Immeubles Stageline inc. c. Distribution Tapico inc. |
2012 QCCS 6319 |
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JD-1879 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-068520-116 |
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DATE : |
Le 19 décembre 2012 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
WILBROD CLAUDE DÉCARIE, J.C.S. |
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IMMEUBLES STAGELINE INC. |
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Demanderesse |
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c. |
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DISTRIBUTION TAPICO INC. |
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Défenderesse-Requérante |
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c. |
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AVIVA ASSURANCES INC. |
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Défenderesse-Intimée |
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JUGEMENT |
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[1] Aviva Assurances inc. a-t-elle l’obligation de défendre Distribution Tapico inc. face à l’action intentée contre elles par Immeubles Stageline inc.?
I. CONTEXTE
[2] Le 29 octobre 2007, Stageline et Tapico concluent un contrat à forfait d’une valeur de 25 550 $[1]. Par cette entente, Tapico s’engage, entre autre chose, à installer des tuiles de tapis T-1 et T-2 (le tapis) dans la nouvelle bâtisse de Stageline. Les travaux de Tapico se limitent à la fourniture de l’adhésif et l’installation du tapis puisque celui-ci est fourni par Stageline.
[3] À la fin des travaux, celle-ci constate la présence d’une odeur anormale et irritante dans ses locaux laquelle persiste encore à ce jour.
[4] Le 15 juin 2010, Stageline retient les services du chimiste, Fred J. Ablenas, afin de déterminer la cause de ce problème qui affecte la qualité de l’air ambiant et incommode ses employés.
[5] Le 6 décembre, Ablenas remet son rapport[2]. Ses conclusions se lisent ainsi :
8.1 Il existe toujours une odeur anormale dans la bâtisse trois ans après sa construction et malgré l’utilisation de matériaux (de plancher) décrits comme ayant une faible odeur. Tant que le tapis sera en place, nous ne prévoyons pas une diminution de cette odeur anormale, inacceptable et de ses effets.
8.2 La présence de cette odeur est due à un vice d’installation du plancher. De toute évidence, des ingrédients du plancher (adhésif) ont subi une lente dégradation pour dégager des alcools gras à de très faibles concentrations dans l’air.
8.3 Bien que les alcools gras ne sont présents qu’à de très faibles concentrations (inférieures aux limites d’exposition recommandées), leurs concentrations continues sont suffisantes pour produire une odeur anormale et inacceptable.
8.4 Pour produire une qualité d’air acceptable dans les bureaux, il faut enlever le revêtement de plancher (enlever tout le tapis et tout résidu d’adhésif, égratigner la dalle pour exposer de nouveau une surface en béton nu) et le remplacer.
[6] Le 31 août 2011, Stageline, par l’entremise de son avocat, met en demeure Aviva et Tapico. Elle leur réclame 300 000 $ représentant le coût de remplacement du tapis ainsi que les dommages subis.
[7] Le 19 octobre, Stageline poursuit Aviva et Tapico. Les reproches qu’elle adresse à Tapico se retrouvent aux paragraphes 8 et 10 de la requête introductive d’instance précisée, lesquels se lisent comme suit :
8. L’expert retenu par la demanderesse pour tenter de découvrir l’origine de cette odeur conclut que :
cette odeur est due à un vice d’installation par la co-défenderesse soit l’utilisation d’un adhésif qui est incompatible aux exigences d’une bâtisse LEED en ce que cet adhésif utilisé pour coller le tapis en place comprenait des ingrédients qui produisaient une odeur caractéristique, anormale et non souhaitable dans une telle bâtisse LEED;
il existe encore à ce jour une telle odeur dans la bâtisse;
cette odeur persistera tant que le tapis sera en place;
pour retrouver une qualité d’air acceptable, il faut enlever et remplacer ledit tapis, tel qu’il appert dudit rapport d’expertise dénoncé comme Pièce P-4;
9. …
10. En effet, les défenderesses sont seules responsables des dommages subis par la demanderesse, plus particulièrement mais sans restreindre la généralité de ce qui précède en ce que :
a) Elles sont contractuellement responsables de tout vice d’installation, tel que précisé au paragraphe 8a) de la présente requête introductive d’instance, la défenderesse ayant été mandatée d’installer un revêtement (tapis) approprié pour une bâtisse LEED;
b) elles savaient et/ou auraient dû savoir qu’une telle installation était défectueuse, tel que précisé au paragraphe 8a) de la présente requête introductive d’instance, la défenderesse ayant été mandatée d’installer un revêtement (tapis) approprié pour une bâtisse LEED;
c) elles ont été négligentes et insouciantes pour la sécurité d’autrui sachant en plus que la demanderesse a fait construire une bâtisse LEED soit une bâtisse avec un système de ventilation bien contrôlée pour fins d’efficacité énergétique et de bien-être;
d) elles ont laissé perdurer une situation qu’elles savaient et/ou auraient dû savoir être potentiellement dangereuse.
[8] Le 6 décembre, Aviva informe Tapico qu’elle nie couverture et qu’elle refuse d’assumer sa défense[3]. Elle invoque que le dommage matériel ne résulte pas d’un sinistre tel que défini au contrat d’assurance et que la couverture d’assurances ne peut s’appliquer étant donné les exclusions I, H et K.
II. QUESTION EN LITIGE
[9] La seule question en litige est de décider si Aviva a l’obligation de défendre Tapico sur l’action intentée par Stageline contre cette dernière.
III. LE DROIT
[10] Dans une affaire récente Université de Montréal c. Desnoyers Mercure & Associés[4] monsieur le juge Payette énonce ainsi les principes qui doivent guider le Tribunal lorsqu’il a à décider d’une requête de type Wellington :
« [23] Les principes régissant l’obligation de défendre d’un assureur ont été énoncés et précisés à plusieurs reprises par la Cour suprême. Ces principes sont appliqués en droit québécois.
[24] La Cour suprême les a récemment repris avec concision dans Progressive Homes Ltd. c. Cie canadienne d’assurances générales Lombard :
[19] L’assureur est tenu d’opposer une défense si les actes de procédures énoncent des faits qui, s’ils se révélaient véridiques, exigeraient qu’il indemnise l’assuré relativement à la demande. Il n’est pas pertinent de savoir si les allégations contenues dans les actes de procédure peuvent être prouvées. Autrement dit, l’obligation de défendre ne dépend ni du fait que l’assuré soit réellement responsable ni du fait que l’assureur soit réellement tenu de l’indemniser. Ce qu’il faut, c’est la simple possibilité que la demande relève de la police d’assurance. Lorsqu’il ressort clairement que la demande ne relève pas de la portée de la police, soit parce qu’elle n’est pas visée par la protection initiale, soit en raison d’une clause d’exclusion, il n’y a pas d’obligation de se défendre.
[20] En examinant les actes de procédure pour déterminer si les demandes relèvent de la portée de la police, les parties au contrat d’assurance ne sont pas liées par la terminologie employée par le demandeur. L’utilisation ou l’absence d’un terme particulier ne sera pas déterminant quant à l’existence ou non d’une obligation de défendre. Ce qui compte, c’est la nature véritable ou le contenu de la demande.
[25] Quant aux principes d’interprétation des polices d’assurance, la Cour suprême précise que :
v lorsque le texte de la police n’est pas ambigu, le Tribunal doit l’interpréter en donnant effet à son libellé en le considérant dans son ensemble;
v en cas d’ambiguïté du libellé, les règles générales d’interprétation des contrats s’appliquent;
v à cet égard, on doit tenir compte des attentes raisonnables des parties et de l’interprétation faite par les tribunaux de polices d’assurance semblables;
v si ces règles ne permettent pas de dissiper l’ambiguïté, le texte de la police sera généralement interprété contre l’assureur.
[26] Après avoir rappelé que les dispositions concernant la protection reçoivent une interprétation large et les clauses d’exclusion une interprétation restrictive, la Cour souligne l’importance de procéder à une interprétation méthodique des polices d’assurance de responsabilité des entreprises (« Polices ARCE »).
[27] Ainsi, les tribunaux devraient d’abord déterminer la protection offerte par la police en litige puis en examiner les exclusions et enfin en étudier les exceptions. Un examen qui confondrait les trois est à proscrire. »
IV. ANALYSE
A) La protection
[11] Le chapitre 1 du contrat d’assurance intitulé Garanties énonce la protection accordée à Tapico en ces termes :
1. NOTRE ENGAGEMENT
(a) Nous paierons les sommes que l’assuré se verra tenu en droit de payer à titre de « dommages-intérêts compensatoires » pour tout « dommage corporel » ou tout « dommage matériel » visé par le présent contrat. Nous aurons le droit et l’obligation d’opposer, au nom de l’assuré, une défense contre toute « poursuite » visant à obtenir de tels « dommages-intérêts compensatoires ». Cependant, nous n’aurons aucune obligation d’opposer, au nom de l’assuré, une défense contre toute « poursuite » visant à obtenir des « dommages-intérêts compensatoires » pour un « dommage corporel » ou un « dommage matériel » non visé par le présent contrat. Nous pouvons, à notre discrétion, enquêter sur tout « sinistre » et régler toute réclamation ou « poursuite » susceptible d’en découler, sous réserve des conditions suivantes :
i) la somme que nous paierons au titre de « dommages-intérêts compensatoires » est limitée ainsi que le prévoit le Chapitre 3 - Les Limites de garantie;
ii) nos droits et obligations d’opposer une défense cessent dès l’épuisement du montant de garantie applicable par suite de l’exécution des jugements ou des règlements intervenus au titre des Garanties A ou B ou du paiement de frais médicaux au titre de la Garantie C.
Nulle autre obligation de payer des sommes, d’accomplir des actes ou de fournir des services ne découle du présent contrat à moins qu’elle ne soit stipulée expressément à la rubrique Garanties Supplémentaires - Garanties A, B et D.
[12] À l’audience Aviva a reconnu que le prétendu dommage résulte d’un « sinistre ». Par contre, elle soutient que la demande ne révèle pas une réclamation pour « dommage matériel » au sens de la police. Ce terme est ainsi défini au contrat :
8. « Dommage matériel »
(a) le dommage physique à un bien matériel, y compris la privation de jouissance qui en découle. Cette privation de jouissance est réputée survenir à la date à laquelle se produit le « sinistre » qui l’a causée;
(b) la perte de jouissance d’un bien matériel n’ayant subi aucun dommage, cette perte de jouissance étant réputée survenir à la date à laquelle se produit le « sinistre » qui l’a causée.
[13] Selon elle, la demande fait état d’un vice d’installation et non d’un « dommage matériel ». Le Tribunal n’est pas de cet avis. En l’espèce, l’on est en présence d’un « dommage physique à un bien matériel » qui entre dans la définition de « dommage matériel ».
[14] Pour remédier à un problème causé par l’adhésif fourni par Tapico et fabriqué par Mapei, il faudra enlever le tapis collé à la dalle de béton. Ce faisant, le tapis enlevé deviendra inutilisable et la dalle de béton endommagée par le résidu d’adhésif. Il faudra scarifier la dalle de béton pour exposer une surface de béton nue et propre à recevoir le nouvel adhésif et le nouveau tapis.
[15] De plus, le Tribunal considère qu’à la lumière de la demande et de l’expertise d’Ablenas, Aviva peut difficilement limiter le débat à un simple vice d’installation. Une lecture attentive du rapport d’expert[5] permet de constater que le problème est beaucoup plus complexe qu’une mauvaise installation de tapis. Ablenas retient l’explication qui suit comme étant la plus probable de ce problème d’odeur :
iii. la formulation de l’adhésif ne comprenait pas ces alcools mais elle comprenait des précurseurs qui se sont dégradés pour libérer ces alcools. Par exemple, un plastifiant à base d’ester en combinaison avec l’humidité (ambiante ou provenant de la dalle) et l’alcalinité (du béton) peut produire l’hydrolyse de l’ester (plastifiant) pour libérer l’alcool gras. La production de l’odeur est donc la conséquence de :
Ø La diffusion lente du plastifiant pour devenir en contact avec la surface du béton;
Ø La réaction d’hydrolyse (à la surface du béton) pour libérer l’alcool gras;
Ø La diffusion de l’alcool gras à travers la tuile de tapis pour produire la vapeur qu’on sent.
Étant donné l’utilisation des alcools gras dans les formulations des plastifiants et notre détection d’un tel plastifiant dans nos échantillons, nous sommes d’avis que la troisième hypothèse (ci-dessus) est l’explication la plus probable pour le problème d’odeur. Dans cette optique nous vous soulignons que :
a) les esters, comme l’adipate de dioctyl, sont sujets à se dégrader et à libérer l’alcool octylique par la réaction d’hydrolyse;
b) la combinaison d’un environnement alcalin (surface de la dalle de béton) et l’eau (l’humidité normale) favorise l’hydrolyse des esters;
c) l’adhésif a été posé directement sur une dalle de béton.
[16] L’on peut donc constater que la cause du problème découle d’avantage de l’utilisation de l’adhésif Ultrabond ECO 800, fabriqué par Mapei[6], que d’une installation fautive.
[17] Comme Stageline fait état de dommages au tapis, lequel doit être enlevé et détruit, cela rencontre le critère peu élevé auquel il faut satisfaire pour prouver que les actes de procédures révèlent une possibilité de « dommages matériels » pour décider qu’Aviva à une obligation de défendre.
B) Les exclusions
i) L’exclusion : I. « Vos travaux »
[18] Le contrat d’assurance comporte l’exclusion I. qui se lit comme suit :
« Sont exclus de la garantie :
(…)
I. VOS TRAVAUX
Le « dommage matériel » à la partie de « vos travaux » dont découle un « dommage matériel » dans la mesure où ils sont visés par le « risque produits/après travaux ».
La présente exclusion est sans effet si les travaux endommagés ou les travaux ayant donné lieu au dommage ont été exécutés pour votre compte par un sous-traitant. »
[19] Aviva prétend que cette exclusion doit s’appliquer.
[20] Le Tribunal n’est pas de cet avis puisque les travaux ont été exécutés par un sous-traitant de Tapico tel qu’il apparaît du paragraphe 6 de la requête introductive d’instance précisée :
[6] Dans ledit addenda D1, mentionné au paragraphe précédent, il y était clairement stipulé dans la section TAPIS À CARREAU que la co-défenderesse devait :
IL EST RECOMMANDÉ QUE LE SOUS-TRAITANT PRENNE CONNAISSANCE DU MODÈLE DE TAPIS (MOTIF, TYPE D’ENDOS, etc.) AVANT DE REMETTRE SA SOUMISSION AFIN DE PRÉVOIR LE TYPE DE POSE ADÉQUAT.
,tel qu’il le sera établi à l’enquête et tel qu’il appert desdits documents dénoncés en liasse comme Pièce P-3.
[21] De plus, ce fait semble admis par Aviva dans sa lettre de refus de couverture où il est écrit[7] :
« Dans la même veine, nous sommes conscients que le 2e paragraphe de l’exclusion i. crée une exception lorsque les travaux sont exécutés par un sous-entrepreneur. Or l’action n’en parle pas. »
[22] Ce qui n’est pas exact comme on l’a vu.
[23] D’autres écrits émanant de l’assureur laissent voir que celui-ci sait que les travaux ont été exécutés par un sous-traitant même si la requête introductive d’instance n’en fait pas mention selon lui. Aviva plaide cependant qu’il s’agit-là d’une preuve extrinsèque à la demande et aux pièces produites à son soutien. À ce titre, elle serait inadmissible.
[24] Dans l’arrêt Monenco Ltd. c. Commonwealth Insurance Co.[8]monsieur le juge Iacobucci écrit :
« Bien que ces principes soient utiles pour les fins de la présente affaire, la jurisprudence a jusqu’à maintenant laissé en suspens une question importante qui se pose en l’espèce, celle de savoir si une cour peut aller au-delà des actes de procédure et prendre en considération des éléments de preuve extrinsèques pour déterminer le « contenu » et la « nature véritable » d’une réclamation. Sans vouloir décider de la mesure dans laquelle une preuve extrinsèque peut être prise en considération, j’estime qu’il est possible de tenir compte de la preuve extrinsèque mentionnée explicitement dans les actes de procédure pour déterminer le contenu et la nature véritable des allégations et, ainsi, apprécier la nature et l’étendue de l’obligation de défendre d’un assureur. J’examine maintenant cette question. »
[25] Bien qu’en règle générale l’analyse de l’obligation de défendre d’un assureur se fait en examinant uniquement la requête introductive d’instance et les pièces à son soutien, est-ce à dire que toute autre preuve extrinsèque soit irrecevable? Le Tribunal ne le croit pas. Si tel était le cas cela pourrait, comme en l’instance, mener à l’injustice. En effet, les intérêts du demandeur et de l’assuré ne sont pas les mêmes. Ce que le demandeur doit alléguer à sa procédure n’est pas nécessairement compatible avec ce que l’assuré doit démontrer pour amener son assureur à assurer sa défense.
[26] Ici Stageline a conclu un contrat avec Tapico. Son lien de droit est avec cette dernière. Pour réussir sur son action elle n’est pas obligée de mentionner que les travaux ont été exécutés par un sous-traitant de Tapico. Par contre, ce fait revêt une grande importance pour celle-ci. Il lui permet d’écarter une exclusion invoquée par Aviva. Ce fait devrait-il être ignoré par le Tribunal parce qu’il ne se retrouve pas à l’acte de procédure bien qu’il soit connu de l’assureur? Le Tribunal, au risque de se répéter, ne le croit pas.
[27] Il ne s’agit pas ici d’accepter les théories avancées dans une défense produite au dossier comme dans l’affaire Compagnie d’assurances American Home et al. c. Groupe Ohmega Inc.[9], mais bien de la correspondance échangée entre l’assureur et son assuré. Le Tribunal croit que ce genre d’échange peut, dans certaines circonstances, être admis en preuve pour établir des faits, connus de l’assureur et non contestés par lui, permettant d’enclencher la garantie ou écarter une exclusion.
[28] Cette prise de position semble d’ailleurs être autorisée par le commentaire du juge Beauregard dans l’arrêt Axa Assurances inc. c. Les Habitations Claude Bouchard inc.[10] :
« [56] Il est évident qu’avant de décider s’il va assumer la défense de son assuré, l’assureur va prendre connaissance de la procédure introductive d’instance. Cette procédure peut comporter des allégations qui peuvent être farfelues et qui, si elles sont tenues pour avérées, permettent à l’assureur de refuser d’aider son assuré. Dans les circonstances il serait injuste pour celui-ci qu’il ne puisse pas, sans entrer dans un débat avec la partie demanderesse, produire une ou des déclarations assermentées pour démontrer au juge que, malgré les allégations de l’action, il a un droit apparent à ce que l’assureur assume sa défense et que la prépondérance des inconvénients joue en sa faveur. »
[29] Le courriel du 7 janvier 2011, du représentant d’Aviva, indique clairement que celle-ci sait que les travaux ont été exécutés par Entreprise Ducasse, le sous-traitant de Tapico, et que l’adhésif a été fabriqué par Mapei. Il se lit ainsi :
« Bonjour M. Couture
J’aimerais vérifier quelques points.
Qui a fait le test d’humidité du ciment avant l’installation du tapis. Tapico ou Entreprises Ducasse?
Avez-vous une copie du certificat d’assurance de Entreprise Ducasse pour la période 2007-08-09?
Pourriez-vous me transmettre la facture d’achat de la colle de MAPEI. »
[30] Le Tribunal estime qu’Aviva ne s’est pas déchargé de son fardeau de démontrer que l’exclusion « Vos travaux » s’applique de façon claire et non équivoque. Il existe une possibilité de protection et c’est suffisant.
ii) L’exclusion : H. « Votre produit »
[31] L’exclusion H. se lit ainsi :
« Sont exclus de la garantie :
(…)
H. VOTRE PRODUIT
Le « dommage matériel » à « votre produit » survenant du fait de tout ou partie de ceux-ci. »
[32] Au chapitre des définitions du contrat d’assurance l’expression « Votre produit » est définie ainsi :
32. « Votre produit »
(a) désigne :
(i) Les marchandises ou produits, autres que des biens immeubles, fabriqués, vendus, manutentionnés, distribués ou aliénés par :
(a) vous;
(b) des tiers faisant affaire sous votre nom;
(c) une personne physique ou morale dont vous avez acquis l’entreprise ou l’actif;
(ii) les contenants (autres que les véhicules), les matériaux, les pièces ou l’équipement fournis relativement à ces marchandises ou produits.
(b) s’entend notamment :
(i) des garanties données ou des déclarations faites à n’importe quel moment quant à l’aptitude à l’usage, à la qualité, à la durabilité, au rendement ou à l’utilisation de « votre produit »;
(ii) du fait de donner ou de ne pas donner des mises en garde ou des directives.
(c) Sont exclus les biens, notamment les machines distributrices, qui sans être vendus, dont donnés en location ou placés à des endroits pour l’usage d’autrui.
[33] Aviva plaide que puisque la colle et le tapis ne font maintenant plus qu’un, ce dernier est un produit de Tapico et l’exclusion doit s’appliquer.
[34] De l’avis du Tribunal ce que cette exclusion vise ce sont les dommages causés au produit fourni par l’assuré, ici la colle. Le tapis endommagé n’étant pas une marchandise fournie par Tapico au sens de la définition « votre produit » mais bien par Stageline, cette exclusion n’est fort probablement pas applicable.
[35] Le dossier ressemble suffisamment à l’affaire Université de Montréal pour autoriser le Tribunal à faire sien les propos qui suivent du juge Payette :
« [87] Il appartenait ici à Intact de démontrer que cette clause d'exclusion s'applique de façon claire et non équivoque à toute l'action intentée par l'Université.
[88] Or, ce n'est pas le cas.
[89] La Cour d'appel de l'Ontario, confrontée au même argument, concluait que si cette clause peut permettre d'exclure la protection initiale en faveur de l'assuré pour le remplacement de son produit, elle n'exclut par la protection pour les dommages corrélatifs à d'autres biens.
[90] En l'espèce, cela apparaît expressément du troisième paragraphe du texte de l'exclusion que l'on retrouve dans les polices excédentaires.
[91] De même, la Cour d'appel de Colombie-Britannique concluait récemment que cette exclusion ne s'applique pas à la perte subie en raison d'une défectuosité dans le produit de l'assuré.
[92] Contrairement à ce qu'Intact plaide, l'Université ne réclame pas le simple remplacement de la brique défectueuse. Elle demande les coûts de la démolition et de la reconstruction du mur endommagé, lequel n'est pas constitué que de briques.
[93] Ainsi, à supposer que le dommage à la brique elle-même provenant de sa défectuosité puisse être exclu, les dommages causés aux murs par la brique déficiente ou auxquels elle a contribué ne le sont pas. »
[36] En l’espèce, les dommages à la colle fournie pourraient peut-être tomber sous l’exclusion mais pas les dommages au tapis et à la dalle de béton.
[37] De l’avis du Tribunal, encore une fois, Aviva n’a pas réussi à démontrer que l’exclusion « Votre produit » s’applique de façon claire et sans équivoque.
iii) L’exclusion K. : « Rappel de produits, travaux ou biens défectueux »
[38] L’exclusion K. se lit comme il suit :
« Sont exclus de la garantie :
(…)
K. RAPPEL DE PRODUITS, TRAVAUX OU BIENS DÉFECTUEUX
Les « dommages-intérêts compensatoires » réclamés pour les pertes subies ou les dépenses ou frais engagés par vous ou par des tiers par suite de la privation de jouissance, du retrait, du rappel, de l’inspection, de la réparation, du remplacement, du réglage, de l’enlèvement ou de l’élimination :
(a) de « votre produit »;
(b) de « vos travaux »;
(c) de « biens défectueux »;
si ce produit, ces travaux ou ces biens sont retirés du marché ou repris à leur utilisateur à la demande de toute personne physique ou morale en raison d’un défaut, d’une lacune, d’une insuffisance ou d’un danger dont on connaît ou soupçonne l’existence. »
[39] Le Tribunal voit mal comment cette exclusion pourrait s’appliquer. Le produit fourni par Tapico et les travaux de pose du tapis fourni par Stageline n’ont pas été retirés du marché ou repris par cette dernière.
[40] Le Tribunal cède encore une fois la plume au juge Payette et fait sien ses propos dans l’affaire Université de Montréal :
[99] Il faut donner aux mots leur sens usuel. En l'espèce, les briques n'ont pas fait l'objet de rappel.
[100] Comme on peut le constater du texte de l'exclusion, cette dernière ne s'applique que si les produits ou le bien défectueux sont retirés du marché ou repris à leurs utilisateurs.
[101] Ici, les produits sont les briques fabriquées par Placements. Quant au bien défectueux, on pourrait prétendre qu'il s'agit des parements des murs extérieurs, encore que la définition de cette expression ne s'applique pas naturellement à un bien immobilier.
[102] Comme l'explique la Cour d'appel de l'Alberta, ce type de clause a pour objet de limiter la couverture lorsque, en raison de défaut dans certains produits d'un assuré, celui-ci retire des produits similaires du marché pour éviter qu'ils ne fassent eux-mêmes défaut. Ainsi, a priori, l'exclusion ne s'applique pas aux produits chez qui le défaut s'est effectivement manifesté, mais aux produits de même nature chez qui l'on craint qu'il ne se manifeste.
[103] De toute façon, rien dans les procédures ne permet de croire que les briques ont été retirées du marché. Quant au parement des murs extérieurs, il est évident que la notion de retrait du marché ne s'y applique tout simplement pas.
[104] Quant à savoir si la brique ou le bien défectueux a été repris à son utilisateur, il n'en est pas question non plus.
[105] La brique ne peut être reprise de son utilisateur. Elle a perdu son individualité. Elle est incorporée aux murs.
[106] Quant aux murs, ils ne sauraient être « repris » à leur utilisateur. Partant, l'exclusion ne s'y applique pas.
[107] De surcroît, en vertu de cette exclusion, le retrait du marché ou la reprise doit découler de « défauts, lacunes, dangers ou non-conformité à l'usage auquel le produit ou le bien défectueux est destiné ». Cette description correspond à la notion de perte purement économique discutée plus haut et s'oppose à la notion de « dommages matériels ». Ainsi, cette exclusion vise le retrait du marché ou la reprise de biens dont la valeur a diminué en raison de sa non-conformité sans toutefois être endommagés.
[108] Cette interprétation est conforme aux principes qui sous-tendent les Polices ARCE. Elle est aussi compatible avec les décisions Velan inc. et Lombard du Canada ltée c. Ezeflow inc.
[109] Enfin, si on acceptait l'argument d'Intact à l'effet que cette exclusion s'applique en l'espèce, il serait difficile de voir quelle différence il y aurait entre cette exclusion et l'exclusion « Votre produit ».
[41] En l’espèce la colle fournie ne peut être reprise à Stageline car elle a perdu son individualité en étant intimement liée au tapis et à la dalle de béton. Encore une fois, le Tribunal estime qu’Aviva n’a pas réussi à démontrer que cette exclusion s’applique de façon claire et sans équivoque.
V. CONCLUSION
[42] Le Tribunal croit que Tapico a démontré qu’il y a une possibilité de protection contre les dommages réclamés par Stageline et qu’en conséquence Aviva doit assumer sa défense.
[43] De plus, l’affaire présente suffisamment de similitudes avec les dossiers qui suivent pour que le même raisonnement s’appliquent : Carwald Concrete and Gravel Co. c. General Security Insurance Company of Canada and The Canadian Indemnity Co. (1985), 24 D.L.R. (4th) 58 (Alta C.A.) et Gulf Plastics Ltd. c. Cornhill Insurance Co. (1990), 47 B.C.L.R. (2d) 379 (S.C.).
POUR CES RAISONS, LE TRIBUNAL :
[44] ACCUEILLE la présente requête;
[45] ORDONNE à l’intimée Aviva Assurances inc. de prendre faits et cause pour la requérante Distribution Tapico inc. dans le cadre de la présente instance et d’en assumer sa défense à l’égard de la réclamation de la demanderesse;
[46] CONDAMNE l’intimée Aviva Assurances inc. à indemniser la requérante Distribution Tapico inc. pour tous les honoraires et frais judiciaires et extrajudiciaires encourus et à encourir par la requérante pour faire face à la réclamation de la demanderesse dans le cadre de la présente instance, jusqu’au jugement final à intervenir sur la présente requête;
[47] LE TOUT avec dépens.
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__________________________________ Wilbrod Claude Décarie, j.c.s. |
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Me François Marchand |
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DE GRANDPRÉ CHAIT |
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Procureur de la défenderesse/Requérante |
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Me Pierre Visockis |
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ROBINSON SHEPPARD SHAPIRO |
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Procureur de la défenderesse/Intimée |
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Date d’audience : |
Le 6 décembre 2012 |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.