O.D. et Comm. scolaire A |
2013 QCCLP 3830 |
______________________________________________________________________
______________________________________________________________________
Dossier : 463669
[1] Le 24 février 2012, madame O... D... (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), le 15 février 2012, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle rendue initialement le 21 novembre 2011 et déclare que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle le 7 juin 2011 alors qu’elle était à l’emploi de la Commission scolaire A (l’employeur).
Dossier : 503688
[3] Le 25 février 2013, la travailleuse dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue par la CSST, le 12 février 2013, à la suite d’une révision administrative.
[4] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue le 11 décembre 2012 et déclare que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle le 5 avril 2012.
[5] Une audience est tenue à Québec les 30 avril et 30 mai 2013, en présence des parties et de leur représentant. Le délibéré débute le 30 mai 2013.
L’OBJET DES CONTESTATIONS
Dossier : 463669
[6] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’elle a subi une lésion professionnelle le 7 juin 2011 en lien avec les diagnostics de trouble d’adaptation et d’état de stress post-traumatique.
Dossier : 503688
[7] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’elle a subi une lésion professionnelle le 5 avril 2012 en lien avec les mêmes diagnostics.
L’AVIS DES MEMBRES
[8] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs partagent le même avis et ils rejetteraient tous deux les requêtes de la travailleuse.
[9] Quant à l’événement de juillet 2011, le diagnostic de syndrome de stress post-traumatique doit être retenu comme liant au sens de l’article 224 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). Il ne peut cependant être relié aux événements allégués par la travailleuse en l’absence des critères médicaux à cet égard.
[10] Quant au trouble anxio-dépressif, les membres estiment qu’il n’y a pas de preuve d’un événement imprévu et soudain ou d’une juxtaposition d’événements qui sortent du cadre normal de travail en milieu scolaire.
[11] La perception de la travailleuse a fait en sorte que des événements normaux ont pris des proportions démesurées. La différence de vue quant aux méthodes d’enseignement ne constitue pas un événement imprévu et soudain. Aucune preuve prépondérante de relation n’a non plus été faite mais il est possible de constater que la travailleuse a de nombreuses conditions personnelles pouvant expliquer la survenance d’une lésion psychologique.
[12] Quant à l’événement d’avril 2012, on doit retenir le témoignage de monsieur J... T... plutôt que celui de la travailleuse parce qu’il est plus clair alors que la travailleuse est aux prises avec des problèmes de mémoire, selon certains éléments contenus au dossier. En conséquence, les événements rapportés par la travailleuse ne sont pas arrivés.
[13] De toute façon, même si monsieur J... T... avait fait une prise de tête à l’étudiant X, cela constituait un simple jeu et encore là, c’est la perception de la travailleuse de ces événements qui en a dénaturé la teneur.
[14] Il est difficile de comprendre comment un événement aussi grave que celui raconté par la travailleuse serait passé complètement inaperçu et n’aurait fait l’objet d’aucune divulgation par les étudiants ou autres intervenants. Même la travailleuse n’en a pas parlé avant un très long délai.
LES FAITS
[15] Le 14 septembre 2011, la travailleuse dépose une réclamation concernant un événement d’origine du 7 juin 2011. Elle y inscrit ce qui suit :
Suite à un arrêt de travail de près de 4 mois provoqué par 1 surcharge de travail, accident de travail antérieur (6 déc 2010) et climat/classe malsain. J’ai subi un retour au travail dans des conditions néfastes pour ma santé psychologique dues à des « propos que j’aurais tenus contre » l’enseignant avec qui je partage sa classe. La direction étant au courant ne m’a pas avisé de la situation. Aucune préparation de mon retour au travail reliée à l’impact de ce rapportage.
Technicienne en éducation spécialisée. [Sic]
[Leurs soulignements]
[16] Auparavant, le 6 décembre 2010, la travailleuse subit un accident du travail entraînant des problèmes à l’épaule gauche qui ne nécessitent pas, au début, d’absence. La travailleuse s’absente à compter du 15 février 2011 et est rémunérée par le régime d’assurance-salaire qui prévaut chez l’employeur. Elle effectue un retour progressif au travail à compter du 7 juin 2011.
[17] Le premier médecin à compléter une attestation est la docteure Chantal Bélanger, en date du 20 juin 2011. Elle diagnostique un trouble anxio-dépressif et un état de stress post-traumatique qu’elle indique comme étant secondaire à une situation pénible vécue au travail.
[18] Cependant, la travailleuse avait vu ce médecin dès le 13 juin 2011 et les notes consignées au dossier indiquent qu’elle «va moins bien» et qu’elle se trouve dans un «état de torpeur avec visions égodystones». Bien qu’elle soit heureuse au travail, elle se dit épuisée, fait des crises de larmes et est irritable. Il existe aussi un problème d’insomnie. Dès lors un trouble d’adaptation avec humeur mixte est diagnostiqué.
[19] Dans cette même semaine, les élèves visionnent un film comique et la travailleuse rit. Selon elle, l’enseignant J... T..., au contraire, la fixe sans rire, pendant tout le film.
[20] Le 17 juin 2011, la psychologue et neuropsychologue Geneviève Langlois rédige un rapport d’évaluation concernant la travailleuse en lien avec des symptômes de trouble de déficit de l’attention / hyperactivité (TDAH). Il est indiqué que la travailleuse veut consulter depuis longtemps à ce niveau :
Ainsi, madame remarque que depuis longtemps elle passe sa vie à faire du ménage et que cela est toujours à recommencer, elle remarque aussi qu’elle est souvent perdue au niveau de ses idées, elle prend des notes et égare fréquemment les papiers sur lesquels elle a pris des notes. Aussi, elle a toujours 56 projets dans sa tête et elle butine de tâches en tâches. Ainsi, après mûres réflexions, madame se demande si elle ne pourrait pas tirer bénéfice d’une évaluation cognitive et de voir s’il n’y aurait pas des moyens de développer des outils ou de meilleurs traitements, afin d’augmenter son niveau de fonctionnement global. Madame D... a donc été rencontrée à mon bureau le 6 juin 2011, afin de procéder à l’évaluation de ses habiletés cognitives et de compléter l’histoire clinique.
(…)
Au plan médical, selon les informations fournies par la cliente, madame a un diagnostic de syndrome de fatigue chronique ou encéphalomyalgie sévère (1996). Pour cette condition, madame prend de l’Aventyl. Elle ajoute que sans ce traitement, elle dormirait toute sa vie! (…) Au niveau psychologique, madame a des antécédents de burnout/dépression. Elle mentionne être passé à travers 3 burn-out depuis qu’elle est sur le marché du travail. Le dernier épisode remonte à l’hiver 2011. Madame serait présentement rétablie de cet épisode, elle est d’ailleurs â tenter un retour progressif au travail. Enfin, en lien avec les épisodes dépressifs, madame a consulté le PAE de son milieu et elle rapporte peu de bénéfices de cette avenue. Présentement, elle consulte madame Denise Savard, psychothérapeute en psycho-synthèse. Au plan des antécédents psychiatriques familiaux, notons qu’une sœur de madame présente un trouble de la personnalité limite et a fait quelques tentatives de suicide par le passé, cette même sœur a présenté un épisode de psychose et reçu un diagnostic de tdah.
[21] Une note du 20 juin indique que la travailleuse ne va pas bien et qu’il y aurait eu des propos négatifs prononcés contre elle. Elle se dit victime de violence psychologique.
[22] Le 22 juin 2011, la travailleuse écrit une lettre à monsieur J... T..., enseignant à l’École A et collègue de travail, lequel, selon cette dernière, serait à la source de ses problèmes.
[23] Il y a lieu de reproduire des extraits de cette lettre :
Je ne peux partir en vacances sans te laisser un mot. J’ai été bouleversée, anéantie serait plus juste, d’entendre les propos rapportés. Incapable de me reconnaître dans mes valeurs les plus fondamentales.
Je suis une personne intègre, fait d’un bloc, et très professionnelle. Je dis avec respect, diplomatie ma pensée. Tu n’as qu’à faire le bilan des mois passés ensemble en mettant en parenthèse les propos rapportés. (Quand dira-t-on) Déçue que tu aies pris comme véridiques ces propos sans les valider auprès de mois. Tu as été blessé aussi.
J’ai été blessée.
Tu as été blessé.
Je comprends mieux pourquoi me fuyait tant!
Tu aurais pu la stopper dans son rapportage ou me défendre. Avoir un doute peut-être. Vérifier l’authenticité.
Je suis d’une grande intolérance face à la violence sous toutes ses formes et c’est l’un des points sur lequel j’ai le plus travaillé quand je suis entrer dans la classe. Tu as bon cœur et incapable de voir derrière le rapportage. La motivation de celui qui rapporte.
« X a fait ceci… »
« Un autre a fait cela… »
On peut penser que ce sera un bel objectif à cibler si nous travaillons ensemble à l’automne.
Je suis en miettes détachées. Mais cela m’a permis de toucher à ma souffrance la plus profonde. Et ma valeur de vie est liée à cette souffrance. Je ne peux que remonter.
Je te souhaite un bel été. Si tu ressens le besoin de me parler je serai disponible après la mi-août. 843-4749.
Sans rancune et en te demandant pardon si toutefois une pensée, un mot de ma part lui a servi à ta blesser.
Einstein n’est pas responsable de la mort causé par la bombe atomique. [Sic]
[24] Au bas de la transcription dactylographiée de cette lettre, la travailleuse ajoute :
Le 22 au soir j’ai vécu ma première reviviscence en lien avec des souvenirs de violence familiale. La crise a durée entre une heure ou deux.
Deuxième crise alors que je suis au volant de ma voiture sur l’heure du midi en lien avec le même souvenir.
J’appelle en urgence ma psychothérapeute, Denise Savard, qui entend ma détresse, ma douleur, ma terreur…
D’autres reviviscences se sont manifestées depuis en lien avec des épisodes plus récents de ma vie. [Sic]
[25] Dans un autre document, la travailleuse ajoute notamment ce qui suit :
P.S. Je tiens aussi à mentionner que j’étais sur un nuage malgré toutes les difficultés rencontrées concernant l’attitude de cet enseignant. Je voyais ça comme de beaux défis à relever. Je me pinçais à chaque jour pour me dire : « Je suis payée pour faire ce que j’aime le plus au monde! ». Je le répétais très souvent à Julie, l’autre TES.
J’ai supporté, encouragé, protégé, aidé comme il n’est pas possible de faire… cet enseignant. Ménage, atmosphère classe où tous les rapportages étaient entendus et punissait systématiquement celui qui était rapporté sans questionnement sur la motivation du rapporteur, la gravité du délit… Les rapporteurs étaient encouragés. Après le ménage, climat/classe! Système de renforçateurs sur leurs bons coups rapidement mis en place.
Quant il m’exprimait son dérangement face à certains jeunes, je lui faisais voir ce qu’il y avait derrière l’attitude (le masque), le besoin du jeune qui criait derrière! Bref, j’étais hyper-motivée.
Très respectueuse et considérant la personne comme une entité précieuse, c’est d’ailleurs une force chez moi : comment dire sans que l’autre se sente menacé, jugé, blessé.
Tout est dans le lien et dans le regard que l’on porte à l’autre. J’ai eu des différents avec l’équipe de travail. Demandez-leur comment j’ai procédé. Je prends mon temps, respecte les étapes… Mais je lâche pas!
Mon travail est une passion. Un sens à la vie : aimer!
J’ai cherché comment faire pour aider cet enseignant comme intervenant, pédagogue sans succès. Je réalise que ce « devoir » ne m’appartient pas.
(Le tribunal souligne.)
[26] Le 30 août 2011, la docteure Bélanger complète un rapport dans lequel elle indique à l’Axe IV des stresseurs familiaux et de la violence psychologique au travail.
[27] Le 21 septembre 2011, il est question dans une note médicale de réviviscence.
[28] Le 14 octobre 2011, l’employeur produit des commentaires à la réclamation de la travailleuse. Est jointe à ce document la déclaration de la directrice adjointe de l’École secondaire A, madame A... S... :
Au début du mois de juin 2011, M. J... T..., enseignant, vient me voir pour me mentionner qu’il anticipe le retour au travail d’O... D..., technicienne en éducation spécialisée. J... me dit que sa stagiaire lui aurait raconté des propos tenus par O... le concernant. Il se dit blessé de ces propos et questionne le fait de pouvoir travailler à nouveau en équipe avec elle. Je discute de la situation ainsi que des pistes de solutions avec J.... Je lui offre de faire une rencontre à trois, O..., lui-même et moi. Il préfère observer comment les choses vont aller et dit qu’il me tiendra au courant. Il demeure ouvert à une rencontre éventuelle.
Mardi 7 juin 2011 : retour au travail d’O... en retour progressif.
Semaine du 13 juin (retour progressif d’O... à 2 jours/semaine) :
Après avoir eu une discussion avec J..., O... vient me rencontrer pour me raconter tout ce que la stagiaire aurait rapporté à J.... Elle nie avoir tenu ces propos. Je lui propose une rencontre avec J... et moi pour faire état de la situation. On convient qu’on se verra la semaine suivante (soit la semaine du 20 juin 2011).
O... vient me rencontrer le vendredi 17 juin 2011 et me rapporte les mêmes faits de notre dernière discussion. Elle me dit qu’elle est bouleversée face à la situation, notre rencontre dure 50 minutes. Elle pleure durant cette rencontre et semble nerveuse. J’essaie de trouver des pistes de solution avec elle et je lui offre mon support. Elle me remercie pour mon humanité et mon écoute.
Elle quitte mon bureau vers 11h30. Elle me rappelle à 12h10. Elle se dite encore plus bouleversée que lorsqu’elle est partie de mon bureau. On discute une vingtaine de minutes des mêmes choses que nous avions discutées quelques minutes plus tôt.
J’ai été informée de l’arrêt de travail à temps complet de O... dans la semaine du 20 juin 2011.
[29] Le 20 octobre 2011, la travailleuse produit une version des faits à la demande de la CSST :
À madame V... B...,
En résumé ce fut un retour progressif manqué qui aurait pu être évité selon moi. Ce retour manqué m’a plongé dans un état de détresse post-traumatique.
Il aurait pu être évité car j’étais la seule à ne pas connaître ce qui s’était passé lors de mon absence maladie. Incapable d’associer ou de me protéger des non-dits qui exprimaient leurs jugements.
Ma stagiaire aurait rapporté à l’enseignant des choses que j’aurais dites contre lui, sa femme et ses enfants.
Cet enseignant avait confié à la direction ces propos rapportés. Que ces propos l’avaient bouleversés et que cela l’avait empêché de dormir quelques nuits. Que le lien de confiance était rompu avec moi.
Le drame : Qu’a fait ma direction pour aider cet enseignant à garder le cap et mettre un bémol n’étant pas là pour me « défendre » ou de mettre en perspective ces propos.
Que des propos dits dans d’autres mots, contexte et motivation pouvaient en changer tout le sens.
Considérant que ma direction savait une partie des raisons de mon absence en lien avec l’attitude négative et cet enseignant.
Que cet attitude négative avait été observée par la psychologue de l’école, Élaine Côté, qui refusait une évaluation en pédopsychiatrie pour un jeune par éthique professionnelle sachant que le problème relevait de cette attitude négative de cet enseignant à l’endroit de ce jeune et ce, depuis son arrivée l’an dernier. Qu’elle n’en avait pas parlé à la direction car elle ne croyait pas en quoi cela pouvait changer quelque chose.
Comment se fait-il que ne je sois pas prévenue de la controverse sachant combien ces propos avaient affectés cet enseignant dans son jugement vis-à-vis moi?
Comment se fait-il qu’il n’y a eu aucune rencontre de prévue avec cet enseignant et ma stagiaire pour dénouer « la crise »?
Dès ma première demi-journée au retour à la maison j’étais en larmes… Ne comprenant pas ma réaction puisque j’aime beaucoup cette clientèle et mon travail.
À la 3ième demi-journée à mon retour je suis tombée dans un état de torpeur avec des idées suicidaires.
J’ai appelé info-santé et adressé un e-mail à ma neuro-psychologue, Geneviève Langlois, qui me conseillaient fortement de retourner voir mon médecin.
N’ayant aucune « nourriture » qui expliquait mon étant, mon médecin Chantal Bélanger, décide alors de poursuivre mon retour progressif. Je lui disais que je n’y comprenais rien que j’aimais mon travail, ces jeunes.
Lors de ma 2ième semaine, ma directrice, Jo... Bi..., m’invite à entrer dans son bureau voyant mon émotivité à la question comment allait mon retour progressif. Étant en larmes, elle me prend alors par les épaules me disant qu’on allait faire un retour à l’automne de tout ça. Que ça ne servait à rien de remuer cela à ce temps-ci de l’année…Je ne savais pas de quoi elle parlait!
C’est seulement alors que je demande de rencontrer cet enseignant à la 6ième demi-journée qu’il me dit que je suis une excellente technicienne mais que les propos qu’il a entendu de ma stagiaire le concernant, des propos contre ses enfants, sa femme.. Que le lien de confiance était rompu. Sans en ajouté davantage qu’il devait partir. J’étais en larmes, en miettes, un cauchemar vivant.
C’est seulement à ce moment que j’ai compris, réévalué leur attitude à mon égard.
Là je revoyais ma stagiaire sursauté dès que je m’adressais à elle. Je devais m’y reprendre pour avoir son attention. Elle m’évitait +++. Elle faisait le tour de moi comme si pouvais l’électrocuter! Je revoyais cet enseignant me fixer pendant toute la durée d’une comédie, film rapporté de chez lui, pour les jeunes. Aucun sourire. Rien. Malgré mes fous rire que je voulais partager avec lui. Niet. De marbre.
En fait, par mécanisme de protection, j’ai du occulter bien des détails qui m’auraient éclairer, éclairer et expliquer à mon médecin la détérioration de mon état.
Quand je suis au travail je suis concentrée sur ce que j’ai à faire et mes jeunes.
J’ai aussi demandé à cet enseignant pourquoi il n’avait pas jugé important de régler cela dès mon retour au lieu de me faire subir son non-verbal! Aucune réponse.
Après les larmes, ma colère! Je suis allée voir ma direction, A..., qui confirmait qu’elle était au courant. Je n’en croyais pas mes oreilles.
« Oui, c’est vrai quand on y pense.. Des choses dites dans un contexte différent » Elle est jeune… C’était en fait banal pour eux. Qu’elle organiserait une rencontre si possible.
Dans la même fin de semaine j’ai appelé A... et Jo... Bi... pour leur faire part de ma colère! J’aurais donné une mise en demeure à ma stagiaire pour diffamation, atteinte à la réputation! Mme Bi... me répond que c’est peut-être mon enseignant qui a mal interprété les propos, que je ne pourrais pas lui envoyer une mise en demeure puisqu’il n’y a pas de témoin. Que la rencontre se ferait sans elle.
« … Tu vas entendre ce qu’il a à dire.. Tu vas pleurer et on va pouvoir passer à autre chose! ». À 3 jours de la fin des classe. On peut penser qu’à ses propos, le rapportage et le message qu’il véhiculait a été acheté car jamais on ne m’y aurait laisser seule, dans ce « silence entendu ».
J’étais en miettes détachées. Il va marcher dessus en plus!
Je n’étais rien, rejetée car non-défendu ou protégée d’aucune manière.
La dignité d’une personne ça se protège.
J’étais incapable de défendre la mienne par ces 2 semaines de retour progressif où je vivais dans un environnement malsain, de non-dits, jugée par les propos d’une stagiaire qui me connaissait depuis 16 jours à peu près, dans un état où j’ai été retiré, malade et dû être en convalescence pendant 4 mois!
Je ressens une grande colère, une injustice innommable, l’impact de ce retour manqué sur ma santé et ma qualité de vie. J’ai vécu des épisodes post-traumatiques, des reviviscences d’une souffrance inqualifiable. [Sic]
[30] Le 3 novembre 2011, la directrice adjointe S... répond ce qui suit :
Suite au propos de Mme D... du 20 octobre dernier, je tiens à préciser quelques éléments :
¡ O... m’avait fait part qu’elle trouvait que l’enseignant cité dans sa lettre de commentaires avait des faiblesses concernant la pédagogie. Jamais je ne l’ai entendu dire qu’il avait une attitude négative.
¡ Élaine Côté, la psychologue de l’école m’a informé n’avoir jamais observé d’attitude négative de la part de l’enseignant. Les dires d’Élaine ont simplement porté sur les propos d’O... et de son interprétation des faits. L’élève dont on parle est présentement en évaluation pédopsychiatrique, donc la demande d’évaluation n’a pas été refusée.
¡ Dans la semaine du 13 juin 2011, lorsque j’ai suggéré à Mme D... une rencontre avec elle, l’enseignant et moi, je lui ai spécifié que nous devions mettre les choses au clair avant la fin de l’année scolaire de sorte qu’elle sache à quoi s’en tenir avant le choix des tâches de TES de la commission scolaire du mois d’août 2011 (rependre la même tâche avec cet enseignant ou choisir une autre tâche). Ainsi, elle pourrait peser les pours et les contres pour faire un choix éclairé au mois d’août. Je lui ai également rappelé qu’elle était l’éducatrice et que le volet pédagogique appartient à l’enseignant. [Sic]
[31] Le 31 janvier 2012, la travailleuse rencontre le docteur Bruno T. Laplante, psychiatre, à la demande de l’employeur. Il y a lieu de reproduire des extraits de cette expertise :
Historique des événements
Toutefois, mentionnons qu’elle avait présenté un arrêt de travail antérieurement le 14 février 2011. En effet, elle s’était absentée avec un diagnostic de trouble d’adaptation de la mi-février à la mi-juin 2011, environ. Puis elle avait effectué un retour au travail progressif qui a été difficile. Il s’agit essentiellement de la même problématique qui a fait en sorte que Mme D... a présenté un 1er arrêt de travail et par la suite un 2e arrêt de travail. Cependant il y a une condition personnelle préexistante assez importante.
Madame mentionne qu’elle avait été témoin d’un comportement inacceptable de la part d’une de ses sœurs. Cette sœur a un conjoint qui a des enfants et la sœur de Mme D... n’aime pas les enfants du conjoint et elle ne les traite pas adéquatement. Madame a fait une plainte à la DPJ concernant sa sœur. Cette plainte n’a pas été retenue mais toute la famille a su, semble-t-il, que c’était elle qui avait fait la plainte et subséquemment il y a eu des difficultés importantes. À la période des Fêtes 2010-11, Mme D... a été mise en quelque sorte de côté surtout par ses sœurs mais moins par ses frères.
(…)
En effet, le professeur avait un comportement qui lui rappelait celui de sa sœur. Quant il n’aimait pas un élève, il n’était pas à l’écoute et il ne faisait rien pour lui. Madame s’’est senti mal et c’est dans ces circonstances qu’elle a été mise en arrêt de travail la 1ère fois. Pendant qu’elle était en arrêt de travail, la stagiaire aurait répété au professeur certains propos que Mme D... aurait tenus. Bref, le professeur a entendu dire que Mme D... l’avait critiqué ou qu’elle n’était pas d’accord avec lui. C’est la raison pour laquelle le retour au travail a été difficile. Le professeur a rencontré Mme D... et lui a dit qu’il n’avait plus confiance en elle et que le lien de confiance était brisé. Madame est devenue en colère face à cette situation. Elle est convaincue que l’employeur savait que l’enseignant avait été mis au courant et ses supérieurs n’auraient rien fait pour faciliter le retour au travail de Mme D....
Elle dit qu’elle était découragée et c’est dans ce contexte qu’elle a été mise en arrêt de travail.
Les symptômes qu’elle a présentés étaient anxieux et il y avait aussi beaucoup de colère. Madame mentionne qu’elle a commencé à présenter des flash-back non pas des flash-back de ce qui s’était passé à l’école mais plutôt des flash-back de ce qui s’était passé antérieurement dans sa vie.
Elle a fait un voyage qui a été assez difficile puis elle a commencé à s’améliorer un peu. Elle mentionne qu’elle était moins pire en octobre 2011 mais en décembre 2011, parce ce c’était la période des Fêtes et parce qu’elle a été encore une fois confrontée avec la famille, cela a été difficile. Actuellement, en janvier 2012, elle dit qu’elle demanderait à son médecin une « lobotomie ».
(…)
Elle dit qu’elle a vécu des périodes difficiles dans son passé en relation avec la violence et elle devrait éventuellement se « désensibiliser » face à la violence. Madame a fait une demande de prise en charge par l’IVAC dont elle n’a pas encore reçu de réponse et elle n’a pas non plus encore obtenu la décision d’admissibilité de la CSST.
(…)
Histoire longitudinale
J’ai discuté avec Mme D... de son histoire longitudinale et de sa situation socio-familiale et il apparaît qu’elle a vécu des périodes difficiles dans son enfance. Elle décrit son père comme étant un individu violent. Puis elle a eu une relation de couple difficile parce que son ex-conjoint souffrait d’une maladie affective et était schizophrène. Il va mieux depuis un certain temps mais la période faisant suite à la séparation a été très difficile. (Elle n’avait pas déclaré ces difficultés-là lorsqu’elle avait rencontré la Dre Thiffeault, par exemple, lors de l’expertise psychiatrique de 2005). Les autres informations qu’elle m’a confiées seront conservées confidentiellement dans mes notes.
(…)
DISCUSSION
Il s’agit d’une personne qui a présenté au long cours certaines difficultés de type névrotique. Elle a des problèmes avec la violence. Elle avait développé une sorte d’intolérance aux situations conflictuelles et de violence. C’est ce qui l’avait amenée à dénoncer sa sœur et subséquemment s’en est suivi une brouille familiale. C’est ce qui l’a amenée à ressentir aussi beaucoup d’émotions négatives face à l’enseignant qui avait une attitude du même genre que celle de sa sœur. Madame n’a pas eu l’impression d’avoir été supportée dans toute cette affaire et elle a développé des symptômes de colère.
Il faut dire que parallèlement, cette dame présente des traits de personnalité qu’elle décrit comme étant histrioniques. Madame est une personne anxieuse, qui somatise énormément et qui est très intense dans ses émotions. Cette intensité peut avoir été positive dans le sens où elle s’impliquait énormément au niveau du travail, qu’elle était dynamique mais quand elle est souffrante et perturbée, cette intensité exagère et amplifie énormément la symptomatologie.
(…)
DIAGNOSTIC
AXE i : Au plus, cette dame présente un trouble d’adaptation léger et non invalidant.
AXE II : Traits de personnalité mixtes à la fois du groupe B et du groupe C.
AXE III : Nombreux diagnostics de type somatisation au dossier : fibromyalgie, fatigue chronique, entre autres.
AXE IV : Les facteurs de stress ont été décrits ci-dessus.
AXE V : Le fonctionnement actuel de Mme D... se situe sur l’échelle EGF autour de 65-70, ce qui est peut-être légèrement inférieur à son fonctionnement habituel que l’on peut estimer comme étant autour de 70-75.
(…)
RÉPONSES AUX QUESTIONS
1o Il ne m’apparaît pas y avoir de lien de causalité entre les problèmes que cette dame a vécus au cours de l’année dernière et une situation particulière au niveau du travail. Il y a eu probablement effectivement quelques discussions entre Mme D... et la direction; entre Mme D... et la psychologue de l’école et entre Mme D... et le professeur avec qui elle doit travailler mais, à première vue, il s’agit plutôt d’un problème de nature administrative que d’un événement imprévu et soudain, correspondant à ce que l’on retrouve habituellement dans les cas d’accident de travail.
(…)
Normalement un trouble d’adaptation se stabilise quelques semaines après que le sujet ait été éloigné du facteur stressant. Dans le cas présent, il y a beaucoup d’autres facteurs stressants dans la vie de Mme D...; d’abord sa propre famille alors qu’elle est en froid avec plusieurs membres de sa famille, en partie à cause des événements décrits ci-dessus mais aussi en froid avec une autre sœur pour une autre raison. Madame a aussi mal réagi quand sa bru qui est enceinte lui a dit que c’était normal de temps en temps de « brasser les enfants ». Madame sera donc grand-mère dans quelques mois et elle aura une belle-fille avec laquelle elle n’aura pas nécessairement les mêmes affinités concernant l’éducation des enfants, ce qui pourrait éventuellement poser des problèmes du même ordre.
C’est la raison pour laquelle nonobstant le fait que Mme D... soit actuellement apte à effectuer un retour au travail, elle a besoin de support et d’encadrement pour réussir à régler cette problématique et faire en sorte qu’elle soit plus en mesure de supporter les inévitables situations où elle sera confrontée de près ou de loin à des situations de violence ou d’agressivité. [Sic]
[32] Le 13 février 2012, la docteure Bélanger émet un rapport complémentaire par lequel elle maintient le diagnostic d’état de stress post-traumatique avec réviviscence. Un trouble anxieux chronique est également diagnostiqué. Elle indique finalement qu’un retour progressif est souhaitable (Pièce E-2).
[33] Dans la décision rendue à la suite d’une révision administrative en date du 15 février 2012, quant à la lésion du 7 juin 2011, il est indiqué que la travailleuse n’a travaillé que six demi-journées entre le 6 juin 2011 et le 17 juin 2011, soit trois demi-journées par semaine.
[34] La réclamation de la travailleuse, quant au deuxième événement allégué du 5 avril 2012 est produite à la CSST le 10 septembre 2012. La travailleuse mentionne ce qui suit :
Le 5 avril 2012, lors de mon retour progressif, lors d’un exercice spontané sur l’amitié, les (??) imite le comportement d’un jeune qu’il a envers les autres pour lui-même. Je lui mets la tête sous mon bras. J... l’enseignant (Voir texte reproduit dans l’annexe 1)
Annexe 1
Je suis technicienne en éducation spécialisée et j’ai travaillé pendant 2 ans (2010/11 et 2011/12) dans une classe auprès de jeunes ayant une déficience intellectuelle de 13 à 21 ans approximativement.
Le 5 avril 2012, lors de mon retour progressif, j’imite le comportement qu’un jeune a à l’occasion envers certains de ses pairs. Il prend les autres sous son bras. Je lui fais en tout amabilité lui demande si c’est agréable. J... l’enseignant, le fait à son tour à ma proposition. Sauf que … Il prend la tête du jeune sous son bras et le serre tant qu’on entend le jeune manquer d’air, s’étouffer. Il attend quelques secondes… qui rend cet acte hors de toute doute volontaire et d’une violence incroyable. Lorsqu’il lâche la prise, le jeune chercher son air, tousse, met ses mains à son cou.. Je suis à 4 ou 5 pieds à peine, en face de lui. Incrédule. Effrayée.
J’ai peur. Incapable de défendre le jeune, ou d’aviser la direction.
C’est ce même jeune/enseignant qui est en cause lors de mon premier arrêt de travail en février 2011.
Les parents de ce même jeune verbalisent (la mère) ouvertement leur incompréhension au dysfonctionnement de leur fils à l’école puisqu’il va bien partout ailleurs. Propos tenus lors du 21 juin 2012, lors d’un dîner de fête à l’école. Ça fait trois ans que ce jeune est dans sa classe et il y a est encore.
J’ai été incapable du moindre commentaire.
Il y a eu d’autres événements lors de ce retour progressif qui comportent des éléments de violence verbales et psychologiques envers moi et les jeunes de cette classe. Certaines étant quotidiennes.[Sic]
[35] Le 12 juin 2012, la Direction de l’Indemnisation de victimes d’actes criminels (IVAC) avise la travailleuse que sa réclamation est acceptée en lien avec sa condition psychologique et l’acte criminel subi, soit de la violence survenue pendant son enfance (Pièce E-1).
[36] Des extraits du dossier de l’IVAC sont produits sous la cote T-1. On peut y lire que la travailleuse a été victime de violence physique de la part de son père et de sa mère durant toute son enfance et qu’elle été témoin de violence répétée auprès de son frère. Elle admet avoir choisi un mari qui avait la même attitude que son père, qui la harcelait, qui n’avait aucun respect de ses limites et de ses besoins. La violence de la part de son père a été reconduite auprès de ses propres enfants.
[37] Elle ajoute qu’à la suite de son retour progressif au travail, le 7 juin 2011, les symptômes dépressifs sont réapparus, incluant un état de torpeur et des idées suicidaires.
[38] L’enseignant J... T... aurait exprimé que le lien de confiance était rompu à cause de propos rapportés par une stagiaire. Elle a alors compris qu’elle était une victime « comme il faisait avec ses élèves ». Elle ajoute avoir été témoin de violence psychologique de cet enseignant envers des élèves.
[39] Le 21 juin 2011, elle a vécu une reviviscence par rapport aux évènements de violence avec son père, puis une deuxième, le 22 juin 2011 alors qu’elle était au volant de sa voiture. Une autre reviviscence est survenue en août 2011 puis, en janvier 2012, une autre en rapport à un abus sexuel subi de la part de son père.
[40] Le 27 juin 2012, la docteure Bélanger indique que l’état de stress post-traumatique est secondaire à la violence verbale et psychologique subie par la travailleuse et ses enfants, une rechute étant survenue au retour dans le milieu de travail.
[41] La première visite médicale concernant la lésion alléguée d’avril 2012 a lieu le 25 juillet 2012 et des diagnostics de trouble anxio-dépressif et d’état de stress post-traumatique sont posés.
[42] La décision rendue à la suite d’une révision administrative contient notamment les éléments suivants :
La travailleuse est technicienne en éducation spécialisée pour le compte de l’employeur. Elle produit une réclamation à la Commission le 28 août 2012 où elle déclare que le 5 avril 2012 au cours d’un exercice spontané sur l’amitié, un enseignant serre trop fort un jeune, ce qui lui cause une lésion psychologique. Elle poursuit son travail habituel.
Le 25 juillet 2012, elle consulte un médecin qui diagnostique un trouble anxio-dépressif et un état de stress post-traumatique, en lien avec un événement survenu le 1er juin 2011.
Le 26 août 2012, elle déclare l’événement à son employeur.
La travailleuse attribue sa lésion au comportement excessif d’un enseignant à l’égard d’un élève lors d’un événement survenu le 5 avril 2012, qui l’aurait mis dans un état de torpeur compte tenu des difficultés qu’elle vivait antérieurement dans sa classe avec cet enseignant. Par ailleurs, à cette période, elle ne croit pas à propos de faire part à l’employeur de la situation et poursuit son travail.
Quant à l’employeur, il soumet à la Commission que de façon contemporaine à l’événement du 5 avril 2012, aucune déclaration ne lui a été faite par la travailleuse et il n’a reçu aucune plainte de parents à cet égard. Il n’a donc pu prendre des mesures à cet effet. Par ailleurs, il précise qu’à la suite d’un événement antérieur, la travailleuse a effectué un retour au travail progressif le 12 février 2012, mais qu’elle n’aurait travaillé que 5 jours entre cette date et le 7 mai 2012 et que par la suite, celle-ci a pris des vacances jusqu’à son nouvel arrêt de travail.
[43] Le 12 juillet 2012, un document intitulé Annexe 3 est reçu par l’IVAC et la travailleuse y mentionne notamment qu’elle accuse des pertes de mémoire, qu’elle oublie l’heure et la date de ses rendez-vous, qu’elle ne se souvient pas qu’elle s’est lavé la tête une heure auparavant, qu’elle perd et oublie des papiers importants, qu’elle oublie de manger ou prendre sa médication, etc.
[44] Le 9 juillet 2012, la travailleuse produit un autre document à l’IVAC :
Reviviscences familiales
Le 22 juin 2011 au soi, j’ai revécu une scène que je connaissais mais cette fois avec toute la douleur de toutes les émotions reliées à l’événement. Il n’y a pas de mot pour le dire.
Mon père nous avait vu en train de nous chatouiller le bas du dos dans le salon, ma sœur D..., S... et moi. Il était en colère. Je ne m e souviens pas ce qu’il disait, Je savais que c’était très grave mais je ne comprenais pas. Il nous a amené dans une chambre. A demandé à ma sœur D... de sortir après nous avoir parlé… Je ne sais pas. M’a demandé de me retourner de baisser mon pantalon et m’a frappé avec sa ceinture. Je ne sais combien de coups, je ne ressentais rien. Ma sœur criait qu’elle n’avait rien fait, j’ai vu et entendu sa terreur. Elle suppliait, pleurait. Il m’a demandé si c’était vrai.
Je lui ai dit la vérité : nous l’avions tous fait!
Il m’a alors demandé de sortir et j’entendais ma sœur crier… crier… Je ne me souviens pas de mes émotions à ce moment. Je ne connais que ma rage actuelle et la grande culpabilité de ne pas avoir été capable de mentir pour lui éviter cette volée. Surtout une très grande souffrance dès je « revisite » cet événement.
Toute l’émotion de cet événement a sorti. Je pleurais, je hurlais de peine, d’injustice. Je criais à mon père d’arrêter, qu’elle étais trop jeune… Replier en boule dans mon lit, je répétais sans cesse. « Pourquoi la violence? Il faut que ça cesse. Arrêter! ». Je me sentais tellement coupable. Un seul mensonge de ma part lui aurait évité cette agression. Il m’avait demandé de quitter la chambre et j’entendais ma sœur hurler!
C’est cette même sœur que j’ai amené en psychiatrie au CHUL une fin de semaine d’action Grâce vers 2006.
Très suicidaire et en état de psychose… Elle y est resté plusieurs semaines. Elle a un diagnostic de trouble de personnalité limite. Elle a fait un ou des dépressions dans le passé.
J’ai aussi compris pourquoi je lui demandais à tous les soirs de me pardonner d’un mot, de je ne sais plus. Même elle s’en souvient très bien. Je ne m’endormais pas sans avoir reçu son pardon et elle de même sachant que je ne la lâcherais pas. J’avais besoin de son pardon! « Ah! Ce que j’étais tannante! ».
J’ai compris seulement dernièrement (flash-back) pourquoi et quand j’ai commencé à être anxieuse et coupable.
La dernière reviviscence se situe vers l’âge de 2 ou 3 ans. C’était en janvier 2012 que je l’ai « visité » pour la première fois.
Par flash-back je me suis vue dans une salle de bain, mon père me caressant les parties génitales. Je suis restée « collée » dans cette peur et cette anxiété jusqu’à ce qu’on m’oblige à aller voir un psychiatre pour une évaluation qui s’est permis une moquerie qualifiant mon état de « sensiblerie »… Servi d’un ordre pour retourner au travail!
On m’a avisée que si je ne retournerais au travail je perdrais tous mes droits liés aux assurances… Ainsi que la faveur du retour progressif possible.
J’étais fauchée. Épuisée. On ne réfléchit pas longtemps.
J’ai eu une réaction très vive lors du film « Polisse » où à la première scène on voit et entend une jeune fille exprimer dans ses mots les attouchements de son père. Je me tordais sur mon siège, ravalant, le cœur qui se débattait, moite… J’ai eu peur à un choc vagal. J’ait tout de suite pris de grandes respirations… J’ai parlé à mon corps comme s’il était une entité que je pouvais contrôler.
La peur que j’ai eu de dire malgré moi cette horreur à ma mère. Je l’aurais assassiné ça n’aurait pas été pire.
Ma mère était à mes côtés et ne sait rien de ce passé. Mais je sais aussi qu’il est impossible qu’elle n’aie pas ressenti mon malaise. Impossible. [Sic]
[45] Le 31 août 2012, madame Nancy O’Connor, intervenante socio-judiciaire écrit au Bureau de la Révision administrative de l’IVAC pour appuyer la demande de la travailleuse. Elle y mentionne notamment ce qui suit :
La présente a pour but d’appuyer la demande de révision de madame D... relativement à la décision du 16 août 2012. Vous appuyez votre refus sur le fait que madame a fait le lien entre les abus du passé et sa condition psychologique depuis février 2011. Dans les faits, ceci est inexact. En février 2011, elle rencontre pour une première fois la psychothérapeute Denise Savard, car madame a été témoin de violence d’un enseignant envers un élève et son attitude négative envers elle. Il s’agit d’une première rencontre concernant cet événement. Pour celle-ci le lien entre l’attitude de l’enseignant et le vécu de violence familiale est évident, mais madame Savard n’en fait pas part à madame D.... Ce lien n’est cependant pas encore établi pour madame D.... Les émotions qui montaient étaient essentiellement en lien avec l’attitude de mépris de l’enseignant et le pouvoir qu’il utilisait de façon négative avec les jeunes. Les événements de violence avec la mère de madame se sont déroulés de juillet 1967 au printemps 1976.
Au moins d’août 2011, madame a rencontré Geneviève Langlois, neuropsychologue et lui a raconté sa dernière reviviscence. C’est elle qui lui a fortement conseillé de faire des démarches avec IVAC.
À chacune de mes rechutes, toute la violence familiale me revient. Tout mon passé de violence avec ma mère et mon père est lié à mes rechutes. C’est comme un raz-de-marée qui à chaque fois vient me chercher dans toute mon histoire de violence familiale. Autour du 20 septembre 2011, j’ai vécu une reviviscence, qui m’a plongé dans la terreur liée au vécu avec le père de mes enfants. J’ai fait un lien entre les événements passés de violence familiale et le présent, avec ma psychothérapeute Denis Savard. [Sic]
[46] Le 3 septembre 2012, la psychologue et neuropsychologue Geneviève Langlois produit un rapport d’évaluation psychologique (Pièce T-3) dont il y a lieu de reproduire des extraits :
J’ai donc rencontré à 3 reprises madame D... en psychothérapie. Lors de ces rencontres, madame me raconte les gestes et le climat de violence physique et psychologique dans lequel elle a vécue et grandit. Ainsi, que le climat de violence psychologique et d’abus sexuel vécu avec son mari (de qui elle est divorcée maintenant). Il n’est pas possible d’aller très en profondeur vu le peu de temps alloué, mais malgré cela la souffrance est palpable. Il est aussi possible de sentir que madame pourrait « s’effondrer » si elle réalisait la pleine mesure de tout ce qu’elle a vécu. Elle pleure beaucoup et l’instabilité émotionnelle s’accroit. Madame en « décompense » presque. Elle présente à ce moment des reviviscences qui surgissent, elle dort mal, elle pleure. Voici qu’elle m’écrit à ce sujet :
« Bonjour Geneviève!
Mon état se détériore. Je dors peu même avec médication. Mange peu. Je ressens des tremblements dans tout mon corps à partir de 17h. Au visage, dans mes membres, partout. Mon corps devient mou comme après ma cris de fat. chr.
Mais en même temps j’ai la machoire qui serre. Et mon cerveau ne ferme pas
Crise hier soir : Je dirais du même ordre que le flash-back d’un moment de mon enfance sauf sans souvenir précis mais tous reliés à M..., le père de mes enfants. À l’atmosphère, au refoulement nourrit par besoin de protéger les enfants et la peur! Je n’avais jamais réalisé cette peur, l’impact de cette peur. Mais surtout sa violence, si insinueuse! J’ai piqué une crise de « colère » et de détresse… pendant plus d’une heure, presque deux.
J’avais décidé, hier soir, de travailler sur moi-même en faisant des recherches sur internet sur la violence familiale et conjugale. Le choc!
Je me reculais de ma chaise, respirais profondément en me disant que j’en avais assez lu. Mais non, j’y retournais…
Problème : Comment me libérer alors qu’il y a tant de refoulements et de silences. Personne ne sait rien. Je n’avais qu’une préoccupation : protéger l’image du père. Je voulais que mes enfants aient un père! Qu’ils aient une bonne opinion de lui.
La pilule est grosse.
Le goût de retourner à cette époque n’y est pas.
Je rencontre Chantale Bélanger demain en urgence à la clinique sans rendez-vous. De même que ma psychothérapeute.
J’ai besoin de ton avis : J’aimerais bien te rencontrer, considérant « le gros paquet » qui remonte à la surface.
O... »
(…)
Histoire psychosociale résumée de la cliente : se référer au rapport neuropsychologique de 2011. Néanmoins, retenons que madame D... présente des éléments en lien avec une famille dysfonctionnelle à l’enfance. Elle a aussi une sœur qui présente des troubles de santé mentale (qui a fait un épisode psychotique). Ajoutons une vie de couple difficile. Enfin, madame D... est mère de deux enfants, deux garçons, adultes, qui fonctionnent biens : l’un est conseiller en orientation, l’autre actuaire. Madame D... vit seule. Elle a un bon réseau de soutien.
(…)
Je crois donc que madame D... présente des symptômes qui me semblent directement reliés avec des traumas de type II vécu tant à l’enfance que lors de sa vie de couple (qui ne fut possiblement qu’une répétition d’un schéma de vie d’enfance…) et le tout mériterait d’être travailler en psychothérapie afin de permettre à madame de s’épanouir, d’augmenter son niveau de fonctionnement global et de mener une vie normale. Je crois enfin que la situation vécue avec l’enseignant à son école aurait réactivé les schémas et expliquerait que l’état de madame se soit graduellement détérioré depuis 2011. [Sic]
(le tribunal souligne)
[47] Le premier témoin entendu à l’audience est la travailleuse. Elle travaille pour l’employeur depuis 1990. Elle occupe un poste de technicienne en éducation spécialisée. Elle travaille à l’école A depuis septembre 2010.
[48] Il y a dans la classe où elle travaille 10 étudiants, de 14 à 21 ans, aux prises avec des déficits intellectuels de niveau moyen.
[49] À l’époque pertinente aux présentes, elle travaillait dans la classe de monsieur J... T....
[50] Au début de l’année scolaire 2010-2011, elle a procédé au nettoyage et à la décoration de la classe pour la rendre plus accueillante. C’est au cours de ses premiers échanges avec monsieur T... que ce dernier lui aurait parlé de l’apparence physique de certains étudiants, du fait que certains seraient bloqués, qu’il serait aimé de certains jeunes, etc.
[51] Dès les premiers jours de classe, elle dit avoir constaté que les jeunes qui forment habituellement une clientèle joyeuse et sociable ne l’étaient pas. Il y avait un problème dans le climat de la classe.
[52] Elle donne comme exemple que le « rapportage » était valorisé par l’enseignant. Il appréciait qu’un étudiant dénonce le comportement d’un autre.
[53] Elle en a parlé à l’enseignant. Elle a décidé de mettre en place un tableau pour souligner le mérite des étudiants plutôt que leurs mauvais coups. Cela a amélioré, selon elle, le climat de la classe mais d’autres problèmes perduraient.
[54] Elle n’était pas d’accord avec le plan de travail à cause notamment de l’absence d’un atelier de cuisine. Elle l’a finalement convaincu de tenir cette activité sous forme d’un déjeuner-pyjama mais l’enseignant a refusé d’en porter un lui-même. Certains jeunes ont suivi son exemple. Elle a aussi constaté que les activités qui devaient avoir lieu lors de ce déjeuner n’avaient été préparées.
[55] Monsieur T... donnait des réprimandes devant tout le groupe à certains élèves. Elle estime qu’il aurait plutôt dû agir par renforcement positif.
[56] Un problème est survenu avec un élève, X, à savoir qu’il aurait été puni sans vérifier le fondement des allégations portées contre lui. Elle estime que l’enseignant aimait certains élèves mais d’autres pas.
[57] Lors d’une activité dans un centre commercial, l’enseignant s’est isolé avec un groupe et elle l’a invité à venir s’asseoir avec l’ensemble de la classe, ce à quoi il aurait répondu « je te dis-tu où t’asseoir, sacre-moi la paix » sur un ton qu’elle qualifie d’agressif.
[58] Elle relate un autre événement survenu en janvier 2011 alors que l’élève X aurait passé une belle journée sans mériter aucun compliment du professeur. Il a cependant dénoncé, à haute voix, une coche mal taillée qu’il aurait faite en fin de journée.
[59] Monsieur T... mange toujours le midi en face de l’étudiant X qui n’est pas encore totalement propre dans le cadre de cette activité. Il y a souvent des conflits au retour en classe entre l’enseignant et l’élève X qui est puni devant l’ensemble de la classe. Des reproches sur sa façon de manger lui sont notamment adressés.
[60] Il est de même arrivé que l’élève X soit privé de jus par l’enseignant, un après-midi, parce qu’il n’avait pas eu un bon comportement.
[61] Elle s’est interposée en disant qu’elle lui avait depuis longtemps demandé de ne pas engueuler un élève devant tous ses camarades, ce à quoi il aurait répondu en criant de ne pas critiquer ses interventions.
[62] À un certain moment, elle a rencontré la stagiaire qui lisait son journal à son arrivée dans la classe. Elle lui a suggéré plutôt de regarder les dossiers des jeunes et les documents liés à son emploi. Elle a mentionné à la stagiaire qu’elle devait s’améliorer et être plus attentive.
[63] Elle a parlé au psychologue de l’école du cas du professeur et lui a demandé comment elle pourrait l’aider et l’élève X. Une rencontre a été suggérée.
[64] Elle rapporte aussi que l’enseignant a joué une fois au ballon-panier avec X et qu’il l’a ridiculisé, le battant 8 à 0.
[65] Les propos rapportés par la stagiaire auraient notamment révélé que la travailleuse aurait parlé contre la conjointe et les enfants de l’enseignant et lui aurait reproché de toujours être en train de l’évaluer.
[66] Elle affirme pourtant ne pas connaître la conjointe et les enfants du travailleur qu’elle aurait rencontrés brièvement, une seule fois. Elle ajoute qu’elle n’a rien dit contre eux. Une rencontre a été suggérée avec le professeur mais elle n’y est pas allée étant « en mille miettes ». Elle était en grande détresse et est allée rencontrer son médecin.
[67] Elle raconte certaines réviviscences qu’elle a eues concernant des événements survenus lorsqu’elle avait 8 ans et que son père la frappait alors qu’elle ne savait pas pourquoi. Sa jeune sœur suppliait son père de ne pas la frapper.
[68] Elle dénonce le manque d’appui de la Direction.
[69] Lors d’une rencontre avec madame Bi..., cette dernière lui a dit de s’attarder au comportement des étudiants alors que le côté académique relevait de l’enseignant. Le retour au travail s’est effectué avec le même enseignant.
[70] Le 6 juin 2011, elle amorçait un retour progressif au travail après une période d’absence pour une lésion psychique traitée en assurance-salaire.
[71] Après la première demi-journée de travail, elle est revenue chez elle en larmes, en ignorant pourquoi.
[72] Elle a rapidement constaté que la stagiaire semblait l’éviter.
[73] Lundi, le 13 juin 2011, elle a rencontré un médecin. Son état de santé mentale se détériorait.
[74] Elle est allée se confier à la directrice de son école qui l’a fait venir dans son bureau et elle lui a mentionné que ça n’allait pas du tout et qu’elle ignorait ce qui se passait. La directrice lui répondit que c’était difficile mais que les problèmes seraient réglés à l’automne. La travailleuse ignorait de quoi elle parlait.
[75] Elle voulait demander à l’enseignant de s’asseoir avec elle pour évaluer si la poursuite du travail était possible conjointement.
[76] Le 17 juin, en matinée, elle a rencontré l’enseignant qui lui aurait dit que le lien de confiance était coupé étant donné les propos rapportés par la stagiaire. Ce fut son dernier jour de travail.
[77] En février 2012, monsieur T... aurait provoqué la travailleuse et aurait foncé sur elle en hurlait « tu veux dire que je suis un mauvais professeur ».
[78] Il aurait changer dramatiquement par la suite son comportement en ajoutant : « j’y repense, c’est que tu veux bien faire ». Il lui a offert un café et l’a regardée le boire au complet.
[79] Les parents de X lui auraient dit qu’il allait bien partout, sauf à l’école.
[80] Quant au deuxième événement d’avril 2012, il implique toujours l’élève X Elle a pris sa tête sous son bras en lui demandant s’il s’amusait, le tout visant à réprimer ce comportement qu’il adoptait envers certains autres élèves de la classe. Elle a aussitôt mentionné à monsieur T... qu’elle avait fait cette intervention. Elle reconnaît avoir commis une erreur de jugement en demandant au professeur de faire la même intervention. Ce dernier aurait serré la tête de l’élève de façon assez importante pour qu’il manque d’air et s’étouffe. Il se débattait.
[81] De retour chez elle, le soir, elle aurait réfléchi à cet événement en se disant qu’elle se sentait coupable et qu’elle avait eu peur. Elle s’est employée à faire du déni et à oublier.
[82] Elle a fait un signalement à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) pour rapporter l’événement et le harcèlement dont elle estimait X victime. La DPJ a mentionné qu’elle conservait l’information, sans plus.
[83] Lors du contre-interrogatoire, elle affirme qu’il s’agissait de sa quatrième année en classe d’adaptation scolaire. Elle se trouve environ au 45e rang de la liste d’ancienneté.
[84] Au début 2011, une autre technicienne lui aurait dit que l’enseignant la surveillait et elle a constaté par la suite que monsieur T... effectivement la regardait souvent et la fixait.
[85] La travailleuse aurait aimé savoir, dès son retour au travail progressif, que la stagiaire avait révélé des propos qu’elle aurait tenus au sujet de monsieur J... T.... Elle s’estime seule à avoir ignoré cette situation. Son employeur aurait dû poursuivre l’arrêt de travail pour ne pas l’exposer à ces événements.
[86] Elle affirme que son médecin déconseillait un retour au travail progressif en février 2012. Pourtant, le rapport produit sous la cote E-2 indique plutôt que ce médecin estime ce retour « souhaitable ». Il s’agit d’un exemple parmi tant d’autres des distorsions cognitives de la travailleuse et de son manque de mémoire. Nous y reviendrons.
[87] L’événement survenu en avril 2012, lorsque l’enseignant aurait serré la tête de l’élève X, n’a pas été rapporté ni à la Direction, ni aux parents. Elle voulait sauver sa peau et ne voulait pas s’occuper des problèmes des autres.
[88] Ce n’est qu’en juillet 2012 qu’elle a téléphoné à la DPJ. Elle sait que l’élève X est toujours dans la classe de monsieur J... T... pour l’année 2012-2013.
[89] Elle admet avoir fait un autre signalement à la DPJ, en 2009, pour dénoncer un problème entre sa sœur et sa belle-fille.
[90] À Noël 2011, elle a été isolée par ses sœurs lors de la fête familiale et a demandé une lobotomie à son médecin.
[91] Comme elle est quarante-cinquième sur la liste d’ancienneté qui contient 400 détenteurs de poste, elle peut choisir les tâches et son affectation.
[92] En août 2010 et en août 2011, elle a choisi l’école A. Ce choix fait en août 2011 l’a été malgré les événements qui seraient survenus en juin 2011.
[93] En août 2012, elle a choisi un autre établissement.
[94] Comme elle n’était pas au travail lors du choix effectué en août 2011, et parce que son poste n’était pas coupé, elle ne pouvait choisir que parmi les nouvelles ouvertures de poste. Elle a choisi de demeurer à [l’école A] à cause « de la clientèle ».
[95] Le tribunal entend ensuite monsieur J... T..., enseignant à l’école A. Il pratique cette profession depuis 22 ans. Il détient un BACC en activité physique de l’Université de Sherbrooke, une formation en psychologie et un certificat en enfance mésadaptée.
[96] Il enseigne au jeune X depuis 2009.
[97] L’enseignement à une clientèle aux prises avec une déficience intellectuelle est, selon son témoignage, « ma passion et mon amour ».
[98] À chaque jour, il a hâte de rencontrer ses élèves qu’il connaît bien de même que leurs parents.
[99] À l’automne 2010, la travailleuse est arrivée comme technicienne en éducation spécialisée dans sa classe. Il l’avait déjà vue auparavant avec un psycho-éducateur. La travailleuse lui a confié que ça allait très mal avec lui à cause de son approche et de ses méthodes d’intervention.
[100] Monsieur T... lui a alors dit de l’aviser si quelque chose n’allait pas et se disait ouvert à des projets.
[101] Un premier projet fut celui d’un atelier de danse. Il a cependant dit à la travailleuse qu’il ne connaissait rien à la danse et qu’il ne voulait pas lui-même danser.
[102] Tous les midis, il mange face à X, à la demande expresse de ses parents. Il l’aide à manger et lui donne des consignes en ce sens.
[103] X est un élève impulsif et agressif, qui a souvent les poings dans les airs et qui insulte les gens avec certains gestes. Il demande plus de soutien et d’attention.
[104] Lors de la visite aux Galeries A, deux classes étaient présentes de même que cinq intervenants. La travailleuse s’occupait de X.
[105] La travailleuse a affirmé en avoir eu plein les bras, que X touchait à tout, qu’il n’était jamais sorti, qu’il était désorganisé, etc. Elle s’est dit très fatiguée. Monsieur T... a mentionné qu’il prendrait X sous sa charge lors de la visite de l’année suivante.
[106] La distribution des jus est faite par un des élèves alors qu’un autre distribue les verres. Il ne s’agit pas d’un automatisme mais d’une récompense pour le travail fait pendant la matinée.
[107] Il est vrai qu’il a privé X de jus à une occasion parce qu’il avait eu un mauvais comportement. X a compris et n’a jamais été privé par la suite.
[108] Il a eu au moins deux fois des discussions avec la travailleuse concernant les méthodes de travail. La travailleuse le reprenait devant les jeunes sur ses méthodes. Il lui a, par la suite, dit qu’il préférerait qu’elle ne le reprenne pas devant les élèves. Il n’y a eu aucune discussion à ce sujet.
[109] Il n’a jamais crié envers la travailleuse. Il a une bonne voix, sans plus.
[110] Lors du retour progressif de la travailleuse, en juin 2011, il a rencontré madame S... concernant ce qui lui avait été raconté par la stagiaire. Notamment, la stagiaire lui aurait rapporté, en pleurant, que la travailleuse avait parlé contre lui, avait mis ses compétences parentales et de conjoint en cause, tout comme ses compétences pédagogiques, critiquant ses interventions. En fin de compte, tout ce que la travailleuse rapportait sur l’enseignant était négatif alors qu’elle-même côtoyait l’enseignant et croyait que tout était dans l’ordre.
[111] Cette stagiaire travaillait plutôt en collaboration avec la travailleuse et non avec lui. Il lui a cependant fait part de son appréciation par rapport à ce qu’il avait vu de son travail.
[112] Il affirme qu’il était démoli de cette conversation avec la stagiaire et a fait de l’insomnie. Il voulait régler le tout de la bonne façon. Il s’est confié à sa directrice, madame S..., et il fut convenu de s’asseoir, dans un premier temps, avec la travailleuse pour voir si tout ça était bien vrai. Une deuxième possibilité était une rencontre à trois, incluant madame S....
[113] Il a choisi plutôt la première solution et dès la première semaine de retour au travail progressif, en juin 2011, il a rencontré la travailleuse seule, en début de journée, pour lui rapporter les propos de la stagiaire. Il lui a demandé si elle avait dit ces choses là. Il lui a bien mentionné qu’il ne l’accusait pas mais lui demandait si elle avait bien dit ces choses.
[114] La travailleuse lui a affirmé qu’elle n’avait jamais dit ça. Elle pleurait, ajoutant qu’elle aimait les enfants et qu’elle n’avait jamais dit qu’il était un mauvais père. Elle lui a dit ne jamais avoir critiqué ses interventions ou sa pédagogie. La rencontre s’est terminée parce qu’il fallait aller chercher les élèves. Monsieur T... a mentionné que le lien de confiance était important entre eux. Il s’est également renseigné sur l’état de santé de la travailleuse, lui demandant comment elle allait.
[115] Après la rencontre, il se sentait un peu entre l’arbre et l’écorce et était perturbé. Il ne savait pas qui disait la vérité. La journée s’est déroulée de façon normale.
[116] Quelques jours plus tard, la travailleuse quittait sans autre discussion.
[117] Il n’a pas appelé la travailleuse malgré son invitation, se disant que le tout repartirait en neuf, en septembre.
[118] Elle n’est revenue au travail qu’en février 2012. La travailleuse lui mentionnait alors qu’elle allait bien, qu’elle n’était pas « top shape » mais que sa thérapeute suggérait un retour au travail.
[119] Il commente ensuite l’exercice d’amitié d’avril 2012. Il s’agit de montrer aux jeunes ce qui constitue un bon comportement par rapport à un mauvais.
[120] Il est vrai qu’il a pris X par la tête avec son bras, de façon légère, pour donner un exemple de ce qu’il ne fallait pas faire. Cet étudiant a une excellente mémoire et il aurait dénoncé son comportement s’il avait utilisé une force excessive. Il a une excellente relation avec X qui est suivi en pédopsychiatrie depuis l’automne 2012. Il a des troubles comportementaux en plus de sa déficience intellectuelle.
[121] La mère de X lui a dit qu’il était bien partout, sauf [à l’endroit A]. En contre-interrogatoire, il affirme avoir eu la conversation avec la stagiaire au début de mars 2011. Il en a parlé à la directrice deux à trois semaines avant le retour de la travailleuse. Il n’a jamais dit à la travailleuse que le lien de confiance était rompu. Au contraire, il était maintenu.
[122] À la reprise de l’audience, le 30 mai 2013, trois documents sont produits :
- T-7 : Courriel de Centre jeunesse de Québec à monsieur Louis Bergeron fournissant une demande d’accès aux renseignements personnels détenus par le Centre jeunesse de Québec;
- T-8 : Extrait du cahier de notes de la travailleuse contenant notamment la mention suivante, en date du jeudi 5 avril :
Lors d’un exercice sur l’amitié, j’imite ce que X fait aux amis en le prenant par le cou … [illisible] Je lui demande s’il aime ça me dit que non. Je demande à J... de lui faire égale erreur celui le prend sous son bras et sert à un point où on l’entend s’étouffer. J’ai eu peur de manquer d’air. J’ai dit à X …
- T-9 : Extrait de l’agenda de l’élève X sur lequel la mère de ce dernier s’informe à J... T... des raisons pour lesquelles son fils arrive tous les jours en disant : « J... est fâché, pas content ». X aurait peur de J.... On lui demande s’il est arrivé un événement qui pourrait expliquer le tout, ce à quoi J... T... répond que rien n’est arrivé et qu’il est désolé de la situation. Après quoi suit une remarque : « Très belle journée avec X », signé J....
[123] Le tribunal entend ensuite le témoignage de madame A... S..., directrice adjointe à l’École A depuis l’année scolaire 2010-2011.
[124] Il y a dans cette école 14 classes de niveaux Secondaire I à Secondaire III et deux classes d’adaptation pour une clientèle aux prises avec un déficit intellectuel moyen.
[125] La travailleuse est arrivée à l’école en août 2010 et a été assignée dans la classe de monsieur J... T.... À l’automne 2010, le témoin avait la perception qu’une belle complicité existait entre elle et monsieur J... T.... Les deux ont d’ailleurs élaboré ensemble un plan d’intervention.
[126] La travailleuse a quitté, en maladie, en février 2011.
[127] Vers la fin de cette absence, lors du retour annoncé de la travailleuse, monsieur J... T... a demandé à la voir parce qu’il était indisposé par suite de ce qu’une stagiaire lui avait rapporté. Il s’agissait de propos vexants tenus possiblement par la travailleuse à son égard, ce qui lui causait de la peine.
[128] Madame S... lui répondit alors qu’il fallait faire attention puisqu’il s’agissait de ouï-dire. Elle suggéra une rencontre à trois pour explorer la question au retour de la travailleuse. Monsieur T... préférait rencontrer seul la travailleuse.
[129] Cette dernière est venue la rencontrer, elle était agitée, perturbée et bouleversée. Elle avait appris les propos qui avaient été rapportés à monsieur T... par la stagiaire, affirmant ne pas se considérer une rapporteuse et ne pas avoir parlé en mal de lui.
[130] Madame S... lui demanda alors si elle croyait son retour au travail prématuré étant donné l’état de bouleversement dans lequel elle se trouvait, face à des événements qu’elle estimait plutôt banals.
[131] Elle a revu la travailleuse le 17 juin laquelle n’était pas toujours pas bien, qui pleurait et qui était perturbée. Elle niait les propos rapportés par la stagiaire.
[132] Madame S... lui suggéra de prendre l’air, de lire, de se changer les idées et de tenir une rencontre à trois la semaine suivante. Toutefois, la travailleuse était absente la semaine suivante de sorte que la rencontre ne s’est pas tenue.
[133] Elle a appris très tardivement les événements rapportés par la travailleuse comme étant survenus le 5 avril 2012. La travailleuse n’en a pas fait mention à l’époque. Elle n’a eu aucun contact de la part de la D.P.J. ni des services policiers pour ces événements allégués.
[134] Lorsqu’il y a commission d’actes de violence à l’école, des consignes claires invitent le personnel à rapporter l’incident immédiatement et personne n’a rapporté ce qui se serait passé en avril 2012. Aucun jeune n’a non plus rapporté ces événements et la personnalité typique de cette clientèle fait en sorte que les jeunes rapportent la moindre petite chose qui survient pendant une journée d’école.
[135] Elle a rencontré les parents de X à plusieurs reprises et ils ne sont jamais plaints des services de monsieur J... T....
[136] En contre-interrogatoire, elle admet qu’elle ignorait les antécédents de la travailleuse survenus avant 2011.
[137] À la suite des propos rapportés par la stagiaire, madame S... l’a rencontrée pour la mettre en garde, en matière d’éthique professionnelle. Deux personnes ont été blessées par toute cette affaire.
[138] Le tribunal entend ensuite madame An... F... qui explique une note évolutive du 3 décembre 2012. Lorsqu’elle a reçu la réclamation de la travailleuse, elle n’en a pas parlé à madame S... mais a plutôt appelé madame Bi... qui était alors directrice de l’École A.
[139] La travailleuse est ensuite entendue en contre-preuve. À compter du 3 avril 2012, elle a pris des notes dans son cahier déposé sous la cote T-8 lorsqu’elle revenait chez elle, le soir.
[140] Le document T-9 réfère à un jeune de la classe de J... T... et à une plainte faite par sa tutrice dans une maison d’accueil. Cela illustrerait l’attitude de monsieur T... face aux jeunes, selon elle. Elle a ajouté les mots : « manqué d’air » lorsqu’elle était en retour progressif.
[141] Elle a fait un signalement concernant X et les événements du 5 avril 2012 à la D.P.J. Il n’y a pas eu de suite à cette plainte. Il fallait l’autorisation des parents pour continuer la démarche, ce qu’elle jugeait trop délicat.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[142] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la travailleuse a subi des lésions professionnelles le 7 juin 2011 et à une date fixée par la CSST au 5 juillet 2012 mais qui correspond plutôt à un événement survenu le 5 avril 2012.
[143] La notion de lésion professionnelle est prévue à l’article 2 de la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[144] Il ne saurait être question d’une rechute, récidive ou aggravation en l’absence d’une lésion reconnue avant celle de juin 2011[2]. Quant à la lésion d’avril 2012, elle est fondée sur la survenance d’un événement précis et non sur les suites de la lésion antérieure.
[145] Il ne saurait non plus ici être question d’une maladie professionnelle puisque la travailleuse allègue la survenance d’événements précis et non d’une maladie qui serait survenue dans l’accomplissement de ses conditions habituelles et normales d’exercice de son travail.[3]
[146] Afin de déterminer si une lésion psychologique est une lésion professionnelle, il y a lieu d’appliquer la notion d’accident du travail à des circonstances inhabituelles, ponctuelles et limitées dans le temps et de recourir à la notion de maladie professionnelle lorsqu’une maladie se développe à la suite de l’exposition à des agents stresseurs généralement présents dans le milieu de travail.[4]
[147] En l’espèce, la travailleuse allègue des événements précis et ponctuels survenus dans le cadre de ses relations avec monsieur J... T..., ce qui réfère à la notion d’accident du travail.
[148] Au surplus, la présomption prévue à l’article 29 de la loi ne peut trouver application puisque les diagnostics retenus par le médecin qui a charge ne sont pas prévus à l’annexe I.
[149] C’est donc sous l’angle de l’accident du travail que les requêtes de la travailleuse devront être évaluées, cette notion étant aussi définie à l’article 2 de la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[150] En cette matière, une présomption a été prévue par le législateur à l’article 28 de la loi :
28. Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 28.
[151] Cette dernière ne peut toutefois trouver application en l’absence d’une blessure. Cette notion réfère à l’intégrité physique d’une personne et non à son intégrité psychique ou psychologique.[5]
[152] Pour avoir gain de cause, la travailleuse doit donc démontrer, pour chacune des deux lésions alléguées, la présence des éléments prévus à la définition d’accident du travail contenue à l’article 2 de la loi.
[153] Aucune procédure de référence au Bureau d'évaluation médicale n’a été entreprise dans ce dossier, de sorte que le diagnostic du médecin qui a charge devient liant au sens de l’article 224 de la loi :
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 .
__________
1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
[154] Seuls les diagnostics posés par le médecin qui a charge du travailleur sur des rapports médicaux de la CSST dûment déposés auprès de cet organisme peuvent devenir liants au sens de l’article 224 de la loi[6].
[155] Le diagnostic de trouble d’adaptation allégué par le représentant de la travailleuse n’apparaît pas au dossier et ne peut donc aucunement être retenu.
[156] Ni l’employeur ni la CSST ne s’étant adressés au Bureau d'évaluation médicale, les deux diagnostics de trouble anxio-dépressif et d’état de stress post-traumatique lient le présent tribunal au sens de l’article 224 de la loi et ce, autant pour la lésion alléguée du 7 juin 2011 que pour l’autre du 5 avril 2012.
[157] Le tribunal disposera, dans un premier temps, de la lésion alléguée du 5 avril 2012.
[158] Les versions de la travailleuse et de l’enseignant J... T... sont diamétralement opposées à ce niveau.
[159] Le tribunal préfère la version du témoin T..., Il ne se souvient pas avoir commis un acte de violence et s’il avait commis un tel acte, il s’en souviendrait. Tout au plus, a-t-il pu jouer avec X et faire une prise de tête légère qui aurait été perçue par la travailleuse comme étant un acte de violence.
[160] Le témoin T... a témoigné de façon claire et crédible. Il n’a pas d’intérêt pécuniaire dans ce dossier. La travailleuse, quant à elle, en plus d’avoir un intérêt certain a rendu un témoignage parfois confus, contradictoire et manquant de clarté. Des troubles de la mémoire et de la concentration ont été notés chez elle par certains intervenants, notamment par la docteure Chantal Bélanger dans le rapport déposé sous la cote E-2.
[161] D’ailleurs, à l’annexe 3 du document reçu par l’IVAC le 12 juillet 2012, la travailleuse décrit elle-même longuement ses pertes de mémoire.
[162] Si le professeur T... avait commis un acte de violence, le tribunal estime que l’élève s’en serait plaint et que d’autres élèves dans la classe auraient rapporté le tout. Il est en effet mis en preuve, de façon non contredite, que cette clientèle est de nature à rapporter tout et rien de ce qui se passe en classe.
[163] La travailleuse consulte même en neuropsychologie pour un trouble déficitaire de l’attention. Les tests de mémoire pratiqués par la neuropsychologue et psychologue Geneviève Langlois révèlent un gradient d’apprentissage lent qui se situe sous la moyenne.
[164] Pour tous ces motifs, le tribunal préfère le témoigne de monsieur J... T....
[165] Au surplus, s’il y avait eu violence, le tribunal estime que la travailleuse en aurait fait mention rapidement et non pas plus tard comme dans le présent dossier.
[166] Le fait qu’elle éprouvait des problèmes psychologiques à l’époque ne fait pas en sorte qu’elle ne pouvait dénoncer une situation de violence, du moins rien dans la preuve médicale ne le démontre.
[167] Le tribunal estime également que s’il y avait vraiment eu acte de violence, en avril 2012, la travailleuse aurait poussé plus loin sa plainte à la D.P.J. Elle mentionne que le fait d’obtenir la signature des parents était un poids pour elle. Si des faits objectivement traumatisants étaient survenus, le tribunal croit que la travailleuse aurait plutôt obtenu cette signature et continué les procédures, les parents d’un enfant abusé étant de nature à apporter leur collaboration en pareil cas.
[168] Le tribunal estime donc qu’au pire, un acte de la nature d’un jeu a été posé par le professeur T..., ce qui est normal et ne déborde aucunement le cadre du travail dans une classe telle que celle dont il avait la charge.
[169] Il n’y a donc pas d’événement imprévu et soudain et rien dans la preuve ne démontre que les problèmes de la travailleuse sont liés à cet événement.
[170] Le diagnostic d’état de stress post-traumatique exige des gestes d’une violence beaucoup plus importante pour pouvoir être déclenché, comme nous le verrons plus loin.
[171] La travailleuse est aussi aux prises avec de nombreuses conditions personnelles et prédisposantes, tel que nous le verrons également de façon plus détaillée plus loin.
[172] Le tribunal estime que la travailleuse n’a pas non plus prouvé la survenance d’une lésion professionnelle le ou vers le 7 juin 2011.
[173] Pour les mêmes raisons que celles déjà exprimées, le témoignage de monsieur J... T... est retenu.
[174] La lettre que la travailleuse lui adresse, le 22 juin 2011, lui affirme qu’il a « bon cœur », qu’il serait bien de se donner certains objectifs lors du retour au travail ensemble à l’automne et lui demande pardon si elle a pu le blesser. Cela n’est pas l’apanage d’une personne qui s’adresse à quelqu’un qui aurait fait preuve de violence physique, psychique et verbale.
[175] Il est aussi assez éloquent que la travailleuse, qui avait le choix, ait demandé de retourner à l’École A pour l’année scolaire 2011-2012 avec l’enseignant T.... Cela est complètement incompatible avec le fait que cet enseignant lui aurait fait vivre, ou aux élèves, des épisodes de violence.
[176] Dans un document intitulé Annexes et déposé en preuve, la travailleuse écrit qu’elle est «sur un nuage» malgré toutes les difficultés rencontrées concernant l’attitude de l’enseignant J... T.... Il n’est aucunement question de violence physique ou verbale mais seulement un problème d’attitude, ce qui est bien différent.
[177] Dans un autre document, la travailleuse affirme que lors de la rencontre de juin avec monsieur T..., celui-ci lui a dit qu’elle était une excellente technicienne. Propos bizarres pour quelqu’un qui serait source de violence et de conflit.
[178] Dans un document signé le 3 novembre 2011, la directrice-adjointe, madame A... S..., indique que la travailleuse lui avait fait part de ce qu’elle jugeait être des faiblesses au niveau de la pédagogie de monsieur J... T.... Il n’a jamais été question d’attitude négative ou autre. La psychologue de l’école n’a jamais observé d’attitude négative de la part de l’enseignant.
[179] Un élève dont le cas est traité pendant audience est en évaluation pédopsychiatrique de sorte que les propos de la travailleuse disant que cette évaluation a été refusée sont faux. Encore une fois, on dénote un problème de perception face à la réalité.
[180] Le tribunal constate qu’il y a eu, à cette époque, interaction entre différentes personnes à l’école, notamment la stagiaire, la travailleuse et l’enseignant T..., interactions qui sont normales dans le cadre du travail. Rien de plus normal que d’avoir des différends et de s’expliquer.
[181] Seule la perception de la travailleuse fait en sorte qu’elle affirme avoir été victime de violence psychologique et verbale. Il y a encore là un problème de perception.
[182] La travailleuse n’est pas d’accord avec certains aspects de la personnalité de M. T.... Ce genre de différend est courant en milieu de travail et il n’y a rien d’imprévu et soudain à cela.
[183] La rencontre avec l’enseignant T... au sujet des propos rapportés par la stagiaire a été fait de façon cordiale et selon les règles de l’art. Monsieur T... a simplement rapporté les propos de la stagiaire et a demandé à la travailleuse si elle avait bien dit ces choses-là. Il ne l’a pas accusée mais a demandé sa version pour vérifier si elle avait réellement tenu ces propos. La travailleuse a nié. Il ne lui a pas dit qu’il n’avait plus confiance en elle mais que la confiance devait exister entre les deux et que c’était important pour pouvoir bien travailler ensemble. Il n’a pas mentionné que la confiance était rompue et il avait toujours confiance à la travailleuse. La rencontre s’est terminée parce qu’il fallait aller chercher les élèves.
[184] Encore une fois, c’est la perception de la travailleuse qui a amplifié ce qui s’est tenu pendant cette rencontre qui n’est qu’une mise au point entre collègues, sans plus. Cela n’est certainement pas un événement imprévu et soudain.
[185] Il existe certes une divergence de vues entre la travailleuse et l’enseignant T... quant aux différentes méthodes d’enseignement qui doivent être utilisées. Ce choc d’idées est courant et normal. Le présent tribunal n’a pas à trancher entre les différentes thèses avancées. C’est l’enseignant T... qui est responsable de sa classe et qui doit appliquer les mesures qu’il estime appropriées et rien dans la preuve ne convainc le tribunal qu’il a agi à l’extérieur des règles de l’art et de façon qui aurait pu objectivement traumatiser la travailleuse.
[186] Les événements racontés par la travailleuse dans la période contemporaine au 7 juin 2011 n’offrent pas un caractère objectif particulier qui déborde du cadre habituel, normal et prévisible de son travail de technicienne en éducation spécialisée.[7]
[187] L’adjectif « imprévu » indique ce qui arrive lorsqu’on ne s’y attend pas, ce qui est fortuit, inattendu, inopiné et accidentel alors que l’adjectif « soudain » indique ce qui se produit en peu de temps, de façon brusque, instantanée et subite.[8] Or, il n’y a rien de fortuit ou d’inattendu à ce que des discussions surviennent avec des collègues de travail quant aux méthodes de travail employées ou à ce que des « commérages » existent entre collègues de travail. Tout cela est inhérent au milieu de travail et ne peut constituer un événement imprévu et soudain.
[188] Des problèmes de relation de travail ne constituent un accident du travail.[9] Les inconvénients vécus par la travailleuse dans son milieu de travail ne constituent pas des événements imprévus et soudains mais des problèmes qui peuvent être rencontrés habituellement sur le marché du travail et cette dernière n’a pas été victime, de façon objective, de violence physique ou verbale.
[189] Si l’enseignant J... T... avait été violent avec les élèves ou collègues, le tribunal estime que d’autres témoins seraient venus à la barre pour le confirmer. Ce dernier évolue avec plusieurs élèves, parents, collègues de travail, membres de la Direction et seule la travailleuse estime qu’il commet des actes violents.
[190] Il y a lieu de distinguer les facteurs endogènes qui relèvent de la personnalité d’un travailleur et les facteurs exogènes, soit les faits et circonstances ayant pu objectivement causer une maladie. Le tribunal estime, en l’espèce, que c’est plutôt la personnalité de la travailleuse qui a donné une importance démesurée aux événements qui se sont produits et qui constituent plutôt des événements habituels dans le cadre du travail dans une école.[10]
[191] La stagiaire a rapporté ce qu’elle prétendait que la travailleuse lui avait dit. La travailleuse a nié le tout lors de la rencontre avec monsieur J... T.... Ce dernier n’a jamais mentionné qu’il avait perdu confiance ou quoi que ce soit mais voulait avoir la version de la travailleuse.
[192] La tenue d’une telle rencontre s’inscrit tout à fait dans le cadre normal du travail en tant que mise au point entre collègues voulant se faire part d’insatisfactions ou de reproches. La réaction de la travailleuse à une telle rencontre ne constitue pas une lésion professionnelle en l’absence de violence ou d’agression.[11]
[193] La travailleuse n’a donc pas réussi à établir que les événements qu’elle estime responsables de sa lésion psychologique présentent par leur juxtaposition, le caractère d’imprévisibilité ou de soudaineté auquel fait référence la notion d’accident du travail.
[194] Elle n’a pas démontré que la rencontre avec l’enseignant T... a pu revêtir un caractère objectivement traumatisant au point d’être assimilée à un événement imprévu et soudain.[12]
[195] Le tribunal le répète, la divergence de vues quant aux méthodes de travail devant être employées ne peut constituer une lésion professionnelle.[13]
[196] Dans les circonstances, l’employeur n’avait pas à agir de façon plus interventionniste qu’il ne l’a fait. Il est normal de laisser deux professionnels se parler et de tenter de régler leurs différends avant de soi-même intervenir. Quant à la rencontre à trois, elle n’a pas eu lieu parce que la travailleuse avait déjà quitté le travail.
[197] Le tribunal estime que la travailleuse ne s’est pas non plus déchargée de son fardeau de prouver la relation entre les événements qu’elle allègue et les diagnostics psychiatriques en cause. Aucun intervenant bénéficiant des bonnes prémisses n’explique, de façon probante, pourquoi la lésion de la travailleuse serait attribuable à ces événements alors qu’elle est aux prises avec plusieurs antécédents importants et conditions personnelles, sans compter qu’en juin 2011, elle était en retour progressif de sorte que les effets de sa lésion psychologique personnelle pour laquelle elle s’était absentée plusieurs mois n’étaient même pas rentrés complètement dans l’ordre.
[198] Selon la preuve, la travailleuse était en larmes dès le premier jour de son retour progressif au travail du début juin 2011. Cela est un autre indice que sa condition personnelle ayant entraîné une absence depuis le mois de février était toujours active.
[199] Dans son témoignage, elle affirme d’ailleurs qu’après la première demi-journée de retour au travail, au début juin 2011, elle est revenue chez elle en larmes sans savoir pourquoi.
[200] D’ailleurs, à l’annexe 2 du document T-1, la travailleuse confirme qu’à la suite de son retour progressif au travail, le 7 juin 2011, à la suite d’une absence personnelle pour des problèmes psychologiques, les symptômes dépressifs sont réapparus dès la première demi-journée. À ce moment-là, les événements reprochés par la travailleuse n’étaient toujours pas survenus, ce qui démontre encore la nature personnelle de sa pathologie.
[201] Le tribunal remarque aussi que la première évaluation en neuropsychologie intervient le 6 juin 2011, soit avant même la survenance des événements en cause. La travailleuse consultait donc avant cette date et alors que la lésion personnelle qui l’empêchait de travailler depuis février 2011 n’était pas tout à fait rentrée dans l’ordre.
[202] Le docteur Laplante estime qu’il n’y a pas de lien de causalité entre les problèmes de la travailleuse et les événements de juin 2011.
[203] Au surplus, le diagnostic d’état de stress post-traumatique ne peut certainement pas être relié à des événements aussi banals et courants.
[204] La littérature médicale déposée sous la cote T-4 indique que pour pouvoir relier ce diagnostic à un événement, il doit s’agir d’un facteur de stress traumatique extrême impliquant le vécu direct personnel d’un événement pouvant entraîner la mort, constituer une menace de mort ou de blessure sévère ou représenter des menaces pour sa propre intégrité physique. Il peut aussi être reconnu s’il y a un événement au cours duquel une personne est témoin d’un événement pouvant occasionner la mort, la blessure ou une menace pour l’intégrité physique d’une autre personne. Rien de cela n’est en preuve.
[205] Dans l’affaire Fournier et S.T.M.,[14] la Commission des lésions professionnelles rappelait certains critères en matière d’état de stress post-traumatique :
[44] Les critères diagnostiques établis pour la reconnaissance d’un état de stress post-traumatique, selon le DSM-IV7 sont essentiellement :
A. Le sujet a été exposé à un événement traumatique dans lequel les deux éléments suivants étaient présents :
(1) Le sujet a vécu, a été témoin ou a été confronté à un événement ou à des événements durant lesquels des individus ont pu mourir ou être très gravement blessés ou bien ont été menacés de mort ou de grave blessure ou bien durant lesquels son intégrité physique ou celle d’autrui a pu être menacée
(2) la réaction du sujet à l’événement s’est traduite par une peur intense, un sentiment d’impuissance ou d’horreur. NB. Chez les enfants, un comportement désorganisé ou agité peut se substituer à ces manifestations
[45] Le tribunal retient du témoignage du travailleur que ce dernier a ressenti une anxiété et une grande colère. Cependant, le tribunal ne croit pas qu’il ait craint pour son intégrité physique et pour sa vie du fait des gestes et des invectives lancées par le passager ou encore du fait que ce dernier ait lancé sur l’autobus un cône de sécurité ou encore une motte de glace.
[46] Le tribunal considère que la situation vécue par le travailleur ne répond pas aux critères établis par le DSM-IV d’un stress post-traumatique.
_____
7 AMERICAN PSYCHIATRIC ASSOCIATION, Mini DSM-IV : critères diagnostiques, Paris, Masson, 1996, 361 p.
[206] Dans l’affaire Goyer et Centre de la Petite enfance Picasso,[15] le tribunal se prononce à nouveau en matière d’état de stress post-traumatique :
[26] Ce diagnostic est reconnu par le DSM-IV1 ouvrage de référence de base en matière de troubles psychiques, et il y est défini comme suit :
F43.1 [309.81] Trouble État de Stress post-traumatique
[…]
Les événements traumatiques qui sont vécus directement comprennent, de façon non limitative, le combat militaire, les agressions personnelles violentes (agression sexuelle, attaque physique, vol), le fait d’être kidnappé, le fait d’être pris en otage, les attaques terroristes, la torture, l’incarcération en tant que prisonnier de guerre ou dans un camp de concentration, les catastrophes naturelles, ou d’origine humaine, les accidents de voiture graves ou le fait de recevoir le diagnostic d’une maladie mettant en jeu le pronostic final. […]
Critères diagnostiques du F43.1 [309.81] Trouble État de Stress post-traumatique
A. Le sujet a été exposé à un événement traumatique dans lequel les deux éléments suivants étaient présents :
(1) le sujet a vécu, a été témoin ou a été confronté à un événement ou à des événements durant lesquels des individus ont pu mourir ou être très gravement blessés ou bien ont été menacés de mort ou de grave blessure ou bien durant lesquels son intégrité physique ou celle d'autrui a pu être menacée.
(2) la réaction du sujet à l'événement s'est traduite par une peur intense, un sentiment d'impuissance ou d'horreur.
[27] On constate donc que pour prétendre qu’un diagnostic de stress post-traumatique soit relié au travail, la travailleuse doit avoir été exposée à un événement traumatique lors duquel elle, ou d’autres personnes, ont pu mourir ou être très gravement blessées. Cet événement doit donc comporter ou être de nature à comporter un haut degré de gravité. De plus, la réaction de la travailleuse doit se traduire par une peur intense, un sentiment d’impuissance ou d’horreur.
[28] Par ailleurs, le diagnostic d’état de stress post-traumatique diagnostiqué le 2 février 2005 fait preuve que la travailleuse souffre de cette maladie et compte tenu du diagnostic lui-même, fait preuve d’une relation entre la maladie et un traumatisme. Or, le traumatisme identifié comme étant celui qui lui a causé la maladie est l’événement du 28 janvier 2005 survenu au travail, soit une altercation verbale avec un parent. Il ne fait aucun doute que cet événement ne comporte pas le degré de gravité requis pour être relié au diagnostic émis. Non seulement la travailleuse n’a pas été exposée aux conditions importantes décrites au DSM-IV, mais de l'événement qu’elle allègue au soutien de sa réclamation, il n’en découle aucune menace quant à son intégrité physique : rien dans la discussion ne s’apparente à une agression personnelle violente, à une prise d’otage, une attaque terroriste ou aux autres exemples énumérés au DSM-IV. On ne peut donc parler d’un événement grave ou potentiellement grave.
[29] Aussi, les conséquences de cet événement, que la travailleuse décrit durant l'audience comme étant qu’elle a souffert d’insomnie, qu’elle s’est sentie blessée, humiliée, de ne pas être une bonne éducatrice, qu’elle n’avait pas le droit de vivre cela et que ça l’a détruite, ne constituent pas une réaction de peur intense et de sentiment d’impuissance ou d’horreur tels qu’ils sont décrits au DSM-IV.
[30] La réaction de la travailleuse est, de l’avis de la Commission des lésions professionnelles, une réaction plutôt personnelle qui relève de ses propres émotions.
______
1 AMERICAN PSYCHIATRIC ASSOCIATION, DSM-IV : Manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux, 4e éd. Paris, 1996, 1008 p.
[207] Même si l’état de stress post-traumatique n’est pas relié aux événements de juin 2011, il n’en reste pas moins qu’il existe vraiment et qu’il peut à lui seul expliquer tous les problèmes de la travailleuse.
[208] Les reviviscences de la travailleuse et la violence dont elle a été victime dans son passé constituent des conditions personnelles et le seul fait que certains éléments qui se produisent au travail lui rappellent son passé ne peut constituer plus que la manifestation au travail d’une condition personnelle sans événement imprévu et soudain. Rappelons les enseignements de la Cour d’appel voulant qu’il ne s’agit pas d’une lésion professionnelle.[16]
[209] D’ailleurs, la travailleuse a déposé une réclamation à l’IVAC (Indemnisation des victimes d’actes criminels) qui a accepté de la compenser pour les actes de violence dont elle a été victime dans sa jeunesse.
[210] La décision rendue par l’IVAC et déposée sous la cote E-1 accepte la réclamation de la travailleuse pour un événement daté du 1er juin 2011, date à partir de laquelle la travailleuse a pu faire le lien entre sa condition psychologique et les actes criminels subis pendant sa jeunesse. Le tribunal constate donc que cet organisme considère que les problèmes psychologiques de la travailleuse sont liés à des actes criminels survenus pendant l’enfance, ce qui n’est certes pas de nature à aider la travailleuse à démontrer que cette même lésion est aussi attribuable au travail.
[211] Dans sa décision du 16 août 2012, l’IVAC indique que la travailleuse allègue avoir été victime de voies de fait de la part de son père et avoir subi en conséquence des blessures entre 1958 et 1976. L’information contenue au dossier démontre que la demande n’a pas été présentée à l’intérieur du délai d’un an parce que la travailleuse n’a fait le lien entre sa condition psychologique et les abus du passé que depuis février 2011 dans le cadre d’un suivi thérapeutique avec madame Denise Savard. C’est donc dire que de l’avis de l’IVAC, la travailleuse fait un lien entre sa condition psychologique et les abus du passé. Pourtant, devant le présent tribunal, elle allègue que cette même condition serait due à des événements survenus à son travail, ce qui est contradictoire.
[212] Lors de sa rencontre avec la docteure Laplante, la travailleuse se décrit elle-même comme histrionique. La docteure Laplante mentionne son anxiété et le fait qu’elle somatise énormément. L’intensité de ses émotions exagère et amplifie énormément la symptomatologie. Elle a des traits de personnalité mixte, à la fois du groupe B et du groupe C.
[213] Le tribunal retient de la preuve objective et crédible que la travailleuse n’a vécu aucun acte objectif de violence verbale ou physique au travail ni n’a été exposée à ce genre d’actes commis envers d’autres personnes. Les reviviscences de son pénible passé au cours duquel elle a subi de la violence de différents ordres de la part de membres de sa famille n’a aucun lien avec ce qui s’est vécu au travail. Ce qu’elle a vécu au travail n’était pas objectivement de nature à rappeler ce passé et il s’agit simplement de la manifestation d’une condition personnelle antérieure au travail.
[214] Les problèmes psychologiques de la travailleuse sont présents notamment des suites de sa lésion de février 2011 pour laquelle elle était en retour progressif, des nombreux traits de personnalité mis en évidence et avoués par elle et de la violence vécue dans son enfance.[17]
[215] La docteure Chantal Bélanger indique le 30 août 2011 à l’Axe IV des stresseurs familiaux et de la violence psychologique au travail. Les stresseurs familiaux constituent une condition personnelle et quant à la violence physique au travail, la preuve révèle qu’il s’agit d’une perception de la travailleuse qui n’a aucunement été confirmée de façon objective.
[216] Parmi les autres facteurs personnels, il faut ajouter les problèmes de la travailleuse avec sa sœur dans le cadre desquels elle a fait un autre signalement à la D.P.J. La brouille avec sa sœur l’a également amenée à éprouver des problèmes relationnels avec certains membres de sa famille et à se sentir écartée notamment lors des Fêtes de Noël.
[217] Il faut aussi noter trois burn-out indemnisés en assurance-salaire, antérieurement aux événements en cause.
[218] Dans une note médicale du 21 septembre 2011, il est également fait état d’un autre stresseur, soit le fait que la travailleuse craigne son ex-conjoint.
[219] La théorie du crâne fragile ne peut s’appliquer que s’il est établi au départ que les événements en cause inhabituels et extraordinaires sont survenus dans le cadre du travail et que pareils événements auraient pu causer la lésion en cause à n’importe quelle personne, même exempte de tout problème antérieur ou personnel. Le tribunal estime qu’il ne possède pas cette preuve.[18]
[220] Les facteurs personnels prédisposant, les antécédents ou la personnalité d’un travailleur ne font pas nécessairement obstacle à la reconnaissance de l’origine professionnelle d’une lésion psychologique. Cependant, il est nécessaire que les expériences négatives alléguées comme étant survenues au travail soient substantiellement contributives pour expliquer l’apparition de lésion chez le travailleur, ce qui n’est pas prouvé en l’espèce. Les événements professionnels allégués par la travailleuse ne font absolument pas le poids face à ses conditions personnelles et à ses lourds passé et présent familiaux.
[221] Les expériences négatives doivent constituer des faits objectifs prouvés et non de simples perceptions ou opinions.[19]
[222] Les propos tenus par le juge administratif dans l’affaire Côté et la Commission scolaire des Bois Francs,[20] s’appliquent au présent dossier :
[102] Le représentant de la travailleuse plaide que l’on doit prendre la travailleuse dans l’état où elle est et que sa personnalité ne doit pas être un obstacle à la reconnaissance d’une lésion professionnelle. Le tribunal est d’avis que pour appliquer ce principe, il doit être démontré que l’événement imprévu et soudain a été déterminant dans l’apparition de la lésion. En l’espèce, le tribunal en vient à la conclusion que c’est plutôt la perception de la travailleuse qui a fait de l’événement un événement catastrophique qui a été déterminant. Pour cette raison, on ne peut conclure à une lésion professionnelle.
[103] En terminant, la Commission des lésions professionnelles reprend les propos tenus dans l’affaire Pelletier6, lesquels, en y apportant quelques nuances, à savoir que les propos et le comportement des élèves sans être banals ou anodins ne sont pas objectivement traumatisants au point de causer la lésion, trouvent application en l’espèce :
« Le tribunal en conclut que le trouble d’adaptation avec humeur anxio dépressive vécu par la travailleuse est attribuable à sa perception des choses et non aux événements qui se sont produits au travail. Ces événements n’ont pas le caractère objectivement traumatique que la jurisprudence exige; il s’agit d’attitudes, de comportements ou de gestes de son assistante qui sont, le tribunal le répète, objectivement anodins et banals, mais qui ont pu être perçus différemment par la travailleuse. Il faut accorder à cette dimension de la perception des faits par la travailleuse sa juste importance : c’est sa perception des choses et non les événements eux-mêmes qui ont entraîné sa maladie. »
_______
6 Pelletier et Commission scolaire de l’Estuaire, C.L.P. 131050-09-0001, 11 novembre 2000, J.-M. Laliberté
[223] La note médicale du 13 juin 2011 est assez révélatrice. Cette visite survient en plein cœur des événements allégués par la travailleuse comme lésionnels. Pourtant, elle mentionne à son médecin, ce jour-là, qu’elle est heureuse au travail de sorte qu’il est difficile de voir pourquoi la détérioration de son état, ses visions egodystones et son état de torpeur seraient reliés à ce travail.
[224] Il faut également rappeler les trouvailles de la neuropsychologue, à savoir, que la travailleuse est aux prises avec une sphère attentionnel déficitaire, que le fonctionnement global sur le plan mnésique se situe sous la moyenne et comporte une sensibilité à l’interférence proactive et rétroactive fragilisant le maintien des informations dans le temps. La travailleuse est donc aux prises avec un trouble déficitaire de l’attention.
[225] Le rapport d’évaluation psychologique déposé sous la cote T-3 indique également qu’en plus du trouble déficitaire de l’attention existe une instabilité émotionnelle chez la travailleuse, terrain fertile et prédisposant à la survenance de lésions psychologiques. Elle mentionne que la situation vécue avec l’enseignant T... aurait réactivé les schémas et expliquerait que l’état de la travailleuse se soit détérioré depuis 2011.
[226] Toutefois, le tribunal rappelle qu’il s’agit d’une fausse prémisse puisque rien d’imprévu et soudain ou qui déroge de la norme dans un milieu de travail n’a été prouvé. De toute façon, il s’agirait de la pure manifestation d’une condition personnelle au travail puisque l’on doit comprendre que si la travailleuse n’avait pas vécu les problèmes de violence pendant son enfance et autres conditions personnelles, il n’y aurait eu aucun schéma à réactiver et aucune lésion professionnelle.
[227] L’aggravation d’une condition personnelle présuppose que les stresseurs auraient été de nature à causer une lésion chez toute personne, même sans antécédent ou condition personnelle, ce qui n’est pas le cas. C’est vraiment les problèmes que la travailleuse a subis pendant son enfance et les autres causes déjà identifiées qui amènent la souffrance dont elle est victime en 2011 et ce n’est donc pas une lésion professionnelle.
[228] Au surplus, en date du 13 juin 2011, un diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur mixte est posé alors que la rencontre avec monsieur J... T... au cours de laquelle il lui aurait mentionné que la confiance n’existait plus n’était même pas encore survenue. Cela démontre encore le caractère personnel de la lésion psychologique de la travailleuse.
[229] Dans l’affaire Tanguay et Cégep Beauce-Appalaches,[21] la Commission des lésions professionnelles rappelle qu’il faut distinguer entre un travail qui comporte un risque pour tout travailleur qui y est affecté et le fait qu’un travail puisse constituer un risque pour un travailleur qui est affecté d’une condition personnelle. Dans ce dernier cas, le risque est lié à la condition personnelle et non à la nature du travail exercé.
[230] Il est vrai que la loi instaure un régime d’indemnisation sans égard à la faute :
25. Les droits conférés par la présente loi le sont sans égard à la responsabilité de quiconque.
__________
1985, c. 6, a. 25.
[231] En conséquence, le tribunal n’a pas à évaluer si la travailleuse ou l’enseignant T... ont commis une faute ou non. Il a purement évalué les critères contenus à la loi quant à la notion d’événement imprévu et soudain et de relation entre un diagnostic et un événement donné.
[232] Le tribunal ne donne pas de poids au document T-9 puisque ni l’élève, ni la personne détentrice de l’autorité parentale n’ont témoigné à l’appui de ce document. Rien n’explique les suites qui auraient pu être données à cette plainte qui a fait l’objet d’une réponse de l’enseignant T... voulant que rien de spécial ne s’était passé. Au surplus, ce document date d’avril 2012 alors que les événements en cause datent de juin 2011.
[233] En conséquence, le tribunal partage l’avis unanime des membres issus des associations et rejette les requêtes de la travailleuse.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossier : 463669
REJETTE la requête de madame O... D..., la travailleuse;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 15 février 2012, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que madame O... D... n’a pas subi de lésion professionnelle le ou vers le 7 juin 2011;
DÉCLARE que madame O... D... n’a pas droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
Dossier : 503688
REJETTE la requête de madame O... D...;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 25 février 2013, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que madame O... D... n’a pas subi de lésion professionnelle le 5 avril 2012 ni le 5 juillet 2012;
DÉCLARE que madame O... D... n’a pas droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Guérin et CSST, 142419-62C-0005, 00-11-27, M. Sauvé.
[3] Marché Fortier ltée et Fournier, [2001] C.L.P. 693 .
[4] Roussel et Sûreté du Québec, [2003] C.L.P. 1294 .
[5] Gélinas et Ministère de la sécurité publique, C.L.P. 139149-04-0005, 4 septembre 2003, J.-F. Clément; Claveau et CSSS Chicoutimi / CHSLD Chicoutimi, [2008] C.L.P. 224 .
[6] Delisle et Montco ltée, 127206-71-9911, 00-02-09, A. Suicco.
[7] Centre jeunesse Québec et Jobin, [2010] C.L.P. 335 .
[8] C.U.M. c. C.A.L.P. [1998] C.A.L.P. 472 (C.S.) appel rejeté C.A. Montréal, 500-09-006276-984, 1er octobre 2001.
[9] Darveau et C.T.R.S.M., [1993] C.A.L.P. 1397 .
[10] C.S.S.T. et D.I.K. Distribution Kirouac inc., [1998] C.L.P. 1117 .
[11] Boivin et C.L.S.C. Villeray, [2001] C.L.P. 554 .
[12] Paradis et Ville de Blainville, [2004] C.L.P. 468 .
[13] Valério et Centre jeunesse de Montréal, C.L.P. 147630-71-0010, 22 avril 2004, R. Langlois.
[14] 2012 QCCLP 6666 .
[15] C.L.P. 261503-72-0505, 31 août 2005, P. Perron.
[16] PPG Canada inc. c. C.A.L.P. [2000] C.L.P. 1213 .
[17] Darveau et S.T.R.S.M., [1993] C.L.P. 1397.
[18] Botter et J. Pascal inc., [1995] C.A.L.P. 301 .
[19] Thierney et Bombardier inc., C.L.P. 47352-60-9212, 1er août 1995, A. Leidey, révision rejetée, 29 mai 1996, B. Roy
[20] C.L.P. 242576-04B-0409, 14 avril 2005, D. Lajoie.
[21] [1998] C.L.P. 374 .
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.