Décision

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Mennillo c. Intramodal inc.

2014 QCCA 1515

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-022699-128

(500-11-039600-107)

 

DATE :

14 août 2014

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

PAUL VÉZINA, J.C.A.

GUY GAGNON, J.C.A.

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

 

 

JOHNNY MENNILLO

APPELANT - Demandeur

c.

 

INTRAMODAL INC.

INTIMÉE - Défenderesse

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L'appelant monsieur Johnny Mennillo se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure (l'honorable Yves Poirier), rendu le 17 avril 2012, qui rejette son action en oppression contre l’intimée Intramodal Inc.

[2]           Pour les motifs du juge Vézina auxquels souscrit la juge St-Pierre :

[3]           LA COUR :

[4]           Rejette l’appel avec dépens.

[5]           Pour d'autres motifs, le juge Gagnon aurait accueilli en partie l’appel aux fins d'annuler la résolution de l'intimée du 25 mai 2005 qui approuve le transfert d'actions entre l'appelant et monsieur Mario Rosati. Il aurait aussi déclaré que l'appelant est toujours demeuré actionnaire de l'intimée et, finalement, il aurait retourné le dossier à la Cour supérieure pour décider de la réparation appropriée.

 

 

 

 

 

PAUL VÉZINA, J.C.A.

 

 

 

 

 

GUY GAGNON, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

 

Mes Claude Marseille, Paul M. Martel et Caroline Dion

Blake, Cassels & Graydon

Pour l'appelant

 

Mes Hubert Camirand et Marie-Geneviève Masson

Langlois, Kronström, Desjardins

Pour l'intimée

 

Date d’audience :

12 février 2014


 

 

 MOTIFS DU JUGE GAGNON

 

 

[6]           L’appelant monsieur Johnny Mennillo (« Mennillo ») se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure (l’honorable Yves Poirier), rendu le 17 avril 2012[1], qui rejette son action en oppression intentée sous l’empire de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (« LCSA »)[2] contre l’intimée Intramodal Inc. (« Intramodal »).

[7]           Le juge de première instance a conclu qu'à compter du 25 mai 2011 Mennillo n’était plus actionnaire de cette société. Il a déterminé qu’à cette date Mennillo avait informé le seul autre actionnaire d’Intramodal, monsieur Mario Rosati (« Rosati »), de son retrait de l’actionnariat et du conseil d’administration.

[8]           Mennillo demande à la Cour notamment de rétablir ses droits d’actionnaire dans une proportion de 49 % des actions en circulation d’Intramodal et d’ordonner que les entrées dans les registres de la société reflètent cette réalité.

[9]           À mon avis, et cela dit avec égards pour les tenants de la position contraire, Mennillo a raison de soutenir que le jugement entrepris est marqué par des erreurs en droit ainsi que des erreurs manifestes et dominantes dans les déterminations factuelles ayant conduit à la conclusion selon laquelle il avait perdu sa qualité d’actionnaire le 25 mai 2011.

Le contexte

[10]        Mennillo et Rosati étaient à l’époque des amis de longue date. Le premier est un homme d’affaires prospère et le second a travaillé dans le monde du transport de matériels pendant plusieurs années et en connaît bien les rouages. Selon Mennillo, en l’année 2002 ou quelque part en 2003, Rosati lui a proposé de s’associer en vue de constituer une société dont l’objet allait être la distribution de bière.

[11]        Ce dernier reconnaît avoir projeté au début de l’année 2004 de se lancer dans le transport de ce produit. Il avait alors réservé le nom de « Intramodal » pour une société par actions à être constituée, qui le sera finalement le 13 juillet 2004.

[12]        Au printemps 2004, Rosati informe Mennillo du capital requis pour démarrer le projet. Durant la période de juin 2004 à novembre 2006, la société de gestion de Mennillo[3] consent des prêts à Intramodal totalisant 300 000 $. Un montant additionnel de 140 000 $ est également avancé pour permettre le démarrage d’une société apparentée à Intramodal appelée « Intra-Lease ».

[13]        En marge de ces prêts, Rosati invite Mennillo à s’associer avec lui à titre d’actionnaire jusqu’à hauteur de 49 %, le premier conservant le contrôle de la société avec 51 % des actions en circulation. Les registres d’Intramodal confirment cette situation. Ils font aussi voir que ces personnes formaient alors le conseil d’administration de la société.

[14]        Le 25 mai 2005, Mennillo démissionne de son poste d’administrateur[4]. Il explique avoir agi ainsi à la demande expresse de Rosati qui lui avait indiqué que sa participation dans l’entreprise devait demeurer cachée en vue de protéger Intramodal contre les susceptibilités d’un client potentiel (la compagnie Labatt). Toujours selon Mennillo, le secret entourant son association avec Intramodal n’allait toutefois pas jusqu’à requérir sa « démission » comme actionnaire.

[15]        Quant à Rosati, il soutient que Mennillo l’avait informé ne plus vouloir prendre de risques financiers avec l’entreprise d’où son choix de la quitter. Cette décision est à l’origine de l’initiative de Rosati d’immatriculer à son nom les actions détenues par Mennillo.

[16]        Pour Rosati, Mennillo était le financier de la société alors que ce dernier se considérait actionnaire et créancier de l’entreprise. C’est de cette divergence de points de vue quant au statut réel de Mennillo dans Intramodal qu’est né le litige qui oppose maintenant les parties.

[17]        À l’automne 2007 surviennent plusieurs rencontres entre Mennillo et Rosati en vue de tenter de régler leur différend, mais en vain. Pour le premier, les discussions visaient à établir le prix de rachat de ses actions et, le cas échéant, de convenir des modalités de financement permettant à Rosati de procéder à celui-ci. Pour le second, ces discussions ne visaient qu’à déterminer les conditions de remboursement des prêts consentis à Intramodal.

[18]        En appel, Mennillo ne nie pas que les prêts ont été depuis remboursés en totalité[5].

Le jugement entrepris

[19]        Le juge estime que le dénouement du litige repose sur la seule crédibilité des témoins entendus.

[20]        Au départ, il n’accepte pas les raisons données par Mennillo pour expliquer sa démission du 25 mai 2005 (visite possible des représentants Labatt à l’établissement de la société et examen par eux de ses registres). Il retient qu’à l’époque Intramodal n’avait pas pignon sur rue, situation qui écartait toute possibilité d’une visite inopinée, les activités de l’entreprise n’ayant commencé qu’en décembre 2005.

[21]        Ensuite, le juge avance que d’un point de vue théorique le retrait de Mennillo de son poste d’administrateur n’emportait pas pour autant la suppression de son nom du registre des actionnaires. Sa prétention reliée à la nécessité de maintenir l’anonymat dans les activités de l’entreprise devenait dans ce contexte peu crédible.

[22]        Le juge voit aussi dans les termes utilisés dans une mise en demeure[6] rédigée par l’avocat de Mennillo (Me Kaufman) un aveu selon lequel son client reconnaît ne plus être actionnaire d'Intramodal depuis le 25 mai 2005.

[23]        Concernant les registres de la société, les conclusions du juge se résument ainsi :

·        la résolution d’Intramodal du 13 juillet 2004, signée par Rosati seulement, établit que lui-même et Mennillo étaient à l’époque actionnaires et administrateurs de cette société;

·        le certificat d’actions immatriculé au nom de Mennillo constatant 49 actions ordinaires et non endossé par lui n’a pas empêché un transfert valide de ces actions; et

·        la résolution d’Intramodal du 25 juillet 2005[7] confirme la légalité du transfert des actions de Mennillo à Rosati.

[24]        Le juge ne se formalise pas du fait que le formulaire de cession des actions de Mennillo n’est pas signé par ce dernier. Il y voit là un simple oubli de la part de l’avocat de Rosati. Il conclut que Mennillo n’a pas été victime d’une conduite oppressive, ayant librement choisi de quitter l’entreprise en mai 2005. De toute façon, ajoute-t-il, l’action en justice de Mennillo est prescrite.

Les questions en litige

[25]        Mennillo plaide que le règlement d’Intramodal et les dispositions législatives prévoyant les conditions pour l’exécution valide d’un transfert d’actions n’ont pas été respectés. Aussi, le juge a ignoré l’admission de Rosati selon laquelle le conseil d’administration d’Intramodal n’a pas adopté le 25 mai 2005 une résolution autorisant le transfert des actions litigieuses.

[26]        De plus, il reproche au juge d’avoir illégalement autorisé une preuve testimoniale pour contredire les registres de la société. Finalement, il soutient que son action en justice n’est pas prescrite.

Analyse

[27]        La lecture de la transcription des témoignages entendus en première instance fait voir que le juge s’est vu présenter une preuve particulièrement enchevêtrée et nébuleuse. En dépit de ces particularités, il a choisi de centrer son analyse sur la crédibilité des témoins[8] en isolant leur version de la preuve documentaire déposée devant lui et en n’accordant aucun poids à certaines présomptions découlant de la loi.

[28]        Avec respect pour l’opinion du juge, l’issue du litige ne reposait pas seulement sur un concours de crédibilité comme il l’énonce en début d’analyse. Je suis plutôt d’avis que ce contentieux trouve sa solution principalement dans la loi et les règlements d’Intramodal.

[29]        Ce pourvoi soulève essentiellement deux questions de droit. La première consiste à déterminer si, au regard de la LCSA, Mennillo a été à un moment ou à un autre actionnaire d'Intramodal. Si oui, se pose alors la question de la légalité du transfert des actions de Mennillo à Rosati.

[30]        Cela dit, en vue de répondre aux autres enjeux soulevés par les parties à l’occasion de ce pourvoi, je traiterai de façon subsidiaire de certains aspects de la preuve qui me semblent problématiques pour ensuite clore mon analyse en discutant de l’argument de la prescription et finalement de la réparation appropriée.

I.          La qualité d’actionnaire de Mennillo

[31]        Dans son récit des faits, le juge note que les « actions ordinaires sont partagées, 51 actions en faveur de Rosati et 49 actions en faveur de Mennillo »[9]. Ensuite, il nuance ce constat de la manière suivante :

[74]      Le Tribunal arrive à la conclusion que Mennillo a détenu 49 actions ordinaires émises par Intramodal, le tout conditionnellement à ce que ce dernier garantisse l’ensemble des créances de Intramodal dès que cette dernière débute ses activités. […].[10]

[Je souligne.]

[32]        Le juge ne pouvait conclure que la détention par Mennillo de 49 actions ordinaires provenant du capital-actions d’Intramodal était « conditionnelle ». Tout d'abord, cet aspect conditionnel du statut d’actionnaire n’est pas prévu à la loi[11] et ensuite rien dans les registres d’Intramodal n’appuie cette possibilité. De toute façon, j'estime que la qualité d'actionnaire ne peut dépendre d'une entente informelle intervenue entre des individus, selon que l'un d'eux choisit ou pas de la résilier.

[33]        À cet égard, je remarque, comme le reconnaît d’ailleurs Rosati lui-même, que les parties n'ont jamais consigné par écrit de conditions relatives au maintien de la qualité d’actionnaire de Mennillo dans Intramodal. Rosati ne s’est pas davantage plaint du défaut de son partenaire d'affaires de respecter ses engagements envers lui.

[34]        Je retiens également que le registre d’Intramodal constatant l'émission d'actions au nom de Mennillo n’est pas l’objet d’une contestation de la part de Rosati. Il n’avance d’ailleurs aucune preuve contraire susceptible de contrer les présomptions de véracité rattachées au contenu de ces registres.

[35]        À ce chapitre, la LCSA prévoit que :

Certificat

 (1) Le certificat délivré pour le compte d’une société et énonçant un fait relevé dans les statuts, les règlements administratifs, une convention unanime des actionnaires, le procès-verbal d’une assemblée ou d’une réunion ainsi que dans les actes de fiducie ou autres contrats où la société est partie peut être signé par tout administrateur, dirigeant ou agent de transfert de la société.

Preuve

(2) Dans les poursuites ou procédures civiles, pénales ou administratives :

a) les faits énoncés dans le certificat visé au paragraphe (1);

b) les extraits certifiés conformes du registre des valeurs mobilières;

c) les copies ou extraits certifiés conformes des procès-verbaux des assemblées ou réunions

font foi à défaut de preuve contraire, sans qu’il soit nécessaire de prouver la signature ni la qualité officielle du présumé signataire.

Certificat de valeurs mobilières

(3) Les mentions du registre des valeurs mobilières et les certificats de valeurs mobilières émis par la société établissent, à défaut de preuve contraire, que les personnes au nom desquelles les valeurs mobilières sont inscrites sont propriétaires des valeurs mentionnées dans le registre ou sur les certificats.[12]

[36]        L’auteur Paul Martel écrit au sujet des présomptions relatives aux registres d’une société :

La loi fédérale prévoit certaines présomptions de véracité à l’égard des registres de la société. Tout d’abord, elle énonce que les mentions du registre des valeurs mobilières et les certificats de valeurs mobilières établissent, « à défaut de preuve contraire », que les personnes au nom desquelles les valeurs mobilières sont inscrites sont propriétaires des valeurs mentionnées dans le registre ou le certificat.[13]

[Je souligne.]

[37]        Selon la preuve acceptée par le juge, du 13 juillet 2004 (date de l’émission des actions par Intramodal à Mennillo) au 25 mai 2005 (date de la démission de Mennillo de son poste d’administrateur) la qualité d'actionnaire de Mennillo pour cette période ne souffre d’aucune contestation. Rosati agissait alors comme président et secrétaire d'Intramodal. Le registre des valeurs mobilières complété par lui indique qu’il détient 51 % des actions en circulation et Mennillo possède le 49 % restant.

[38]        Il existe aussi une corrélation parfaite entre ce registre et celui faisant état des avis de souscription déposés par les futurs actionnaires. Ce dernier registre nous informe que Rosati et Mennillo ont souscrit respectivement 51 et 49 actions du capital-actions d'Intramodal pour une valeur nominale de 1 $ l'action.

[39]        De plus, les registres font voir que le conseil d’administration d’Intramodal a accepté ces souscriptions et procédé à l’émission des valeurs correspondantes. Il convient de reproduire intégralement l'extrait de la résolution concernée :

Subscription and issue of shares

Whereas the corporation has received the Notices of Subscription appended to the present resolutions for the number of shares mentioned in these Notices of Subscription and the consideration indicated opposite the name of the following persons, as follows:

Subscriber

Number and designation of share

Price Paid

Mario Rosati

51 shares “A”

$51.00

Johnny Mennillo

49 shares “A”

$49.00

Now, therefore, be it resolved:

1.         to accept said Notices of Subscription of securities, as presented to the corporation;

2.         to allot and to issue the number of securities subscribed to as indicated below;

3.         to direct the person holding the office of President or Secretary of the Corporation, and such person is hereby directed, to take all appropriate action to ensure that the issue of the number of securities and the other details of the transaction are entered in the Corporate Records Book as follows:

 

Securities

 

Certificate

Sharehoder

Number

Designation

Stated Capital

number

Mario Rosati

51

A

$51.00

1

Johnny Mennillo

49

A

$49.00

2

[40]        Je mentionne au passage que cette résolution est signée par le président et secrétaire d'Intramodal, Mario Rosati.

[41]        Selon ce qui précède, il ne fait aucun doute que Mennillo est l'un des deux actionnaires fondateurs d'Intramodal. Qu’en est-il aujourd’hui de son statut au sein de cette société?

II.         Le transfert des actions de Mennillo à Rosati

[42]        Une fois la qualité d'actionnaire de Mennillo établie, Rosati devait démontrer être le cessionnaire dûment enregistré des actions de Mennillo[14]. Or, la loi prévoit que le cessionnaire de valeurs mobilières n'acquiert un titre valable et les droits qui y sont rattachés que dans les limites des circonstances de son acquisition[15].

[43]        La situation est ici plutôt particulière puisque Rosati, qui n’a pas demandé à intervenir en première instance ni d’ailleurs en appel, fait valoir ses prétentions par l’entremise de l’émettrice Intramodal qui elle, comme on le verra plus loin, avait l’obligation de conserver les valeurs mobilières placées sous sa garde.

[44]        En l'espèce, Intramodal devait s'assurer que le transfert invoqué par Rosati respectait les conditions prévues à l'article 76 de la LCSA (inscriptions obligatoires). Je les résume :

1.         Le titre doit être endossé par son titulaire.

2.         L'émetteur doit être satisfait de la légitimité de l'endossement.

3.         Il ne doit pas exister d'opposition réelle ou réputée sur le titre.

4.         La perception des droits inhérents découlant de l'application des lois fiscales concernées a été réalisée.

5.         Il s’agit d’un transfert régulier ou, sinon, celui-ci a été réalisé au profit d'un acheteur de bonne foi.

[45]        J’estime que, en dépit de son rôle de gardien des intérêts de l’actionnariat en matière de transfert de valeurs mobilières (trust) conféré par ses fonctions de président et de secrétaire d’Intramodal, Rosati a renoncé à ses responsabilités pour injustement privilégier sa situation personnelle au détriment de celle de Mennillo. Voici les raisons qui m’incitent à conclure en ce sens.

a)   Rosati n’est ni un acheteur de bonne foi ni même un simple acquéreur

[46]        Je rappelle qu’à cette étape le fardeau d’établir un transfert régulier des actions de Mennillo en faveur de Rosati reposait sur les épaules de ce dernier ou encore, compte tenu du contexte procédural actuel, sur Intramodal.

[47]        Le juge devait déterminer si Rosati était avant toute chose un acheteur de bonne foi ou un simple acquéreur. Le jugement entrepris ne traite pas de cette question, pourtant fondamentale.

[48]        Intramodal avait l'obligation d'enregistrer le transfert que si l'acquéreur avait donné une valable considération « dans une transaction honnête et sans avoir connaissance d'une illégalité de la demande ou d'une contestation du droit du propriétaire »[16].

[49]        Rosati ne peut être rangé dans la catégorie des acheteurs de bonne foi puisque lui-même reconnaît ne pas avoir acquis le titre litigieux contre valeur, admettant ne pas avoir payé à Mennillo aucun argent en échange des actions détenues par ce dernier.

[50]        Intramodal, qui a choisi de se ranger résolument dans le camp de son actionnaire Rosati, rétorque que Mennillo a renoncé à garantir l'ensemble des créances de la société. Le défaut de respecter cet engagement équivaudrait au prix payé par Rosati pour l’acquisition des actions litigieuses.

[51]        Cet argument confond l’intérêt d’Intramodal avec celui de Rosati et ne tient pas compte de leur personnalité juridique distincte. Si un tel engagement a été pris par Mennillo, ce qui est nié par le principal intéressé, il l’a été uniquement au profit d’Intramodal qui demeure la seule créancière des obligations contractées en sa faveur.

[52]        Or, l’engagement allégué n’a jamais consisté à garantir les dettes de Rosati. Dans ce contexte, il est plutôt étonnant que ce dernier s’autorise d’un prétendu défaut par Mennillo de respecter une obligation envers Intramodal pour ensuite y voir là une juste contrepartie versée par lui pour l’acquisition des actions de son associé du départ.

[53]        Aussi, l’argument d’Intramodal, même en le tenant pour avéré, n’autorisait pas Rosati à se faire justice lui-même. Certes, il pouvait forcer judiciairement le transfert des actions détenues par Mennillo, mais, encore là, il n’aurait pu valablement soutenir devant une cour de justice être un acheteur de bonne foi.

[54]        À ce chapitre, le certificat d’action no 2 contenait déjà des avis d’opposition réputés se rapportant à des restrictions applicables au transfert d’actions de Mennillo. S’ajoutent à cette limitation la réglementation de la société qui encadre le droit au transfert d’actions et l’absence de preuve du consentement de Mennillo à un tel transfert. Bref, Rosati ne peut se draper avec l’argument de la bonne foi pour contourner le caractère illégal de son geste.

[55]        Il ne peut non plus être qualifié de simple acquéreur puisqu’il n’a fait la preuve d’aucune modalité conduisant à cette conclusion.

[56]        Ainsi, l'hypothèse de la donation, de toute façon niée par Mennillo, ne permet pas de faire progresser le débat en faveur d’Intramodal. Voici pourquoi.

[57]        L’article 1824 C.c.Q. prévoit que :

 

  Art. 1824. La donation d'un bien meuble ou immeuble s'effectue, à peine de nullité absolue, par acte notarié en minute; elle doit être publiée.

  Art. 1824. The gift of movable or immovable property is made, on pain of absolute nullity, by notarial act en minute, and shall be published.

  Il est fait exception à ces règles lorsque, s'agissant de la donation d'un bien meuble, le consentement des parties s'accompagne de la délivrance et de la possession immédiate du bien.

  These rules do not apply where, in the case of the gift of movable property, the consent of the parties is accompanied by delivery and immediate possession of the property.

 

[58]        L’auteur Paul Martel écrit au sujet de cette disposition :

16-112  Lorsqu’un transfert d’actions s’effectue à titre gratuit, il doit, pour être valide entre les parties, faire l’objet d’une donation par contrat notarié, ou encore constituer un « don manuel » au sens du Code civil du Québec, c’est-à-dire être accompagné de délivrance et de possession immédiate. Pour plus de certitude, il est recommandé de confirmer un don manuel d’actions par un contrat sous seing privé et d’y faire intervenir la société, pour reconnaître que le transfert a été inscrit dans ses registres. Il semble en effet que la remise du certificat d’actions endossé ne soit pas suffisante, surtout si le transfert des actions est restreint par les statuts.[17]

[59]        En l'espèce, Intramodal ne s'est pas vu remettre aucun contrat notarié constatant la volonté des parties demandant à l'émetteur de prendre acte de leur volonté de transférer les actions de Mennillo. Comme nous le verrons plus loin, la preuve ne révèle pas non plus que nous sommes en présence d'un don manuel accompagné de la délivrance du titre.

[60]        Je conclus à partir de ce qui précède que la preuve ne démontre pas qu'Intramodal s’est déchargée de son fardeau d'établir que Rosati était soit un acheteur de bonne foi ou encore un simple acquéreur.

[61]        Mon analyse sur cet aspect du pourvoi pourrait bien s'arrêter ici. Il me semble cependant utile d’ajouter que la liste des difficultés entravant la quête de Rosati pour se voir déclarer détenteur régulier des actions de Mennillo ne s'arrête pas là.

b)  L'absence d'endossement du certificat no 2

[62]        J'ai déjà déterminé qu'Intramodal avait validement émis et réparti en faveur de Mennillo 49 actions de catégorie « A » et produit un certificat d'actions (certificat no 2) faisant la preuve de cette émission.

[63]        Il est vrai que la loi prévoit que le certificat d’actions doit être signé par au moins un dirigeant de la société (art. 49(4)a) LCSA) et qu'en l'espèce le certificat no 2 n'est pas signé par le président et le secrétaire de la société émettrice, en l'occurrence Mario Rosati. Cette irrégularité est cependant sans véritable conséquence.

[64]        Elle est tout d'abord le reflet d'une absence de rigueur de la part de celui chargé par la loi de constamment mettre à jour les registres d'Intramodal. Ensuite, je remarque que le certificat d'actions no 1 émis au nom de Mario Rosati n'est pas non plus signé par un dirigeant d'Intramodal. Or, personne n’est venu contester la qualité d'actionnaire de Rosati en raison de cette irrégularité apparente.

[65]        Finalement, « le certificat n’est que la preuve prima facie, encore que secondaire, du droit de l’actionnaire à l’action »[18].

[66]        Cela dit, Intramodal devait démontrer que Rosati était le véritable cessionnaire des actions de Mennillo et qu'il avait la maîtrise de ces valeurs. La première étape de cette preuve reposait sur l’endossement du certificat no 2.

[67]        L'article 64 de la LCSA prévoit qu'un titre nominatif doit impérativement être endossé par le cédant si l'acquéreur veut valablement soutenir être un détenteur régulier. Cette disposition est ainsi rédigée :

64.       Le transfert d’une valeur mobilière nominative livrée sans l’endossement obligatoire est parfait à l’égard du cédant dès la livraison, mais l’acquéreur ne devient acheteur de bonne foi qu’après l’endossement qu’il peut formellement exiger.[19]

[68]        Cette condition est ici manquante. Intramodal ne pouvait donc procéder au transfert de valeurs mobilières sans l’endossement du titre par une personne compétente[20].

[69]        S'ajoute à cet obstacle un autre tout aussi déterminant relatif à la restriction au transfert d'actions contenu au statut constitutif d'Intramodal :

No share issued by the Corporation shall be transferred or assigned without the consent of the Board of Directors, which consent shall be evidenced by a valid resolution of the Board of Directors. This consent, however, may validly be given after the transfer or assignment has been recorded in the Corporate Records Book, in which case the transfer or assignment shall be valid and take effect retroactively upon the date on which the transfer or assignment was recorded.[21]

[70]        Bref, l’absence d’endossement et la mention expresse contenue au certificat d'actions no 2 restreignant le transfert des actions en cause constituaient des avis d'opposition suffisants pour interdire à Intramodal de ratifier ce transfert, sans compter la limitation statutaire suivante :

133.     Registration of transfers. Subject to the Act and to the provisions of paragraph 135 below, no transfer of securities or of warrants shall be registered in the securities' register of the Corporation unless:

(a)        the security certificate has been duly endorsed by the proper person;

(b)        a reasonable assurance has been given to the effect that the endorsement is genuine;

[…] [22]

[Je souligne.]

c)   Le défaut de délivrer le titre

[71]        Non seulement il n’y a pas eu endossement, mais la preuve ne révèle pas non plus que Mennillo a remis la possession physique de son titre à Rosati (certificat d'actions no 2). On répondra que de toute façon Mennillo n'a jamais eu la possession de ce certificat, celui-ci ayant toujours été conservé dans les registres d'Intramodal.

[72]        Or, il n'y a rien d'exceptionnel pour une société fermée de garder dans ses registres pour le compte de ses actionnaires les certificats d'actions émis par elle. Comme l'indique l'auteur Michel Perreault :

695.     Dans une très grande proportion, les actionnaires des sociétés qui nous intéressent ont des certificats et leurs certificats d'actions restent attachés au livre de la société plutôt que d'être remis aux actionnaires.[23]

[73]        Encore une fois, il est important de rappeler que Rosati en sa qualité de dirigeant d'Intramodal chargé de conserver le certificat d'actions de Mennillo laissé sous sa garde[24] devait le préserver peu importe ses visés personnelles. Chose certaine, cette fonction ne l’autorisait pas à se proclamer cessionnaire des actions de Mennillo sans l’accord de ce dernier.

[74]        La preuve ne fait pas voir que le certificat d'actions no 2 a été endossé et, de toute façon, que sa livraison a eu lieu. Quitte à le redire, Intramodal ne pouvait dans ces circonstances accepter le transfert revendiqué par Rosati.

[75]        Intramodal a reconnu lors de l’audience d’appel que Mennillo a été l’un de ses actionnaires. La rigueur de la loi et celle des règlements de la société constituaient des conditions incontournables dont le formalisme sous-jacent devait être respecté avant de conclure à l’égard de Mennillo à la perte de cette qualité.

[76]        En somme, même si aux fins de la discussion seulement, je me disais en accord avec les conclusions de mon collègue le juge Vézina concernant la crédibilité accordée à Rosati et à Mennillo par le juge du procès, l’appel devrait tout de même être accueilli en raison du défaut par l’intimée de se conformer à la loi et à sa propre réglementation en matière de transfert d’actions. Cela dit, je souhaite aussi discuter de certains aspects problématiques de la preuve.

III)        Les erreurs de fait manifestes

[77]        Il est de jurisprudence constante qu'une cour d'appel ne devrait modifier les conclusions de fait du juge de première instance qu'en la présence d’une erreur manifeste et dominante[25].

[78]        En dépit de l'attitude de respect et de réserve qui s'impose à l'égard des déterminations de fait retenues par le juge, j'en viens tout de même à la conclusion que des inférences erronées ont été tirées de la preuve. En raison de la place qu’elles occupent dans la motivation du jugement, ces déterminations ont eu un impact décisif dans la décision entreprise et justifient à mon avis l’intervention de la Cour[26].

a)   Les raisons données par Mennillo pour expliquer sa démission du conseil d'administration d'Intramodal

[79]        Le juge explique qu’en mai 2005 Intramodal n'avait pas encore pignon sur rue de sorte que l'entreprise n'était pas susceptible de recevoir des visites d'affaires. Il ajoute que le prétexte avancé par Mennillo selon lequel Rosati souhaitait que sa participation demeure cachée n'est pas crédible puisque sa seule démission à titre d'administrateur ne faisait pas en sorte de faire disparaître son nom du registre des valeurs mobilières de la société. Un retour sur la preuve s'impose.

[80]        Dès le printemps 2004, Rosati et Mennillo avaient une idée d'affaires assez précise de l'entreprise qu'ils entendaient créer. Non seulement Intramodal est constituée à l'été 2004[27] en vue d'exploiter cette idée, mais Rosati annonçait déjà à Mennillo que ce projet nécessiterait des investissements avoisinant les 300 000 $[28].

[81]        Entre mai et juin 2004, dans le contexte ci-dessus décrit, la société de gestion de Mennillo a consenti à Rosati deux prêts totalisant 12 800 $. Cette seule preuve démontre que Rosati et Mennillo avaient déjà commencé à investir dans leur projet commun.

[82]        Selon Mennillo, une partie de ces prêts devait d’abord servir à la promotion de leur plan d’affaires auprès des représentants de la compagnie Labatt. C’est ainsi que, le 5 mai 2005[29], Rosati, alors à l’emploi de la société Canvec Logistique Inc. (« Canvec »), invite des relations d’affaires à une activité sociale tenue le 17 juin 2005. Il n’a pas nié qu’à cette occasion des représentants de Labatt aient été présents[30]. Il en coûte 2 300 $ pour cette initiative défrayée à même les montants empruntés à la société de gestion de Mennillo[31].

[83]        Rosati explique que cette dépense a été plutôt engagée aux fins de maintenir la fidélité d’une certaine clientèle auprès de son employeur de l’époque Canvec.

[84]        La prétention selon laquelle un employé de Canvec (Rosati) choisit d'investir dans les relations publiques de son employeur au moyen d'un emprunt personnel n'est pas sans soulever d’importantes interrogations. Mais lorsqu’on retient que des argents provenant des prêts consentis par la société de gestion de Mennillo sont dépensés dans l’intérêt d’une société avec laquelle Intramodal n’entretient aucun lien d’affaires (Canvec), la thèse de Rosati devient dans ce contexte intenable.

[85]        Aussi, l’explication de Mennillo quant aux raisons de son retrait du registre des administrateurs prend tout son sens si on accepte l'idée qu'un client inquiet de ses éventuelles relations d’affaires ne le serait probablement pas sachant que l'entreprise visée est dirigée par un seul administrateur (Rosati) connu de lui et, au surplus, que cette personne est elle-même l’actionnaire majoritaire de cette société.

[86]        En fait, je ne vois aucune raison pour un possible partenaire d’Intramodal, préoccupé par la qualité de ses relations d’affaires, de l’être davantage en apprenant que Mennillo est seulement le bailleur de fonds de la société et aussi son actionnaire minoritaire.

[87]        Finalement, si cela avait été véritablement déterminant, le problème relié à la présence de Mennillo dans les registres d’Intramodal à titre d’actionnaire pouvait facilement être contourné par un simple transfert de ses actions en faveur de sa compagnie de gestion, celle-là même qui a consenti les prêts à Intramodal.

[88]        J'estime en conséquence que le juge n’aurait pas dû écarter la version de Mennillo selon laquelle, en dépit de l'absence d'un local abritant l’entreprise, les relations publiques d’Intramodal étaient déjà bien engagées grâce aux initiatives d’affaires mises en place par Rosati au printemps 2005.

b)  La rencontre du 21 juillet 2007

[89]        Le juge ne croit pas Mennillo lorsque ce dernier affirme que la rencontre du 21 juillet 2007 a été provoquée en raison de son insatisfaction pour l’insuffisance des rendements reliés aux prêts consentis à Intramodal. Il écrit :

[36]      Conclusion sur cet événement.  La version de Mennillo est peu crédible.  Intramodal rembourse les avances depuis près d’un an lorsque la controverse survient.  Si Mennillo était insatisfait du rendement de ses investissements à titre d’actionnaire dans Intramodal, pourquoi ne demande-t-il pas le versement d’un dividende ou tout simplement son rachat?  Sans aborder la question relative au rendement du fait de son actionnariat, Mennillo convient d’un montant forfaitaire de 150 000 $, le tout afin de fixer une prime.  Aucune lettre, aucun envoi par courriel ne sont échangés à ce sujet entre Mennillo et Rosati.

[Je souligne.]

[90]        Tout d’abord, la preuve ne précise pas que Mennillo était mécontent du rendement de ses investissements à titre d’actionnaire même si ce denier a clairement manifesté son insatisfaction au regard de sa relation avec Rosati lors de la rencontre du 21 juillet. Ensuite, sous réserve d’observer les conditions juridiques autorisant ces éventualités, la qualité d’actionnaire minoritaire de Mennillo ne lui permettait pas, comme le propose le juge, de forcer Intramodal à déclarer un dividende ou encore de l’obliger à racheter ses actions.

c)   La Pièce D-7

[91]        La Pièce D-7 est composée de différents documents relatifs à la souscription d’une assurance-vie dont Intramodal est la bénéficiaire. Le juge retient de cette preuve qu’en date du 26 septembre 2006 Rosati avait informé l'assureur qu’il était le seul actionnaire d'Intramodal et Mennillo en était le créancier. Il y voit là une preuve corroborant le statut véritable de Mennillo dans l’entreprise.

[92]        À mon avis, le juge devait traiter cette preuve avec circonspection dans la mesure où il s'agit d'écrits provenant de Rosati qui pouvaient être contredits par tous les moyens[32]. Cet élément est d'autant plus fragile lorsque apprécié sous l’éclairage de l'affirmation non contredite de Mennillo selon laquelle jusqu’au jour du procès il ignorait tout de la nature de l’information transmise à l’assureur.

[93]        En l'espèce, il s'agissait d'une assurance sur la vie de Rosati et de Mennillo pour un montant de 500 000 $ souscrit par Intramodal à titre de propriétaire et bénéficiaire.

[94]        Si, comme le prétend Rosati, les prêts consentis par la société de Mennillo lui étaient personnels, on se demande bien quel était l'intérêt d'Intramodal à prendre une assurance sur la vie de ce dernier. De plus, on peut s'interroger sur les raisons pour lesquelles Intramodal choisit d'assurer la vie de son créancier et celle de son actionnaire à partir d’une même police.

[95]        La preuve ne permet pas de répondre à ces questions, de sorte que la motivation qui sous-tend le choix d'Intramodal de souscrire une assurance-vie sur la tête de deux assurés qui, du point de vue de Rosati, n'ont pas les mêmes intérêts dans la société s'explique difficilement.

[96]        Si on devait tirer une conclusion sur la stratégie de cette société en matière d'assurance, c’est que celle-ci est plutôt compatible avec le fait que les assurés jouissaient du même statut au sein d’Intramodal.

d)  La Pièce D-3

[97]        La Pièce D-3 est un avis du 26 novembre 2007 préparé par Paolo Carzoli, un spécialiste en fiscalité que Mennillo affirme n'avoir jamais rencontré. Cet avis a été demandé par le comptable de Mennillo, monsieur Antoine Papas[33].

[98]        Le juge retient du passage suivant de cet avis la preuve d’une admission de Mennillo faite par l’intermédiaire de ses mandataires (Carzoli et Papas) selon laquelle il reconnaitrait ne plus être actionnaire d'Intramodal :

THE FACTS

As we understand it, a company (herein after referred to as OPCO) was formed in order to operate a business in the field of transportation.  The original intent, was that this company be owned by two shareholders.  The minute book of the company indicates that the shares are owned by only one shareholder (herein after identified as A).  The other shareholder (herein after referred to as B) was only an investor in the company.  The two Shareholders A and B are not related to each other and are therefore dealing at arms length.[34]

[Soulignement conforme au jugement entrepris.]

[99]        Avec égards, l'inférence tirée de ce document par le juge me paraît erronée. Dans cet extrait, monsieur Carzoli précise que les registres d'Intramodal font voir un seul actionnaire. Si cette conclusion est exacte, elle ne signifie pas pour autant qu'Intramodal compte dans les faits un seul actionnaire.

[100]     L’expert Carzoli explique dans cette note qu’il y a lieu de corriger le registre des actionnaires tenu par Rosati en vue de refléter la réalité selon laquelle Mennillo est actionnaire d'Intramodal. Ce n’est qu'une fois cette correction apportée, nécessaire en raison de la présomption d’exactitude rattachée au contenu des registres des sociétés, que l’on pourra ensuite procéder au rachat des actions de Mennillo, seule raison pour laquelle les services de cet expert ont été requis. Cette interprétation se vérifie à la lecture de reste du document :

PROPOSAL

Since the period of existence of the company is quite short and that both A and B recognise that the shares of the company should have been owned 51% by A and 49% by B, the minute book and corporate records can be corrected in order to reflect the reality that both agree on.

Once this correction completed, A will purchase B's shares for an amount to be agreed upon (between $750,000.00 and $500,000.00). In the event that A has to borrow funds in order to purchase the shares from B, the interest that he will be paid on the loan is deductible since the funds are used to purchase an asset that can generate income.

[101]     Non seulement la lecture de la pièce D-3 ne contient aucune mention défavorable à la cause de Mennillo, mais, lorsque replacé dans son contexte, cet avis soutient fortement l’idée que ce dernier se considérait toujours actionnaire d’Intramodal.

e)   La Pièce D-2

[102]     Il s'agit d'une lettre du 30 octobre 2007 rédigée par Me Kaufman et transmise à son client Mennillo dans laquelle l'avocat propose un projet d'entente aux fins d'établir un « Acknowledgment of Debt » à être accepté par Rosati. Le juge reproche à l’auteur de cette missive de n’y faire aucune mention d’une proposition de rachat d'actions démontrant par là que la seule préoccupation de Mennillo à l’époque était le remboursement de ses prêts.

[103]     Je considère ce reproche mal fondé. La preuve a toujours été constante selon laquelle Mennillo souhaitait non seulement se voir rembourser ses prêts, mais également convenir d’un rendement pour ceux-ci. La lettre de Me Kaufman ne fait qu'exprimer ce souci. Or, le fait pour Mennillo de se concentrer sur les modalités et le remboursement de sa créance ne permet pas de conclure qu’il renonçait pour autant à sa qualité d’actionnaire.

[104]     Par ailleurs, le juge n'explique pas les raisons qui l'amènent à écarter les versions concordantes de l’avocat Kaufman et du comptable Papas qui ont maintenu que :

·        Mennillo s’est toujours décrit auprès d’eux comme étant un actionnaire d’Intramodal; et

·        ils ont toujours compris des réunions tenues à l'automne 2007 qu’elles portaient sur la vente des actions de Mennillo à Rosati ainsi que sur la possibilité pour le premier d'avancer un prêt au second en vue de permettre le rachat des valeurs en cause.

[105]     Bref, une lecture attentive de la lettre du 30 octobre 2007 fait voir qu’elle n'est nullement compromettante pour Mennillo.

f)    La Pièce P-16

[106]     Il s'agit d'une mise en demeure du 25 février 2010 écrite par l'avocat de Mennillo, Me Kaufman, qui réclame à Intramodal des dommages et intérêts de 1 000 000 $. Dans cette lettre, l'avocat fait allusion à la démission de Mennillo à titre d'administrateur d'Intramodal. Le juge infère de cette preuve que :

[…] la référence à la démission de Mennillo à titre d’administrateur permet de fixer la date où Mennillo a démissionné comme administrateur et actionnaire, soit en mai 2005;[35]

[107]     Voici maintenant les passages de la mise en demeure sur lesquels repose cette conclusion du juge :

After the second corporation was set up and operating, Labatt Breweries suddenly embraced the idea presented to you by my client and wanted to do business; however, you asked my client to resign from the company because of his connection with tobacco products, informing him that you would still be a 50% partner.

My client complied feeling secure of his relationship of 40 years with Mr. Mario Rosati and that he would receive his 50% share of the profits of the operations.

[Soulignement conforme au jugement entrepris.]

[108]     En dépit d’un vocabulaire imprécis, les termes utilisés dans cette mise en demeure ne pouvaient mener à la conclusion selon laquelle Mennillo n'était plus actionnaire d'Intramodal à compter du 25 mai 2005. Écrits par un homme de loi, les mots « resign from the company » ne visaient manifestement que la démission de Mennillo du conseil d'administration d'Intramodal. Cette conclusion me semble d’autant inéluctable que Me Kaufman n'a pu vouloir suggérer par ses propos qu'il était possible de démissionner comme actionnaire d'une compagnie.

[109]     Je note aussi que l’avocat réitère que son client demeurait « a 50% [49%] partner » et, à ce titre, qu'il était en droit de recevoir « his 50% [49%] share of the profits of the operations ».

[110]     Pour ma part, je vois dans les termes utilisés dans cette mise en demeure l'expression claire que Mennillo se considérait toujours actionnaire (partner) d’Intramodal à près de 50 % et, à ce titre, il avait le droit au partage des profits (share of the profits) dans la même proportion.

[111]     En résumé et contrairement à l’opinion de mon collègue sur cette question, je suis d’avis que le juge de première instance a tiré des inférences erronées à partir de son analyse des pièces D-7, D-3, D2 et P-16 et que celles-ci ont eu un impact déterminant sur le dispositif du jugement entrepris.

IV)       La prescription

[112]     Intramodal soutient que, de toute façon, le recours de Mennillo est prescrit puisque trois années se sont écoulées entre le moment de sa connaissance des actes oppressifs et le dépôt de son recours le 7 septembre 2010 alléguant une condition d’oppression.

[113]     Outre la question de la responsabilité des administrateurs où la prescription du recours en ce domaine est établie à deux ans[36], la LCSA ne prévoit pas de délai de prescription propre aux actions intentées sous le régime de son article 241. À mon avis, les demandes présentées en vertu de cette disposition sont sujettes à une prescription de trois ans[37] commençant le jour où le plaignant a connaissance de circonstances manifestes témoignant d’une situation claire d'injustice[38].

[114]     L'argument de la prescription n’est ici d'aucun secours à Intramodal. Selon ma compréhension de la preuve, la conduite injuste reprochée à la société n'est devenue manifeste qu’en décembre 2009 seulement.

[115]     De plus, je considère que la situation abusive dont se plaint Mennillo existait toujours au moment où l’action en oppression a été intentée et le préjudice qui en découle demeure encore entier[39].

[116]     Intramodal plaide que les droits de Mennillo pour remédier à la situation dénoncée par lui sont définitivement éteints. Aux fins de soutenir cette proposition, il revenait à la société de démontrer par prépondérance de preuve les faits permettant de conclure en ce sens.[40] Pour ce faire, elle nous renvoie à plusieurs événements qui, selon elle, indiqueraient le moment précis où Mennillo a véritablement pris conscience d’une situation manifeste d’oppression.

[117]     Regardons maintenant cette preuve de plus près.

-   Le 25 mai 2005

[118]     La lettre de Mennillo du 25 mai 2005 où il annonce sa démission à titre d’administrateur d’Intramodal et les circonstances qui l’entourent sont sans lien avec une quelconque manifestation d’oppression. L’avocat de la société, Me Daniel Ovadia, a d’ailleurs reconnu que Mennillo ne lui a jamais demandé de retirer son nom du registre des actionnaires d’Intramodal.

[119]     Aussi, la résolution datée du 25 mai 2005, signée par Rosati qui accepte le transfert des actions de Mennillo[41], n’aide en rien la thèse d’Intramodal puisque la preuve révèle que le principal intéressé a toujours ignoré l’existence de cette résolution et que celle-ci a été signée à une date inconnue et de toute façon après le 25 mai 2005.

[120]     Quant aux modifications apportées au Registraire des entreprises, elles l’ont été par Me Ovadia selon les instructions données par Rosati et à l’insu de Mennillo.

-   Juillet 2006

[121]     Intramodal avance que le point de départ de la prescription pourrait aussi se situer en juillet 2006, date à laquelle le courtier d’assurance Serge Demers (« Demers ») a constaté, lors de la préparation des propositions d’assurance-vie, que le nom de Mennillo n’apparaissait plus au Registraire des entreprises québécoises (« CIDREQ »). Or, cette prétention ne résiste pas à l’analyse lorsque étudiée sous l’éclairage des preuves suivantes :

·        le seul véritable interlocuteur de Demers a toujours été Rosati;

·        Demers a appris que Mennillo n’était plus actionnaire d’Intramodal en consultant (1) le Questionnaire financier pour une entreprise complété par Rosati et (2) le CIDREQ dont les informations y apparaissant proviennent de la même source;

·        Mennillo n’a pas signé le Questionnaire financier pour une entreprise dans lequel Rosati le qualifie de « créancier » d'Intramodal. Mennillo n’a pas non plus transmis d’informations au CIDREQ;

·        Demers n’a jamais discuté avec Mennillo de son statut au sein d’Intramodal; et

·        la proposition d’assurance signée par Mennillo ne précise pas son statut au sein de la société[42].

[122]     En somme, aucune preuve n’établit que Demers et Mennillo partageaient les mêmes connaissances quant au statut de ce dernier dans Intramodal.

-   Juillet 2007

[123]     Rosati affirme avoir clairement indiqué à Mennillo qu’il n’était plus actionnaire d’Intramodal lors d’une réunion tenue au restaurant Rib and Reef en juillet 2007. Mennillo soutient pour sa part que, lors de cette rencontre, Rosati aurait finalement consenti à racheter sa participation dans la société. Selon Mennillo, cette idée aurait été ainsi exprimée par Rosati : « Johnny, I want to buy your company. » et « Okay, I'm going to buy you out. ».

[124]     La preuve fait voir qu’à l’automne 2007 Mennillo a mandaté trois professionnels (Me Paolo Carzoli, Me Israël Kaufman et le comptable Antoine Papadimitriou) pour mettre en place une stratégie de rachat de ses actions par Rosati. Cette démarche qui survient après la rencontre de juillet 2007 est tout simplement incompatible avec la prétention selon laquelle Mennillo savait déjà à compter de cette date qu’il n’était plus actionnaire d’Intramodal.

[125]     Me Carzoli est aussi venu expliquer au Tribunal que, lors d’une réunion tenue le 26 novembre 2007, il aurait informé Rosati de la position de son client (Mennillo) concernant le rachat de ses actions. Lors de cette rencontre, Rosati n’a jamais contesté la qualité d’actionnaire de Mennillo.

[126]     Intramodal trouve un certain réconfort dans les propos de Mennillo lorsque ce dernier donne l’information suivante au Tribunal concernant la rencontre de juillet 2007 : « I was mad because he took me off the Minute Book and he promised me he'd put me back on the next day and he never did. ». Replacées dans leur contexte, ses paroles n’ont rien d’équivoque. Elles témoignent simplement du souhait de Mennillo de recouvrer son poste d’administrateur.

[127]     Il est vrai que Mennillo a reconnu qu’à cette époque il commençait à suspecter Rosati de vouloir l’écarter de l’entreprise. Cependant, Mennillo affirme aussi qu’il ne saisissait pas bien la situation et que sa longue amitié avec Rosati l’aveuglait :

Then, I think it was about six months later when I cut something that didn't make sense and I said: "Finally, Mario what are you doing?" And that's when I said to myself: "My God! something is going on here." But I still wasn't sure that he would do that to lose me as friend for years. But if he removed me and I would have known he removed me as a shareholder from day one, obviously I would have called my lawyer the same day but as a director it just didn't bother me that much. Maybe it should have. Maybe I should have sent the lawyer's letter.

[Je souligne.]

[128]     Ces suspicions de Mennillo ne sont pas suffisantes pour constituer le point de départ de la prescription[43]. Notre Cour a réitéré à plusieurs reprises que la connaissance des éléments de la responsabilité pour établir le début de la prescription doit avant toute chose reposer sur un fondement sérieux qui dépasse la simple crainte, les soupçons ou encore la conjecture[44]. Je rappelle à ce sujet qu’Intramodal ne détient aucune preuve écrite témoignant de la connaissance par Mennillo du transfert de ses actions.

-   Automne 2007

[129]     L’automne 2007 a été ponctué de plusieurs rencontres entre Rosati et Mennillo. Selon ce dernier, et sa version est corroborée en cela par celles de Me Kaufman, de Me Carzoli et de monsieur Papadimitriou, ces réunions n’avaient pour but que de mettre en place une stratégie permettant à Rosati de racheter ses actions.

[130]     Comme je l’ai écrit précédemment, le juge est avare de commentaires sur les raisons l’incitant à écarter la version de ces témoins. En référence à l’avis de Me Carzoli (Pièce D-3), il écrit toutefois :

[52]      Mennillo dit ne pas avoir eu connaissance de ce mémo. Le mémo (pièce D-3) contredit la version de Mennillo à l’effet qu’il se croit à cette date actionnaire de la compagnie.

[53]      La compréhension de Carzoli, après s’être fait décrire l’actionnariat de Intramodal à l’automne 2007, est à l’effet que Mennillo n’est plus actionnaire de Intramodal. Il mentionne qu’il était de l’intention des deux partenaires d’être actionnaires à 51 % et 49 %. S’appuyant sur cette intention de départ, il propose une procédure afin de profiter d’une exemption de gain en capital en faveur de Mennillo.

[131]     Avec égards pour le juge, sa lecture de la note du 26 novembre 2007 me semble trop sévère. Même si j’ai déjà cité cette preuve dans mes motifs[45], j’en reproduis les passages déterminants pour mieux en situer la portée véritable :

Antoine Papas

The following is in relation to our meeting of Wednesday, November 21st, during which we discussed a situation regarding a disagreement between two shareholders of a company and the subsequent purchase of shares of one shareholder by another.

THE FACTS

As we understand it, a company (herein after referred to as OPCO) was formed in order to operate a business in the field of transportation. The original intent was that this company be owned by two shareholders. The minute book of the company indicates that the shares are owned by only one shareholder (herein after indentified as A). The other shareholder (herein after referred to as B) was only an investor in the company. The two Shareholders A and B are not related to each other and are therefore dealing at arms length.

PROPOSAL

Since the period of existence of the company is quite short and that both A and B recognise that the shares of the company should have been owned 51% by A and 49% by B, the minute book and corporate records can be corrected in order to reflect the reality that both agree on.

Once this correction completed, A will purchase B's shares for an amount to be agreed upon (between $750 000.00 and $500 000.00). In the event that A has to borrow funds in order to purchase the shares from B, the interest that he will be paid on the loan is deductible since the funds are used to purchase an asset that can generate income.

[…] [46]

[Je souligne.]

[132]     Il se dégage nettement de l’avis de Me Carzoli que la stratégie proposée reposait sur la prémisse que Mennillo était toujours actionnaire d’Intramodal. Cela me semble être la seule inférence possible pouvant être tirée de ce document. En somme, en novembre 2007, Mennillo se comportait encore et toujours comme un actionnaire désireux de vendre ses actions à Rosati.

[133]     En résumé, les événements de l’automne 2007 ne recèlent aucune indication probante suggérant que Mennillo avait eu connaissance d’une situation manifeste d’oppression.

-   Décembre 2009

[134]     En décembre 2009, Mennillo rencontre Rosati dans un restaurant où ce dernier lui remet un chèque de 40 000 $ contenant la mention « Full and Final payment »[47]. Le 12 décembre 2009, Mennillo consulte son avocat à propos de cette mention. Voici ce qu’il déclare retenir de cet entretien :

I asked you to write that letter because Mr. Kaufman checked the... because when Mario gave me that final last cheque, when I asked him "Mario, when am I getting more money now that I got my money back, when can I get more money?" and he said "That's it, you're not getting anymore", and I said "What, is this a joke? I'm not getting anymore - I go - you have to give me money." So he goes "No, that's it, you're not getting anymore".

And then I ran to the store and I called Mr. Kaufman and I told him "Mr Kaufman - I go - Mario... I'm fifty -fifty (50-50) partner with Mario and he said I'm not getting anymore." I said "I want to go into his books, I got to check Mario, I think he's ripping me off".

[135]     Selon le scénario le plus défavorable à Mennillo, je considère que sa prise de conscience d’une situation d’oppression manifeste n’a pu survenir que lors de la rencontre de décembre 2009. Dans ces circonstances, son action en justice n’est pas prescrite, sa procédure ayant été timbrée le 7 septembre 2010.

[136]     Cela dit, je réitère que la situation irrégulière consacrée par la résolution du 25 mai 2005 n'a jamais été corrigée[48] et qu'il n'est pas trop tard pour remédier à un état d’oppression qui perdure encore.

[137]     L’argument de la prescription doit donc être rejeté.

V)        La réparation appropriée

[138]     En dépit des conclusions contenues au mémoire de Mennillo, ce dernier invite la Cour à tenir compte seulement des conclusions contenues à sa requête réamendée du 20 mars 2012 que je reprends intégralement :

Grant the present motion;

Cancel the resolution of the sole director and sole shareholder of Intramodal Inc., dated May 25th 2005 which, contrary to the bylaws of the corporation, approves and accepts the transfer by Johnny Mennillo of the Forty-Nine (49) Class “A” Shares registered in his name unto Mario Rosati;

Order the rectification of the share registry to reinstate Johnny Mennillo as the holder of Forty-Nine (49) Class “A” Shares;

Order the provisional enforcement of judgment to be made, notwithstanding appeal and without security;

The whole, with costs.[49]

[139]     Le remède recherché par Mennillo me semble ici être hors de portée en raison de la restructuration du capital-actions d'Intramodal survenue en décembre 2008. En outre, les actions de catégorie « A » telles qu'elles existaient au moment de leur émission le 13 juillet 2004 ont été depuis refondues et ne font plus partie stricto sensu du capital-actions d'Intramodal.

[140]     D'ailleurs, la preuve est silencieuse sur les caractéristiques entourant les catégories d’actions pouvant maintenant être émises par la société. Celles que détenaient Mennillo correspondent-elles à une ou plusieurs de ces catégories?

[141]     Comme le soulève Intramodal, se pose aussi la question de savoir à quel prix doivent maintenant être émises les valeurs qui permettraient de replacer Mennillo dans une situation équivalente à celle qui prévalait avant la refonte du capital-actions d'Intramodal. L'exercice conduisant à une réparation appropriée doit aussi éviter de diluer indûment les actionnaires actuels ou encore de provoquer des impacts fiscaux inutiles.

[142]     Conscients de ces difficultés, les avocats de Mennillo ont proposé à la Cour d'inclure dans son arrêt les conclusions suivantes, advenant bien entendu que l’appel soit accueilli :

DE rectifier la situation provoquée par INTERMODAL [sic] portant préjudice à Johnny Mennillo en le privant injustement de sa participation à 50 % ou, subsidiairement, 49 % dans les actions de la société :

-     en ordonnant la modification de l'opération du 24 décembre 2008 en vertu de laquelle les 800 000 actions de catégorie « F » émises à la suite de la conversion et de la subdivision des 100 actions catégorie « A » alors en circulation ne l'ont été qu'à Mario Rosati, de manière à ce que 50 % ou 400 000 (49 % ou 392 000) de ces actions catégorie « F » soient émises à M. Johnny Mennillo;

-     en ordonnant l'émission à Johnny Mennillo, avec effet à la date du jugement, de 100 (96) actions catégorie « A » et 100 (96) actions catégorie « C », pour un prix d'émission de 1 $ par action payable à la date de cette émission.

Ils sont d'avis que cette solution permettrait d’en arriver à un résultat équitable pour l'appelant, l'intimée et ses actionnaires.

[143]     Sans plus d’informations, cette proposition me semble difficilement applicable en appel. Plusieurs données sont ici manquantes. Ainsi, on ignore quelle est la catégorie d'actions qui correspond le mieux aux caractéristiques de celles que Mennillo détenait avant la refonte du capital-actions d'Intramodal ainsi que la quantité d’actions nécessaire pour remédier à la situation. De surcroît, aucune étude sur l'impact fiscal des ordonnances suggérées par Mennillo ne nous a été présentée. La solution retenue ne doit pas non plus déboucher sur une émission excédentaire (art. 52 LCSA).

[144]     Cependant, plusieurs alternatives s’offrent aux parties. Par exemple, Intramodal peut remettre à Mennillo un titre similaire en caractéristique et en proportion à ceux qu’il détenait avant la refonte du capital-actions. Selon cette perspective, elle peut amender ses statuts. Elle peut aussi choisir d’indemniser Mennillo en lui versant un montant correspondant à la valeur de ses titres établi selon une évaluation faite par un expert.

[145]     Toutefois, aucune de ces idées ne me paraît applicable en appel sans une analyse approfondie de la situation des actionnaires actuels d’Intramodal et de la société elle-même. Dans ces circonstances, la meilleure solution consiste à retourner le dossier à la Cour supérieure qui, aux fins de la détermination de la réparation appropriée, pourrait ordonner la confection d’une expertise (art. 414 C.p.c.) en vue de l'assister dans sa décision.

Conclusion

[146]     Pour ces raisons, j’aurais été d’avis d'accueillir en partie le recours en oppression de Mennillo aux fins de déclarer qu’il est toujours demeuré actionnaire d’Intramodal. J’aurais aussi annulé la résolution datée du 25 mai 2005 qui déclare :

5.         The Corporation also hereby approves and accepts the transfer by Johnny Mennillo of the Forty-Nine (49) Class “A” Shares registered in his name, represented by Certificate number 2 unto Mario Rosati.

6.         In view of said transfer of Shares, it is hereby confirmed that effective this day Mario Rosati is the Sole Shareholder of the Corporation, having One Hundred (100) Class “A” Shares registered in his name.

[147]     Pour la suite des choses et uniquement aux fins de la détermination de la réparation appropriée, j’aurais retourné le dossier à la Cour supérieure pour décider de la solution permettant le rétablissement des droits de l'appelant dans la société intimée ou, à défaut, de déterminer une juste compensation, le tout avec dépens contre l'intimée.

 

 

 

 

GUY GAGNON, J.C.A.



 

 

 MOTIFS DU JUGE VÉZINA

 

 

[148]     Après avoir pris connaissance des motifs de mon collègue Gagnon, je n’arrive pas à voir les choses comme lui, cela dit avec respect pour son opinion. Je partage plutôt le point de vue du juge de première instance (le Juge), du moins que je ne vois pas d’ « erreur manifeste » - selon l’expression consacrée - dans ses constats de fait, lesquels entraînent, à bon droit, le rejet de l’action en oppression de l’appelant (Mennillo).

[149]     Le Juge pose bien la question en litige : « Mennillo est-il détenteur d’actions ordinaires de [la société intimée] Intramodal? » Puis il constate que l’affaire « repose sur la crédibilité des témoins » et conclut que « la version suggérée par Mennillo doit être rejetée puisque plusieurs faits mis en preuve ne soutiennent pas sa version. »

Contexte et contradictions

[150]     Au début de l’affaire, en 2004, on trouve deux bons amis, Mennillo et Rosati, un commerçant prospère et un professionnel du transport. Le premier a de l’argent, l’autre de l’ambition.

[151]     Un jour, le second convainc le premier de s’associer à lui pour créer une entreprise de transport routier. Mennillo décrit l’événement de façon bien simple :

A-         …we went out every Friday night with our motorcycles… one day, he said, “Hey, Johnny”, he says, “I have a fantastic idea. I’m going to open a company…” We started talking about it… he started saying,

“You know, I think we have something here and we’re going to become partners and we’re going to open up a business and we’re going to be fifty/fifty (50/50) partners.” And I said, “Okay, let’s do it.”

[152]     En juillet, Rosati constitue la société par actions Intramodal[50] et Mennillo lui avance des sommes pour lancer l’entreprise.

[153]     Le Juge décrit ce contexte :

[5]        À l’hiver 2004, les deux amis Mennillo et Rosati discutent de l’éventualité de créer une [société par actions] où Mennillo apporte les fonds pour le démarrage et Rosati ses compétences permettant de mener à bien une [entreprise] œuvrant dans le domaine du transport routier.

[6]        Mennillo a les moyens financiers.  Sa société 147488 Canada inc. lui rapporte plusieurs dizaines de milliers de dollars en liquide chaque semaine.  Elle se spécialise dans la vente de produits de tabac et d’équipement pour les serres hydroponiques.  Rosati a la connaissance et les contacts dans le domaine du transport.

[7]        Mennillo ne connait rien dans le transport.  Il accepte de financer son ami.

[8]        Rosati travaille chez C..., société spécialisée dans le transport routier.  Il réserve le nom de Intramodal en avril 2004.

[9]        Le 13 juillet 2004, Rosati [constitue la société].  Il confirme son intention d’être associé avec Mennillo et donne instruction à son procureur de les nommer lui et Mennillo administrateurs.  Les actions ordinaires sont partagées 51 actions en faveur de Rosati et 49 actions en faveur de Mennillo. 

[154]     L’étape suivante est cruciale, elle se situe l’année suivante, le 25 mai 2005. L’entreprise n’est toujours pas en exploitation et Mennillo a avancé quelque 28 000 $ à Rosati. Le Juge écrit :

[10]      La compagnie demeure inactive.  Le 25 mai 2005, Mennillo démissionne à titre d’administrateur de Intramodal (pièce P-8).  Les versions de Mennillo et Rosati diffèrent tant sur les motifs et que la portée de ce geste.  […]

[155]     La version de Rosati, donnée dès le début et maintenue par la suite, est que son associé Mennillo a perdu confiance dans le projet et préfère se retirer de l’aventure, ce qu’il fait. Il accepte tout de même de lui prêter les sommes requises pour qu’il puisse continuer seul. De fait, Mennillo lui avancera un total de 440 000 $ qui seront investis dans Intramodal et aussi - 80 000 $ - dans une seconde entreprise « Intralease », où Mennillo ne détient aucun intérêt.

[156]     La version de Mennillo est plus évolutive. Lors de son interrogatoire au préalable, on comprend qu’il s’est en effet retiré du projet, mais à l’audience, il soutient y être demeuré associé en tant qu’actionnaire de la société, cessant simplement d’en être l’un des deux administrateurs.

[157]     C’est la contradiction que le Juge doit trancher. Si Mennillo s’est retiré du projet, l’entreprise appartient tout entière à Rosati et il ne peut y prétendre à quelque part que ce soit. Si, au contraire, il y est toujours demeuré associé comme actionnaire d’Intramodal, il est bien fondé à réclamer la reconnaissance de ce droit.

[158]     La tâche du Juge est difficile, car il ne dispose d’aucun des documents que l’on s’attendrait à trouver dans une affaire de cette importance. Peut-être du fait que ce sont des amis qui se font confiance. Peut-être du fait que Mennillo semble entretenir une certaine aversion pour les écrits, qui laissent des traces; il explique toujours transiger en argent comptant :

« He [Rosati] asked me for cash, I gave him cash. The money was there… My company 147 [147488 Canada inc.] until about seven (7) years ago, I didn’t even take credit cards because my clients are not credit cards people, they are cash people. They come in a give me cash. I deposited so much money in the bank that they actually called me to ask me when I’m doing in my deposit because they need the money.

[159]     Leur association ne fait l’objet d’aucun écrit, ni contrat de société, ni convention entre actionnaires, ni quoi que ce soit.

[160]     De plus, les sommes importantes avancées par Mennillo le sont sans entente sur l’intérêt ni sur les modalités de remboursement. Et sans document : ni acte de prêt, ni chèque, ni accusé réception des sommes, ni résolution de la société prêteuse, ni de celles (Intramodal et Intralease) qui bénéficient de ces investissements.

[161]     La seule trace se trouve sur deux fiches d’un Rolodex[51] que Mennillo conserve sur son bureau. Rosati y a inscrit ses initiales, sur plusieurs lignes, vis-à-vis la date et le montant alors avancé.

[162]     La tâche du Juge est encore difficile du fait que la preuve est contradictoire, elle est même, selon mon collègue, « particulièrement enchevêtrée et nébuleuse ». L’instruction de l’affaire a duré sept jours. Voici un exemple de la complexité de l’enquête.

[163]     Généralement, lorsqu’un débat porte sur un prêt, le prêteur est bien identifié et il sait combien il a prêté, et à qui. Rien d’aussi simple ici.

[164]     Mennillo, interrogé au préalable sur le prêt, est pour le moins réticent. Il a « investi et non prêté ».

Q-        …you said you had lent money in two thousand and two (2002)…

Objection…You just said the word ”lent”. He [Mennillo] said the invested money.

Quelques lignes plus loin, on ne sait plus même si c’est un prêt ou un don (sic) :

Q-        Was your investment into the company done by your lending cash to the company?

A-         Why lending? I gave.

Q-        Gave?

A-         …I didn’t lend money, I gave…

[165]     Plus tard, Mennillo modifie sa requête pour mettre en doute l’existence d’un prêt en précisant :

7.   Whereas the Defendant has failed to produce any documents evidencing a loan agreement between the parties and there no prima facie evidence with respect to said loan agreement, its interest amortization rate, payments schedule or otherwise;

[166]     Quant au montant du prêt, Mennillo déclare d’abord ne pas savoir à combien il s’élève :

Q-        So, do you mean to tell me that you just put money into the company without knowing how much you were putting in and you didn’t keep a, if you will, a running tab of how much you were investing into the company?

A-         No, I didn’t know.

Q-        Didn’t know? Did you ever know?

A-         No.

Par la suite, contraint à produire son Rolodex, il admet avoir compilé les avances au fur et à mesure, pour un total de 440 000 $.

[167]     Quant à l’identité du prêteur, Mennillo explique l’avoir prêté à son ami :

A-         … When Mario would call me and say, I need [money]…

            Wherever I found it, I got it and I gave it to him.

Sans être en mesure de préciser si sa société 147488 était aussi prêteuse :

Q-        Where any of these investments into the company, were any of them made by 147488?

A-         Yes.

Q-        How much…

A-         I don’t know.

Q-        I don’t know.

[168]     À l’audience, il est contre-interrogé sur cette question d’un prêt personnel versus un prêt de sa société. Voici un extrait de sa déposition où il n’est pas facile à suivre, il « patine », sa crédibilité en subit le contrecoup :

Q-        So, in the deposition that you said that … you invested some money and 147 invested some money, that was wrong?

A-         No. it’s not. Sometimes the money wasn’t there when he asked for it and I gave him my personal money and then I recuperated it whatever, gave it back to the company, took it with the company. I mean, this is eight (8) years ago. Whatever I did, it’s done in my books. When I gave him the money, how I gave him the money is not why I’m here. I gave him four hundred and forty thousand dollars ($440,000.00). What I gave to him personally, I’m not going to say because I could have given it to him personally and I could have given it to him in the company but the company gave him the money because it was returned to the company. That’s who gave him the money.

Q-        The money was given long before it was returned. The money was given… it was given, lent long before it was paid back. I’m asking where the money was given. Who gave the money? In your testimony you said 147488 invested and you invested. How much did each of you invest?

A-         When I said 147 and me, I meant 147. I represent 147. I’m the President of the company.

Q-        Again…

A-         Okay, I don’t know why I said that but it’s 147 that invested money, not me.

Q-        So, 147 invested the money.

A-         That’s right.

Q-        You did not invest the money?

A-         No.

[169]     Quant à l’identité de l’emprunteur, le Rolodex porte les initiales de Rosati. Et tout indique que Rosati est l’emprunteur.

[170]     Mennillo considère son ami comme le débiteur. Il communique avec son avocat qui lui répond par lettre :

Further to our recent telephone conversation, here is my proposal :

(A)       An Agreement of Acknowledgment of Debt be signed between Mario Rosati and 147488 Canada Inc.; represented by Johnny Mennillo, wherein Mario Rosati acknowledges owing the sum of $850,000.00.

(B)       …

[171]     J’ajoute que le montant du remboursement est convenu entre Mennillo et Rosati, et ce, pour la totalité des sommes destinées à Intramodal et Intralease, sans intervention ni de l’une ni de l’autre de ces sociétés.

[172]     Il est vrai que le prêt est remboursé par Intramodal, ce qui ne contredit pas que Rosati soit l’emprunteur. De fait, il a lui-même investi les sommes empruntées dans les entreprises des sociétés et Intramodal le rembourse de son investissement en remboursant sa dette à Mennillo. C’est une délégation de paiement ou peut-être même une simple indication de paiement[52].

[173]     Confronté à cette situation, le Juge choisit ses mots pour constater :

[13]      La pièce D-5 est une pièce centrale dans la présente affaire.  Il s’agit de deux feuilles de papier sur lesquelles apparaissent deux périodes où des avances sont faites par Mennillo à Rosati.  Les avances de juin 2004 à novembre 2006 totalisent 300 000$, et celles de mai 2006 à octobre 2006 totalisent 140 000$.  Vis-à-vis chacune des lignes de ces avances, qui varient de 2 800$ à 30 000$, nous retrouvons la date (jour et mois) ainsi que les initiales de Rosati.  Au total 440 000 dollars sont avancés.  Aucun reçu n’est donné par Rosati ou Intramodal.

[14]      Rosati confirme que ses initiales permettent d’authentifier le montant  de l’avance et constituent la preuve de réception de cet argent liquide.  Sur la base de ce document, les parties reconnaissent donc que 440 000$ ont été avancés par Mennillo pour les fins de l’opération de Intramodal.  Mennillo soumet que ces sommes proviennent toutes de sa compagnie 147488 Canada inc. 

[15]      Ces avances seront entièrement remboursées de juillet 2006 au 7 décembre 2009.  Le remboursement se fera par chèque émis par Intramodal en paiement de fausses factures émises par 147488 Canada inc. pour des services de « consultation fees » ou « management fees ».  Le montant total versé par Intramodal à 147488 Canada inc. est de 690 000$, auquel montant doit être ajouté les taxes applicables.  Les factures, les dépôts bancaires et les chèques en relation avec ces avances ont été produits en liasse sous la pièce D-6 et P-6.

[174]     Tout de même, à la fin de son jugement, dans sa « Synthèse », le Juge conclut que « les sommes avancées par Mennillo découlent d’un prêt consenti par lui à Rosati ».

[175]     Malgré de nombreuses objections, l’instruction progresse et le Juge explique pourquoi il ne croit pas Mennillo et rejette sa version. Son argumentation est centrée sur trois événements majeurs :

-           le 1er, du 26 mai 2005;

-           le 2e, des 14 et 21 juillet 2007;

-           le 3e, à l’automne 2007.

Le 1er événement, du 25 mai 2005

[176]     Voici comment le Juge expose les versions contradictoires des parties :

Version de Mennillo

[23]      Quelques semaines avant le 25 mai, Rosati informe Mennillo que La Brasserie Labatt Ltée (ci-après : « Labatt »), désire consulter les livres de la compagnie de Intramodal et visiter ses locaux.  La présence de Mennillo à titre d’administrateur n’est pas bien vue à cause de ses activités dans le domaine des serres hydroponiques et la vente de produits du tabac.  Rosati demande à Mennillo de démissionner à titre d’administrateur le temps que Labatt fasse ses visites et examine les livres de la compagnie.

[24]      Mennillo situe cette visite des représentants de Labatt à une période où Intramodal acquiert des équipements importants de transport.  Mennillo accepte de démissionner avec promesse de se voir rétablir dans ses fonctions rapidement.  L’avocat de Rosati lui transmet le 25 mai 2005 (pièce P-8) le document de démission qu’il signe et retourne immédiatement.  

Version de Rosati

[25]      Rosati explique que depuis l’incorporation de Intramodal en juillet 2004, la confiance s’amenuise entre lui et Mennillo.  Selon Rosati, Mennillo s’est engagé à assumer le financement de Intramodal, incluant les garanties auprès des divers créanciers de Intramodal.

[26]      Les mois passant, Mennillo n’a plus confiance en Rosati.  Il ne croit pas que Rosati a la capacité pour mener à bien une entreprise.  Mennillo ne connaît pas les rouages de ce type de commerce.  Selon lui, Rosati n’est qu’un bon ami très drôle pour les sorties entre copains.  Il risque de perdre plus de 1 M$ dans cette société.  En définitive, Mennillo n’est plus confortable dans cette aventure. 

[27]      En conséquence, Mennillo ne désire plus garantir les créances de la future entreprise et il demande de ne plus être impliqué dans la société dont les opérations n’ont pas encore débuté.  Il veut démissionner à titre d’administrateur et ne plus être actionnaire.  Rosati est déçu.  Il demande à Mennillo de continuer de le financer.  Mennillo consent de lui avancer 300 000$.

[177]     J’ajouterais que la version de Mennillo « varie » entre son premier interrogatoire préalable et celui donné à l’audience. Au préalable, Mennillo explique : « I was mad because he took me off the Minute Book… ». Au procès, il restreint sa déclaration : « …I was bugging him for a while to put me back as a director », malgré qu’il admette que « there is no benefit really to me to be reinstituted as a director ».

[178]     Le Juge note cette variation dans la version de Mennillo, il écrit :

[63]      Mennillo est interrogé hors cour le 28 octobre 2010. Le procureur de Rosati s’est livré, en plaidoirie, à une analyse très minutieuse de cet interrogatoire. Nous ne reprendrons que les principaux éléments de cette analyse.

[64]      À quelques reprises, Mennillo mentionne qu’il a démissionné à titre d’actionnaire de Intramodal, cependant, il se corrige par la suite pour spécifier que cette démission n’était qu’à titre d’administrateur. (voir page 11 question 13 et page 135 question 467). [Renvois dans le jugement]

[179]     Mennillo prétend que Rosati a voulu retirer son nom de l’entreprise pour ne pas nuire aux relations de celle-ci avec Labatt. Il raconte :

Mario [Rosati] called me on the phone and told me that Labatt was coming to check the books. And since I’m not exactly the type of guy that he wants in the books for Labatt to ask what I did for a living, because I sell pipes, which is on the borderline of, you know, marijuana smoking and tobacco smoking, which they’re legal, but in a lot of people’s eyes they see what I do as not legal.

He asked me have my name removed and he’d put it back in a week. And, as you could see, I removed my name like he asked me and then a week later it was not put back in.

[180]     Le Juge ne croit pas Mennillo concernant ce motif de son retrait de l’entreprise. Il écrit :

[28]      Conclusion sur cet événement.  Certains faits ne peuvent être mis en doute :

•     Rosati, à l’époque où Mennillo démissionne comme administrateur de Intramodal (mai 2005), travaille toujours chez C...  Il ne sera congédié qu’en août 2005;

•     Intramodal n’a pas de local;

•     À cette date, Intramodal n’a pas acquis d’équipement de transport.  D’ailleurs, les avances substantielles de Mennillo à Rosati permettant ces acquisitions ne débuteront que le 1er septembre 2005 (voir pièce D-5);

•     Personne ne travaille pour Intramodal.

[29]      Le motif de retrait de Mennillo à titre d’administrateur ne peut être lié à la visite du local de Intramodal et l’examen des livres de la compagnie par les représentants de Labatt.  En effet, à cette date, Intramodal n’a pas pignon sur rue et ses activités débuteront en décembre 2005. […] Le motif avancé (visite et examen des livres de la compagnie par les représentants de Labatt) par Mennillo pour démissionner à titre d’administrateur de Intramodal est faux.

[181]     Le Juge ajoute un autre motif :

[29]      […] De plus, le retrait de Mennillo à titre d’administrateur ne le fait pas disparaître des livres de la compagnie où il est toujours inscrit à titre d’actionnaire. […]

[182]     Ce second motif est aussi convaincant. Si Mennillo demeure actionnaire, il ne disparaît nullement des livres de la société ni du registre public (le Cidreq) facilement accessible aux fournisseurs et aux clientes avec qui Intramodal fera affaire, dont Labatt.

[183]     Il y a aussi la lettre P-16 que le Juge cite, où il voit une confirmation de la version de Rosati :

[60]      Cette pièce P-16 est une lettre de Kaufman à Intramodal du 25 février 2010.  On y lit : [Les soulignements sont du Juge]

« After the second corporation was set up and operating, Labatt Breweries suddenly embraced the idea presented to you by my client and wanted to do business; however, you asked my client to resign from the company because of his connection with tobacco products, informing him that you would still be a 50% partner.

My client complied feeling secure of his relationship of 40 years with Mr. Mario Rosati and that he would receive his 50% share of the profits of the operations.

[…]

I have received instructions from my client to claim from you the sum of $1,000,000 in damages for ‘’selling’’ his idea and for failing to remit to him his share of the company Mr. Rosati started with him.  Unless the sum of $1,000,000 is received at my office by way of certified cheque or bank draft payable to the order of ‘’ME ISRAEL H. KAUFMAN, IN TRUST’’, I shall have no other alternative than to institute the appropriate legal proceedings against Intramodal Inc., IntraLease Inc., Mr. Mario Rosati and his family, Euroworld and Labatt Breweries, and finally bring the truth about these matters to light, and all parties shall be held responsible for all attendant costs. »

[61]      Kaufman soumet dans cette lettre que Rosati a requis la démission de Mennillo bien qu’il demeure partenaire et qu’il désire récupérer les profits qui découlent de ses droits d’actionnaire auxquels il a officiellement renoncé : « he would receive his 50% share of the profit of the operation. »  Cette situation est la résultante de la demande faite par Rosati afin d'obtenir la démission de Mennillo dans la société Intramodal.    Nous savons que cette demande a été faite au plus tard le 25 mai 2005, soit la date où il démissionne à titre d’administrateur de Intramodal (pièce P-8).

[62]      Cette lettre ne laisse aucun doute.  En donnant le mandat à Kaufman d’écrire cette mise en demeure, Mennillo met à jour la réalité.  Mennillo sait qu’il n’est plus actionnaire, et ce, depuis mai 2005, date où il a remis sa démission à titre d’administrateur. 

[184]     On peut différer d’opinion sur l’interprétation à donner au texte de cette lettre, mais celle du Juge ne me paraît pas « manifestement erronée », elle se défend même aisément. Mennillo réclame 1 M$, entre autres, « for failing to remit to him his share of the company ». On ne saurait réclamer quelque chose que l’on détient déjà. Sa réclamation implique qu’il n’est pas actionnaire d’Intramodal puisqu’il veut le devenir.

[185]     Revenons sur le début du texte :

After the second corporation was set up and operating, Labatt Breweries suddenly embraced the idea presented to you by my client and wanted to do business; however, you asked my client to resign from the company because of his connection with tobacco products…

[186]     On sait que, selon Mennillo, Rosati lui aurait demandé de se retirer à cause de Labatt, avant le 25 mai 2005. Or, « the second corporation », c'est-à-dire Intralease, n’apparaît que plus tard. Mennillo fait un premier prêt destiné à cette entreprise en mai 2006 et explique :

A-         « I knew Intra-Lease existed.

[…]

A-         He [Rosati] told me he was opening Intra-Lease. That’s why I gave him the money ».

[187]     Notons encore que Mennillo confirme s’être retiré de l’entreprise, encore que ce soit sous la promesse d’y être réintégré. Mais il ne fonde pas son action en oppression sur cette promesse qui n’aurait pas été tenue, mais bien sur le fait qu’il ne se serait jamais retiré d’Intramodal, qu’il en serait toujours demeuré actionnaire. Il se contredit.

[188]     Avant de passer au second événement de juillet 2007, je m’arrête à deux faits survenus en 2006.

En 2006

[189]     D’abord, en juillet 2006, alors que débute le remboursement de l’emprunt de Rosati. Le Juge écrit :

[35]      Les remboursements par Intramodal ont débuté en juillet 2006.  Depuis cette date, Mennillo et Rosati ont convenu que 147488 Canada inc. facture pour des services fictifs et les taxes sont ajoutées aux services facturés.  Intramodal fait des paiements par chèque.

Plus tard, Mennillo soutiendra que l’idée des fausses factures ne lui a été suggérée qu’en 2007.

[190]     Puis il y a deux documents d’août et septembre 2006 relatifs à une assurance sur la vie de Rosati[53]. Le Juge écrit :

[44]      […] Le premier est un questionnaire du 15 août 2006 soumis par l’assureur et complété par Rosati.  On y lit :

Assurance prêt

a)   Nom du créancier :                                         Johnny Mennillo

b)   Montant de l’avance :                                      500,000.00$

c)   L’assurance a-t-elle été demandée
par le créancier?                                             Oui

d)   Date de la demande d’avance :                      aucune inscription

e)   Expliquez comment le montant
demandé a été déterminé :                             pour l’équipement et frais

d’opération

[45]      Le second document est un courriel du 1er septembre 2006 rédigé par Serge Demers, courtier d’assurance.  Ce dernier confirme à une représentante de l’assureur ceci :

« Monsieur Mennillo n’est pas actionnaire de la compagnie, il est créancier, voir document de monsieur Rosati. »

[46]      La pièce D-7 établit que Rosati se croit, depuis le 15 août 2006, seul actionnaire et administrateur de Intramodal et Mennillo n’est que créancier.  Il diffuse cette information à des tiers (assureur et Demers).  Mennillo soumet qu’il n’a jamais vu ces documents (pièce D-7).

[191]     Ajoutons que c’est le courtier de Mennillo depuis plus de 20 ans qui fournit le questionnaire à Rosati et le fait parvenir à l’assureur en signalant un possible problème du fait que Mennillo n’est pas actionnaire.

[192]     Certes, Mennillo affirme ne pas avoir vu le questionnaire complété et ne pas avoir reçu de son courtier l’information de son statut de créancier et non d’actionnaire d’Intramodal. C’est bien probable.

[193]     Il n’en reste pas moins que Rosati agit ouvertement, en conformité avec sa version des faits, en révélant au propre courtier de Mennillo que ce dernier n’est pas actionnaire d’Intramodal. Le Juge pouvait prendre en considération ce fait pour évaluer la crédibilité de Rosati à la hausse.

Le 2e événement : les 14 et 21 juillet 2007

[194]     Là encore les versions diffèrent comme le note le Juge :

[30]      Le 14 juillet 2007, Mennillo, Rosati et un autre ami se retrouvent au restaurant Rib & Reef.  Rosati prend la note, soit plus de 400$.  Mennillo est fâché.  Il constate que Intramodal est devenue prospère.  Les fils de Rosati se baladent avec des autos neuves et le train de vie de Rosati est important.  Il se plaint qu’il ne reçoit rien de cette belle réussite.  La colère gronde.  Rosati suggère une rencontre pour régler le différend une semaine plus tard.

[31]      Le 21 juillet 2007, Mennillo et Rosati se rencontrent.  Mennillo demande d’être remboursé des sommes prêtées et veut sa part du gâteau.  Notons qu’à cette date, l’avance de 300 000$ a été complétée en novembre 2006, la seconde avance de 140 000$ a débuté en mai 2006 et a été complétée en octobre 2006.  Mennillo rejette une offre de céder ses actions à Rosati.

Version de Rosati

[32]      Après le souper au restaurant, Mennillo est malheureux de l’absence de rendement de son investissement de 440 000$ qui a permis le démarrage d’une entreprise lucrative.  Rosati fixe un rendez-vous afin de satisfaire son ami. 

[33]      Rosati calcule un rendement d’environ 10% par année sur le prêt et demande à Mennillo quel montant pourrait le satisfaire afin de mettre fin à leur dispute.

[34]      Mennillo fixe le montant à 150 000$.  La créance convenue entre les parties se calcule ainsi :

Capital prêté :                                                              440 000$

Intérêt de 10% et prime convenue :                            250 000$

Total :                                                                         690 000$

[35]      Les remboursements par Intramodal ont débuté en juillet 2006.  Depuis cette date, Mennillo et Rosati ont convenu que 147488 Canada inc. facture pour des services fictifs et les taxes sont ajoutées aux services facturés.  Intramodal fait des paiements par chèque.

[195]     Et il tranche :

[36]      Conclusion sur cet événement.  La version de Mennillo est peu crédible.  Intramodal rembourse les avances depuis près d’un an lorsque la controverse survient.  Si Mennillo était insatisfait du rendement de ses investissements à titre d’actionnaire  dans Intramodal, pourquoi ne demande-t-il pas le versement d’un dividende ou tout simplement son rachat?  Sans aborder la question relative au rendement du fait de son actionnariat, Mennillo convient d’un montant forfaitaire de 150 000$, le tout afin de fixer une prime.  Aucune lettre, aucun envoi par courriel ne sont échangés à ce sujet entre Mennillo et Rosati.

[196]     Dans sa déclaration sous serment du 28 février 2011, Rosati écrit que la « prime » de 150 000 $, versée en plus des 100 000 $ d’intérêts, est consentie « to settle any claim for any nature between Plaintiff or 147488 Canada Inc. and myself or Intramodal Inc. » Manifestement, le Juge l’a cru.

[197]     Si on comprend la logique de Mennillo, cette « prime » constituerait plutôt la part des bénéfices à laquelle il aurait droit comme actionnaire. Pourtant, aucun calcul des bénéfices de l’entreprise n’est discuté, aucun état financier ne lui est fourni. Sans compter qu’un paiement à ce titre impliquait aussi de partager les bénéfices à venir, ce dont il n’est nullement question.

[198]     La version de Rosati de payer pour mettre un point final à la frustration de Mennillo me paraît probable, car Rosati y a intérêt. En effet, il est dans une situation précaire, il doit toujours une somme importante à Mennillo sans modalités de remboursement convenues, l’autre peut donc tout exiger à demande, il vaut mieux se le concilier.

Le 3e événement : à l’automne 2007

[199]     Là encore les versions diffèrent. Le Juge écrit :

Version de Mennillo

[37]      Selon Mennillo, les rencontres qui débutent en octobre 2007 avec Papadimitriou ont pour but de fixer le prix pour le rachat de ses actions.  Papadimitriou témoigne en ce sens.  L’avocat de Mennillo, Me Israël Kaufman (ci-après : « Kaufman »), assiste à l’une de ces réunions et témoigne en ce sens.  Un conseiller fiscal retenu par Papadimitriou, monsieur Carzoli, assiste lui aussi à l’une des rencontres.

[38]      Aucune entente ne ressort de ces discussions.  Mennillo témoigne que c’est à l’occasion de ces réunions que ses conseillers lui suggèrent de recevoir le remboursement de ses avances (440 000$) par l’intermédiaire de factures dont les travaux sont fictifs. 

[39]      Papadimitriou aurait d’ailleurs suggéré que le capital dû (440 000$) soit majoré d’environ 35% puisque cette somme sera imposée entre les mains de 147488 Canada inc.  Le montant du remboursement doit donc être de 690 000$ afin que l’impôt sur le revenu ait un impact nul entre les mains de 147488 Canada inc.

Version de Rosati

[40]      Rosati se présente seul lors de ces rencontres.  Les négociations visent à augmenter le montant du remboursement déjà convenu en juillet 2007.  Afin de faire bénéficier à Mennillo de l’exemption de gain en capital, le spécialiste en fiscalité, monsieur Carzoli, suggère de corriger les livres de la compagnie de façon à ce que Mennillo reçoive 49 actions ordinaires et qu’il les vende à Rosati.  De cette façon, Mennillo bénéficie de l’exemption de gain en capital de 750 000$ et empoche les argents sans impact fiscal.  Rosati refuse.

[200]     Puis, il tranche :

[41]      Conclusion sur cet événement.  Afin de vérifier les diverses versions des faits, le Tribunal procèdera à l’analyse des pièces, de l’interrogatoire et des livres de la compagnie de Intramodal.  Cependant, le Tribunal constate que les avances sont remboursées depuis juillet 2006 par le système de factures fictives.  Il est donc faux de prétendre, suivant Mennillo, que ce sont ses professionnels qui lui ont conseillé cette façon de faire à l’occasion de ces rencontres à l’automne 2007.

[201]     Le Juge s’appuie aussi sur une lettre de l’avocat de Mennillo adressée à celui-ci :

[47]      Il s’agit d’une correspondance du 31 octobre 2007 de Kaufman à Mennillo.  On y lit :

« Further to our recent telephone conversation, here is my proposal:

(A)       An Agreement of Acknowledgment of Debt be signed between Mario Rosati and 147488 Canada inc., represented by Johnny Mennillo, wherein Mario Rosati acknowledges owing the sum of $850,000.00.

(B)       The terms of re-payment shall be as follows:

(i)         $250,000 payable at the execution of the Agreement of Acknowledgment of Debt;

(ii)        Monthly instalments of $10,000 for the next five (5) years, the first of which instalments shall be due and exigible thirty (30) after the execution of the Agreement, the whole without interest; »

[48]      Cette lettre fait suite à diverses rencontres et discussions avec le comptable de Mennillo.  Kaufman et Mennillo prétendent que la proposition décrite à cette lettre vise à mettre sur pied un financement grâce auquel Rosati peut acheter les actions de Mennillo.  Notons que cette lettre ne traite en rien du rachat des actions de Mennillo par Rosati.  S’il faut en croire cette version, Rosati devait recevoir 850 000$ financé par 147488 Canada inc. afin que Rosati ait le capital suffisant lui permettant de procéder au rachat des actions de Mennillo.

[49]      Les modalités de ce financement prévoient un remboursement de 250 000$ dès la signature de la reconnaissance de dette.  Si Rosati possède les fonds suffisant pour rembourser immédiatement 250 000$ à son prêteur 147488 Canada inc., pourquoi n’a-t-on pas prévu un paiement partiel de 250 000$ pour l’achat des actions et un financement de 600 000$?  Personne ne donne d’explication à ce sujet.

[202]     Il y a encore un autre écrit datant de la même période, un mémo du spécialiste en fiscalité Carzoli qui était présent aux réunions où la situation de Mennillo est discutée (voir le paragraphe [37] du jugement, ci-dessus cité).

[203]     Carzoli écrit dans son mémo, rédigé dans le cadre de ses échanges avec les avocat et comptable de Mennillo, qu’il a constaté que « The minutes book of the company indicates that the shares are owned by only one shareholder [Rosati].  The other shareholder [Mennillo] was only an investor in the company. »

[204]     Le Juge note avec raison que le comptable de Mennillo « passe totalement sous silence le résumé des faits que Carzoli fait [dans ce mémo], où il mentionne qu’il n’y a qu’un seul actionnaire dans Intramodal et que Mennillo n’est qu’un investisseur. »

[205]     Certes, il est possible que Carzoli se trompe, on verra que le livre des minutes d’Intramodal est mal tenu, sans aucune rigueur. Il n’en reste pas moins que Carzoli y constate que Rosati, comme il l’a toujours prétendu, est seul actionnaire. Et surtout, Carzoli transmet par écrit cette information au comptable de Mennillo pour discussion avec l’avocat de ce dernier concernant précisément les actions d’Intramodal.

[206]     On a vu ci-dessus que la même information avait été communiquée au courtier de Mennillo. Ici, ceux qui reçoivent l’information sont encore plus près de lui, dont son avocat qui est son mandataire. Il est improbable que Mennillo, comme il le prétendra, n’ait appris cette information qu’en 2010 alors que son courtier, son comptable et son avocat sont au courant depuis 2007.

[207]     D’ailleurs, le Juge note cette incohérence dans le témoignage de Mennillo concernant le moment où il prétend avoir appris qu’il n’est plus actionnaire d’Intramodal. Il le cite :

[65]      Mennillo témoigne sur sa réaction au moment où il apprend qu’il n’est plus actionnaire.  Il dit :

[…]

  A.       This is fun now, I called Mr. Kaufman to tell him that Mario Rosati just met me at my Smart Burger and gave me the last cheque and said I’m not getting no more payments. 

            So I called Mr. Kaufman and said, ‘’What the hell is going on?  How could he not give me no more payments?’’ Blah, blah, blah, blah, blah.

[…]

And when I called him he calls me a week later, maybe not even, three (3) or four (4) days later, he calls me on the phone at work and says, ‘’Mr. Mennillo,’’ he says, ‘’when did you remove yourself as a Shareholder?’’ And I said, ‘’I never removed myself as a Shareholder.’’ Bing. That’s …»

[66]      Mennillo prétend ici avoir été informé par Kaufman qu’il n’était plus actionnaire.   Cette information lui est soumise quelques jours après avoir reçu le dernier paiement de 40 000$ (pièce D-4) en date du 7 décembre 2009.

[67]      La requête introductive d’instance mentionne :

« 7.      Whereas this removal was only noticed by the Plaintiff’s corporate attorney during the winter of 2009; »

A son affidavit du 29 juillet 2010, Mennillo mentionne :

« 6.      That it is only on or around July 10th 2010 that my attorney discovered that I had been removed from the list of shareholders, after having received copy of the relevant Declarations; »

Mennillo jongle avec la date où on l’informe qu’il n’est plus actionnaire.  Une révélation si importante aurait dû normalement frapper Mennillo.

[208]     Les conclusions que le Juge retient de l’analyse de ces trois événements trouvent appui sur la preuve. J’ajouterai quelques mots sur les documents d’Intramodal et sur un argument de Mennillo développé à l’audience : être et ne pas être.

Les documents d’Intramodal

[209]     Peut-on attacher quelque poids aux documents de la société Intramodal? Bien peu à mon avis, et ce, parce qu’ils ont été rédigés sans aucune rigueur.

[210]     Certes, on trouve une déclaration au Cidreq pour l’année 2005, déposée le 24 mars 2006, où Mennillo est désigné comme actionnaire. C’est un point en sa faveur.

[211]     Par contre, on y trouve aussi une « déclaration modificative » déposée plus tôt, le 18 juillet 2005, qui précise que le seul actionnaire est Rosati et indique le « retrait » de Mennillo comme administrateur.

[212]     Rosati s’explique ainsi à ce sujet :

21.       THAT consequently on or about May 25, 2005 a Quebec Amending Declaration and Federal Amending Declaration Form 6 were filed with the respective government bodies reflecting the reality of the status of Plaintiff;

22.       THAT the Amending Declaration dated May 25, 2005 was forwarded to the Quebec Registraire des Entreprises and was duly registered and recorded on July 18, 2005;

[…]

30.       THAT subsequently the 2005 Year End Quebec Annual Declaration was sent to Intramodal Inc. still showing in error Plaintiff as a shareholder and not reflecting the Intramodal Inc. amending declaration filed on May 25, 2005 and recorded July 18, 2005;

31.       THAT by error and ignorance I signed the said 2005 Annual Declaration which showed Plaintiff as a shareholder and the wrong address of Intramodal Inc., not realizing the contents of the Declaration were wrong and assuming that it reflected myself as the sole shareholder and director;

[213]     Quant au livre des minutes, il ne porte aucune signature de Mennillo, ni à titre d’administrateur ni d’actionnaire. Manifestement, celui qui a rédigé ce document ne s’est nullement soucié de le compléter en bonne et due forme en y faisant intervenir les deux intéressés pour la période de juillet 2004 à mai 2005 inclusivement.

[214]     On y voit que Mennillo est nommé secrétaire de la société alors qu’il est désigné comme vice-président (v.p.) au Cidreq.

[215]     Peu surprenant alors si le fait que Mennillo cesse d’être actionnaire n’y est pas dûment enregistré et que le Juge n’y voit que « l’erreur ou l’oubli de la part de l’avocat de Rosati ». Ce n’est qu’une erreur additionnelle qu’il constate.

[216]     Manifestement, ni les parties ni leurs professionnels ne se souciaient des papiers et des formalités. C’est peut-être un réflexe conditionné lorsqu’on transige tout en cash.

[217]     Cette absence de toute signature de Mennillo fait dire à Rosati :

23.       THAT in fact Plaintiff had never offered to subscribe for and never subscribed for shares in Intramodal Inc., never participated in nor was present for nor signed the organizational minutes and resolutions of the shareholders and directors of Intramodal Inc.;

24.       THAT Intramodal Inc. never accepted any offer by Plaintiff to subscribe for shares of Intramodal Inc. and did not issue any shares of Intramodal Inc. to Plaintiff;

25.       THAT there was never any agreement as to the subscription of shares by Plaintiff;

26.       THAT there was never any agreement as to the percentage of shares that Plaintiff claims to be entitled to receive and to be issued to him by Intramodal Inc.;

27.       THAT Plaintiff admits that he does not know how the number of shares nor the consideration for such shares that were to be allegedly issued to him;

28.       THAT Plaintiff never paid for any shares in Intramodal Inc.;

29.       THAT Plaintiff never received any shares nor share certificates in Intramodal Inc. nor did he request same;

[218]     Certes, l’absence de signature du second administrateur de la société pour attester de l’adoption des règlements et résolutions de la société constitue une sérieuse lacune. Il en est de même de l’absence de signature de Mennillo sur la « notice of subscription » des actions.

[219]     Cette absence de documents dûment complétés et fiables oblige à chercher dans l’ensemble de la preuve, dont les dépositions, ce qui s’est réellement passé dans cette affaire, ce dont les parties ont vraiment convenu. Ce qui nous ramène à la question de crédibilité dont le Juge fait état dès le début de son analyse.

[220]     Dans le même ordre - ou désordre - d’idées, Rosati soutient que Mennillo n’a jamais été actionnaire parce qu’il n’a pas « versé son apport en contrepartie des actions émises », soit 49 actions ordinaires d’une valeur nominale de 1 $ chacune.

[221]      À mon avis, il est presque ridicule d’invoquer ce défaut d’un versement de 49 $ à Intramodal alors que Mennillo a avancé 440 000 $ à Rosati, destinés à Intramodal. On peut, et on doit, considérer les premiers 49 $ de cette somme comme le prix des actions.

[222]     De même, il n’est pas plus sérieux de prétendre que la cession de ses actions par Mennillo à Rosati n’a pas été complétée parce que ce dernier ne lui aurait pas versé 49 $, comme on l’a entendu en début d’audience devant nous. On peut, et on doit, considérer que le remboursement de 690 000 $, dont une prime de 150 000 $, comprend au moins les 49 $ pour le prix des actions.

[223]     Ce qui m’amène à l’argument de Mennillo développé à l’audience.

Être et ne pas être

[224]     Selon son avocat, Mennillo ne peut avoir été actionnaire et ne pas l’avoir été. Or, Rosati admet qu’il l’a été, donc c’est à lui de prouver qu’il a cessé de l’être. D’où la question des 49 $, ci-dessus traitée.

[225]     À mon avis, et c’est le seul point où j’ai un doute par rapport au jugement : peut-on conclure qu’il y a eu véritablement cession des actions de Mennillo à Rosati? Il me semble plutôt que, tout simplement, ils conviennent le 25 mai 2005 d’annuler rétroactivement leur entente d’association convenue au départ en 2004. L’entente avait été conclue sans aucun formalisme, de même son annulation.

[226]     Et en ce sens, on peut affirmer que Mennillo a été actionnaire d’Intramodal et qu’il ne l’a jamais été. C’est le cas dans tout contrat annulé ab initio (depuis le début). Le propriétaire d’un immeuble qui en demande l’annulation demeure propriétaire jusqu’au jugement, le lendemain il est réputé ne jamais l’avoir été. Si un contrat de mariage est annulé, ce n’en est pas moins un mariage putatif, et l’époux de bonne foi n’a jamais été marié, mais c’est tout comme, il (ou elle) bénéficie des effets du mariage.

[227]     Enfin, peu importe comment s’est effectué le retrait de Mennillo de l’entreprise le 25 mai 2005 puisque les intéressés n’ont pas jugé bon eux-mêmes de le préciser et d’y mettre les formes. Que ce soit par annulation de leur entente initiale ou par rachat d’actions, le fait est que seul Rosati est demeuré dans la société et, par la suite, il a développé son entreprise pour lui et les siens.

Conclusion

[228]     Plus je creuse cette affaire, plus je n’y vois que des questions de fait et de crédibilité, sans « erreur manifeste » de la part du juge, à mon humble avis.

[229]     Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

[230]     Je me permets de souhaiter que les autorités prennent connaissance de notre arrêt, car si ces messieurs se disputent âprement entre eux, ils semblent s’entendre comme larrons en foire à l’égard du fisc.

 

 

 

PAUL VÉZINA, J.C.A.

 



[1]     Mennillo c. Intramodal Inc., J.E. 2012-929, 2012 QCCS 1640 (« Jugement entrepris »).

[2]     Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. 1985, c. C-44 (« LCSA »), art. 241.

[3]     147488 Canada Inc.

[4]     Lettre de démission de Johnny Mennillo du 25 mai 2005, Pièce P-19.

[5]     Liste des factures/remboursements entre 147488 Canada Inc. et Intramodal Inc. Pièce D - 6.

[6]     Mise en demeure du 25 février 2010 écrite par Me Kaufman, Pièce P-16.

[7]     Rosati reconnaît que cette résolution a été signée par lui à une date qu’il ne peut préciser, mais, de toute façon, après le 25 juillet 2005.

[8]     Jugement entrepris, paragr. 2.

[9]     Jugement entrepris, paragr. 9.

[10]    Jugement entrepris, paragr. 74.

[11]    Art. 25(3) LCSA.

[12]    Art. 257 LCSA.

[13]    Paul Martel, La société par actions : Les aspects juridiques, Montréal, Wilson & Lafleur, 2014, paragr. 11-32, p. 11-11.

[14]    Art. 53d) LCSA.

[15]    Art. 60 LCSA.

[16]    André Morriset et Jean Turgeon, Droit des sociétés par actions, édition sur feuilles mobiles, Vol. 2, Brossard, CCH Ltée, 2013, paragr. 11-811, p. 1,195.12. Voir aussi Travel West (1987) Inc. v. Langdor Tower Apartment Ltd., [2002] 1 WWR 449-477 (C.A. Sask.).

[17]    Paul Martel, La société par actions : Les aspects juridiques, Montréal, Wilson & Lafleur, 2014, paragr. 16-112, p. 16-31.

[18]    Côté c. Côté, J.E. 2014-412, 2014 QCCA 388, paragr. 31.

[19]    Art. 64 LCSA.

[20]    Art. 76(1) LCSA.

[21]    Registre des procès-verbaux de la société Intramodal, Annexe 2 des statuts constitutifs de la société Intramodal et portant sur les restrictions au transfert d'actions, Pièce P-19.

[22]    Règlements de la compagnie, paragr. 133 (a) et (b).

[23]    Michel Perreault, L'examen d'un livre d'une société par actions, 2011, Wilson & Lafleur, Montréal, paragr. 695, p. 180.

[24]    Paul Martel, La société par actions : Les aspects juridiques, Montréal, Wilson & Lafleur, 2014, paragr. 25-66, p. 25-15. Voir aussi : Cloutier c. Dion, [1954] B.R. 595.

[25]    H.L. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 401, 2005 C.S.C. 25.

[26]    Prud'homme c. Prud'homme, [2002] 4 R.C.S. 663, 2002 CSC 85.

[27]    Intramodal a été constituée le 13 juillet 2004.

[28]    La preuve fait voir que tous les prêts consentis par une société contrôlée par Mennillo ont été remboursés par Intramodal et non par Rosati. Voir les documents intitulés : List and copies of invoices from 147488 Canada Inc. to Intramodal Inc. for consulting fees and list and copies of payment for same by Intramodal Inc. to Mr. Mennillo from July 3, 2006 to December 7, 2009, Pièce D-6. Voir aussi Pièce D-4, Cheque [d’Intramodal] #6514 to 147488 Canada Inc. bearing the notation « full and final payment ».

[29]    Voir facture de l’Association des générations pour 10 billets autorisant leur détenteur à participer au « Lunch aux homards de l’association… », Pièce D-9.

[30]    À la question suivante : « And were these only Labatt people that you took? » Rosati répond : « No, sir, I had representatives from six (6) or seven (7) companies, sir. ». Voir à ce sujet : Témoignage de Mario Rosati du 21 mars 2012, p. 146.

[31]    Voir pièce D-6, note 28.

[32]    Art. 2836 C.c.Q.

[33]    Voir Mr. Paolo Carzoli, Memorandum to Mr. Antoine Papas dated November 26th, 2007, Pièce D-3.

[34]    Jugement entrepris, paragr. 50. Au paragr. 51, le juge précise que : « "OPCO" correspond à Intramodal, "Shareholder A" correspond à Rosati et "Shareholder B" correspond à Mennillo ».

[35]    Jugement entrepris, paragr. 71.7.

[36]    Voir art. 118 LCSA.

[37]    Paul Martel, La société par actions : Les aspects juridiques, Montréal, Wilson & Lafleur, 2012, paragr. 31-483, p. 31-186 et suiv. Voir aussi, Greenberg c. Gruber, J.E. 2004-1180 (C.A.); Regroupement des marchands actionnaires inc. c. Métro inc., 2011 QCCS 2389, paragr. 375, 376. Voir également : Paul Martel, La société par actions : Les aspects juridiques, édition sur feuilles mobiles, vol. 1, Montréal, Wilson & Lafleur, octobre 2013, paragr. 31-481 à 31-487, p. 31-185 à 31-188.

[38]    Art. 2927 C.c.Q.

[39]    Paul Martel, La société par actions : Les aspects juridiques, Montréal, Wilson & Lafleur, 2012, paragr. 31-372, p. 31-148.

[40]    Art. 2803 al. 2 C.c.Q. Voir également : Jean-Claude Royer, La preuve civile, 3e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, paragr. 172, p. 110.

[41]    Registre des procès-verbaux, Résolution de l’actionnaire unique datée du 25 mai 2005, Pièce P-19.

[42]    Témoignage de Serge Demers du 8 mars 2012, p. 256.

[43]    Dufour c. Havrankova, 2012 QCCS 3208, paragr. 21, confirmé sur ce point par notre Cour dans Dufour c. Havrankova, 2013 QCCA 486, paragr. 1 : « Le point de départ de ces trois années se situe au moment où les principaux intéressés connaissent avec suffisamment de précision les reproches qu'elles adressent à certaines personnes dont elles connaissent l'identité et la nature des dommages que leurs faits et gestes leur ont causés » [je souligne].

[44]    Bazile c. Fonds d’Indemnisation en assurance de personne, [1999] R.J.Q. 1 (C.A.), REJB 1998-09393; Air Transat A.T. c. Taillefer, J.E. 2006-249 (C.A.), 2006 QCCA 18.

[45]    Voir paragr. [98] à [101] des présents motifs.

[46]    Mémo de Me Paolo Carzoli daté du 26 novembre 2007, Pièce P-14.

[47]    Supra, note 28, Chèque du 7 décembre 2009, Pièce D-4.

[48]    Paul Martel, La société par actions : Les aspects juridiques, Montréal, Wilson & Lafleur, 2012, paragr. 31-374, p. 31-149.

[49]    Conclusions de la requête réamendée en oppression du 20 mars 2012.

[50]     En vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. (1985), ch. C-44.

[51]     Une marque de commerce devenue un terme générique pour désigner un carnet d’adresses se présentant sous la forme d’un classeur rotatif, d’allure cylindrique, contenant des fiches sur lesquelles son utilisateur peut faire figurer les coordonnées de ses contacts, et monté sur un socle afin de pouvoir être installé de manière permanente sur un bureau. Wikipédia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Rolodex.

[52]     C.c.Q. :

      Art. 1667 La désignation par le débiteur d'une personne qui paiera à sa place ne constitue une délégation de paiement que si le délégué s'oblige personnellement au paiement envers le créancier délégataire; autrement, elle ne constitue qu'une simple indication de paiement.

C.c.Q. :

Art. 1667 Designation by a debtor of a person who is to pay in his place constitutes a delegation of payment only when the delegate obligates himself personally to the delegatee to make the payment; otherwise, it merely constitutes an indication of payment.

 

[53]     Il y a bien une mention « Signature de la seconde vie à assurer », mais aucune signature n’y a été apposée.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.