29 août 1994 et 16 mars 1995;

 

DÉCLARE que le travailleur ne peut être exposé à l’amiante plus du tiers de la norme;

 

DÉCLARE que l’emploi de concierge est un emploi convenable;

 

DÉCLARE que le travailleur a droit au versement d’une indemnité réduite de remplacement du revenu de 6,89$ par jour à partir du 8 août 1994;

 

DÉCLARE que le travailleur a droit au versement d’une indemnité réduite de remplacement du revenu de 6,78$ par jour à compter du 8 mars 1995.»  (sic.)

 

 

L'OBJET DE L’APPEL

[4]               Dans le cadre de la présente contestation, le travailleur soumet que la décision initiale rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (C.S.S.T.) (la Commission) en date du 17 mars 1994 n’est pas conforme à l’avis du comité spécial des présidents, rendu le 10 février, 1994 et que c’est de façon illégale que la Commission de la santé et de la sécurité du travail a obtenu un rapport complémentaire du même comité, permettant de déterminer un emploi jugé convenable chez l’employeur.  De façon plus particulière, le procureur du travailleur soumet comme suit l’objet de l’appel dans les notes et autorités qui ont été déposées subséquemment à l’audience.

«05.     LA POSITION DE LA PARTIE CONTESTANTE

 

La partie contestante soumet que :

 

·         L’intervention de la CSST agissant par l’intermédiaire du Dr Rioux est illégale puisque l’objectif visait à faire modifier (et non préciser) une des conclusions de l’avis du comité spécial des présidents  quant à l’exposition à l’amiante permise pour M. Brown.  La CSST contournait ainsi les termes de l’article 233 LATMP qui prévoient que la CSST est liée par l’avis du comité spécial des présidents.  La CSST a utilisé un subterfuge en alléguant un soi-disant besoin de précisions pour obtenir une conclusion différente de ce qu’elle avait été relativement à l’exposition du travailleur à l’amiante.  La CSST a fait indirectement ce que la loi lui interdisait expressément de faire.

 

·         Le Bureau de révision a rendu une décision illégale en retenant comme décisif un fait qui n’avait jamais été mis en preuve, à savoir qu’il y avait de l’amiante partout et que l’exposition zéro était impossible.

 

·         Le Bureau de révision a omis de tenir compte de l’opinion médicale émise par le Dr Échavé quant à l’opportunité d’exposer M. Brown à l’amiante.

 

·         Le Bureau de révision a avalisé les manœuvres de la CSST même si elles avaient été accomplies en dehors des délais prévus par la loi.

 

Dans l’éventualité où la CLP concluait que la CSST avait le droit, par l’intermédiaire du Dr Rioux, d’entreprendre la démarche qu’elle a entreprise, la partie contestante soumet subsidiairement que l’avis complémentaire rendu par le Comité spécial des présidents le 17 mars 1994 était encore plus confus que le premier et ne permettait pas de conclure à une exposition à 1/3 de la norme.

 

De plus, la conclusion de la CSST dans sa décision du 17 mai 1994 allait à l’encontre de l’esprit de l’article 5.2 du Règlement sur la qualité du milieu de travail  (sic.)

 

 

[5]               La présente affaire était pendante devant la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles.  Toutefois, le 1er avril 1998 est entrée en vigueur la Loi instituant la Commission des lésions professionnelles et modifiant certaines dispositions législatives (L.Q. 1997, c.27, entrée en vigueur le 1er avril 1998, Décret 334-98) créant la Commission des lésions professionnelles qui remplace et continue la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles.  En vertu de l’article 52 de cette loi, les affaires pendantes devant la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles sont continuées et décidées par la Commission des lésions professionnelles.

[6]               La présente décision est donc rendue par le commissaire soussigné en sa qualité de commissaire de la Commission des lésions professionnelles.

L’AUDIENCE

[7]               Une audience a été tenue en date du 14 janvier 1999, à laquelle assistaient le travailleur et son procureur de même que madame Line Pellerin, représentante de l’employeur.

[8]               Intervenue au dossier ainsi que le prévoit la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. a-3.001) (la loi) (L.A.T.M.P.), la Commission de la santé et de la sécurité du travail y était représentée par une procureure.

[9]               Le délibéré a été suspendu au 3 mai 1999, dans l’attente des notes et autorités à être soumises par les représentants respectifs des parties.

[10]           Ceux-ci se sont exécutés dans le délai imparti, mais le délibéré a été suspendu à la suite d’une requête verbale présentée par le procureur du travailleur qui, en date du 31 août 1999, requérait la suspension du délibéré, dans l’attente d’une décision à venir de la Cour d’appel du Québec dans un dossier présentant des similitudes avec la présente affaire (Benoît Leroux & CALP, 200-09-002009-980).

[11]           Le 10 septembre 1999, la Commission de la santé et de la sécurité du travail, par l’entremise de sa procureure, avisait la Commission des lésions professionnelles qu’elle ne s’opposait pas à cette demande de suspension du délibéré.

[12]           Dans les jours qui ont suivi, la Commission des lésions professionnelles a convenu avec les parties d’annuler le délibéré et de les reconvoquer pour argumentation complémentaire à une date à être déterminée.

[13]           Les parties ont donc été entendues de façon complémentaire en date du 2 novembre 1999 à Sherbrooke.

[14]           Assistaient à l’audience le travailleur, son procureur ainsi que la procureure de la Commission de la santé et de la sécurité du travail.

[15]           Bien qu’à la fin de cette audience le dossier eut été considéré en état pour les fins du délibéré, la Commission des lésions professionnelles a suspendu ce délibéré dans l’attente d’une décision qu’elle devait rendre dans l’affaire Benoît Leroux & J.M. Asbestos inc. & Commission de la santé et de la sécurité du travail (dossier 67203-05-9503).

[16]           Cette décision ayant été rendue le 27 avril 2000, c’est à cette date que la présente affaire a été prise en délibéré.

[17]           La preuve soumise à l’appréciation de la Commission des lésions professionnelles consiste en l’ensemble des documents contenus au dossier préparé pour l’audience ainsi qu’aux témoignages de la docteure Monique Rioux, médecin à la Direction des services médicaux de la Commission de la santé et de la sécurité du travail, et celui de monsieur Gérard Brown, le travailleur.

[18]           Tel que précédemment mentionné, les parties ont soumis notes et autorités dans le cadre d’une argumentation écrite.

[19]           Après avoir analysé tous les éléments de la preuve testimoniale et documentaire, tant factuelle que médicale, avoir soupesé les arguments invoqués par les représentants respectifs des parties, tant à l’occasion de leur argumentation écrite que lors de la reprise de l’audience en date du 2 novembre 1999, avoir consulté une abondante jurisprudence, dont celle citée et commentée par les parties, avoir reçu l’avis des membres conformément à la loi et sur le tout avoir délibéré, la Commission des lésions professionnelles rend la présente décision.

L'AVIS DES MEMBRES

[20]           Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs sont tous deux d’avis de faire droit à la requête du travailleur et ce, pour les mêmes raisons et les mêmes motifs que ceux qui seront énoncés ci-après dans le cadre de la présente décision.

[21]           Plus particulièrement, ils sont d’avis qu’il serait difficile, pour la Commission des lésions professionnelles, de s’écarter de la position prise par la Commission des lésions professionnelles dans le cadre de l’affaire Benoît Leroux, puisque cette position tient compte du jugement rendu en date du 31 août 1999 par la Cour d’appel du Québec dans ce dossier.

[22]           Bien que les faits particuliers des deux affaires puissent être différents sous certains aspects, il n’en demeure pas moins que les principes émis à l’occasion de cette décision de la Cour d’appel doivent servir de guide dans le cadre de la présente décision.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[23]           En l’espèce, la Commission des lésions professionnelles doit se prononcer sur quatre contestations déposées par le travailleur à l’encontre d’une décision rendue par le bureau de révision Estrie.

[24]           La Commission des lésions professionnelles doit, dans un premier temps, se prononcer sur la légalité de la décision initiale rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail en date du 17 mai 1994 en ce qui concerne l’élément suivant :

«[…]

 

Une exposition à l’amiante inférieure au tiers (33%) de la norme serait acceptable.»  (sic.)

 

 

[25]           À l’audience et dans ses notes écrites, le travailleur, par l’entremise de son procureur, reconnaît que si cet élément de la décision de la Commission rendue le 17 mai 1994 est jugé légal, les autres décisions consécutives et relatives à l’emploi convenable identifié de même que l’indemnité de remplacement du revenu sont légales et, dans les faits, non contestées.

[26]           Commentant la question de la légalité de la décision du 17 mai 1994, le procureur du travailleur s’exprime comme suit dans son argumentation écrite :

«02.     LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[…]

 

Ainsi, se pose essentiellement la question de la légalité de la décision rendue par la CSST le 17 mai 1994 à la lumière des dispositions légales et des interventions de la CSST.

 

2.1       La décision du Bureau de révision est illégale car elle repose sur une prémisse qui n’a jamais été mise en preuve et pour laquelle M. Brown n’a eu aucune possibilité de faire valoir son point de vue.

 

2.2        L’intervention de la CSST agissant par le Dr Monique Rioux en date du 22 février 1994 visant à solliciter des prétendues précisions sur la question de l’exposition à l’amiante est-elle légale à la lumière de l’article 233 LATMP?

 

Dans l’affirmative, ce que nous contestons, l’avis complémentaire du Comité spécial des présidents du 17 mars 1994 permet-il à lui seul de rendre la décision du 17 mai 1994 autorisant M. Brown à un retour au travail à un emploi ne comportant pas une exposition à l’amiante au delà de 1/3 de la norme?

 

2.3        La CSST a-t-elle agi légalement en ignorant le rapport médical du Dr Échavé en date du 3 février 1995 par lequel il recommandait à M. Brown de ne plus être exposé à la poussière d’amiante?

 

2.4        L’avis complémentaire du Comité spécial des présidents du 17 mars 1994 et la décision de la CSST du 17 mai 1994 respecte-t-il l’esprit de l’article 5.2 du Règlement sur la qualité du milieu de travail  (sic.)

 

 

[27]           Dans les notes écrites qu’elle dépose à la Commission des lésions professionnelles dans le cadre du présent litige, la Commission de la santé et de la sécurité du travail précise également comme suit le litige :

«M. Brown conteste en particulier la légalité de la demande de précisions adressée par le Dr Rioux de la Direction des services médicaux (ci-après la DSM) de la CSST au comité spécial des présidents (ci-après le CSP) à la suite de son avis du 10 février 1994.  M. Brown reconnaît que le sort des autres décisions de la CSST confirmées par le Bureau de révision dépend de la décision qui sera rendue par la CLP sur la régularité de l’avis complémentaire signé par les présidents le 17 mars 1994.»  (sic.)

 

 

[28]           Dans la décision faisant l’objet du présent appel, le bureau de révision résume comme suit les éléments factuels pertinents qui ont pris place entre septembre 1993 et avril 1995.  On peut y lire :

«Le 10 septembre 1993, le Comité des maladies pulmonaires professionnelles étudie le dossier de M. Brown qui est alors hospitalisé pour investigation et traitement d’un nodule pulmonaire suspect.

 

Le comité ne reconnaît pas d’amiantose chez M. Brown mais attend le rapport final de l’hospitalisation pour conclure.

 

Le 5 octobre 1993, le docteur Cantin indique :  "carcinome pulmonaire thoracotomie et lobectomie LSD le 21/09/93 travailleur déjà en évaluation par la CSST pour la possibilité d’amiantose prévoyons congé de maladie pour temps indéterminé".

 

Le 2 décembre 1993, le docteur Réal Lagacé, pathologiste, diagnostique un adénocarcinome plus ou moins bien différencié en partie de type brochiolo-alvéolaire; il n’y a pas évidence d’amiantose.

 

Le 28 janvier 1994, le Comité des maladies pulmonaires professionnelles complète son étude du dossier de M. Brown et relie le carcinome dont M. Brown souffre au travail qu’il effectue dans les mines d’amiante pendant plus de 40 ans.

 

Le Comité évalue à 13% le déficit dont M. Brown est porteur.  Ce déficit se détaille comme suit :  5% pour maladie pulmonaire professionnelle à caractère irréversible, 3% pour lobectomie simple et 5% pour thoracotomie.  Il n’y a pas de limitation fonctionnelle.  Il ne doit y avoir aucune exposition à l’amiante.

 

Le 10 février 1994, le Comité spécial des présidents entérine les conclusions du Comité des maladies pulmonaires professionnelles.  Le déficit est évalué à 13%.  Il n’y a pas de limitation.  M. Brown ne doit pas être exposé à l’amiante.  Une réévaluation est prévue 5 ans plus tard.

 

Le 22 février 1994, la Commission formule la demande suivante au Comité spécial des présidents :

 

"Afin de permettre à la Commission de statuer sur l’emploi convenant à monsieur Brown, qui travaille encore dans l’industrie de l’amiante comme mécanicien de locomotives, je vous demande de bien vouloir préciser le niveau d’exposition acceptable à l’amiante."

 

Un post-scriptum est ajouté à la fin de cette demande sous la forme suivante :  "Qu’en est-il de l’exposition éventuelle à la fumée du tabac?"

 

Le 17 mars 1994, le Comité spécial précise que M. Brown devrait cesser de fumer et qu’une exposition à l’amiante en milieu de travail, inférieure au tiers de la norme est acceptable.

 

La preuve démontre que la norme acceptable est de 1 fibre / c.c.

 

Le 23 mai 1994, M. Brown produit une réclamation à la Commission pour une période d’incapacité qui débute le 21 septembre 1993.  Son revenu annuel est de 46 500$.

 

Le 16 juin 1994, le docteur Cantin déclare la lésion consolidée.

 

La Commission détermine que M. Brown ne peut reprendre son travail de mécanicien de locomotive car il ne respecte pas la norme d’exposition à l’amiante imposée par le Comité spécial des présidents.

 

Le 2 août 1994, une rencontre a lieu chez l’employeur de M. Brown, avec le syndicat, la Commission et l’employeur.  Plusieurs postes disponibles chez l’employeur respectent la norme d’exposition fixée pour M. Brown, égale au tiers de la norme.

 

M. Brown choisit le poste de concierge.  Ce poste offre un revenu annuel brut de 37 167,42$, soit 17,82$ l’heure.  M. Brown a donc droit à une indemnité réduite de remplacement du revenu de 6,89$ par jour à compter du 8 août 1994, date à laquelle l’emploi convenable est disponible et qu’il peut l’occuper.

 

Le 16 mars 1995, cette indemnité est réduite à 6,78$ par jour car le revenu brut annuel servant au calcul de cette indemnité est revalorisé de 0,50% le 8 mars 1995, pasant de 47 383,50 à 47 620,42$.

 

M. Brown produit sous la cote D-1 une attestation du docteur Vincent Échevé, chirurgien.  Le docteur Échevé opère M. Brown en 1993 et le suit depuis.  Il recommande que M. Brown ne soit plus exposé à la poussière d’amiante.»  (sic.)

 

 

[29]           Déjà devant le bureau de révision, le procureur du travailleur avait spécifiquement identifié l’objet de la contestation que le bureau de révision rapporte comme suit :

«Le procureur de M. Brown précise que ses contestations de l’emploi convenable et des indemnités réduites de remplacement du revenu sont reliées à sa contestation de la norme autorisée d’exposition à l’amiante par le Comité spécial des présidents.»  (sic.)

 

 

[30]           Devant la Commission des lésions professionnelles, le procureur du travailleur soutiendra que la décision rendue par le bureau de révision est fondée sur une prémisse non prouvée, à savoir l’énoncé qu’on retrouve à la décision à l’effet qu’il y a de l’amiante partout et que l’exposition nulle est impossible à réaliser.

[31]           Il soumet également que l’intervention de la Commission de la santé et de la sécurité du travail auprès du comité spécial des présidents est illégale en ce qu’elle ne respecte pas le processus prévu à la loi.  Il soulève également d’autres arguments dont il y aurait lieu de disposer plus loin, le cas échéant.

[32]           Sur cette question de la légalité du processus d’intervention de la Commission de la santé et de la sécurité du travail auprès du comité spécial des présidents à la suite de l’avis initial rendu en février 1994, la procureure de la Commission de la santé et de la sécurité du travail soumet que les agissements de la Commission de la santé et de la sécurité du travail, par le biais du docteur Rioux, trouvent fondement dans le besoin d’éclaircissement et de précision pour tenir compte de décisions antérieurement rendues par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (affaire Gendron et affaire Wilson).

[33]           Tant le docteur Rioux, à l’occasion de son témoignage, que la procureure de la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à l’occasion de l’argumentation écrite, ont expliqué à la Commission des lésions professionnelles le pourquoi d’une telle démarche dite de précision et le contexte dans lequel une telle démarche a été initiée, à savoir qu’il s’agissait pour la Commission de la santé et de la sécurité du travail de procéder, dans le cadre de la réadaptation, à la détermination d’un emploi convenable pour le travailleur et cela, dans le respect des prescriptions de la loi, notamment dans le cadre de l’évaluation des possibilités du maintien du lien d’emploi et de la détermination d’un emploi convenable chez l’employeur.

[34]           N’eut été de la décision rendue par la Cour d’appel dans l’affaire Benoît Leroux & Commission d’appel en matière de lésions professionnelles & J.M. Asbestos inc., la Commission des lésions professionnelles aurait été d’avis, à ce stade-ci, de reprendre tous et chacun des éléments de la preuve factuelle et de les analyser en regard de tous les éléments de l’argumentation déposée par les procureurs respectifs des parties.

[35]           Dans les circonstances particulières de l’espèce et compte tenu de la décision rendue par la Cour d’appel ainsi que par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Leroux, il y a lieu, à ce stade-ci, de préciser les éléments factuels qui seront retenus aux fins de la présente décision :

1.         10 septembre 1993 :  rapport du comité des maladies pulmonaires professionnelles de Sherbrooke (docteurs Bégin, Boileau et Cantin) :

«CONCLUSION

 

Le comité des maladies pulmonaires professionnelles de Sherbrooke ne reconnaît pas d’amiantose chez monsieur Brown mais reconnaît un nodule pulmonaire suspect de néoplasie.

 

RECOMMANDATIONS

 

Comme le réclamant est présentement hospitalisé pour investigation et traitement de cette lésion, le comité attend le rapport final de cette hospitalisation afin de conclure sur le dossier de ce réclamant.»  (sic.)

 

 

2.         28 janvier 1994, étude complémentaire : rapport du comité des maladies pulmonaires professionnelles de Sherbrooke (docteurs Bégin, Boileau et Cantin) :

«CONCLUSION :

 

Le comité reconnaît Monsieur Brown porteur d’un carcinome d’origine professionnelle dont le DAP est de 13% avec identification des séquelles de la façon suivante :

 

1)         Déficit anatomo-physiologique :

 

Code                Description                                                      DAP

 

223001             MPP à caractère irréversible                            5%

123011             Lobectomie simple                                           3%

204709             Thoracotomie                                                  5%

223127             Classe fonctionnelle 1                                       0%

                                                                                              ___

 

Total                                                                                       13%

 

2) Limitations fonctionnelles :  aucune restriction.

3) Tolérance aux contaminants :  aucune exposition à l’amiante.

4) Réévaluation :  dans cinq ans.»  (sic.)

 

 

3.         10 février 1994, rapport du comité spécial des présidents (docteurs Desmeules, Ostiguy et Gauthier) :

«[…]

 

En conclusion, les membres entérinent les recommandations du comité des maladies pulmonaires professionnelles de Sherbrooke.  Ils reconnaissent le carcinome de ce réclamant comme d’origine professionnelle et lui accordent un pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique de 13% avec identification des séquelles de la façon suivante :

 

Code                Description                                                      DAP

 

223001             MPP à caractère irréversible                            5%

                       (carcinome)

123011             Lobectomie simple                                           3%

204709             Thoracotomie                                                  5%

223127             Classe fonctionnelle 1                                       0%

                                                                                              ___

 

Total                                                   13%

 

Limitations fonctionnelles :  aucune restriction.

Tolérance aux contaminants :  aucune exposition à l’amiante.  Réévaluation :  dans cinq ans.

 

/cv       Marc Desmeules, m.d.,                         Gaston Ostiguy, m.d.,

            pneumologue                                        pneumologue

 

           

            Jean-Jacques Gauthier, m.d.,

            Pneumologue»  (sic.)

 

 

4.         22 février 1994, note de service (docteure Monique Rioux) :

«À :     Comité spécial des Présidents

            Docteurs Desmeules, Gauthier, Ostiguy

 

OBJET : Précisions à apporter à l’avis du 10 février 1994 au sujet de la tolérance au contaminant.

 

Afin de permettre à la Commission de statuer sur l’emploi convenant à monsieur Brown, qui travaille encore dans l’industrie de l’amiante comme mécanicien de locomotives, je vous demande de bien vouloir préciser le niveau d’exposition acceptable à l’amiante.

 

Je vous remercie de l’attention accordée à cette note.

 

 

Monique Rioux, md

Responsable du dossier des m.p.p.

Direction des services médicaux

 

ll

 

PS :  Qu’en est-il de l’exposition éventuelle à la fumée du tabac?»  (sic)

 

 

5.         17 mars 1994, avis complémentaire du comité spécial des présidents (docteurs Desmeules, Gauthier, Ostiguy) :

«AVIS COMPLÉMENTAIRE

 

À leur réunion du 17 mars 1994, les membres soussignés du Comité Spécial des présidents ont pris conscience de la note de service de la direction des services médicaux de la CSST en date du 22 février 1994, note de service qui demande de statuer sur l’emploi convenant à monsieur Brown qui travaille encore dans l’industrie de l’amiante comme mécanicien de locomotive.

 

En sous question, il y a deux points :

 

P.-S.  Qu’en est-il de l’exposition éventuelle à la fumée de tabac?

 

Le comité des présidents a revu le dossier de ce réclamant et recommande que monsieur Brown n’ait plus d’exposition professionnelle à l’amiante.

 

Les membres considèrent que, sur le plan pratique, une exposition en milieu de travail inférieure au tiers (33%) de la norme serait acceptable pour ce réclamant.

 

Quant au tabagisme, il ne s’agit pas d’une exposition professionnelle mais personnelle qui devrait évidemment être discontinuée.»  (sic.)  (notre soulignement)

 

 

6.         17 mai 1994, décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail :

«Vous trouverez ci-joint un exemplaire du rapport médical fait le 17 mars 1994 par le comité spécial des maladies professionnelles pulmonaires relativement à votre réclamation pur une maladie professionnelle pulmonaire.

 

Conformément aux dispositions de l’article 233 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, la CSST, liée par les constatations médicales du comité spécial, conclut que

 

-          Le diagnostic est celui de carcinome au lobe supérieur droit.

 

-          Il subsiste de votre maladie professionnelle pulmonaire une atteinte permanente à votre intégrité physique.

 

.  . Une exposition à l’amiante inférieure au tiers (33%) de la norme serait acceptable.

 

Compte tenu de cet avis, la CSST rend la décision suivante :

 

-          Votre réclamation est acceptée puisque vous avez une maladie professionnelle pulmonaire.  Votre dossier est dirigé vers la réadaptation pour évaluation de vos besoins.  L’indemnité de remplacement du revenu sera versée jusqu’à ce qu’un conseiller en réadaptation se prononce sur votre capacité à exercer votre emploi.

 

-          Vous avez droit à une indemnité pour dommages corporels puisqu’il subsiste de votre maladie professionnelle pulmonaire une atteinte permanente à votre intégrité physique.  Une décision quant au pourcentage et à l’indemnité qui vous sera accordée sera rendue sous peu.

 

-          Un examen par un comité des maladies professionnelles pulmonaires est prévu dans 5 ans, après la stabilisation de votre état, afin de compléter l’évaluation.»  (sic.)

 

 

7.         9 juin 1994, décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail, sujet :  évaluation des dommages corporels :

«Monsieur,

 

La CSST est liée par l’avis du comité spécial des maladies professionnelles pulmonaires au regard des évaluations des dommages corporels que vous avez subis lors de l’aggravation du 08 MARS 1993.  Votre pourcentage d’atteinte permanente a été établi à 15,60% et se divise ainsi :

 

[…]»  (sic.)

 

 

8.         28 juin 1994, décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail statuant sur le droit à la réadaptation :

«Objet :            Décision statuant sur votre droit à la réadaptation

 

Monsieur,

 

Suite à votre lésion professionnelle du 12 décembre 1989, vous demeurez avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.

 

L’évaluation de votre situation que nous avons faite ensemble a permis de prévoir des problèmes de retour à votre emploi habituel.

 

Conformément à l’article 145 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, vous avez droit à la réadaptation.

 

Nous allons donc poursuivre le versement de votre indemnité de remplacement du revenu et entreprendre avec vous au cours des prochaines semaines, la mise en place d’un plan individualisé de réadaptation visant la réintégration dans votre emploi habituel, dans un emploi équivalent ou, si cela s’avère impossible, facilitant l’accès à un emploi convenable.

 

Votre participation active est essentielle pour que cette démarche soit vraiment adaptée à votre situation et se réalise dans les meilleures conditions possibles.»  (sic.)

 

 

9.         4 août 1994, décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail statuant sur un emploi convenable.

[36]           L’enchaînement factuel précédemment décrit amenait le procureur de l’employeur à développer l’argumentation suivante qu’il déposait devant le bureau de révision.  De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, il y a lieu de reproduire ici cette argumentation qui, dans un premier volet, traite de la possibilité, pour la Commission de la santé et de la sécurité du travail, d’obtenir des précisions ou des clarifications à l’occasion d’une intervention directe auprès d’un médecin et/ou bureau ayant donné une opinion liante pour la Commission de la santé et de la sécurité du travail.

[37]           Dans un second volet, on traite du contenu des précisions demandées :

«2.       Intervention de la C.S.S.T.

 

En second lieu, le représentant du travailleur allègue que la C.S.S.T. est intervenue indûment auprès du Comité spécial des présidents afin que celui-ci modifie sa conclusion quant à la tolérance du travailleur à un contaminant.

 

            Dans un premier temps, il y a lieu de remarquer que la C.S.S.T. a respecté le processus d’évaluation médicale énoncé aux articles 226 à 233 de la L.A.T.M.P.  Contrairement, à certaines autorités déposées par le représentant du travailleur6 où la Commission d’appel a déclaré irrégulière les décisions émanant de la C.S.S.T. alors que celle-ci avait complètement ignoré le processus prévu aux articles 226 et suivants en ne soumettant pas la réclamation pour maladie pulmonaire professionnelle au Comité des maladies pulmonaires professionnelles et au Comité spécial des présidents, tel que le prévoit ces dispositions.  En effet, la C.S.S.T. avait rendu des décisions sans respecter ce processus et sans soumettre le dossier aux comités.

 

            Par ailleurs, il convient de distinguer les affaires Ianeri et Entretien Servimax Inc.7 et Les Lainages Victor Limitée et C.S.S.T8 du cas sous étude.  En effet, dans la première affaire, la Commission d’appel a complété la décision de la C.S.S.T. rendue suite à l’avis du Comité spécial des présidents puisque celle-ci n’était pas conforme aux dispositions expresses de l’article 233 de la L.A.T.M.P. en ce qu’elle omettait de reproduire l’une des conclusions émises par le Comité spécial des présidents, relativement à la tolérance du travailleur au contaminant alors que cette conclusion faisait partie des sujets auxquels la Commission doit se sentir liée conformément à l’article 233 de la L.A.T.M.P.  De même, dans l’affaire Pratte précitée, la Commission d’appel avait à trancher quant à un moyen préliminaire portant sur sa juridiction.  La Commission d’appel notait un vice de forme dans la décision rendue par la C.S.S.T. puisque cette dernière n’avait pas reproduit intégralement la conclusion émise par le Comité spécial des présidents dont la rédaction était tout à fait différente.

 

            Également, nous aimerions apporter quelques commentaires quant à quelques décisions sur lesquelles le représentant du travailleur s’appuie quant à l’intervention illégale de la C.S.S.T.  Celui-ci dépose trois décisions9 où il s’agit de cas où le médecin de la C.S.S.T. est intervenu auprès du médecin traitant afin que celui-ci modifie ses conclusions médicales.  Dans la première cause Talbot, le médecin traitant du travailleur avait modifié substantiellement son rapport final, il avait modifié non seulement le diagnostic, mais la date de consolidation ainsi que la durée et l’existence même des limitations fonctionnelles.  C’est donc à juste titre, qua la Commission d’appel avait conclu que la confusion engendrée à la suite de la production de ce deuxième rapport final tout à fait contradictoire au premier justifiait que la décision de la C.S.S.T. rendue en vertu de l’article 224 de la L.A.T.M.P. soit annulée.  Dans la seconde décision Général Motors du Canada Limitée, il s’agit également d’un cas où le médecin traitant avait modifié le pourcentage d’atteinte permanente accordé au travailleur suite à une intervention de la C.S.S.T.  La Commission d’appel notait qu’une procédure de contestation est prévue à l’article 214 de la L.A.T.M.P. soit en contestant un tel rapport auprès du Bureau d’évaluation médicale.  Il est à noter que ce processus de contestation médicale n’existe nullement en ce qui a trait aux maladies professionnelles pulmonaires.  Enfin, dans l’affaire Robidoux, la Commission d’appel reprochait encore une fois à la C.S.S.T. d’être intervenue afin que le médecin traitant retranche un diagnostic de ses conclusions.

 

            En regard de ce qui précède, il nous est permis de constater que la Commission d’appel a déclaré illégale les décisions de la C.S.S.T. rendues à la suite d’une intervention de cette dernière lorsque celle-ci était intervenue auprès du médecin traitant de façon à ce que celui-ci modifie, amende ses conclusions médicales et non parce que la C.S.S.T. demandait des précisions ou des informations additionnelles suite à la production de tels rapports.

 

            Nous soumettons au Bureau de révision qu’il y a tout lieu de nuancer de telles décisions.  En effet, la Commission d’appel dans l’affaire Talbot et C.H. La Piéta10 émettait l’opinion suivante à la page 504 de la décision :

 

«Il est peut-être vrai, que, comme l’écrit l’honorable juge Biron dans l’affaire Lepage c. Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec (supra), en appel, que la Commission ne peut, sans passer outre à sa juridiction, agir sur le médecin ayant charge du travailleur et obtenir une évaluation modifiée lorsqu’elle n’est pas d’accord avec les conclusions de ce médecin.

 

Mais, en l’espèce, l’intervention du docteur Dion ne procède aucunement d’un désaccord avec l’évaluation faite par le docteur Couillard, mais plutôt de la constatation que cette évaluation était incomplète, puisqu’elle omet de faire mention des séquelles antérieures.»

 

Un peu plus loin, on peut lire :

 

«Dans le cas qui nous occupe, la Commission n’a fait qu’user de son pouvoir administratif de gérance du régime de réparation et indemnisation des accidentés du travail.

 

Dans l’exercice de ce pouvoir, la Commission doit respecter les règles de justice naturelle.  La Commission d’appel n’a aucune indication de ce que ces règles n’aient pas été respectées.  Le docteur Dion a donné son opinion au docteur Couillard, puis lui a laissé le libre choix de corriger ou non son évaluation.  Aucune preuve n’a été faite à l’effet que le docteur Dion ait fait quelque pression que ce soit sur le docteur Couillard pour qu’il modifie son évaluation, ou que le docteur Dion ait induit le docteur Couillard en erreur.»

 

Et enfin, la Commission d’appel conclut :

 

«Toutefois et avec respect, la Commission d’appel est d’opinion que le législateur a donné à la Commission le pouvoir d’établir des politiques visant à rendre l’administration d’une loi techniquement complexe plus efficace.  La politique dont a fait état le docteur Dion ne contrevient pas, en soi, à la procédure d’évaluation médicale prévue par la loi.  Elle permet plutôt à la Commission d’assurer en équité, d’après le mérite réel et la justice du cas, le traitement d’un dossier.»

 

Dans l’affaire C.S.S.T. et Roy11, la Commission d’appel citait avec approbation la décision Talbot précitée.

 

Récemment, la Commission d’appel affirmait à nouveau ce principe dans la décision Vigneault et Entr. G & J. Munger Inc.12 alors que nous pouvons lire à la page 17 de cette décision :

 

«En ce qui a trait à cette question de l’irrégularité ou de l’illégalité de l’intervention de la Commission auprès du docteur Nelson Turmel, médecin ayant charge du travailleur, la Commission d’appel constate en fait et conclut d’emblée que la Commission n’a fait que demander à ce médecin de préciser son opinion jusqu’alors incomplète quant au pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique du travailleur et quant aux limitations fonctionnelles conservées par ce dernier, le tout en référence avec les conclusions des médecins-spécialistes dont il attendait lui-même les conclusions sur l’évaluation des éléments précités.

 

À cet égard, la Commission d’appel est d’avis qu’une simple question ou demande de précision de conclusions incomplètes ne peut et ne doit pas être assimilée à une intervention illégale faite dans le but d’influencer indûment le médecin ayant charge d’un travailleur.  Il est en effet nécessaire pour la Commission de connaître la teneur exacte des conclusions du médecin ayant charge de celui-ci avant de décider de les contester, ce qu’elle n’a pas eu à faire en l’espèce puisque le médecin ayant charge du travailleur a clairement exprimé son accord avec les conclusions des drs Guimond et Drouin, lesquels n’ont pu préciser aucune limitations fonctionnelles autre qu’une cervicalgie et des céphalées non incapacitantes.»

 

3.         Tolérance du travailleur à un contaminant

 

            Afin de déterminer si la lettre de la C.S.S.T. en date du 22 février 1994 constituait une demande de précision et non une demande de modification de l’avis déjà rendu le 10 février 1994 par le Comité spécial des présidents, il y a lieu d’examiner l’interprétation de la jurisprudence donnée à l’expression «aucune exposition à l’amiante».

 

            Rappelons d’abord que la tolérance du travailleur à un contaminant constitue l’un des sujets prévus à l’article 230 de la L.A.T.M.P. sur lequel la C.S.S.T. doit se sentir liée aux fins de rendre sa décision en vertu de l’article 233 de la L.A.T.M.P.

 

            Il convient de rapporter intégralement, la note de service du docteur Rioux à l’intention du comité spécial des présidents en date du 22 février 1994 :

 

«Objet :  Précisions à apporter à l’avis du 10 février 1994 au sujet de la tolérance au contaminant.

 

Afin de permettre à la Commission de statuer sur l’emploi convenant à monsieur Brown, qui travaille encore dans l’industrie de l’amiante comme mécanicien de locomotives, je vous demande de bien vouloir préciser le niveau d’exposition acceptable à l’amiante.»

 

            Nous constatons donc qu’en aucun moment, le docteur Rioux suggère ou demande une quelconque modification ou amendement à l’avis déjà émis le 10 février 1994.  Elle s’interroge plutôt, dans le but de déterminer l’emploi convenable de ce travailleur, sur ce que constitue pour le Comité spécial des présidents la notion d’aucune exposition à l’amiante.

 

            Afin de comprendre davantage l’interprétation à donner à cette expression, nous joignons à la présente une volumineuse décision rendue par la Commission d’appel, laquelle portait justement sur l’interprétation à cette expression.

 

            En 1990, la Commission d’appel s’est penchée sur le sens à donner à la recommandation « aucune exposition à l’amiante » dans l’affaire J.M. Asbestos et Wilson13.  Après avoir constaté qu’une exposition nulle serait utopique vu la présence de la fibre d’amiante dans l’environnement en général, la Commission d’appel remplace cette conclusion par une interdiction d’être exposés à plus de 0,1 fibre/cm3.

 

_______________

 

3               Décision initiale :  Bellavance et Guillet & Robert Inc. C.A.L.P. 13223-62-8906, le 25 septembre 1991

 

4              C.A.L.P. 1626-03-8912, le 10 août 1992

 

5              [1995] B.R.P. 285

 

6           Donohue St-Félicien Inc. et Dumas [1988] C.A.L.P. 180 et Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et Mulle [1992] 1586

 

7              [1995] C.A.L.P. 521

 

8              C.A.L.P. 43306-03-9209, le 31 mai 1996

 

9               Talbot et Pratt & Whitney Canada Inc. [1994] C.A.L.P. 176 ; Général Motors du Canada Limitée et Plouffe [1996] C.A.L.P. 1 ; et Robidoux et Imprimerie Trandek Limitée [1995] C.A.L.P. 1553

 

10              [1991] C.A.L.P. 492

 

11              C.A.L.P. 26806-03-9102, le 16 novembre 1992

 

12             C.A.L.P. 71128-03A-9507, le 3 décembre 1996

 

13             (1990) C.A.L.P. 747 »  (sic.)

 

 

[38]           Devant ce même bureau de révision, le procureur du travailleur soulevait alors l’argumentation suivante :

«A la suite de l’audition tenue le 08 décembre dernier, nous avons pris connaissance de l’argumentation du procureur de J.M. Asbestos transmise le 12 décembre 1997.

 

Aux fins d’apprécier la légalité de l’intervention de la C.S.S.T. le 22 février 1994 (Dr Rioux) dans le processus d’évaluation de la maladie professionnelle pulmonaire de M. Brown, il faut situer le contexte de cette intervention.

 

Le but de l’intervention du Dr Rioux était de permettre la recherche d’un "emploi convenant à M. Brown" chez J.M. Asbestos.  Or, dès que le comité spécial a émis son avis le 10 février 1994, la C.S.S.T. devait rendre une décision reproduisant les contestations de cet avis puisqu’aux termes de l’article 233, la C.S.S.T. est liée par les conclusions du Comité spécial du 10 février 1994.

 

La question de la tolérance de M. Brown à l’exposition à l’amiante a fait l’objet d’une détermination qui ne portait à aucune interprétation.

 

Lorsque la C.S.S.T. intervient le 22 février 1994, il est claire qu’elle recherche une autorisation d’exposer M. Brown à une norme autre que "aucune exposition" de façon à identifier un "emploi convenant à M. Brown".  La suite du dossier démontre bien que tel était le but de la C.S.S.T.  L’avis du Comité spécial du 10 février 1994 n’appelait aucune demande de "précisions" de la part de la C.S.S.T.

 

Les conséquences de cette intervention du 22 février 1994 sont inquiétantes :

 

·         Le Comité spécial maintient que M. Brown ne doit plus être exposé

 

·         Le Comité spécial considère qu’une exposition à 1/3 de la norme serait acceptable.

 

Cet avis "complémentaire" du 22 février 1994 obtenu à l’initiative de la C.S.S.T. et à l’insu du travailleur a fait en sorte que la décision rendue sur l’emploi convenable a ignoré la 1re conclusion du Comité spécial du 10 février 1994 et la 2e conclusion au même effet en date du 17 mars 1995.

 

Il est faux de prétendre qu’en 1990, la Commission d’appel a interprété les mots "aucune exposition à l’amiante" dans l’affaire Wilson et que cette décision constitue la bonne interprétation à donner aux mots "aucune exposition à l’amiante C.A.L.P. 43306-03-9209, le 31 mai 1996.  Dans l’affaire Wilson, suite à une contestation de l’employeur, la Commission d’appel a remplacé les mots "aucune exposition à l’amiante" par une exposition à 0,1 f/cc et ce après une enquête tenue devant les parties.  La C.A.L.P. a alors pris bien soin de préciser que sa conclusion n’avait pas de portée générale et ne visait que le cas de M. Wilson.

 

En 1989, la C.A.L.P., dans l’affaire Gendron c. J.M. Asbestos (1989 CALP 1006-1029) a établi que les ternes "aucune exposition à l’amiante" signifiaient une exposition à 0,007 f/cc.  Copie de cette décision est jointe à la présente.

 

La C.S.S.T. n’avait aucun droit de se "délier" de l’avis du Comité spécial du 10 février 1994.  Elle se devait de rendre une décision conforme à cet avis.

 

Dans l’hypothèse où le B.R.P. considérait que l’avis rendu le 17 mars 1994 par le Comité spécial était légal, nous soumettons que M. Brown aurait dû bénéficier de la conclusion où le Comité spécial réitère "aucune exposition à l’amiante".»  (sic.)

 

 

[39]           Devant la Commission des lésions professionnelles, le procureur du travailleur soumet plus spécifiquement ce qui suit :

«6.2      L’intervention de la CSST agissant par le Dr Rioux ou comment faire indirectement ce que l’article 233 L.A.T.M.P. interdit de faire directement.

 

L’article 233 LATMP édicte que la CSST est liée par l’avis rendu par le comité spécial des présidents.  Cet avis a été rendu le 10 février 1994 et est très clair :  M. Brown ne peut subir aucune exposition à l’amiante.

 

Et, pourtant, le Dr Rioux a vu dans ces quelques mots l’expression d’une conclusion confuse pour laquelle elle se devait de demander des explications ce qu’elle fera le 22 février 1994.  En réalité, le Dr Rioux ne recherchait pas une explication; elle recherchait une exposition acceptable.  Elle n’a pas su expliquer ce qui n’était pas clair; sa démarche visait essentiellement à faire modifier les mots «aucune exposition à l’amiante» par une conclusion qui permettrait une certaine exposition, laissant aux présidents le soin de quantifier l’exposition souhaitée.

 

Le 17 mars 1994, un «avis complémentaire» est signé par le Comité spécial des présidents; cet avis n’est pas des plus limpides.  En effet, les présidents réaffirment que M. Brown ne doit plus subir d’exposition à l’amiante; ils ajoutent que, sur le plan pratique, une exposition à 1/3 de la norme serait acceptable.  C’est presque trois fois et demi plus que ce qui a été décidé dans l’affaire Wilson et presque cinquante fois plus que ce qui a été décidé dans l’affaire Gendron.

 

De liée qu’elle était, la CSST s’est subitement «déliée» par le biais d’une note de service adressé aux présidents à l’insu du travailleur.

 

De l’avis complémentaire du 17 mars 1994, la CSST a extrait le passage qui était le moins favorable au travailleur; elle n’a pas retenu que les présidents réitéraient que M. Brown ne pouvait plus être exposé à l’amiante.  Vision réductrice de la loi qui heurte les principes d’interprétation large et libérale que les tribunaux ont toujours réaffirmé à l’égard de cette législation à caractère social.

 

Mais au fait, en quoi l’avis du Comité spécial des présidents du 10 février 1994 n’était pas clair?  Nous ne le savons toujours pas!

 

La CSST qui est le gestionnaire du régime et qui a le mandat d’administrer la législation suivant son objet a mis sur pied un mécanisme parallèle d’évaluation des maladies professionnelles pulmonaires pour faciliter les activités de son service de réadaptation.

 

La CSST n’avait pas la latitude de refuser de rendre une décision conforme à l’avis du Comité spécial des présidents du 10 février 1994 en recherchant par une manœuvre fort peu habile la modification d’une des conclusions de cet avis.  La CSST a vicié le processus voulu par le législateur.  Elle a ainsi commis une illégalité à l’endroit de M. Brown.

 

[…]

 

La procédure d’évaluation d’une maladie professionnelle pulmonaire doit être rigoureusement suivie par la CSST.

 

L’article 233 LATMP édicte que :

 

«Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente Loi sur les droits du travailleur qui lui produit une réclamation alléguant qu’il est atteint d’une maladie professionnelle pulmonaire, la Commission est liée par le diagnostic et les autres constatations établis pari le Comité spécial en vertu du troisième alinéa de l’article 231.»

 

(les soulignés et le caractère gras sont de nous)

 

 

Dans leur traité Les accidents du travail et les maladies professionnelles (Blais, 1997), les auteurs Cliche et Gravel écrivent à ce sujet :

 

«L’avis du comité spécial des présidents lie la CSST, en vertu de l’article 233 LATMP, c’est à dire qu’elle peut «ni le questionner, ni le mettre en doute».»

(p. 549)

 

Or, la CSST a questionné l’avis du Comité spécial des présidents du 10 février 1994; le Dr Rioux a expédié aux présidents une note de service pour «pour demander des éclaircissements».  En agissant ainsi, elle questionnait ou mettait en doute la conclusion des présidents qui avaient conclu que M. Brown ne pouvait plus être exposé à l’amiante.

 

Cette façon d’agir a été qualifiée d’illégale par de nombreuses décisions rendues par la CALP et la Cour Supérieure.  Le processus d’évaluation des maladies professionnelles pulmonaires doit être strictement suivi.

 

Dans l’affaire Donohue St-Félicien c. Dumas (1988 CALP 180-187), le commissaire Brazeau conclut que la procédure prévue aux articles 226 à 233 LATMP est impérative pour tous y compris la CSST :

 

«La Commission d’appel constate que les dispositions législatives précitées sont impératives et que la Commission a effectivement l’obligation, aux fins de traiter une réclamation portant sur une maladie professionnelle pulmonaire, de suivre les dispositions particulières prévues à ces articles.»  (p. 185)

 

Dans l’affaire Compagnie des chemins de fer nationaux c. CALP (1992 CALP 1586-1589), la Cour Supérieure procède à la révision judiciaire d’une décision de la CALP qui n’avait pas assuré le respect des articles 226 à 233 Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001).  Le juge Tingley écrit :

 

«La fonction de la CSST dans un tel cas est de référer le travailleur à un comité des maladies professionnelles pulmonaires, d’attendre le diagnostic établi par le comité spécial et de rendre une décision en conformité avec tel diagnostic  (p. 1588)

 

(les soulignés sont de nous)

 

Dans l’affaire Naud c. Commission scolaire de la Côte de Beaupré (CALP 17932-03-9003 - Me Marie Beaudoin - 27-07-92)G, la commissaire note :

 

«Il est indubitable que le diagnostic est une question d’ordre médical dont la détermination incombe exclusivement au comité spécial en vertu de l’article 231 et qu’aux fins d’établir les droits d’un travailleur, la Commission est liée par ce diagnostic, c’est à dire qu’elle peut ni le questionner, ni le mettre en doute»

(p. 6 de la décision)

 

A noter que ce qui est vrai pour le diagnostic est aussi vrai pour tout sujet sur lequel les présidents doivent se prononcer dont la tolérance aux contaminants.

 

Dans l’affaire Ianeri c. Entretien Servimax Inc. (1995 CALP 521-531), le commissaire Lemay exprime l’avis que :

 

«En vertu des dispositions expresses de l’article 233 de la loi, la commission devait, dans sa décision du 3 décembre 1991, reproduire l’avis du Comité spécial des présidents sur le sujet de la tolérance du travail à des irritants respiratoires, ceux-ci étant manifestement compris et inclus dans la définition d’un contaminant»» (p. 529)

 

Dans l’affaire Ministère du développement des ressources humaines c. Massy (1996 CALP 801-816), la CALP retient à la jurisprudence citée plus haut pour rappeler le caractère impératif des dispositions prévues aux articles 226 à 233 LATMP (p. 814).  Le commissaire réfère à la décision dans compagnie de papier Québec & Ontario Ltée c. Fortin (1990 CALP 1153 ) où la CALP écrit :

 

«Il faut se rappeler que la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles, dont l’objet est de réparer les lésions professionnelles et les conséquences qu’elle entraînent, doit recevoir une interprétation large et libérale…»

 

Il nous apparaît que l’intervention de la CSST agissant par le Dr Rioux était illégale et que l’avis complémentaire des présidents daté du 17 mars 1994 entachait d’illégalité la décision de la CSST du 17 mai 1994 qui identifiait un emploi convenable pour M. Brown.»  (sic.)

 

 

[40]           Intervenue devant la Commission des lésions professionnelles, la Commission de la santé et de la sécurité du travail, par l’entremise de sa procureure, soumet une argumentation écrite :

[41]           Commentant plus particulièrement l’intervention de la Commission de la santé et de la sécurité du travail auprès du Comité spécial des présidents, celle-ci écrit :

«(5) Dans le dossier de M. Brown, ce sont les Drs Ostiguy, Gauthier et Desmeules qui ont signé l’avis ayant fait l’objet d’une demande de précisions de la part du Dr Rioux.  Etant au courant des décisions de la CALP, il est facile de comprendre la démarche du Dr Rioux auprès du CSP.  D’ailleurs, le libellé de sa note de service laisse croire qu’il lui apparaît évident qu’une certaine exposition à l’amiante est acceptable, puisqu’elle demande au CSP de "préciser le niveau d’exposition acceptable" et non de "préciser SI un niveau d’exposition est acceptable".  Enfin, il y a lieu de remarquer que le CSP s’est prêté à l’exercice.  Il aurait très bien pu s’en tenir au premier avis émis et refuser d’indiquer, comme il l’a fait, que "sur le plan pratique, une exposition en milieu de travail inférieure au tiers de la norme serait acceptable."

 

(6) Interrogée sur l’apparente contradiction entre les conclusions de l’avis complémentaire du CSP recommandant, d’une part, que Monsieur Brown n’ait plus d’exposition professionnelle à l’amiante et, d’autre part, que sur le plan pratique, une exposition en milieu de travail inférieure au tiers de la norme soit acceptable, le Dr Rioux a expliqué qu’elle comprenait l’avis comme voulant dire qu’une exposition inférieure au tiers de la norme acceptable ne serait pas, aux yeux du CSP, considérée comme une exposition professionnelle.  Nous laissons le soin à la CLP de décider de sa propre compréhension de cet avis puisqu’elle n’a pas eu le loisir d’en questionner les auteurs.

 

(7) On peut être ou ne pas être d’accord avec le fait pour un médecin à l’emploi de la CSST de solliciter des éclaircissements de la part du Bureau d’évaluation médicale (anciennement l’arbitre) ou du CSP dont les avis, dans l’un et l’autre cas, lient la CSST aux fins de rendre ses décisions en vertu de la LATMP, mais ce n’est certainement pas illégal.

 

(8) Dans une affaire PRODUITS AMERICAN BILTRITE c. CSST et MARIO BÉLAND, (onglet 3) où l’employeur recherchait l’émission d’un mandamus pour forcer la CSST à rendre une décision suivant le premier avis de l’arbitre alors qu’elle avait requis un avis complémentaire et rendu une décision suivant ce dernier, le juge Thomas Toth de la Cour Supérieure a rejeté la requête et s’est notamment exprimé comme suit à la page 12 de son jugement :

 

"Le fait de ne pas rendre une décision sur un avis ambigu ou incomplet et le fait d’obtenir des éclaircissements pour dissiper le doute ne constituent pas, dans le contexte de ce dossier, un excès de compétence ni une violation de la loi, mais c’est plutôt agir suivant l’équité, d’après le mérite réel et la justice du cas (art. 351 de la Loi) " (sic.)

 

(9) La CSST administre un régime d’assurance dont l’un des aspects consiste à indemniser le travailleur pour les conséquences qui découlent de sa lésion professionnelle.  C’est ici qu’entrent en scène les médecins, dont le rôle consiste à évaluer les conséquences physiques d’une lésion professionnelle.  Un autre aspect du régime, non moins important, consiste à rendre le travailleur capable de retourner sur le marché du travail, préférablement chez son ancien employeur.  A cet égard, il est acquis depuis l’affaire CUM c. BLOUIN qu’ail appartient à la CSST de se prononcer sur la capacité du travailleur à refaire son travail»  (sic.)

 

 

[42]           De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, la position énoncée par la procureure de la Commission de la santé et de la sécurité du travail correspond à la position que doit adopter généralement la Commission de la santé et de la sécurité du travail dans le cadre du suivi médico-administratif du dossier d’un travailleur victime d’une lésion professionnelle, lorsqu’elle désire obtenir des précisions qui permettront de clarifier un avis ambigu ou incomplet, de manière à permettre l’application pratique des recommandations.

[43]           Cependant, il y a lieu de rappeler que la distinction peut parfois s’avérer subtile entre une demande de précision et/ou une demande de correction et de modifications.

[44]           Comme le soutient le procureur du travailleur, dont les prétentions sont étayées de nombreuses citations de jurisprudence et de doctrine, les termes de la loi ne permettent pas à la Commission de la santé et de la sécurité du travail de questionner ou de mettre en doute l’avis rendu par le Comité spécial des présidents, lequel avis lie la Commission de la santé et de la sécurité du travail, ainsi qu’il est prévu à l’article 233 qui se lit comme suit :

233. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi sur les droits du travailleur qui lui produit une réclamation alléguant qu'il est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire, la Commission est liée par le diagnostic et les autres constatations établis par le comité spécial en vertu du troisième alinéa de l'article 231.

________

1985, c. 6, a. 233.

 

 

[45]           En l’espèce, cependant et en prenant en considération les données particulières du présent dossier, la Commission des lésions professionnelles aurait pu convenir de la justesse du procédé et de sa non illégalité dans un contexte où les termes employés par le Comité spécial des présidents en regard de la tolérance aux contaminants auraient pu s’avérer difficiles d’interprétation, en raison de leur ambiguïté ou imprécision.

[46]           Cependant, l’interprétation est une chose et l’application en est une autre, cette dernière relevant de la Commission de la santé et de la sécurité du travail, qui doit agir en fonction des éléments qui la lie, dont l’avis du Comité spécial des présidents en ce qui concerne le niveau de tolérance et/ou d’exposition.

[47]           En l’espèce, le langage utilisé est simple et ne prête pas à interprétation :  aucune exposition à l’amiante.

[48]           Voilà pour les termes employés dans le cadre de l’avis du 10 février 1994.

[49]           Il faut certes comprendre la difficulté rencontrée par la Commission de la santé et de la sécurité du travail dans le cadre de l’application d’une telle donnée liante, mais cela ne justifie pas pour autant que l’on intervienne auprès du Comité spécial des présidents pour obtenir des précisions à un texte qui ne laisse aucune place à interprétation, d’une part, et surtout dans le contexte où la Commission de la santé et de la sécurité du travail avise celui-ci qu’il y a lieu de statuer sur l’emploi convenant à M. Brown, alors que celui-ci travaille encore dans l’industrie de l’amiante et qu’il y a lieu de préciser le niveau d’exposition acceptable.

[50]           Est-ce à dire que la Commission avait déjà pris la décision de replacer le travailleur dans un emploi convenable chez son employeur, et non ailleurs?

[51]           Est-ce à dire qu’il y a avait uniquement place à rechercher chez l’employeur un emploi convenable plus acceptable que celui de mécanicien de locomotives?

[52]           Était-ce la remise en question de l’emploi de mécanicien de locomotives?

[53]           Tout cela n’appartenait pas au Comité spécial des présidents qui s’était prononcé sur la question de la tolérance aux contaminants, d’une façon précise et spécifique, en écrivant :

«aucune exposition à l’amiante»  (sic.)

 

 

[54]           On peut cependant comprendre et ce, nonobstant la question légale de la connaissance d’office que possède les tribunaux et notamment un tribunal spécialisé, qu’un tel énoncé de la part d’un comité exerçant des fonctions hautement spécialisées ne correspond pas à la réalité quotidienne observable dans les régions industrialisées où l’on procède à l’extraction et à la transformation de l’amiante.

[55]           C’est sans doute ce qu’aura voulu corriger le Comité spécial des présidents à l’occasion de l’avis complémentaire de mars 1994, alors que ce comité fait la recommandation que le travailleur n’ait plus d’exposition professionnelle à l’amiante.

[56]           La Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’une telle recommandation n’est pas contraire à l’esprit de la loi et qu’elle découle, pour l’essentiel, de la mention initiale contenue au premier avis soumis par le Comité spécial des présidents en février 1994, alors qu’on précisait qu’il ne devait y avoir aucune exposition à l’amiante.

[57]           En effet, il va de soi que les limitations fonctionnelles et/ou la question de la tolérance à un contaminant n’est spécifiée, à l’occasion d’un rapport provenant du Comité des maladies professionnelles pulmonaires et/ou du Comité spécial des présidents, qu’en regard de l’exercice d’un travail, puisque la loi ne permet pas à la Commission de la santé et de la sécurité du travail de régir les agissements personnels d’un travailleur en dehors de son secteur d’activités professionnelles.

[58]           Il y a cependant une différence importante entre la première spécification contenue au rapport de février 1994 et celle que l’on retrouve à l’avis complémentaire du mois de mars concernant une exposition en milieu de travail inférieure au tiers (33%) de la norme.

[59]           En effet, la Commission des lésions professionnelles ne peut s’expliquer que le terme «aucune exposition» puisse être interprété de façon à rendre acceptable une "exposition au tiers de la norme".

[60]           De quelle norme parle-t-on?  Qu’elle est la norme ainsi établie dans le cadre du présent litige?  À quelle norme réfère le Comité spécial des présidents?

[61]           Toutes ces questions demeurent sans réponse dans le cadre du présent dossier.

[62]           Or, ce n’est certes pas par le biais de décisions à caractère juridique rendues par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles qu’on a pu établir une norme médicale d’exposition, puisqu’une telle façon de faire équivaudrait à accorder un caractère scientifique et médical aux décisions rendues par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles et/ou par la Commission des lésions professionnelles, ce qui ne correspond certes pas à la démarche juridique que ces tribunaux doivent suivre et qui consiste à évaluer, suivant le critère de la probabilité, la prépondérance d’une preuve, fut-elle à caractère médical.

[63]           Par ailleurs, dans la décision du 31 août 1999, rendue dans l’affaire Leroux, la Cour d’appel, sous la plume de l’Honorable Louis Lebel, commente une situation similaire où le Comité spécial des présidents, requis par la Commission de la santé et de la sécurité du travail de fournir des précisions sur un degré d’empoussiérage permissible, produit un rapport complémentaire.  La Cour d’appel écrit;

«          L’arrêt tout récent de la Cour Suprême du Canada dans l’affaire Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)(13) a rappelé la nécessité d’équité procédurale dans les décisions administratives à caractère quasi-judiciaire.  Madame la juge Claire L’Heureux-Dubé y rappelait que… :

 

«Bien que l’obligation d’équité soit souple et variable et qu’elle repose sur une appréciation du contexte de la loi particulière et des droits visés, il est utile d’examiner les critères à appliquer pour définir les droits procéduraux requis par l’obligation d’équité dans des circonstances données.  Je souligne que l’idée sous-jacente à tous ces facteurs est que les droits de participation faisant partie de l’obligation d’équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leurs points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu’ils soient considérés par le décideur.

 

La jurisprudence reconnaît plusieurs facteurs pertinents en ce qui a trait aux exigences de l’obligation d’équité procédurale en «common law» dans des circonstances données.  Un facteur important est la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir.  Dans l’arrêt Knight, précité, p. 683, on a conclu que «la mesure dans laquelle le processus administratif se rapproche du processus judiciaire est de nature à indiquer jusqu’à quel point ces principes directeurs devraient s’appliquer dans le domaine de la prise de décisions administratives».  Plus le processus prévu, la fonction du tribunal, la nature de l’organisme rendant la décision et la démarche à suivre pour parvenir à la décision ressemblent à une prise de décision judiciaire, plus il est probable que l’obligation d’agir équitablement exigera des protections procédurales proches du modèle du procès».  (Voir également Vieux St-Boniface, p. 1191; Russel c. Duke of Norfold [1949) 1 All E.E. 109 (C.A.) p. 118; Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879 , p. 896, le juge Sopinka).

(soulignements ajoutés)

 

            Dans l’espèce, sous au moins deux aspects, les principes de justice naturelle et d’équité procédurale n’ont pas été respectés et les droits de l’appelant ont été complètement ignorés.

 

            D’abord, en vertu des dispositions de l’article 233 L.A.T.M.P., la CSST était liée par le diagnostic, les conclusions et les recommandations établies par le Comité spécial des présidents, compte tenu que l’employeur s’est désisté de sa contestation.  De plus, le rapport était claire et aucune interprétation n’était nécessaire quant à la détermination de la tolérance au contaminant pour l’appelant :  «aucune exposition à l’amiante».  La demande du docteur Côté, faite à l’insu de l’appelant et adressée au Comité qui a déjà rendu sa décision, représente ni plus ni moins une invitation à en modifier les termes.  Le fait qu’on y ait joint de la documentation fixant pour les amiantosés une norme différente s’assimile pour le moins à une pression à peine voilée pour modifier les règles du jeu et à donner raison à la CSST.  Cette demande a eu un succès presque inespéré puisque non seulement le seuil de tolérance est passé de 0 à 0,1 mais que le Comité a conclu que la proposition d’emploi offerte apparaissait acceptable.»  (sic.)

 

 

[64]           Dans un souci non seulement de cohérence, mais encore de justice et d’équité, la Commission des lésions professionnelles doit conclure dans le même sens que l’a fait la Cour d’appel du Québec à l’effet qu’il n’y a aucune interprétation à donner aux termes «aucune exposition à l’amiante».

[65]           Toute démarche subséquente visant à faire préciser, en fonction de critères ou de paramètres plus ou moins connus, ce que l’on veut dire par aucune, et bien que cela puisse répondre à des buts par ailleurs louables et souhaitables, tendra à fausser le rôle et les obligations de chacun des intervenants dans le cadre d’une décision administrative et quasi judiciaire.

[66]           En l’espèce, le Comité spécial des présidents a précisé :«aucune exposition à l’amiante» et c’est ce qui liait la Commission de la santé et de la sécurité du travail pour les fins de la décision à rendre.

[67]           Il appartiendra à la Commission de la santé et de la sécurité du travail, par le biais des outils qui lui sont donnés, à savoir le texte législatif, les règlements, les politiques et les démarches de formation ou d’information auprès des différents intervenants médicaux, de s’assurer que ceux-ci, incluant les membres du Comité spécial des présidents, emploient un langage qui correspond non seulement à la réalité médicale, mais encore à la réalité factuelle du rôle que doit jouer la Commission de la santé et de la sécurité du travail.  Une telle intervention ne doit pas cependant intervenir dans le cadre spécifique d’un dossier, puisque de tels agissements ne respectent pas le processus légal énoncé par le législateur.

[68]           La Commission des lésions professionnelles tient à préciser qu’elle constate que la formulation employée par le comité spécial des présidents est encore d’actualité, puisque la preuve complémentaire qui a été déposée au dossier révèle que le travailleur a, à nouveau, été évalué par le Comité des maladies pulmonaires professionnelles de Sherbrooke, en date du 6 août 1999, et que celui-ci a, au titre RECOMMANDATION, précisé comme suit la tolérance aux contaminants :

«aucune exposition à l’amiante»  (sic.)

 

 

[69]           Dans sa recommandation du 2 septembre 1999, le Comité spécial des présidents écrit, tout comme il l’avait fait à l’occasion du rapport initial de février de 1994 :

«tolérance aux contaminants :  aucune exposition à l’amiante.»  (sic.)

 

 

[70]           Pour tous ces motifs, la Commission des lésions professionnelles conclut que la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail en date du 17 mai 1994 a été irrégulièrement rendue en ce qui concerne la norme acceptable d’exposition à l’amiante.

[71]           Cela, par effet d’entraînement, affecte non pas la légalité de la décision du 28 juin 1994 statuant sur le droit à la réadaptation du travailleur, mais de celle du 4 août 1994 statuant sur un emploi convenable de concierge et de celle du 29 août 1994 concernant l’indemnité réduite de remplacement du revenu.

[72]           Le dossier devra donc être retourné à la Commission de la santé et de la sécurité du travail puisque le travailleur doit être admis en réadaptation, en conséquence de sa lésion professionnelle, et qu’il ne doit plus être l’objet d’aucune exposition à l’amiante dans son milieu de travail.

[73]           La Commission de la santé et de la sécurité du travail devra donc reprendre le versement des indemnités et prestations auquel a droit le travailleur à la suite de la présente décision.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE l’appel du travailleur, monsieur Gérard Brown;

INFIRME la décision rendue le 6 janvier 1998 par le Bureau de révision Estrie;

INFIRME partiellement la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 17 mai 1994;

DÉCLARE nulles et non avenues les décisions rendues les 4 et 29 août 1994 de même que la décision rendue le 16 mars 1995;

DÉCLARE que le travailleur ne doit faire l’objet d’aucune exposition professionnelle à l’amiante;

DÉCLARE que le travailleur a droit au rétablissement des indemnités et prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. a-3.001) et ce, jusqu’à ce qu’il occupe un emploi conformément aux prescriptions de la loi;

ORDONNE à la Commission de la santé et de la sécurité du travail de reprendre le processus de réadaptation à la suite de la décision rendue en ce sens en date du 28 juin 1994.

 

 

 

 

Me CLAUDE BÉRUBÉ

 

Commissaire

 

 

 

MAILHOT & DRAPEAU

(Richard Mailhot)

6780, 1ère avenue, bureau 107

Charlesbourg (Québec)

G1H 2W8

 

Représentant de la partie appelante

 

 

BYERS CASGRAIN

(Michel Towner)

1, Place Ville-Marie, # 3900

Montréal (Québec)

H3B 4M7

 

Représentant de la partie intéressée

 

 

PANNETON, LESSARD

(Marie-Josée Dandenault)

1650, rue King Ouest, # 300

Sherbrooke (Québec)

J1J 2C3

 

Représentante de la partie intervenante

 

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