Décision

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Pitre et G4S Service valeurs (Canada) ltée

2009 QCCLP 2282

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Longueuil

31 mars 2009

 

Région :

Montérégie

 

Dossier :

311847-62-0703

 

Dossier CSST :

129983763

 

Commissaire :

Lucie Couture, juge administratif

 

Membres :

Gaston Turner, associations d’employeurs

 

Pierre Lecompte, associations syndicales

 

 

Assesseur :

André Gaudreau, médecin

______________________________________________________________________

 

 

 

Jean-François Pitre

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

G4S Service Valeurs (Canada) ltée

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 9 mars 2007, monsieur Jean-François Pitre (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste la décision rendue le 2 février 2007, par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme celle rendue initialement le 12 octobre 2006 et déclare que le travailleur n’a pas subi, le 19 juillet 2006, une lésion professionnelle. Il n’a donc pas droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[3]                Lors de l’audience tenue à Longueuil, le 25 mars 2009, le travailleur est présent et représenté. G4S Service Valeurs (Canada) ltée (l’employeur) est présente et représentée par sa procureure.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a subi, le 19 juillet 2006, une lésion professionnelle lui donnant droit aux prestations prévues par la loi.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]                Le membre issu des associations d’employeurs, monsieur Gaston Turner, est d’avis de rejeter la requête du travailleur. Il est d’avis que sa réclamation est tardive étant donné qu’il connaissait, depuis la fin de 2005, le lien possible entre son travail et les épicondylites diagnostiquées. Il n’a pas démontré de motif raisonnable pour être relevé de son défaut.

[6]                Le membre issu des associations syndicales, monsieur Pierre Lecompte, est d’avis de faire droit à la requête du travailleur. Il estime que ce dernier a produit sa réclamation quand il a eu un intérêt pour ce faire. Même s’il savait depuis décembre 2005 que son travail pouvait être à l’origine de ses épicondylites, il a eu un intérêt à produire sa réclamation que lorsque son médecin l’a mis en arrêt de travail. Même si avant, il avait reçu des traitements, il n’avait pas nécessairement à faire sa réclamation. Quant au fond, le membre est d’avis que la preuve prépondérante démontre que les épicondylites dont a souffert le travailleur sont reliées aux risques particuliers de son travail de messager affecté au transport de valeurs. Il a droit aux prestations prévues par la loi.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[7]                La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a subi, le 19 juillet 2006, une lésion professionnelle lui donnant droit aux prestations prévues par la loi.

[8]                La loi définit ainsi l’accident du travail, la lésion professionnelle et la maladie professionnelle :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;

 

[…]

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

 

 « maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;

 

 

[9]                De plus, le législateur a prévu, aux articles 28 et 29 de la loi, des présomptions de lésion professionnelle qui dispensent le travailleur d’avoir à démontrer chacun des éléments de la définition d’accident du travail ou de maladie professionnelle selon le cas.

[10]           Pour bénéficier de la présomption de maladie professionnelle, le travailleur doit avoir subi une des maladies énumérées à l’annexe 1 de la loi.

[11]           S’il ne peut bénéficier de la présomption de maladie professionnelle, le travailleur doit démontrer que la maladie dont il souffre est caractéristique ou reliée aux risques de son travail, conformément aux dispositions de l’article 30 de la loi, lequel se lit comme suit :

30.  Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

 

 

[12]           Comme le travailleur n’a aucune prétention en regard de la survenance d’un accident du travail, le tribunal analysera la présente requête sous l’angle des dispositions de l’article 30 uniquement. En effet, les diagnostics posés en l’espèce ne permettent pas d’appliquer la présomption de maladie professionnelle prévue par l’article 29 de la loi.

[13]           Qu’en est-il en l’espèce?

[14]           Le travailleur est âgé de 32 ans au moment de la réclamation et occupe l’emploi de convoyeur de fonds pour l’employeur, depuis 1999. Il travaille de nuit, à raison de 40 heures par semaine. Il est droitier.

[15]           Le dossier révèle que le travailleur a commencé à ressentir des douleurs diffuses aux coudes en 2005. Il reçoit des infiltrations au niveau des coudes, lesquelles lui permettent de poursuivre son travail.

[16]           Le 7 juillet 2006, il subit une échographie des deux coudes à la demande de son médecin, le docteur Rhéaume.  Le rapport de cet examen montre ce qui suit :

(coude gauche)

Du côté externe, le tendon épicondylien est épaissi, entouré de liquide sur une assez bonne longueur. Il existe des déchirures assez marquées du faisceau le plus postérieur du groupe des extenseurs. Ces modifications architecturales sont compatibles avec des déchirures par élongation qui sont souvent causées par des mouvements répétitifs de haute intensité.

Le reste du groupe musculaire externe ne montre pas d’évidence de déchirure ou de séparation aponévrotique.

Il y a un peu de liquide dans la cavité articulaire radio-humérale.

En postérieur, il n’y a aucune anomalie. En interne non plus.

 

[…]

(coude droit)

Nous retrouvons des lésions à peu près semblables mais beaucoup moins intenses au coude droit. Le tendon épicondylien est moins épaissi. Il y a moins de liquide au pourtour mais surtout le groupe des extenseurs ne présente que de toutes petites déchirures para-aponévrotiques qui sont beaucoup mois intenses que du côté opposé.

Il n’y a pas d’atteinte des autres compartiments également de ce côté.

 

 

[17]           Le 19 juillet 2006, le docteur Rhéaume pose un diagnostic d’épicondylite bilatérale qu’il juge secondaire aux mouvements répétitifs de préhension. Il note une détérioration progressive de l’état du travailleur. Il prescrit un arrêt de travail, de la physiothérapie et de l’acupuncture.

[18]           Le 21 juillet 2006, le travailleur produit sa réclamation à la CSST. Il mentionne que la blessure est apparue en transportant de façon répétitive des boîtes de monnaie avec les mains.

[19]           Le 27 juillet 2006, le docteur Rhéaume refuse une assignation temporaire au motif que le travail pourrait ralentir la guérison.

[20]           Le 3 août 2006, l’employeur écrit à la CSST pour s’opposer à l’admissibilité de la réclamation. Il soumet qu’aucun événement imprévu et soudain n’est survenu.

[21]           Le 11 août 2006, le docteur Rhéaume mentionne avoir effectué une infiltration au coude gauche.

[22]           Le 21 septembre 2006, l’employeur produit une description des tâches du travailleur.

[23]           Le 12 octobre 2006, la CSST refuse la réclamation du travailleur au motif qu’il ne s’agit pas d’une maladie professionnelle. Le travailleur n’a pas démontré que cette maladie est caractéristique ou reliée aux risques particuliers de son travail. Il ne s’agit pas non plus d’un accident du travail. Aucune indemnité ne lui sera versée. De plus, elle lui réclamera la somme de 1 083,62 $ que l’employeur lui a versée pour la période du 20 juillet au 2 août 2006.

[24]           Le 19 octobre 2006, le travailleur demande la révision de cette décision.

[25]           Le 2 février 2007, la CSST, à la suite d’une révision administrative, confirme la décision du 12 octobre 2006, d’où la présente requête.

[26]           Le 8 mai 2007, le docteur Claude Lamarre, chirurgien orthopédiste, examine le travailleur à la demande de la compagnie d’assurance-salaire puisque le travailleur a reçu de telles indemnités étant donné le refus de la CSST. Dans cette expertise, le docteur Lamarre se prononce sur la consolidation de la lésion. Il fait également des recommandations pour munir les sacs de transport de bandoulières, afin d’éviter que le travailleur ne transporte les sacs à bout de bras. Ces recommandations sont faites dans le but d’éviter d’éventuelles récidives. Cette expertise a été produite à l’audience par le travailleur.

[27]           Lors de l’audience, le travailleur décrit les tâches de son poste de travail.

[28]           Dans le cadre de ses fonctions, il doit assurer le transport d’argent, autant des pièces de monnaie que des billets de banque. Il effectue ce transport à l’aide d’un camion blindé. Il doit donc transporter des boîtes de monnaie et des sacs de billets de banque, du camion blindé jusque chez le client et vice-versa. Dans une journée de travail, il est appelé à transporter de 30 à 100 boîtes de monnaie ainsi que le même nombre de sacs d’argent. Le poids des boîtes de monnaie varie entre 4 et 11 kilos en fonction du type de pièce. Ces boîtes mesurent 2’’ x 5’’ x 12’’. Le travailleur se déplace tout au long  de son quart de travail et effectue ainsi environ 280 kilomètres par quart de travail.

[29]           Au début de son quart de travail, il doit remplir le camion blindé. Les boîtes sont situées sur une palette de bois et les sacs de billets de banque, dans un bac de plastique. Il déplace la palette près du camion avec un transpalette. Il remplit le camion en plaçant les boîtes de pièces dans la partie arrière du camion blindé. Il place ensuite les enveloppes contenant les billets dans des casiers situés dans la seconde partie du camion blindé. Puis, il débute son quart de travail.

[30]           Contrairement à ce que prétend le témoin de l’employeur, le travailleur effectue seul le transfert de l’argent dans le camion. Il n’est pas aidé par le chauffeur. Le travailleur explique qu’à titre de messager, c’est lui qui est en charge des vérifications des quantités d’argent. C’est pourquoi, il assume seul ce transfert.

[31]           Le travailleur explique qu’il doit se rendre chez le client. Il dispose de sept minutes pour effectuer le travail une fois rendu chez le client s’il n’a qu’à vider et à remplir le coffre de dépôts de nuit. S’il doit en plus vider et remplir les guichets automatiques, il dispose de cinq minutes supplémentaires.

[32]           Le travailleur mentionne que la presque totalité des coffres de dépôts de nuit sont situés au sous-sol. Il n’utilise donc pas le diable mis à sa disposition par l’employeur.

[33]           Une fois arrivé chez le client, il doit remplir un sac de transport avec les sacs de plastique contenant les billets de banque ainsi que les boîtes de pièces de monnaie. Il peut avoir à saisir ainsi plusieurs sacs ou boîtes de monnaie avec ses deux mains.  Pour prendre les sacs, il les saisit à pleine main dans un mouvement de préhension des doigts. Pour les boîtes de monnaie, il prend la boîte, par le dessus, entre son pouce et le reste des doigts dans un mouvement de pince ouverte, alors que l’avant-bras est en pronation, les doigts devant serrer la boîte afin d’être capable de la soulever du sol. Ces boîtes sont ensuite déposées dans le sac de transport. Puis, le travailleur dépose ce sac dans le sas du camion. Il sort du camion, reprend le sac dans le sas à l’aide des deux mains. Le sas est situé plus haut que la hauteur de ses épaules.

[34]           Par la suite, il prend le sac de transport entre son pouce et ses autres doigts. Il explique qu’il ne peut rapprocher ses doigts de façon à ce que les phalanges touchent la paume de la main. Il doit maintenir une pince ouverte parce que le sac est rempli de boîtes et de sacs de monnaie. Il explique manipuler le sac de transport de sa main gauche parce qu’il doit garder sa main droite près de son arme. Le poids du sac de transport peut atteindre 200 livres. Cependant, lorsqu’il a plus de cinq ou six boîtes de monnaie, il peut utiliser deux sacs de transport. Il se rend ainsi dans le sous-sol de l’institution financière où il doit vider le coffre de dépôts de nuit.

[35]           Comme il doit placer les sacs de dépôts dans son sac de transport, il commence par vider ce dernier des boîtes de monnaie et des sacs de billets de banque qu’il contient pour les déposer au sol en utilisant les mêmes mouvements que ceux décrits précédemment. Il vide ensuite le coffre de dépôts de nuit des sacs de dépôts laissés par les clients pour les placer dans le sac de transport. Pour ce faire, il saisit les sacs de dépôts de nuit à l’aide des deux mains. Puis, il reprend les boîtes et les sacs de billets de banque qu’il avait déposés au sol pour les replacer dans le coffre de dépôts de nuit. Il revient en transportant toujours le sac de transport avec sa main gauche comme décrit précédemment.

[36]           En 2006, il effectue environ une trentaine de livraisons par quart de travail.

[37]           Le travailleur explique avoir commencé à éprouver des douleurs au coude gauche vers la fin de l’année 2005. Même s’il savait que son travail pouvait être à l’origine de ses douleurs, il n’a pas fait de réclamation à la CSST parce qu’il n’a pas eu de perte de temps ni de perte salariale. Il a reçu des infiltrations à quelques reprises, lesquelles lui ont procuré des soulagements temporaires. Ce n’est que lorsque son médecin a recommandé un arrêt de travail en juillet 2007, après avoir reçu les résultats de l’échographie, qu’il a informé l’employeur et soumis sa réclamation à la CSST.

[38]           Il peut donc manipuler jusqu’à six fois les mêmes boîtes de monnaie au cours de sa nuit de travail.

[39]           En 2005, lorsqu’il commence à ressentir ses douleurs aux coudes, il est affecté sur une route dans la région de Joliette. Cette route comporte davantage de clients que celle qu’il effectue en juillet 2006, au moment de l’arrêt de travail.

[40]           Il explique que la douleur a commencé à apparaître au coude gauche. Il a donc utilisé davantage sa main droite pour manipuler les boîtes de monnaie et les sacs d’argent, ce qui lui a occasionné les douleurs au coude droit également.

[41]           Le tribunal retient également qu’en raison de consignes de sécurité, il doit effectuer le transport de l’argent dans un délai de 7 à 10 minutes, ce qui l’oblige à manipuler rapidement les boîtes de monnaie et les sacs d’argent.

[42]           L’employeur a fourni à la CSST une description des tâches du travailleur. Le tribunal retient que cette description fournie par l’employeur et le témoignage du témoin de l’employeur ont corroboré en grande partie le témoignage du travailleur. Ce dernier a toutefois précisé qu’il n’utilisait pas le diable et qu’il effectuait seul le chargement et le déchargement du camion puisqu’il était, les trois quarts du temps, la personne responsable du transport des sacs.

[43]           Le travailleur a repris le travail en mai 2007. Il exerce principalement les fonctions de chauffeur et de garde. Il ne déplace donc plus les boîtes de monnaie. Il n’a pratiquement plus de douleurs aux coudes. Cependant, il précise qu’il a suivi les conseils du docteur Lamarre, orthopédiste, qui l’avait examiné à la demande de la compagnie d’assurance de l’employeur, puisque durant son absence, il bénéficiait des prestations d’assurance-salaire. Ce médecin avait recommandé, dans son rapport d’expertise de mai 2007, qu’il installe, sur les sacs de transport, une bandoulière plus longue afin de pouvoir les mettre sur son épaule et ainsi éviter de solliciter ses épicondyliens.

[44]           L’employeur lui a remis deux sacs de transport. Il a fait poser, à ses frais, une telle ganse et l’utilise lorsqu’il doit transporter des boîtes de monnaie. Il explique que lorsqu’il doit à l’occasion manipuler des boîtes de monnaie, il ressent encore des douleurs aux coudes. Il applique alors l’onguent prescrit par son médecin. Par contre, depuis son retour au travail en mai 2007, il exerce presque exclusivement le poste de garde, ce qui signifie qu’il ne transporte que très rarement les sacs de monnaie.

[45]           Le représentant du travailleur a soumis trois décisions[2] de la Commission des lésions professionnelles dans lesquelles le tribunal a reconnu, à titre de maladies professionnelles, des épicondylites bilatérales chez des travailleurs effectuant des tâches similaires à celles décrites précédemment. Il demande que la réclamation du travailleur soit acceptée sous l’angle des dispositions de l’article 30 de la loi. Les gestes accomplis par le travailleur sont des gestes de nature à causer une épicondylite. Il y a sollicitation des épicondyliens avec suffisamment de force pour reconnaître qu’il a subi une maladie professionnelle et qu’il a droit aux prestations prévues par la loi.

[46]           La procureure de l’employeur soumet quant à elle que la preuve n’est pas prépondérante que les épicondylites diagnostiquées sont en relation avec le transport de valeurs. Elle ajoute que le travailleur n’a pas soumis de preuve médicale établissant un lien entre les épicondylites bilatérales et le travail. Elle demande le rejet de la requête du travailleur. Elle dépose diverses décisions[3] qui discutent notamment des mouvements sollicitant les épicondyliens et du fait que les épicondylites bilatérales témoignent de l’existence d’une lésion d’origine personnelle. Elle soumet également un article de littérature médicale[4] qui discute de l’étiologie de l’épicondylite, laquelle découle d’un processus dégénératif.

[47]           Avec respect pour l’opinion contraire, le tribunal est d’avis de faire droit à la requête du travailleur.

[48]           Dans un premier temps, le tribunal note que ni la CSST, en première instance et à la suite de la révision administrative, ni l’employeur à l’audience n’ont questionné le délai de réclamation en l’espèce. Le tribunal a noté que le travailleur a commencé à ressentir des douleurs à la fin de l’année 2005 et qu’il n’a soumis sa réclamation à la CSST qu’en juillet 2006.

[49]           Le tribunal estime qu’en l’espèce, les dispositions de l’article 272 de la loi sont rencontrées puisque le travailleur a soumis sa réclamation lorsque son médecin l’a mis en arrêt de travail. Il avait donc un intérêt à compter de cet arrêt de travail pour présenter sa réclamation. Même si le travailleur avait reçu des infiltrations avant sa réclamation, il a choisi de ne pas réclamer les frais afférents à ces traitements. Il n’y a donc pas lieu, en l’espèce, de rejeter la requête du travailleur pour ce motif. Le tribunal n’a pas soulevé cette question à l’audience en raison du fait que la procureure de l’employeur ne l’avait pas fait. Il discute de cette question uniquement afin de répondre à l’avis du membre issu des associations d’employeurs qui voyait, dans ces faits, un motif pour rejeter la requête du travailleur.

[50]           Le tribunal partage ainsi l’opinion exprimée dans l’affaire Vêtements Peerless et Raposo[5]. Même si le tribunal avait conclu que la réclamation avait été faite en dehors du délai prévu à la loi, il serait arrivé à la conclusion que les faits propres au présent cas justifiaient d’accorder une prolongation de délai au sens de l’article 352 de la loi. Dans cette affaire, comme en l’espèce, le travailleur avait reçu des traitements avant de faire sa réclamation. Il avait choisi de ne pas réclamer à la CSST avant d’être mis en arrêt de travail. La Commission des lésions professionnelles avait alors conclu que cela constituait un motif raisonnable pour ne pas avoir soumis sa réclamation dans le délai. La commissaire était d’avis qu’en matière de délais, il faut privilégier une interprétation qui favorise l’exercice d’un droit plutôt que l’inverse.

[51]           Que ce soit sous un angle ou l’autre, le tribunal est d’avis que la réclamation du travailleur était recevable et estime que c’est fort probablement pour ces raisons que ni la CSST, ni l’employeur n’ont soulevé cette question à l’audience.

[52]           Quant au fond du litige, le tribunal est d’avis que les épicondylites bilatérales dont a souffert le travailleur sont reliées aux risques particuliers de son travail. Le travailleur a donc subi, le 19 juillet 2006, une lésion professionnelle.

[53]           Le tribunal est d’avis en effet que les gestes décrits par le travailleur pour effectuer le transport des boîtes de monnaie et les sacs de billets de banque sont des gestes qui sollicitent les épicondyliens. La prise en pince des boîtes, par le dessus, alors que l’avant-bras est en pronation, entre le pouce et les quatre doigts de la main alors que la main doit être ouverte pour être en mesure de saisir la boîte de monnaie est un geste qui sollicitent les épicondyliens. En effectuant ce mouvement en pronation, les tendons fléchisseurs du poignet, lesquels s’insèrent au niveau de l’épicondyle, sollicitent précisément cette région. Ces gestes exigent une force certaine, notamment lorsqu’il s’agit de soulever le sac de transport contenant plusieurs boîtes de monnaie. L’effort ainsi nécessité est d’autant plus grand que le poids du sac est important.

[54]           Le tribunal ne partage donc pas les conclusions des commissaires dans les décisions déposées par l’employeur quant aux gestes de nature à causer une épicondylite. Dans ces décisions, le tribunal n’avait pas considéré comme gestes à risque de développer une épicondylite, les mouvements de préhension à pleine main.

[55]           Le tribunal note par ailleurs que les trois décisions produites par le représentant du travailleur reconnaissent des épicondylites bilatérales comme étant des lésions professionnelles chez des travailleurs affectés au transport de valeurs, soit le même emploi que celui exercé par le travailleur en l’espèce. Le tribunal note, contrairement au témoignage de monsieur Turcotte, qu’une de ces décisions vise précisément un travailleur du même employeur que le travailleur.

[56]           Dans ces décisions, les commissaires reconnaissent que les gestes décrits précédemment sont de nature à causer une épicondylite. Le tribunal partage cette position.

[57]           La procureure de l’employeur a soumis, en s’appuyant sur la jurisprudence produite, que le fait que les épicondylites soient bilatérales témoignaient d’un état personnel et donc que cela niait le lien avec le travail.

[58]           Il est vrai que dans les cas d’épicondylite bilatérale, on doit se questionner sur cette possibilité d’un état personnel et non professionnel. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que l’analyse qui doit être faite doit tenir compte des particularités de chaque cas. Cette affirmation proposée par la procureure de l’employeur ne peut tenir la route lorsque, comme en l’espèce, les gestes à risque de causer la lésion diagnostiquée sont effectués similairement par les deux membres supérieurs.

[59]            Lorsque les deux mains effectuent des mouvements de préhension à pleine main, en prenant par le dessus la boîte de monnaie, alors que l’avant-bras est en pronation, pour soulever des poids de 10 à 20 livres, ces gestes sollicitent les tendons épicondyliens des deux coudes. Il en est de même lorsque les deux mains ont à supporter des sacs de transport contenant plusieurs de ces boîtes de monnaie, et ce, à plusieurs reprises dans la journée; cela permet d’écarter cet argument de l’état personnel. L’effort de traction ainsi effectué sollicite les deux coudes.

[60]           Le travailleur a indiqué qu’il utilisait principalement son membre supérieur gauche pour soulever et transporter les sacs de transport. La douleur est apparue d’abord de ce côté. Lorsqu’il a commencé à ressentir des douleurs à gauche, il a utilisé davantage son membre supérieur droit pour manipuler les boîtes de monnaie afin de soulager son coude gauche. Il a alors commencé à éprouver des douleurs au coude droit.

[61]           Le tribunal note également que le travailleur a commencé à éprouver des douleurs aux coudes alors qu’il était affecté à une route comportant davantage de clients et où les déplacements étaient de moins longue durée. Les douleurs étaient présentes lorsqu’il devait manipuler les boîtes de monnaie et les sacs de transport.

[62]           Le tribunal estime que les circonstances de l’apparition des douleurs, de même que la concomitance de leur manifestation avec les gestes à risque permettent de relier les épicondylites au travail exercé par le travailleur.

[63]           La procureure de l’employeur a soumis que la preuve médicale n’établissait pas de lien entre ce travail et les diagnostics en cause. Le tribunal est d’avis contraire.

[64]           Le tribunal tient à rappeler que la question de la relation entre un diagnostic et le travail en cause est une question de nature juridique laquelle se doit d’être appréciée en fonction de tous les éléments au dossier, dont les témoignages et les divers rapports médicaux. Il est aussi possible d’inférer certaines conclusions de ces éléments.

[65]           Par ailleurs, le tribunal estime, contrairement aux propos de la procureure de l’employeur, que la preuve de nature médicale établit cette relation.

[66]           D’abord, les rapports du docteur Rhéaume, médecin traitant, établissent une relation entre le travail effectué par le travailleur et les diagnostics en cause.

[67]           Cette opinion est également reprise dans l’expertise du docteur Lamarre, chirurgien orthopédiste. Le tribunal retient que ce médecin tient à apporter des précisions quant aux limitations fonctionnelles accordées par le médecin traitant du travailleur. Il recommande que les sacs de transport soient munis de bandoulières afin d’éviter que les travailleurs aient à manipuler ces sacs à bout de bras. Le tribunal infère de cette recommandation deux conclusions. La première étant que si on veut éviter que les travailleurs manipulent les sacs avec les mains dans le but d’éviter une récidive des épicondylites, c’est que précisément ces gestes sont de nature à causer une épicondylite. La seconde étant que si ces gestes peuvent causer une récidive, c’est donc qu’il y a un lien entre ces gestes et l’apparition des épicondylites diagnostiquées.

[68]           Par ailleurs, le tribunal est d’avis que les principes dégagés de l’article de littérature médicale déposé par la procureure de l’employeur[6] ne peuvent s’appliquer en l’espèce. Les critères d’appréciation de la causalité des tendinoses d’insertion du coude en droit des assurances en Suisse ne sont pas les mêmes que ceux prévalant dans la présente loi, laquelle exige une preuve prépondérante de relation entre le travail et les lésions diagnostiquées.

[69]           Le tribunal estime précisément que la preuve prépondérante en l’espèce permet de relier les épicondylites bilatérales au travail effectué par le travailleur. Ce dernier a donc subi, le 19 juillet 2006, une lésion professionnelle lui donnant droit aux prestations prévues par la loi.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de monsieur Jean-François Pitre, le travailleur;

INFIRME la décision rendue le 2 février 2007, par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur a subi, le 19 juillet 2006, une lésion professionnelle lui donnant droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.  

 

 

 

__________________________________

 

Lucie Couture

 

Commissaire

 

 

 

 

Jacques Morency

C.S.N.

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Ingrid E. Mazzola

DUFRESNE, HÉBERT, COMEAU

Représentante de la partie intéressée

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Bergeron et Sécuricor Service de valeurs, C.L.P. 160846-62-0105, 23 juillet 2001, L. Boucher; Demers et Sécur inc., C.L.P. 158396-32-0103, 26 juillet 2002, G. Tardif; Major et Sécur inc (division Shannon), C.L.P. 173507-72-0011, 12 juillet 2002, F. Juteau.

[3]           Bermex International inc. et Vanasse, C.L.P. 181441-04-0203, 20 janvier 2003, J.-F. Clément; Jacques et Produits forestiers D.G. ltée, C.L.P. 171210-03B-0110, 15 juillet 2002, P. Brazeau; Hydro-Québec et Bertrand, C.L.P. 319911-04-0706, 16 décembre 2008, J.-F. Martel.

[4]           J. MEINE, « Contribution à l'appréciation de la causalité des tendinoses d'insertion du coude en médecine des assurances », (1994) 87 Zeitschrift für Unfallchirurgie und Versicherungsmedizin = Revue de traumatologie et d'assicurologie, pp. 169-177.

[5]           C.L.P. 161653-61-0105, 11 septembre 2002, L. Nadeau.

[6]           Précitée, note 4.

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