St-Onge c. Syndicat des employées et employés de métiers d'Hydro-Québec, section locale 1500 SCFP (FTQ) |
2008 QCCQ 6631 |
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTMAGNY |
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LOCALITÉ :MONTMAGNY « Chambre civile » |
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N° : |
300-32-000046-075 |
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DATE : |
24 juillet 2008 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
LINA BOND, J.C.Q. |
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DONALD ST-ONGE […] Cap-St-Ignace, (Québec) […] |
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demandeur |
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c. |
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SYNDICAT DES EMPLOYÉ (ES) DE MÉTIERS D’HYDRO-QUÉBEC, SECTION LOCALE 1500 SCFP (F.T.Q.) 5050, boul. des Gradins, bureau 200 Québec, (Québec) G2J 1P8 |
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défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] Le demandeur réclame 4,780.20 $ d’honoraires payés à son avocate pour faire valoir sa plainte à la Commission des relations du travail (CRT).
[2] La défenderesse nie devoir quelque somme que ce soit et plaide :
-La CRT n’impose pas à la défenderesse de payer les honoraires d’avocats encourus par le demandeur pour cette plainte;
-Le demandeur devait utiliser la procédure de révision prévue au Code du travail[1] pour obtenir une décision sur cette réclamation d’honoraires d’avocats;
-La Cour du Québec doit décliner juridiction, car le commissaire du travail détient une juridiction exclusive pour décider de cette réclamation;
-La défenderesse a payé les honoraires de 6,300.02 $ à l’avocate du demandeur en exécution de la décision de la CRT du 21 septembre 2006.
[3] En janvier 2006, le demandeur porte plainte contre son syndicat en invoquant un manquement à son devoir de représentation en vertu de l’article 47.2 du Code du travail[2] :
« 47.2. Une association accréditée ne doit pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire, ni faire preuve de négligence grave à l'endroit des salariés compris dans une unité de négociation qu'elle représente, peu importe qu'ils soient ses membres ou non. ».
[4] Le 21 septembre 2006, la CRT accueille la plainte et conclut que le syndicat a enfreint son obligation de représentation en se désistant d’un grief relatif à une entente concernant sa mise à la retraite du demandeur.
[5] La CRT autorise le demandeur à soumettre sa réclamation à un arbitre, comme s’il s’agissait d’un grief, et à se faire représenter par le procureur de son choix, aux frais de la défenderesse, en application des pouvoirs conférés par l’article 47.5 du Code du travail[3].
« 47.5. Si la Commission estime que l'association a contrevenu à l'article 47.2, elle peut autoriser le salarié à soumettre sa réclamation à un arbitre nommé par le ministre pour décision selon la convention collective comme s'il s'agissait d'un grief. Les articles 100 à 101.10 s'appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires. L'association paie les frais encourus par le salarié.
La Commission peut, en outre, rendre toute autre ordonnance qu'elle juge nécessaire dans les circonstances. ».
[6] La CRT ne se prononce pas sur la conclusion suivante formulée par le demandeur dans sa plainte :
« Condamne l’intimé à payer les frais encourus par le requérant pour les fins de la présente requête. »
[7] Après cette décision, le demandeur conclut avec son employeur une transaction et la défenderesse paie 6,300.02 $ à l’avocate du demandeur en exécution de la décision de la CRT
[8] Le demandeur réclame maintenant les honoraires de 4,780.20 $ payés à son avocate pour le représenter auprès de la CRT.
[9] La Cour du Québec, division des petites créances, a-t-elle juridiction pour décider de cette réclamation sur laquelle la CRT omet de se prononcer dans sa décision?
[10] Nul doute que la plainte logée par le demandeur contre son syndicat est de la compétence exclusive de la CRT, laquelle pouvait aussi ordonner le paiement des honoraires d’avocat encourus à l’étape de la plainte.
[11] Dans Métallurgistes unis d’Amérique, section locale 9414 c. Castonguay[4], la Cour d’appel déclare que la CRT a toute compétence pour ordonner au syndicat d’assumer le paiement des frais extrajudiciaires encourus par le salarié pour faire valoir sa plainte auprès de la CRT :
« [40] […] En effet, la CRT est chargée d'assurer l'application diligente et efficace du Code (art. 114 C.T.) et elle est investie du pouvoir de prononcer tout redressement approprié (art. 47.5 C.T.) et de rendre les ordonnances décrites aux articles 118 et 119 C.T. aux fins d'« assurer l'application diligente et efficace du Code du travail ». Je doute fort que les frontières que fixe le syllogisme civiliste en matière d'indemnisation, soit un préjudice causé à une victime, une faute et un lien de causalité entre cette faute et le préjudice, balisent l'exercice de ce vaste pouvoir de redressement.
[41] De plus, même si on applique les principes de responsabilité civile énoncés par la Cour dans l'arrêt Viel, précité, il demeure qu'exceptionnellement les frais extrajudiciaires engagés par l'autre partie pour la conduite du procès peuvent être indemnisés en cas d'abus du droit d'ester. En l'instance, tel semble être le cas, puisque la contestation de l'appelant devant la CRT semble indicative de mauvaise foi ou à tout le moins de témérité en défendant l'indéfendable, ce qui constitue une forme d'abus du droit d'ester (Royal Lepage commerciale inc. c. 109650 Canada Ltd, 2007 QCCA 915 ) . Je rappelle que la CRT a conclu que l'appelant avait commis une erreur grossière et inexcusable en refusant de référer le grief de l'intimé à l'arbitrage; comment alors expliquer la décision de contester la plainte subséquente de l'intimé. Dès lors, la CRT pouvait, sans commettre une erreur manifestement déraisonnable, conclure que l'appelant avait abusé de son droit d'ester en justice. Autrement dit, en raison de la nature particulière et du caractère de l'abus sur le fond, sa défense a acquis les attributs d'un abus du droit d'ester en justice. » (nos soulignements)
[12] Dans l’arrêt Syndicat des salariées et salariés de l’entrepôt D. Bertrand et fils Chicoutimi-CSN c. Boudreault[5], rendu peu après, la Cour d’appel réitère la compétence de la CRT d’ordonner le remboursement des honoraires extrajudiciaires payés au stade de la plainte, en vertu des vastes pouvoirs de redressement accordés par l’article 47.5 du Code du Travail[6].
[13] Puisque, dans le cas actuel, la CRT ne dit rien sur la conclusion réclamée dans la plainte, il ne peut y avoir chose jugée sur cette réclamation. Dans l’affaire Houle c. Gauthier[7], la Cour supérieure déclare :
« Le jugement qui omet de se prononcer sur l’une des conclusions d’une action, ne constitue pas chose jugée à cet égard. Ainsi, le jugement qui accueille une action en garantie, sans se prononcer sur la demande de dommages-intérêts qui accompagne cette action, laisse au demandeur en garantie le droit d’intenter une action pour les réclamer. »
[14] L’autorité de la chose jugée vise essentiellement le dispositif d’un jugement et s’étend aux motifs étroitement liés au dispositif et sûrement pas à une conclusion n’ayant jamais fait l’objet d’une décision formelle[8].
[15] Par conséquent, on ne peut prétendre que l’omission de se prononcer sur cette réclamation équivaut à un rejet implicite et le demandeur conserve son droit de demander le remboursement des honoraires extrajudiciaires.
[16] Le demandeur peut-il poursuivre directement le syndicat devant le Tribunal?
[17] Depuis l’unification du Code du travail[9], le législateur confie à la CRT tous les recours de nature civile alléguant un manquement par un syndicat à son devoir de représentation. Cette compétence de la CRT lui est exclusive.[10]
« Depuis le 1er janvier 2004, le Code du travail unifie auprès d’un seul forum, la CRT, l’exercice de tous les recours de nature civile alléguant un manquement par un syndicat à son devoir de représentation (art. 47.3, 114, al. 2 et 116, al. 2 C.t.). Cette compétence de la CRT lui est exclusive. C’est au niveau de la réparation, le cas échéant, qu’une distinction s’imposera selon l’occasion qui a donné lieu au manquement syndical. »
[18] Dans un arrêt récent[11], la Cour d’appel, tout en rappelant la compétence exclusive de la CRT à se prononcer sur un grief et sur une plainte en vertu de l’article 47.3 du Code du travail[12], reconnaît au salarié le droit d’exercer un recours en dommages-intérêts contre son syndicat s’il est victime de fautes graves l’empêchant de faire valoir ses droits contre son employeur. Dans ce cas, le syndicat avait incité l’employé à poursuivre un grief voué à l’échec parce que déposé tardivement, sans jamais l’informer ensuite des articles 47.2 et 47.3 du Code du travail[13], lesquels recours constituaient la procédure utile.
« [56] Ainsi, l'affirmation que l'on retrouve au paragraphe [28] que la plainte en vertu de l'article 47.3 constitue l'unique recours de l'appelant « contre son syndicat » me paraît constituer une mauvaise interprétation de cette disposition et une inférence erronée de l'opinion du juge Nuss dans l'affaire Duguay, lorsque remise dans la perspective des faits de ce dossier.
[57] L'article 47.3, comme la juge de première instance le reconnaît, a pour but de pallier, dans l'intérêt du salarié, à la représentation négligente du syndicat qui a entraîné le rejet de son grief et de permettre l'audition au mérite de sa plainte et réclamation contre l'employeur, comme s'il s'agissait du grief original, et ce, malgré l'erreur du syndicat. Il s'agit d'un recours fondamentalement dirigé contre l'employeur, à la suite de la négligence grave du syndicat, et non du recours contre le syndicat. Ces dispositions s'insèrent dans le cadre de la philosophie du Code du travail qui vise à soustraire des tribunaux les litiges découlant des relations du travail entre salariés et employeur ou entre salariés ou entre syndicat et employeur.
[…]
[78] […] je suis d'avis que la juge de première instance n'aurait pas dû conclure que le remède de l'article 47.3 du Code du travail, en lui-même, rendait irrecevable le recours civil, et qu'elle se devait d'analyser la preuve en regard des faits allégués pour déterminer s'ils engageaient, comme je le crois, la responsabilité civile de l'intimé et s'ils donnaient ouverture à une indemnisation de dommages réels, sur le fond. » (notre soulignement)
[19] Ici, les frais extrajudiciaires sont réclamés à titre de dommages-intérêts comme sanction à l’abus du syndicat du droit d’ester en justice, en contestant la plainte auprès de la CRT, et non comme sanction à son devoir de représentation.
[20] Puisqu’il s’agit d’un recours autonome et distinct fondé sur les règles de responsabilité civile, le Tribunal de droit commun conserve toujours juridiction pour en décider et la division des petites créances doit en être saisie, car il s’agit d’une réclamation visée par l’article 953 du Code de procédure civile.
« 953. Les sommes réclamées dans une demande portant sur une petite créance, c'est-à-dire:
a) une créance qui n'excède pas 7 000 $, sans tenir compte des intérêts;
b) qui est exigible par une personne, une société ou une association, en son nom et pour son compte personnels ou par un tuteur, un curateur ou un mandataire dans l'exécution du mandat donné en prévision de l'inaptitude du mandant ou par un autre administrateur du bien d'autrui;
ne peuvent être recouvrées en justice que suivant le présent livre.
[…] »
[21] Toutefois, le syndicat sera tenu de rembourser les honoraires d’avocat du demandeur seulement si la preuve révèle un abus de procédures[14].
[22] Dans sa décision, la CRT reproche aux représentants syndicaux d’avoir conclu à la tardiveté du grief malgré l’ambiguïté sur le point de départ du délai de prescription. Elle écrit :
« [42] Quant à la preuve sur la véritable question litigieuse, elle révèle que le Syndicat a traité le dossier du plaignant de façon sommaire et superficielle en faisant abstraction d’éléments pertinents et de l’importance du grief pour lui. Ce faisant, le Syndicat a franchi la limite de l’arbitraire, tel que cette notion est définie ci-haut.
[…]
[55] Ici, bien que l’objection préliminaire soumise par l’employeur soit sérieuse, il n’y a pas de certitude sur l’issue du grief car la date de « l’événement » au sens de la convention collective est incertaine. Du moins, un argument à opposer à l’employeur existe, mais le Syndicat ne l’a pas analysé ni même considéré alors que l’enjeu du grief était considérable.
[56] Enfin, la Commission constate que le plaignant a reporté son départ à la retraite dans l’attente d’une décision arbitrale sur son grief, soit pendant plus de cinq ans. Même si ce délai de soumission à l’arbitrage est normal selon les représentants syndicaux, ce fait aurait dû les inciter à une étude d’autant plus sérieuse et attentive avant de prendre position.
[57] Pour conclure, compte tenu de l’importance du grief pour le plaignant, c’est l’absence d’analyse complète et réfléchie des faits pertinents sur la question de la prescription du grief, qui convainc la Commission que le Syndicat, en s’en désistant, a agi de façon arbitraire à l’endroit du plaignant, et ce, à l’encontre de l’article 47.2 du Code du travail. La plainte est donc accueillie. » (nos soulignements)
[23] Auprès de la CRT, le syndicat conteste la plainte du salarié sans offrir d’autres explications, pour justifier sa décision, que « le délai est déterminant et les conséquences fatales ».
[24] Ainsi, l’employeur soulève la tardiveté du grief, peu de temps avant l’audience fixée, et le syndicat décide, spontanément, de se désister et ce, sans aucun examen préalable en dépit de l’ambiguïté quant à la computation du délai de prescription.
[25] Il s’avère que le représentant syndical choisit de retenir l’argument de l’employeur sans jamais évaluer les chances de succès des prétentions soulevées par le salarié.
[26] Dans ces circonstances, le Tribunal estime qu’en l’absence d’arguments à faire valoir pour soutenir sa prétention, la contestation du syndicat devant la CRT est abusive et : « […] semble indicative de mauvaise foi ou, à tout le moins, de témérité en défendant l’indéfendable, ce qui constitue d’abus du droit d’ester (Royal Lepage commerciale inc. c. 109650 Canada Ltd, 2007 QCCA 915 ). »[15]
[27] Le montant de 3,990.00 $ d’honoraires, facturé par l’avocate pour représenter le demandeur devant la CRT, couvre des services rendus du 1er décembre 2005 au 29 août 2006 incluant la rédaction de la plainte, l’audition à la CRT ainsi qu’une réouverture d’enquête réclamée par le syndicat mais refusée par la CRT.
[28] Ces honoraires sont raisonnables compte tenu du résultat obtenu et du temps consacré à cette affaire.
[29] Quant aux déboursés de 204.99 $ détaillés au compte, ce sont des frais de signification (28.85 $), photocopie (50.10 $), télécopie (112.00 $), frais de déplacement (14.04 $). Ils sont aussi convenables.
[30] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ;
[31] CONDAMNE la défenderesse à payer au demandeur la somme de 4,780.20 $ avec intérêts au taux de 5% l’an à compter du 3 avril 2007 et des frais judiciaires de 123.00 $.
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__________________________________ LINA BOND, (JB 2986) Juge à la Cour du Québec |
[1] L.R.Q., c. C-27
[2] Id.
[3] Id.
[4] J.E. 2008-145 (C.A.)
[5] B.E. 2008BE-656 (C.A.)
[6] L.R.Q., c. C-27
[7] [1998] R.R.A. 1063 (C.S.)
[8] ROYER, Jean-Claude, La preuve civile, 3ème édition, Éditions Yvon Blais inc., 2003, p. 567 et 568
[9] L.R.Q., c. C-27
[10] Droit du travail, Collection de droit 2007-2008, Volume 8, École du Barreau, Éditons Yvon Blais, 2007, p. 138
[11] Dupuis c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 130,
2008 QCCA 837
[12] L.R.Q., c. C-27
[13] Id.
[14] Viel c. Entreprises immobilières du terroir Ltée., [2002] R.J.Q. 1262 (C.A.)
[15] Métallurgistes unis d’Amérique, section locale 9114 c. Castonguay, J.E. 2008-145
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.